8 minute read
Ils sont au contact et témoignent
Ils (et elle) travaillent dans le domaine de la santé à Bamako, Douala, Cotonou ou Conakry, et racontent comment leur quotidien a changé avec l’arrivée du Covid-19. Ils livrent aussi leur sentiment sur l’évolution de l’épidémie dans leur pays. par Emmanuelle Pontié
MALI Sounkalo Dao « Le virus touche toutes les couches sociales, tous âges confondus »
LE PROFESSEUR SOUNKALO DAO, 51 ans, originaire de Sikasso, est le chef de service des maladies infectieuses du centre hospitalier universitaire du Point G, à Bamako. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19 et les deux premiers cas importés enregistrés le 25 mars au Mali, son quotidien a été bouleversé. Un centre dédié au nouveau virus a été installé au sein de son établissement, avec 120 lits, dont 14 réservés à la réanimation, qui se décompose en trois unités. Chacune d’entre elles est respectivement placée sous la responsabilité d’un spécialiste des maladies infectieuses, d’un pneumophtisiologue et d’un anesthésiste- réanimateur, entourés de leurs équipes. « Nous accueillons environ cinq cas en moyenne par jour, dont des patients en état grave, en détresse respiratoire, devant être placés en réanimation. Nous ne prescrivons pas de traitement à domicile, afin de rompre la chaîne de transmission communautaire du virus. » Au Point G, on garde dix jours en moyenne les malades sous traitement (100 % gratuit) à la chloroquine, associée à l’azithromycine. Début mai, trois centres dédiés au Covid-19 étaient ouverts à Bamako – 95 % des 600 cas environ recensés dans le pays y étaient concentrés –, un autre à Kati et un dernier à Kayes, où résident de nombreux Maliens qui émigrent. Deux cliniques privées accueillent également des malades. « Notre centre est appuyé par Médecins sans frontières France, sur le plan médical et logistique. Côté équipements, nous fonctionnons sur nos stocks hérités de la période Ebola, avec des combinaisons de type full protect. Quelques dons nous parviennent aussi. Pour le moment, ça va. Mais dans l’avenir, je ne sais pas… » La typologie des malades a évolué. Au début, il s’agissait de Maliens venus de l’extérieur : « Les premiers patients étaient des gens plutôt aisés, qui voyagent, mais très vite, toutes les couches sociales ont été touchées par le virus. Tous âges confondus. » Le professeur Dao est présent tous les jours au centre, en moyenne de 7 h 30 à 21 heures. « En ce moment, même la nuit, je vérifie mes messages, et s’il y a des nouveaux cas, il faut les gérer. Pour le moment, nous y arrivons. Mais la prise de conscience des populations laisse à désirer. Sur les marchés, on ne se protège pas. Pas mal de gens ne croient pas au danger de ce virus, qu’ils disent venu d’ailleurs, etc. » Comme beaucoup d’autres États africains, le pays fait face à une épidémie à la courbe plutôt lente, avec une mortalité qui semble assez faible. Pour le professeur Dao, un facteur pourrait expliquer ce premier constat : « Je pense que nous avons un avantage : notre population est jeune. Nous devons disposer d’immunités plus solides. Notre courbe des âges est différente de celle de l’Occident. Par contre, le brassage social coutumier dans le contexte malien joue contre nous en favorisant la propagation du virus. »
CAMEROUN Francis Kouesseu « On ne peut que prodiguer des conseils aux clients »
ORIGINAIRE DE L’OUEST, Francis Kouesseu, 48 ans, dirige sa pharmacie à Douala, dans le quartier de Bépanda, depuis 2007. Avec l’arrivée du Covid-19, il a appris à gérer deux « nouveautés » : le stress de ses clients et… la pénurie. « Beaucoup de Camerounais sont effrayés et dévalisent les rayons de vitamine C et de zinc pour renforcer leurs immunités. Nous sommes d’ailleurs en rupture. » Depuis début avril, les pharmacies n’ont plus le droit de vendre de masques. Leur prix (1 000 francs CFA) était jugé trop cher. Les « cache-nez » selon l’appellation locale, dont le port est obligatoire pour tous, s’achètent dorénavant pour environ le même prix sur les marchés ou sont confectionnés par des tailleurs sur demande. « Mais au niveau des normes, ils laissent à désirer. Les masques certifiés sont distribués par le ministère de la Santé gratuitement et exclusivement au personnel soignant. C’est également le ministère qui se charge de la délivrance de la chloroquine directement aux centres de santé. Pour notre part, nous avons interdiction d’en vendre, même sur ordonnance. Seul l’antibiotique associé pour le traitement,
