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ÉDITO

Kinshasa,enattente par Zyad Limam

DÉCOUVERTE

NIGERIA

La grande promesse

Un dossier spécial de 33 pages. DÉCOUVERTE

ÉMERGENCE

Unegouvernance en panne

Selon la FondationMoIbrahim, lesconditionsdevie de troisquarts desAfricains se sont dégradéesdepuisdix ans.

BIENNALE

DAK’ART2024

L’Afriqueenéveil collectif

L’ÉNIGME SONKO

Le Premierministre sénégalaisest au cœur de la révolution en cours. Àlafoissouverainiste et panafricain,conservateur et pragmatique, il porte surtoutl’espérance de changement d’une grande partiedelapopulation…Tentative de portrait. ET AUSSI

Soukaïna Oufkir, Felwine Sarr, Abou Sangare, Kiyémis, KarimMiské

KINSHASA, EN ATTENTE

C’est la capitale de la République démocratique du Congo. Disons 20 millions d’habitants (un million au virage des années 1970…), l’une des villes les plus peuplées du monde, la première francophone, devant l’agglomération du Grand Paris Une conurbation dopée par le choc démographique et l’exode rural. Un chaos urbain, qui pourtant semble avoir ses propres règles mystérieuses d’auto -stabilisation Le voyageur de passage est dépassé par la taille, la densité, la magnitude. Presque 10 000 km2 de superficie (la taille du Liban), un stupéfiant mélange de rares grands boulevards (le fameux 30 Juin) et des rues-routes largement défoncées, où le carrefour, généralement sans feu rouge, apparaît comme l’expérience ultime de la circulation. Les embouteillages sont dantesques. Paralysent l’activité. Quand il pleut, ce qui est fréquent, c’est pire – les lacs se forment, des rivières urbaines empor tent presque tout sur leur passage Les Kinois passent leur journée, réellement, à tenter de se déplacer, d’aller de chez eux au travail Ils dorment peu, le sujet est plus que politique…

Le co nc ier ge de l’hôte l vo us le di t co mm e une év ide nc e : à ce rtai ns mom ents , il fa ut bi en qu atre, cinq heures pour rejoindre l’aéropor t, pour tant distant d’à peine 20 km. L’aéroport lui -même, c’est toute une histoire. Un grand hangar rafistolé, enchâssé dans un im me nse qu ar ti er pop u la ire, Ndji li Ma lg ré la déc répitude, le tarmac est encombré de gros -por teurs des grandes compagnies internationales, et de jets privés et de 747 Cargo… Clairement, business is business, malgré les obstacles.

Il y a le fleuve Congo, puissant, qui traverse toute l’Afrique et qui passe ici majestueusement, en chemin vers la mer. La capitale d’en face, Braz zaville, sembl e si petite et si calme, à moins de 7 kilomètres à vol d’oiseau Des hôtels de luxe, qui rassemblent une population interlope de pirates internationaux, de chercheurs d’or, de cobalt ou de cuivre, d’entrepreneurs qui sirotent des cock tails en rêvant de fortune. Le tout nouveau centre financier de Kinshasa, voulu par le président Tshisekedi, construit en un temps re cord, projet te ses lumières et souligne les ambitions du pays Et puis il y a le son, omniprésent, celui de la rumb a rock, celui de Fally Ipupa, de Ferre Gola, du pasteur Mike Kalamb ay et d’autres stars incontournables. On y pense en passant devant le

my thique stade des Mart yrs, monument d’architecture sino -africaine (comme, d’ailleurs, le palais du Peuple, quelques kilomètres plus loin). On y pense aussi en voyant la multiplication des églises pentecôtistes, qui promettent si facilement aux fidèles un monde meilleur… Kinshasa est surtout la porte d’entrée vers un pays géant, instable, sur une corde, et pour tant central dans tous les sens du terme. 110 millions d’habitants, 2 millions et demi de kilom ètres carrés, l’ équivalent de l’Europe occidentale, un point de jonction entre toutes les Afrique – du Nord, de l’Est, de l’Ouest, du Sud. Des frontières avec neuf pays, dont une de 2 50 0 km avec l’Angola. Un pays modelé par l’histoire coloniale et postcoloniale, où plane toujours la figure légendaire et tragique de Patrice Emery Lumumba, un pays- continent aux 26 provinces, une stupéfiante diversité ethnoculturelle, des quasi-nations et des peuples autochtones, mais aussi une incessante compétition ethnique, pour les ressources, pour la terre. Un pay s nom in ale me nt ri ch e, dé te nt eu r d’un e grande partie du patrimoine naturel mondial, avec 60 % des forêts du bassin du Congo. Un puits de carbone vital pour toute l’humanité. Pour tant, chaque année, la RDC perd un demi-million d’hectares de ce couvert végétal. C’est le pays du fleuve, aussi, avec son formidable potentiel hydraulique – à l’image de la tant at tendue rénovation- ex tension du barrage d’Inga C’est le pays des mines, du cobalt, du cuivre, du zinc, de l’or, certainement du pétrole et du gaz… Et pourtant, le géant reste encore pauvre – moins de 70 0 dollars par an et par habitant, et un PIB global (65 milliards de dollars) inférieur à celui de la Côte d’Ivoire (80 milliards de dollars).

Depuis la fin de l’ère Mobutu, et le génocide rwandai s, c’est au ssi un e nat ion en gu erre plus ou mo ins permanente De Kinshasa, cette guerre paraît à la fois si proche et si lointain e. À l’est, dans les provinces du Nord -Kivu et de l’Ituri, elle a fait des ravages. Alimentée par des mouvements plus ou moins directement liés au Rwanda Un processus de paix avance laborieusement Les violences communautaires sévissent un peu par tout ailleurs Sporadiques ou structurelles

La République est meurtrie. Le pays est difficile Pourtant, l’enjeu est là. Il faut s’y engager. L’Afrique a besoin de ce géant. L’Afrique a besoin de son cœur, en quelque sorte, pour pouvoir émerger réellement ■

Meilleurs vœux 2025 ànos lectrices, lecteurs et partenaires!

N° 45 9- 46 0–D ÉC

3 ÉDITO

Ki nshasa,enattente parZyadLimam

8 ON EN PARLE

C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN Trésorschérif iens àDoha

29 C’ESTCOMMENT ?

Réveillon made in Africa ! parE mmanuelle Pont ié

30 PA RCOURS

Rachel Seidu parAstridKrivian

130 VINGTQUESTIONS À… Hanane Harrath parAstridKrivian

TEMPS FORTS

32 Coup de freinsur la bonnegouvernance parCédricGouverneur

42 Sénégal: L’énig me Sonko parZyadLimam

84 Bien nale Dak’Ar t2024: L’Afriqueenéveil collecti f parShiranBen Abderrazak

92 Soukaïna Ou fk ir : Unevoixlibre parSoundoussE lKasri

98 FelwineSar r: «Noussom mesdes êt res de l’incomplétude » parAstridKrivian

104 Kiyémis: «L’art de la joie » parAstridKrivian

110 Abou Sangare: « Je fais ma vielàoùje suis » parJean-Mar ie Chazeau

114 KarimMiské :« Le mal estu ne vraieq uestionhumaine » parCatherine Faye

DÉCOUVERTE

51 Nigeria:

La grande promesse parE mmanuelle Pontié, avec MoïseGomis et OkechukwuUwaezuoke

58 Wale Edun :« Parier su rl’avenir,protéger lesplusfragiles»

62

La réfor me en avanttoute

66 Armst rong UmeTakang: «Nousdevonst rouver dessolutionslocales »

68 Au Nord,laprior ité sécu ritaire

72 Pour uneagricultu re de pointe

76 Bosu nTijani: «Unv iv ierdetalents »

78 Deslicor nes made in Nigeria

80 Afrobeatsetstar-system

AfriqueMagazine estinterd it de diffusionenA lgér ie depuismai 2018.Une décisionsansaucunejusti cation.Cet te grande nation africaineest la seuleducontinent(et de toutenot re zone de lect ure) àexercer unemesuredecensu re d’un autretemps Le maintien de cettei nterdictionpénalise noslecteursalgér iens avanttout, au moment où le pays s’engage dans un gra nd mouvement derenouvellement. Nosa misalgér iens peuvent nous retrouversur notresiteI nter net : www.afriquemagazine.com

BUSINESS

120 L’AGOA sous la menace du tr umpisme

124 Ronak Gopaldas : « Tout dépendra de laquelle des intentions cont radictoires nira par dominer »

126 Air Côte d’Ivoire veut voler plus loin

127 La RDC ne renonce pas à l’or noir

128 L’A fr iq ue menacée par une croissance molle

129 La Côte d’Ivoire pro te de la hausse du caoutchouc par Cédr ic Gouver neur

FONDÉ EN 1983 (40e ANNÉE)

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Zyad Limam

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Lau re nce Lim ou si n llimousin@afriquemagazine.com

RÉDACTI ON

Em manu el le Po nt ié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

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Camille Lefèvre PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

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ON T CO LL ABO RÉ À CE NU MÉ RO

Shiran Ben Abderrazak, Jean- Marie Chazeau, Catherine Faye, Moïse Gomis, Cédric Gouverneur Dominique Jouenne, Soundouss El Kasri, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Okechukwu Uwaezuoke.

VE NT ES

FRANCE Destination Media

66 rue des Cévennes - 75015 Paris

TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

ABO NNE M EN TS

OPPE R SERVICE S 20, rue Rouget de Lisle 92130 Issy-Les -Moulineaux

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ES T UN ME NSU EL ÉD ITÉ PA R

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PRÉSIDENT : Zyad Limam.

Photogravure : Philippe Martin

Imprimeur : Léonce Deprez, ZI

Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0229 D 85602

Dépôt légal : décembre 2024.

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ON EN PA RL E

C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge

Vu e de l’ex positi on

ÉV ÉN EM EN T

TRÉSORS CHÉRIFIENS À DOHA

Le fa meux MI A, Musée d’ar t isla mique, célèbre en gra nd LE PATR IMOI NE

ARTIST IQUE DU MA ROC.

AV EC quelque 200 objets, manuscrits anciens, bijoux, photographies et instruments de musique, dont certains n’ont jamais été exposés auparavant, l’exposition « Splendeurs de l’Atlas » rend hommage aux nombreux courants, inspirations, productions artisanales d’exception et réalisations artistiques qui ont façonné l’identité du royaume du Maroc jusqu’à nos jours. Présentée au Musée d’art islamique (MI A), à Doha, qui abrite l’une des collections d’art islamique les plus complètes au monde, elle s’inscrit dans le cadre de l’Année culturelle Qatar-Maroc 2024 – une initiative qui vise à renforcer les liens entre les pays Ce voyage à travers un savoir-faire unique met en lumière l’influence des principales villes marocaines dans la promotion de l’érudition religieuse et des avancées scientifiques, ainsi que le rôle importan que l’artisanat a joué dans la formation de l’ensemble des caractéristiques du pays. Parmi les œuv res inédites, une coiffe alaouite ornée de plaques d’or et de pierres précieuses, des bijoux amazighs en argent, ainsi que des poutres en bois datant du XIe au XIIIe siècle, originaires d’un bâtiment de Fès, proviennent des musées du Qatar, du MI A et du futur musée Lusail L’exposition présente également une sélection de photographies et d’œuvres d’art contemporaines de Bruno Barbey, Ir ving Penn, Lalla

Essaydi, Mous Lamrabat et Mounir Raji. Et s’adosse à un autre événement proposé au MI A, « Ektashif : Maroc » (jusqu’au 26 février 2025), qui met en avant les œuvres de sept artistes et designers qataris ayant travaillé auprès d’artistes et d’artisans experts du ro

Ci -c ontre, brace let (nba la ou ta nba lt).

Ci -d essous , couvre -c he f (‘a sa ba) ser ti d’or et de p ier re s précie us es

« SPLENDEURS DE L’ATLAS : UN VOYAGE À TRAVERS LE PATRIMOINE MAROCAIN », Musée d’ar t islamique, Doha (Qatar), jusqu’au 8 mars 2025. mia.org.qa

BA RRY WINDSORSMIT H, AdastrainAfrica, Delcou rt, 52 pages, 15,50 €.

SE TOURNER VERS LESÉTOILES

Un RÉCI TGRA PH IQUE àl irecom me unefable su rL ALUT TE POUR L’IN DÉPENDANCE et l’autonomie.

CE CONTEdormait dans lesdossiersdeBarry Windsor-Smith, jusqu’àcequ’il décide de le réécrireetdeletransposerenun épisodedelajeunessedelaprincesseAdastra,exiléesur terre parsamère,lareine Organa.Pourrappel, cettemajestueuse divinité estlepersonnagelepluspopulaire de sa série Young Gods,unmélange subtil entrepièce shakespearienneetbande dessinée cosmique, publiéedanssarev ue révolutionnaire Stor yteller.Plusconnu pour sontravail dans l’universdes comics Marvel,ledessinateur anglaisanotamment adapté en bande dessinée le personnage de fiction créé parl’écrivainaméricain Robert Er vinHoward, ConanleBarbare,unaventurierdont l’ambition se résume àjouir de la vieetdumomentprésent.Dans ce nouvel ouvrageàl’esthétiquecaptivante, l’héroïne, de retour en Afrique, essaie d’apporter la prospérité àunv illagefragilisé parlasécheresse. L’hommeblanc estpassé parlàetalaissédes machines agricolesqui ne fonctionnent plus fautedecarburant et de pièces. Dès lespremièresplanches, véritables pépites en noir et blanc, celuiqui aapporté un romantisme contemporain au mondedes comics de super-hérosnord-américainspropose unefable étrangeinf usée de questionsexistentiellescomplexes. Il se sert du récit pour porter un regard curieuxsur l’effetdela foietsur lesvaleurs desautochtones,dansunquestionnement constant surl’ordre établi et l’ordrenaturel deschoses. Sans compterunclind’œil explicite àlaformule latine Pera spera ad astra.Par desvoiesarduesjusqu’auxétoiles ■ C.F.

SO UN DS

Àécouter maintenant !

BlackP umas

Li ve Fr om Br ooklyn

Para mount, ATO/[PIA S].

C’estlorsdeleur dernière tournéeque le chanteur Eric Burton et le guitariste Adrian Quesadaont enregistré leur performancedeBrook ly n. Ilsont bien fait :enl’espacededeuxalbums (Black Puma s et Chronicles of aDiamond), lestubes ne manquentpas.Etils sont convoquésici avec l’énergie dontle duoatoujours fait preuve grâceà de multiples inspirations –lasoul, d’abord, mais aussileblues et le funk.

Dodi

El Sherbi ni AveC esar, Kidder mi nster.

Depuis sonpremier album, Fictions (2020), et sescollaborationsavecdes pointures commePhoenix,onconnaît l’aptitude du musicien français àmanier sy nthétiseurs et textes malins.Coproduit parlegroupedepop rockfrançais Rallye, cettenouvelledémonstration d’obédiencepsychédélique baptisée Ave Cesar détourne lescodes de la variété avec uneélégance irrévérencieuse.

SonghoyBlues

Héri ta ge,Tra nsgressiveRecord s/[PIA S]

Sort ie le 17 ja nv ier.

C’estunfolkd’une beauté cristallineque nous livre, avecson quatrièmealbum Héritage,lequartet malien forméàBamako, mais dont les origines se trouvent àTombouctou.En unedécennie, Songhoy Bluess’est imposé commel’une desfigures de prouedu bluestouareg.Son secret :force guitares électriques et voixhabitéespourraconter lesravages du terrorisme…comme les bienfaitsdelamusique. ■ SophieRosemont

AN IM AT ION

LE RETOUR

DU ROILION

La saga connaîtu nnouvel épisode, avec UN CI NÉASTE AFRO-A MÉRICA IN au xmanet tes.

EN 2019,Disneymettait en scène uneversion réaliste de son blockbuster animésorti vingt-cinqans plus tôt, Le Roi lion –enfait, desbêtes 100% numériques,sansqu’il s’agisse de dessinsoudecréationsen3D, dans la tradition del’adaptation en prises de vues réelles(live action)deses classiques d’animation.Devrais-fauxanimaux,bluffants de réalisme (saufqu’ilsparlent…), quivivaientl’histoire de Simbaaffrontantson oncleScarpourlasuccession au trône deson père Mufasa.Cinqans après, voicilasuite sous forme de préquel, expliquant lesoriginesdelalégende de Mufasa Si l’on retrouve en grande partie lesmêmes personnages (avecenVOles voix de DonaldGlover ou Beyoncé; en VF celles de JamelDebbouzeouDanielKamwa), ce n’estplus JonFavreau quiorchestre, mais Barr yJenkins.Leréalisateur afro-américain de Moonlight,filmd’auteurmulti-oscarisé, ahésitéplusieurs jours avantd’accepter de dirigercette superproduction.C’est l’esprit de cetépisode,plongeantau

MU FASA, LE ROI LION (États-Unis), de Barr yJen ki ns. Avec lesvoi x de TaharRah im, Jamel Debbou ze, Daniel Kamwa.

En sa lles le 18 décembre

plus profonddel’âme africaine, quil’auraitconvaincu.Autre nouveauté: dans la versionfrançaise, TaharRahim assure la voix de Mufasa adulte,après avoir déjàtransformélasienne cetteannée dans Monsieur Aznavour.Lesuccèsde2019 utilisaitdes techniques révolutionnaires se basant surle matériel récoltélorsd’unsafaridesix mois pour observer la fauneetlaf loreauKenya et en Tanzanie (240 000 photos). En 2024,cenouveau mixdeprisesdev uesréelles et d’images numériques metencoreplusenvaleurles paysages du continent, avecdelaneige et deszones tropicales inspiréesduBost wana.Leréalismedes expressions sur lesgueules desanimaux et leur façondebougercomplète àmer veillelavoixdes acteurs,etmontre la maîtrise techniquedes équipes Disney.Une odeaux familles (età l’accueildes «parias»)scandée pard’inévitables chansons (etlamusique du sud-africain Lebo M),qui offreune vision somptueuse de la nature en Afrique. ■ Jean -MarieChazeau

ES SA I

Une réflex ion su r

l’ histoi re des systèmes

D’EX PLOI TAT ION mis en place pa r

l’ homme su r l’an imal – et su r ceux qu’i l considère comme tel.

DÈS LES PR EMIÈRES pages, cet essai ultra-documenté frappe fort. Difficile de ne pas penser à Chien blanc. Dans ce plaidoyer contre tous les racismes, Romain Gary narrait sa tentative de sauver un chien qui avait été dressé pour attaquer les Noirs américains dans un pays bouleversé par la lutte pour les droits civiques Un demi-siècle plus tard, Kaoutar Harchi part elle aussi d’un événement vécu quand elle était enfant pour dérouler sa trame : l’un de ses camarades, Mustapha, est mordu par un berger belge malinois de la police. En mêlant littérature autobiographique, recherche historique et théorie politique, l’écrivaine et sociologue souhaite repolitiser la question de la domination « Dominer ne fut plus dominer […] On transforma le réel. L’Occident abrita en son sein toutes les formes lointaines de vie et devint l’arbitre de ces dernières. Ainsi, des choses furent dites des animaux colonisés L’on dit : ces animaux sont nos ennemis. Et l’on dit aussi : ces animaux sont nos amis. Et des choses furent faites à ces mêmes animaux » À travers notre rapport aux bêtes, l’autrice de L’Ampleur du saccage et Comme nou s existon s livre une histoire politique et poétique de la domination des animaux et explore, en miroir, l’histoire occidentale de la période moderne à nos jours. De fil en aiguille, le texte met en lumière le processus d’une déshumanisation répétée des populations, invariablement contrôlées ou exploitées : de l’esclavage au fascisme, en passant par la lutte des classes, la condition de la femme, les minorités raciales, la colonisation et le capitalisme. Sans toutefois totalement désespérer : « Si je sais la force requise pour parvenir à s’élever au-dessus des horizons bouchés de la domination et entrevoir, ne serait-ce que par le bout de la lorgnette, le champ des possibles qui, nous devons le croire, demeure ouvert bien qu’étroit, je sais aussi que le temps des animaux viendra. » ■ C.F.

KAOU TA R HA RCHI, Ainsi l’animal et nous, Actes Sud, 320 pages, 22,50 €

CU ME NT AI RE

UNEVOIXQUI RESURGIT

Ba nn ideson pays pour avoi rexposéles réalitésduR ÉGI ME

D’APARTH EI D, ER NEST COLE estm is àl ’hon neur pa rRaoul Peck.

DEPUIS Lumumba, la mortd’unprophète (1990), RaoulPeckpoursuituntravail de mémoire décentré du regard occidental.Familier desluttesanticoloniales, il avaitdéfilécontre l’apartheid dans lesannées1970. Aussilorsque la familled’ErnestColevientletrouver aprèslesuccèsde sondocumentaireinspiré desécritsdeJames Baldwin, IAmNot Your Negro,lecinéastehaïtien se souvientdulivre de photos House of Bondage (La Maisondes servitudes), paru en 1967.Des clichésdevenus iconiques, réalisés parcejeune photographesud-africain de 27 ans, quiavait dû quitterson pays pour avoirainsi révélélaréalité sordidedusystème érigé parlepouvoir blancà Pretoria.Exilé auxÉtats-Unis, sans espoir de retour,iltentera unenouvellecarrière sans succès, invité àfairedes reportages surles Afro-A méricainspauvres quandilserêvaitphotographede mode et de publicité. Sontravail capteàmer veilleles regardsetles attitudesdelapopulation desruesaméricaines,maisn’est pasreconnu.Ilmeurt àNew York en février1990,quelques jours seulementavant la libération de Nelson Mandela… RaoulPeckrestituesaparoledans un récit àlapremière personne,qu’il contelui-mêmedanslaversion française(c’estlavoix du rappeuraméricain LakeithStanfield dans la VO), illustrépar lesimagesduphotographe, dont beaucoup d’inédites.En2017, 60 000 négatifs ontété retrouvésdansune banque…à Stockholm. Quiles yamises ?Qui apayéleloyer du coffre pendantprèsdetrente ans? Ses ayants droitont du malàles récupérer,d’oùleurappel au cinéaste haïtien. Le réalisateur, partiàlarecherche de celles et ceux quiont côtoyéErnestColeaux États-Unis et en Suède, ressuscite ainsi le parcours unique et injustementoublié d’un véritableartiste africain ■ J.-M.C

ER NEST COLE, PHOTOGRAPHE (États-Unis), de Raou lPeck. En sa lles.

DO

Ci -d essus , un administrateu r de s pla ntations su iss es de ta ba c au x côté s de so n fil s, Kota ri, en 1921

Ci -c ontre, figu rin e re présenta nt la ve nte d’un e pe rsonn e ré duite en esclavag e.

En 18 85, à De li su r l’ îl e de Sumatra , ma ison de Ka rl Kr üs i da ns la pla nta ti on Ma ry land, ba pt is ée du nom de sa fe mme Ma ry

EN SUISSE, LE COLONIALISME SANS COLONIES

LE MUSÉE NATIONA L DE ZU RICH

retrace l’impl icat ion de la confédérat ion da ns le système colonial, question na nt le déni collecti f su r le sujet.

LA SUISSE n’a jamais eu de colonies. Pourtant, les citoyens et les entreprises de la République helvétique ont entretenu pendant quatre cents ans des liens étroits avec le système colonial. L’inédite et poignante exposition du Landesmuseum Zürich, « Colonialisme, une Suisse impliquée », lève le voile sur cette histoire effacée de la mémoire collective, à travers des objets, des œuvres d’art, des photographies, des témoignages et des documents. On y présente avec sobriété ces firmes, ces privés et ces communautés qui ont pris part à la traite et ont fait fortune grâce à l’exploitation des esclaves. Les banques, qui ont mis à disposition le capital nécessaire à ces entreprises. Les missionnaires suisses et les mercenaires, qui ont participé aux conquêtes coloniales à travers le globe et écrasé la résistance des peuples indigènes. Sans oublier les spécialistes, qui ont mis leur savoir au serv ice des puissances coloniales et des universités de Zurich et Genève, qui ont enseigné et diff usé la pensée raciste qui a serv i à légitimer le colonialisme. Un regard critique éclairée, pour une exposition puissante et nécessaire ■ Lu is a Na nnip ier i « COLONIALISME, UNE SUISSE IMPLIQUÉE », Landesmuseu m, Zürich (Suisse), jusqu’au 19 janvier 2025 landesmuseum.ch

APRÈSRAQQA

Trau matisé pa rson djihad en Sy rie, un jeunepaysa n tu nisien rent re au pays…UnDRA ME FA MI LI AL doublé d’uneenq uête policière. Envoûtantetd ’u ne grande beauté.

YA-T-IL UN LIEN entreune sériededisparitionsdansunvillage du nord de la Tunisieetleretourd’exild’unhomme et sonépouse en niqab? C’estl’enquête quiparcourtcepremierfilm de la CanadoTunisienne Meryam Joobeur, quin’a pourtant rien d’un polar. On estd’abord en immersiondansunpaysagearide et venteuxenbord demer,chezdes éleveurs de moutonsqui ont vu deux de leurs trois enfantspartirenSyrie,rejoindre Daesh… Troisgarçons au physique peubanal dans la région,rouxetauvisagecouvert de taches de rousseur.Lacinéasteavait fait desdeuxaînés,authentiquespaysans, lesprotagonistes d’un court-métragenommé auxOscarsen2020 (Brotherhood). On lesretrouve, avec leur petitfrèredesix ans, aux côtésd’acteurs professionnelscomme Adam Bessa(LesFantômes, de Jonathan Millet). Mais ce sont bien lesfemmes, àcommencer parlamère (SalhaNasraoui, intense),qui sont au cœur de ce récit éclaté,plein de non-dits,dedouleurs,maisaussi d’humanité Un contesur lesdégâtscollatéraux du djihadisme ■ J.-M.C

LA SOURCE (Tun isie-FranceCanada),de Meryam Joobeu r. Avec Salha Nasraoui,Malek Mechergu i, Adam Bessa. En sa lles

CI NÉ MA

FARAH FAKHRI

Un dialogue des cultures

La collection neuse ivoi ro-l ibanaise a créé un ESPACE ARTIST IQUE INCONTOU RNABLE da ns le paysage abidja na is.

SITUÉE AU PL ATEAU, à Abidjan, la Galerie Farah Fakhri met en valeur des artistes contemporains de renom comme des talents émergents, du continent et de la diaspora Créée en 2022, cette plate-forme nécessaire s’engage dans les échanges culturels, l’accompagnement des artistes, leur reconnaissance sur la scène mondiale.

AM : Quelle est votre ligne artistique ?

Farah Fakhri : Nous exposons le travail d’artistes établis (Abdoulaye Konaté, Joana Choumali, etc.) comme émergents (Chada, Keren Lasme, etc.). Ce dialogue crée des échanges intergénérationnels, enrichit l’expérience du public et des collectionneurs. Nous sommes sensibles à l’impact des œuv res dans un contexte artistique et sociétal, à celles qui ouvrent des perspectives, suscitent des réflexions sur des sujets tels le panafricanisme, l’exil, l’immigration, la spiritualité, la mémoire. Les pratiques et techniques sont diverses, souvent complémentaires – peinture, photo, vidéo, installation, sculpture, textile. Et nous construisons des relations sur le long terme avec les artistes que nous représentons Quelles sont vos ambitions ?

Créer un lieu de rencontres, de réflexions, contribuer à l’influence des artistes du continent et de la diaspora sur la scène internationale À travers une démarche éducative, nous collaborons avec les Beaux-Arts d’Abidjan, Marseille, Tétouan, en vue de soutenir la formation et l’éducation artistique de jeunes talents. Nous organisons aussi des ateliers de découverte, de création, des sy mposiums, des événements culturels, des rencontres au sein de la galerie et de la résidence. Nous formons des partenariats avec les institutions d’autres pays, ce qui enrichit nos projets et amplifie leur portée En réunissant les perspectives, en partageant les ressources, on ouvre des voies d’échanges culturels, de soutiens. Parlez-nous des résidences

Constituée d’un comité curatorial, composé de curateurs, collectionneurs et artistes, la résidence est un espace de création et d’opportunités pour les artistes, qui s’immergent dans un nouveau contexte culturel et social, afin d’ap-

profondir leurs recherches ou d’explorer d’autres pratiques. Elle est ouverte aux curateurs et doctorants pour des résidences de recherche, qui se concrétiseront par des sy mposiums Nous travaillons aussi avec la Fondation Montresso au Maroc, afin d’organiser ensemble des résidences croisées. En tant qu’ancienne directrice de la communication auprès de la maison Chanel, ma mission consiste à diff user et faire rayonner le travail des artistes sur notre continent et le monde. Et nous avons également un rôle à jouer dans l’accompagnement d’artistes de la diaspora qui souhaitent (re)découv rir le continent de leurs aïeux et y travailler

Quels sont les enjeux pour l’art ivoirien ?

D’abord, la création d’infrastructures, qui joueront un rôle clé dans la transmission et contribueront à la reconnaissance du travail des artistes. À l’international, l’enjeu est de garantir une présence institutionnelle sur les rendez-vous mondiaux, tels que les biennales Le soutien public, indispensable, permettrait de mettre en lumière d’autres artistes galeriefarahfakhri.com ■ propos recueillis par Astrid Krivian

Joa na Ch ou mali, New Grow th, sér ie « Albanian », 20 24.

« Nous sommes sensibles à l’impact des œuvres dans un contexte artistique et sociétal, à celles qui ouvrent des perspectives. »

RY TH ME S

JB MOUNDELE RACINES MANDINGUES

Entrejazzett radition ma nd ingue, le nouvel al bu mdusaxophoniste frança is n’ag uère besoin de pa rolespou rexpri mer sesPASSIONSSONOR ES.

HOWA RD W. FR ENCH, Noiresorigines. L’Afriqueetla création du monde moderne 1471-1945, Ca lman n-Lévy, 550pages, 25,90 €

CHANGEMENT DE PARADIGME

Si xsiècles d’ histoi re où

le cont inenta fr icai nret rouve unePLACE CENT RA LE da ns le récitdumonde moderne.

«SIR ÉPANDUES quesoient cesgrandes découvertesdansl’imaginairepopulaire, concevoir les débuts de l’histoire moderneàleuraune[…] rev ient àocculterlavéritésur l’essor du monde “moderne”etànepas comprendrecomment les différents points du globesesonttrouvés liés et commetissésles uns avecles autres.» Depuis plusieurs années,lejournaliste américainHoward W. French se consacre àdésoccidentaliser l’histoire desrelations internationales, notammentàpartir de l’étudedel’A frique.Publiéen2021aux États-Unis et finalisteduprixPulitzer en 2022, Born in Blackness, traduitaujourd’hui en français,réinterprète l’histoire mondiale en plaçantlecontinent et sespopulations au centre du récit.L’auteurmet en lumière desfigures méconnues, telles que lesempereursayant tenu tête auxpuissances européennesdu XV IIe siècle,les riches marchands commerçantavecl’A sieoules héros de la libération desesclaveshaïtiens. Dépassantl’analyse purement verticaledes rapports de domination,l’ouv rage fait comprendreles bouleversementssocio-économiques liés au commercedel’or, du sucre, du tabacetdu coton, et àlatraitedemillions d’Africains. ■ C.F.

DEPUIS SONPREMIER album, Suites af ricaines (2009),nourri de duos avec balafonetkora, le saxophoniste,compositeur, producteur et arrangeurfrancilienrêvaitderemonter aux sourcesdeses inspirations.C’est chosefaite avec Racines, quiallie le jazz,qu’il adécouvert et appris àNew York,àla musiquemandingue,qui le passionne depuis toujours.Saxophoniste de TikenJah Fakoly,entre autres, JB Moundele (dontlenom s’inspire de l’expressionlingala moundele ndombi,« le Blancnoir»)s’illustreen parallèledansplusieurs projetset collaborations,deSalif Keïta àOumou Sangaré. Cettefois, il s’entouredes instrumentistesMbady DiabatéetBruno Desbiolles pour signer le superbe Racines,fortdedélicatessestant musicalesque ry thmiques,tellesque «Moptysanko»,au groove bienbalancé, et le subtil «Sankosong ». ■ S.R JB MOUNDELE, Racines, Inou ïe Distri bution DR (3)

DE SI GN

Atelier nomade

Avec Kente Project Ar t La b, entre Pa ris et Lomé, ESTELLE YOMEDA crée des pièces un iq ues de mobi lier et de text ile au x lignes épurées et sensuelles.

ARTISTE PL ASTICIENNE devenue bottière, la FrancoTogolaise Estelle Yomeda a découvert à travers la création de chaussures son amour pour le travail manuel Une passion qui la pousse, en 2017, à lancer le Kente Project Art Lab : un laboratoire nomade, entre Paris et Lomé, à l’intersection de l’art, du design et de l’artisanat. Alors qu’elle découv re et retisse des liens avec le Togo du père, elle est fascinée par la dimension sy mbolique, identitaire et esthétique du tissu kente, par son graphisme ancestral et intemporel. Pour ses premières créations textiles, elle

reprend donc la technique, mais conçoit ses propres motifs et coloris dans l’optique de réinventer la tradition à l’aune de la contemporanéité. Aujourd’hui, elle se fait remarquer pour ses éléments de mobilier en bois aux silhouettes sensuelles et, en même temps, presque brutes. Ses « séries différenciées » comprennent des pièces entièrement faites à la main, caractérisées par un mélange d’essences et de textures qui témoigne du savoir-faire des artisans togolais. Élégantes et espiègles, ses créations ont été remarquées lors de la Design Week parisienne et seront bientôt proposées par la galerie Maria Wettergren, dans le quartier du Marais, à Paris. kenteproject. com ■ L.N.

