L’HOMME QUI VALAIT 28 MILLIARDS DE DOLLARS
C’est l’Africain le plus riche. L’entrepreneur nigérian entame une immense bataille, l’exploitation de la mégaraffinerie de Lekki. Récit et portrait.
ÉDITO PALESTINE, ANNÉE ZÉRO par Zyad Limam
NAMIBIE SURVIVRE À LA SÉCHERESSE,
LA LUTTE ENTRE L’HUMAIN ET L’ANIMAL.
DÉCOUVERTE
CÔTE D’IVOIRE, PUISSANCE AGRICOLE
Un dossier spécial de 35 pages
INTERVIEWS
◗ DJAÏLI AMADOU AMAL
« ARRÊTONS DE JUGER LES FEMMES »
◗ ALAIN MABANCKOU
« L’INTOLÉRANCE
MINE NOS SOCIÉTÉS »
R ZYAD LI
PALESTINE, ANNÉE ZÉRO
Il y a un peu plus d’un an, com me nçait l’un de s cycles les plus ef froyables de violence et de guerre au Moyen- Orient. Le 7 octobre 2023, c’était l’attaque menée par le H ama s, stu pé fia nte et inim ag ina ble, au -d el à des murs de Gaza, dans le sud d’Isra ël Avec plus de 1 20 0 victim es, des jeu nes, de s coupl es, des so lda ts, des habitants de kibboutz Et des otages Un carnage Quelques heures plus tard, Israël ouvre le feu et l’enfer sur l’enclave. Le blocus est total. Les bombardements massifs incessants depuis, d’une violence inouïe À ce jour, fin octobre 2024, au moins 50 000 morts, 10 0 000 blessés, un nombre inconnu de disparus. Gaza City, la plus grande ville palestinienne du monde, rasée au sol. 80 % de l’enclave est détruite. Des gens qui meurent de tout Des missiles, de la faim, de la maladie.
On peut comprendre le droit d’Israël à se défendre. Mais peut- on qualifier de « défense » une stratégie militaire qui tue sans état d’âme autant de civils – hommes, femm es, enfants, humanitaires, journalistes ? Peut- on considérer tous les Palestiniens comme des terroristes ? Ne pas avoir d’empathie pour ces morts, ces blessés, ces traumatisés, ces corps qui s’amoncellent tous les jours ?
Peut-on continuer à ne pas prendre en compte la tragédie de ce peuple de Palestine, plus de sept décenni es d’ordre col onial et de dépossession, à acc epter le non- droit, le quasi- apar theid, le vol des terres et des maisons, l’ordre militaire ? L’idée n’est pas de relativiser la tragédie du 7 octobre, la douleur des juifs du monde et des Israéliens L’idée, c’est d’entendre aussi l’interminable douleur du peuple palestinien. Aujourd’hui, Israël est une nation forte, riche, une puissance scientifique, technologique, militaire et nucléaire – un pays enviable à plus d’un titre. La Palestine est un tas de ruines, une terre de misère C’est l’année zéro Une nouvelle génération arrive, la troisième ou la quatrième depuis 1948, nourrie par le deuil, l’occupation, la violence. Il faut imposer la paix. On pourra faire ce que l’on voudra, bombarder, éliminer, détruire, raser, tuer les terroristes et leurs chefs, lutter contre le Hamas, le Hezbollah, l’Iran, les nouveaux djihadistes, annexer et conquérir, se venger ou terroriser Faire la guerre encore et toujours Mais une question centrale, essentielle, demeure : rendre enfin justice au peuple de Palestine. Ils sont près de 14 millions : 2 millions à Gaza, 3,6 millions dans les territoires
(Jérusalem -Est et Cisjordanie), 6 millions dans le monde arabe – la plus grande par tie bénéficiant du statut de réfugié –, près de 2 millions en Israël avec le statut très relatif de citoyen. Ils ne disparaî tront pas Reconnaître cette identité que l’on cherche à contraindre, qui a survécu à des décennies d’oppression, c’est la clé du futur. Pour sauver sa démocratie, Israël doit se sauver de la guerre, de la tentation de la victoire absolue, d’imposer son « nouvel ordre ». Les Palestiniens doivent se réengager encore dans le long chemin de la libération. Chacun devra ne plus invoquer ses morts Il faudra sortir des schémas éculés, nationalistes, religieux. Les grandes puissances ne servent à rien Elles manipulent. Les États-Unis por tent une lourde responsabilité dans cette tragédie La solution viendra du terrain, il faudra un acte de foi, un leap of faith, qui rassemblera d’abord les juifs et les Arab es de raison Chaque par ti e devra faire des pas immenses. L’État juif doit accepter le fait palestinien et la nature multiethnique et multireligieuse d’un espace commun à définir Les Palestiniens doivent accepter la présence d’Israël à majorité juive, avec des garanties de sécurité dans ce même espace.
C’est le seul vrai changement de paradigme possible pour l’Orient. Celui d’une vraie réconciliation des fils d’Abraham, basée sur la reconnaissance et le partage Il n’y a pas d’autre route. Sauf à accepter celle de la guerre éternelle, de la fragmentation, d’une extension du conflit, de la possibilité, bien réelle, du chaos global. Oui, le chaos global. La guerre est par tout À Gaza Dans les territoires occupés de Cisjordanie, où les colons et les militaires sèment la terreur avec des campagnes violentes d’intimidation. Dans le nord d’Israël, où les habitants ont dû fuir. Dans les of ficines politiques de Jérusalem et de Tel-Aviv, où des ministres exaltés et racistes rêve nt de la const ru ct ion d’un grand Is ra ël Da ns le s of ficines djihadistes, où l’on concocte la revanche et la vengeance. Au Liban, où l’armée israélienne poursuit les militants du Hezbollah et leurs chefs Dans le ciel, où Israël et l’Iran s’échangent des tirs de missiles. Dans les prétoires, devant les juges de la Cour internationale de justice, où l’on dénonce le génocide. La guerre et la souf france, face au silence du monde, et sans que l’ombre d’une solution politique se dessine. Il faut que cela cesse ■
45 8 - NO VE MB RE 20 24
3 ÉDITO
Pa lest ine, an née zéro par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Réimag iner le futu r
24 PA RCOURS
Elou kou Beyela par Astr id Kr ivian
27 C’EST COMMENT ? En quête de stats par Emmanuelle Pont ié
44 LE DOCUMEN T Pharaons noirs, une épopée afr icaine par Zyad Limam
102 CE QU E J’AI APPRIS
Gaëtan Kondzot par Astr id Kr ivian
114 VINGT QU ESTIONS À…
Fatoumata Diawara par Astr id Kr ivian
TEMPS FORTS
28 Dangote : La bataille de Lekk i par Cédr ic Gouver neur
38 Namibie : Entre les hommes et les bêtes par Agathe Labardant
84 Delphine Minoui : « En stig matisant, on crée des monstres » par Catherine Faye
90 Alain Mabanckou : « L’intolérance mine nos sociétés » par Astr id Kr ivian
96 Djaïli Amadou Amal :
« Arrêtons de juger les femmes » par Astr id Kr ivian
DÉCOUVERTE
49 Côte d’Ivoire, une puissance ag riole par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié, avec Philippe Di Nacera, Amélie Monney-Maurial et Jihane Zorkot
50 Terres d’émergence
56 « Grow n in Côte d’Ivoire » : découv rez le menu !
