SPÉCIAL L’AFRIQUE AU FRONT
Ils sont au contact et témoignent Ils (et elle) travaillent dans le domaine de la santé à Bamako, Douala, Cotonou ou Conakry, et racontent comment leur quotidien a changé avec l’arrivée du Covid-19. Ils livrent aussi leur sentiment sur l’évolution de l’épidémie dans leur pays. par Emmanuelle Pontié MALI
Sounkalo Dao
« Le virus touche toutes les couches sociales, tous âges confondus » LE PROFESSEUR SOUNKALO DAO, 51 ans, originaire de Sikasso, est le chef de service des maladies infectieuses du centre hospitalier universitaire du Point G, à Bamako. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19 et les deux premiers cas importés enregistrés le 25 mars au Mali, son quotidien a été bouleversé. Un centre dédié au nouveau virus a été installé au sein de son établissement, avec 120 lits, dont 14 réservés à la réanimation, qui se décompose en trois unités. Chacune d’entre elles est respectivement placée sous la responsabilité d’un spécialiste des maladies infectieuses, d’un pneumophtisiologue et d’un anesthésiste-réanimateur, entourés de leurs équipes. « Nous accueillons environ cinq cas en moyenne par jour, dont des patients en état grave, en détresse respiratoire, devant être placés en réanimation. Nous ne prescrivons pas de traitement à domicile, afin de rompre la chaîne de transmission communautaire du virus. » Au Point G, on garde dix jours en moyenne les malades sous traitement (100 % gratuit) à la chloroquine, associée à l’azithromycine. Début mai, trois centres dédiés au Covid-19 étaient ouverts à Bamako – 95 % des 600 cas environ recensés dans le pays y étaient concentrés –, un autre à Kati et un dernier à Kayes, où résident de nombreux Maliens qui émigrent. Deux cliniques privées accueillent également des malades. « Notre centre est appuyé par Médecins sans frontières France, sur le plan médical et logistique. Côté équipements, nous fonctionnons sur nos stocks hérités de la période Ebola, avec des combinaisons de type full protect. Quelques dons nous parviennent aussi. Pour le moment, ça va. Mais dans l’avenir, je ne sais pas… » La typologie des malades a évolué. Au début, il s’agissait de Maliens venus de l’extérieur : « Les premiers patients étaient des gens plutôt aisés, qui voyagent, mais très vite, toutes les couches sociales ont été touchées par le virus. Tous âges confondus. » Le professeur Dao est présent tous les jours au centre, en moyenne de 7 h 30 à 21 heures. « En ce moment, 66
même la nuit, je vérifie mes messages, et s’il y a des nouveaux cas, il faut les gérer. Pour le moment, nous y arrivons. Mais la prise de conscience des populations laisse à désirer. Sur les marchés, on ne se protège pas. Pas mal de gens ne croient pas au danger de ce virus, qu’ils disent venu d’ailleurs, etc. » Comme beaucoup d’autres États africains, le pays fait face à une épidémie à la courbe plutôt lente, avec une mortalité qui semble assez faible. Pour le professeur Dao, un facteur pourrait expliquer ce premier constat : « Je pense que nous avons un avantage : notre population est jeune. Nous devons disposer d’immunités plus solides. Notre courbe des âges est différente de celle de l’Occident. Par contre, le brassage social coutumier dans le contexte malien joue contre nous en favorisant la propagation du virus. »
CAMEROUN
Francis Kouesseu
« On ne peut que prodiguer des conseils aux clients » ORIGINAIRE DE L’OUEST, Francis Kouesseu, 48 ans, dirige sa pharmacie à Douala, dans le quartier de Bépanda, depuis 2007. Avec l’arrivée du Covid-19, il a appris à gérer deux « nouveautés » : le stress de ses clients et… la pénurie. « Beaucoup de Camerounais sont effrayés et dévalisent les rayons de vitamine C et de zinc pour renforcer leurs immunités. Nous sommes d’ailleurs en rupture. » Depuis début avril, les pharmacies n’ont plus le droit de vendre de masques. Leur prix (1 000 francs CFA) était jugé trop cher. Les « cache-nez » selon l’appellation locale, dont le port est obligatoire pour tous, s’achètent dorénavant pour environ le même prix sur les marchés ou sont confectionnés par des tailleurs sur demande. « Mais au niveau des normes, ils laissent à désirer. Les masques certifiés sont distribués par le ministère de la Santé gratuitement et exclusivement au personnel soignant. C’est également le ministère qui se charge de la délivrance de la chloroquine directement aux centres de santé. Pour notre part, nous avons interdiction d’en vendre, même sur ordonnance. Seul l’antibiotique associé pour le traitement, AFRIQUE MAGAZINE
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404 – MAI 2020