
L’Afrique face à la révolution de l’IA
L’Afrique face à la révolution de l’IA
25 PORTRAITS pour illustrer une nouvelle hiérarchie. Les femmes africaines de pouvoir sont loin d’être une exception. Politique, business, design, sport, art, nouvelles technologies… Elles exercent avec volonté, autorité et influence.
C’est un sujet essentiel. La ré alité de la vi e de s femmes, nos compagnes, nos filles, nos mères, celles avec qui l’on travaille tous les jours Le quotidien de cette moitié de nous- mêmes, de 750 millions d’Africaines. Un sujet essentiel, au cœur de notre vie commune, que l’on aborde souvent de manière formelle, par l’angle du cadre juridique, de la réforme, ces concepts politico -administratifs que les gouvernants (très souvent des hommes) aiment à manier pour souligner l’ef ficacité de leur travail.
Aujourd’hui, en 2025, au XXIe siècle, soixante ans après les indépendances, la situation des Africaines reste particulièrement difficile [voir « C’est comment ? », page 31] Aujourd’hui, les femmes d’Afrique por tent en moyenne plus de quatre enfants dans leur vie (contre 2,4 en moyenne planétaire). Aujourd’hui, malgré les textes de lo i, l’ ég alité de ge nre, l’ ég alité d’opport unité et de rémunération restent des objectifs lointains. Le poids de la coutume, de la religion, des traditions pè se lo u rd em ent su r la vi e so ci al e, pu bl iq ue, su r la c apa c ité de déc ision , y com pris dan s de s sp hères intimes. Les violenc es sont larg em ent sous -estim ées par les statistiques
Ces situa tio ns ina cce ptab les ne co uvrent pas toute la réalité. Paradoxalement, l’Afrique vit aussi une révolu ti on fé minin e. Su r notre contin ent, les femm es sont un puissant facteur de changement et d’évolution sociale. Dans les campagnes, où les discriminations sont plus ancrées, les femmes produisent jusqu’à 80 % des denrées alimentaires et, sans elles, il ne pourra pas y avoir de révolution verte. Les femm es représentent glob al em ent plus de 60 % de la fo rc e de travai l du continent. Elles sont nettement moins bien payées que les hommes. Mais elles possèdent déjà près de 30 % des petites et moyennes entreprises, et jouent un rôle fondamental dans le secteur informel Les Africaines travaillent, investissent, occupent des positions dans la société civile, écrivent, y compris des best-sellers globaux, font du cinéma, chantent, bousculent les codes. Certaines d’entre elles sont engagées dans un combat néoféministe ambitieux D’autres s’impliquent en politique, elles exercent du pouvoir [voir pages 32-49] Il y a aussi les femmes urbaines, celles des métropoles de l’Afriqu e contemporaine Elles sont en prise avec une économie réelle, avec les modes, les cultures, en
connexion avec le grand monde et les réseaux sociaux. Tabou central, l’autonomie sexuelle, la liberté de choisir, de dire non ou de dire oui, gagne du terrain
Les sociétés africaines sont entrées, d’une manière ou d’une autre, même par fois à contrecœur, dans la dualité, dans le monde du Yin et du Yang L’ émancipation est en marche. Peut- être plus qu’ailleurs, plus qu’en Asie du Sud- Est ou en Amérique latine C’est une excellente nouvelle pour l’ émergence du continent. Le co mb at pour l’ ég alité entraî ne des ra mi fications so cio -é con om iq ue s pu is sa nte s. L’au to no mis at io n de s fe mm es es t un e cl é de la p ro du ct iv ité et de la croissance. Des femmes qui travaillent sont aussi des conso mmat ric es, de s investi sseuses, de s créa tric es de richesse Des femm es qui travaill ent feront moins d’enfants, et ces enfants seront mi eux él evés, protégés, éduqués, avec un impact dire ct en matière de développement humain sur plusieurs générations. Des fe mm es qu i travaill ent ap p or te nt un se con d sa la ire dans les familles et les ménages, du pouvoir d’achat, de la capacité d’épargne
Les chantiers de cette émancipation stratégique sont multiples En particulier en matière d’accès au crédit, de financement novateur et inclusif, d’élargissement de la microfinance, d’accès aux postes de responsabilité publique, de renforcement du cadre juridique, d’accès aux soins et à la santé Mais il y a un aspect qui reste incontournable, sur lequel nous pouvons agir vite et qui relève de notre responsabilité collective. L’éducation Selon l’Unesco, environ 35 millions de filles en âge d’aller à l’école primaire et secondaire ne sont pas scolarisées ou quit tent trop jeunes le circuit Les raisons sont multiples : les mariages précoces beaucoup trop fréquents et des normes socioculturelles archaïques qui privilégient l’éducation des garçons. Dans l’enseignement supérieur, où l’on prépare normalement aux métiers de demain, les jeunes femm es ne représentent qu e 10 % à 12 % des inscrites Avec des exceptions notables, comme la Tunisie (60 %), le Maroc (40 à 50 %)
L’Afrique féminine est multiple, diverse, fragile, en at te nte Mais ell e est porteu se d’un e certitu de Il n’y aura pas d’émergence sans les 750 millions d’afrocitoye nn es. Ce n’est pas une option. N’en dé plai se à certains hommes (heureusement de moins en moins nombreux…). ■
750m illionsdefem mes parZyadLimam
8 ON EN PARLE
C’ESTDEL’A RT,DELACULTU RE , DE LA MODE ET DU DESIGN Héritage transcultu rel
31 C’ESTCOMMENT ? Pour lesfem mes parE mmanuelle Pontié
50 CE QU EJ’AIA PPRIS Mangane parAstridKrivian
76 LE DOCUMEN T Trajectoire d’uneicône parE mmanuelle Pontié
90 VINGTQUESTIONS À… Alsarah parAstridKrivian
TEMPSFORTS
32 Womenpower ! parZyadLimam et la rédaction d’AM
52 RD Congo: La tragédie sans n parCédricGouverneur
60 Wolof, la lang ue du quotidienq ui dé e le français of ciel parAgathe Labardant
64 MehdiM.Barsaoui : «Lesalut du pays viendrades femmes » parAstridKrivian
70 SalimZer rouk i: «Mêmesijen’y visplus, l’Algériem’habite encore » par Astr id Kr ivian
AfriqueMagazine estinterd it de diffusion en Algériedepuismai 2018.Une décisionsansaucunejusti cation.Cet te grande nation africaineest la seuleducontinent(et de toutenot re zone de lect ure) àexercer unemesurede censured ’u naut re temps. Le maintien de cettei nterdictionpénalise noslecteursalgér iens avanttout, au moment où le pays s’engage dans un grandmouvement derenouvellement. Nosa misalgér iens peuvent nous retrouversur notresiteI nter net : www.afriquemagazine.com
80 L’A fr iq ue se prépare à la révolution de l’IA par Cédr ic Gouver neur
84 Shikoh Gitau : « Le monde entier est en phase d’apprentissage, plaçant l’Afrique en position de compétiteu r » propos recueillis par Emmanuelle Pontié
86 Réforme ag raire sud-afr icaine et « colère » amér icaine
87 Un outil nancier in novant pour les réserves minières
88 La n de l’USAID touche des millions d’Africains
89 En Guinée, la mine de fer de Simandou en n opération nelle par Cédr ic Gouver neur
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C’est ma in te nan t, et c’est de l’ar t, de la cu lt ur e, de la mode , du de sig n et du vo ya ge
Le Cent re Pompidou rend hommage AU X ARTIST ES NOI RS EN FR ANCE DE 1950 À 2000.