l’azithromycine, peut être acheté en pharmacie sur prescription. » Au Cameroun, les malades du Covid-19, tant qu’ils n’ont pas de forme grave, sont renvoyés chez eux. Et ils reviennent à l’hôpital si des complications respiratoires apparaissent. « C’est difficile pour les pharmaciens de répondre aux demandes des patients pendant la période où ils sont à la maison. On ne peut que leur prodiguer des conseils, comme éviter les anti-inflammatoires. On leur donne parfois des médicaments prescrits contre la malaria quand ils ressentent de gros frissons, qui font un peu effet. Nous aimerions être davantage associés au processus de traitement de la maladie et disposer des bons produits. » En attendant une meilleure implication dans la gestion de l’épidémie, Francis Kouesseu s’inquiète de l’absence de prise de conscience d’une partie de la population, dans le quatrième pays le plus touché d’Afrique subsaharienne au début du mois de mai. « Les jeunes mettent des masques pour frimer, mais continuent à s’agglutiner dans les bars. C’est autour de 40 ans, disons à l’âge de raison, que les gens s’inquiètent, surtout lorsque l’un de leurs proches a été contaminé. Mais on peut tout de même se réjouir de constater que l’Afrique semble plus ou moins épargnée à ce jour… » Pourquoi ? Selon le pharmacien, l’une des raisons serait le manque d’échanges interurbains sur le continent : « Les Africains voyagent moins. Le virus a peut-être moins de chances de circuler. »
BÉNIN Alice Zigan « Nous testons environ 20 cas suspects par jour »
À 43 ANS, ALICE ZIGAN, originaire de la banlieue de Cotonou, cumule vingt ans d’expérience dans l’analyse biomédicale. Depuis la mi-mars et l’entrée du nouveau coronavirus au Bénin, elle procède aux prélèvements sur les patients suspectés de Covid-19 dans le centre de santé d’État Cotonou 4 : « J’utilise des tests sérologiques, en piquant un doigt, afin de savoir si le patient a développé des immunités, ainsi que des tests PCR ou virologiques qui déterminent une réponse positive ou non au moment M. » Début mai, le lieu de santé attendait la réception des équipements pour pouvoir réaliser les analyses sur place. Les prélèvements étaient alors envoyés en laboratoire. Dans le pays, peu touché par le virus (moins de 100 cas officiels début mai), un seul centre Covid-19 a été installé dans l’enceinte de l’école de police de la capitale. La réponse du gouvernement a été assez rapide et énergique : fermeture des églises, mosquées, temples, écoles et universités, confinement conseillé et établissement d’un cordon sanitaire autour de 12 communes du Sud, dont la capitale. Depuis le 8 avril, le port du masque est obligatoire. On les achète en pharmacie à 200 francs CFA, subventionnés par l’État, ou en ville. Alice Zigan est assez confiante : « On teste en moyenne une vingtaine de cas suspects par jour. Au début, il s’agissait de ressortissants rentrés de l’étranger, qui devaient rester quatorze jours chez eux, en quarantaine. Mais rapidement, toutes sortes de Béninois sont venus. Même si nous avons encore très peu de cas comparés à d’autres pays, les gens sont vigilants ici. Et plutôt disciplinés. Les mesures barrière sont globalement respectées. Même dans les marchés, qui sont restés ouverts, beaucoup font des efforts de distanciation sociale. » Pour le reste, et surtout l’avenir, elle préfère conclure : « Dieu est grand… »
GUINÉE Mamadou Alpha Diallo « Il ne faudra plus compter sur l’aide internationale »
LA CLINIQUE PRIVÉE PASTEUR, au cœur du quartier central de Kaloum, à Conakry, est l’un des rares établissements de la capitale qui dispose à la fois d’un bloc opératoire, de respirateurs, d’un laboratoire d’analyses, d’un service d’imagerie, d’une ambulance médicalisée… Depuis l’arrivée de l’épidémie de Covid-19, les cas positifs sont traités à l’hôpital Donka, géré par l’État. Jusqu’à début mai, le docteur Mamadou Alpha Diallo, 61 ans, médecin chef à la Clinique Pasteur, y transférait ses patients reçus en consultation et présentant des symptômes liés au nouveau coronavirus. « Au rythme où progresse l’épidémie, avec plus de 1 700 cas officiels à ce jour, je pense que l’État va très vite nous autoriser à tester et accueillir les cas de Covid-19. Nous sommes prêts et équipés en matière de protections renforcées. Et déjà capables de faire des tests à prix abordable. » Pour l’heure, ces derniers sont réalisés gratuitement par l’Agence nationale de sécurité sanitaire. Même gratuité pour les soins à Donka pour les malades. « Ce premier centre Covid est déjà presque débordé. Les patients attendent des heures avant d’être admis, et certaines salles sont bondées. Je suis inquiet pour la suite. Pour trois raisons. D’abord, parce qu’en Guinée, les chiffres de contamination sont certainement plus élevés, étant donné que la plupart de nos populations ne vont pas consulter. Je constate aussi que les mesures barrière ne sont pas respectées. Certes, les écoles, les lieux de culte et les bars sont fermés. Mais 90 % des habitants doivent sortir tous les matins pour pouvoir manger, et en période de ramadan, par exemple, des familles élargies se réunissent le soir autour d’un plat commun pour la rupture du jeûne. Enfin, ceux qui pensent que nous avons été bien entraînés par l’épidémie d’Ebola se trompent. Si nous nous en sommes à peu près sortis, c’est uniquement grâce au soutien massif de l’aide internationale. Pour le Covid-19, nous ne l’aurons pas, les pays développés étant les premiers impactés. Du coup, je crains le pire… » ■