60 Alassane Doum bia : « Le groupe s’engage à réduire son empreinte environnementale »
64 Cacao, le paradoxe du leader
68 Rizicult ure : l’impératif de l’autosu f sance
70 Dr Mohamed Anouar Jamali : « Produire plus, mieu x, du rablement »
74 L’om bre du changement climatiq ue
78 Portraits de terrain
P.06
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BUSINESS
104 Les fonds souverains, incontou rnables ?
108 Romuald Yonga : « Indépendance, transparence et résultats plus probants »
110 Au Maroc, le cannabis légal décolle
111 La RDC ne veut plus importer ses sodas
112 Le Nigeria mise su r l’IA
113 Le retour de la méthode zaï par Cédr ic Gouver neur
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ON EN PA RL E
C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
EX PO
RÉIMAGINER LE FUTUR
À Lisbon ne, une ex position énergisa nte, positive et RICH E EN INSTALLATIONS présente l’un ivers et les possibilités créatives de l’ar t diasporique.
LE MA AT (musée d’art, d’architecture et de technologie) de Lisbonne accueille jusqu’en mars 2025 une exposition qui rassemble les œuvres de onze artistes des diasporas africaines – d’April Bey à Baloji, en passant par Tabita Rezaire ou Sandra Mujinga –, dont beaucoup sont présentées pour la première fois au Portugal Intitulée « Black Ancient Futures », elle a été imaginée par les commissaires Camila Maissune et João Pinharanda comme
un ensemble d’espaces immersifs, où des techniques, des disciplines et des langages divers se combinent pour créer des récits utopiques, magiques ou de science-fiction, tournés vers un futur possible Un avenir « d’abondance et de bienêtre, de purification et de guérison, ancré dans un passé précolonial utopique riche de connaissances et de my thologies, libéré des contraintes géographiques et politiques qui ont conditionné le continent et libéré des hiérarchies (culturelles, esthétiques et commerciales) imposées par le modernisme occidental aux réalités artistiques africaines et diasporiques » ■ Luisa Nannipieri
« BLACK ANCIENT FUTURES », MAAT, Lisbonne (Portugal), jusqu’au 17 mars 2025 maat.pt
RY TH ME S
TINARIWEN TRACES DU PASSÉ
LE GROU PE TOUA REGpublie
un superbe écri ndedémos et d’ inéd itsàlabeautébrute.
ÀL ASUITE DE sonexcellent dernieralbum, Amatssou, loué dans cespages,Tinariwen s’estlancé dans unetournée internationaleà succès… et afouillédansses placards pour en exhumerdesuperbes morceaux, aujourd’huiréunisdans Idrache (« traces du passé»). Si l’on connaîtla plupartd’entre euxsousdes formes arrangées,produites,abouties, selon lespériodes, cesdémos datant d’une vingtained’annéestémoignentde l’authenticité du sonTinariwen, cettemanifestation électrique, nostalgiqueetmélodiquedu blues du désert.Etquatremorceaux inéditsfont de ce disque bien plus qu’unesortiedédiéeà tromper l’absencedecegroupe légendaireduSahara– dont il célèbreles vestiges du passé tout en le rendant plus proche de nous ■ Sophie Rosemont
Idrache, Wedge. Sort ie le 15 novembre
SO UN DS
Àécouter maintenant !
PédroKouyaté
Foll owin g,Q ua iS on Re cord s/ Pias
«C ’est unespiritualité ancestrale quejeveux retrouverici », commente le chanteur et griotmalien àproposdecenouvel album, où lesr ythmes et lesv isions, tant poétiques quemusicales, variententre jazz et musiques nourries de kamalen’goni. Autour de lui, du beau monde: Erik Tr uffaz, Ar thur H, Manu Katché,OxmoPuccino… Un hy mneà l’Af riquedes ancêtres commedes générations nourries desgrandes figuresaméricaines
ZiyadA l-Sa mman
Pl ea sure Comple x,Yot ankaRecord s.
BlackA rt istGroup
Londoniend’adoption, cetartiste né en Jordanie d’un pèresyrienetd’une mère britannique sera sans doutel’une desrévélations de l’hiver, avecsapop hybride sous l’influencedePrinceoude AmrDiab, savoureusement sy nthétique, habitéepar le discodanscequ’il adeplus réjouissant.Enson cœur,untubeindie tout trouvé,« Ya Habibi ». Àdécouvrir sur scène auxTrans Musicalesle 4décembre. Alliantjazz, funk et théâtre expérimental,cecollectif fondéàSaint-Louis n’a publié qu’unseulalbum, ForPeaceand Libert y, enregistré àParis en décembre1972, àlaMaisondel’ORTF. Cesprécieuses bandes ontété perdues, puis retrouvées,pourvoirlejouravec un sonremastériséetunbeauliv ret de 20 pages. Un classiquedoté d’une aura immédiate. À(s’)offrir. ■ S.R
ForPeac ea nd Liber ty, Wewa nt sounds/Modulor Re cord s.