SUR L’AFFICHE de l’exposition, un visage de profil, regard doux et bouche assurée, comme taillé dans du calcaire. Datée de 1947, cette huile sur carton, intitulée Autoportrait, est signée du SudAfricain Gerard Sekoto, peintre-musicien considéré comme le pionnier de l’art urbain noir Il est l’un des 150 artistes afrodescendants, d’Afrique ou des Amérique, présentés à Beaubourg. Si leurs œuvres n’ont souvent jamais été montrées dans l’Hexagone, leur présence et leur influence dans la capitale cosmopolite de la seconde moitié du XXe siècle sont incontournables. La période de l’après-guerre les inspire dans ce Paris, berceau de résistance et de création, véritable laboratoire panafricain, et donne lieu à de nouvelles pratiques : abstraction, modernisme, surréalisme, figuration libre… Tandis que Baldwin, Césaire ou encore Senghor posent les fondations d’un avenir post et décolonial, les toiles et les sculptures des artistes afro-américains, caribéens et africains évoluent et s’inscrivent dans la redéfinition des modernismes et des postmodernismes. Cette trajectoire panafricaine et transnationale de l’art s’étire de 1944, lorsque la loi GI Bill, votée aux États-Unis, permet à de nombreux artistes africains-américains d’étudier à Paris, à 1999, année où la première proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité est déposée par Christiane Taubira. Largement occultées dans les récits d’histoire de l’art, les expressions plastiques de la négritude, du panafricanisme et des mouvements transatlantiques occupent enfin la place qu’elles méritent ■ Catherine Faye
« PARIS NOIR. CIRCULATIONS ARTISTIQUES ET LUTTES ANTICOLONIALES, 1950-2000 », Cent re Pompidou, jusqu’au 30 juin 2025 centrepompidou.fr/fr/
Ci -dessus : Ed Clark, Untitled (Vétheuil) 1967 Ci -dessous : Amadou Gaye, Les quartiers populaires débarquent à Paris à l’instar de ceux d’AsnièresGennevilliers pour accueillir la Marche, 1983
Deux cousinspalestin iens tentent derejoi nd re l’Al lemagnedepuis la Grèce. UN BU DDYMOV IE façon Hollywoodpar un ci néaste en ex il.
REDA ET CH ATIL Aont fuileurcampauLiban et tentent, depuis Athènes, d’acheterdes papiers pour atteindrel’A llemagneety trouverdutravail.Enattendant,les deux cousinssedébrouillent commeils peuventetv iventdepetitedélinquance, jusqu’à déraper…Cen’est ni un film de plus surles migrants ni une tragédie moralisatrice,maisplutôtunmélange de thriller et de comédienoire teinté de mélancolie.Onfinitpar s’attacher àces deux antihérostrèscomplémentaires :ledur et le doux,celui quisedrogueaidépar celuiqui gardeles pieds surterre et un lien avecsafamille. Lespéripétiess’enchaînentàlafaçon d’un bonfilm d’action desannées1970, mais en immersiondans la réalitédes exilés palestiniensd’aujourd’hui.Cen’est pasun hasard :lecinéaste, fandes filmsholly woodiens de cetteépoque, estlui-mêmeunPalestinien en exil (v ivantauDanemark)et réalisateurdedocumentaires,dont l’un surle camp de réfugiés de sesparents.Mahdi Fleifelsigne là sa première fiction, serv ie pard’excellentsacteurs,comme le Jordanien Monther Rayahnah en féroce passeur, et le Palestinien Mahmood Bakri pour incarner Chatila. Reda est, lui, joué parA ramSabbah, dont c’estlepremierrôle: il étaitjusqu’ici surtoutconnu pour être le meilleurskateur de Ramallah ! ■ Jean -Marie Chazeau
VERS UN PAYS INCONN U (Royau me-Uni,A llemagne, France,Grèce), de MahdiF leifel. Avec Ma hmood Ba kr i, Aram Sa bba h, Angel ikiPapou lia. En sa lles
Àécouter maintenant !
Aïta mona mour
Abda , Rega rt s.
Derrière le nomd’A ïta monamour,Widad Mjama, connuepourson rôle déterminantsur la scène rapmarocaine, membreduduo N3rdistan,etK halilEpi, l’un desmaîtres de l’électrotunisienne. Tous deux ont décidé de réinventer la musiqueaïtaincarnéepar leschikhates
En résulteundisquef usionnant plusieurs genres et racontantlapuissance fémininedansce qu’elleadeplus ancestral, mais aussicontemporain.
Abel Selaocoe
Hy mn of Ba nt u,War nerCla ssic s.
Remarqué il ya près de dixans au seinde l’ensemble Chesaba, le violoncelliste,compositeur et chanteur sud-africain rev ient avec un second albumd’une virtuosité et d’unesensibilité épatantes, convoquantses racines vialamusique bantoue,comme le répertoireoccidental auquel il estégalement attaché, grâce àuntravail inspirésur lesharmonies
De quoi allier,selon Abel Selaocoe,Bach et le «monde du chantguttural. »
CeliaWa
Fa Sa Dé, Heaven ly Sweetness.
Repéréeetsoutenue parDav id Walters, cette artisteguadeloupéenne auxmultiples facettes maîtrise aussibienla danseque la flûte, et prouve,avec ce premieralbum très maîtrisé,que lessonorités sy nthétiques et l’organique antillaise font bonménage.A insi,ceque Celia Wa appelle «Karibfutursound », mélange(entreautres) de gwoka, de soul et de R’n’B, estdésormais gravésur sillon. ■ Sophie Rosemont
Comment conser ver sa nouvel le identité quand on a tota lement changé de vie à l’insu de tout le monde ? Un TH RI LLER TU NISI EN
ha leta nt et très politique nous entraî ne da ns le si llage d’une jeune femme déterm inée.