Du o de ta bouret s Nou Ou la nou

Eesah Yasuke « Nommer pour soigner »

Aprèsu ne poig néed ’EP, la jeune

chanteuseetrappeusef ra nco-ivoi rien ne livreu na lbum d’uneBELLE DENSIT É SONORE et très person nel… justement nommé B.O. d’unevie.Rencont re.

AM : Comment estné B.O. d’unevie ?

Eesah Yasuke : D’aussiloinque je me souvienne,j’aitoujoursvoulu écrire àproposdemon histoire, surmon parcours très at ypique. Depuis plusieurs années, je caresse l’idée de faireunfilmsur mes jeunes années, mesplacements en foyers et en familled’accueil, notamment… Il me semble que B.O. d’unevie estlapremière pierredeceprojet. Je dirais même quej’aiinversél’ordre deschoses: j’ai composélabande originale de ma vie, avantmêmed’enécrire le scénario !Cet albumest né de ma conv iction qu’ilfautrompre un cercle vicieuxpouraller vers le vertueux,etchaquemorceau prov ient d’uneimpulsion de nommer pour soigner. Ma seulevolonté, c’étaitque ce premieralbum me ressembleetqu’il corresponde àmes multiples facettes En quoi vosracines africaines et lesmusiques commelarumba, quevousécoutiez enfant, ont- ellesinfluencé votrecréativité ?

Je penseque le simple fait d’avoirbaignédansces mélodies entraînantesm’a éduquéesur la volontédemeser virde la musiquepourexprimerdes conv ictionsetdes valeurs très fortes.Jepense parexemple au morceau« Migrantdes rêves » de FallyIpupa,qui possèdedeux

niveauxdelecture :s’y manifestent àlafoislemessageengagéetla voix eniv rantedel’artiste,qui nous font passer un moment délicieux. Cetalbum a-t- il pu jouer un rôle cathar tique dans votreexistence ?

Dèsledépart,lamusique l’aété pour moi. Mais davantageencore dans B.O. d’unevie,oùj’ailiv ré desparties de moiplusintimes qu’à l’accoutumée. Il m’apermis de frayer deschemins quejen’avais jusqu’alorspas ou peuexplorés… Pour tout vous dire,j’aiconnu une grosse panned’inspiration.Etc’est pendantcette périodedifficile quej’aidécouvert quelapeinture pouvaitêtresourcede guérison,ce quim’a redonné de l’élan créatif. C’estenpartiegrâce àellesicet albumexisteaujourd’hui ■ propos recueillispar Sophie Rosemont

EESAHYASUKE, B.O. d’unevie, Blessi ng Product ion. Sort idepuis le 15 novem bre. En concer tle19décem bre àlaMaroq uiner ie (Paris)

s

MODE

Ivoire, la couleur du talent

MA ISON KA NTY’S rempor te le pr ix Jeune Ta lent de l’Abidja n Fash ion Week avec une collection du ra ble et ch ic, qu i célèbre LES TEXT UR ES ET LES MATI ÈR ES.

LA PREMIÈRE ABIDJAN FASHION WEEK, organisée par le designer Elie Kuame en octobre dernier, a été un véritable succès. Au-delà d’offrir aux créateurs confirmés de la scène ivoirienne (de Lafalaise Dion à Kente Gentlemen) une plate-forme d’exception, elle a aussi permis de mettre en avant les jeunes talents locaux avec un prix dédié.

Le prix Marie-Thérèse-Houphouët-Boigny, d’une valeur d’un million de francs CFA, a été décerné au duo d’amis William MacKenzie et Thierry Aguy pour Djôlôh, la première collection femme de leur label Maison Kanty’s. Djôlôh, qui signifie « chance » en langue bété, comprend en tout 17 pièces aux teintes beige et ivoire, faites à partir de coton et de lin tissés artisanalement dans l’atelier de la

marque, et inspirées des couleurs et des paysages d’Afrique du Nord. Kanty’s a été lancée en 2019, mais elle proposait jusque-là surtout du prêt-à-porter et des tenues de ville. Cette collection représente donc le premier projet véritablement créatif du duo de designers, âgés d’une trentaine d’années et passionnés de mode depuis l’enfance. Seulement une dizaine de pièces ont défilé lors du concours, mais ces quelques silhouettes ont suffi à convaincre le jury de leur talent et à leur ouvrir les portes de la Fashion Week de Dakar, où ils sont invités en décembre.

Les couturiers ont fait un travail remarquable sur les textures et les matières, à partir des franges qui ont été créées à la main avec la technique de l’effilochage

Le
de si gne rs re ço ivent leur pr ix d’une va leur d’un mil l ion de FCFA.

Ci -d es su s, dé fil é de l a coll ectio n Djôl ôh. Ci -c ontre, à ga uc he, la ro be Cy nthia.K ; à droi te, la ju pe du lo ok Baf lan as sor ti e à la ve ste du look

Frédériqu e Lei nin ge r.

du coton brut et de la mise en avant de textiles déstructurés. Guidés par les principes de la production circulaire, ils ont par ailleurs veillé à découper chaque tissu de façon à pouvoir ensuite utiliser les chutes pour créer d’autres pièces, faisant preuve d’inventivité et de finesse. La robe Cynthia.K (les noms des looks célèbrent des femmes ivoiriennes qui ont lutté contre le cancer, Octobre rose étant le thème du concours), avec son col haut et son design moderne, est un parfait exemple d’une mode à la fois sophistiquée et durable. @lamaisonkant ys ■ L.N.

À

MAUR ICE, ces deux hôtels haut de ga mme accuei llent DES TA BLES EM BLÉM AT IQUES et ra ff inées pour se fa ire plaisi r en fa mi lle ou en tête-à-tête.

LE BLUE MA RLIN est la table my thique du Paradis Beachcomber, un resort de rêve sur la péninsule du morne Brabant (sud-ouest). Placé en front de mer, il offre une vue imprenable sur le lagon, dans un décor relaxant et contemporain entièrement refait en 2023 Les lignes arrondies du mobilier, l’installation artistique accrochée au plafond et le carrelage, qui évoquent des écailles argentées, sont autant de détails qui rendent hommage au célèbre poisson. Le chef y propose une cuisine du monde créative, qui interprète avec audace des classiques et sublime les produits de la mer. Idéal aussi pour un midi gastronomique décontracté au bord de la plage, à base de tempura du lagon ou de filet de berri avec palmiste croquant, champignons à l’huile d’argan, asperges vertes et salsa de coquillages

le dialogue culturel entre l’Amérique latine et le Japon à travers un mélange culinaire fait d’une étonnante variété d’ingrédients, de textures et de méthodes de cuisson. Chaque élément, du décor sophistiqué et authentiquement péruvien au choix des boissons (mention spéciale pour le Pisco), valorise les saveurs élaborées par le chef Pedro Burgos. Des ceviches au bœuf Wagyu, version anticucho, fumé sur le gril avec sauce chimichurri, ou lomo saltado, de qualité extrême, jusqu’au bar en réduction de parihuela (soupe de poisson) et raviolis aux crevettes, tout y est délicieux ! beachcomber-hotels.com luxresor ts.com ■ L.N. SP OT S

SAVEUR S PA RADISIAQUES

À l’autre bout de l’île, le LU X* Grand Gaube accueille la première table péruv ienne de l’océan Indien : INTI – le dieu du soleil – est un lieu emblématique, qui célèbre

Une icône au Cap-Vert

Avec trois fois rien, le st ud io RA MOS CAST ELLA NO a constru it un musée éton na nt, qu i célèbre et promeut la créativité boui llon na nte des îles.

LA FAÇA DE à pois bariolée du Centre national d’ar t et de design (CNA D) se détache sur le paysage urbain de Mindelo, la capitale culturelle du Cap-Vert. Le musée – le premier ouvert dans l’archipel après l’indépendance – a été entièrement rénové par le cabinet local de Moreno Castellano et Eloisa Ramos, porté par un projet visionnaire qui met en avant la créativité et la débrouillardise locale et qui est déjà une icône internationale. Notamment grâce aux brise-soleil orientables de l’annexe, créés à partir des couvercles des barils utilisés pour l’importation de marchandises. L’intervention du studio, qui a rénové aussi la maison coloniale qui constitue le corps du CNAD, a permis de recoudre le tissu urbain, transformant un espace vide

et délaissé en un patio public vivant et un vieux hangar en un bâtiment de cinq étages, doté d’une librairie, d’un atelier, d’une résidence ar tistique et de deux espaces d’exposition. Le duo en a aussi dessiné le mobilier, réalisé par des ar tisans cap-verdiens à partir de vieux déchets et matières locales. « Il a été difficile de convaincre les institutions que l’on peut faire de l’architecture impactante et de qualité à partir d’ordures. Que cette “folie” était faisable », expliquent les architectes depuis Bamako, où ils travaillent à la scénographie de la 30e édition des Rencontres. Aujourd’hui, le CNAD est un pôle d’attraction pour l’île et un lieu où le potentiel créatif des CapVerdiens s’exprime et se concrétise. ramoscastellano.com ■ L.N.

LA BELLE SAISON

À cette période de l’an née, l’Af rique se révèle mu lt iple et propice au voya ge. Spor ts naut iq ues, vi rées en mont ag ne, cu lt ure vodu n et croisière su r le Ni l…

VOICI QUAT RE EX EM PL ES

D’ESCA PA DES BÉNÉFIQU ES !

Da ns le s hau teur s de la station d’Ou ka ïm ed en

LA FIN ET LE DÉBU T de l’année sont les meilleures périodes pour visiter le continent : dans le Sud, on peut savourer l’été austral ; au Nord-Est, la météo douce est parfaite pour des excursions urbaines, tandis que les montagnes peuvent se couv rir de neige et attirent les amateurs de sk i. Et si la chaleur peut quelquefois devenir étouffante dans l’Est, où les pluies verdissent néanmoins les paysages, on n’a qu’à mettre le cap vers le Nil et la mer Rouge pour se relaxer au bord d’une eau à la température idéale. Ce sont aussi les mois de la saison sèche pour une bonne partie des pays tropicaux, comme le Bénin, où l’on peut se ressourcer en contact avec la nature ou redécouvrir l’histoire et la culture de la région. Voici quelques idées de voyage pour profiter au mieux de cette belle saison

Destination l’Atlas

EN AFRIQUE DU NOR D, la montagne attire de plus en plus de touristes et de passionnés de sk i. C’est le cas de la majestueuse chaîne du Djurdjura, à environ 150 km d’Alger, où la station de Tikjda culmine à 1 478 m d’altitude et offre une vue imprenable sur les pics enneigés et les paysages lunaires de l’Atlas algérien Cet endroit féerique est pour l’instant conseillé aux adeptes du sk i de randonnée et des balades dans la neige, le projet de rénovation des remontées mécaniques étant repoussé d’année en année. Plus accessible, l’Atlas marocain abrite la station de Michlifen, surnommée La Petite Suisse marocaine, à environ 1 heure de route d’Ifrane Pour un séjour en chalet alpin de luxe, au milieu des forêts de cèdres, le Michlifen Resort & Golf, avec spa et piscine intérieure,

est le bon choix. La station la mieux équipée et la plus prisée du pays est toutefois celle d’Oukaïmeden : un paradis blanc qui atteint les 3 200 m d’altitude à seulement 70 km de Marrakech. L’endroit parfait pour profiter de la nature un jour et de la ville rouge le suivant. michli fen.com

Fêter le Nouvel An en Ég ypte

EN FIN d’année, les températures sont idéales pour visiter la vallée des Rois ou la py ramide de Khéops, mais aussi bronzer sur les rives de la mer Rouge. Pour un séjour qui conjugue douceur de vivre et tourisme culturel, naviguer sur la vallée du Nil est une év idence. En attendant la mise en serv ice du train Guardian of the Nile, qui reliera Le Caire à Assouan

– en 2027, dit-on –, on peut découv rir les sites de l’Ég ypte antique depuis une dahabiya, un bateau de croisière ou un vapeur édouardien de grand st yle. Pour une pause gastronomique le long du fleuve, on conseille la cuisine créative du Al Moudira, à Louxor, qui organise aussi des dîners sur-mesure dans certains temples et sites archéologiques, ou la terrasse du my thique Old Cataract d’Assouan. Pour un plus petit budget, les plats faits maison du Nubian Dreams Restaurant & Cafe (A ssouan) sont imbattables et la vue sur le fleuve est magnifique Plusieurs opérateurs touristiques, via Voyageurs du monde, proposent un séjour d’exception à l’occasion du Nouvel An, avec soirée de réveillon et dîner sur l’eau. moudira.com/sofitel.accor.com

Le Bénin, berceau du vodun

LE PAYS revendique depuis quelques années son statut de berceau du vaudou : il développe des parcours touristiques culturels, comme la route des Couvents voduns, et investit dans la construction du futur musée international du Vodun à Porto-Novo Il célèbre aussi cet héritage avec un festival annuel dédié aux arts, à la culture et à la spiritualité à Ouidah. La deuxième édition des Vodun Days (du 9 au 11 janv ier) prévoit des concerts et spectacles en bord de mer, près de

la Porte du non-retour, mais aussi des parades en l’honneur des divinités vaudoues, des animations dans la cité historique – où se trouve le renommé temple des Py thons – et des stands d’artisanat local. La ville côtière, qui accueille déjà le musée de la Fondation Zinsou d’art contemporain et son agréable café, vit par ailleurs une révolution urbaine, qui vise à en faire une destination culturelle autour de la mémoire de la traite. Les travaux sur ce front sont loin d’être terminés, et le musée international de la Mémoire et de l’Esclavage n’a toujours pas ouvert, mais l’histoire d’Ouidah vaut à elle seule le détour @ vodundays/ fondation -z insou.org ■ L.N.

La te rrasse avec vu e du cé lè bre
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RÉVEILLON MADE IN AFRICA !

Et si, pour une fois, à l’occasion des fêtes de fin d’année, on arrêtait de se ruiner en achetant la dernière Game Boy à son fils ? Si on cessait de réserver le voyage à la mode vers Dubaï ? Si on stoppait la commande d’huîtres ou de saumon fumé impor tés ? Et si, enfin, on choisissait ne pas por ter une robe du soir grif fée de Paris ?

Il su ff it de le décider. Et de se dire très fort que tout cela est devenu ringard. Le must, cette année, c’est de consommer local, de promouvoir son propre patrimoine et de privilégier les circuits cour ts ! Et franchement, le continent regorge de tout ce dont on a besoin pour passer un réveillon made in Africa

Primo, ceux qui fêtent Noël oublient le sa pi n ve rt en pl as ti qu e et sa fausse neige, et couvrent plutôt de guirlandes les palmiers et les cocotiers du jardin ou n’impor te quelle jolie plante locale en pot dans la maison. Au pied, on dépose des cadeaux, comme un awale et ses graines, ou un Monopoly City of Lagos commercialisé par une entreprise nigériane. À l’occasion du réveillon du 24 pour certains, et du 31 pour tous les autres, on s’habille local – et si l’on veut frimer, on peut se payer une robe du soir de chez Gilles Toure ou José Esam, un costume

Elie Kuame, une robe de princesse Alphadi ou encore un drapé noir chic d’Imane Ayissi, pour ne citer qu’eux La liste est infinie, tant la création africaine regorge de talents.

Et si vous décidez de vous payer un petit voyage, franchement, là encore, le choix des destinations sur le continent subsaharien est incommensurablement varié ! Depuis la croisière en bateau sénégalais vers Saint- Louis au lodge sud- africain, en passant par un trek en Pays Dogon, une plage de sable blanc en Mauritanie ou une visite aux gorilles à dos argenté dans les montagnes rwandaises…

Et enfin, côté agapes , absolument tous les plats traditionnels locaux sont une fête à eux tout seuls ! Un gbekui togolais et ses ablos, un foléré du Nord Cameroun ou une sauce graine à Abidjan composeront pile comme il faut votre repas de réveillon Allez, on peut même mettre des huîtres des palétuviers sénégalaises en entrée, le tout arrosé d’un vin de palme frappé ou d’un puissant vin rouge sud- africain.

Pour plus de dépaysement, le Gabonais pourra choisir un mafé malien et le Burkinabè un saka -saka congolais L’essentiel, c’est de consommer afro Ça sera trop bien, vous verrez : il faut lancer la mode ! Bonnes fêtes et meilleurs vœux pour l’année qui s’annonce ! ■

Rachel Seidu

AVEC SA SÉRIE « PEAS IN A POD », présentée au festival Planches Contact à Deauville, la photographe nigériane explore l’expérience sociale et intime de personnes queers dans son pays et en Normandie. propos re cueillis par Astrid Krivian

En cette matinée d’automne, dans la cité balnéaire de Deauville en Normandie, la mer étincelle sous un ciel nuageux. Sur la célèbre promenade des Planches longeant la plage, Rachel Seidu, 27 ans, lunettes de soleil sur le nez et bonnet vissé sur les nattes, se réjouit : le public a réservé un accueil enthousiaste à sa première exposition personnelle majeure, « Peas in a Pod ». Présentée à l’espace adjacent Le Point de Vue, elle a été réalisée dans le cadre de la résidence Tremplin Jeunes Talents du festival photographique Planches Contact. Dans la tranquillité de ce lieu de villégiature, l’agitation de Lagos, où elle vit, semble loin. Pourtant, l’artiste met en lumière des correspondances entre ces deux espaces. En croisant les portraits de personnes issues de la communauté LGBTQI A+ qu’elle a réalisés dans la capitale nigériane et dans cette région française, elle interroge : la vie est-elle plus facile en France, où l’homosexualité, la transidentité ne sont pas criminalisées par l’État comme dans son pays natal ? La réponse est plus complexe et nuancée : « L’Occident a toujours donné cette image d’environnement sûr pour les queers ; or, à ma grande surprise, certaines personnes ici subissent du harcèlement. L’homophobie persiste. Et des exilés Nigérians en Europe sont aussi en proie au racisme, à l’isolement. Existe-t-il donc un safe space pour nous dans ce monde ? », se désole Rachel Seidu.

Ses clichés ont pour signature st ylistique un délicat clair-obscur ; au plus près des modèles, de leur intériorité, de leur quotidien, ils évoquent l’envie de trouver une lumière, une solidarité dans un contexte hostile, discriminant « Nous existons, nous sommes là ! Oui, nous souffrons, mais nous tissons nous-mêmes notre sécurité, nous créons de la joie, du lien, nous constituons une communauté, nous cultivons une fierté, nous essayons de rendre nos vies plus légères Le spectateur ne peut pas différencier quelle photo a été prise au Nigeria ou en France. Car la communauté est unie, globale. »

Vu e de l’ex positi on

Après avoir passé son enfance à peindre, dessiner, imaginer des histoires, elle a appris la photographie en autodidacte. Ses figures tutélaires ? Vivian Maier, Gordon Parks, James Barnor, Seydou Keïta. Membre de Black Women Photographers, Rachel Seidu a participé à des expositions collectives dans son pays, en Autriche, en Équateur Repéré sur Instagram en 2023, son travail fait l’objet d’une rétrospective dans la rev ue Rive Droite d’ Yves Saint Laurent et est exposé à Los Angeles. « Je suis très reconnaissante de cette grande opportunité pour ma carrière, qui a nourri mon estime personnelle. » Diplômée dans l’enseignement, l’éducation et la formation des Beaux-Arts et des arts appliqués, elle se destine à transmettre sa passion « Ma mission sur Terre n’est pas seulement de photographier, mais aussi d’enseigner. » Le pouvoir d’une image réussie à ses yeux ? « Sa capacité à émouvoir. Peu importe qu’elle suive les règles esthétiques. C’est mon ambition : je veux que les gens ressentent une émotion face à mes images, lesquelles racontent une histoire. » Pari réussi. ■ Festival Planches Contact à Deauville, ju squ’au 5 janvier 2025

«Je veux que les gens ressentent une émotion face à mes images, lesquelles racontent une histoire.»

COUP DE FREIN SUR LA BONNE GOUVERNANCE

Le dernier rapport de la Fondation

Mo Ibrahim souligne les contradictions africaines. L’égalité de genre avance, tout comme les infrastructures. Mais les processus démocratiques et la sécurité régressent. Les opinions ne ressentent pas le changement. Les Seychelles dominent le classement, mais globalement – même si chaque pays est différent –, le progrès ralentit. par Cé dr ic Go uver ne ur

La mari na ré sid enti el le Ed en Is land , re li ée à l’ îl e de Ma hé, au x Seyc he ll es

C’e st une enquête statistique dont les conclusions sont toujou rs très at tendues : le rapport de la Fondation Mo Ibrahim (MIF – mo.ibrahim.foundation). Milliardaire anglo-soudanais de 78 ans, ex-magnat de s télécoms, Mo Ibra hi m consac re depu is près de deux décenn ie s une pa rt ie de sa fort une à l’amél iorat ion de la gouvernance en Afrique. Tous les deux ans, l’Ibra hi m Index of Af rica n Governance (II AG) cumule une somme considérable de données portant sur des dizai nes de domaines, récoltées da ns les 54 pays du continent et dont la compilation permet de dresser un tableau préc is des évolut ion s, des prog rès et des reculs. « Les données sont extraites de 49 sources indépendantes, et les 96 indicateurs qui composent l’IIAG sont identiques pour les 54 pays. Cela permet à la fois d’évaluer la performance finale et la trajectoire d’un pays dans la durée, et de les comparer à celles de ses homologues », nous précise Nat halie Delapalme, directrice exécutive de la MIF [inter view pa ge s suivante s]. La limite de l’exercice est que l’II AG rend compte des données nationales, mais ne quantifie pas les inégalités au sein d’un même pays, entre les régions et entre les classes d’âge.

Publié fin octobre, l’II AG 2024 a de quoi inquiéter : le panorama continental, dans l’ensemble, n’est guère encourageant. Même si la gouvernance globale prog re sse da ns 33 pays su r 54, le s conditions de vie de trois Africains sur quatre (77 %) se sont dégradées ces dix dernières années en matière de sécurité et de droits démocratiques La sécurité

physique des individus pâtit log iquement de l’escalade des conf lits : Sahel, Est de la République démocratique du Congo, Éthiopie, Soudan Leurs droits sont menacés pa r le durcissement de ce rt ain s régi me s : va gue de coup s d’État militaires au Sa hel, répression violente des manifestations au Sénégal, au Nigeria et au Kenya – pourtant des pays où les gouvernants sont démocratiquement élus… Pour plus de la moitié de la population africaine, résidant dans 26 pays, l’insécurité a augmenté ce s di x dern ière s an nées. S’observe même une aggravation de la situation depuis 2019, du fait de l’accumulation de crises (pandémie, inflation, endettement, catastrophes naturelles liées au changement cl imat ique, etc.). Enoc k Nyor ek wa Tw inobu ryo, économi ste ougandais et expert de l’II AG, souligne « l’urgence de répondre à l’insécurité, à la corruption et aux défis en matière de gouvernance, qui menacent les objectifs de développement durable ». Affronter ces problèmes s’avérera « cr ucial pour forger la future trajectoire de développement de l’Afrique ».

RIEN N’EST ACQUIS

Mê me si plus ie urs pays ont accompli de s progrès considérables en matière de droits et de pa rt ic ipat ion, la démocratie bat de l’aile : pour tr oi s qu ar ts de s Af ricains, l’espace d’ex pression de la société civi le s’est rétréci ces di x derni ère s an né es . Au tr e phénomène inquiéta nt : la diminution de l’adhésion aux valeurs démocratiques, pour lesquelles les Africains se sont pour tant souvent battus dans les années 1990 et 2000 « L’enquête sur l’at titude du public mont re qu’un État de droit faible entraîne un déclin de l’engagement populaire envers la démocratie, constate Joseph Asunka, président gha néen d’Af roba rometer, institut de sondages panafricain qui a

participé à l’élaboration de l’II AG 2024

En d’autres termes, la conf ia nce des citoyens dans la démocratie risque de s’éroder avec le déclin de la qualité de l’État de droit. » Au Ma li, au Burk ina Faso et au Niger, des gouver nements élus, cr itiqués pour leur gestion de la crise sécuritaire, ont été renversés par des militaires putschistes avec l’appui d’une partie de la population Sans que la situation sécuritaire s’améliore pour autant, bien au contraire [encadré].

Au tr e en sei gn em en t de ce tt e enquête : rien n’es t ja ma is ac qu is !

Aucun prog rès n’est pérenne s’il n’est pas sans cesse consolidé. Sans surprise, la Tunisie, où un br utal virage autoritaire a succédé en 2021 à la révolution qui, en 2011, avait marqué l’aurore des Pr intemps arabes, s’ef fondre da ns le classement L’ île Maur ice, démocratie insulaire de l’Océan indien, 1 865 km2 pour 1,3 million d’habitants, qui a longtemps caracolé en tête du classement, dégringole, du fait de l’inflation galopante, de scandales de corruption et de reculs sur le plan de la santé et de l’éducation À l’inverse, en Ég ypte, pourtant tenue d’une ma in de fer par le président al-Sissi, les progrès accomplis dans la constr uction d’in frastr uctures, la santé, l’éducation, l’en vi ro nn em en t et le s droits des femmes portent leurs fruits.

« Les conditions de vie de trois Africains sur quatre (77 %) se sont dégradées ces dix dernières années. »

Gl ob al em en t, l’ II AG constate que la perception publique des opportunités économiques s’est détériorée ces dernières années.

Le Fonds monétaire international (FMI), dans son rapport sur les perspectives économiques de l’Af rique subs ah ar ie nn e ren du fi n oc to br e, observe que « l’interaction comple xe entre la pauv reté, le manque de débouchés et la mauv ai se gouver na nce », conjuguée à l’inflation et aux difficultés du quotidien, « nourrit les fr ustrations sociales ». « Les attentes non satisfaites, en particulier chez les jeunes, alimentent

CLASSEMENT

Entre2014et2023, surles 54 paysafricains,33ont vu leur gouvernance s’améliorer, et 21 se détériorer.LaTunisie et lesComores subissent la régression la plusprononcée La situation en République démocratique du Congo(RDC), 4e payslepluspeuplé du continent, se détériore depuis 2014 :elleest désormais classée 48e sur54. Àl’inverse, la Côte d’Ivoire,leTogo, la MauritanieetDjibouti enregistrentles progrès lesplus notables. LesSeychelles prennent la tête du classement continental, devant l’ îleMaurice

Le 25 ju in 20 24, le s ma n ifestations a ntig ou ve rn em enta le s au Ke nya tourneront à l’ém eute et fe ro nt pl usie ur s mo rt s.

la frustration et la colère, les meilleurs déclencheurs de troubles et de conf lits », aler te Mo Ibra him dans la préface de l’II AG. Curieusement, même lorsque la gouvernance s’améliore, sa perception par les populations demeure négative, faute d’améliorations visibles au quotidien ! C’est l’un des aspects les plus frappa nts de l’enquête : le déca lage entre les améliorat ions de la gouver na nce, quant if iées pa r les enquêteu rs, et la perception de cette même gouvernance pa r les popu lation s. « Même lor sque les gouver nement s prog ressent da ns des domaines tels que les in frastr uctures et les opportunités économiques, constate Mo Ibra him, de nombreuses pe rs on ne s se se ntent la is sée s pour compte. » Un phénomène courant, que la sociologie politique dénomme law of ri sing ex pectations, définie par l’Américain Abraham Maslow (1908-1970). Ce psychologue américain avait remarqué que les citoyens se révoltent alors même que s’améliorent leurs conditions matérielles, estimant mériter davantage.

Que cette dégradat ion des condition s de vie soit ta ng ible ou si mplement ressentie, elle a quoi qu’il en soit des impact s politiques et prof ite au x populistes En Afrique du Sud, l’ancien président Jacob Zuma – que la classe politique cr oy ait ente rr é depuis le scanda le de corruption « Gupta » – a réuni 15 % des voix au x législative s de ma i de rn ier, un score sa ns doute alimenté par les inégalités abyssales et le désenchantement face à l’us ur e du pouvoi r de l’ANC… auquel appartenait pour tant un certain Jacob Zuma ! En Af rique francophone, des ca mpag nes de désinformation orchestrées pa r Moscou tentent d’in fluencer le s citoyens, comme l’ont démont ré nos conf rères de Radio France internationale [voir « Plongée dans la machine de désinformation russe en Cent rafrique », RFI, 21 novembre , ndlr] Le continent,

« Tangible ou ressentie, la dégradation des conditions de vie a des impacts politiques et profite aux populistes. »

de plus en plus connecté, n’échappe pas à cette désinfor mation en vogue dans le monde entier. L’élection de Donald Tr ump le conf ir me : l’ancien président américain est de retour, malgré ses mensonges (comme cette histoire grotesque – et raciste – de réfugiés ha ït ie ns qu i ma ngera ie nt de s ch at s). Sa ca mpag ne élec tora le a bénéficié de la désinformation orchestrée sur X (e x-Tw it ter), le ré seau social de son nouvel ami Elon Musk… En 2016, en Gr an de -B re ta gn e, les « brex iters » avaient remporté le référendum de sort ie de l’ Un ion eu ropé en ne ave c de s argu ment s et des ch if fres qu i, pour beaucoup, se sont avérés mensongers. En Europe, l’extrême droite xénophobe a le vent en poupe (R N en France, Af D en Allemagne), malgré le vieillissement de la population, qui rend le recours à

LES FR AGILES DROITS DES FEMMES

La plupart des pays s’améliorent sur les questions de l’inclusion et de l’égalité de genre, leviers indispensables à l’essor de toute la société. Mais les freins sociétaux demeurent, les associations observant même un possible « retour de bâton ».

C’est l’une des bonnes nouvelles de l’enquête : pour la quasi-totalité de la population africaine (94,8 %), dans 47 pays sur 54, l’égalité de genre a progressé cette dernière décennie. Dans 23 pays, rassemblant 60 % de la population, l’amélioration s’accélère même depuis 2019 – l’effet sans doute d’une prise de conscience sociétale, générationnelle et généralisée, des violences faites aux femmes et des inégalités. L’II AG souligne que les évolutions englobent notamment un « renforcement des lois contre les violences faites aux femmes », une plus grande « acceptation sociale du leadership féminin » et, dans une moindre mesure, une « meilleure représentation politique des femmes » dans les cercles dirigeants « Les résultats sont plus mitigés toutefois en ce qui concerne l’accès des femmes aux opportunités économiques, fortement impacté par la crise du Covid-19 », précise Nathalie Delapalme, directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim.

de la population, conduisant à davantage d’innovation, de croissance économique et de progrès social » Néanmoins, même lorsque des lois ambitieuses sont votées, les progrès tardent parfois à se concrétiser… En mai dernier, l’association féministe internationale Equality Now s’est penchée sur vingt pays d’Afrique subsaharienne. Elle observe que, malgré des avancées législatives réelles, malgré le Protocole de Maputo (signé en 2003 pour garantir les droits des femmes et ratifié par 44 pays membres de l’Union africaine), des « lois coutumières et des traditions religieuses rendent parfois difficile l’application des lois ». C’est notamment le cas pour le respect des droits à l’héritage des veuves

Da ns la qu asitota li té des p ays du contin ent, l’égal ité de gen re progresse

La plupart des pays prennent cependant des mesures pour favoriser la participation des femmes dans l’économie. La Côte d’Ivoire et le Gabon « montrent l’exemple », estime la Banque mondiale dans une note publiée en novembre 2023, en mettant en place des réformes pour renforcer l’accès des femmes à l’emploi comme au crédit, les prémunir de toute discrimination dans l’obtention de facilités bancaires, et bien sûr les protéger des violences domestiques. Ces mesures « ouvrent de nouvelles voies afin que les femmes puissent accomplir leurs aspirations professionnelles ». Le Togo a, lui, voté fin 2022 plusieurs lois pour interdire les discriminations à l’accès au crédit, lutter contre les violences domestiques et favoriser l’égalité des droits des mariés « Ces réformes ont créé un environnement qui permet aux femmes de participer davantage à l’économie, contribuant au développement socio-économique général », estiment dans une note deux responsables de la Banque mondiale, Paula Tavares (Brésil) et Dion Benetatos (USA). Ils insistent sur le fait que ces réformes profitent aux femmes, mais aussi à toute la société : « En souscrivant à l’égalité des genres, nous déverrouillons le potentiel complet de la moitié

ou l’interdiction du viol conjugal La plupart des pays ont par exemple interdit le mariage des mineures. Mais dans le nord du Nigeria, plus de vingt ans après cette interdiction, une fille sur deux est mariée avant son dixhuitième anniversaire… « On assiste, de plus, aujourd’hui à un backla sh de mouvements opposés aux droits des femmes », notamment sur les questions des mutilations génitales et du mariage des mineures, observe Esther Waweru, avocate d’Equality Now En octobre dernier, la Cour de cassation du Maroc a cassé le jugement de la Cour d’appel de Tanger qui, en 2019, avait pour la première fois condamné un viol conjugal La juriste kényane déplore également la « stagnation » législative, quand des textes de lois restent « dans les limbes pendant des décennies » en attendant d’être promulgués ■ C.G.

l’immigration indispensable à l’économie. Ca r à l’ère des réseaux sociau x, omniprésents et addictifs, peu importe la réalité des faits : le biais de confirmation vient mécaniquement conforter le citoyen impr udent da ns ce qu’il croit savoir Au détriment de la qualité des débats… et de la démocratie !