LUTTER (AUSSI)CONTRE LE DÉCOURAGEMENT
Ce fi lm sensible et paci fiste, réalisé pa ru nCOLLECT IF MI LI TA NT pa lest ino-israél ien, estu nactederésista nce.
C’ESTL’HISTOIRE d’unetragédiequi dure,celle du déplacementforcé de populationspalestiniennesau profit de colons juifs, et c’estaussil’histoire d’uneamitié entreunactiv iste palestinien et un journalisteisraélien Ce film,récompensé dans de nombreuxfestivals (Meilleur documentaireetPrixdupublicà Berlin, cetteannée), arrive en salles dans le contexte quel’onconnaît et présente un témoignage documentébouleversant.Ilya d’abordla forcedes images :des bulldozers détruisant,sur ordrede Tsahal,des oliv iers,des maisons, uneécole appartenant àlacommunautépaysannedeMasafer Yatta, au sudde la Cisjordanie. BaselAdra, 28 ans, juristeetjournaliste, filmedepuis dixans au Caméscope,puis au smartphone, lesépisodesdecette triste sagaqui mine la vieetl’avenir des1 800habitantsdeces villages d’agriculteurs.Yuval Abraham, journalisteisraélien,v ient souventlui rendre visite et l’aideràmédiatisersalutte dans le cadred’un collectif(aveclephotographe palestinien HamdanBallal et la directrice de la photographie et monteuse israélienne
NO OTHERLAN D (A llemagne-PalestineNorvège), de Basel Ad ra,HamdanBallal, YuvalA braham et Rachel Szor. En sa lles
RachelSzor, quicosignent la réalisation). Leurs échanges sont au cœur du film,entrecoupés de séquences montrant lesintimidationsdes militairesetcolons, et la résistance des habitantsqui tententdecontourner interditsetmenaces. BaselAdraconfieson découragementaprès avoirposté une séquencesur lesréseaux sociaux: «Quelqu’un regarde,ilest touché,etaprès ?Comment fairepourque ça change ?» Il y aparfois deslueurs d’espoir :unpassagemontre commentla visite de Tony Blair,alorsPremier ministre britannique, avait permis d’év iter la démolition desbâtiments et maisonsoùil avaitété reçu… Mais en 2022,une décision de la HauteCour de justiceisraélienne adonné le feuvertaux destructions, provoquant ce quiest considéré commeleplusgrand transfert forcédepopulations en Cisjordaniedepuis 1967. La pressiondes colons s’estrenforcée depuis l’attaquedu Hamasle7octobre 2023.Faceàcette hainedécuplée (le journalisteisraélien estlui-mêmetraitéde« juif traitre» parses concitoyens),cedocuintense et pleindedoutes est pourtantd’unpacifisme rev igorant ■ Jean -Marie Chazeau
BA ND ED ES SI NÉ E
DERRIÈRE LESMURS
MARGU ER IT E ABOU ET ET MATHIEUSAPIN, Akissi de Paris- 1, Gallimard BD, 80 pages, 16,50 €
DE L’ADAPTATION
ÀL’INTÉGRATION
MA RGUERI TE ABOU ET estderetou ravecu ne nouvel le série au xpréoccupat ions adolescentes.
«R AA AH…Premierjourd’école et je suis déjà en retaaaard! » Àpeine arrivéeenFrance, Ak issi estdéjàauboutdesav ie Aprèslesuccèsd’AyadeYopougon,lacréatrice et scénariste MargueriteAbouetnousraconte la vied’une jeunefille venue de Côte d’Ivoire et quifaitsarentrée dans un collègeparisien. Encore unefois, elle se fondesur sessouvenirsd’enfance pour raconter lesaventures d’Ak issi et de sonfrère Fofana, envoyés parleurs parents soucieux de leur avenir chez leur Papi de Paris. En convoquant cettefois-ci sonadolescence, transposée de nosjours et àpeine romancée,ellenousconte la vied’une néo-Parisienne en quêtedenouveauxamis, de nouveaux codes, de nouvellesconditionsdev ie.Unchocculturel, àportée universelle, quel’humour, la joie,lecomique de situationet la vervepétillante finissentpar apaiser. CarA kissi, comme sonalter ego, ne manquentnidetempérament ni de curiosité.
Marguerite Abouet n’en apas fini de construire sonpetit monde, quiparle de tous et s’adresseàtous. ■ Catherine Faye
Uneréf lexion profonde su rlesensdenos choi x et L’IM PACT DU POIDS DEST RA DI TIONS.
«ONNEPREND PASrendez-vous avec le destin.Ledestin empoigne quiilveut, quand il veut. Dans le sens de vosdésirs, il vous apportelaplénitude.Maisleplussouvent, il déséquilibreetheurte. Alors, on subit. » Citéeenexergue,laSénégalaise Mariama Bâ dénonçaitdéjàlacondition desfemmes en Afrique, il yaprèsd’undemi-siècle, dans Unesilonguelettre.Dansson nouveau roman, DjaïliA madou Amal [voirinterview pages96-101],lauréateduprixGoncourt deslycéens en 2020 pour LesImpatientes, nous fait pénétrer dans un universclosoù lestraditionsrègnent en maîtresses absolues Alorsque Seini,médecin,mèneune vie épanouieàYaoundé auprès de sonépouse Boussoura,professeure de littérature,cefils de roi, estappeléà prendrelasuccession de sonpère.Devenulamido, commandeur descroyantsetgarantdes coutumes ainsi quedelareligion, il se transforme en souverain tout-puissant.Dès lors,Boussoura doit-elle se résignerà unevie de reine prisonnière desmurs du palais ou choisir la liberté, quitte àrompre avecunsystème qu’ellenepartage pas? Lumineux. ■ C.F.
DJAÏLI
AM ADOU
AM AL , Le Harem du roi, Éditions Emmanuelle Collas, 288pages, 21,90 €.
ANA LY SE
ÀL’ÈRE DE L’IA
Le nouvel essa ideY UVAL NOAH
H AR AR Irev isitel ’h istoiredel ’humanité àlalumièredeses réseau xd ’in format ion.