À L’OR IGINE de son deuxième film, un fait divers a retenu l’attention de Mehdi M. Barsaoui, réalisateur du déjà très convaincant Un fils (2019), qui avait valu un César du meilleur acteur à Sami Bouajila. Il y a quelques années, l’unique rescapée d’un accident de la route s’était échappée avant l’explosion fatale du minibus qui la transportait, au sud de la Tunisie. Elle s’était cachée et avait laissé croire qu’elle était morte afin de mesurer l’amour que lui portaient ses parents La supercherie morbide ne tient que trois jours Mais c’est un sacré point de départ pour une fiction ! Et le film va plus loin, racontant comment Aya, jeune salariée d’un hôtel, se rebaptise Aïcha (« vivante » en arabe) et quitte les (superbes) confins de l’Atlas et du Sahara pour rejoindre la capitale Non sans avoir assisté à ses propres funérailles, cachée sous une burqa ! Elle fuit ainsi une vie de labeur sans avenir réjouissant, ses parents la faisant travailler depuis ses 14 ans pour les aider à rembourser une dette, et voulant la pousser à un mariage arrangé, alors qu’elle
entretient secrètement une relation avec un homme marié (qui repousse sans cesse le jour où il quittera sa femme…). La comédienne Fatma Sfar transforme ainsi peu à peu son personnage sous nos yeux. La petite prov inciale de Tozeur découv re la trépidante Tunis, et y rencontre à la fois la solidarité entre femmes, la rapacité des hommes et la corruption policière. Tout n’est pas aussi tranché – le sel de ce scénario est dans ses nuances –, mais la charge est féroce contre l’état de la police et de la justice près de quinze ans après la révolution du Jasmin. Les rebondissements, tous crédibles, nous plongent dans les réalités sociopolitiques de la Tunisie d’aujourd’hui. Aïcha, personnage porté par une actrice électrique, nous embarque dans sa quête désordonnée de liberté. Le film a obtenu le prix de la meilleure œuvre méditerranéenne à la dernière Mostra de Venise. ■ J.-M.C
AÏCHA (Tun isie, France), de Mehdi M. Barsaoui. Avec Fatma Sfar, Nidhal Saad i, Yasm ine Di massi. En sa lles le 19 ma rs
LESFILLES DU NIL
(Égypte),de Nada
Riyadh et Ayman
El Amir
En
De jeunes perfor meuses OSEN TA FFRONT ER le regarddes hommes et le poidsdelat radition da ns lesr uelles d’unebou rgadeégy pt ienne.
ELLESONT du tempérament,ces jeunes filles quirépètent leurs performances au milieudes gravatsd’une maison abandonnée,avant d’affronter un public en partie hostile dans desruelles ensabléesenchantantetenjouantdes percussions. Nous sommes à200 kilomètresausud du Caire dans le villaged’El-Barsha, où vivent surtoutdes chrétiens ég yptiens–une sociétéruralequi laisse peudeliberté auxfemmes, souventréduitesàleurrôledemère au foyer. Certaines de leurs filles sont en révolte,ont desaspirations artistiquesqui,dansunpremier temps, leur permettent de canaliserleurs revendications. «Mon corpsn’est pasun péché»,scandentces adolescentes au ry thme desdarboukas. Le groupe,comptant au départ unedizainedemembres,va se réduire au fildes mois parabandon de certaines,maisune
MEN TEUR HONN ÊTE (Côted’Ivoire),deSiamMarley. Avec Stéphane Aly, Franck Gnaly, Adizetou Sidi. Surafrique.tv5monde.com.
énergie farouchereste intactechezles autres.Une énergie qu’a su capter un coupledecinéastes ég yptien,rompuau documentaire. Nada Riyadh et Ay manElA mir ontpassé de longues semaines pendantquatreans avec cesfilles, dans leur quotidien, leurs répétitions. Uneconfiance s’est installée, permettant la captationdeséquences inattendues quinuancentbienles clichés, notammentducôté des hommes.Onvoitunfiancéqui assume de demander à sa promised’arrêter le théâtreaprès le mariage, et laisse filmer quandillui impose de supprimer de sontéléphone lesnumérosdeses copines. Mais aussiunpère,inquiet mais plus ouvert,qui poussesafilleàs’émanciper et à ne pass’enfermeràlamaison. Signeque quelquechose change au plus profonddelasociété ég yptienne. ■ J.-M.C
MARTIAL estunmenteur pathologique –« il ment desmensonges », ditmêmedelui sonmeilleurami.Cequi luiapermisdemener de front plusieurs histoiresd’amour, auxdépensdeses bien-aimées. Pour lesvengertoutes, unecertaineCarla va lui jeter un sort,etlevoilà incapabledementiralorsque,comme on lesait, toutevérité n’estpas bonneà dire…Résultat: dessituationscocasses, en vingtépisodesdetrois àhuitminutes,oùlehérostente de reprendrelecontrôledesabouchedansune «tournée générale desmea-culpa »! Derrière la caméra,SiamMarley(Mama Af rica, Shuga Babi)n’hésitepas àsemoquerdes mâlestoxiquesqui croient un peutrop qu’«enA frique,unhomme quiabeaucoupdefemmes, c’estcequi fait sa valeur »! Un féminismeassuméetunformatrevendiquépar la réalisatrice comme« un petitovni dans le paysageafricain où il n’yapas encore beaucoup de séries courtes» ■ J.-M.C
RY TH ME S
Avec un second al bu m fort en tempéra ment, le RA PPEUR BR ITANN IQUE conf ir me son ta lent et SA TÉNACI TÉ.
ON L’AVAIT PR ÉDIT dans ces pages lors de la sortie d’Universal Credit, son premier album dont le titre désignait la somme versée par le gouvernement anglais aux foyers à faible revenu pour leur venir en aide Jeshi avait de quoi se distinguer au sein de la foisonnante scène urbaine britannique. Dont acte, avec une excellente réception, tant critique que publique, et le tour des festivals. Avec Airbag Woke Me Up, le Londonien d’origine jamaïcaine réinvente sa trame et s’autorise plus de libertés vocales, samplant Dizzee Rascal comme Blur. De « Bad Parts Are My Favourite » à « Called Me Insane », en passant par « Hurricane », partagé avec la chanteuse londonienne Leilah, ce deuxième album, moins politique mais toujours conscient et plus sentimental, confirme le caractère bien trempé de Jeshi. ■ S.R
JESHI, Airbag Woke Me Up, Because.