DES INFR ASTRUCTURES PARTOUT EN PROGRÈS

Cette envolée des réseau x sociau x en Afrique – pas toujours bénéfique, on le voit – est pour tant l’une des conséquence s d’une autre évolut ion, fort positive : la prog ression de s équipements internet et de téléphonie mobile. Pour la quasi-totalité de la population cont inenta le (95,7 %), les in frastr uctures se sont améliorées ces di x dernières an nées, avec une accélération depuis 2019 dans 24 pays rassemblant environ un tiers des Africains. Les progrès sont nota mment très visibles au Ma roc, au Sénéga l ou au Bén in Les améliorations sont aussi substantielles en matière d’accès à l’énergie. Et deux tiers de la population af ricaine vivent dans des pays où, globalement, la situation de l’habitat s’améliore. « Beaucoup reste encore à faire, observe Nathalie Delapal me, en pa rt ic ul ier en ce qu i concer ne les infrastr uctures de transport intracontinentales – à l’instar, par

exemple, du corridor de Lobito », entre l’Angola, la RDC et la Za mbie. Autre prog rè s considérable : l’amél iorat ion de la parité entre hommes et femmes [encadré]. En fi n, la lutte cont re le changement climatique et contre les menaces pesant sur la biodiversité s’est généralisée : dans 45 pays, rassemblant 90 % des Af rica ins, la pr ise en compte de la notion d’envi ronnement du rable s’améliore – même si, une fo is en co re , le ryt hm e de ce s pr og rè s a ra le nt i depuis 2019 et la succession de crises amputant les budget s ! Le rappor t soul ig ne nota mment les belles performances du Togo dans ce domaine. Ces progrès quantifiables méritent d’être mis en avant. « La totalité des données de l’II AG 2024 est librement dispon ible, préci se Nat ha lie De lapa lme. Mi-novembre, l’ II AG 2024 avait fa it l’objet d’une couver ture dans 79 pays, dont 39 africains, y compris en langues bambara, foula, haoussa, kinyar wanda et swahili. » Justement, la transparence et la responsabilité des administrations sont en nette progression sur le continent : « Un nombre croissant de pays af ricains adoptent des lois de droit à

« Consolider la démocratie implique de ne plus la résumer à la simple tenue d’élections tous les quatre ou cinq ans. »

l’information », en rendant accessibles au public les textes et les documents, note Joseph Asun ka « Cela s’accorde fortement au x at tentes des citoyens », souligne-t-il. Et c’es t sa ns contes te l’un des moyens de résoudre ce décalage entre la réalité et sa perception : « Lorsque les citoyens peuvent aisément accéder à l’in format ion publ ique, il s font davantage confiance aux autorités et ont moins tendance à les considérer comme corrompues », ce qu i en retour « accroît le sout ien popu la ire à la dé mo cr at ie », poursuit Asunka C’est aussi l’un des enseignements de cette radiog raph ie du cont inent : ce s di x de rn iè re s année s, le s citoyen s af rica in s sont devenus davantage exigeants !

Comment tr adui re ce re ga in d’at te nt es en réal isat ions, de façon à amél iorer concrètement la vie des Af ricains, redonner espoir à la jeunesse et lui év iter de céder aux sirènes de l’exil ou de l’extrémisme ? Au niveau économique, la mi se en place depu is 2021 de la ZLEC Af (dont les impacts, trop récents, ne sont pas vraiment quantifiables dans l’II AG 2024) peut permet tre d’accélérer le développement, en ma ximisant le potentiel considérable du continent africain (notamment pour la croissance verte) ; l’intég ration économique peut aussi exercer un impact positif sur la réduction des tensions régionales. Au niveau politique, consolider la démocratie implique de ne plus la résumer à la si mple tenue d’élec tions tous les quat re ou cinq ans : « Il faut accorder une importance croissante à la démocratie locale, beaucoup plus signif icative pour les citoyens, estime Nathalie Delapal me Pa r exemple au Sénéga l, le Pastef et sa Yewwi Askan Wi avaient déjà remporté à une large majorité les élec tions loca les de 2022, bien avant l’élection présidentielle de 2024. » ■

LE COUP D’ÉTAT : UN REMÈDE QUI ACHÈVE LE MALADE

Le c ap itai n e b ur ki nab è Ib ra him Traoré, à ga uche, au x côté s du cap itaine Kiswe nd si da Fa rouk Azar ia So rg ho, lor s du coup d’État du 30 septe mbre 20 22

Dans les pays sahéliens où des gouvernements élus ont été renversés par des juntes militaires, la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée, bien au contraire.

L’insécurité, en menaçant les citoyens de perdre leurs biens, leur vie et celle de leurs proches, peut les conduire à opter pour la manière forte. À appuyer un coup d’État militaire, afin de renverser des autorités civiles perçues comme incapables de les protéger.

Le Sahel est confronté, depuis l’effondrement de l’État libyen en 2011, à un afflux d’armes et d’insurgés, alimentant une galaxie transfrontalière de groupes armés djihadistes, criminels et séparatistes Depuis 2020, la région a vécu une vague de putschs qui a mis successivement un terme aux institutions démocratiques du Mali (janvier et août 2020), du Burk ina Faso (septembre 2022), puis du Niger (juillet 2023).

Dans ces trois pays, les putschistes ont légitimé leurs coups de force par un désir de répondre aux aspirations populaires en mettant fin à l’insécurité et à la corruption, sur fond de rejet de l’ancienne puissance coloniale française et de ses troupes. Le colonel Assimi Goïta (Mali), le capitaine Ibrahim Traoré (Burkina Faso) et le général Abdourahamane Tchiani (Niger) semblent bénéficier d’une certaine popularité : selon les enquêtes d’opinion menées entre 2021 et 2023 par Afrobarometer, près de 80 % des Maliens et deux tiers des Burk inabè se disent favorables à un régime militaire. « L’effet d’attentes insatisfaites et de promesses non tenues, mais aussi la difficulté à gérer un risque essentiellement régional dans un

contexte d’isolation croissante », commente Nathalie Delapalme, directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim. Pourtant, la situation sécuritaire s’est dégradée dans les trois pays dirigés par les putschistes, malgré le renfort des paramilitaires russes : « Le calendrier électoral n’a pas été tenu et ni les conditions de vie ni la sécurité ne se sont améliorées », constate la fondation Mo Ibrahim dans un rapport intitulé « Un coup d’État n’est pas la solution », publié en octobre 2023. Le Burk ina Faso subit désormais une moyenne de 53 attaques djihadistes chaque mois, contre 47 avant le putsch, et environ la moitié du territoire échappe au contrôle étatique L’enquête a été réalisée avant le massacre de Barsalogho – entre 130 et 300 victimes. Deux tiers des Burk inabè jugent leurs conditions de vie « mauvaises », contre 40 % avant le coup d’État Au Mali, la superficie contrôlée par les djihadistes a doublé depuis le putsch Le nombre d’attaques contre des civils a lui aussi presque doublé (49 par mois, contre 25 avant les putschs). Le Mali se classe désormais 48e sur 54, et le Burk ina 49e – il n’existe pas d’informations pour le Niger. « Les données montrent que les coups d’État n’ont eu aucun impact positif sur les situations sécuritaires qu’ils étaient censés résoudre, observe la Fondation Mo Ibrahim Ils ont au contraire entraîné une augmentation de l’insécurité et une aggravation de la situation intérieure. » ■ C.G.

Nathalie Delapalme

Directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim et cosecrétaire générale de la Fondation Afrique-Europe

« Les inégalités au niveau infranational peuvent alimenter l’insatisfaction »

Répondre aux attentes de la jeunesse doit être la priorité. La croissance verte peut constituer l’une des clés

AM : L’IIAG 2024 constate une dégradation inquiétante des conditions d’exercice de la démocratie. Nathalie Delapalme : Des 16 sous-composantes de l’II AG, la Participation est, avec la Sécurité, celle qui affiche la trajectoire la plus préoccupante sur la décennie 20142023. Plus de 77 % de la population vivent en 2023 dans un pays où la participation démocratique est moins bonne qu’en 2014, et plus de 30 % dans un pays où cette dégradation s’est accélérée depuis 2019. Une évolution essentiellement tirée par la détérioration des indicateurs Liberté d’association et de réunion et Espace accordé à la société civile. On relève aussi le rétrécissement en matière de Libertés digitales dans 40 pays (plus de 65 % de la population du continent).

Comment comprendre le recul constaté de l’adhésion aux valeurs et institutions démocratiques ?

Le système démocratique prôné par les partenaires occidentaux, qui en font souvent une condition essentielle de leur appui, ne paraît pas en mesure d’apporter des réponses adéquates, tant aux grands défis globaux (climat, pandémies, conf lits, etc.) qu’aux attentes de la vie quotidienne (perspectives d’emploi, santé, sécurité, justice, etc.). Selon la dernière enquête d’Afrobarometer, une majorité de citoyens africains (66 %) – 64 % chez les jeunes – continuent d’accorder leur préférence à un régime démocratique, « le moins mauvais des systèmes ». Mais la confiance accordée aux élections nationales a chuté de 8 points en moyenne pour les 30 pays observés. L’instabilité croissante dont témoignent la recrudescence des coups d’État et la montée des troubles sociaux reflète cette défiance à l’égard des valeurs et institutions démocratiques. Certes, cette distanciation de la démocratie au profit de systèmes autocratiques – incarnés en Afrique par les juntes militaires – n’est pas l’apanage du

seul continent. Mais elle est particulièrement préoccupante pour l’Afrique, parce qu’elle fragilise les progrès acquis en matière de développement humain et économique, et compromet gravement ceux qui restent à accomplir. Les perceptions des citoyens en matière d’opportunités économiques et de sécurité se dégradent, même lorsque des progrès sont constatés ! Comment expliquer ce décalage ?

« 600 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du continent, n’ont toujours pas accès à l’électricité. »

Le décalage constaté entre une amélioration conséquente – près de 3 points sur la décennie 20142023 pour la composante Opportunités économiques – et les perceptions du public en la matière – qui reculent de plus de 12 points – interpelle. Il peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs D’abord, le fait que l’apparition même de progrès suscite des attentes croissantes, de moins en moins satisfaites. Ensuite, le fait que les informations qui circulent, notamment via les réseaux sociaux, ont plutôt tendance à souligner ce qui ne marche pas, ou marche moins bien qu’ailleurs Enfin, la limite actuelle des données disponibles : il s’agit de moyennes nationales, qui n’appréhendent donc pas les inégalités sur le terrain entre zones géographiques, entre générations et entre catégories sociales. Ce sont ces inégalités au niveau infranational, vraisemblablement croissantes, qui peuvent alimenter l’insatisfaction. Cette tendance lourde doit être prise en considération, car les attentes non satisfaites engendrent frustration et colère, notamment chez une jeunesse largement majoritaire sur le continent, et conduisent inév itablement à des situations conf lictuelles Quels facteurs peuvent expliquer les disparités ?

On ne peut réduire cet immense continent à une simple moyenne unique C’est une mosaïque de 54 États disparates, avec des géographies et des économies différentes. Il y a peu de points communs entre l’Algérie, qui s’étend sur près de 2,5 millions de km2, et l’archipel des Seychelles, qui en couv re à peine 400, ou entre le Nigeria et ses 225 millions d’habitants et Sao Tomé avec un peu plus de 200 000 habitants. Bien sûr, il faut considérer

la solidité des institutions et la capacité des dirigeants à adresser les multiples défis auxquels ils sont confrontés – bien supérieurs à ceux des pays déjà développés –, en particulier à répondre aux attentes d’une jeunesse toujours en forte croissance. C’est là que se situe l’enjeu prioritaire en matière de gouvernance et de leadership. Un aspect positif : les infrastructures progressent globalement. Les ef forts d’investissements et les politiques publiques portent leurs fruits ?

Des 16 sous-composantes de l’Indice, celle dédiée aux infrastructures progresse le plus, gagnant plus de 7 points au niveau du continent. Pour 95 % de la population, la situation en la matière est meilleure en 2023 qu’en 2014 Ce progrès est essentiellement lié à l’amélioration des équipements digitaux et de communication, et, dans une moindre mesure, de l’accès à l’énergie Cela dit, il est essentiel de considérer à la fois la trajectoire accomplie au cours de la décennie sous rev ue, et le niveau atteint en fin de période. Pour les infrastructures, ce niveau reste encore faible, puisque cette dimension ne figure qu’au 14e rang des 16 sous-composantes de l’II AG. Ainsi l’indicateur relatif aux infrastructures de transport se classe en 2023 parmi les derniers des 96 de l’II AG. Mais les investissements des gouvernements et de leurs partenaires portent leurs fruits. La transition énergétique est- elle globalement sur la bonne voie ?

L’indicateur mesurant l’accès à l’énergie des populations figure parmi les dix indicateurs de l’II AG qui ont le plus progressé au cours de la décennie 2014 -2023. Néanmoins, là encore, le niveau atteint en 2023 reste l’un des plus faibles de l’II AG et est notoirement insuffisant 600 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du continent, n’ont toujours pas accès à l’électricité. Il est essentiel que cette transition se fasse dans des conditions qui

accélèrent l’accès de tous à l’énergie Sans cela, pas de santé, pas d’éducation, pas d’emploi, pas de développement, et davantage de conf lits. Le continent possède indubitablement des sources d’énergies renouvelables multiples et conséquentes – solaire, éolien, hydraulique. Il n’en reste pas moins que les seules énergies renouvelables ne seront pas en mesure d’équiper à court terme 600 millions de personnes. Le gaz, de loin la moins polluante des énergies fossiles, produit par 18 pays du continent, demeure en l’état actuel une énergie de transition indispensable. Mais cela suppose d’accélérer les investissements, non pas tant en matière de production pour l’exportation qu’en matière de stockage et de distribution au profit des populations locales. Demeure la question de l’avenir des mégalopoles africaine face au changement climatique et à la croissance urbaine : comment répondre à ces défis ?

La conjonction d’une forte croissance démographique et d’un taux d’urbanisation encore très faible – deux fois moins que l’Amérique latine – fait que l’Afrique devrait enregistrer le taux de croissance urbaine le plus rapide du monde d’ici 2050. Cette croissance devrait d’ailleurs plus se manifester sous la forme d’une multiplication des villes moyennes que la poursuite de l’extension des mégalopoles existantes. Le potentiel de développement du secteur agricole pourrait également conduire à une modification des perspectives d’aménagement des territoires. Il reste crucial d’inscrire cette forte croissance urbaine dans le contexte du bouleversement climatique Cette demande exigeante ouvre aussi des perspectives considérables : l’Afrique et ses partenaires pourraient démontrer leur capacité à concevoir et construire des villes et des infrastructures climato-compatibles, capables à la fois de résister aux impacts du changement climatique, et de diminuer l’empreinte carbone des matériaux et procédés utilisés ■

Pa rc éo li en du G houb et à Djib outi

po uvoi r

Sénégal L’énigme Sonko

Il est Premier ministre, mais il n’est pas Président. Pourtant, il est incontestablement au cœur de la révolution en cours, dont les échos vont bien au-delà des frontières du pays. À la fois souverainiste et panafricain, conservateur et pragmatique, impulsif et à l’écoute, il porte surtout l’espérance de changement d’une grande partie de la population… Tentative de portrait en cinq actes. par Zyad Lim am

Acte I. L’élection présidentielle du 24 mars 2024 donne une première idée de la lame de fond. Bassirou Diomaye Faye, libéré de prison quelques jours plus tôt, rempor te l’élection présidentielle au premier tour, sa ns coup férir, avec 54 % des voix Il est présenté et soutenu par son mentor Ousmane Sonko, libéré lui aussi quasiment à la veille du scrutin, mais inéligible. C’est une victoire sans conteste, la fin de plus d’une décennie Macky Sall (2012-2024), une alternance spectaculaire, le marqueur de la volonté d’une rupture profonde, multidimensionnelle, à la fois générationnelle, sociale, sociétale et politique. Le rejet d’un modèle d’émergence et de gouvernance « libérale », qui n’aurait profité qu’à certaines « élites ». Le Sénégal bouleverse la scène. En passant par le chemin institutionnel, le vote, en év itant la bascule violente ou le mirage et les

Le Premier mi nis tre Ousma ne Son ko (à ga uc he) au x côté s du p ré sid ent de la Répu bl ique Bas sirou Di om aye Fa ye (à droi te) dans la cour du pal ais présidenti el

impasses du coup d’État. Et en portant à la tête de la nation des opposants jeunes, la quarantaine, pour beaucoup issus d’un milieu modeste et de la méritocratie locale.

Acte II. Bassirou Diomaye Faye s’installe au palais de la présidence. Et Ousmane Sonko devient son Premier ministre. L’Assemblée nationale incarne la nouvelle opposition, avec une majorité relative issue du régime précédent. Huit mois se passent, souvent difficiles, tant sur le plan économique que social et politique. Avec une complexe « passation de régime ». Il s’agit de succéder à la présidence forte, celle de Macky Sall De rassembler un pays qui s’est déchiré au cours des derniers mois. D’installer de nouvelles équipes. De maintenir à flot le bateau Sénégal, d’appréhender les mécanismes gouverne-

mentaux, de répondre aux promesses de campagne, de tenir compte des équilibres et des déséquilibres macroéconomiques Les embardées sont fréquentes. Déclarations intempestives, parfois contre-productives, en particulier sur le plan financier, guerre larvée avec la presse nationale, relations tendues avec ceux qui ne sont pas d’accord… Le nouveau gouvernement mène aussi une campagne d’audits, de chasse aux « contrats corrompus », qui effraie le monde des affaires Et les affaires sont assez largement paralysées. L’État est à sec, paie peu ou mal. Les relations avec le FMI sont tendues, au bord de la rupture. Le fameux « projet », celui de la transformation économique et sociale du pays, est annoncé en octobre. Il paraît ambitieux, sachant que dans le monde plus ou moins feutré des institutions financières internationales, on se demande

Le cas de figure est inédit. On évoque parfois des coups de chaud et des montées de voix. Et puis des réconciliations rapides.

bien comment tout cela pourra être financé sans mettre en place des réformes de fond (ingérables par ailleurs sur le plan social, comme la fin des subventions).

Avec Mack y Sall, la rupt ure est profonde. L’ancien président vit comme en exil, il parcourt le monde. Son « procès », celui de ses proches, de certains de ses ministres est instruit quotidiennement sur la place publique, sur la thématique du détournement de fonds généralisé, de l’enrichissement illicite. Les acquis, certains bien réels, sont passés par pertes et profits. L’ancien président veut rester en politique, à la tête de son parti, il cherche à rassembler ses troupes. Les images presque bienveillantes de mars 2024, lors de la passation de pouvoir, sont déjà bien loin.

On observe ce nouveau pouvoi r s’in stal ler, ce « duo » exéc utif surprenant, assez unique, incarné pa r le Premier ministre Ousmane Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye. Les deux leaders ont une histoire commune, ils ont mené une véritable odyssée ensemble, celle de la création et de la montée au pouvoir du Pastef Ils sont comme les deux faces d’une même pièce. Comme des frères qui auraient fait un serment de loyauté. Ils ont des codes traditionnels entre Sérère et Diola. Diomaye a même un fils qu’il a appelé Ousmane. Mais le plan A, c’était bien évidemment Ousmane Sonko, fondateur du parti, le héraut des militants, lui qui est en première ligne depuis 2016 Lui qui se présente déjà à l’élection de 2019 (où il obtient un score d’un peu plus de 15 %). Lui qui a mené la lutte frontale avec Macky Sall Ses arrestations multiples, ses détentions, en particulier à la suite d’une triste affaire de viol, entraîneront émeutes, répressions et victimes. C’est Ousmane Sonko qui a décidé d’encourager la candidature alternative de Diomaye Faye à la présidentielle pour « protéger le projet ». C’est Sonko, étonnamment libéré par Mack y Sall, qui va électriser la campagne C’est lui, le chef Mais ce n’est pas lui, le président.

Entre les deux hommes, forcément, les tensions ne sont pas absentes Diomaye rassure, son domaine de compétences constitutionnelles est large, nous sommes dans un régime présidentiel Il incarne le régalien, c’est lui qui annonce le retrait progressif des troupes françaises du Sénégal. C’est lui qui préside les cérémonies liées au 80e anniversaire du massacre du camp de Thiaroye, lui qui voyage et rencontre les chefs d’État homologues Le président « parle » aux élites traditionnelles, qui voient en lui un possible contrepoids à Sonko, l’impétueux, le populaire, l’incarnation de ce Sénégal soucieux de rupture. L’équilibre entre les deux têtes de l’État est subtil. L’ambition et les entourages jouent leur rôle, les différences de fond et de tempérament également. Mais Ousmane Sonko reste le centre de grav ité politique, l’hyper-Premier ministre adoubé par le peuple avec l’élection législative. On l’a dit, le cas de figure est réellement inédit On évoque parfois des coups de chaud et des montées de voix. Et puis des réconciliations rapides. L’un se rendant chez l’autre, et vice versa, pour vider le début de contentieux et aller de l’avant… L’aventure du « duo » ne fait que commencer. Ils ont besoin l’un de l’autre. Pour le moment.

Acte III. Novembre Le duo engage donc la dissolution de l’Assemblée nationale, au terme du délai imposé par la constitution. Le pays entre en campagne pour les législatives. Ousmane Sonko arpente le territoire Il sait Il fait appel à ses militants et électeurs pour financer l’opération. Les petits dons affluent, c’est un signe… Le Pastef y va seul, sans alliance, certain de sa dy namique. L’opposition se dit pourtant qu’il y a un coup à jouer. Qu’il y a moyen de déstabiliser le nouveau pouvoir. Qu’il est possible d’avoir suffisamment de députés pour peser. Et se protéger aussi. Le bilan de ces derniers mois aurait, dit-on, ref roidi une partie des électeurs. Mack y Sall prend la tête d’une liste, il fait une campagne de loin, l’opposition avance en ordre dispersé L’erreur d’appréciation est patente et les résultats sont sans appel. Le Pastef emporte tout sur son passage. Avec 55 % des voix et 130 sièges sur les 165. Les ténors de l’opposition sont même battus chez eux, dans leur circonscription.

Acte IV. La présidentielle, c’était le moment de Bassirou Diomaye Faye. Les lég islatives, c’est bien le moment et la victoire d’Ousmane Sonko. Certes, comme toujours au Sénégal, les législatives viennent confirmer la présidentielle Et comme souvent, les majorités sont confortables, à l’exception d’ailleurs notable de celles issues des élections de 2022. Mais la signification, cette fois, semble bien différente Nous ne sommes plus dans une alternance prév isible, entre partis historiques et traditionnels, nous ne sommes plus da ns une forme d’entre- soi. Nou s sommes da ns u n sc héma de rupt ure. Une clas se politique tout entière ou presque est ba layée – social istes, libéraux, héritier s d’Abdou laye Wade, ac teurs post-Mac ky, Amadou Ba, Ba rt helemy Dias Un peu

plus de di x an s après sa création, le Pa stef s’est in st al lé au cent re de la scène politique, et Ousma ne Sonko au cœu r du pouvoi r. Avec sa s up er-m ajor ité, le pa rt i es t doté de tous le s moye ns pour mettr e en œuv re le fa meu x « pr ojet », cette révolut ion économ ique, sociale, in st it ut ionnel le ta nt at tendue pa r les Sénéga la is. Quasiment une nouvel le républ ique Su r le pl an politique, la mè re de s ré formes sera it de promouvoir une prat ique du pouvoi r plus décentr al isée, plus in st it ut ion ne lle, qu i s’ém anciper ait de l’ hyperprésident ia li sme, de cette not ion selon laquel le un seul homme ou une seule fe mme peut êt re le ce nt re de tout. Cer ta ines in st it ut ion s consultatives « budgét ivores » seront da ns le coll imateu r, comme le Consei l économ ique, social et envi ronnementa l (C ESE) et le Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT). On parle aussi de l’abrogation de la loi d’amnistie, votée dans les tout derniers jours du mandat de Macky Sall, qui exempte de poursuites toutes les personnes impliquées dans les manifestations et leur répression entre février 2021 et 2024 Et surtout de l’instauration de la Haute Cour de justice. Une institution qui aura pour mission de juger les ministres et officiels qui ont eu à gérer les deniers publics et qui sont aujourd’hui épinglés dans différents scandales ou accusés de mauvaise gouvernance.

Év idemment, les observateurs locaux et internationau x cherchent à décr ypter le personnage À définir le sonkoisme. Le mouvement ratisse large dans une société fragilisée et en attente. Il entraîne avec lui la jeunesse déshéritée des quartiers périurbains et des cités, les enfants de la démographie, de l’exode rural, de l’échec des systèmes scolaires, les étudiants sans perspectives ni débouchés. Mais aussi les sa la riés, la petite bourgeoisie urbaine et rurale privée d’opportunités, et des cadres séduits par la promesse d’un nouveau modèle (et d’autres par pur opportunisme, pratiquant avec une certaine habileté la transhumance).

UNE FIGURE AMBIVALENTE ET INSAISIS SABLE

Le patron du Pastef s’inscrit dans une certaine gauche néomar xiste, altermondialiste, à la recherche de nouveaux héros (et orpheline depuis la mort de Thomas Sankara). Il se positionne aussi, « en même temps », comme un conser vateur intransigeant sur les valeurs traditionnelles. Il est musulman pratiquant et polygame (avec deux épouses). En mars 2022, il déclarait vouloir durcir la loi criminalisant l’homosexualité (passible actuellement d’un à cinq ans de prison) dans « un souci de préser vation de l’humanité ». Inspecteur des impôts, ex-cadre du ministère des Finances, il n’est pas particulièrement proche de l’esprit d’entreprise. Il se proclame souverainiste, patr iote et panafr icain. Tout en étant, semble-t-il, pragmatique, même sur des questions qui furent au centre de la campagne présidentielle, comme l’abandon possible du FCFA, la reforme ou le démantèlement de la Cedeao. Il n’a guère voyagé, il ne connaît pas bien le monde, par culture, il

Le 12 nove mbre 20 24,

n’est pas fasciné par l’Occident, il alterne le chaud et le froid dans ses relations avec la France, il porte haut l’étendard de la tragédie des soldats du camp de Thiaroye. Pour Sonko, l’objectif n’est pas de remplacer « les uns par les autres », l’objectif, c’est de « rester libres et dignes ». Mais le système s’adapte et compense par l’intense activité diplomatique du président Diomaye Faye, qui maintient les canaux traditionnels ouverts, tout en annonçant une possible visite à Moscou.

Au fond, il y a aussi le saut quantique, le passage d’opposant, de mobilisateur des foules, à responsable d’un gouvernement, d’un État, d’une équipe de ministres et de décideurs. Ousmane Sonko est encore en apprentissage, en formation. Et les actes et les mots d’aujourd’hui pèsent bien plus lourd que ceux d’hier… Comme le souligne un proche du Pastef, « la conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir sont des choses bien différentes ».

Pour un autre observateur averti de la scène sénégalaise, il faut surtout et avant tout comprendre de quoi Ousmane Sonko est le nom. « Ce qu’il dit, ce n’est pas lui qui le dit. C’est la très grande majorité du Sénégal. Il agit comme un porte-voix. Il incarne une demande puissante de changement, de rupture sociétale. La fin d’un modèle, la fin d’un système qui favoriserait les élites et les inégalités, qui délaisse les petites gens, le peuple et les jeunes. Sonko incarne aussi l’importance, la nécessité de la réédition des comptes. Il sait que c’est attendu. Et il pense à la fois idéologiquement et stratégiquement qu’il faut en passer par la. » Et notre observateur d’ajouter : « Si l’on fait l’impasse sur le Pastef, sur Ousmane Sonko, si on l’em-

Nous sommes dans un schéma de rupture. Une classe politique tout entière ou presque est balayée.

pêche d’une manière ou d’une autre, c’est là que la violence peut intervenir, que la révolution peut mal tour ner, que la foule peut exploser, que le coup d’État dev ient une possibilité. Sonko canalise la colère et la demande. Il promet une solution. De ce fait, il stabilise le pays Et en ce sens, on a tous intérêt à ce qu’il réussisse. » Quoi qu’il en soit, Ousmane Sonko est bien décidé à agir. Au cœur de l’exécutif, de la bagarre. Pas sur un strapontin ou inversement sur un lointain Aventin. Il centralise beaucoup – trop, certainement –, la plupart des dossiers remontent à la primature. Le personnage, on l’a dit, peut être impulsif, impé-

La tragédie du camp Thiaroye

Le 1er décembre 1944, près de Dakar, des centaines de tirailleurs de retour de la guerre réclament leurs droits. La répression est sanglante. Un crime colonial doublé d’un crime d’État. Dans une lettre au président Bassirou Diomaye Faye, son homologue français reconnaît enfin qu’il s’agissait d’un « massacre ».

Novembre 1944 Après quatre années de captivité dans les stalags allemands, des milliers de tirailleurs sont rapatriés par bateau en Afrique. Mais à leur arrivée au camp militaire de Thiaroye, à une quinzaine de kilomètres de Dakar, ils se rendent compte que les autorités françaises rechignent à leur payer les arriérés de soldes… Le 27 novembre, ils protestent en refusant de monter dans le train pour Bamako. « Ces sommes d’argent conséquentes auraient pu changer le cours de la vie de ces hommes à leur retour dans leurs villages », explique l’historien Martin Mourre dans un récent entretien au CNRS Le général de division Marcel Dagnan leur promet d’examiner leurs revendications Mais en réalité, il prépare la répression : le matin du 1er décembre, les automitrailleuses du 6e régiment d’artillerie coloniale déciment les contestataires…

Le bilan officiel fera état de 35 à 70 victimes – un chiffre encore repris, en 2014, par le président français François Hollande lors d’une visite au Sénégal. Mais les historiens estiment le bilan réel à des centaines de morts. Ils en veulent pour preuve un document de la police militaire, antidaté, mentionnant la « désertion de 40 0 tirailleurs » lors d’une escale de leur navire à Casablanca. Étrangement, aucun autre rapport ne mentionne cette prétendue désertion massive, qui a probablement servi à effacer des registres les noms de quatre cents victimes du massacre de Thiaroye…

seule ce bout d’histoire tragique » La réaction du Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, à cette annonce montre à quel point l’omerta qui a prévalu – côté français – pendant plusieurs décennies sur ce massacre a laissé des traces profondes. « Une décision qui pourrait être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie », a commenté la secrétaire d’État française aux Anciens combattants, Patricia Mirallès Ce qui lui a valu cette réplique cinglante du Premier ministre Sonko : « Ce n’est pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver ».