ALORSque l’Américain John Hopfield, tout justelauréat du prix Nobel de physique pour sesrecherchessur l’intelligence artificielle, metengarde contre les récentesavancées« très inquiétantes » de l’IA,l’historien israélienrevient surla scène littéraireetanalyse lesdilemmes auxquels exposent,depuistoujours,tousles moyens reliésentre euxpouréchangerdes informations. Convaincu qu’«une meilleure compréhension de l’histoire peut s’avérer utilepourmieux appréhenderles évolutions technologiques, économiquesetculturelles actuelles–et, de manière plus urgente, pour changernos réalités politiques », YuvalNoahHarariabordeici leschoix cruciaux auxquels nous sommes et serons confrontés,aumomentoùl’I Arévolutionne la médecine, la guerre,les démocraties, et menace notreexistence même.Après
Sapiens, Homo Deus et 21 leçons pour le XXIe siècle,phénomènesinternationaux cumulant 25 millionsdeventesdans cinquantepays, Ne xus revisitecette guerre de l’informationàtravers le temps, de l’âge de pierreàlarésurgencedes populismes actuels, en passantpar la Bible. Si le titre nous rappelle celuiducélèbre roman autobiographiquedeHenry Miller,ildésigne surtout ét ymologiquement un «ensemble complexe» et,autemps de la Rome antique, le «citoyen qui, ne pouvantpayer ses dettes,était l’esclavedeson créancier»
Commeune métaphore de ce quenous révèle cetteexploration desréseaux d’information –àlafoiscimentetf léau de la civilisation –par le «premier penseur global du XXIe siècle », selon TheEconomi st. De quoi yréf léchir àdeuxfois. ■ C. F.
YUVAL NOAH HAR AR I, Nexus. Unebrève histoire desréseau x d’information,del’âge de pierreà l’IA, Al bi nM ichel, 576pages,24,90 €.
Ci -c ontre, Ghost To ni ght XXIX
Ci -d essous
La rivi ère a be au être à sec, elle ga rd e so n no m
TOGUO, Musée de la Bi bliothèq ue nationale de France, site Richelieu, Pa ris (Fra nce), jusqu’au 7 septembre 2025 bnf.fr/fr
RE ND EZ
-V OU S À L A CROISÉE DES CULTURES
L’ar tiste BA RT HÉLÉMY TOGUO est l’invité du musée de la Bi bl iothèq ue nationale de France.
DA NS LE GR AND ESCA LIER d’honneur restauré du site Richelieu de la prestigieuse bibliothèque parisienne, le buste de Voltaire côtoie une installation monumentale du plasticien camerounais. A Book Is my Hope – des livres avec des filets et des silhouettes de migrants qui les observent en contrebas – fait écho au sort réser vé aux manuscrits de Tombouctou, à l’heure du repli obscurantiste. Montrée pour la première fois en France, c’est l’une des nombreuses œuvres exposées de Barthélémy Toguo, figure originale de la scène artistique internationale, en réponse à l’invitation du musée de la BnF dans le cadre de la thématique 20242025, « Le monde pour horizon ». Voyageur infatigable et fondateur de Bandjoun Station, premier centre culturel du Cameroun, celui dont l’approche multidisciplinaire explore des thèmes aussi imposants que la mondialisation, la migration et les droits de l’homme invite ici les visiteurs à questionner le regard occidental Dans un dessein constant : celui d’éveiller les consciences. ■ C. F.
AU FOND DU TROU
Ma isoùéta it SA DDAM HUSSEI Nlorsdes hu it moisoù 150000 soldatsa mérica inslecherchaientenI ra k? Vi ng ta ns après, son« sauveu r» ma lg ré lu iraconte…
LESIMAGESDEL’E X-DICTATEUR retrouvé cachédansune fermeirakienne en 2003 sont restéesenmémoire :hirsute,hagard, il étaitsorti de sontroupar desmilitaires américains peuamènes… S’il apuleuréchapperpendant 235jours,c’est qu’ilaété abritépar un fermier portanthautla« tradition d’accueilarabe »: héberger soninvité, ne paslui poserdequestions, assurersasécurité. Alaa Namiqaeupourtanttrèspeurenreconnaissant l’homme. Mais rien,ousipeu,nesera ditaucours du film surlerégimedeterreur instauré parleprésident irakienpendant desdécennies.Son gardienetprotecteurexpliquequ’il ne connaissaitdela réalitédeson pays quecequ’en disait la chaînenationale.« Lesbombardements chimiques surles Kurdes,onnesavaitpas », précise-t-il au réalisateur, irako-norvégiend’origine kurde… HalkawtMustafaamis quatorze ansàfaireson film,letemps de retrouverla tracedugardien du trou,delui faireaccepterdetémoigner malgréletraumatisme de cet épisode(il asubiles tortures américaines et lesmises en scènedégradantes de la prison d’Abou Ghraib), et d’attendre la chutedel’Étatislamique pour tournerdanslarégion… Finalement,facecaméra, Alaa Namiqraconteposément. Sonproposest illustréd’images d’archivespercutantesetdereconstitutionsdiscrètes.Unportraitqui humanise un dictateur, faisantquasiment l’impassesur sonpassé sanguinaire, et le présente en héros quiarefusé de vendre sonpays. Mais c’estaussi la première fois qu’une vision arabedelaseconde guerre du golfeest donnéeàvoiraugrand public.A mbigu, mais passionnant ■ J.-M.C
HIDING SADDAM HUSSEIN (Nor vège-Irak), de HalkawtMustafa. En sa lles
EN TR ET IE N
LUBIANA AUX SOURCES DU CAMEROUN
Entre pop et musiques af rica ines trad it ionnel les, LE NOU VEL
AL BU M de Lu biana, Terre rouge, br ille pa r sa si ncér ité et sa grâce.
APRÈS UN PR EMIER album très remarqué, Beloved (2021), la musicienne belge d’origine camerounaise et joueuse de kora a composé ce nouvel opus peu après une retraite avec le griot mandingue Ablaye Cissoko Hautement mélodique, témoignant de sa dextérité vocale, Terre rouge est doté de cordes arrangées par Clément Ducol (qui a récemment œuv ré sur Emilia Pérez, de Jacques Audiard) et raconte une quête de soi.