ÉV ÉN EM EN T
Il ne cesse de FA IR E VI BR ER LE PAYSAGE CU LT UREL MA ROCA IN. Après la tenue de son fest ival littérai re Flam du 30 ja nv ier au 2 févr ier, le voilà qu i présente ses œuvres dans un cadre ar t istique except ionnel.
IL FA LL AIT BIEN CE VASTE ÉCRIN, cet espace de 1 000 m2 du M.O Studio doté d’une verrière et d’une hauteur sous plafond conférant une luminosité exceptionnelle, pour mettre en valeur les œuvres puissantes, monumentales et spirituelles de Mahi Binebine. Organisée par la Galerie 208 et l’hôtel Mandarin Oriental de Marrakech, l’exposition « Élévations silencieuses » réunit pour la première fois dix sculptures imposantes de l’artiste
Sculpt ure en cr istal de B oh êm e au premi er plan, et vu e de la sc én og ra phi e.
de renommée internationale, ainsi que plusieurs dizaines de bas-reliefs et de tableaux
Ses œuv res explorent la complexité de la condition humaine, ses contradictions, entre ténèbres et lumière, douceur et violence, lien et solitude, enfermement, pesanteur terrestre et aspirations à s’élever, à se libérer. Par des aplats de couleurs jaune, vert turquoise et grise, ses personnages se soutiennent ou se portent comme un fardeau, se dédoublent, se démultiplient, s’enchevêtrent les uns aux autres, coexistent, unis ou en lutte, à la fois uns et pluriels, là où le « je » peut être un autre. La pièce maîtresse de l’exposition est sans doute cette série de 32 tableaux présentés sur un mur, réalisés avec du goudron et du papier de soie, à la dimension narrative év idente Inédites aussi, ces magnifiques sculptures en cristal de Bohême, dont une d’un bleu Majorelle luminescent. « Élévations silencieuses » donne un avant-goût de la future fondation de Mahi Binebine, actuellement en
té nèbres et lum ière, son œu vre ex pl ore le
maines.
conception par le célèbre architecte Rachid Andaloussi. Au sein de la palmeraie de la Ville ocre, 2 000 œuvres de l’artiste seront exposées dans un musée de 6 000 m² doté d’un auditorium, d’un restaurant et d’une galerie pour les artistes invités. Le jardin, imaginé par les illustres paysagistes Pascal Lopez et Umberto Pasti, sera jalonné de grandes sculptures. L’ouverture est prév ue pour 2028. Également écrivain – son dernier roman La nuit nous emportera (Robert Laffont) vient de paraître –, Mahi Binebine est le cofondateur du Festival du livre africain de Marrakech (Flam), qui s’est tenu du 30 janvier au 2 février. Avec le succès de sa 3e édition, le Flam confirme son ancrage et s’affirme comme un événement culturel incontournable sur le continent, conv iant auteurs d’Afrique, des Caraïbes et de la diaspora Christiane Taubira, Mohamed Mbougar Sarr, Najat Vallaud-Belkacem, Felwine Sarr, Ananda Devi, Emmanuel Dongala, Rokhaya Diallo, Mamadou Diouf ou Rachid Benzine, pour ne citer qu’eux, y ont échangé autour de réflexions variées, comme les perspectives afroféministes, l’histoire africaine du monde, l’écriture des liens et la pensée de Frantz Fanon. ■ Astrid Krivian
« ÉLÉVATIONS SILENCIEUSES », M.O St udio, Mandar in Or iental Marrakech, jusq u’au 28 ma rs.
GILBERT SINOUÉ, L’Âged’orde la civilisation arabe, Fayard, 400pages, 22,90 €
L’auteur rend icihom mage àl ’u ne desplusg ra ndes civi lisations de L’HISTOI RE DE L’HU MA NI TÉ. RÉ CI T
PASSIONNÉD’HISTOIRE et de fables orientales,l’écrivain francoég yptien racontecomme personne lesdestins extraordinaires.Auteur de nombreuxromans, essais et biographies,parmi lesquels LeLivre de saphir (prixdes Libraires 1996), LesSilences de Dieu (grand prix de Littératurepolicière 2003), Desjours et desnuits (2001) ou,plus récemment, Le Bec de canard (2022),ilnousmènecette fois-citout au longd’une anthologie,àlarencontre de femmes et d’hommes du monde arabeayant contribuéausavoir et àlaciv ilisationmondialeentre le VIIe et le XIIIe siècles. Pour comprendrel’impactdecette époque surle mondeactueletpourdéconstruireles clichés, il metlalumière surtous ceux quiont joué un rôle dans lessciences, la philosophie,lapensée Àcommencer parunpersonnagedu XXe siècle qu’iljuge incontournable, le cheikh Zayedben Sultan al-Nahyane,« le sagedes Arabes », dont il aracontéledestinhors-normedans Le Faucon (2020). De tous les dirigeants arabes,lefondateur desÉmiratsarabes unisf ut,sansdoute aucun, celui quiconsacraleplussav ie àpoursuivrel’œuv re novatrice entreprise parles anciens. Un écartpourasseoir l’ambition d’un telliv re : quelajeunessearabe «sesouvienne de l’ouvertured’esprit, de l’audace créative de sesancêtresqui ne ressemblaientenrienavecceuxqui,de nosjours,persistentàvérifierl’heure surdes montresarrêtées» ■ C.F.
MY TH E
UN TEXT EI NT IM E et littérai re qu ivabien au-delà d’unebiographie.
«CELIVR Eest l’Orient et l’Occident desLumières. Leslumièresd’Abd el-Kader de sonOrientnatal et celledeson exil occidental.» Dèsl’exergue,KarimaBerger, romancière et essayistefrançaise d’origine algérienne,tisse le fildel’entre-deux.
Unemanière d’explorer la vieetl’esprit de cethomme d’unecomplexité exceptionnelleàtravers sa propre expérience. En s’impliquant personnellement, elle nous entraîneainsi au cœur de l’universspirituel de l’émir.Etnavigue surleversant de son humanismereligieux,comme pour panser lesplaiesentre lesdeuxrives de la Méditerranée autour d’un my thefondateur : «Cemusulmanqui agravé lesplusvives lumièresdansl’Histoiredes hommes et celledel’esprit, nourries parl’expérience de l’altérité,fut-ellecelle de l’ennemi.»
Cars’ilfut unegrandefiguredela résistance àlacolonisation de l’Algérie, un prisonnier ouvert surlemonde par sonespritchevaleresque,puisunexilé à Damasqui sauva du massacre desmilliers de chrétiens, Abdel-Kader(1808-1883) futaussi un grandmystique. Et une boussolepournotre temps. ■ C.F. K AR IM A BERGER, Abd el-Kader, L’Arabe des Lumières, Albin Michel, 288 pages, 22,90 €.