Le 1er décembre, le président Diomaye Faye a tenu une cérémonie solennelle et officielle marquant

En juillet dernier, les autorités françaises ont enfin reconnu que quatre Sénégalais, un Ivoirien et un Burkinabè, soit six victimes, étaient « morts pour la France ». Un statut juridique, et donc historique, important « La France ne pourra plus ni faire ni conter

le 80e anniversaire de cette tragédie En présence des présidents mauritanien, gambien, bissau-guinéen et comorien La création d’un mémorial et d’un centre d’études a été annoncée. En attendant, il est toujours possible de revoir Camp de Thiaroye, le magnifique film de Sembène Ousmane, coréalisé avec Thierno Faty Sow en 1988 Prix spécial à la Mostra de Venise la même année, le film ne sortira en France qu’en 1998 dans quelques rares salles d’art et d’essai. Il a été rediffusé à l’occasion du Festival de Cannes 2024, dans la sélection Cannes Classics, qui reprend les grandes œuvres du cinéma mondial Un hommage bien tardif, mais nécessaire ■ Cé dr ic Go uv ern eu r et Zy a d Lim am

tueux. Il n’aime pas qu’on lui marche sur les pieds, il réagit Mais il écoute aussi. Il cherche, dit l’un de ses proches, à corriger les erreurs. Et la culture politique du Pastef implique du dialogue et des échanges entre les leaders, qui peuvent être, dit-on, assez vifs Lors de la campagne, Sonko s’était emporté cont re les troupes de Bart helemy Dias, maire de Da kar et ancien allié, accusé de violences et d’outrances verbales (avérées). « Que chacune des agressions subies par Pastef de leur part depuis le début de la campag ne, que chaque patriote qu’ils ont agressé et blessé soit propor tionnellement vengé Nous exercerons not re droit légitime à la riposte », avait-il alors écrit sur Facebook, dans la nuit du 11 au 12 novembre. « Barthelemy Dias et sa coalition ne doivent plus battre campagne dans ce pays », avait-il ajouté. Le lendemain matin, à la suite d’intenses débats internes, Sonko appelait finalement ses militants à « continuer la campagne dans le calme et la paix pendant les jours qui restent ». « Le PM sait ce qu’il veut, poursuit l’un de nos témoins. Il veut aller de l’avant, il a clairement une volonté d’affirmer son autorité Mais il écoute. Et il faut l’engager, ouvrir la discussion avec lui. »

Acte V. Le pays sort aussi d’une longue séquence électorale, fortement politisée, ou il fallait mobiliser les troupes Une page se tourne, une nouvelle phase arrive, avec certainement une forme de normalisation, d’af frontement du réel aussi, celui de la situation économique et sociale du pays. Comme le souligne cet investisseur, « la réédition des comptes ne peut pas serv ir de politique économique ad vita m aeternam Il faut relancer la machine, remett re de la conf iance dans le système, renouer avec les principaux partenaires locaux et internationaux ». Le défi est de taille. Le Sénégal reste classé comme un pays pauv re, avec un PIB de près de 30 milliards de dollars, aux alentours de la 20e place du continent. Un pays en urgence sociale. L’âge médian y est de di x-neuf ans. Et 70 % des Sénégalais ont moins de trente ans. Chaque année, plus de 200 000 jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail. Beaucoup veulent un emploi, un logement, se marier D’autres, désespérés, partent sur les pirogues, au péril de leur vie. D’ici 2050, la population devrait doubler, avec plus de 50 millions d’habitants. Le « projet » porté par le Pastef est porteur d’une philosophie séduisante. Celle de l’émancipation par la transformation des modes de productions. Par l’intégration des chaînes de valeur Par la création de richesse locale Par l’industrialisation. La stratégie, c’est de ne pas tomber dans le piège d’une continuité habilement aménagée (celle d’une reprise habile des anciens PA ES). Mais comment le « projet » pourrait-il réussir sans appui extérieur, sans apport de capital et d’expertise ? Comment ne plus être uniquement producteur de matières premières ? Comment transformer la pêche, les mines, rééquilibrer les fr uits de l’exploitation du gaz et du pétrole, s’inscrire dans une politique ambitieuse d’exploitation et de transformations de phosphate ? Comment promouvoir

Il y a ici le passage d’une époque à une autre, une recherche de ce que pourrait être un autre système, un nouveau chapitre.

les politiques d’import-substitution ? Le projet vise également à réduire sensiblement la dette extérieure et à doubler le revenu moyen par habitant en cinq ans. À quitter dans le même laps de temps la zone des pays à développement humain faible pour passer à celle des pays à développement moyen. Mais tout cela nécessite de la cohérence, de la stabilité. Et comme le savent tous les hommes et les femmes de pouvoir, il y a le court terme et le moyen terme, il y a les besoins de croissance pour financer le social, il y a des besoins de financements pour l’État et les entreprises…

L’HISTOIRE SE JOUE À DAKAR

Le Sénégal a des atouts, du talent, de l’intelligence, une démocratie, une grande façade maritime, des ressources naturelles. Pour réussir, il faudra apaiser le climat politique, sortir des querelles permanentes et inutiles. Pour réussir, il faudra attirer des vrais talents, des créateurs, des techno-opérationnels, mobiliser les forces, favoriser la croissance, la confiance, l’investissement. Pour réussir, il faudra faire preuve à la fois d’audace, d’habileté, de séduction, de réalisme et de pragmatisme. Un exercice d’équilibriste.

Au fond, comme nous l’avons déjà éc rit da ns Af rique Maga zine [A M 454, avril 2024], quelque chose d’avant-gardiste, d’histor ique, se joue à Da kar. Ce besoin de changement systémique, la permanence des inégalités, leur ref us, la furieuse envie de vivre des jeunes, de s’émanciper, interpelle toute l’Afrique ou presque. Il y a ici le passage d’une époque à une autre, d’une lignée générationnelle à une autre, une recherche de ce que pourrait être un autre système, un nouveau chapitre de la très longue histoire de la décolonisation et la construction de l’Afrique moderne. Changer le monde, changer le Sénégal, ne se fera pas du jour au lendemain Mais que l’on soit en accord ou en désaccord sur le plan idéologique, le pays a intérêt à ce qu’Ousmane Sonko – et Bassirou Diomaye Faye – ne trébuche pas sur une partie de ce chemin ■

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De s an al ys es et de s po in ts de vu e in édit s.

L’ac cè s au x ar chives .

DÉCOUVERTE

Compr en dr e un pa ys , un e vil le , un e ré gi on, un e or ga ni sati on

Le prés i de nt Tinubu à Abuja , lor s de la Journ ée de la dé moc ra ti e, qui fêta it son 25 e annive rsaire le 12 ju in 20 24

NIGERIA LA GRANDE PROMESSE

Au pouvoi r depu is moi ns de deux ans, le président Ti nu bu mène une politique choc. Des changement s en profondeur q ui doivent transfor mer la prem ière économie d’Af rique su bsahar ienne.

Vu e aé ri en ne de Vi ctoria Is land , le centre éc onom iq ue de La gos.

Changement de cap

Cette véritable superpuissanc e en devenir doit d’abord passer par l’ étap e difficile d’un chang ement de modèle Obje ctifs : assainir les finances publiques, restaurer la compétitivité, sortir du tout-p étrole. Et sé duire les partenaires ex térieurs.

Aso Rock Villa domine Abuja.

« The Villa » pour les habitués. C’est du haut de cet imposant rocher que Bola Tinubu, 72 ans, préside aux destinées du pays mastodonte du continent et de ses 225 millions d’habitants (voire 230, selon certaines estimations), depuis l’été 2023 Dès son arrivée, l’ancien gouverneur de Lagos donne le ton en imposant deux réformes majeures, selon lui essentielles à la refonte en profondeur de l’économie du pays Il met fin aux subventions du carburant et au contrôle des changes. Résultat, le prix à la pompe est multiplié par trois et le cours du naira s’effondre Le coût des denrées alimentaires flambe de 40 % plus cher.

« Depuis ces mesures, le pouvoir d’achat a totalement chuté. J’ai un travail et je gagne ma vie, mais depuis un an, j’avoue qu’à la maison, c’est un repas par jour », confie Blessing, 36 ans, assistante dans une petite société de communication à Abuja. En août dernier, d’imposantes manifestations contre la vie chère n’ont pas fait reculer le pouvoir, qui s’attelle depuis des mois à mettre en place des mesures de compensation, comme des versements directs sur les téléphones des plus démunis, ou encore une augmentation de la production de vivres locaux afin d’en inonder le marché et faire baisser les prix L’administration Tinubu a aussi annoncé il y a trois mois que les négociations avançaient avec les syndicats pour mettre en place un nouveau

Une batterie de mesures ont été lancées : facilitations pour les entreprises étrang ères et locales qui veulent investir, augmentation de l’alimentation en énergie, lutte anticorruption.

salaire minimum national. « Je comprends la douleur et la frustration qui motivent ces manifestations », a déclaré le 4 août dernier le chef de l’État à l’occasion d’un discours télévisé. Dans le même temps, ses ministres, notamment Wale Edun aux Finances, multiplient les interventions publiques. Selon ce dernier, l’État a déjà récupéré 20 milliards de dollars grâce à l’arrêt de la subvention sur le carburant, qui coûtait 5 points du PIB, et espère emmagasiner 7,5 milliards chaque année. En résumé, l’économie nigériane a besoin de réformes depuis des décennies, afin de sortir de sa dépendance excessive aux revenus de l’exploitation du pétrole. Le but est de créer des bases solides sur le long terme pour un futur Nigeria compétitif, et, aussi, de faire en sorte que la population ait un accès

plus équitable aux opportunités financières.

L’idée est de diversifier l’économie, en dopant notamment le potentiel agricole et les services, comme les nouvelles technologies, en créant des opportunités d’investissements massifs. Une batterie de mesures ont été lancées dans ce sens, secteur par secteur : facilitations pour les entreprises étrangères et locales qui veulent investir, augmentation de l’approvisionnement en énergie, lutte anticorruption, particulièrement dans le monde du pétrole, où le gouvernement dénonce un détournement abyssal de 400 000 barils de pétrole brut par jour, lutte encore contre l’insécurité

Sur ce dernier point, des premiers résultats se font sentir dans le Nord, où la région de Maiduguri, la capitale de l’État du Borno ravagé depuis 2009 par les exactions de la

Traf ic ro utie r dan s la cap ital e, Abuja

Bo la Tinub u aux côté s du présid ent françai s Emm anue l Ma cron, le 28 nove mbre 20 24, à l’hôte l de s Inva lid es, à Pa ri s, l or s d’une vi si te d’État De rri ère eu x, le s Prem iè re s dames Ol uremi Tinubu et Br igi tte Ma cron.

Le pays capte déjà l’intérêt d’un nombre impressionnant d’entreprises étrang ères, qui y ont implanté des filiales lucratives.

secte islamiste Boko Haram, reprend vie peu à peu, grâce aux efforts, entre autres soutiens de forces conjointes, de l’armée nigériane.

Depuis le jour de son accession au pouvoir, Bola Tinubu et sa volonté ferme de transformer l’économie du pays en profondeur, y compris à marche forcée, sont largement soutenus par les institutions financières internationales La Banque mondiale, la BA D, l’AFD, pour ne citer qu’elles, saluent à chaque occasion le courage des autorités et rappellent leur conviction qu’un modèle libéral assumé, où l’économie se redressera majoritairement par les investissements, permettra au géant africain d’exploiter à plein son incroyable potentiel. Car enfin, les données de la République fédérale parlent d’elles-mêmes. En 2050, le Nigeria devrait compter 440 millions d’habitants et se hisser à la troisième place des nations les plus peuplées, derrière l’Inde et la Chine et juste devant les États-Unis

L’URGENCE DU DÉVELOPPEMENT

À On it sha , de s él ève s pe rfectio nn ent leur ma ît ri se d e l’ou til informati que

Des données démographiques qui appellent à l’urgence du développement en matière d’éducation, d’emploi, de logement, d’autosuffisance alimentaire. Mais le pays s’imposera dans le même temps comme le troisième marché mondial. Il capte déjà l’intérêt d’un nombre impressionnant d’entreprises étrangères, qui y ont implanté des filiales lucratives Son potentiel en matière de pétrole, de gaz, de mines est exploité par des investisseurs venus du monde entier. Premier ou second producteur d’or noir du continent, selon les années, le Nigeria tirait directement

du pétrole 5,67 % de son PIB en 2022, et bien plus indirectement Le brut à lui seul, la même année, représentait 78,74 % de la totalité des exportations. Une dépendance toxique, selon certains. Cependant, le Nigeria devrait à moyen terme réduire sa facture d’importation de produits raffinés, grâce à l’ouverture de la mégaraffinerie locale du milliardaire Dangote Au-delà de l’attrait de ses matières premières, le pays veut miser sur ses ressources humaines, comme en témoignent les programmes de formation ambitieux récemment lancés pour former les jeunes aux métiers des nouvelles technologies ou à l’intelligence artificielle. L’idée est de répondre à la demande croissante, locale comme mondiale, de profils chev ronnés dans le secteur

Et puis, il y a aussi la position de poids lourd. L’immense marché nigérian pèse économiquement – beaucoup, comparé à ses pays voisins. Il représente 60 % du PIB de l’Afrique de l’Ouest. Bola Tinubu est actuellement à la tête de la Cedeao Il a son mot à dire en matière de conf lits, d’engagements militaires, de diplomatie. C’est certainement la raison majeure qui a motivé sa visite d’État en France les 28 et 29 novembre derniers. La première pour un président nigérian depuis 2000 Emmanuel Macron l’a reçu avec les honneurs, notamment avec un accueil officiel dans la cour carrée des Invalides, à Paris. Ce qui n’est pas donné à tous Depuis les expulsions de la présence française au Mali, au Burkina, puis au Niger, le chef de l’État compte, selon la plupart des observateurs, trouver un nouvel appui solide en Afrique. D’autant que le président Tinubu aime Paris, où il effectue des séjours privés prolongés fréquents, la plupart du temps dans le confort luxueux de l’hôtel Peninsula situé dans le XVIe arrondissement Emmanuel Macron, pour sa part, avait séjourné six mois à Lagos, à l’âge de 23 ans, en stage à l’ambassade de France, dans le cadre de son cursus à l’École nationale d’administration (ENA). Au-delà des enjeux diplomatiques et des vraisemblables atomes crochus entre les deux hommes, il faut rappeler que le Nigeria

représente 20 % des échanges commerciaux de la France avec l’Afrique subsaharienne. Plus d’une centaine d’entreprises de l’Hexagone y opèrent. Comme TotalEnergies, bien sûr, mais aussi CM A CGM, Michelin, Fougerolle, Danone, Pernod Ricard, LV MH, etc Emmanuel Macron a dévoilé, aux côtés de son homologue nigérian, une évolution du partenariat entre les deux pays : « Nous avons défini plusieurs lignes d’actions nouvelles pour l’investissement des entreprises françaises au Nigeria, dans le domaine de l’énergie, des métaux rares et minéraux critiques, nécessaires au développement des nouvelles technologies, et en particulier des nouvelles industries décarbonées, dans le numérique, des industries culturelles et créatives. » Et d’annoncer dans le même temps un montant de 330 millions d’euros de prêts de l’AFD en 2025 pour des projets « de sécurité alimentaire, de mobilité urbaine, d’enseignement supérieur, d’agriculture, de formation professionnelle et de changement climatique ».

Un programme de soutien aux secteurs qui semblent tenir à cœur au nouveau pouvoir nigérian, tournés vers le développement, mais aussi la jeunesse et l’avenir Dans un

pays où 43 % de la population a moins de 15 ans, Bola Tinubu a bien compris l’enjeu. Les jeunes peuvent à la fois représenter une force pour demain dans un pays restructuré où la redistribution des richesses fonctionne, ou une dangereuse bombe à retardement. Son ambition, martelée à chaque occasion, est de construire un Nigeria fort, arguant que tous les fondamentaux pour cela sont déjà là Quelques premiers indices montrent que la politique menée depuis moins de deux ans commence à donner des signes positifs. La croissance économique s’accélère pour atteindre 3,46 % au troisième trimestre 2024 contre 2,98 en début d’année Il n’empêche, le chantier reste immense. La corruption, jugée endémique par la plupart des organismes de notation internationaux, et l’insécurité qui règne encore dans plusieurs régions du pays, avec le phénomène des enlèvements par les « bandits » qui continuent à sévir, constituent encore des obstacles à la sécurité des investissements. Et côté population, à ce jour, le quotidien est dur. À Abuja ou à Lagos, rares sont ceux qui croient dans les quartiers que cette période difficile débouchera sur des lendemains plus doux. C’est pourtant la promesse ferme de Tinubu. ■

Le «

l

Co mp uter Vi
la ge » d’Ikeja, au c œu r de la cap ital e de l’État de La gos.

Wale Edun

Ministre des Finances et ministre coordinateur de l’Économie

«

Parier sur l’avenir, protéger les plus fragiles »

Depuis mai 2023 et le début de la présidence Tinubu, le pays est engagé dans un ambitieux et difficile programme de reconstruction économique. Un ef fort salutaire à moyen terme, mais qui implique des coûts sociaux à cour t terme. Explications. propos recueillis par Emmanuelle Pontié

AM : Depuis votre arrivée il y a un an et demi, comment se porte l’économie du pays ?

Wale Edun : Depuis ces treize derniers mois, nous sommes sur la voie de la stabilité macroéconomique, de la reprise, de l’augmentation des investissements et de la productivité, de la croissance, de la création d’emplois et de la réduction de la pauv reté. Le 29 mai 2023, lorsque le président Bola Tinubu est arrivé au pouvoir, le pays était en très mauvaise santé sur le plan économique, et plus particulièrement en matière de finances publiques. Comme il l’avait promis, il a immédiatement commencé à réformer l’économie Les subventions pétrolières, qui coûtaient 2 % du PIB, soit environ 8 milliards de dollars par an, ont notamment été supprimées. En plus de suspendre les subventions du carburant, vous avez dévalué le naira. Ces réformes ont déclenché d’importantes émeutes sociales En effet, la réforme macroéconomique ne s’est pas arrêtée à la suspension des subventions du carburant. Il y en avait une autre, qui coûtait encore 2 à 3 % du PIB : celle des devises, qui étaient vendues en dessous du prix du marché. Nous avons donc procédé à sa fixation pour le pétrole, l’essence, le carburant, ainsi que pour les devises. Sur cette base, l’économie a une chance de se redresser, ainsi que les finances du gouvernement, comme celles de la compagnie pétrolière nationale. C’est le cœur des réformes. Et, bien sûr, nous assistions à une sous-évaluation

des principaux actifs, qui profitaient à quelques personnes impliquées dans le régime des subventions et le régime d’allocation des devises étrangères. Les étrangers, pour leur part, bénéficiaient de la contrebande d’essence par la frontière L’abandon de ce système a naturellement entraîné une hausse du niveau des prix, puisqu’il n’y avait plus de sous-évaluation de ces ressources clés : l’essence, les produits pétroliers et les devises. Forcément, lorsque l’on passe d’un tel système à un autre qui, à long terme, sera plus bénéfique, il faut faire face à la douleur. C’est ce qu’il se passe chez nous, et c’est normal Quelles mesures d’accompagnement concrètes avez -vous prévues à court et à moyen termes pour soulager la population d’une augmentation vertigineuse du coût de la vie ?

Le président Bola Tinubu s’est toujours engagé à ce que les plus pauv res et les plus vulnérables soient protégés autant que possible des pires effets de l’augmentation du coût de la vie à la suite de ces mesures audacieuses. Des aides ont ainsi été mises en place, de même que des interventions, initialement pour les agriculteurs, les petits exploitants, afin d’obtenir des engrais, des semences, d’autres intrants et des céréales Nous avons procédé à une véritable libération des réserves de denrées alimentaires sur le marché. En outre, des surfaces supplémentaires ont été mises en culture afin que la nourriture soit abondante, disponible et abordable, et que la production augmente

Ainsi, nous contribuons à réduire les prix et le coût de la vie pour le Nigérian moyen. Des paiements directs ont aussi été planifiés en collaboration avec la Banque mondiale, à l’instar des mesures mises en œuv re lors du Covid, où l’on apporte un soutien ponctuel d’urgence aux populations. Une initiative a été mise en place pour fournir à 15 millions de ménages, soit environ 75 millions de Nigérians au total, trois paiements directs sur leur compte, ce qui leur permettra de faire face aux priorités. Cette initiative est en cours. Parfois, même lorsque nous disposons d’une bonne mesure, sa mise en œuv re peut s’avérer complexe En raison de la transparence, de l’intégrité et de la responsabilité requises pour de tels paiements, un système a dû être mis en place pour que les personnes inscrites au registre social, à savoir les 15 millions de ménages qui ont été choisis parmi les 60 % les plus pauv res de la population remplissant les conditions requises, soient identifiables de manière unique et biométrique, afin d’être payées par le biais d’un mécanisme numérique. Il ne s’agit pas de distribuer de l’argent liquide. Ce processus a pris du temps en matière de recensement et de vérification, mais il est important de le maîtriser pour pouvoir atteindre, de manière ciblée, les plus pauv res et les plus vulnérables. De même, des subventions pour aider les plus petites microentreprises et DR

des prêts à des conditions préférentielles – à la moitié, voire au tiers du coût du taux d’intérêt normal – sont disponibles. Ainsi, à une époque où les autorités monétaires, sous la houlette de la Banque centrale, luttent contre l’inflation en augmentant les taux d’intérêt, il existe des prêts à taux abordables pour soutenir les entreprises, le secteur manufacturier et le secteur productif. L’ambition af fichée est de transformer le Nigeria. Combien de temps cela prendra- t- il, à votre avis ?

Nous avons entrepris des réformes dès le premier jour où le président Bola Tinubu est arrivé au pouvoir, et les bénéfices commencent déjà à se faire sentir. Il y a des réussites, il y a des améliorations. Le taux de croissance du PIB s’est redressé, la balance commerciale est forte, l’équilibre des comptes courants est excédentaire et en croissance. L’inflation est en train d’être maîtrisée. Elle a légèrement augmenté en raison de l’ajustement récent du prix des carburants, afin de le baser sur le marché, de sorte que tant pour les devises que pour l’essence, nous ayons un prix déterminé par le marché et non un prix administratif ou subventionné Le déficit budgétaire, qui est passé d’environ 6,1 % du PIB à environ 4,4 % du PIB, affiche également des progrès. De même, le serv ice de la dette, c’est-à-dire la part des recettes publiques consacrée aux emprunts, est passé de 90 % ou 100 % des recettes à un peu plus de 60 % des recettes. C’est encore élevé, mais c’est beaucoup mieux. Ce sont ces ty pes d’améliorations qui ont favorisé le régime d’investissement dans le secteur du pétrole et du gaz. Les régimes fiscaux ont également été améliorés Nous avons supprimé les

Des surfaces supplémentaires ont été mises en culture afin que la nourriture soit abondante, disponible et abordable, et que la production augmente.

retenues à la source pour le secteur manufacturier et l’avons encouragé par des incitations fiscales à employer davantage de personnel. En conséquence, nous assistons à des investissements majeurs dans le secteur pétrolier de la part d’entreprises telles que TotalEnergies (6 milliards de dollars sur plusieurs années), ou encore, début octobre dernier, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, Ex xonMobil avec 10 milliards de dollars. Et il y en

aura d’autres. Certains fabricants nationaux sont restés en retrait, mais ils voient aujourd’hui un régime orienté vers le marché, où l’économie se stabilise et devient plus attrayante. Résultat, même les investisseurs nigérians sont intéressés. J’ai récemment discuté avec un homme d’affaires qui m’a dit qu’il était resté en retrait, mais qu’il était désormais prêt à investir 1,2 milliard de dollars dans le secteur productif, à partir de matières premières qu’il extrait pour fabriquer des produits industriels, des intrants pour d’autres entreprises manufacturières. Il est maintenant décidé à aller de l’avant. Il a étudié les mesures d’incitation disponibles et a indiqué celles dont il aimerait profiter, comme le financement à taux d’intérêt préférentiel. Nous pensons qu’il s’agira d’une histoire commune. Ceux qui se sont retenus jusqu’à présent regardent ainsi le nouveau climat d’investissement et ne veulent pas rester à la traîne. Vous déclarez régulièrement miser sur les investissements plutôt que sur les emprunts. Pour tant, vous continuez à emprunter. En at tendant ?

Nous avons dû emprunter des financements concessionnels bon marché auprès de banques multilatérales de développement, comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement Nous avons également pu lever des fonds auprès des Nigérians, notamment ceux qui ont des économies à l’étranger, en émettant pour la première fois des obligations en dollars – ce qui est historique –, mais en utilisant le système de réglementation financière nigérian Cependant, il faut emprunter parce que c’est nécessaire. L’objectif consiste à attirer les investissements étrangers directs et nationaux, les capitaux propres et même publics, provenant des impôts et de l’augmentation des recettes de la production pétrolière. En effet, les incitations à la production dans le secteur pétrolier ont été améliorées, d’une part Et le moyen le plus rapide pour le Nigeria d’obtenir des devises et de disposer de liquidités dans l’économie, à la fois en devises et en nairas, provenant des recettes publiques, est bien sûr d’augmenter la production pétrolière, d’autre part Mais pour cela, il faut des investissements et de la sécurité. Nous disposons aujourd’hui d’un environnement beaucoup plus sûr, parce que c’est une priorité pour le président Tinubu. Cela a permis à un plus grand nombre de personnes de retourner dans leur ferme pour pratiquer l’agriculture ou d’autres activités, telles que l’élevage, la pêche, etc. Mais c’est également positif pour le secteur pétrolier, car l’amélioration de la sécurité dans ce

domaine est essentielle, tout comme le renforcement de la surveillance et la réduction des vols et autres pertes. Depuis quelque temps, la production pétrolière du Nigeria baissait d’année en année. Elle semble avoir remonté récemment

Lorsque le chef de l’État a pris ses fonctions, la production était d’environ 1,2 million de barils par jour. Elle est passée à environ 1,6 million de barils par jour. Les forces de sécurité et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) se sont engagées à atteindre 2 millions de barils par jour, en profitant des prix relativement élevés du pétrole et des ressources en combustibles fossiles dont dispose le pays. Par ailleurs, nous avons signé plusieurs protocoles en faveur de l’énergie propre, de l’objectif « net zéro » et de l’action climatique – mais, en même temps, il conv ient d’être réalistes. Nous devons utiliser les combustibles fossiles dont nous disposons pour nous industrialiser, pour moderniser notre économie et pour sortir notre population de la pauv reté. Pour nous, le secteur du pétrole et du gaz est une év idence Et pour la première fois depuis quarante ans, nous raffinons le brut sur place, produisant non seulement du PMS [ Premium Motor Spirit , essence produite par la raffinerie Dangote, ndlr], du diesel et du Jet-A1, mais aussi des intrants, des matières premières pour le secteur agricole, des engrais, des matières premières pour le textile, pour les industries du bâtiment, chimique et pharmaceutique. On assiste donc à une renaissance, à une relance de la tentative

On assiste à une véritable renaissance, à une relance de l’industrialisation du Nigeria.

d’industrialisation du Nigeria, de la modernisation de l’économie basée sur les investissements du secteur privé. En dehors du pétrole, vous cherchez à diversifier votre économie Quels secteurs voulez-vous promouvoir ? Vous parlez d’abord de l’agriculture, mais pas seulement ?

L’agriculture ne produit pas seulement des denrées alimentaires, mais aussi des matériaux comme l’éthanol, l’amidon et bien d’autres intrants qui peuvent serv ir de base à un boom du secteur. C’est pourquoi nous créons des zones agro-industrielles dans tout le pays Les produits de l’arrière-pays sont désormais acheminés vers un centre où se trouvent des entrepôts, des usines et des équipements de transformation, de fabrication, de finition,

de congélation, d’emballage, etc On transforme ainsi les matières premières en produits finis dans un périmètre plus proche. Les différentes demandes pour ces produits sont traitées là où se trouvent les agriculteurs Ensuite, nous misons bien sûr sur l’industrie manufacturière. Sur le marché régional, et même national, il y a une forte croissance des produits manufacturés de base, des produits ménagers et des biens de consommation destinés à l’exportation locale, et même sur l’ensemble du continent. Une population de 1,3 milliard d’habitants à l’échelle de l’Afrique, une population régionale d’environ 300 millions d’habitants… Voilà des marchés attrayants pour les producteurs nigérians et les exportateurs En outre, nous nous intéressons au secteur du logement. Les Nigérians disposent d’une épargne à long terme, de pensions, de fonds d’assurance-vie. En utilisant ces fonds combinés à un financement concessionnel de 1 % sur quarante ans de la Banque mondiale, nous pouvons offrir un taux d’intérêt relativement bas que les gens peuvent supporter, et ensuite, bien sûr, en plaçant l’argent à long terme, ils peuvent obtenir des prêts hy pothécaires sur vingt ou vingt-cinq ans. Cela donnera un coup de pouce aux classes moyennes, qui ont souvent assez d’argent pour l’apport, mais qui ne peuvent pas payer des taux d’intérêt de 30 % ni rembourser un prêt en trois ans. Cela devrait déclencher une hausse de la construction. Enfin, nous disposons d’un énorme dividende démographique, avec environ 600 000 diplômés par an, issus de différentes universités, publiques et privées. Ils ont des compétences de base et peuvent fournir des serv ices d’externalisation par Internet Dans les pays où l’externalisation est la plus importante, la croissance démographique tend à ralentir, de sorte que ceux-ci risquent de manquer de main-d’œuv re qualifiée, ce dont le Nigeria dispose en abondance. L’exportation

de serv ices est donc un autre domaine très fertile dont le pays peut tirer parti. Et, bien évidemment, nous avons amélioré notre environnement fiscal de sorte que les entreprises étrangères puissent se procurer directement les serv ices des Nigérians sur Internet, et ce sans avoir à payer une taxe onéreuse. Auparavant, pour employer des Nigérians, il fallait être au Nigeria. Aujourd’hui, nous disons : « Restez dans votre pays, employez des Nigérians, ils paient leurs impôts, c’est très bien. »

Quels sont les principaux partenaires financiers du Nigeria aujourd’hui ?

Parce que nous sommes obligés d’emprunter, nous nous tournons vers les financements à conditions préférentielles. La Banque mondiale est un véritable partenaire, de même que la Banque africaine de développement et l’Agence française de développement Elles ne cherchent pas seulement à financer des projets, mais aussi à soutenir le budget et les réformes macroéconomiques du gouvernement Nous sommes reconnaissants envers ces partenaires et nous avons, bien sûr, compté sur les Nigérians pour nous aider à financer nos sorties sur le marché Lorsque nous approchons ce marché, nous le faisons de sorte que la population puisse nous soutenir, celle du Nigeria et celle de la diaspora, qui possède des dollars ou qui conser ve ses économies en devises étrangères, probablement en raison du manque de force de la monnaie nationale en tant que réserve de valeur Et puis, év idemment, nous avons accès aux marchés des euro-obligations et nous n’imprimons plus d’argent pour payer les factures Ce n’est pas facile, mais nous respectons tous nos devoirs en matière de serv ice de la dette internationale et de la dette intérieure.

Vous semblez très confiant en l’avenir

Oui, jusqu’à présent. ■

Le ch a mp of fs hore d’Ofon, au la rg e de s côte s, in iti é pa r Tota l.

La réforme en avant toute

Bo la Tinubu, présid ent d’un e fé dé ra tio n de 225 milli ons d’hab itants, assume les consé qu en ces de m esures courag euses et doul oureuses Un ag enda in contour na bl e pour fa ire du Ni ge ri a, enfin, un e puissa nc e éc on om ique de prem ie r pla n. par Moïs e Gomi s

L«es subventions aux carburants sont donc terminées », annonce de manière laconique et sans prendre de pincettes le successeur de Muhammadu Buhari lors de son discours d’investiture. Dans la foulée, Bola Tinubu déclare sa volonté de libéraliser le marché des changes pour permettre au naira de retrouver sa valeur Quasi immédiatement, la Banque centrale du Nigeria rend la parité du naira fluctuante avec la devise américaine

Les subventions sur les carburants, qui avaient cours depuis la fin des années 1970, étaient prév ues dans le budget fédéral jusqu’en juin 2023 Lui, président, revendique d’y mettre un

terme sans délai, alors que cette mesure fut longtemps considérée comme un « acquis social » par les classes moyennes et supérieures Dix-huit mois plus tard, la position de Tinubu n’a pas bougé d’un iota. Malgré le mouvement #EndBadGovernance, qui réclamait en août dernier le retour de la subvention Malgré les multiples bras de fer avec les principales centrales sy ndicales, qui en parallèle exigent l’augmentation du salaire minimum. Malgré aussi les nombreuses visites, diurnes et nocturnes, de certains gouverneurs et parlementaires de sa majorité en audience privée à la villa d’Aso Rock, le palais présidentiel d’Abuja. Sans parler des critiques acerbes de ses deux opposants Atiku Abubakar

Le po rt de Lekki et se s nom breu x conta in er s vu s du ci el

(PDP) et Peter Obi (Parti travailliste). Il entend tout. Il écoute tout le monde. Mais le chef d’État nigérian maintient son cap. Sûr de lui et de sa méthode. Sans ciller devant l’envolée des prix du carburant à la pompe, passés de 185 à plus de 1 200 nairas dans les États les plus éloignés de Lagos, port d’arrivée des produits raffinées importés au Nigeria. Le président est conscient du choc pour une large majorité de ses concitoyens. Néanmoins, l’arrêt des subventions aux carburants est aussi un signal fort, en direction de toute la filière du pétrole d’abord, mais aussi vis-à-vis de tous les opérateurs économiques publics et privés du Nigeria, selon Olabode Sowunmi, expert en pétrole et gaz de Cabtreng Consulting : « La façon dont le Nigeria organise et équilibre ses comptes, mais aussi la manière dont il administre son budget et gère son économie sont problématiques Ce n’est pas comme si cela datait d’hier Par conséquent, le pays ne peut plus se permettre de verser ces subventions aux carburants »

DE GR ANDS PROJETS NATIONAUX

Expert-comptable de formation, le président Tinubu s’attaque naturellement aux comptes du Nigeria, comme le suggèrent depuis plusieurs années le FMI et la Banque mondiale De manière systémique, les recettes liées au pétrole financent à près de trois quarts le budget de l’État C’est d’ailleurs toujours le cas pour le budget 2025, présenté fin novembre 2024. L’objectif du président est donc de transformer le Nigeria du XXIe siècle comme il a su le faire à Lagos entre 1999 et 2007. En effet, à l’époque, l’ex-gouverneur de la ville s’appuie sur une politique fiscale inédite au Nigeria pour nourrir les finances de la mégalopole du sud-ouest. Privé d’allocation fédérale par le président d’alors, Olusegun Obasanjo, Tinubu muscle les serv ices fiscaux de son administration Il taxe ainsi les grandes entreprises nationales et internationales dont les sièges sont sur le territoire, mais aussi les emblématiques danfos – ces minibus jaunes qui sillonnent Lagos.

Dix-sept ans plus tard, le président dépose au Parlement nigérian un projet de loi fiscale – pour l’instant peu visible par la population, mais qui pourrait à long terme modifier la réputation du Nigeria auprès des milieux financiers internationaux, si ce projet s’applique. Il est question de l’harmonisation et de la simplification des guichets fiscaux à tous les échelons, du fédéral au local, de l’utilisation des technologies numériques pour collecter les impôts, de faire passer la TVA par paliers de 10 % l’an prochain à 15 % en 2030 L’idée étant que les rentrées fiscales puissent peser 18 % du produit intérieur brut à l’horizon 2026.