AM : Comment est né Terre rouge ?
De mes voyages en Afrique et de mon premier souvenir d’enfance du continent : la couleur de la terre, rouge. Ce rouge qui m’a longtemps intriguée, questionnée… Terre rouge a vu le jour dans mon village au Cameroun, Bangoua, mais aussi au Sénégal, à Bamako chez l’artiste Toumani Diabaté, au Togo, et bien d’autres pays. Et toujours cette couleur de la terre, rouge comme l’amour. Se manifeste également ici un désir profond de connexion, de reconnexion à mes racines africaines que j’ai si longtemps délaissées. Pouvez-vous nous parler du Cameroun que vous célébrez ici ?
Le Cameroun est le point de départ, mais nos racines sont bien plus vastes Terre rouge est une ode à l’Afrique dans sa globalité, j’y parle des djali, les joueurs de kora d’Afrique de l’Ouest Avec Gaël Faye, nous sommes allés
au Rwanda célébrer les femmes africaines, je chante le Mali, mes ancêtres, l’Afrique dans sa globalité, du nord au sud, d’est en ouest.
Je suis heureuse d’être Camerounaise, d’être métisse… Terre rouge n’aurait jamais pu voir le jour sans ces mois de voyage sur le continent. Quelles teintes musicales souhaitiez-vous apporter à Terre rouge ?
Pendant mes voyages, j’ai été bercée par les musiques traditionnelles : Toumani Diabaté, l’album Kulu de N’Gou Bagayoko, la voix d’Oumou Sangaré. J’avais un désir de musique organique, vivante, de musique live Je voulais que l’on sente les doigts vibrer sur les cordes pincées. J’avais envie de rencontrer des instruments traditionnels occidentaux, comme les quatuors à cordes, la contrebasse, la harpe, et des instruments traditionnels africains comme le n’goni, la kalimba, les percussions burundaises et, bien sûr, la kora Je souhaitais véritablement emmener les auditeurs en voyage, créer un son sensible, unique et vibrant ! ■ propos recueillis par Sophie Rosemont
LUBIANA, Terre rouge, 6&7.
NO BLABLA
(France-SénégalBu rk ina Faso), de François Bergeron. Avec Basi le Yawa nké, Hyacinthe Ka bré, Éléonore Ra ichatou
Koct y. Su r TV5MON DEPlus
SÉR IE
DE LA FUITE DANS LES IDÉES
Une production franco-sénégalobu rk inabè futu riste aborde des thèmes très actuels, EN TR E BU RLESQU E ET POÉSIE.
DA NS UN AV ENIR proche qui succède aux « temps tordus », la planète se divise en deux blocs, et un petit personnage tente de fuir le « monde cassé » pour rejoindre un prometteur « monde fermé ». Traqué par des soldats aux allures de ninjas qui pistent les migrants à l’aide de drones inquisiteurs, ce vagabond nommé Blabla, souvent muet, malin, mais un peu naïf, c’est Charlot qui se serait égaré dans la savane africaine ! Le charismatique comédien togolais Basile Yawanké fait preuve d’une agilité qui rappelle le Charlie Chaplin d’il y a cent ans. Cette série novatrice mêle scènes de marchés et de makis, séquences nocturnes poétiques et visuels hightech. Et si l’action patine parfois, elle n’est jamais aussi percutante que lorsqu’elle se passe de dialogues, jusqu’au burlesque. Y sont évoqués mine de rien les mariages forcés, la corruption, la pollution plastique ou la sur veillance des individus. Pour guider le spectateur, un griot (le conteur et slameur burk inabè Kientega Pingdéwindé Gérard, dit KPG) décr ypte avec ironie ce monde effarant où Blabla va rencontrer l’amour et, prév ient-il au bout de dix épisodes, « devoir choisir entre l’exil et l’idylle ». Dans une prochaine saison ? ■ J.-M.C
AR T POLYPHONIE VISUELLE
La Franco-MalgacheM AL AL AA NDRI AL AV IDRA ZA NA s’empa re de la Grande Verr ière du Pa la is de Tokyo, àPar is.
C’ESTL’UNE dessallesles plus emblématiques du musée d’artmoderne et contemporain parisien.Là, unesurface murale courbe de près de soixante mètres de longueurapermisàl’artiste de réagencer le travail de photomontagenumérique qu’elledéveloppe depuis 2015 pour en faireune propositioninédite,démultipliée àl’échelle de l’architecture. Cetteœuv re monumentale, àl’aunedelav ision transgressive, poétiqueetfuturiste du Palais de Tokyo, interrogenotre histoire commeles enjeux contemporains, et souligneles contrastes entrelaperception du mondede l’Occident et despaysduSud. Les« Figures» de Malala Andrialavidrazanaexposentune multitudedev isions et de voix quiabordentleprésent en allant chercherdes alliésdanslepassé,rev isitentl’histoire en l’élargissant, créentdes connexions transgénérationnelles.Elles se présentent commedes cartes géographiquessur lesquelles
se superposent desreprésentations issues de timbres,billetsdebanque, pochettes d’albums,cartespostalesetautressources iconographiques. Réaliséesàpartir d’archives héritées pour la plupartdes XIXe et XXe siècles, ellesrenvoient auximageries de la modernité: expansionducapitalisme industriel,naissance de la mondialisation dans sa relation àlacolonisation, àla circulationaccélérée desbiens et des images et àl’extractiondes ressources naturelles.Enrecyclant desimagesanciennes collectées àtravers le monde, l’artistephotographeabandonne ainsi un pointdev ue unique et le confronteàlamultiplicité. Au croisement desarts, lescollagesdeMalalaA ndrialav idrazana renversentles représentationsstéréoty pées.Etnoussaisissent. ■ C. F.
MALALAANDRIALAVIDRAZANA, « Figu res», Palais de Tokyo, Paris(France), jusqu’au 5janvier 2025. palaisdetokyo.com
ON EN PA RL E
IN
TE RV IE W
YASMINE BERRADA
Le Maroc investit Art Basel
Da
ns un ma rché de l’ar t compét it if, ma is de plus en plus ouvert, pa rt iciper à l’une des PLUS GR ANDES FOIR ES AU MON DE était une au ba ine év idente.