Da ns cetautopor trait roma nesq ue,l ’aut rice nous entraî ne unefoisdeplus da ns SONU NI VERS DÉROUTAN T.
«M AM AN,dis-jed’une voix sereine tout en me versantundeuxième verre, parle-moideDenis Rouxel. –Lebon Denis ?Ellesourit, ironique, mais il me semblait queson regard, comme sesmains,s’agitait.»
Qui étaitDenis,lecompagnon de cettefemme durant les premières années de viedelanarratrice ?
Pourquoi dit-on qu’ilétait bon?
Lauréate du prix Feminaen2001 pour Rosie Carpe,inclassable et dérangeant,etduGoncourten2009 pour Troi sfemmespui ssantes,trois destinstiraillésentre l’Afrique et la France, laromancière et dramaturge MarieNDiayenous attire ànouveau dans sa toileet dans lesméandresderelations complexes. Ici, quatre variations autour d’un événementessentiel de sa vie: le départ brutal de sonpère sénégalais aprèssanaissance en France. Quatre histoiresqui,malgré l’utilisationdu« je »etlapublication de quelques photospersonnelles, ne composentpas àproprement parler uneautobiographie
Dans la première,elleetsa mère,à la mémoiredéfaillante, la seulepersonnequi pourrait lui répondre.Danslaseconde, le récit
de la jeunesse de sesparents.Le troisièmetemps,souslaforme d’un monologue, retraceles vraies raisons du départ de sonpère.Enfin,dansle derniermouvement,lanarratrice a rendez-vous avecunpèreinconnu, loindecelui qu’elleavait imaginé. Sespersonnages,réels ou fantasmés, prennent formedansdes contrées énigmatiques.Sedébattent dans leurscontradictions. Portés parune langue àlafoismusicaleetprécise, quinousemmèneaveceux vers unedestination inconnue. ■ C.F.
MAR IE NDIAYE , Le BonDenis, Mercure de France, 128pages,18 €
À Ma rrakech, LE MACA AL ROUV RE après son rest yl ing, et présente une EX POSI TION PERM AN EN TE IM MERSIV E au fi l des ar ts af rica ins contempora ins.
LE MUSÉE D’ART contemporain africain Al Maaden (MACA AL) de Marrakech vient de dévoiler sa toute première exposition permanente dans des espaces entièrement rénovés. Intitulée « Seven Contours, One Collection », elle propose près de 150 œuvres de la collection de la famille Lazraq, fondatrice du musée, comprenant peintures, sculptures, photographies, textiles, vidéos et installations. Un ensemble qui retrace un siècle de créations artistiques, des indépendances à nos jours, et aborde des questions majeures telles que la décolonisation, la mondialisation et les enjeux environnementaux, tout en interrogeant les récits sociaux, politiques et historiques qui ont façonné ces expressions culturelles. Développée autour d’un parcours immersif en sept salles thématiques non chronologiques, mais aussi à même les murs et dans les espaces de transition du bâtiment, l’expo fait dialoguer des artistes modernes et contemporains, de Malick Sidibé et Hassan Hajjaj à Farid Belkahia et Kapwani Kiwanga. Elle présente également des installations in situ signées par Salima Naji et Aïcha Snoussi, et une exposition temporaire de Sara Ouhaddou. ■ Luisa Nannipieri
« SEVEN CONTOURS, ONE COLLECTION », MACA AL , Marrakech (Maroc). macaal.org
DI AL OG UE
Uneconversat ionà bâtons rompus
CE N’ESTPAS la première fois queleSyrien Adonis,considéré commel’undes plus grands poètesarabes, et quelapsychanalyste Houria Abdelouahed,autrice de plusieurs essais surlacondition fémininedanslemonde arabe, se livrentà uneaventurecommune. La professeure desuniversités estenpremier lieu la traductricedecelui dont le pseudony me rend hommageà l’amantd’Aphrodite. Plus encore,ils coécrivent des livres d’entretiens, dont ViolenceetIslam (2015),unréquisitoire contre l’islamcomme religion,et Prophétie et Pouvoir (2019),oùils s’indignentenvers un islamqui tend àune «annulation de l’individu ». Sans jamais cesser d’explorer lesprofondeurs de la culturearabe et de dénoncer lesdérives desmouvements politico-religieux.Cette fois-ci, c’estune phrase de Nietzschequi leur sert de viatique : «Iln’y apas de bellesurface sans profondeurs effrayantes. »Undialogueetune réflexion surcequi adonné naissanceà la jurisprudence de l’islametles conséquences surlestatut de la femme, le corps, l’amour, la pensée et la liberté. Passionnant ■ C.F. ADONIS, HOURIA
«TAN GE R, LA PA SSIO N DE LA COUL EU R», Vi llaHar ri s –Mus ée de Ta ng er, ju sq u’au 19 ma i2 02 5. fn m. ma
MA ROC, unesélection d’œuvres révèle l’ÂM EM ULTI PLE de la cité du détroit.
ABDELOUAHED, Éros& Islam. Lafable, lafemme, la loi, Seuil,272 pages, 23 €
VILLEFABULEUSE,sourced’inspiration de nombreuxartisteset intellectuelsdumonde entier,Tangerreprésenteau XIXe siècle le my theorientaliste. Àson arrivéeen1832, Delacroixest subjugué : «Jesuistout étourdidetoutceque j’ai vu.[…] Il faudrait avoirv ingt bras et quarante-huitheurespar journéepourfairepassablement et donner uneidéedetoutcela. »L’engouement esttel qu’ilsuscite chez lesplasticiens européensunintérêt durablepourla« perle du détroitdeGibraltar ». En 1912,Henri Matissey séjourne et ne cachepas sonenthousiasme: «Quellelumière fondue !» Plus d’un siècle apassé et Tanger,point de convergence desidées et descourantsdecréation, où l’Orient et l’Occidentserencontrent, resteunlieudepartage et de fusion entreles cultures.Lanouvelle exposition proposée àlaVillaHarris–Musée de Tanger vient prolongerl’éclairage de sa collection permanente,constituée d’œuvres de grands artistes explorateurs,telsque Jacques Majorelle, ClaudioBravo et EdyLegrand. Àtravers lescréations de peintres de tous horizons,dontGeorgeApperley, Terrick Williams et EnriqueSimonet Lombardo,elledonne àvoirlacité tellequ’elle étaitperçue aux XIXe et XXe siècles. Commeautantde fenêtres surses lieuxemblématiques,ses quartierstraditionnels, sa vielocaleetses habitants. Ellecomposeainsi uneimportante documentation–incluantdes témoignages –del’anciennecapitale diplomatique du Maroc, saisie dans toutesasplendeur ■ C. F.