UN GOUVERNEMENT QUI MONTRE L’EXEMPLE

Ce vœu n’est pas forcément chimérique. En effet, en 2011 les impôts constituaient un cinquième de la production de richesses. La prise en compte du secteur informel depuis 2014 dans le calcul du PIB du Nigeria a fait reculer mécaniquement le poids des impôts Puisqu’informels, donc sans existence légale, des pans entiers de l’économie ne paient pas d’impôts sur les bénéfices ni sur les revenus C’est pourquoi en 2021 les impôts représentaient seulement 10,86 % du PIB. Ainsi le chef de l’État mise sur la fiscalisation de la quatrième puissance économique africaine, et donc sur la normalisation du secteur informel. Un pari potentiellement gagnant sur le papier, tant ce secteur dy namisé par la jeunesse contribue à l’économie. Selon le FMI, le secteur informel nigérian représentait plus de la moitié (65 %) du produit intérieur brut du pays en 2017. Aujourd’hui, de nombreux experts estiment que cette part représente 58,2 %. Pourtant, le défi est immense : dans un pays dont le nombre d’habitants approchera les 377 millions en 2050, le président Tinubu doit absolument convertir la grogne actuelle de dizaines de millions de Nigérians, mécontents du prix du carburant, du prix de l’électricité et de l’effondrement de leur pouvoir d’achat, en adhésion pour faire repartir le pays sur des bases financières plus saines Car comme l’indique le rapport sur

L’objectif du président est de transformer le Nigeria comme il a su le faire à Lagos entre 19 99 et 20 07.

À l’ époque, l’ex-gouverneur s’appuie sur une politiqu e fiscale inédite pour nourrir les finances de la mégalopole.

les comptes budgétaires 2023 de l’auditeur général de la Fédération, le gouvernement a réalisé des recettes d’environ 6 000 milliards de nairas, dépensé 19 500 milliards de nairas et enregistré un déficit de 13 500 billions de nairas, soit -225 % des recettes totales, soit plus de trois fois ce qu’il a gagné en recettes.

En annonçant des économies dans le train de vie de l’État fédéral, avec notamment la suppression des doublons dans les administrations et agences fédérales, Bola Tinubu fait passer un message fort : la Fédération doit montrer l’exemple. Pour les femmes et les hommes politiques originaires du sud-ouest, le social-démocrate Obafemi Awolowo a longtemps été une référence : figure majeure pour l’indépendance nigériane au cours des années 1950, puis défenseur du

fédéralisme, l’ancien Premier ministre de la région Ouest a porté des politiques basées sur l’État-providence, rendant notamment l’éducation et les soins gratuits. Yoruba comme lui, Tinubu fait sien l’héritage d’Awolowo Mais c’est aussi d’une autre source de sa région qu’il s’inspire : l’homme d’affaires et politicien Moshood Abiola, vainqueur de l’élection présidentielle du 12 juin 1993, mais jamais investi et mort en prison. Ce dernier soutenait la dérégulation du marché pour sortir le Nigeria de la gestion centralisée et autocratique des juntes militaires. En accédant au poste suprême trente ans après l’échec tragique de son mentor, le président Tinubu veut laisser une trace dans l’histoire de son pays et être reconnu comme un homme d’État réformateur libéral ■

Un da nfos tra ve rs e le s ru es de La gos.

Armstrong Ume Takang

Directeur général du Ministry of Finance Incorporated (MOFI)

« Nous devons trouver des solutions locales »

Face à la crise, l’agence gouvernementale dédiée à la gestion des actifs de l’État accompagne les entreprises, publiques comme privées, pour dessiner l’architecture économique de demain. propos recueillis par Emmanuelle Pontié

AM : Qu ’est -ce que le MOFI ?

Armstrong Ume Takang : C’est l’acrony me de Ministry of Finance Incorporated. Le MOFI est le gestionnaire des actifs et des investissements du gouvernement fédéral. Il a été créé par une loi de 1959, mais il n’est devenu opérationnel qu’en février 2023 Le MOFI dispose désormais d’une structure de gouvernance et, au plus haut niveau, d’un conseil d’administration présidé par le chef de l’État, le vice-président en étant le suppléant. Nos activités portent sur deux domaines clés Le premier consiste à déterminer ce que le gouvernement fédéral possède, et pour ce faire, nous avons créé un registre des actifs nationaux, qu’il s’agisse d’actifs d’entreprises, immobiliers, de concessions ou d’autres. Deuxièmement, nous travaillons avec les entreprises publiques, que nous soutenons pour qu’elles fournissent des rendements supérieurs ajustés au risque, créent plus d’emplois et boostent la croissance économique. Avez -vous des exemples de ce type d’entreprises ?

La Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), la Bank of Industry, ou encore la Banque de développement du Nigeria, Family Homes Funds, Galax y Backbone, NigComSat… Nous possédons également des parts dans la Nigerian Mortgage Refinance Company (NMRC).

Détenez-vous aussi des parts dans des sociétés privées ?

Oui, et nous possédons aussi des entreprises publiques que nous détenons à 100 %, censées être de nature commerciale. Nous les aidons à améliorer leur rendement en introduisant un bon niveau de gouvernance et en trouvant les moyens de leur donner plus de capital. Le troisième aspect de notre travail consiste à mobiliser les investissements destinés aux secteurs stratégiques de l’économie, tels l’agriculture, l’industrie manufacturière, les infrastructures ou la santé. Nous collaborons ainsi avec différents partenaires, en particulier le secteur privé et les entreprises internationales, afin de mobiliser des capitaux. Si l’une des entreprises que vous choisissez n’est pas disposée à vous laisser entrer dans son capital, que se passe- t- il ?

Nous la laissons tranquille ! Et comme nous sommes une agence gouvernementale destinée à soutenir l’économie, nous ne nous intéressons pas à toutes les entreprises. Quel est votre niveau de participation, en général ?

Il peut aller de 11 % à 100 %, selon les cas.

Quel est le volume des acti fs détenus par la République fédérale ?

L’exercice d’évaluation des actifs est en cours Ceux que nous avons identifiés jusqu’à présent représentent au moins 20 000 milliards de nairas Avez -vous également une fonction de levée de fonds ?

Nous identifions un projet, puis nous approchons différents investisseurs pour leur présenter l’opportunité. Quels sont les avantages pour les personnes prêtes à investir ?

Pour beaucoup, c’est une occasion de rentabiliser l’argent Pour d’autres, c’est une opportunité de contribuer au développement, notamment pour les institutions financières. Certains sont intéressés par l’ESG (l’env ironnement, le social et la gouvernance), l’emploi et le développement, et ont déjà investi dans nos sociétés de portefeuille. Vous avez aussi l’ambition de créer des opportunités d’emploi.

Le gouvernement a un plan pour créer des millions d’emplois, mais pour cela, l’économie doit renouer avec la croissance. Nous finançons notamment des entreprises agroalimentaires, qui se développent et créent de nouveaux emplois. Nous intervenons également dans le secteur manufacturier en fournissant l’argent nécessaire pour accroître la production, créant ainsi davantage de postes à pour voir Nous octroyons aussi des aides dans le domaine du logement et, grâce à un programme de prêts hy pothécaires, nous augmentons la demande dans le secteur Par l’intermédiaire de certaines de nos sociétés de portefeuille, nous finançons également des start-up dans le domaine de la technologie Cela les aide à lancer de nouvelles entités, qui vont recruter.

les investissements. Elles devraient offrir de formidables opportunités pour les nationaux et les étrangers qui s’intéressent au Nigeria. Nous sommes très confiants, même si nous traversons une période difficile, avec une inflation plus élevée que prév u, des problèmes de change et de liquidité, un taux de chômage important. Les réformes mises en place ouvrent de nouvelles opportunités.

C’est une période di fficile pour la population. Et aussi pour cer tains investisseurs, qui quittent le pays en raison de l’insécurité et de la dévaluation du naira

C’est une période difficile, en effet

Le gouvernement a un plan pour créer des millions d’emplois, mais pour cela, l’ économie doit renouer avec la croissance.

Quelle est la taille minimale des entreprises avec lesquelles vous choisissez de travailler ?

Les entités dans lesquelles nous investissons directement sont généralement de taille moyenne.

Mais les sociétés de notre portefeuille peuvent investir dans les petites entreprises. Êtes -vous confiant en l’avenir ?

Oui, car notre économie est en croissance Nous avons besoin de plus d’infrastructures pour booster la production, soutenir la population. Et ce besoin offre des opportunités d’investissement De plus, la population étant très jeune, nous disposons d’une importante main-d’œuv re et n’aurons pas de mal à trouver des travailleurs pour accompagner le développement de l’économie. Le pays propose aujourd’hui de nombreuses incitations fiscales pour les entreprises et

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L’environnement macroéconomique n’est pas celui que nous souhaiterions. L’augmentation du coût de la vie, qu’il s’agisse des transports, de l’électricité ou de l’alimentation, crée des difficultés pour les entreprises et la population Et certaines entreprises se sont retirées pour ces raisons. Or, c’est l’occasion de redéfinir notre architecture économique. C’est à nous de rester déterminés dans les réformes entreprises, d’être innovants et créatifs dans la recherche de solutions locales. Il faut commencer à regarder vers l’intérieur. Nous ne pouvons pas tout importer, parce que le problème de liquidité et le marché des changes nous en empêchent. Nous devons donc trouver des solutions locales, afin de réduire la pression sur les devises. Je suis sûr que ces temps difficiles ne dureront pas. Nous en sortirons plus forts, meilleurs et plus av isés Ce sera pour le bien de notre peuple et de notre pays Combien de temps faudra -t -il pour que la situation s’améliore vraiment, selon vous ?

Au Nord, la priorité sécuritaire

Le septentrion du pays est se coué depuis près d’une quinzaine d’anné es par les violences. Au Nord -Est, la vie sociale et économique reprend grâc e à la reprise par l’armé e des territoires de l’État de Borno, jusque -là infiltrés par les membres de Boko Haram et de l’ISWA P. Mais au Nord -Ouest, des group es criminels prospèrent, poussant les civils à l’exode. par Moïse Gomis

Lentement, Mai Aji Kolo pousse une charrette métallique et rouillée dans la rue menant à son logement Ce quadragénaire prend le temps de saluer chaque voisin qu’il croise sur son chemin Dans ce lotissement d’Auno à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, tous les habitants sont d’anciens déplacés internes ayant vécu plusieurs années dans la promiscuité de camps humanitaires

Comme tout son voisinage, Mai Aji a obtenu gratuitement la clé d’une maison de deux pièces. Sans hésitation, en novembre 2022, cet agriculteur signait les documents officialisant son retour à une vie « normale » pour ses sept enfants et son épouse. « Je suis serein, explique Mai Aji au moment de franchir le seuil de sa cour, car à chaque fois que je quitte ma maison et que je reviens, je retrouve ma famille saine et sauve. La communauté aussi vit en paix maintenant Nous ne sommes plus menacés par Boko Haram. »

Après avoir mis sa vie entre parenthèses, ballotté avec les siens dans plusieurs campements humanitaires de Maiduguri, cet agriculteur a retrouvé le sourire.

Comme 160 000 ex-déplacés, Mai Aji et sa femme sont les bénéficiaires d’un programme de relogement impulsé par le gouverneur de l’État de Borno, Babagana Umara Zulum. En 2020, alors que le Nigeria subissait encore la pandémie de Covid-19, ce dernier multiplie les déplacements pour constater de ses yeux les progrès en matière de sécurité dans les principales localités de l’État de Borno, sous occupation de Boko Haram encore six ans plus tôt. Et progressivement libérées de cette emprise grâce aux efforts conjugués de l’armée nigériane, organisée autour de « supercamps » militaires regroupant plusieurs bataillons, et de ses alliés de la Force multinationale mixte (Cameroun, Tchad, Niger, Bénin).

Fidèle à ses promesses électorales, le gouverneur Zulum s’engage alors à fermer tous les camps de déplacés dans sa capitale Maiduguri. Il poursuit d’abord la politique de

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des 22 camps a bouleversé le visage et l’atmosphère des quar tiers villag es, avec l’ouverture de plusieursliaisons aériennes et l’ émergence inédite d’hôtels cinq étoiles.

De s jeu ne s fill es de l’éc ole pri mai re de Galtim ar i, à Ma idugur i, da ns l’État de Bo rno où le calm e es t reve nu.

reconstruction de logements démarrée par son prédécesseur Kashim Shettima, l’actuel vice-président du pays, avant d’organiser les premières réinstallations de familles dans leur communauté d’origine. Ces retours, le gouverneur Zulum les accompagne lui-même dans bien des cas. À la grande stupeur de nombreuses organisations humanitaires prises de court. « Avant l’insurrection de Boko Haram, se justifie alors l’élu à l’époque, le Borno était un état clé pour l’agriculture. Je veux que ces paysans et ces pêcheurs, qui ne peuvent plus contribuer à l’économie du territoire, retournent dans leur communauté d’origine pour y reprendre leur activité » La sécurité autour des returnees est renforcée avec la création des agro rangers, rattachés au Corps de la sécurité et de la défense civile : ces miliciens volontaires en milieu rural ont pour mission de protéger les communautés lorsqu’elles cultivent leurs champs Avec, à terme, l’objectif de prendre le relais de l’armée nigériane, qui n’a pas pour mandat de rester indéfiniment dans des zones considérées comme libérées de Boko Haram…

Aujourd’hui, quatre ans plus tard, la fermeture effective des 22 camps a bouleversé le visage et l’atmosphère de Maiduguri. Ses quartiers villages sont en mutation, même si l’immense majorité des habitants y vit encore sous le seuil de pauvreté. Quelques indices du début de cette transformation : l’ouverture de plusieurs liaisons aériennes, rompant l’isolement de la capitale du Borno. Et surtout l’émergence inédite d’hôtels cinq étoiles, pour

attirer et fidéliser une clientèle d’affaires nationale, voire internationale, ainsi que de nombreux projets immobiliers

Shareef Hamza, directeur commercial d’une entreprise vendant du ciment, est à la fois un acteur et un observateur de cette nouvelle ère. Le trentenaire raconte : « Désormais, on peut sans crainte mettre sur la route des convois, avec chaque camion transportant pour 200 à 300 millions de nairas de marchandises On a retrouvé la confiance. Pas encore comme avant, où Maiduguri était un hub incontournable pour les grossistes du Tchad, du sud-est du Niger ou encore du Cameroun Mais disons que nous avons recouvré notre force commerciale à 60 %. » Le retour de la sécurité et le volontarisme du gouverneur Zulum ont servi d’accélérateurs. Mais pour Hamza Suleiman, expert en sécurité pour la société Zagazola, le rôle des civils volontaires dans la guerre menée contre le groupe terroriste n’est pas suffisamment reconnu : « Sans ces miliciens, jamais l’armée nigériane n’aurait réussi. Dans toutes les opérations de contreinsurrection dans le Nord-Est nigérian, ces hommes ont été essentiels, et le sont encore pour identifier les membres de Boko Haram. »

MENACES ET DEMANDES DE RANÇON

AU NORD- OUEST

Dans le même temps, au nord-ouest du Nigeria, une autre zone d’insécurité s’est ouverte. Quasiment à la même période que celle où Boko Haram commençait à causer des ravages dans le Borno. De faible intensité d’abord, avec des cycles d’attaques et de représailles dans de petites communautés rurales de l’État de Zamfara. Puis le phénomène a pris de l’ampleur ces cinq dernières années pour déborder sur les États voisins (Sokoto, Kebbi, Katsina et Kaduna).

Des groupes criminels impliqués dans des enlèvements de masse contre rançon, des vols à main armée, des vols de bétail, des viols et autres violences sexuelles, des pillages d’exploitation agricole et de mines. À l’hôpital Turai de Katsina, Mariam range son linge

dans un sac plastique. Après deux semaines d’hospitalisation avec son nourrisson, cette maman d’à peine vingt ans vient d’obtenir l’autorisation de rentrer dans son hameau dans la périphérie de Batsari – une localité à la lisière de la forêt de Rugu, une bande végétale transfrontalière s’étendant sur près de 220 km entre le Niger et une partie de l’État de Katsina au Nigeria. À partir de cette zone composée de bois, collines et grottes, des groupes criminels hantent les populations des États de Katsina, Zamfara et Kaduna Alors Mariam préfère attendre le lendemain pour voyager très tôt le matin. « On vit avec la peur permanente des bandits, raconte la jeune femme. Ils peuvent essayer de nous dérober notre argent, et si on n’en a pas, ils nous tuent. Je suis venue en transport en commun et on a pu arriver jusqu’à Katsina. Un jet de combat militaire patrouillait à faible altitude C’était plus facile pour nous de venir. Les bandits ne nous ont pas inquiétés. Mais parfois, ils attaquent, alors on court dans la brousse pour nous cacher » Mariam, ses quatre enfants et son mari ne peuvent quitter leur hameau faute de moyen. Et surtout par manque de relations pour tenter de construire une nouvelle vie dans une zone urbaine telle que Batsari…

Cette famille arrive encore à accéder au lopin de terre qu’elle cultive Car avec une dizaine de voisins, ils ont pu rassembler les 200 000 nairas (l’équivalent de 112 euros) réclamés en guise de sésame par le groupe de bandits rackettant leur zone. Depuis 2014, entre 500 000 et 700 000 personnes dans le nord-ouest du Nigeria ont été chassées de leurs terres à cause de l’insécurité.

Le gouvernement fédéral n’a pas encore décrété de plan d’urgence pour répondre à cette crise humanitaire. Les bandits sont particulièrement violents, n’hésitant pas à tuer leurs captifs lorsque les rançons ne sont pas payées. Les enlèvements ne sont pas seulement une charge émotionnelle pour les familles ; ils ont également un impact économique durable sur les ménages du Nord-Ouest, qui, statistiquement, comptent déjà parmi les plus pauvres du Nigeria.

OU NON Depuis 2019, plus de 94 000 Nigérians se sont réfugiés dans la région de Maradi, au Niger, en jouant sur leurs alliances familiales, à cause de l’explosion de la violence au nordouest de leur pays Le mari de Mariam a envisagé, lui aussi, de traverser la frontière avec sa famille. Mais devant les réticences de son épouse, il a renoncé momentanément à cet exode. « Nos enfants sont trop jeunes, se justifie Mariam. Et puis, nous ne pouvons pas abandonner notre terre comme ça C’est vrai que c’est dur de devoir passer par des chemins et des routes où l’on croise ces bandits en permanence. Mais je suis de Batsari. Et je ne me vois pas vivre ailleurs » ■ À

FAIRE LE CHOIX DE PARTIR…
Un e éq ui pe de Gree n Ed en Fa rm s, après la ré colte de poivron s ja un es.

Pour une agriculture de pointe

C’est l’une des priorités de l’ag enda présidentiel.

Le se cteur emploie 35 % de la population, avec d’immenses oppor tunités Et cherche à se moderniser en pariant sur la te chnologie, mais aussi sur l’utilisation, contestée par certains, d’OGM, pour mieux s’adapter aux conditions naturelles par Moïse Gomis

Maria et Blessing, d’un geste mécanique mais précis, épluchent des tubercules de maïs étalés devant elles. C’est la période de la récolte. Comme ces deux trentenaires, chaque jour depuis la fin octobre, elles sont une bonne centaine d’ouvrières agricoles à rejoindre Foburg, une exploitation de 22 hectares gérée par Green Eden Farms, à une trentaine de kilomètres de la ville de Jos. Assises côte à côte, les deux femmes sont chaudement vêtues. Car un vent frais descendant des collines voisines souffle dans cette partie orientale de l’État de Plateau, limitrophe de celui de Bauchi Bonnet rouge sur le crâne, survêtement noir et sneakers marron, Theophilus Maimako montre l’exemple. Le fondateur de la start-up effectue aussi des tâches de manutentionnaire. Personne n’est priv ilégié, ici. Surtout lorsque le maïs ne demande qu’à être évacué à Jos, à moins d’une heure de route. Avec quatre compagnons, le directeur général est préposé au va-etvient pour porter, puis charger les sacs de jute vert et blanc remplis dans le véhicule

utilitaire à benne : « Cette récolte est une belle satisfaction, déclare le jeune homme. Nous enregistrons un pourcentage de perte relativement faible pour le moment Dans l’idéal, il nous faudrait doubler le nombre de bras, car nos pieds de maïs ont bien produit, cette année 2024 Et nous espérons atteindre pour l’ensemble de notre exploitation nos très bons résultats de l’an dernier. » En 2023, c’est un chiffre d’affaires de 100 000 dollars que Green Eden Farms a dégagé, en dépit des aléas climatiques. Notamment des épisodes successifs de pluies diluviennes alternant avec de courtes périodes de sécheresse. Les plants de maïs, bien sûr, mais également ceux de tomates et de soja ont résisté grâce à un appui technologique. Car Theophilus et son associée principale, Stephanie Meltus, PDG et cofondatrice de la société, ont conjugué leurs forces et talents pour développer une application pour smartphone reliée à des capteurs électroniques : un système de micropuces disséminées dans les sols à l’air libre et dans les bacs placés dans des serres, permettant en temps réel de connaître

Booster l’agriculture, c’est aussi l’une des mesures phares pour at teindre l’autosuffisance, et surtout générer des revenus capables de limiter la dépendance à l’or noir.

les besoins de chaque plant en matière de nutriments, d’eau et de lumière. Pour démarrer cette entreprise, les deux têtes pensantes de Green Eden ont été aidées par leur entourage proche, puis ont bénéficié de campagnes de crowdf unding via Internet Au Nigeria, des millions d’agriculteurs et d’agricultrices n’ont ni l’entregent ni les ressources pour accéder à ce ty pe de réseau. Pourtant, plusieurs administrations, d’Olusegun Obasanjo à Muhammadu Buhari, ont affecté des fonds dans le budget fédéral pour soutenir des petites et moyennes exploitations agricoles. Au cours de la dernière décennie, la Banque centrale du Nigeria a notamment octroyé des prêts à faible taux pour encourager l’installation et la mécanisation Et aussi faciliter l’achat d’engrais ou de semence. Depuis l’état d’urgence de l’agriculture, décrété par le président Tinubu en juillet 2023, le ministère de l’Agriculture pilote plusieurs programmes en s’appuyant sur les économies réalisées avec le retrait des subventions au carburant. « Nous avons pour objectif chaque année de soutenir la mise en culture de 500 000 hectares, promet le chef d’État Ce sont 500 milliards de nairas à terme que nous comptons investir pour soutenir les filières de riz, maïs, blé et manioc » Booster l’agriculture, c’est aussi l’une des mesures phares pour atteindre l’autosuffisance, et surtout générer des revenus capables de limiter la dépendance à l’or noir

SUCCESS -STORY

Ce soutien aux jeunes agriculteurs et agricultrices, Yemisi Iranloye le voit d’un très bon œil. Cette biochimiste de formation est à la tête de Psaltr y International Limited, première entreprise agro-industrielle de transformation du manioc en Afrique. Chaque année, elle génère un chiffre d’affaires de 12 millions de dollars. La clé de sa réussite : le sorbitol, un édulcorant à base de manioc Après dix ans d’expérience chez Ek ha Agro Processing, une entreprise spécialisée dans la fabrication de sirop de glucose, Yemisi quitte Lagos pour s’installer à Ado-Awaye,

une localité rurale reculée dans l’État d’Oyo : « On utilisait le manioc pour fabriquer ce sirop, explique la PDG de Psaltr y. J’avais constaté que les agriculteurs qui fournissaient la société Ek ha parcouraient 200 kilomètres pour livrer le manioc et que, bien souvent, à leur arrivée, au moins 30 à 50 % des produits n’étaient pas exploitables à cause de la mauvaise conser vation lors du trajet » En 2015, à Ado-Awaye, tout est à construire : ni électricité ni système d’eau, et seulement un chemin menant à la communauté quasi coupée du monde. Yemisi a une vision. Elle construit une modeste habitation sur le terrain qu’elle a acheté avec ses économies, fruit de toute une vie salariée, avant d’y résider avec une équipe d’environ six employés Ensemble, ils commencent à cultiver la terre. Et en parallèle, la cheffe d’entreprise se rapproche de ses voisins, agriculteurs locaux Avec comme objectif d’inciter ces paysans à diversifier leur culture du manioc, destiné au fufu ou au garri, pour se concentrer plutôt sur une production à des fins industrielles. Près de dix ans plus tard, avec l’appui de la Banque centrale du Nigeria via deux banques commerciales (FCMB et Prov idus Bank), cinq usines forment désormais un complexe industriel, où un relais incessant de camionnettes se déroule 5 jours sur 7. Un pont a été construit par le gouverneur de l’État d’Oyo, Seyi Makinde, permettant l’approv isionnement en manioc sur un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres auprès de 5 000 familles de producteurs À l’intérieur des bâtiments de couleur verte trônent de gros silos où transite toute la matière première avant sa transformation en dérivés de haute qualité (farine, amidon). Cette production attire des clients tels que la multinationale Nestlé ou le géant local Nigerian Breweries. L’histoire de Psaltry s’est accélérée en 2022, avec le lancement de la première usine africaine de fabrication de sorbitol, édulcorant plus connu sous l’étiquetage E240. En raison de sa faible teneur en calories, il est utilisé dans les aliments sans sucre, les produits pharmaceutiques et les produits d’hygiène

buccodentaire. « Je savais qu’il était possible d’extraire le sorbitol du manioc, raconte Yemisi. Donc quand Unilever, l’un de mes plus gros clients, m’a indiqué qu’au Nigeria, toutes les entreprises agroalimentaires et pharmaceutiques importaient le sorbitol faute de fournisseurs au Nigeria, j’ai immédiatement compris que j’avais sous les yeux et à portée de main un marché inépuisable »

CÉDER OU NON AUX SIRÈNES DES OGM…

Le gouvernement de Bola Tinubu a validé depuis le 11 janv ier 2024 la commercialisation du maïs transgénique. À Zaria, Ado Yusuf dirige l’Institut de recherche agricole rattaché à l’Université Ahmadu Bello. Depuis sa création en 1922, l’IR A est le principal moteur des transformations agricoles au nord du pays. Chaque année, ses chercheurs partagent leurs innovations en matière de labour, de plantation, de désherbage, de récolte des cultures. Et surtout au sujet des semences hybrides « Nous impactons la vie des agriculteurs, se félicite le professeur Yusuf. Sur ces cinquante dernières années, nos recherches, ici, à Zaria, ont amélioré 200 variétés Au-delà du Nigeria, nos variétés d’arachide et de niébé développées au sein de l’IR A sont largement cultivées par les agriculteurs de la république du Niger, du Mali et du Cameroun. » Confronté au défi de l’obsolescence de ses équipements et de ses infrastructures, cet institut centenaire n’en demeure pas moins un centre de recherche reconnu à l’international. Dans ses collaborations extérieures au Nigeria, l’IR A de Zaria participe depuis plusieurs années au projet TELA Maize, un partenariat publicprivé dont l’objectif est la commercialisation de variétés de maïs transgénique. Comme les équipes d’instituts nationaux de six autres pays du continent (A frique du Sud, Éthiopie, Kenya, Mozambique, Tanzanie et Ouganda), celles du professeur Yusuf ont mis sur le marché quatre variétés de maïs transgénique « conçues pour résister à la fois à la sécheresse et aux infestations d’insectes ». Cette commercialisation

suscite toujours un vif débat au sein de la communauté scientifique, mais aussi dans la société civile Joyce Brown est la directrice des programmes de la fondation Health of Mother Earth, une organisation de défense de l’environnement et de la souveraineté alimentaire basée à Benin City. La jeune femme organise sur le terrain des formations autour de techniques de culture sans produit chimique. Son public cible : des agriculteurs dans des zones du Nigeria frappées par diverses maladies touchant les végétaux. Joyce Brown regrette l’introduction des OGM au Nigeria : « Le Covid-19 nous a donné la leçon de toujours construire notre économie locale en priorité. Nous devons donc avoir un système de circuits beaucoup plus courts, dans lequel les agriculteurs locaux contrôlent la production alimentaire, les semences et, bien sûr, la façon dont elles sont plantées Or, toutes les semences transgéniques actuelles viennent de l’extérieur du Nigeria, et nous serions donc dépendants, ce qui ne serait pas bénéfique pour les petits exploitants agricoles ou pour le consommateur en général, à long terme. » Les semences du projet TELA Maize sont concédées sous licence libre de droits par Bayer CropScience LP (anciennement Monsanto Company) aux partenaires du projet. Au Nigeria, réaliser plusieurs tests sur les risques, en plus des validations administratives, est obligatoire pour qu’un produit alimentaire soit mis sur le marché. Certains experts scientifiques auraient aimé des délais plus longs avant l’autorisation du maïs transgénique. Ces principes de précaution et de prudence, le directeur de l’Institut de recherche agricole de Zaria les comprend : « Pour cette première année, nous nous contentons de distribuer 3 tonnes de semences pour tout le Nigeria. Il s’agit d’un nouveau domaine scientifique, en particulier en Afrique. Je comprends que des gens aient des doutes par rapport aux organismes génétiquement modifiés. Moi, je ne me suis pas engagé en tant que chercheur dans l’agriculture pour faire du mal, mais bien pour nourrir des êtres humains. » ■

Le s te chn ologi es digi ta le s pe rm et te nt au ssi de mie ux con na ît re la nature de s so ls et le s be soins des plants

Bosun Tijani

Ministre des Communications, de l’Innovation et de l’Économie numérique

«

Un vivier de talents »

Cadre légal, formations, incubateurs…

Prendre la tech à bras-le- corps pour devenir un acteur incontournable. propos recueillis par Emmanuelle Pontié

AM : En novembre 2023, vous avez lancé un programme de formation destiné à 3 millions de talents technologiques. Quels premiers résultats ? Bosun Tijani : Notre programme « 3 Million Technical Talent », connu sous le nom de « 3MTT », avance bien. Il priv ilégie l’inclusion, assurant la participation de l’ensemble des 774 zones de gouvernement local du Nigeria, et en particulier des communautés mal desser vies, des femmes et des jeunes. Il s’agit d’une initiative qui a des conséquences significatives, non seulement au Nigeria, mais aussi dans le monde entier Ainsi, l’un des principaux objectifs est de faire de notre pays un exportateur net de talents techniques en matière de compétences technologiques recherchées, à l’instar de ce que l’Inde a fait récemment 3MTT a été structuré en trois phases. La première, le Prototy pe, a commencé par 1 % de l’objectif souhaité, à savoir 30 000 boursiers, et s’est avérée très fructueuse. Nous avons tiré les enseignements et les meilleures pratiques de cette phase pour améliorer la prestation des formations et l’apprentissage dans la phase 2, le Pilote, qui est axée sur l’augmentation du nombre total de boursiers formés à 300 000, ce qui représente 10 % de notre objectif. Une fois cette étape franchie, nous passerons à la phase 3, d’ici à 2025, afin d’atteindre notre objectif de 3 millions d’ici à 2027. Les premiers boursiers ont déjà trouvé un emploi et jouent désormais leur rôle dans la croissance de l’économie numérique du Nigeria. Nous sommes également reconnaissants d’avoir pu établir des partenariats avec des organisations telles que IHS Towers, MTN, le PNUD, AWS, Microsof t et d’autres,

tandis que nous constatons également un intérêt accru de la part des entreprises technologiques locales et mondiales pour la formation avancée et les possibilités d’embauche Selon vous , combien de jeunes peuvent être impactés par le secteur des nouvelles technologies ?

La majorité (plus de 60 %) de notre population ayant moins de 25 ans, nous nous attendons à ce que la technologie joue un rôle important dans la vie de nombreux jeunes Nigérians au cours de la décennie Ce potentiel est dû à la croissance exponentielle de l’économie tech mondiale, à la facilité d’accès aux compétences, à l’adoption et à la consommation croissantes de plates-formes et de serv ices numériques dans notre pays Actuellement, il y a plus de 4,5 millions d’emplois technologiques non pour vus dans le monde, et environ 30 millions de postes supplémentaires à créer au cours des quatre prochaines années. Nous avons donc la possibilité de constituer un vivier de talents pour répondre à cette demande. Par des investissements stratégiques dans l’éducation, l’intelligence artificielle, l’infrastructure numérique et l’innovation, nous voulons donner à nos jeunes les moyens de faire carrière et de tirer parti des opportunités économiques et de croissance dans le domaine de la technologie. Où en est le projet de loi sur l’économie numérique et la gouvernance électronique ?

Il est actuellement au stade avancé de l’examen législatif et devrait être adopté dans les mois à venir Nous sommes en train de le présenter aux 36 États et au territoire de la capitale fédérale, afin d’obtenir de nombreux apports des parties prenantes des secteurs public et privé qui seront concernés par son adoption Cette consultation inédite des parties prenantes – la première du genre au Nigeria – vise à susciter un engagement total, compte tenu du rôle essentiel de l’économie numérique dans le développement financier. Ce projet de loi permettra de formaliser le cadre de l’infrastructure publique numérique et de l’e-gouvernance, de fluidifier l’accès aux serv ices gouvernementaux et de favoriser l’innovation en créant une clarté juridique autour des technologies émergentes telles que l’IA, la blockchain et la fintech. Des changements fondamentaux sont attendus,

notamment une meilleure prestation de serv ice pour les citoyens, une plus grande transparence dans la gouvernance et un cadre juridique plus solide pour attirer les investissements étrangers dans le secteur technologique nigérian. En quoi consiste l’initiative « DevsInGovernment », qui vise à améliorer la prestation des services publics ?