C’EST LA PR EMIÈRE galerie marocaine à participer à Art Basel Paris (du 18 au 20 octobre), l’une des foires d’ar t contemporain les plus importantes au monde. Créée à Casablanca en 2009 par Yasmine et My riem Berrada, Loft Ar t Galler y présente un solo show de Mohamed Melehi et se positionne en ambassadrice de la scène ar tistique marocaine. Rencontre.
AM : Pourquoi participer à Art Basel Paris ?
Yasmine Berrada : Créer des dialogues entre les artistes, les pays et les cultures a toujours été important pour nous et, au cours des huit dernières années, nous avons internationalisé notre travail. Nous accueillons chez nous des artistes étrangers, du continent africain et d’ailleurs, et nous défendons les artistes marocains en dehors du Maroc. L’ouverture sur le monde d’une galerie passe forcément par une participation aux foires internationales, et Art Basel est l’une des plates-formes les plus importantes. Elle réunit les structures les plus grandes, les plus importantes, et nous offre une grande visibilité vis-à-vis des collectionneurs, des institutions ou des musées Exposer ici était l’un des objectifs de notre stratégie à long terme, et nous sommes très fières et très heureuses d’avoir pu l’atteindre. À Londres, lors de la foire d’art contemporain africain 1- 54, vous avez présenté plusieurs
artistes Pourquoi opter ici pour un solo show ?
Nous travaillions avec l’artiste moderne Mohamed Melehi – décédé pendant la pandémie à 83 ans –depuis la création de la galerie. Il est l’un des fondateurs de l’école de Casablanca, le mouvement moderniste le plus important du Maroc. Ses expériences géométriques radicales ont joué un rôle essentiel dans la définition de l’esthétique du pays après l’indépendance. Il a aussi une vraie notoriété à l’international et il
a su évoluer avec son temps. C’est un artiste moderne, mais la manière dont il abordait les sujets et dont il répondait aux questions de son époque, qui à mon sens sont extrêmement importantes, est très contemporaine. Nous avons voulu lui rendre hommage avec ce solo show, qui comprend les pièces qui jalonnent les étapes cruciales de sa carrière, depuis la fin des années 1950 jusqu’à sa mort Comment envisagez-vous l’avenir de votre travail de galeriste au Maroc ?
J’espère que l’on continuera à suiv re et défendre les artistes en lesquels on croit – doucement, mais sûrement. Il faut faire attention à ne pas brûler les étapes, car défendre des œuv res qui ne sont pas forcément év identes pour le public demande beaucoup de patience Souvent, les œuvres des artistes que l’on représente donnent l’impression d’une grande facilité ou ont une ligne particulière Le public peut ne pas être réceptif tout de suite, mais on aime voir nos collectionneurs adhérer doucement à nos propositions. On construit brique après brique C’est souvent comme ça que naissent les plus belles histoires. J’aimerais consolider tout cela dans les années à venir
En février dernier, vous avez ouvert un deuxième espace à Marrakech, à l’occasion de la 5e édition de 1- 54. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la scène artistique marocaine ces dernières années ?
Quand nous avons démarré, elle était très locale. Aujourd’hui, du fait du travail des professionnels de l’art, des fondations, des musées et des différents acteurs de la culture au Maroc, elle est foisonnante. Nous y retrouvons des artistes de qualité, qui ont une expression riche, et on voit bien qu’elle suscite un intérêt de plus en plus fort à l’international Cela a eu un impact sur tout l’écosystème de l’art, qui s’agrandit et se développe avec la spécialisation des métiers et l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, notamment les acheteurs Les collectionneurs marocains, qui auparavant ne voulaient acheter que des artistes marocains, sont aujourd’hui plus ouverts et regardent aussi du côté des artistes internationaux. De même, je pense que les collectionneurs internationaux s’intéressent plus aux Marocains. La scène artistique marocaine est devenue plus ouverte, et c’est précisément pour aller à la rencontre de ce public international que nous avons ouvert un espace à Marrakech. ■ propos recueillis par Luisa Nannipieri
« Défendre des œuvres qui ne sont pas forcément évidentes pour le public demande beaucoup de patience. »
ON EN PA RL E
ST YLE MIGRATEUR
Le la bel nigérian BLOK E met les ém ig ra nts en vedette, avec des pièces qu i question nent le regard occident al et réaf fi rment leur droit à ex ister.
DEPUIS SA CRÉATION en 2015 par le designer nigérian Faith Oluwajimi, le label de haute couture artisanale et unisexe Bloke n’a jamais renoncé à véhiculer des messages forts à chaque collection. Celle du printemps-été 2025, « Migrant/ Expatriate? », présentée récemment à Paris, naît d’une réflexion du designer sur la complexité et les contradictions de l’expérience migratoire vers l’Occident. Lui-même confronté au regard des autres, en tant que Noir dans un monde de la mode très blanc, ou que Nigérian de passage à Londres lors de récentes émeutes racistes, il a été particulièrement frappé par la distinction sémantique entre « migrant » et « expat’ ». Des mots qui cachent des biais profonds, liés à la question de la race, à des valeurs sociétales et à des privilèges. En s’inspirant entre autres de la série de peintures de Jacob Lawrence, dédiée à la migration des Afro-Américains du sud au nord des États-Unis (« The Migration Series »), ou de l’installation de Yoko Ono, Add Colours, autour d’un
Le créateur Faith Oluwajimi propose une collection printemps -été 2025 on ne peut plus politique, autour de la question des migrations.
bateau de réfugiés, il a conçu des pièces et des motifs qui attirent l’attention, occupent l’espace et soulèvent ouvertement la question. Comme les cravates et les chemises batik qui affichent bateaux et avions, déclinés aussi en iconiques accessoires de bronze, mélangeant coupes souples et androgynes du continent avec silhouettes occidentales. Ou les sandales en cuir baptisées Migrant Mule et les denims asymétriques avec détails en noix de coco. Tous les tissus utilisés, du chiffon de coton à l’acétate, une fibre végétale souple et soyeuse, sont adaptés au climat tropical et respectueux de l’environnement Avec leur allure déterminée, les mannequins de Bloke s’affichent tant sur le quai du métro d’Osaka que dans un village d’Afrique de l’Ouest, en Allemagne, ou dans les allées d’un aéroport indonésien. Certains voudraient les effacer de l’espace public et social, mais eux, ils ont leur mot à dire. Et un parcours de vie à revendiquer. bloke.ng/ ■ L.N.