Avec La Favorite, la chanteuse frança ise d’or ig ine ca merounaise livre un prem ier al bu m AUSSI IM PA RA BLE QU’I NT IM E.
BEAUCOUP la comparent à Angèle, et il est vrai que son timbre évoque celui de la chanteuse belge. Mais depuis quelques années, Yoanna Bolzli a façonné son propre son dans la langue de Molière (« ce qui était un choix pratique pour être comprise de tous est devenu une vraie passion », nous dit-elle), influencé par la pop anglosaxonne et doté d’un je-ne-sais-quoi qui vient, sans doute, de ses origines plurielles – elle est née d’un père suisse et d’une mère camerounaise.
« Ayant grandi dans un environnement majoritairement blanc, dans le Quartier latin de Paris, je me suis spontanément dirigée vers des stars américaines, se rappelle-t-elle. Mais tout en écoutant les grands noms de la musique camerounaise, en lisant Calixthe Beyala. Ses influences ne sont pas encore prégnantes dans mes chansons, mais je compte les intégrer plus
YOA, La Favorite, Pa nenka Music/ Wagram
frontalement à l’avenir. » Le présent, c’est son superbe premier album, La Favorite, qui raconte comment la jeune fille est devenue femme, ses émois, ses déceptions et ses blessures.
« Ces dernières saisons, beaucoup de choses se sont passées dans ma vie personnelle et ont impacté directement
ma musique… parce que j’écris sur moi ! » « Les grandes chansons d’amour françaises me font toujours pleurer, parce qu’elles ne parlent jamais de toi », chante-t-elle ici. Et pourtant, Yoa parle bien de nous – ou de ce que nous avons été pendant une jeunesse ultrasensible et néanmoins intrépide. Autodidacte assumée, n’ayant jamais pris de cours de chant, cette artiste dont on devine la grande curiosité est fascinée par le travail en studio sur les textures vocales. Elle ne s’en est pas privée dans cet album, où son timbre passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : « Lors de la confection du disque, j’ai appris à faire confiance aux sonorités. » De quoi être nommée dans la catégorie Révélation féminine de l’année aux Victoires de la musique 2025. Et, qu’elle remporte ou non le prix, Yoa figure bien parmi celles sur qui on peut miser. Pour longtemps. ■ S.R.
À travers des collaborat ions qu i donnent plus de force communicative à ses tissus, VL ISCO impu lse la création d’un na rrat if du cont inent pa r le cont inent.
L’ENTR EPRISE néerlandaise Vlisco, devenue sy nony me du wax, continue d’inventer de nouveaux imprimés et de proposer des motifs chargés de significations En début d’année, la marque a lancé la campagne Blossoming Beaut y, dont les dessins fleuris et abstraits célèbrent le renouveau de la vie et la force de la communauté en écho à la beauté tranquille des bourgeons. Imaginée comme une lettre d’amour à la communauté créative du Togo, la campagne a été mise en images par le projet visionnaire Togo YEYE à Lomé
Cette association, ou incubateur créatif, a été fondée en 2019 par Malaika Nabillah et Delali Ay iv i dans le but d’enrichir le récit autour de l’identité togolaise. Les deux femmes travaillent autour d’un « narratif authentique » qui, précisent-elles, « doit être dy namique, multicouche et représentatif à la fois de l’histoire et du présent ». C’est-àdire qu’il doit embrasser les richesses, les complexités et même les contradictions du pays C’est ce que Togo YEYE essaie de faire dans ses récits visuels puissants : « Trop
Le s étof fe s de l’entreprise n ée rl andaise sont ici su bl im ée s par la touc he To go YE YE
souvent, les récits africains sont façonnés pour satisfaire un regard occidental, ce qui entraîne des simplifications ou des représentations erronées Notre objectif est de créer un travail qui résonne avec la communauté togolaise mondiale et qui célèbre notre existence sans compromis. »
La collaboration avec Vlisco pour Blossoming Beaut y a poussé les entrepreneuses à retravailler l’imaginaire du paysage côtier ponctué par des jardins en bord de mer où les marchands vendent des fleurs et des plantes. Un décor naturellement togolais, qui se prête parfaitement à une mise en valeur percutante des textures et des motifs st ylisés de la marque
La photo de mode pour refaçonner les imaginaires ? C’est aussi l’esprit du Nigérian Daniel Obasi, qui a travaillé sur The Vlisco Woman, à paraître ce mois-ci. Stylisée par l’Ivoirienne Loza Maléombho, qui ajoute sa touche avantgardiste aux tissus, elle a été mise en musique par Fally Ipupa et tournée en Côte d’Ivoire. Quand la créativité africaine est au service du style. vlisco.com/fr/ ■ L.N.
DE SI GN
KIM MU PA NGIL AÏ honore
avec élégance les raci nes cu lt urel les et histor iq ues d’un mouvement ar tist iq ue qu i doit au cont inent plus que ce que l’on croit.
L’a rmo ire Mwas i, ci -d es su s. La ch aise Ba nda, ci -c ontre.
L’ARCHITECTE et designeuse basée à New York
Kim Mupangilaï crée des pièces artistiques qui incarnent les influences culturelles de son double héritage belgocongolais Elle travaille avec des matériaux durables qui vont du teck, un bois prisé par les artisans congolais et européens, à la roche volcanique – hommage à la richesse du sous-sol de ce pays africain, qu’elle évoque aussi par un trou décoratif en forme d’œil qui transperce ses œuv res –, sans oublier le rotin, traditionnellement utilisé pour la vannerie et le tissage de nattes Sinueuses et envoûtantes, les formes de ses meubles renvoient aux outils monétaires congolais précoloniaux et, dans le cas de ses trois dernières œuvres en date, également aux
liens qui existent entre la colonisation du Congo et l’essor de l’Art nouveau en Belgique. La chaise Koma rappelle par exemple une hache cérémonielle (tshokwe ou lwena), tandis que sa forme épouse celle des coquillages de la tradition Luba. Mais ses pieds finement courbés, d’un teint plus foncé, montrent l’impact que l’esthétique africaine a eu sur les mouvements artistiques modernes On retrouve les mêmes échos Art nouveau dans la chaise Banda, dont la silhouette rappelle l’oshele (monnaie en forme de couteau de jet) et le dos se referme tel un coquillage protecteur, ou dans le tabouret Li so, « œil » en lingala. À la fois table d’appoint et siège aux formes harmonieuses, il allie fonctionnalité et sy mbolisme réfléchi @pangilai ■ L.N.