L’initiative « DevsInGovernment » est un élément clé de notre stratégie visant l’intégration de l’innovation technologique dans la gouvernance. Il s’agit d’une communauté qui rassemble des professionnels et des passionnés de technologie au sein des ministères, des départements et des agences gouvernementales, afin de partager les connaissances, de favoriser l’apprentissage, de collaborer et de créer collectivement des solutions pour la transformation numérique, en vue d’améliorer la prestation des serv ices publics. Cette initiative sert également à mettre en place l’utilisation de la technologie au sein du gouvernement et à faire en sorte que les utilisateurs en première ligne deviennent ensuite des champions à travers l’ensemble du gouvernement.

Vous êtes très impliqué dans l’arrivée de l’intelligence ar ti ficielle. Vous avez notamment reçu une subvention de 2,8 milliards de nairas de Google à cet ef fet. Co comptez-vous utiliser et réguler l’

Nous misons beaucoup sur l’IA et aura sur notre économie. Je suis pa du soutien que nous avons reçu de la organisations telles que Google, ma qui a soutenu notre communauté de – AI Collective – avec un financemen dollars. La subvention de Google se mation de jeunes Nigérians, ainsi qu décideurs à la science des données et est également apporté à dix start-up travaillant dans l’innovation en mati dans des domaines tels que la santé, l’agriculture, l’éducation et les serv ic publics. Nous avons décidé de prendr les devants sur la manière dont elle façonne notre avenir, notamment du

Donner à nos jeunes les moyens de faire
carrière et de tirer par ti du domaine de la technologie.

point de vue du Sud global. Nous avons commencé par élaborer notre stratégie nationale en matière d’intelligence artificielle en réunissant des experts d’origine nigériane du monde entier travaillant dans le domaine pour cocréer ce document. Nous avons été en mesure d’établir clairement une orientation cohérente pour le travail que nous effectuons, et nous constatons que cela est reconnu par un meilleur classement du Nigeria dans le domaine de l’IA au niveau mondial. Nous soutenons également le développement d’un modèle multilingue local à grande échelle, qui facilitera le développement d’applications d’IA Tout cela a également permis de renforcer nos capacités en vue de devenir un centre de talents pour l’IA, en commençant par le niveau de base de l’étiquetage et de l’annotation, et en développant progressivement les ensembles de compétences locales pour devenir compétitifs sur le marché mondial. Vous déclarez que l’ambition de votre pays est de devenir « un fournisseur mondial de talents dans les technologies ».

Comment comptez-vous vous y prendre ?

Abritant six des huit licornes africaines, l’écosystème nigérian dédié à l’innovation est une destination de choix % du finanPourtant, truit notre mposé d’un onnels, qui et aux aginez l’imgnificative de fre de talents e mondiale combler t actuel au niveau parvenir, ntentons notre plan nous amélioent l’accès à haut débit et numériques tre projet 90 000 km es à fibres pour coml’infrastrucistante. ■

Des licornes made in Nigeria

Solutions de paiement aux institutions financières, services aux particuliers

Les fintechs sont en plein essor. Et certaines valorisations dépassent déjà le milliard de dollars. par Moïse Gomis

Juste au pied de la passerelle pour piétons qui traverse l’autoroute à trois voies reliant la partie nord d’Abuja et sa proche banlieue, Salatu Ibrahim jongle entre les deux terminaux bleus Moniepoint posés sur sa petite table en bois

Ses clients sont toujours pressés et veulent que leur retrait de cash ou leur transfert d’argent soit validé sur l’écran d’une des machines à carte de débit qu’elle utilise pour fidéliser sa clientèle. « Nous n’étions que trois agents à faire des transactions financières dans ce coin, il y a un peu plus d’un an, raconte Salatu Désormais, j’ai de nombreux concurrents Ma voisine d’en face travaille avec le boîtier électronique d’OPay. Une autre, à cinq mètres, fait du Moniepoint comme moi, mais a aussi un terminal mauve PalmPay. »

Au Nigeria, ces terminaux colorés reliés à des applications ont déferlé en moins de dix ans sur le marché des transactions financières des particuliers et des entreprises. Les paiements sont instantanés et vérifiables sur tout écran, avec un taux d’échec moyen inférieur à celui des virements bancaires traditionnels Et surtout une accessibilité permettant l’ouverture d’un compte via un téléphone, ainsi que l’obtention rapide d’une carte de crédit Si la Banque centrale du Nigeria (CBN) tance régulièrement tel ou tel opérateur de ce secteur à la fois concurrentiel et imaginatif, elle reconnaît aussi le rôle clé qu’ont joué ces jeunes

entreprises du numérique lors de la crise du Covid-19 bien sûr, et surtout celle de la fin 2022 jusqu’au premier trimestre 2023, alors que le pays n’avait pas assez de nouveaux billets en service pour satisfaire la demande. Mais si les fintechs nigérianes ont révolutionné ces quinze dernières années les pratiques bancaires au sein du pays et du continent, elles ont aussi réintégré dans le système tout un monde habituellement invisible : le secteur informel Avec 37 % et 20 % des parts du marché des transactions financières générées, les nigérianes OPay et Moniepoint sont les leaders des POS (points of sale), les points de retrait, de dépôt et de transfert. La société PayCom a été créée à Lagos par le Chinois Zhou Yahui, soutenue par SoftBank Vision Fund et Sequoia Capital China. Sous l’appellation PayCom Nigeria, OPay s’impose rapidement comme l’application fintech la plus téléchargée dans le pays. Son secret : combiner plusieurs services En se diversifiant avec OFood, ORide, OCar, OBus et OKash, OPay jette les fondations de sa croissance exponentielle. OPay garde le sourire malgré l’interdiction des okada – ces taxis-motos sans signe distinctif – dans l’État de Lagos, notamment pour des raisons de sécurité, qui met un terme au service ORide. Car en parallèle, ses services monétaires et de paiements mobiles continuent de prospérer La CBN lui accorde une licence bancaire. La stratégie

Elles ont révolutionné les pratiquesbancaires, ici et bien au -delà des frontières.

de la start-up fonctionne : son application multiser vice permet d’aimanter les clients sur une plateforme unique, en proposant une solution de paiement à des utilisateurs non bancarisés ou sous-bancarisés, qui peuvent envoyer et recevoir de l’argent facilement, et payer des factures par l’intermédiaire d’un vaste réseau d’agents OPay revendique à ce jour 35 millions de clients individuels. En plaçant le secteur informel au cœur de sa stratégie de développement, Moniepoint a une trajectoire similaire à celle de sa rivale OPay. Mais le chemin parcouru est bien différent. « Aucune autre entreprise de technologie financière n’a passé comme nous quatre ans à comprendre comment le secteur bancaire fonctionne de manière pratique, et pas seulement théorique, estime Edidiong Uwemakpan, vice-présidente de Moniepoint. Et lorsqu’on a décidé de se lancer, on était mieux préparés que quiconque. » L’aventure Moniepoint démarre sous le nom de Team Apt en 2015 Aux manettes, six développeurs basés à Lagos. Sous le leadership de Tosin Eniolorunda et de Felix Ike, tous deux issus d’Interswitch, la première licorne africaine lancée en 2002 Le duo contribue alors à la création d’un système numérique permettant d’interconnecter les banques au Nigeria. Quatre autres développeurs rejoignent Team Apt. En conjuguant les expériences de chacun, la start-up accouche de deux produits : le terminal de paiement Moniepoint et les comptes virtuels Monify. Une combinaison révolutionnaire en 2018, alors que la majorité des banques nigérianes valident encore manuellement la plupart de leurs transactions. Team Apt devient Moniepoint en janvier 2023 « Nous opérons sous licence de banque de microfinance, avec la souplesse et l’agilité d’une banque numérique, justifie Edidiong Uwemakpan tout sourire. Nous essayons d’atteindre le niveau de crédibilité dont jouissent les banques traditionnelles » Des millions de PME, notamment issues de l’économie informelle, mais aussi des grandes entreprises, s’enregistrent alors sur les plateformes proposées par Moniepoint,

attirées par les possibilités de prêts. En 2024, la start-up affiche la santé d’une grande entreprise. Elle déclare un volume de 800 millions de transactions mensuelles. Et, toujours selon Moniepoint, sur ses machines, transiteraient 17 milliards de dollars par mois, disséminés dans chaque recoin du pays. Deux autres fintechs se disputent la troisième marche du podium des services digitaux de paiements au Nigeria : PalmPay et Kuda Bank, au coude à coude pour devenir la prochaine licorne. Mais elles sont encore loin de la société Flutterwave, cofondée et dirigée par Olugbenga Agboola. Avec une valeur estimée en 2024 à 3 milliards de dollars, cette start-up fintech devenue multinationale continue d’attirer les investisseurs. Elle côtoie et échange avec des mastodontes tels que Visa et Mastercard. En s’appuyant sur une API (Application Programming Interface), Flutterwave est capable de traiter toute forme de paiement. Sans aucune incompatibilité de systèmes ou de services financiers. Testée et validée d’abord par des commerçants en Afrique, puis par ceux des marchés émergents, cette solution de paiement en ligne compterait pour clients Facebook, Uber ou encore Jumia. Et si Flutterwave a installé son siège à San Francisco, aux États-Unis, son cœur bat toujours depuis ses bureaux de Lagos. Au Nigeria. ■

Le bo îtie r bleu de Mo ni ep oint est re connai ssab le entre mi ll e.

Afrobeats et star-system

Plus qu’unstyle musical, c’estunvéritable phénom ène de sociétépor té pardes têtesd e file ultrapopulaires. par Okechukwu Uwaezuoke

Cegenre musicalvibrant estnéauNigeria, mais adéfinitivement conquis le monde. Caractérisépar un ry thme dy namique, fusion de musiquetraditionnelleyoruba, de jazz, de fuji et de funk,l’afrobeats estdevenuunphénomène viral. Àl’avant-garde de ce mouvement, se trouvent certainsdes musiciensnigériansles plus emblématiques

Ainsi, Wizkid et Davido se sont faitspionniers et l’ont présenté au mondeàtravers des featurings avecDrake, BeyoncéouChris Brown. Pendantcetemps,Burna Boya étéune indéniable forcemotrice pour la reconnaissancedu genre. Sesalbums Twice As Tall et Af ricanGiant luiont valu unereconnaissance internationale et permisdecollaborer avec desartistescomme Justin Bieber ou SamSmith

Et la nouvelle vaguede talentsqui déferle, parmi lesquels se distinguent notammentRema,AyraStarr ou Asake, pousselegenre vers de nouveaux sommets. Le premieralbum de Rema, Rave &Roses,etson EP Ravage, reprenant desélémentsdetrapetdemusique électronique, témoignent de sonespritinnovant. La voix soul d’Ay ra Starr l’arendueincontournable,tandisque lemélange unique d’afrobeatsetdef ujid’A sake asucaptiverles foules

L’intérêtinternational suscitépar l’afrobeats s’explique parune fusion unique de sons traditionnels et modernes,ref létant le richepatrimoineculturel nigérian.Les icônes inspirentdejeunesartistesetassoient la puissancemusicaledupays–symbole de la fierté et de l’identité africaines.Portraits de troissuperstars de l’afrobeats: BurnaBoy,Rema et Ay ra Starr.

BURNABOY L’ICÔNE

MÉLA NGEZ l’esprit rebelledeFelaKuti, lesv ibrationssoul de BobMarley, le feulyriquedeKendrickLamar,etvous obtenezBurna Boy, la starnigériane quifaitdes ravages surlascène musicale mondiale !Grâce àunson unique teinté d’afrobeats, de hip-hop, de reggae et de R’n’B, cette icôneinternationaleaentaméune ascensionirréversible. Né en 1991 àPortHarcourt, au Nigeria, Damini EbunoluwaOgulu granditdansune famillede musiciens, auxcôtésd’unpère manageretd’une mère choriste.Ilcommenceàfaire de la musiquedès l’âge de dixans,inf luencé parles sons traditionnelsnigérians, le hip-hop américainetlereggaejamaïcain

Sonpremier single,« Like to Part y» (2013),aallumé l’étincelle, suiv ideson premieralbum, LIFE (2013), quia consolidésabasedefansnigérians.En2017, BurnaBoy signeavecAtlanticRecords et Warner MusicGroup,etles albums Outside (2018) et Af ricanGiant (2019) mettent en valeur songénie musical, luivalantleBET du Meilleur artisteinternational –prixaméricain créé en 2001 parle réseauBlack Entertainment Television –etune nomination auxGrammypourlemeilleuralbum de musiquedumonde

Ce n’étaitque le début: Twice As Tall (2020) remportele Grammy du Meilleuralbum de musiquedumonde en 2021. Love,Damini (2022) fait sonentrée dans le classement Billboard200,battant desrecords pour lesartistesnigérians.

Avec un sonafro-fusion très àpart, BurnaBoy continue de brûler lespistes. Un parcours enflamméloind’êtreterminé!

REMA L’ÉTOILE MONTANTE

ALORS QUE LE RIDE AU se fermait sur sa tournée à Auck land et Wellington, l’écho de ses hy mnes afrobeats résonnait encore, laissant une marque indélébile dans le cœur des fans néo-zélandais.

Né Divine Ikubor le 1er mai 2000 à Benin City, au Nigeria, Rema s’est découvert une passion pour la musique alors qu’il était lycéen. Il ne savait pas que le mélange unique d’afrobeats, de hiphop et de R’n’B qui caractérise ses morceaux allait bientôt captiver les foules du monde entier

En 2019, Rema sort « Dumebi », un premier single qui a causé une onde de choc sur la scène musicale locale Mais c’est « Calm Down », en 2022, qui le propulse vers la célébrité, avec un remix accompagné de Selena Gomez qui a atteint la troisième place du classement Billboard Hot 100. Rave & Roses, son premier album, a assis sa position de puissance musicale mondiale, atteignant la 81e place du classement Billboard 200.

L’ancien président américain Barack Obama a inclus la chanson « Yayo » dans sa playlist d’été 2024, aux côtés d’autres artistes talentueux, tels que Tems et Tyla, témoignant ainsi de la portée internationale de sa musique.

Véritable étoile montante de l’afrobeats, il peut se targuer d’être l’auteur du premier album africain à avoir dépassé les deux milliards de stream s sur Spotif y. Son st yle musical, mêlant rythmes traditionnels nigérians et sonorités modernes, inspire une nouvelle génération d’artistes.

Également connu pour son engagement envers la justice sociale, il a été un fervent soutien du mouvement #EndSA RS, qui lutte contre la violence policière au Nigeria.

Les critiques vantent son talent et son inf luence : Rolling Stone le décrit comme « un emblème de la montée en puissance de l’afrobeats à l’échelle mondiale ». The Guardian Nigeria souligne la « dominance de la musique nigériane sur la scène internationale ». Et ses fans attendent aujourd’hui la suite avec impatience

AYRA STARR LA NOUVELLE REINE

AV EC UNE VOIX semblable à celle d’un rossignol et une incroyable prestance scénique, la nouvelle sensation nigériane de 22 ans a explosé sur la scène musicale mondiale, laissant derrière elle une traînée de records et de fans sous son charme Oy inkansola Sarah Aderibigbe est née à Cotonou, au Bénin, en 2002, mais a grandi au Nigeria. Benjamine d’une famille de cinq enfants, elle a commencé à chanter dans le chœur de son église, où elle a développé une grande passion pour la musique. Cette talentueuse chanteuse et autrice-compositrice a, en effet, connu un succès fulgurant et est aujourd’hui considérée comme une pure artiste du cru.

Son ascension vers la célébrité a été rapide. Son premier EP Away et le single éponyme, sortis en 2021, ont dominé le classement TurnTable Top 50 du Nigeria pendant deux semaines consécutives Son premier album 19 & Dangerou s, également sorti en 2021, a reçu des éloges de la critique et a généré deux tubes dans le Top 40 du pays

Ay ra Starr est aussi une grande passionnée de mode et a collaboré avec des marques telles que Nike et Adidas. Défenseuse des droits des femmes et des jeunes, elle a travaillé avec des organisations caritatives pour soutenir l’éducation et la santé dans les communautés défavorisées.

Son single « Bloody Samaritan » est le premier titre solo féminin à atteindre la première place du classement

Top 50. Et quand on lui demande son secret pour être aussi douée, Ay ra répond simplement : « C’est le feu qui brûle en moi… et un peu de magie béninoise ! »

Mais c’est « Rush », sorti en 2021, qui la propulse vers la gloire internationale. La chanson a atteint la 24e place des charts au Royaume-Uni et a décroché une nomination aux Grammy Awards pour la Meilleure prestation musicale africaine. En 2024, elle sort son deuxième album, The Year I Turned 21, consolidant ainsi sa position de Première dame de l’afrobeats. Ay ra Starr a reçu de nombreux prix et distinctions, notamment le titre de Meilleure artiste féminine aux Headies Award 2023, un concours de musique créé en 2006 par le Hiphop World Maga zine pour récompenser les acteurs de l’industrie musicale locale, et s’est retrouvée numéro trois du classement Next Big Sound de Billboard en 2021. Dès le début de sa carrière, son succès brise le plafond de verre pour les artistes féminines, dans l’afrobeats et au-delà. ■

BIENNALE DAK’ART 2024 L’AFRIQUE EN ÉVEIL COLLECTIF

Pour cette 15e édition, de l’ancien palais de Justice aux pavillons

et au parcours of f, les artistes se saisissent des grands enjeux de notre temps, entre climat, identité et mémoire postcoloniale, pour un continent qui se parle en n à lui-même, sans compromis.

par Sh ir an Be n Ab de rr az ak

L’im me nse ta pi sser ie de Ma nel Ndoye, Po rtée cu lturel le, ex posée au cœur du pavil lo n ce nt ra l sé négala is a re çu le Prix du mai re de la

En ce début de mois de novembre, la capitale sénégalaise a été l’un des épicentres culturels mondiaux avec l’ouverture de la quinzième édition de Dak’Art, Biennale de l’art contemporain africain Depuis sa création en 1992, elle s’est imposée comme une institution phare qui attire tous les regards dans le monde de l’art. L’édition de 2024 a été difficile à réaliser compte tenu de la transition politique à laquelle le pays fait face. Son report de six mois, en mai, a eu l’effet d’un coup de massue, et certains acteurs craignaient de la voir tout bonnement annulée. Pourtant, à la veille des élections législatives du 17 novembre, dans la chaleur intense post-saison des pluies, Dak’Art s’ouvrait bel et bien. Et elle a offert aux amateurs et professionnels de l’art du Sénégal, du continent et du reste du monde une programmation ambitieuse, riche et foisonnante. Sous le thème de l’éveil, « The Wake », Salimata Diop, sa directrice artistique, l’a construite comme on compose un roman ou une sy mphonie. « Parce que nos arbres, notre monde, notre société, notre jeunesse brûlent », il s’agit de se laisser éveiller par les artistes, de suiv re leur sillage.

Une ouverture engagée

Le 7 novembre au matin, dans le Grand Théâtre national, la cérémonie d’ouverture donne le ton : un parterre d’invités prestigieux venus du monde entier assiste à la remise des prix qui récompensent six des 58 ar tistes de la sélection officielle, entrecoupée d’intermèdes de musique live ravissant un public qui manifeste sa joie d’être présent. Le Grand Prix présidentiel Léopold Sédar Senghor est remis par le président de la République, Monsieur Bassirou Diomaye Faye, à l’ar tiste martiniquaise Agnès Brézéphin pour son œuv re Au fil de soi(e) L’occasion pour lui de délivrer un discours fort, qui trace les contours d’une politique culturelle ambitieuse et en prise avec les enjeux contemporains : la préser vation et la valorisation du

patrimoine culturel, l’économie de la culture, le numérique et le renforcement de la décentralisation culturelle Un discours qui déçoit certains des ar tistes plasticiens présents, murmurant qu’ils auraient aimé entendre un engagement présidentiel plus ferme sur l’avenir de la Biennale ou des promesses d’investissement dans le secteur des ar ts visuels. Néanmoins, le programme énoncé est ambitieux, et les dossiers et chantiers semblent maîtrisés. Leur avancée pourrait renforcer sensiblement l’économie créative du Sénégal et donner au pays une place de tête de file régionale sur ces questions importantes de développement économique, social et territorial – en écho aux thèmes de la Biennale.

La visite inaugurale des pavillons nationaux se tient à la suite de la cérémonie d’ouverture, au musée des Civilisations noires. À peine quelques centaines de mètres à parcourir péniblement sous un soleil accablant… L’impressionnante bâtisse, monumentale et ultramoderne, accueille dans une fraîcheur climatisée les pavillons sénégalais, cap-verdien et américain. Une fois dans le pavillon sénégalais, l’œil est tout de suite attiré par une gigantesque tapisserie colorée de cinq mètres : l’œuv re de Manel Ndoye, intitulée Portée cult urelle, illustre une scène liée aux traditions de la pêche de la tribu des Lébous, et a obtenu plus tôt le Prix du maire de la ville. Cette œuvre est en dialogue avec celle d’Alioune Diagne, ancien élève de Manel Ndoye aujourd’hui chez Templon, qui présente sous le format d’une peinture hiéroglyphique une autre scène de pêche. Le sujet pourrait sembler anodin ou pittoresque si l’on ignorait les ravages économiques, écologiques et sociaux que la pêche industrielle provoque sur le littoral sénégalais. Un rappel qu’une scène innocente peut en dire beaucoup. L’attrait est fort de la part des visiteurs, qui virevoltent d’une œuvre à l’autre et se photographient avec les ar tistes présents ou devant leurs œuvres

À ga uche Ma dam e Kh ady Di èn e Gaye, mi nis tre de la Jeun esse, de s Sp or ts et de la Cu ltu re. À droi te, Sa lim ata Di op, di re ct ric e ar ti stique de D ak ’A rt
Dialogu es, d’Ouma r Ba ll, instal lé e dans le pat io ce ntra l du pa lais de Ju stic e.

Un off foisonnant

Pendant la Biennale, la ville de Dakar vibre au diapason de l’ar t. En effet, plus de 450 manifestations ar tistiques ont été recensées dans le cadre du of f. La ville était donc parcourue d’amateurs d’ar t d’ici et d’ailleurs, qui allaient d’une exposition à un talk et s’échangeaient les bons plans. Des galeries et des projets ar tistiques d’autres pays ont aussi posé leurs valises dans ce temps of f pour participer à l’effervescence ar tistique C’est le cas de la galerie Christophe Person (Paris), qui a pris possession du Jardin tropical, au nord, pour y faire une proposition sur le thème de la ville, où l’on pouvait retrouver des œuvres des ar tistes sénégalais Mamady Seydi et Fally Sene Sow ou encore Nyaba Léon Ouedraogo (artiste burk inabè ayant aussi participé à l’exposition internationale du in).

C’est le cas aussi de l’exposition intimiste « Animal Kingdom », montée dans la maison d’hôte Casa Mara. Celle-ci explore la nature humaine et les dy namiques sociales à travers des œuvres du Tunisien Slimen El Kamel, sensible coloriste (présent dans le in), du très cinématographique congolais né aux USA Bayunga Kialeuka, et du camerounais Franck Kemkeng Noah, qui se joue des codes de l’histoire de l’ar t pour interroger la place de l’Af rique dans le milieu. Cette exposition est montée par le Kloser Ar t Projects, un programme nomade dédié à l’ar t contemporain d’avant-garde, mettant en avant des ar tistes af ricains et de la diaspora, fondé en 2018 par Klaus Pas, commissaire et collectionneur.

Pour ajouter à la dy namique et continuer de faire perdre le nord aux amateurs d’ar t perdus dans cette prof usion

Ab doulaye

Ko naté pose deva nt so n œu vre in éd ite

Ho mm age aux chas seu rs du Ma nd é #4, présenté e lo rs de la Bi enn ale p ar la O H Gal le ry

d’expositions, cette année, la 13e édition du « Partcours », qui regroupe 33 espaces, est organisée en sy nergie avec le of f C’est dans ce cadre que OH Galler y – qui, par ailleurs, représente Oumar Ball, présent dans le in – propose une œuvre inédite d’Abdoulaye Konaté, qui poursuit le travail entamé il y a près de trente ans sur les chasseurs du Mandé. Cet hommage, dans le contexte de la Biennale, illustre la façon dont les traditions anciennes réapparaissent et se transforment face aux défis actuels, et témoigne de la place

que trouvent les valeurs, les pratiques ancestrales et leur signification dans un contexte de crise moderne. Il faut aussi aller visiter la galerie Selebe Yoon : proposant trois expositions dans un espace incroyable, elle sert également de résidence, à la fois pour les ar tistes et pour la recherche et la curation. Des fenêtres de la galerie, une très belle lumière rase les toits jaunes de la ville sous les piaillements des oiseaux qui passent et repassent, omniprésents L’une des expositions présentées était celle du Sénégalais

Arébénor Basséne, également présent dans le in de la Biennale. Et puis, Laurence Maréchal, figure historique de la ville de Dakar, grande voyageuse et collectionneuse, femme de culture, a ouvert les portes de son petit paradis de verdure en plein cœur du Plateau, à une rue de la place de l’Indépendance, pour donner à voir sa collection, ses meubles glanés çà et là sur le continent tout au long de ses aventures Elle propose également des ateliers d’ar tistes qu’elle coordonne encore, les ateliers Nylanou.

Enfin, un lieu particulier propose l’exposition « Cartographie sensible », montée par le commissaire

Theo Petroni, où l’on retrouve les œuvres des ar tistes Kareoba, Deborah Metsch, Benjamin Monteil et Uda Niane. Il s’agit de la Maison Eiffage, espace inauguré en 2022 et qui a vocation, nous dit Maimouna Dème, responsable communication d’Eiffage Sénégal, d’héberger la collection des œuvres d’ar t du groupe, qui s’engage dans la promotion de la culture et des ar tistes sénégalais depuis plus de vingt ans. Un écrin pour montrer une belle sélection aux employés de la structure, mais également au grand public

Dans le labyrinthe de

l’ancien palais de Justice

Le cœur de la Biennale se trouve dans l’ancien palais de Justice de Dakar, au cap Manuel. L’édif ice emblématique coupe le souffle par sa stature et ses volumes. C’est dans ce laby rinthe br utaliste constr uit en 1957 par Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut que va se déployer une proposition ar tistique puissante, où l’esthétique se marie à la politique et où le conceptuel est incarné par des techniques et des langages plastiques forts et ancrés dans les traditions. Cinq expositions, une bibliothèque haptique, l’installation d’un grand témoin Il est possible de s’y perdre au sens propre comme au figuré pendant des jours. Tout commence dans le périst yle, ancienne salle des pas perdus aux 99 colonnes et au patio central empli d’arbres Il est occupé par des installations monumentales saisissantes. Celle de l’ar tiste mauritanien Oumar Ball s’intitule Dialog ues et est une sculpture en assemblage de tôles, fers et autres métaux, qui représente une hyène aux prises avec trois vautours, dont l’un se tient sur un globe : métaphore puissante à la résonance politique forte en ces temps où nous semblons encerclés partout de charognards.

Ensuite, visite de la bibliothèque haptique, l’un des espaces les plus étonnants du in Une grande salle emplie de vidéos, d’objets du quotidien, d’éléments ar tisanaux venus des quatre coins du continent. Un espace à explorer, mais où l’on est aussi invité à toucher, écouter, expérimenter

« Ta ra na », ex po si ti on per son nelle d’Aréb én or Bas séne, présenté e par Se le be Yo on à l’oc casion de cette 15 e éd iti o n.

bi bl ioth èqu e hapti qu e, « es pace ra dic al de m ém oire et de ré si

Ex posi ti on de s com missai re s invité s, « On s’ar rêtera qu and la te rre ru gi ra ». Ic i, œu vres de Cl éo ph ée R.F Moser et Beya Gill e Gacha.

Léon Ouedraogo ? Les lettres à la mer de la Tunisienne Faten Rouissi ? Le parcours floral tissé et parf umé de la Marocaine Ghizlane Sahli ? Tellement d’œuvres dialoguant entre elles, exprimant des choses de ce monde qui nous entoure. Nous plongeant dans leur sillage… Et pour tant, l’essentiel à retenir ne réside peut-être pas dans les thématiques abordées, que l’on peut retrouver au gré des différentes expositions et foires dans le monde. Non, l’essentiel est probablement le fait que, pour une fois, les ar tistes af ricains parlent de ces sujets, abordent ces thématiques, ensemble, entre eux, pour eux et pour nous. Sans se préoccuper du regard de l’Occident et de son jugement sur ce qu’ils ont à en dire Sans avoir à adapter le discours, le propos, le concept, pour plaire à cet Autre avec lequel il est de plus en plus complexe d’entretenir des rappor ts équilibrés, compte tenu des thèmes dont il est question. Le climat, ses dérèglements, l’identité, sa constitution, son développement, la migration, la colonisation, ce non-dit, la post-colonisation, cette inachevée… Tout cela est, dans cette Biennale, manifesté et incarné par des œuvres produites par des Af ricains du nord au sud, de l’est à l’ouest.

Rupture et nouvelle définition

autrement. Salma Kossemtini, l’une des curatrices, membre de l’équipe d’Archive Ensemble – qui a conçu cette bibliothèque – nous explique que c’est un espace radical de mémoire et de résistance, où la remémoration se libère des modes traditionnels pour explorer de nouvelles façons de toucher le savoir. Livres, tissus et objets divers y cohabitent pour inviter le visiteur à se connecter, au-delà du texte imprimé, à une mémoire collective et sensorielle, célébrant ainsi une Af rique qui communie avec son histoire et ses récits Les enfants étaient au comble du bonheur dans cette salle où ils étaient enfin invités à interagir avec ce qu’ils percevaient.

De ces heures d’errance dans les méandres de l’ancien palais de Justice, que retenir ? La Chapelle aux mains coupées de la kényane Wangechi Mutu, grand témoin de cette édition ? Les photos du Burk inabè Nyaba

Que ce soit l’exposition internationale et ses quatre chapitres, l’exposition des commissaires, le tour de force magistral en rappor t avec la question du design sur le continent, l’exposition des collectionneurs, l’œuv re magistrale (à la fois glaçante et transcendante) du grand témoin, l’ensemble des œuvres offertes au regard, la proposition ar tistique et ses scénographies composées avec beaucoup de maîtrise, tout cet ensemble grandiose nous habite encore longtemps après en être sorti. De très rares événements ar tistiques sont capables de marquer une rupture. Rares sont ceux également dont on peut dire qu’ils marquent une transition entre un avant et un après. Cette Biennale en fait partie. Pour la simple raison qu’elle permet peut-être enfin de faire sortir l’ar t contemporain créé sur le continent du ghetto de « l’ar t contemporain af ricain ». ■

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« Le s La me ll es », un p arcou rs floral im me rs if et sensori el p ro posé par la Maro ca i ne G hiz la ne Sa hl i.

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SOUKAÏNA OUFKIR

UNE VOIX LIBRE

L’artiste sort un premier album intime, bien décidée à tourner la page des blessures du passé, à s’émanciper, à faire tomber les barrières, à s’exprimer pleinement. Une œuvre à la fois douce, sensible et puissante, le début d’un nouveau chemin, d’une nouvelle vie. propos recueillis par So un do us s El Ka sr i

À60 ans, Soukaïna Oufk ir signe et autoproduit un prem ier album si ng ulier, né d’une ex istence marquée par l’enfermement et d’un besoi n absolu de liberté. La plus jeune fille du général marocain Mohamed Oufk ir est emprisonnée à 9 ans avec sa mère, ses frères et sœurs, ainsi que deux autres personnes sans lien avec leur famille, toutes victimes collatérales de la tentative de coup d’État de 1972 contre Hassan II. Pendant près de vingt ans, ils sont enfermés dans des conditions terribles, jusqu’à leur libération en 1991 Aujourd’hui, elle choisit de reléguer cette histoire au passé. Elle estime avoir déjà tout dit dans son livre, La Vie de vant moi, publié en 2008 chez Calmann-Lévy Désormais, elle choisit de parler de musique, de présent et d’espérance. C’est donc à travers D’une vie, l’autre, sorti le 20 septembre dernier, qu’elle se raconte sans rancune ni revendication Chaque chanson est une déclaration, une affirmation de la liberté de penser, de ressentir et de dire. L’opus navigue entre blessures du passé et aspiration à savourer pleinement Ses textes

chantent l’amour, les rencontres et ce toi mystérieux, sy mbole d’une âme sœur à l’esprit libre, comme elle.

Pour Soukaïna, la musique est bien plus qu’un exutoire ; c’est un refuge, une deuxième respiration où sa liberté s’expr ime sa ns compromis. Sa voix, puissa nte et désarmante, porte aussi une sagesse, une lucidité. Avec cet album, elle ne cherche ni projecteurs, ni validation, ni pardon, ni excuses. C’est d’abord un cadeau qu’elle s’est fait à elle-même. Et pour ceux qui voudront l’écouter, ils y trouveront une femme qui, malg ré tout, a choisi de rester debout, déterminée à vivre pleinement.