DE
SI GN
Tresses- à-porter
Les bijoux inspirés pa r les CH EV ELUR ES NOI RES et les accessoi res de coiffu re signés TA IBA AKH UETI E ET CONOR JOSEPH sont audacieu x et soph istiqués.
TA IBA AKHUETIE, artiste nigériane basée à Londres, travaille avec les chevelures noires Elle a d’abord eu du succès en tant que coiffeuse et entrepreneuse, avant de tourner ses tresses signatures en ov nis, entre l’art, le design et la mode, pendant la pandémie Son exposition d’objets tressés, « We Need Some More Black in Hair » (2021), lui vaut une commande de Rihanna, qui la propulse sur le devant de la scène. Son
amour pour l’univers de la coiffure s’est décliné depuis de mille façons différentes, y compris en marque de bijoux Avec Hair wear, qu’elle lance fin 2023 avec son ami le designer de haute joaillerie Conor Joseph, elle rend hommage aux outils indispensables à toute chevelure afro : des aiguilles à coudre aux lames de rasoir, en passant par les anneaux moulés à partir de tresses authentiques, jusqu’au capuchon de la bombe de laque. En bronze, argent ou plaqué or, simple ou avec pierres précieuses, déstructuré comme le peignebracelet ou iconique comme la pince papillon, chaque bijou devient l’accessoire qui tue, la journée comme la nuit. Véritable art-à-porter, pensé pour ceux qui aiment les détails sophistiqués et qui ne veulent jamais passer inaperçus hair wear online ■ L.N.
ON EN PA RL E
DU MAROC AU MONDE
Le s dé lici eu x re pas su r le pouce de Ch ou kran ou le s mets ra ff in és du La yo n : la cu is ine du mond e est su bl im ée à Pa ri s.
Qu’elles servent DE LA STREETFOOD marocaine ou de la bistronomie au x influences internationales, les TA BLES parisiennes surprennent toujours.
DÉJÀ COFONDATEUR de la cantine Yemma, le chef Abdel
Alaoui a poursuiv i sa recherche sur la street-food marocaine avec un livre, Choukran (2022), et un spot homony me inauguré à l’été 2023. Chez Choukran, on trouve avant tout le couscous maison, disponible sans gluten et végé Ou le rofiya, une salade de semoule froide Les deux serv is en bol, en mode poké marocain. Ou l’on se jette sur les sandwichs du chef : le Bledwich – une brioche marocaine farcie de bœuf effiloché, graines de nigelle, sauce maison et patates douces à la harissa – et le Kazdal, à base de pâte msemen Le resto, à la déco verte et blanche en st yle riad, ne sert ni tajine ni agneau, que l’on retrouvera peut-être dans le prochain Choukran : une nouvelle adresse à la palette rouge et bleue (clin d’œil à Marrakech et Chefchaouen), qui ouvrira d’ici le début de l’année prochaine.
Le Layon, inauguré fin 2017 par le chef Phildera Diazabakana, prévoit aussi de se refaire une beauté prochainement et de changer de look Dans ce bistrot où la gastronomie française se laisse influencer par petites touches par les cuisines du monde – celle asiatique, celle du Congo-Brazzav ille, d’où vient la famille du chef, ou bien celle de La Réunion de son associée, ou encore celle indienne de son fils –, les paniers en wax et les étagères de rhums arrangés seront remplacés par une déco contemporaine et accueillante sur les tons du vert, de l’orange et du bois. Un st yle plus adapté à cette cuisine raffinée, où les menus, découverte et de saison, se renouvellent tous les 45 jours Ici, pas de plat signature, plutôt l’envie d’explorer et de faire voyager, en changeant dressages et accords pour surprendre et sublimer les mets. choukran.fr/le -layon.fr ■ L.N.
L’ESPRIT YORUBA DU JOHN RANDLE CENTRE
Su r l’ île Lagos, SI.SA livre un cent re dédié à la cu lt ure et l’ histoi re YORU BA, reliant passé, présent et futur à travers son arch itectu re.
IL FAUDRA encore attendre quelques semaines pour prof iter pleinement de l’expérience immersive centrée sur la culture yoruba dans les salles du John Randle Centre de Lagos. Le temps de réceptionner depuis l’étranger les derniers ar tefacts majeurs de la collection permanente. Mais l’on peut déjà s’émer veiller devant le bâtiment rouge et jaune livré par Studio Imagine Simply Architecture (SI. SA). Intégré dans le paysage de l’île Lagos et recouvert d’une toiture végétalisée, il sort de terre (un clin d’œil à la spiritualité yoruba) en prenant une forme incurvée et se laisse envelopper par un écran métallique qui rend hommage à des savoir-faire ancestraux, tels le travail du métal, la sculpture du bois et le tissage. Dès sa création en 2015 par Seun Oduwole, SI.SA travaille en associant les st yles occidentaux, comme le modernisme, au sy mbolisme lié aux ar ts et aux langages af ricains. Avec la conv iction que l’on peut façonner les récits autour de l’Af rique et des diasporas à travers l’architecture Ce bâtiment de 1 000 m2 – dont le plan renvoie au modèle
urbanistique yoruba, et qui comprend une bibliothèque, un théâtre et des salles polyvalentes – fait partie d’un large projet de réaménagement urbain. Dans ce cadre, SI.SA a également rénové une piscine, construite en 1928 par le docteur sierra-léonais John Randle, alors que les Britanniques avaient refusé d’en destiner une à la population locale. sisa.ltd ■ L.N.
