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Vera Songwe sonne le tocsin

Vera Songwe sonne le tocsin portrait

Économiste camerounaise brillante, la secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) se retrouve aux avant-postes dans la lutte contre la pandémie et la crise économique dévastatrice qu’elle engendre. À défaut de moyens, elle utilise toutes les armes de la communication pour mobiliser. par Jean-Michel Meyer

Les nuits de Vera Songwe doivent être très courtes. Convaincue de l’extrême urgence à agir face au nouveau coronavirus, la secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), qui doit en temps normal contribuer à relever les défis du développement du continent et encourager l’intégration régionale, est sur tous les fronts. Comme riposte immédiate, dès la fin mars, la première femme appelée à diriger cette institution onusienne a sollicité une aide de 100 milliards de dollars pour l’Afrique auprès de la communauté internationale. Le G20 a fait un premier geste en suspendant pour un an le paiement des intérêts de la dette des pays pauvres (44 milliards de dollars). « Les coûts économiques de la pandémie sont plus élevés que l’impact direct du Covid-19. Sur l’ensemble du continent, toutes les économies souffrent du choc soudain qui les frappe. La distance physique nécessaire pour contrôler la pandémie est en train d’étouffer et de noyer l’activité économique », justifie Vera Songwe. Son défi ? Trouver un remède qui ne soit pas plus néfaste que le mal.

UN PARCOURS INDISCUTABLE

Lorsqu’elle a pris la tête de la CEA en août 2017, avec rang de secrétaire générale adjointe de l’ONU, l’économiste camerounaise ne pouvait s’imaginer un tel scénario catastrophe. Pur produit de la haute fonction publique internationale, Vera Songwe connaît alors sa consécration professionnelle à 49 ans. Armée d’un CV et d’un parcours indiscutable, elle s’est imposée devant 77 candidats. Née au Kenya, elle est élevée dans la bourgeoisie anglophone du Cameroun, à Bamenda, dans le Nord-Ouest. Son père, Joachim Songwe, a dirigé l’Office national pour le développement de l’aviculture et le petit bétail dans les années 1980. Son oncle, Christian Songwe Bongwa, était quant à lui un proche collaborateur de John Ngu Foncha, ancien Premier ministre du Cameroun britannique. Il a par ailleurs été ministre sous les présidents Ahmadou Ahidjo et Paul Biya.

Outre son doctorat en économie mathématique, elle possède une maîtrise en droit et en économie, un diplôme d’études approfondies en sciences économiques et en sciences politiques, tous trois obtenus à l’université catholique de Louvain, en Belgique, ainsi qu’une licence en sciences économiques et politiques de l’université du Michigan. Elle commence sa carrière aux ÉtatsUnis en étant chargée de recherche invitée à la Federal Reserve Bank du Minnesota et à l’université de Californie du Sud. Avant d’entrer à la Banque mondiale en 1998. Un chemin de plus de vingt ans dans les arcanes de la vénérable institution washingtonienne, qui la mènera à diriger les programmes à destination du Sénégal, du Cap Vert, de la Gambie, de la Guinée-Bissau et de la Mauritanie entre 2012 et 2015. Puis à prendre la direction régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale (23 pays) de la Société financière internationale, le bras armé de la Banque mondiale pour développer le secteur privé, jusqu’en 2017.

En plus de ses compétences reconnues, Vera Songwe dispose de solides soutiens : celui d’António Guterres, qui la nomme quelques mois après son intronisation au secrétariat général de l’ONU, mais aussi celui de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne directrice générale de la Banque mondiale, dont elle a été l’une des conseillères entre 2007 et 2011. Durant cette période, la femme politique devient la mentor de l’économiste. C’est Ngozi Okonjo-Iweala qui, par exemple, l’introduit en 2011 dans le très puissant think tank américain Brookings Institution, pour lequel elle tient toujours un blog. En 2013, le magazine Forbes l’intègre à sa liste des 20 jeunes femmes les plus puissantes d’Afrique. En 2015, c’est au tour du Financial Times de la répertorier parmi les 25 Africains à suivre.

Par ailleurs, elle est membre de la task force pour la réforme institutionnelle de l’Union africaine ainsi que des conseils d’ad

ministration du réseau African Leadership Network et de la Fondation Mo Ibrahim. Dotée d’une solide expérience, Vera Songwe pensait mettre à profit ses compétences pour le développement du continent plutôt que de gérer un cataclysme inédit. Aujourd’hui, la secrétaire exécutive de la CEA doit parer au plus pressé.

Elle pensait mettre à profit ses compétences pour le développement du continent plutôt que de gérer un cataclysme inédit.

DEUX SCÉNARIOS À PRENDRE EN COMPTE

Publié le 17 avril, un rapport de la commission onusienne intitulé « Le Covid-19 en Afrique : Sauver des vies et l’économie » dresse un sombre tableau : « Les institutions sont déjà débordées à tous les niveaux – sanitaire, économique et social. […] Des difficultés économiques lourdes et durables mettront en péril progrès et perspectives, creuseront les inégalités entre et à l’intérieur des pays et aggraveront les fragilités actuelles. » Selon les dernières prévisions, la pandémie provoquera cette année une contraction de 1,25 % de l’économie du continent. La CEA a élaboré deux scénarios. Avec des mesures de distanciation sociale, l’Afrique devrait enregistrer 300 000 décès du Covid-19 en 2020, dans le meilleur des cas. Mais si aucune disposition sanitaire n’est adoptée, le continent pourrait dénombrer jusqu’à 3,3 millions de victimes !

Dans le premier scénario, 44 milliards de dollars sont nécessaires pour l’achat de tests, d’équipements de protection individuelle et de traitements. Et dans le pire des cas, « l’Afrique serait dans l’incapacité de traiter ne serait-ce qu’une fraction du nombre de malades ». La facture ? 446 milliards de dollars, selon la CEA. Ces projections devront être validées à l’épreuve des faits et de l’évolution de la pandémie.

En attendant, Vera Songwe sonne le tocsin. À défaut d’avoir des budgets. L’argent se fait rare dans les agences onusiennes. « Ces dix dernières années, les crédits budgétaires ordinaires ne cessent de se rétrécir en termes réels, du fait des difficultés budgétaires des Nations unies », reconnaissait d’ailleurs la CEA dans un rapport de 2018 sur ses soixante ans d’existence.

Conséquence ? La secrétaire exécutive utilise la seule arme efficace à sa disposition : la communication. Elle se rend disponible, participe à de multiples sessions sur le Net pour mobiliser les acteurs clés, s’exprime dans la presse, cosigne des tribunes. Malgré un danger omniprésent et des moyens réduits, Vera Songwe se projette dans l’avenir : « Nous devrons rebâtir plus solide, en veillant à être soucieux du climat dans la reconstruction et en tirant parti de l’économie numérique. » ■

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