AM : Soukaïna, vous avez mis près de trente ans à sortir cet album. Qu ’est-ce qui vous a finalement poussée à le partager ?

Soukaïna Oufkir : Quelques mois avant de fêter mes 60 ans, je me suis demandé quel cadeau je pouvais me faire à moimême. Et je me suis dit : « Il faut que tu réalises ton album. »

Pendant des années, ce n’était pas tant la production des titres qui prenait du temps, mais plutôt l’espoir de convaincre un label ou une maison de disques de me signer. Donc j’étais dans cette attente-là En parallèle, je faisais de la scène Mais en arrivant à 60 ans, j’ai compris que personne ne s’intéresserait à mon travail. Alors, j’ai décidé de le faire seule, en toute humilité, avec cette conscience qu’à la fin, on ne laisse derrière soi qu’un souvenir que le temps estompera.

Vous êtes une jeune chanteuse de 60 ans.

Comment appréhendez-vous cette aventure ?

Avec apaisement. J’ai donné le meilleur de moi-même.

Tous les artistes qui ont contribué à ce projet sont ici remerciés chaleureusement J’ai accompli ce rêve d’enfant, je vais en réaliser un autre, car j’ai besoin de rêver. Soyons fous : la paix dans le monde, les droits des femmes, l’émancipation de l’homme. [Rires.]

Et concrètement, comment voyez-vous l’avenir ?

Mon avenir est un présent. Demain n’existe pas encore. Mes chansons vont vivre leur existence. Si elles sont écoutées, appréciées, partagées, merci la vie. Si elles ne le sont pas, merci aussi.

Dans vos paroles, on ressent une tension entre ombre et lumière, épreuve et renaissance, comme dans « Entre- deux », où vous écrivez : « Les mêmes murailles élèvent les mêmes dérives. » Est- ce que cet album est pour vous une façon de dire « je suis là » ?

Une chanson n’est pas une déclaration de présence ou d’absence ; c’est avant tout une inspiration, une histoire que l’on raconte. Mes morceaux me permettent de défendre des valeurs en lesquelles je crois. Par exemple, peu de personnes ont compris que celui que vous citez parle de polyamour. La société nous restreint et multiplie les interdictions, comme une morale qui dépasse les limites de la morale. Je suis une telle amoureuse de la liberté que j’observe son absence dans toute

« Une ch an son, c’est avant tout une in spir at ion, une hi st oi re que l’on racont e. Me s morc eaux me permet tent de défend re de s va leu rs en le sq uelles je cr oi s. »

Imag e du c lip de « Si c'était ell e ».

chose. Je suis pour le respect de l’autre, je suis pour le respect de soi-même, mais que l’on arrête de trouver des solutions par l’interdit ! Nous devrions plutôt éduquer.

Cet album vous a-t- il permis d’exprimer cela ?

Chacune des chansons parle d’un sujet qui me touche, mais sans préméditation ; elles s’imposent à moi en fonction de ce que j’ai vécu. Je ressens beaucoup de fr ustration par rapport à la notion de liberté. Mais ce n’est pas pour dénoncer quoi que ce soit que j’ai enregistré cet album. La musique m’est vitale. C’est raconter une histoire en trois minutes et laisser chacun en faire ce qu’il veut. Dès qu’un morceau est en ligne, il ne m’appartient plus

Et vous a-t- il permis de découvrir quelque chose sur vous -même ?

Ce dont j’ai pris conscience depuis sa sortie, c’est de ma ténacité. Je n’ai jamais lâché, peu importent les obstacles. Comment écrivez-vous ?

Quand l’inspiration vient. C’est comme une voix intérieure qui se manifeste sans prévenir. Il y a des refrains que j’ai enregistrés dans le métro, avec la chanson déjà formée dans ma tête Une fois l’inspiration passée, il reste le travail : je fignole chaque mot, car je suis très attachée au texte, à l’écriture.

Que représente ce toi, qui revient souvent dans vos chansons, comme « Il y a toi » ?

Ce sont ces âmes sœurs que la vie nous permet de croiser, des êtres avec qui l’on partage des fondamentaux, même si l’on est différents Dans ce monde si fragile, il y a encore des gens qui ga rdent les pieds sur terre tout en regardant les étoiles, sans se laisser emporter par la futilité ou la brutalité. Je l’ai déjà dit, on n’est peut-être pas les plus forts, mais on est nombreux.

Dans « Vis », vous dites : « Le passé, efface- le ; le futur, efface -le ; rien n’existe que le présent. » Est- ce une urgence de vivre l’instant ?

C’est une forme de lucidité. Dès lors que l’on comprend que le passé est à sa place et que le futur n’est pas encore là, alors

chaque instant devient une véritable urgence. Prendre le temps d’observer, de ressentir, d’être là avec gratitude… En somme, il s’agit de vivre aussi intensément que possible le moment présent.

Dans « Si c’était elle », vous parlez d’une muse, d’une présence idéale. Que représente-t- elle pour vous ?

C’est un idéal d’amour. Comme une moitié Je ne désespère pas de finir ma vie avec quelqu’un qui respectera à la fois mes forces et mes faiblesses, qui aimera ce corps qui s’écroule, mon âme qui se bonif ie, mes démons jugulés, ma vie, ses merveilles et son prix en étendard Quelqu’un qui ne réclame rien, afin de me laisser l’espace de tout lui donner. Et réciproquement. Et pourtant, aimer est presque contradictoire avec ma quête de liberté… Ne sommes-nous pas tous faits d’ambivalences ?

L’amour serait ainsi au -dessus de la liberté ?

« Mon cœur est à la fois ma ro ca in et fr ança is. Je n’ai mera is pa s que l’on me dema nde de choi si r. Une fois encore, c’est ma li bert é. Et si un autr e pays deva it m’ac cuei lli r, mon cœur sera it as sez gr and pour lu i au ssi. »

Quand il interv ient, c’est vrai qu’il l’emporte… Vos textes évoquent souvent la mémoire et la résilience. Cet album vous aide-t- il à apaiser la douleur du passé ?

J’ai un passé qui est ce qu’il est, et j’ai fait un travail sur moi pour passer de la colère au pardon, et du pardon à l’acceptation. Ce n’est pas pour guérir que je crée, mais en le faisant, je me répare Ma douleur, aujourd’hui, est liée aux horreurs du monde. Alors, je fais ce que je peux pour démultiplier mon humanité et ma bienveillance, comme pour compenser la furie de notre temps.

Les chansons « Entre deux » et « L’Animal » expriment un désir d’ailleurs, de sortir des limites. Après ces années de reconstruction, quel est ce désir d’ailleurs ?

S’il existait un endroit où la liberté correspond à ma vision, j’y serais. Comme je ne le connais pas, j’élargis mes libertés là où je suis Le temps qu’il me reste à vivre est court, mais je garde espoir que les humains finiront par se tenir debout et penser par eux-mêmes. Sur tous les sujets, mon premier réf lexe, c’est la liberté : celle de penser, de conscience, d’exister pleinement. En tant que femme, c’est souvent plus difficile à affirmer qu’en tant qu’homme, alors je mets deux fois plus d’énergie à la faire respecter. Votre mère semble être une présence douce, mais puissante, dans votre vie. Qu ’est-ce qui reste de son influence ?

Son éducation – le plus beau cadeau qu’elle m’ait fait. C’est un passeport pour la vie. Parfois, j’ai l’impression qu’elle est là pour me rappeler ce qu’elle m’a transmis J’ai traversé sept ans de deuil, où j’ai manqué de souf fle, d’air… J’ai manqué de tout, jusqu’au moment où je l’ai portée en moi. D’ailleurs, la chanson « Un » en parle. Je la porte comme elle m’a portée pendant neuf mois. Je l’emmène partout, elle vit tout avec moi, le bon comme le mauvais. Je l’aime. Elle est là, au quotidien, et m’accompagne dans chaque choix.

Entre le Maroc et la France, où vous avez vécu longtemps, où balance votre cœur ?

Mes racines sont marocaines Mon cœur est à la fois marocain et français. Je ne confonds jamais un pays avec son gouvernement. Quand je pense à la France, je pense aux amis qui m’y ont accueillie, à ce que j’y ai appris – la laïcité, les droits et les devoirs. Depuis trois ans, je suis revenue au Maroc, et je savoure ce retour aux sources. J’habite à Marrakech, une ville où règnent une magie et une humanité dont j’ai besoin au quotidien. Mais je n’aimerais pas que l’on me demande de choisir. Une fois encore, c’est ma liberté. Et si un autre pays devait m’accueillir, mon cœur serait assez grand pour lui aussi. Maintenant que l’album est sorti, pensez-vous déjà à un second projet ou préférez-vous savourer l’instant ?

L’envie est là, c’est certain J’ai même relancé quelques ar rangeurs que je connais pour travailler sur une nouvelle idée – complètement différente. Mais pour l’instant, je préfère ne pas en parler, car ce n’est pas encore concret. Je pensais que cet album marquerait la fin, le point final. Mais dix jours après sa sortie, j’étais déjà en train d’appeler les arrangeurs pour leur proposer de recommencer Donc oui, c’est reparti. ■ DR

Felwine Sarr

«

NOUS SOMMES DES ÊTRES DE L’INCOMPLÉTUDE »

L’écrivain sénégalais, éditeur, économiste, et d’autres choses encore, livre un recueil de nouvelles à mi-chemin entre ction et autobiographie. Des textes sur l’amour, les liens qui se tissent et se détissent, et sur notre solitude fondamentale. Rien de désespérant, bien au contraire… propos recueillis par As tr id Kr ivi an re nc on tr e

Les humains sont-ils incapables d’aimer ? Avec son recueil de nouvelles au titre intrigant, Le bouddhisme est né à Colobane, l’écrivain sénégalais propose une variation méditative sur le thème de l’amour, des liens qui s’essou ff lent, s’épuisent, su r la quête d’absolu à travers l’autre. Se livrant à une introspection, ses person nages sont conf rontés à l’érosion des sentiments, à la perte, à l’écueil d’une conception égotique de l’amour, au deuil, aux carcans sociétaux, aux rendez-vous manqués. En tirant des enseignements, des réf lexions de leurs expériences, de leurs tourments existentiels, ils tentent de se libérer de leurs illusions, d’apprivoiser leur blessure, la solitude, de cheminer vers un amour plus apaisé, bienveillant et altruiste. Un

apprentissage pour aussi accepter l’impermanence, la métamorphose constante des choses, des af fects, des relations. Ry thmés par les musiques de Wasis Diop, Cheikh Lô et des arpèges cristallins du regretté Toumani Diabaté, ces textes lumineux et philosophiques puisent dans diverses spiritualités pour nourrir son propos.

Né en 1972 à Niodior, au Sénéga l, Felw ine Sa rr est romancier, essayiste, universitaire, musicien, cofondateur de la maison d’édition Jimsaan, ainsi que de l’événement culturel Les Ateliers de la pensée à Dakar. Professeur agrégé d’économie, il enseigne actuellement les philosophies africaine et diasporique à l’Université Duke de Durham, en Caroline du Nord, aux États-Unis Ses essais Af rotopia, plaidoyer pour l’autodétermination de l’Afrique, ou Habiter le monde, qui invite à renouveler notre relation avec la communauté du vivant, sont devenus des ouvrages de référence.

AM : De quelle nécessité l’écriture de ce recueil de nouvelles est- elle née ?

Felwine Sarr : C’est une réf lexion de longue haleine, j’ai écrit ces textes au fil du temps. J’ai voulu explorer différents aspects sur le thème du lien qui se défait, et réfléchir en creux sur nos idéaux à propos de l’amour. La réflex ion sur les questions spirituelles s’est invitée. C’est un sujet essentiel de la vie humaine. Souvent, dans notre littérature africaine, il y a très peu de place pour l’intime. Mon travail littéraire creuse des questions existentielles et individuelles, des dimensions de la condition humaine, des tensions intimes. Les liens que nous articulons avec les autres sont fondamentaux. Avant d’être des êtres collectifs, on est d’abord des individus. Pourquoi le titre Le bouddhisme est né à Colobane, en référence à ce quartier de Dakar ?

C’est un déplacement. Le bouddhisme est né en Inde, à Bodhgaya, où le Bouddha assis sous un arbre médite et atteint l’illumination ; il comprend l’impermanence des phénomènes, des choses – le samsara J’ai imaginé que des gamins, assis sur un banc à Colobane, ce quar tier très intense, très boui llonnant à Dakar, observent la vie se faire, se défaire, les événements naît re, puis disparaître, cet écoulement, ce flux, cette tran sfor mation incessante des choses Comme si, à partir de ce lieu, ils accédaient à la sagesse, à l’intelligence du monde. Les écrivains recréent les mythes, les déplacent, ils font récit, ils fabulent. Et puis, mon ami musicien Wasis Diop a grandi à Colobane. Pour moi, il est un sage, je le compare à un moine bouddhiste. C’était ma manière de lui faire un clin d’œil, de même qu’avec sa chanson « Let It Go » évoquée dans le livre, et qui aborde cette facu lté à la isser couler les choses L’un de mes personnages souhaite que son âme soit vaste comme un estuaire, af in d’accueillir ce qui ar rive, ce qui s’en va, le mouvement. Il fait l’expérience d’une perte, il essaie de vivre son deuil ; ce chemin passe par l’acceptation que les choses viennent et passent. C’est plus facile à dire, à écrire, qu’à expérimenter dans sa propre existence. La nouvelle « Elyne Road », du nom de ce morceau de Toumani Diabaté qui accompagne le texte, raconte l’érosion de l’amour, du désir.

l’autre ne la voit plus, ne la perçoit plus Elle n’est plus un don, elle devient un dû Le temps peut éroder une qualité de présence. Ce qui m’intéressait ici, c’était de montrer que parfois, nul n’est responsable. Il n’y a pas de coupable à désigner, cela fait partie de l’étiolement des choses, c’est une thermody namique. Peut-être devrions-nous penser à la manière dont on octroie sa présence C’est aussi une réf lexion sur ce qui s’épuise, s’essouff le, sur le sentiment qui se transforme. Cela fait écho à la métamorphose de toute chose. Nous cherchons de la permanence, de l’identique dans un sentiment qui bouge, affecté par le passage du temps… Est-ce raisonnable ? Je questionne ces présupposés, ces attentes, ces illusions à l’aune de l’expérience du réel.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

◗ Le bouddhisme est né à Colobane, éditions Philippe Rey /Jimsaan, 112 pages, 17 €, 2024.

◗ Les lieux qu’habitent mes rêves, Gallimard, 2022.

◗ La Saveur des derniers mètres, Philippe Rey, 2021.

L’habitude, le quotidien y mènent-ils inexorablement ?

J’interroge la quot idien neté du couple, en mobi lisa nt notamment cette idée rencontrée chez le philosophe François Jullien et l’écrivain Pascal Quignard : une présence se désactive lorsqu’elle est donnée de manière habituelle, routinière ;

Le texte « Teibashin » narre une relation amoureuse contrariée par une vision traditionnelle du mariage et illustre la tension entre la pression sociale, familiale et l’aspiration au bonheur, à la liberté de l’individu… C’est une grande question. Les sociétés ont organisé les cadres de la conjugalité, des foyers familiaux pour que des gens se marient, fassent des enfants, les éduquent et participent à la construction de la société. Généralement, la fable que la société raconte, c’est que ce lieu a été conçu pour que les gens soient heureux. Mais celui-ci est surtout configuré pour la reproduction sociale. Les individus sont pris en tension entre le désir de stabilité, de permanence, et celui d’être profondément eu x-mêmes, heureu x. La conjugalité est-elle le lieu de l’épanouissement ? On peut imag iner des tentatives pour la réinventer. Qu’est-ce qu’un amour qui se déploie sous la tutelle du rega rd social ? Da ns les histoi res de couples, généralement, un certain nombre de difficultés proviennent du groupe – lequel a configuré ces formes, et enjoint les individus à s’y pl ier. Une scénog raph ie est déjà là, et chacun doit y tenir un rôle Ce sont des relations que le groupe autorise et norme. Bien souvent, les tensions dans un couple vien nent du fa it de devoir répondre à des injonctions concernant des questions intimes, d’une part, et nouvelles, d’autre part : un couple devrait pouvoir imaginer son propre modèle relationnel. Mais la société se pose en garante, elle surveille, el le sa nc tion ne Elle est coercitive C’est une thématique ancienne : comment faire du cadre conjugal un lieu épanouis-

Ta ble ro nd e autou r de l’ou vrag e Peup le de l’ea u, d’Issa Da ma an Sa rr (a u centre) anim ée par Fel w in e Sa rr (à droi te) et Mo ham ed Mbouga r Sa rr (à ga uc he).

sant ? Je ne suis pas sûr que la plupart des couples soient heureux dans cette forme-là.

Est- ce pour cette raison que votre narrateur déclare : l’amour n’est pas fort ? Car, parfois, il ne gagne pas face à ces conventions sociales ?

Il y a cette idée-là, en ef fet. Mais j’invite aussi à réf léchir sur ce que l’on prétend appeler amour. Le texte évoque cet amour profondément égocentré, porté sur la satisfaction de ses besoins, qui peut utiliser l’autre pour répondre à ses propres fins psychologiques. Cet amour n’est pas fort, car il est incapable d’altruisme. Tandis que l’amour avec un grand A est une quête infinie, vertigineuse et presque impossible pour nos petites humanités. Nous sommes pris dans ces tensions. Les fictions que nous racontent les chansons populaires, les roma ns amoureux, est- ce vrai ment la réalité, le véritable amour ? Nous devons le repenser.

L’amour est- il avant tout amour de soi, comme vous l’interrogez ?

C’est là où le bouddhisme est intéressant : il a une conception bienveillante de l’amour, faite de compassion, d’élargissement de l’esprit, moins centrée sur l’ego, ouverte à la pluralité, au souci du bien pour autrui. Év idemment, c’est fondamental de s’aimer, d’être préoccupé de son bien à soi, mais on ne peut pas s’y limiter. Il y a peut-être un déplacement à opérer entre les besoins individuels et les besoins de la relation, en matière de générosité, d’altruisme. C’est une tâche difficile, et je ne prétends pas donner des leçons C’est un espace à interroger L’amour est- il une « fausse appellation d’une complexion égocentrée qui se raconte la belle histoire de l’élan vers l’autre », comme vous l’écrivez ? Souvent, on aime

« La solitude est une part essentielle de notre ex istence, apprenons à vivre avec, renonçons à l’illusion qu’autrui comblera nos besoins. »

avant tout l’image flatteuse que l’autre nous renvoie de nous- mêmes ?

La question de l’ego est centrale, cette nécessité d’être un sujet individuel, de s’accomplir, de répondre à ses propres besoins. Et en même temps, nous devons lutter contre l’obsession narcissique, l’image flatteuse, des questions complexes auxquelles la relation nous expose. Le lien à autrui est aussi un chemin d’apprentissage sur soi ; il doit mener au progrès spirituel. On apprend beaucoup à travers le miroir que l’autre nous renvoie, y compris sur des dimensions inconnues de nousmêmes, dont on n’a pas vraiment conscience. C’est l’occasion de les regarder et de faire un travail à ce sujet. Doit-on comprendre qu ’aucune relation ne peut

combler le manque constitutif à tout être humain ?

En effet. Depuis les my thes antiques court cette grande illusion : la rencontre avec l’autre nous comblerait. On serait incomplets Ainsi, on cherche l’âme sœur, on cherche sa moitié. Il y a aussi ce désir de retourner dans le ventre de sa mère, de retrouver l’union primordiale. Or, nous sommes des êtres de l’incomplétude Il faut l’appr ivoiser. La solitude est une part essentielle de notre existence, apprenons à vivre avec, renonçons à l’illusion qu’autrui comblera nos besoins. C’est un chemin vers une relation plus juste, plus saine. La béance est constitutive de notre identité, aucune relation ne viendra la colmater. Il s’agit d’essayer d’apprendre à faire la paix avec ça. L’amour finit- il toujours par manquer sa promesse ?

C’est toute la complexité du sentiment amoureux et des tensions qu’il révèle : tout individu mène une quête d’absolu, mais est-ce raisonnable de le chercher au sein d’une relation humaine ? C’est un exercice délicat de lucidité, car il ne faut pas non plus verser dans le cy nisme, manquer à la présence de ce sentiment, prédire sa fin, ne pas le vivre pleinement Cela dépend aussi de quel ty pe d’amour il s’agit : si c’est l’amour avec un petit a, tourné vers nos ego, alors il manquera sa promesse. Mais si l’ego est conscient de la qualité du lien à autrui, avec bienveillance, qu’il accepte l’impermanence des choses, qu’il a fait la paix avec ses illusions, peut-être que l’amour peut tenir sa promesse.

Pourtant, l’amour est aussi « la forge d’oubli du réel », écrivez-vous.

Oui, il sublime le réel, il transporte Pendant un temps, on habite ce lieu, on aime colorer le réel de la teinte de notre choix. Jusqu’à ce que ce réel nous rattrape. Tant que c’est une illusion consentie, dont on a conscience, il n’y a pas de problème, on accepte de la vivre comme telle. Le problème est de prendre cette illusion pour vérité, réalité. Qu ’est-ce que « vivre au -dessus de ses moyens existentiels », pour citer vos mots ?

Parfois, il arrive que l’autre nous comble, nous fournisse de l’énergie vitale Il devient alors notre ox ygène – une idée très présente dans les romans et les chansons. Mais c’est le comble de l’illusion. On vit alors au-dessus de ses moyens existentiels. Ce n’est pas un rappor t juste au monde et au x choses, car quand l’autre n’est plus là, on croit que l’on ne peut plus vivre ni respirer. Or, on devrait pouvoir compter sur nous-même pour l’élan de vie, et ne pas reporter cette responsabilité sur autrui.

Que représente la musique pour vous, au cœur de ces textes ?

C’est l’une de mes pratiques artistiques. Et les musiciens font partie de mon espace spirituel, esthétique et mental. Je voulais rendre hommage à ceux qui me sont chers – Wasis Diop, Toumani Diabaté, Cheikh Lô. La musique suggère l’immatériel, l’ineffable, l’indicible, elle nimbe l’atmosphère. J’ai voulu convoquer ces ambiances, ces trames, ces lieu x, ces

« La béance est constitutive de notre identité, aucune relation ne viendra la colmater.
Il s’agit d’essayer d’apprendre à faire la paix avec ça. »

formes esthétiques et les enlacer. Les sentiments s’expriment différemment à travers la vibration, le texte musical. Elle a cette capacité à nous faire passer « de l’autre côté de la réalité », dites-vous.

Les et hnomusicolog ues l’ont bien mont ré : la première forme de savoir n’est pas le texte écrit, mais le texte musical. Les premiers hommes ont chanté avant de parler, pour communiquer des messages importants (recherche de l’eau, présence de prédateurs, etc.). La musique est un outil de savoir, de connaissance, un espace vibratoire qui communique une présence à travers l’onde Elle touche à des étages profonds de l’être.

Pourquoi est- ce important pour vous de cultiver différentes spiritualités ?

J’ai eu la chance de grandir dans une famille musulmane, qui prônait une ouverture à d’autres traditions spirituelles. J’ai étudié dans des écoles privées catholiques. Le patrimoine spirituel de l’humanité est si riche ; on peut nourrir sa réflexion à plusieurs sources sans avoir le sentiment de trahir sa tradition. On n’est même pas obligés de s’identifier de manière absolue à un vocable, une appellation. Lire les grands maîtres soufis ou bouddhistes, méditer sur les grands mystiques chrétiens ne peut être que bénéfique dans cette quête.

De quelle manière votre enfance sur l’île de Niodior, dans le Sine -Saloum, vous a-t- elle forgé ?

On hérite des lieux que l’on habite et que l’on fréquente. Ces géographies physiques deviennent des géographies mentales et spirituelles. J’ai eu la chance d’habiter un lieu d’une beauté naturelle extraordinaire, fait d’eaux, de bras de mer, de bolongs [chenaux d’eau salée, ndlr], de palétuviers, de terre aussi. La présence de ces éléments m’affecte et a sans doute éveillé mon désir de voyager, de circuler

Comment sacraliser notre rapport au monde, aux autres, et être plus bienveillants ?

C’est l’un de nos grands défis : nous devons qualifier au mieux ces liens que nous articulons avec la communauté du vivant, sans laquelle nous ne pouvons vivre. On a été éduqués à devenir des extractivistes, des prédateurs, à transformer toute chose en objet pour notre profit Év idemment, les besoins nécessaires de la vie doivent être comblés. Mais nos défis écologiques, sociaux, culturels et politiques sont aussi liés à cette rationalité. L’Afrique produit moins de gaz à effet de serre que les autres, elle n’est pas très industrialisée, elle dévaste moins. Des cultures africaines traditionnelles rurales entretiennent un rapport de négociation aux écologies premières, au biotope. Ces ressources existent dans nos sociétés, on doit les envisager, les préser ver ; elles peuvent répondre aux besoins économiques tout en portant un soin à l’environnement. Les deux peuvent aller de pair. Il y a ce grand rêve d’industrialiser l’Afrique pour rattraper un soi-disant retard. Ainsi, dans de nombreux projets dits « de développement », la question écologique n’est pa s cent ra le. Cer ta in s revendiquent même le droit à polluer plus pour accéder aux bienfaits de la civilisation techno-industrielle. Je ne suis pas sûr que ce soit le chemin du progrès.

Comment gardez-vous l’équilibre dans ce monde violent ?

Nou s vivons de s te mp s cr épuscu la ir es, ma is nous ne de vons pa s abdiquer. Notre tâche d’éc riva in est peut-être de trouver les mots qui font sens, qui apaisent et redonnent espoir

Nous devons refuser la nuit définitive, et trouver les raisons qui maintiennent la lueu r. Êt re lucide est une tension douloureuse : c’est ne rien attendre du monde, mais aussi ref user l’obscur ité. Comment redonner du sens aux choses, à l’humanité, face à tant de dévastation, comme ces 50 000 morts à Gaza ? Je pense à Camus : comment peut-on consentir à l’absurde ? C’est une grande tâche. Devant un tel déferlement, que peuvent les mots ? Ils sont dérisoires, mais aussi essentiels.

importantes envers ce dernier, qui en est à ses débuts ; il faut lui laisser le temps d’avoir une majorité à l’Assemblée, d’avoir tous les leviers pour mener sa politique. Quels sont les enjeux de votre maison d’édition Jimsaan ?

Nous recevons beaucoup de demandes, on ne peut pas toutes les absorber La coédition avec Philippe Rey du roman de Moha med Mbouga r Sa rr La Plus Secrète Mémoire de s hommes, couronné du prix Goncourt en 2021, a jeté la lumière sur Jimsaan. Nous voulons rester une maison exigeante, qui consacre du temps aux textes, et ne pas croître trop vite. Nous publions des essais, liés à l’histoire intellectuelle, politique et culturelle africaine, qui dialoguent aussi avec d’autres régions du monde, comme l’Amérique latine. Mohamed Mbougar Sarr dirige notre collection de romans, faisant la part belle à des voix singulières du continent et d’autres lieux.

Qu ’observez-vous auprès des jeunes plumes que vous lisez ? Et quels conseils leur donneriez-vous ?

Le s je unes autr ic es et aute ur s s’éma ncipent des injonc tions fa ites à ce que l’on appelle la littérature af ricaine. Ils embrassent des questions très diversifiées sur le monde actuel. Le seul conseil que je me permettrais de leur donner, c’est de rester fidèle à l’exigence d’écriture, de travailler inlassablement son texte, son propos, de réécr ire, de se cu lt iver L’éc ritu re est un chem in de forge, qui grandit dans l’incessant ouvrage. Parfois, des météorites comme Mohamed Mbougar Sarr font irruption et s’abattent sur la planète littéraire – il est un génie, doté d’une maturité exceptionnelle. Mais le chemin classique de l’écriture est lent et patient. Des jeunes ont le désir d’être célèbres, d’avoir du succès rapidement, de faire le buzz, et ne travaillent pas assez leur texte. Le succès ne se commande pas. Il peut arriver, vous surprendre, mais c’est la passion de l’écriture qui est fondamentale. Vous enseignez aux États-Unis. Comment vivez-vous l’élection présidentielle de Donald Trump ?

Comment observez-vous la vie politique sénégalaise, avec ce nouveau président Bassirou Diomaye Faye élu en mars 2024 ?

Nous sortons de trois années extrêmement difficiles. La démocratie sénégalaise a été profondément remise en cause, chahutée. C’est une révolution démocratique : avec l’aide de sa jeunesse, le pays a réussi à év iter l’instabilité en élisant démocratiquement un président. Les attentes sont légitimes,

C’est comme un mauvais remake. Une grande inquiétude est palpable dans le pays chez ceux qui ont voté pour les démocrates. La démocratie fait face à de grands défis, car elle ouvre la voie aussi à des populismes, des extrémismes. Une grande réf lexion est à mener à ce sujet : comment peut-elle promouvoir une personnalité comme Trump, en dépit de ses propos xénophobes, racistes, sexistes, complotistes, à l’opposé de l’humanisme et des valeurs de progrès ? ■

L’a uteu r sign e so n derni er ou vrag e lor s de la re ntré e lit té ra ire de s éd iti on s Jim sa an, le 8 ma i 2024 , à Da ka r.

inte rv iew

Kiyémis

« L’art de la joie »

Poétesse, essayiste, animatrice, et désormais autrice.

Un premier roman où sa prose sublime le courage féminin de s’af rmer, d’aller à l’encontre de l’ordre établi. À la gure ctionnelle d’Andoun se superpose celle de sa grand-mère, à qui elle rend hommage dans un texte émancipateur et plein d’espoir.

propos recueillis par As tri d Kr iv ia n

Elle a composé son nom d’éc riva ine à pa rt ir des patronymes de sa mère et de sa grand-mère : pour Kiyémis, l’import ance de la lignée – not amment féminine – est une évidence. Poétesse, essayiste et romancière française d’origine camerounaise, née à Paris en 1992, elle a grandi en région parisienne. Après des études d’histoire, cette militante afroféministe signe un recueil de poèmes, À nos humanités révoltées (Métagraphes, 2018), ainsi que des textes dans la presse et sur son blog, « Les Bavardages de Kiyémis ». Son essai, Je suis votre pire cauchemar ! (Albin Michel, 2022), tente de déconstruire les normes de beauté pour aller vers l’acceptation de tous les corps. Présentatrice de l’émission en ligne « Rends la joie » sur Mediapart, elle participe à des conférences en France et à l’étranger, et anime des ateliers d’écriture. Inspiré du parcours de sa grand-mère, son premier roman, Et, refleurir (Philippe Rey, 2024), retrace l’épopée haletante d’une femme libre, insoumise, émancipée, qui refusera tout au long de sa vie de se conformer à un rôle préétabli et déjouera les carcans auxquels on tentera de l’assigner. De son enfance au village de Nyokon, dans le Cameroun des années 1950, jusqu’à Douala puis la France, de son désir empêché d’étudier à celui d’ouvrir un salon de beauté, de ses désillusions amoureuses à son engagement corps et âme pour éduquer sa fille, Andoun doit braver les obstacles d’une société conser vatrice, patriarcale, affronter les difficultés matérielles, le regard de l’autre, confrontée aussi au racisme dans l’Hexagone. Gagnant son indépendance à la sueur de son front, refusant d’entrer dans le rang et d’épouser un homme qu’elle n’aime pas, la protagoniste, en rupture avec le modèle féminin

attendu, croit au pouvoir de ses rêves : face à l’adversité, ils lui donnent la force d’inventer de nouveaux chemins, de rebondir, de créer une vie hors des sentiers battus, de quêter la lumière et la joie Ry thmé par des poèmes qui ajoutent un souffle, une profondeur, à ce texte très maîtrisé, Et, refleurir est finaliste en 2024 du prix Orange et lauréat du prix Régine Deforges.

AM : Diriez-vous que ce premier roman germe en vous depuis l’enfance ?

Kiyémi s : Enfant, comme j’écrivais sans cesse des poèmes, des chansons, des histoires, ma grand-mère m’avait dit : « Un jour, tu écriras mes mémoires ! » J’ai pris cet engagement un peu ma lg ré moi, tout en repoussa nt cette promesse : une fois adulte, j’ai compris à quel point l’écriture était difficile. Jusqu’au jour où je rencontre mon éditrice, qui me propose d’écrire une forme longue. J’étais terrifiée de me lancer dans un premier roman, mais je suis très contente d’être arrivée au bout, d’avoir dépassé ces obstacles. J’ai longuement interviewé ma grand-mère J’ai beaucoup de chance car, convaincue d’être spéciale, elle avait envie de raconter son histoire. Comme je m’entends très bien avec elle, nos échanges étaient fluides. Toutefois, je n’ai pas écrit une biographie ou un témoignage, mais un roman ; j’ai ainsi mené un travail de création, de restitution, choisi un arc narratif, élaboré un fil conducteur. J’étais emportée par cette envie de narrer l’épopée d’A ndoun, une héroïne à la fois ordinaire et extraordinaire par sa capacité à créer de nouveaux chemins. Je souhaitais proposer un émer veillement face à cette faculté. Le titre, Et, refleurir, évoque ainsi la fécondité, la qualité de pouvoir renaî tre comme un printemps ?