Eloukou Beyela
DESIGNEUSE ET ARCHITECTE D’INTÉRIEUR,
l’artiste ivoirienne puise dans ses racines, son quotidien et son histoire familiale pour créer des objets de mobilier originaux et des œuvres plastiques éloquentes. propos re cueillis par Astrid Krivian
Exposées à Paris, au 110 Galerie Véronique Rieffel, les créations de mobilier d’Eloukou Beyela s’inspirent d’objets familiers, emblématiques de sa culture, qui l’accompagnent depuis l’enfance : le pilon et le mortier. « Chaque midi, ma mère les utilisait pour cuisiner le foutou [plat ivoirien à ba se de banane et de manioc , ndlr] Le br uit produit par ces ustensiles en bois résonnait dans mon esprit J’ai voulu les retranscrire dans le monde du design, les déconstr uire, les st yliser, leur donner une autre fonction que celle culinaire, une présence différente, à travers des objets de notre quotidien : luminaire, tabouret, bureau », indique l’ar tiste, designeuse et architecte d’intérieur, née en Côte d’Ivoire en 1998. Ainsi, les formes, couleurs (notamment le jaune, en référence à la préparation du foutou), matières et jeux de lumière de ses conceptions leur rendent hommage. Pour l’une de ses lampes, les courbes du mortier encadrent l’ampoule, soulignant « l’idée de broiement, de mélange ». Comme sa mère emploie désormais des accessoires en métal, la designeuse a choisi ce matériau pour les fabriquer, « un challenge entre modernité et histoire ». Chaque choix esthétique est motivé par une réf lexion, chaque projet raconte une histoire imaginée en amont sur le papier, où elle jette ses idées, ses croquis Cette exposition permet aussi de mettre en lumière le savoir-faire des ar tisans ivoiriens avec lesquels elle travaille. « Ferronnier, menuisier ou peintre thermolaqueur, chacun a son exper tise. Ils sont très minutieux, à l’écoute C’est un apprentissage mutuel » Dans un autre espace de la galerie, l’artiste livre une facette plus intime à travers ses œuvres plastiques, « un rêve d’enfant qui se réalise ». Composée d’argile sur du verre et de dessins, sa série de tableaux « Disparition et apparition » matérialise la présence et l’absence, le passage entre la vie et la mort. « Je voulais évoquer la perte d’un être cher. Perdre ma grand-mère m’a bouleversée. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé mon identité ar tistique, en créant des œuvres qui me ressemblent. » L’argile teintée de rouge incarne cette terre d’où nous venons et où nous retournerons ; le verre cette transition invisible entre la vie et la mort ; et les dessins de ces corps, de ces visages fragmentés suggèrent le tiraillement entre ces deux mondes. « J’utilise des matières br utes, avec du caractère ; je me suis inspirée des termites, qui font disparaître le bois, le tissu, mais qui créent aussi leur architecture. »
Celle qui a grandi entre Grand-Bassam et Abidjan, diplômée de LISA A, l’Institut supérieur des ar ts appliqués de Paris, est aujourd’hui architecte d’intérieur au sein du pôle conception d’une entreprise en région parisienne. En 2023, elle est lauréate du concours Young Designers Work shop imaginé par le maestro designer ivoirien Jean-Ser vais Somian, auprès duquel elle apprend. Du plus loin qu’elle se souv ienne, dès l’école maternelle, Eloukou Beyela a voulu être ar tiste quand elle a trempé son pied dans la peinture pour en poser l’empreinte sur une feuille de papier. Depuis, elle dessine comme elle respire. « C’est une manière de m’échapper Introver tie, dans ma bulle, j’ai toujours créé, rêvé, imaginé, vécu pour l’ar t. » ■
110 Galerie Véronique Rief fel – 110, rue Saint-Honoré, Pari s 1er
«C’est une manière de m’échapper. Introvertie, dans ma bulle, j’ai toujours créé, rêvé, imaginé, vécu pour l’art.»
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PA R EM MAN UE LL E PON TI É
EN QUÊTE DE STATS
Le 18 nove mb re pr och ain , au ra li eu un événement tota lement incon nu du gran d public, qui passe chaque année sous le radar de la plupar t des populations africaines, loin de leurs centres d’intérêt. Et j’entends déjà des lecteurs s’emporter sur le sujet : « Franchement, on s’en fout, pas drôle, aucun intérêt ! »
Le 18 novembre, donc, aura lieu la célébration de la Journée africaine de la statistique. Si, si Certes, on s’imagine les statisticiens comme des gens austères à lunettes, relégués dans des bureaux poussi éreux et qui croulent sous des feuilles parsemées de chiffres, de courbes et de graphes incompréhensibles Si l’on passera vite sur ce cliché bien réducteur, on ne peut que se réjouir de l’instauration de cette JAS, proclamée depuis 1990 par la Conférence africaine conjointe des statisticiens, démographes, planificateurs et économistes sous l’égide de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA).
Mai s en fi n, de pui s pr ès de vi ng tcinq ans , le domaine des statistiques sur le continent laisse toujours à désirer. Rares sont les pays qui soutiennent le domaine et peuvent s’enorgueillir de générer des données stables et utiles sur leur pays. La plupar t du temps, les stats africaines sont gérées par les grands organismes internationaux. Ou en tout cas, ce sont elles qui circulent, sont vulgarisées, aident à la compréhension
Pour tant, elles devraient être considérées comme un domaine de souveraineté nationale par les États Elles permet tent de posséder des données justes sur un pays et sa population Dans tous les domaines : l’éducation, l’économie, la lutte contre la pauvreté, le développement, les politiques de genre, le commerce, etc. Elles sont donc nécessaires pour envisager l’avenir et indispensables pour ajuster les projets à mener. Certes, la planification n’est pas le fort des pouvoirs africains en général, qui se contentent souvent de s’occuper des urgences et qui af fectionnent les politiques cour t-termistes
Mais les temps changent. Certains domaines, comme les ef fets du changement climatique sur l’agriculture, l’autosuffisance alimentaire, les migrations, nécessitent des prévisions, des réflexions, que la plupar t des États sont aujourd’hui contraints de mener. Il y va de l’avenir de leur terre, de leur jeunesse D’où l’intérêt grandissant du statisticien national et de ses données précieuses pour dessiner un avenir à l’Afrique. Alors, vive le 18 novembre ! ■
AM vous a offert les premières pages de notre parution de Novembre
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