SP OT S
À droite, le chal eu re ux
EDGE À ga uc he, l’accue illant Ma rb le
Dans la cité mère d’Afrique du Sud, deux ad resses OÙ LE FEU EST ROI.
LE BR AA I, ce barbecue devenu rituel social, signifie « cuisine sur le feu » en Afrique du Sud – et pas que ! Chez Marble, un restaurant de Johannesburg qui vient d’inaugurer une adresse au Cap, on forge dans le feu des mets délicats. Les chefs s’y affairent autour d’un iconique barbecue au feu de bois, aux grands fours et aux lignes de feu vif, fusionnant les éléments emblématiques du restaurant d’origine avec les influences côtières de la ville. À la carte, on trouve viandes, fruits de mer et poissons d’exception : du faux-filet de Chalmar (bœuf local) au feu de bois, avec haricots grillés et sauce à la moelle osseuse, au pâté de brochet (snoek) avec beignet magwinya à la levure douce, en passant par le poulpe avec pommes de terre rôties et merguez. Le tout dans le décor raffiné d’un bâtiment datant de 1919, entièrement rénové, avec une vue à 360° sur la ville et l’océan.
Pour le chef Vusi Ndlov u et son associée Absie Pantshwa, derrière leur marque EDGE, le feu renoue le lien avec les méthodes de cuisson ancestrales. Depuis le roof top du VUE Shortmarket, le couple sublime les ingrédients traditionnels grâce à des fours à charbon, des barbecues au feu de bois ou le Green Egg, en céramique et doté d’un couvercle, pour une cuisson lente ou fumée. On se sert d’aliments de base comme le sorgho ou le pap, obtenu à partir de maïs, de feuilles d’amarante, d’amasi et d’egusi, de graines de melon grillées et intégrées aux desserts, eux aussi cuits sur le feu. Même les cocktails jouent ici avec les flammes ! La carte, qui change toutes les deux semaines, varie en fonction des disponibilités et la cuisine est zéro déchet : avec les restes, on fait des huiles, des pickles ou des sauces, qui rehaussent tant les huîtres que les légumes marble.restaurant edgerestaurant.africa ■ L.N.
La Ua. House s’ inspire des héritages OM ANAIS ET SWAH ILI de la côte kényane pour redéfi ni r l’ ha bitat CONT EM PORA IN.
CONTRA IR EMEN T à l’idée reçue d’une côte kényane tropicale et luxuriante, le climat est particulièrement aride à Kilif i, au nord de Mombasa. Pour le jeune
Studio Mehta Architecture, lancé à Nairobi en 2019, le principal défi lié à un projet de villa privée dans une crique de la région était donc d’en faire un bâtiment durable et résilient.
C’est pourquoi les 150 m2 en pierre calcaire rose pâle de la Ua. House s’ar ticulent autour d’une série de cours paysagères rectangulaires, qui créent un flux harmonieux entre les espaces intérieurs et extérieurs, tout en facilitant la ventilation naturelle et en multipliant les zones ombragées.
Autonome en eau et en énergie, la villa rend hommage aux riches héritages swahili et omanais de l’architecture traditionnelle, et peut se targuer d’avoir stimulé l’économie locale. En effet, 85 % du projet ont été réalisés à partir de matériaux récupérés dans un rayon de 45 km, à l’aide de main-d’œuv re et d’ar tisans locaux Les techniques traditionnelles ont été mises au serv ice d’une esthétique minimaliste contemporaine, tant pour la déco que pour les finitions.
L’ancienne méthode de plâtrage dite Neer u, à base de cire d’abeille, a notamment permis de donner un aspect patiné aux murs intérieurs et extérieurs, alliant durabilité et design intemporel studiomehta.com ■ L.N.
DE ST IN AT ION
Le POUMON ÉCONOM IQUE du Ma roc se transfor me tous azimuts et mise ta nt su r son effervescence que su r son char me rétro pour accuei lli r les visiteurs.
LA RÉNOVATION UR BA INE à Casa a touché les périphéries comme le centreville, les établissements sportifs et de santé, les transports et les commerces Une frénésie largement liée à la CA N, que le royaume accueillera en décembre, et à la Coupe du monde de football 2030, dont il sera une brillante vitrine grâce au nouveau stade Hassan-II (liv raison prév ue en 2028), signé Oualalou + Choi Mais ces changements montrent aussi l’ambition de la ville de devenir attractive en cultivant un équilibre entre charme du passé et dy namisme socio-économique. Avant même la fin des chantiers, Casablanca rev ient sur la carte des destinations touristiques cotées Parmi ses atouts se trouve la corniche étendue et réaménagée, où le my thique Tahiti Beach Club inauguré dans les années 1940 a remis au goût du jour son complexe balnéaire et ses restaurants avec vue sur mer. Mais aussi sa médina historique, où s’est implanté le premier « bazar innovatif » de la ville, Al-Makane, entre salon de thé et magasin d’artisanat à vocation sociale. Et, bien sûr, le musée en plein air que constituent ses magnifiques bâtiments Art déco Un patrimoine historique qui a failli disparaître après des années de négligence, et qui aujourd’hui rev it et apporte une valeur ajoutée à la cité Même le Royal Mansour a misé sur cette vibe pour la reconstruction de son palace casablancais Avec ses 23 étages, ses 149 chambres,
sa salle de bal et ses trois restos dont un panoramique, l’hôtel et sa silhouette moderniste déclinent, à travers des détails iconiques et historiques, l’élégance Art déco dans une version à la page où le bois, le marbre et le laiton sont omniprésents.
Ce patrimoine architectural se déguste à pied, à partir de la place Mohammed-V, où les édifices néomarocains côtoient les formes futuristes du théâtre CasA rts (en attente d’ouverture), puis au long de l’éclectique boulevard Mohammed-V. Mais aussi lors d’une virée à Mers Sultan, classé deuxième « quartier le plus cool » du monde par le magazine britannique
Time Out derrière Notre-Dame-duMont, à Marseille. Ses cafés, ses galeries et ses événements créatifs offrent un condensé du bouillonnement culturel et festif de cette Casa nouvelle. ■ L.N.
D’autres bonnes adresses/plans
✔ L’association Casamémoire organise des visites architecturales guidées dans plusieurs quar tiers anciens et nouveaux de la ville marocaine chez Bloc 9 ou à la Villa des arts.
Manger et boire :
✔ Le NKOA pour une ambiance cosmopolite moderne ethno-chic
✔ L’historique pâtisserie Bennis pour des gâteaux de tradition marocaine.
✔ Le Birds Roof top ou le Jame’s Roof top : ambiance lounge et vue sur l’océan ou sur la ville.
Dormir :
✔ Le Royal Mansour Casablanca pour un séjour luxueux, le Barceló Anfa Casablanca pour un bon rappor t qualité- prix.
Le 16 mai 20 23, à l’occas ion de la 76 e éd iti on d u Fe stiva l de Cannes
HOM MA GE
Disparu le 19 février à 84 ans, le réalisateur malien incarnait un cinéma du continent qui parvenait à TRAVERSER LES FRONTIÈRES. Il nous laisse une œuvre progressiste et habitée.
EN MAI 2023, Souley mane Cissé devenait le second cinéaste africain, après le Sénégalais Ousmane Sembène, à recevoir le Carrosse d’or remis à Cannes par la Quinzaine des cinéastes. Une reconnaissance internationale de ses pairs, couronnant une impressionnante carrière démarrée à Moscou dans les années 1960 – comme son illustre prédécesseur, avec qui il avait aussi le Sénégal en partage pour y avoir passé toute son enfance. À son retour d’URSS, il réalise des longs-métrages sociaux et féministes. En 1975, pour Den Muso (La Jeune Fille), premier film malien en bambara, il s’inspire de l’histoire de sa nièce de 14 ans chassée par son père parce qu’enceinte… Suivront Baara (Le Travail) en 1978 sur la classe ouvrière, et Finyè (Le Vent) en 1982 avec ses étudiants en rébellion Jusqu’à l’éclat de Yeelen (La Lumière) au Festival de Cannes, Prix du jury en 1987. Une œuvre empreinte de magie et de spiritualité, à l’esthétique éblouissante « Yeelen a ouvert la porte du cinéma africain pour moi », expliquait Martin Scorsese, devenu un ami Souley mane Cissé travaillait d’ailleurs ces derniers mois à un documentaire sur la visite du réalisateur américain à Bamako en 2007. Revenu à Cannes en 1995 avec Waati (Le Temps), tourné entre l’Afrique du Sud et le Sahel, il y retournera en 2015 avec O Ka, documentaire sur le combat de ses sœurs pour conser ver la maison de leurs parents. Trois de
ses enfants sont cinéastes et en 2022, toujours sur la Croisette, Fatou Cissé présentait Hommage d’une fille à son père, dans lequel Scorsese, Spike Lee ou Costa-Gav ras témoignaient de leur admiration. Fondateur de l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (UCECAO), il menait aussi un combat pour la visibilité du cinéma africain Trois jours avant l’ouverture du Fespaco, où il avait remporté deux fois l’Étalon d’or de Yennenga, et dont il devait présider le jury, Souley mane Cissé demandait aux autorités maliennes de construire des salles : « Il ne suffit pas de faire du cinéma, il faut que les œuv res soient aussi visibles […]. C’est l’appel que je leur lance avant ma mort, si Dieu le veut… » ■ J.-M.C
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To us les an s, à l’ap pr oc h e du 8 mars , to mb en t de s st ati st iq ue s su r le s fe mm es , le ur con dition et so n évol ut ion , compi lé es par le s organ is me s in te rnationau x. Et le bi la n n’es t malhe ureu se me nt pas re lu is ant po ur le conti ne nt. Vo ic i que lqu es ch if fr es éloq ue nt s : 60 % de s Af ricain es hab itent de s pay s où le niv ea u de di sc rim inat io n de g en re est cla ssé tr ès él evé. Le s mu ti lat io ns gé nital es , le s maria ge s préc oce s et fo rc és (u n ti er s de s fe mm es âg ée s de 20 à 24 an s ont été mar ié es avant l’ âg e de 18 an s), et le s to rt ures in fl ig ée s au x ve uve s pe rs is te nt en Af riqu e su bs aha ri enn e. En Af riqu e de l’Ou est, le le ad e rs hi p et la pa rt ici pat io n de s fe mm es , esti mé s par le ur re pr ése ntation po liti qu e au Pa rl em en t, stag n ent à 11,6 %.
Et se lo n un ré ce nt ra ppor t de l’ Un ic ef, en Af riqu e su bs aha ri enn e, plu s de 79 mi llion s d’entr e el le s so nt vi ct im es d’ag re ss io ns s ex ue ll es et pl us d’une su r ci nq , c’est -à -d ire 22 %, avant l’ âg e de 18 an s. Et , ce tt e an né e, ce s don né es s’as so rt is se nt de proj ec tio ns de ce rtai ne s ONG su r le s ra va ge s at te ndu s à la su ite de l a dé ci sion du prés id ent am éricai n Do nal d Tr ump de ge le r l’ai de inte rnati ona le de so n pa ys En 20 23 , par exe mpl e, le s Ét at s- Un is ét ai en t à l’origi ne de 43 % de s fi nanc em en ts mond iaux con sa cr és au x so in s re pr od uc ti fs Do nt la mo iti é, so it 33 6 mi llio ns de dol lars , de st in és ch aq ue an né e de pu is pr ès de di x an s à 41 Ét ats af ri cai ns Da ns de s pay s comm e le Ke nya ou l’Ou ga nda , le so uti en am éricai n comp te po ur 60 % du bu dg et con sa cr é à la sa nté No mbre de fe mm es et de fi ll es de vrai ent cr ue ll em ent en pâ t ir dè s 20 25.
Po ur to ut es ce s ra is on s, et fa ce à ce s con stats et à la le nteu r de s évol ution s de la co ndition fé mi nin e en Af riqu e, no us avon s vo ul u cé lé brer l es fe mm es da ns notre éd itio n de mars En montrant qu ’i l ex is te au ssi de s éc la ire us es , de s pe rs on nalités de premier pla n, qu i ont su s’ im po se r, montrer le chemi n et fa ire chac un e à le ur fa ço n bo ug er le s li gn es El le s diri ge nt de s pay s et de s in st itu t io ns inte rna tiona le s, so nt à la tê te d’entrepr is es flo ris sa ntes . El le s so nt de ve nu es de s stars ou ont ém ergé dan s le dom aine de s no uvel le s te ch no logi es , ell es ont in sc rit le ur nom à l’ inte rnati onal dan s la cu lture ou dan s le sp or t.
No us en avon s sé lect ion n é 25 parmi les plus emb lé matiques [pag es 32-49]. Ma is el le s ne so nt pa s is ol ée s, car de s ce ntai ne s d’au tres au ra ie nt pu fi gu re r dan s notre « be st of ». To utes sy mbol is ent la ré us site. Un e mani èr e de dire au x au t re s qu e, mal gré to ut, ri en n’es t im po ssib le. ■
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