Oui, c’est un hommage à la beauté de la renaissance. Je voulais mont rer la capacité particulière d’Andoun à croire en elle, à imaginer, à inventer, malg ré les conditions dans lesquelles elle se trouve Choisir d’être poétesse, écrivaine, semble un peu fou quand on vient de ma condition. On a besoin de contes et de my thes pour se réconforter, s’encourager J’ai donc écrit le récit de cette femme extraordinaire. J’ai eu la chance d’avoir cette héroïne dans ma famille et ce n’est pas donné à tout le monde, donc j’avais envie de le partager. Andoun a eu raison d’être ainsi, car aujourd’hui, un roman lui est consacré ! Elle est prétentieuse, elle croit qu’elle est spéciale, qu’elle aspire à mieux, qu’elle a droit aux plus belles choses de la vie. D’autant plus que, n’ayant pas été élevée ainsi, rien ne l’y prédestinait. C’est ce que l’on rétorque aux femmes quand elles en demandent « trop » : « Vous êtes prétentieuses. Vous vous prenez pour qui ? » Ma grand-mère est très fière, orgueilleuse, et je trouve ça très beau. En quoi est- elle en rupture avec les normes de la condition féminine dans le Cameroun des années 1950 ?

Le fait d’aspirer à aller plus loin, à croire, la rend rebelle. Elle fait des choix de vie inattendus, elle bouge les conven-

Le roman montre quel est le prix d’être déraisonnable, de croire en soi, de ne pas se plier à certaines normes.
Dire « non » a des conséquences.

tions. Elle n’est jamais là où on l’attend. Et en même temps, elle reste très attachée à l’appartenance à un espace, à une famille, à un groupe social. C’est important de montrer cette ambivalence. Elle est tiraillée : comment appartenir quand on a aussi envie de changer les choses ? C’est compliqué de naviguer ainsi. À son arrivée en France, elle veut absolument travailler dans la beauté Or, à l’époque, personne n’imaginait une femme noire incarner, créer la beauté. Le regard des autres change, elle est obligée de s’adapter à des cases où l’on veut absolument l’enfermer Mais, même si elle ne va pas tout révolutionner, elle va inventer aussi quelque chose autour de ces carcans – des voies pour sa famille, sa fille, et moi, puisque je suis en partie la résultante de sa capacité de création Le mot « résilience » me fatigue. J’ai l’impression qu’il désigne cette aptitude à accepter les coups, à supporter. Tandis que la capacité de création, c’est non seulement encaisser, mais devenir alchimiste ; on crée à partir de ça, on fait quelque chose de nous. C’est plus fort.

L’une des injonctions qui lui est faite, c’est de « se cacher derrière un homme », de s’appuyer sur lui. Son indépendance fait figure de pionnière…

Elle n’avait pas forcément cette idée en tête, au départ, mais elle était trop grande pour ces hommes. Ils n’étaient pas suffisants. C’est le fait du patriarcat, d’instiller chez les femmes l’envie d’être rassurée par des hommes Or, parfois, pour de multiples raisons, ils ne sont ni rassurants, ni stables, ni fiables ! Alors c’est aux femmes de créer ce sentiment de sécurité et de s’en saisir Oui, parfois, elle a envie de se reposer sur un homme, mais il est souvent bancal. Et puis, dans les années 1970 et 1980, en France, les hommes immigrés africains étaient empêchés, ils ne pouvaient pas totalement

Le 8 mai 1980, à Pa ri s, pour la Journé e inte rnational e de s fe mm es, la Coo rd ination de s fe mme s no ires créée en 1976, se ré uni t et marche

répondre à ces attentes du patriarcat, car leur situation économique était fragile, instable, avec une volonté aussi de ne pas s’établir dans ce pays Et c’est important de rappeler qu’avant, les femmes avaient besoin d’une autorisation du mari ou du père pour sortir, voyager, ouvrir un compte bancaire. Face à ces questions réelles de subsistance, le parcours et la créativité de ma grand-mère et d’Andoun sont d’autant plus admirables.

Le rêve est un moteur, aussi un outil de connaissance, par fois un lieu spirituel, voire mystique. Pourquoi ?

La langue du spirituel, de l’ésotérique, est présente à la fois chez ma grand-mère et chez Andoun. C’est important, sinon on ne comprend pas pourquoi elle croit autant, pourquoi elle ne s’effondre pas. Parfois, la foi dépasse la raison – c’est inexplicable. J’ai tenté de mettre en poésie l’irrationnel qui la traverse, la maintient. Si la raison ne peut pas expliquer ce qu’elle vit, y donner un sens, il existe d’autres outils. En tant que poétesse, ce langage de l’onirisme m’est familier. Je voulais mettre en lumière la puissance de l’irrationnel, sa beauté, sa nécessité. Andoun est une femme qui veut absolument vivre selon ses rêves, ses envies. Ce n’est pas un acquis. On ne s’attend pas à ce qu’une femme comme elle se tienne debout ; elle est censée être invisible, immobile et donner sans recevoir. Le livre évoque, notamment à travers des poèmes, la guerre d’indépendance du Cameroun (1955 à 1971).

Pourquoi ?

Elle fait partie de l’histoire de mon héroïne. Mais pour cette génération, cette guer re est recouverte d’un silence,

d’une chape de plomb. Mon père et ma grand-mère ne m’ont raconté cette période que très récemment. Encore très jeune à l’époque, ma grand-mère n’avait pas vraiment conscience des enjeux et de la réalité des événements. C’est moi qui les ajoute dans le récit, après avoir effectué des recherches. En tant que descendante du Cameroun, étant née et ayant grandi en France, j’ai voulu comprendre pourquoi on parle le français à 6 000 kilomètres de l’Hexagone. À l’école, on m’avait enseigné que la décolonisation en Af rique subsahar ienne s’était faite de manière pacifique – un élément positif aux yeux du professeur –, à l’opposé de celles de l’Algérie et de l’Indochine. En menant mon propre apprentissage, j’ai bien vu que c’était faux. Dès 1945, de grandes révoltes, des contestations ont soulevé ces peuples et ont été réprimées par des massacres. Toutes ces questions sont en toile de fond, car elles témoignent de ma volonté de diff user ce savoir auquel je n’ai pas eu accès pendant longtemps. Ma grand-mère est née en 1958, dans un Cameroun encore colonisé. Cela explique beaucoup de choses, notamment le rappor t à la blancheur : comme Andoun est plus claire de peau, elle est valorisée, ce qui facilite un peu son accès à certaines richesses, certains métiers. Ce système colonial structure la société dans laquelle elle évolue. Comment vit- elle son arrivée en France ?

Elle fantasme la France comme un outil pour ensuite affirmer son pouvoir au Cameroun. Mais quand elle arrive, elle se rend compte qu’il faut tout recommencer. Elle fait face à la réalité : le gris, la dureté de la vie, la pénibilité du travail, le

racisme, le froid Elle admire les vitrines des magasins, mais est aussi conf rontée à de nombreu x obstacles en tant que femme noire et immigrée dans ces années où le racisme est très ancré. On peut être facilement isolée. Il faut s’accrocher. On ne lui déroule pas le tapis rouge ! J’avais envie de montrer à quel point c’est une femme qui se bat, qui ne se laisse pas faire. Il faut encore trouver en soi les capacités de changer de voie, d’identifier d’autres solutions. C’est admirable. On trébuche beaucoup, et on crée de la joie aussi – beaucoup de fêtes, car il faut aussi réanimer les braises. Que représentent les fêtes dans le roman ?

Dans un pays où l’humanité des personnes, du fait de leur couleur de peau, de leur statut administratif, est remise en question, faire la fête les remet en connexion avec leur droit au bonheur, à la joie, à la réunion, à l’amour. C’est aussi le moment des solidarités. Les liens sont ambivalents, ambigus, part iculiers, diff iciles parfois, mais ils demeurent. Et c’est nécessaire pour Andoun. Contrairement à nous qui naissons dans un monde individualiste, l’idée de la communion, de la communauté, du collectif persiste.

Elle n’a pas le luxe de se plaindre, écrivez-vous…

Elle s’est battue pour qu’on ait ce luxe de se plaindre. Mais elle, elle ne le peut pas. Elle a tellement de choses à réaliser, et si peu de temps !

Elle a cette urgence à créer, à espérer, à grandir, à surv iv re. Elle occupe un trava il di ffici le, cont ra inte à des hora ires compliqués ; elle est partagée entre deux continents, effectue des va-et-vient. Elle a ses espoirs, ses rêves, sa fille, sa famille – elle fait partie d’un vrai continuum dans lequel, si tu as réussi, tu dois aider les autres qui demeurent dans une situation compliquée.

Sa mère lui assène cette phrase forte : « Ma fille, tu es un homme. »

Qu ’est -ce que votre grand- mère vous a transmis ?

Même si on se ressemble beaucoup, j’ai plus peur qu’elle Mais j’essaie d’être un peu plus arrogante, c’est-à-dire de croire en moi. Au vu de mon ascendance, j’ai le droit de croire en mes rêves – j’en ai même le devoir ! Je viens d’une famille de rêveurs, de survivants, de guerriers. Ma manière de perpétuer cet héritage est de croire, d’être poétesse, créatrice. Ma grandmère m’a légué cette foi. Je me sens alignée avec cet héritage. Je voulais l’offrir aux autres, leur dire : croyez en vous ! Qu’at-on à perdre ? En tant que femme noire, grosse, pas « fille de », je ne suis pas censée être arrogante – c’est un peu un caprice, un cadeau, un petit luxe que je vais chercher chez les priv ilégiés pour me l’offrir ! C’est une réparation Si on prend conscience de notre ascendance, notre legs, nos traumas, nos richesses, nos langues, notre magie, nos trésors, nos cartes, on a le droit d’être capricieux, on est même censés être arrogants ! C’est juste que quelque chose nous est volé – notre société hiérarchisée considère que seuls les hommes blancs, riches, occidentaux peuvent être des génies, des héros, capricieux Vous a-t- elle aussi appris l’ar t de la joie ?

Andou n es t alor s da ns une position où el le devient la person ne qui ra mène les re ss ou rc es . C’es t el le qu i va à l’avent ure, qu i se bat, qu i entreprend, pu is envoie l’ar ge nt à sa fa mil le . Le s femmes ne sont pas censées remplir ce rôle Le roman montre quel est le prix d’être déraisonnable, de sortir de ce qui est attendu de nous, de croire en soi, de ne pas se plier à certaines normes. Dire « non » a des conséquences L’indépendance et la créativité ont un coût Parfois, on sacrifie quelque chose sans le savoir sur le moment. Et parfois, on pense se libérer mais en fait, on entre dans une autre case aux yeux des autres !

Oui ! Être en abondance, en joie, en gratitude, danser, c’est mon héritage familial ! Les membres de ma famille ont vécu tellement de choses difficiles qu’ils sont très facilement en joie. Ma grand-mère m’a appris à voir le beau, là, tout de suite. C’est une ressource précieuse. À 20 ans, j’étais très en colère contre la société. Puis j’ai basculé dans la joie, afin de rester intègre, pour ne pas être trop abîmée par cette vie. C’est une manière de se guérir, de gérer l’existence. Ma mère me disait toujours : « N’aie pas peur ! Vas-y, ma fi lle ! N’oublie pas la joie ! » Mes parents m’ont donné le droit de me pe rd re un pe u, je n’étais pas obligée d’êt re parfaite. Pour eux qui ne sont pas riches, m’autoriser à me lancer dans l’écriture, me laisser cet espace pour être moi-même, c’est un vrai cadeau Quel est le pouvoir de la fiction ? Elle nous permet de cr éer de s chem in s, de modeler la réalité, la transformer. Elle donne beaucoup de place pour imaginer d’autres voies, aimer, faire monde. C’est un superpouvoir fondamental pour l’être humain, mais qui nous est volé. Certains pensent que créer est réservé à une élite. C’est faux ! On n’est pas obligé d’écrire un liv re, mais créer fait partie de notre expérience d’être vivant. La fiction est un endroit où l’on se reconnecte à ça, en tant qu’auteur, mais aussi que lecteur.

BIBLIOGRAPHIE

◗ Et, refleurir, éditions Philippe Rey, 384 pages, 22 €.

◗ À nos humanités révoltées, Métagraphes (2018)

◗ Je suis votre pire cauchemar !, Albin Michel (2022).

Quelles ont été vos lectures fondatrices ?

Comme par magie, d’Elizabeth Gilbert, sur le pouvoir de la création. À propos d’amour, de bell hook s, qui a changé mon regard sur ce sentiment Je relis en boucle Orgueils et Préjugés, de Jane Austen J’aime profondément l’écriture de Léonora Miano. Ses tour nures de phrases dans Crépuscule du tourment m’ont tellement émue La Mémoire amputée, de Werewere Liking, est exceptionnel, très fort, très dur. Très grande lectrice, ma mère a suiv i des études de lettres ; elle est très attentive à la présence des femmes, noires notamment, dans les films, les médias, les livres, etc. Elle m’a donc incitée à lire beaucoup d’autrices. Qu ’est -ce qui vous a poussée à écrire votre essai, Je suis votre pire cauchemar ?

Ce livre est une tentative pour dénouer les codes de beauté. J’observais que de nombreuses femmes étaient complexées – même les minces à la peau blanche. Leur peur panique était d’être comme moi. Elles avaient tort ! Il faut peut-être désactiver ce cauchemar pour nous évader de cette prison imposée ; c’est important de comprendre d’où il vient. Inscrit en nous, dans nos chairs, il n’est pas individuel. On crée un rapport de force avec notre corps. On n’est pas en gratitude, on n’a pas conscience de sa beauté, de sa capacité à créer, et ça nous rend très docile aussi, apeurée, exploitable, offerte. On peut venir nous prendre cette valeur

Comment se libérer de ces normes esthétiques ?

C’est très difficile de se défaire du patriarcat, de la grossophobie Mais chaque minute où l’on réussit à mettre à distance nos complexes, où l’on se sent belle, pleine et entière, est un trésor qui doit nous réjouir. Il faut savourer ce répit. On est la quatrième génération de femmes au régime ; ce combat, plus ancien que nous, n’est pas acquis. On doit désapprendre tant de choses. Au lieu de s’accabler de ne pas êt re totalement défaite des injonctions, on doit considérer chaque petit pas comme une victoire. Je suis beaucoup moins complexée qu’avant. Il y a beaucoup plus d’espaces, de possibilités, de terreaux fertiles Tout cela est très joyeux !

Comment faire pour arriver à une plus grande variété de représentations ?

Il faut trouver des alliés. Et notre responsabilité est de créer : c’est une chance, un priv ilège. C’est aussi la responsabilité de chacun, pas seulement des personnes noires. La joie de voir que l’humanité est vaste, dans ce qui nous rassemble et nous différencie. Je veux écrire d’autres histoires pour que les gens disposent d’un large choix de textes, d’écritures. C’est important, les mobilisations politiques, les revendications, l’engagement dans des associations et des mouvements ; mais au niveau individuel, ma responsabilité est de me tenir droite et de continuer à créer. Quand je rencontre des enfants, des adolescents, ils peuvent se dire : une poétesse, une autrice, ressemble aussi à une femme noire qui écoute Aya Nakamura ! Ça élargit l’horizon.

Quand je rencontre des enfants, ils peuvent se dire : une poétesse, une autrice, ressem ble aussi à une femme noire qui écoute
Aya Nakamura !

Votre double culture est une richesse. Est- ce parfois un tiraillement d’être entre -deux ?

C’était un tiraillement quand j’avais ving t ans, car on nous demande de faire un choix – ou tu penses que tu dois faire un choix. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas, et le livre a beaucoup joué. La créativité aide, car tout est création.

Tous nos idéaux, nos représentations imposées, nos idées sont construits, donc mobiles. Être autrice, connectée à ma dimension créative, me permet de me dire : « J’ai la place pour être qui je veux »

Comment observez-vous la montée de l’extrême droite, en France ?

Nous sommes dans un moment de crispation identitaire. Leurs discours mortifères et désespérés sont pétris de peur, d’amertume, avec ce fantasme de fossilisation, de retour au passé. Ce n’est pas du tout constructif. Ils veulent garder le pouvoir, leurs privilèges, mais cela témoigne aussi à mes yeux d’une grande insécurité, d’une peur de la disparition. En tant que fille de personnes nées dans des sociétés colonisées – « être à la marge nous apporte un savoir », pour citer bell hooks –, je peux témoigner : on n’est pas morts, on est bel et bien là. J’ai envie de dire aux fachos : « Vous n’allez pas mourir Déjà, vous êtes un empire, et si nous, on continue à vivre, à créer, à être en beauté, à aimer, de quoi avez-vous peur ? » C’est avec joie et espoir que l’on change le monde, pas dans l’anxiété, l’angoisse et la volonté d’écraser les autres. Cette crispation est une réponse à une vague très puissante et importante : on a la chance de vivre à une époque où des voix comme celles de l’afroféminisme sont plus accessibles sur la place publique. Et cela suscite un large intérêt, pas seulement chez les femmes noires C’est une belle célébration de l’humanité ! ■

entret ie n

ABOU SANGARE « JE FAIS MA VIE

OÙ JE SUIS

Il a quitté la Guinée. Il est venu en France clandestinement. À 23 ans, le voilà acteur par le meilleur des hasards. Grâce à son rôle intense dans L’Histoire de Souleymane, il obtient un prix d’interprétation au Festival de Cannes et se retrouve dans la liste des révélations aux prochains César. Entretien avec un talent pour le moment sans papiers. propos recueillis par Jean -M ar ie Ch az ea u

L’H is toi re de So ul ey ma ne, de Bori s Lojk ine, est l’un des fi lms ma rqua nts de 2024, doublement primé à Cannes (pri x du jury et meilleur acteur de la sélection Un certain regard), et succès à la fois cr it ique et public (près d’un demi-million d’entrées en France depuis sa sortie en salles en octobre) Avec un inconnu en tête d’affiche : un jeune sans-papiers de 23 ans, découvert dans le nord de la France où il vit depuis son arrivée à l’âge de 16 ans, alors qu’il ne parlait que le malinké. Premier rôle pour Abou Sangare, que la caméra ne lâche pas pendant ce récit palpitant des 48 heures de la vie d’un jeune livreur de repas à vélo dans les rues de Paris. Un thriller quasi documentaire dans lequel son personnage doit ruser pour travailler, faute de papiers, et inventer un récit convaincant pour obtenir l’asile politique en France, alors qu’il est venu clandestinement d’une paisible campagne guinéenne. L’histoire de Souley mane finit par rejoindre celle de Sangare à la fin du film, mais pendant près d’une heure et demie, l’apprenti comédien réussit à incarner un autre de façon impressionnante Grâce à son charisme, mais aussi au travail réalisé avec le cinéaste Boris Lojkine, déjà connu pour ses documentaires au Vietnam et ses fictions au Maroc (Hope, 2014) ou en Centrafrique (Camille,

2019). Cette année triomphale se termine par un nouveau prix du meilleur acteur remis en novembre par Pierre Niney, président du jury du Premier Prix cinéma Evok Collection, en attendant peut-être les César, dont la 50e cérémonie aura lieu le 28 février : il figure dans la liste des seize comédiens présélectionnés pour les Révélations 2025 du cinéma français (aux côtés du Tunisien Adam Bessa et du Sénégalais Ibrahima Mbaye) Mais Abou Sangare, qui attend toujours une régularisation de sa situation administrative – jusqu’en octobre, il faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français –, ne se projette pas en tant que comédien à plein temps, même s’il entend bien profiter de toutes les occasions pour retrouver les plateaux de tournage Il reste tout entier fixé sur son but premier : rester en France et travailler dans la mécanique. La tête dans les étoiles, mais les pieds sur terre.

AM : Six mois après l’accueil triomphal du film au Festival de Cannes, quel souvenir gardez-vous ?

Abou Sangare : C’était une journée incroyable Je n’oublierai jamais ça, la réaction des gens Mais c’était aussi très dur pour moi. J’avais déjà vu le film une première fois avant Cannes, et je ne m’étais pas du tout reconnu à l’écran ! Et depuis, le film marche très bien en salles. Que du positif ! Le film a déjà at tiré plus de 50 0 000 spectateurs depuis sa sortie en octobre en France. Vous avez eu l’occasion de le présenter lors de débats avec le public. Quelles questions revenaient le plus souvent ? C’était surtout des questions sur ma situation, comparée à celle du personnage de Souley mane. Je savais qu’on allait m’interroger là-dessus. Et j’en avais parlé avec Boris [Lojkine, le réalisateur, ndlr] bien avant. Le scénario, ma situation personnelle, le sujet du film : il fallait savoir répondre.

L’af fich e du long -m ét ra ge, vé rita ble su cc ès p ub lic et cr iti qu e.

Les questions qui revenaient le plus étaient : c’est quoi le rapport entre vous et Souley mane ? Est-ce que la dernière scène raconte vraiment votre histoire ? Je répondais : oui, c’est mon histoire. À la fin du film, Souleymane, après avoir appris une histoire à raconter à l’organisme qui peut lui accorder l’asile, finit par expliquer les vraies raisons qui l’ont poussé à quitter la Guinée. Vous -même

êtes arrivé en France à l’âge de 16 ans ?

Oui, j’étais mineur, et j’ai demandé que ce soit pris en compte. Puis je me suis concentré sur mes études jusqu’à mes 18 ans, et j’ai fait une demande de titre de séjour ét udia nt ca r j’avais une proposit ion de contrat d’apprentissage. Ça n’a pas été possible : je n’étais pas venu sur le territoire avec un visa étudiant. J’ai passé mon bac en mécanique et transport routier. Une autre entreprise m’a proposé un CDI, mais ça n’a pas fonctionné non plus pour des raisons administratives. J’en suis à ma quatrième demande de régularisation, en espérant que ça marche

L’équipe du film vous aide dans vos démarches ?

Oui, beaucoup C’est elle qui a tout engagé.

Et le fait d’avoir deux prix à Cannes, ça peut aider…

J’espère ! C’est ce qu’on pensait. Mais vu la situation politique en France, ces derniers mois

Et où en est votre situation administrative à ce jour ?

Depuis la sor tie du film, le préfet de la Somme nous a proposé de déposer une nouvelle demande – c’est ce qu’on a fait le 10 octobre. Maintenant, on doit attendre. Mon dossier est à l’étude.

Vous êtes originaire de Conakry ?

Non, je viens de Sinko, dans le sud-est de la Guinée, à la frontière de la Côte d’Ivoire

Vous étiez parti pour pouvoir payer des médicaments à votre maman, qui est décédée depuis, et votre sœur est toujours là -bas, n’est- ce pas ?

Je n’ai plus de contact avec ma sœur depuis longtemps Mais elle est toujours là-bas, oui. Je parle rarement avec les gens de Guinée Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça

Vous avez coupé les ponts avec votre famille ?

Pas coupé, parce que les gens ont mon numéro. Mais si on ne m’appelle pas, et que moi je n’appelle pas… Et puis, ma sœur a sa propre vie.

Vous ne savez pas si elle a suivi votre succès à Cannes ?

Non, je ne sais pas… Quelles ont été les réactions en Guinée ?

Du côté du gouver nement, ça a été bien reçu, mais du côté de la population, je n’en sais rien. Peut-être qu’on le saura prochainement, puisque des projections devraient avoir lieu début 2025 en Guinée. Alors peut-être qu’à l’issue de ça, on verra comment les gens réagissent.

Mais pour l’instant, vous ne pouvez pas quitter la France pour aller le présenter.

Non, mais même si j’en avais la possibilité, je n’irai pas en Guinée.

Vous ne voulez plus y retourner ?

Ce n’est pas que je ne veux plus y retourner, mais il faut d’abord que je me construise une situation ici, en France. Et ce n’est pas ce film qui va me ramener en Afrique. Et au sein de la communauté guinéenne en France, comment votre succès et celui du film sont perçus ?

Je fréquente peu de Guinéens en France Dans ma ville, à Amiens, je n’en côtoie que deux : la présidente de l’association qui a per mis d’organiser le casting et mon colocataire, qui est aussi un ami Que ce soit à Amiens ou à Paris, c’est vrai que les gens m’arrêtent dans la rue pour me dire : « Ah, c’est toi, Souley mane ! On t’a reconnu ! » Certains espèrent que le film pourra faire évoluer la situation de leur dossier. C’est ce qu’on me dit : « À travers ton histoire, on va prendre des rendez-vous à la préfecture… » Moi, je leur dis : « Allez-y, tentez votre chance, on ne sait jamais ! »

« Pour apprendre une langue, il ne faut pas trop écouter la tienne.
Il faut mettre une musique différente de celle de ton pays. »

Votre parcours a été compliqué pour arriver en France. Est- ce que vous diriez aux jeunes guinéens tentés par l’exil de partir quand même pour tenter leur chance en Europe, ou au contraire de ne pas le faire ?

Je ne dirai rien Moi, je suis parti de mon pays sans demander conseil à personne. Donc je ne donnerai pas de conseils. En fait, ce qu’il faut dire, c’est que la traversée de la Méditerranée, ce n’est pas… [Il ne termine pa s sa phra se, ndlr.] Si tu ne veux pas avoir de problème, n’appelle pas quelqu’un pour dire : « Ah oui, si, ça, ça marche… » Parce que s’il s’embarque en mer et perd la vie, alors c’est toi qui seras en danger C’est pour ça que je ne veux pas communiquer là-dessus. De toute façon, en Guinée, à part dans mon village, je ne connais pas grand monde. Je n’ai que deux amis à qui je peux tout dire, et c’est ici en France.

Et vous ne suivez pas du tout ce qu ’il se passe en Guinée au niveau politique ? Le changement de constitution…

Non, pas du tout. De toute façon, la politique ce n’est pas mon truc, et je suis parti de Guinée à l’âge de 16 ans, alors que je ne m’y intéressais pas. Et ici, c’est pareil. Et puis, dans ma tête, là où je suis, c’est là où je fais ma vie.

Et c’est en France, à Amiens, que vous faites votre vie, dans la mécanique.

Je suis mécanicien poids lourd.

Pas réparateur de vélo, malgré votre rôle dans le film ?

C’est pareil ! Le vélo, c’est mécanique. Et je fais du vélo en dehors du film. Ça fait sept ans que je vis à Amiens et je circule à vélo, parce que c’est un moyen de faire du spor t d’abord, et un moyen d’économiser aussi. Mais je n’ai jamais été livreur comme dans le film ! Je n’ai jamais livré un plat, jusqu’à présent.

Votre interprétation du rôle de Souleymane a été saluée par la critique, par les spectateurs et le Festival de Cannes, qui vous a remis un prix d’interprétation. Est- ce que vous souhaitez continuer le métier de comédien ?

J’ai passé trois castings ! Le dernier, c’était hier, pour une série qui se passe entre le Maroc et l’Espagne. Je ne sais pas encore si j’ai le rôle, mais il me faudra des papiers pour pouvoir y aller… Si l’occasion se présente, je referai du cinéma. Mais mon objectif, c’est de devenir mécanicien et de rester vivre à Amiens Quoi qu’il arrive, Amiens sera toujours ma ville. J’y suis arrivé par hasard, et j’ai trouvé que c’était fait pour moi ! Je n’avais pas choisi la France, ni l’Algérie, mais quand je suis arrivé en France, j’ai tout de suite beaucoup aimé Amiens Ce qu’il faut dire, c’est que je suis arrivé ici alors que je ne parlais pas le français, et je l’ai appris dans cette ville.

Vous n’aviez pas été à l’école en Guinée ?

Non, je n’avais pas les moyens d’aller à l’école, et il fallait trouver quelque chose pour le s be soin s médicaux de ma maman. Donc je travaillais dans les champs, auprès des vaches, et petit à petit sur des projets de mécanique, et les jours de marché, jusqu’en 2016

Votre papa n’était plus là ?

Non, je ne l’ai pas connu. J’ai été élevé par maman

Une femme forte…

Plus que forte même, c’est bien plus que ça On était tous les trois, avec ma sœur Après, j’ai aussi des demi-f rères pa r mon père

Quand vous êtes par ti en 2016, vous vouliez aller en Europe ?

passeurs ! En tout cas, clandestinement, c’est impossible On est d’abord arrivés en Libye. Ensuite, on a pris un Zodiac pour l’Italie, et chacun a été orienté dans des villes différentes. Moi, je me suis barré tout de suite ! En Italie, on vous emmène dans des hôtels, des foyers, mais vous n’êtes pas obligé de rester : si je voulais partir, je pouvais. Et c’est à ce moment-là que j’ai cherché à venir en France

Vous avez traversé la montagne à pied ?

Non, à pied, c’était dans le désert. Quand je suis arrivé à Milan, j’ai rencontré un monsieur qui m’a beaucoup aidé, jusqu’à Paris. C’était un militaire français

L’argent que vous avez gagné en tournant L’Histoire de Souleymane vous a permis de rembourser les passeurs. Oui, c’est ce que j’ai dit quand on m’a posé des questions dans d’autres interv iews, mais je ne préfère pas en parler. Ça doit rester entre le passeur et moi. De toute façon, c’est impossible de traverser sans payer. Si tu n’as rien, il faut trouver des solutions.

Non, pas du tout Je n’avais jamais connu l’Europe, en étant en Af rique. Chez nous, on a l’habitude de partir pendant les saisons d’été : on travaille pour quelqu’un qui nous paie, puis on prépare les cult ures pour la saison des pluies. C’est ce que je voulais faire. Si je suis allé en Algérie, c’était pour travailler un peu et revenir en Guinée. Sauf que là-bas, je n’étais pas assez costaud pour le travail qu’on me faisait faire : c’était très physique et dur pour moi. J’étais manœuv re sur des chantiers, je devais pousser des brouettes de sable. Ensuite, des amis m’ont convaincu qu’il fallait traverser avec eux, alors j’ai pris la route. Ça n’a pas été facile, mais bon… on y est arrivé Vous avez dû faire appel à des passeurs.

Oui. J’ai dû faire comme tout le monde. Tu ne peux pas arriver en Italie sans passer par les pasteurs [Rires.] Enfin, les

L’acte ur inte rprète un livreur à vé lo à Pa ri s en qu ête de ré gularis ation

Maintenant, votre vie est ici, vos dettes sont réglées, il ne manque plus que les papiers pour pouvoir voyager. Voyager, non… Surtout pouvoir travailler dans un garage ! L’idée, c’est de rester ici, de travailler et de construire ma vie. Et quels liens vous gardez avec la culture guinéenne ?

Aucun. J’ai du mal à me prononcer, parce que ma copine, qui est française, me pose la même question tous les jours : « Pourquoi tu n’écoutes pas de musique guinéenne ? » D’abord, je ne parle pas français correctement : or, pour apprendre une langue, il ne faut pas trop écouter la tienne. Il faut mettre une musique différente de celle de ton pays Alors j’écoute du rap français, américain, mais rarement les musiques de chez nous. Si on m’invite à une fête et si on me demande de mettre de la musique guinéenne, je le fais, mais tout seul non. ■

entrev ue

KARIM MISKÉ

« LE MAL EST UNE VRAIE QUESTION HUMAINE »

Dans son dernier polar, l’auteur et réalisateur franco-mauritanien imagine une dystopie brutale, une France en con it avec elle-même. L’occasion de s’interroger sur notre nature profonde, nos justi cations et nos décisions. propos recueillis par Ca th er in e Fa ye

Après le succès d’Arab Jazz, Grand Prix de littérature policière en 2012, traduit dans le monde entier, La Situation ex plore les dérives politiques contemporaines, en plongeant dans la noir ceur d’une guer re civi le. Dy stopie redout able , le second roma n de l’éc rivain et réalisateur franco -mau rita nien Ka ri m Miské réactive les questionnements les plus inquiétants de notre époque : les rouages politiques, la violence, l’altérité, l’identité, les ultimes zones d’humanité. Nous sommes en 2030. Des affrontements entre coalition de gauche et milice d’extrême droite mettent à sac Paris et sa banlieue. Commence alors une traversée des réalités les plus ardues. Un récit, entre polar et anticipation, où l’auteur d’une vingtaine de films documentaires sur des sujets aussi divers que la bioéthique, les néofondamentalismes juifs, chrétiens et musulmans, en passant par la surdité, met en scène des personnages attachants dans un environnement complexe. Une réf lexion – une alerte ? – sur ce qui pourrait advenir. Rencontre.

AM : Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

Karim Miské : Elle est née au moment de l’élection présidentielle française de 2022 Tout le monde disait que le pays était coupé en trois, et l’on entendait parler du risque d’une guerre civile. Ce ty pe de discours est souvent agité par des personnes, dont des journalistes, qui ont des difficultés avec l’évolution de la France actuelle. Comme le fait qu’elle ait changé de couleur au fil des décennies, notamment avec tous ceux dont les parents ou les grands-parents viennent des anciennes colonies : une question un peu existentielle pour l’identité mouvante d’un pays. Je me suis dit qu’ils ne savaient pas trop de quoi ils parlaient. Évoquer une guerre civile, ce n’est pas une idée avec laquelle il faut jouer. J’ai eu l’occasion d’aller dans des pays qui en avaient connu, que ce soit en Afrique ou au Proche-Orient, et, lors de la réalisation de documentaires, des gens m’ont raconté comment ça se passait réellement. Alors, au-delà des questions politiques ou idéologiques, j’ai voulu réf léchir aux conséquences et aux faits. C’est-à-dire, concrètement : si, tout à coup, une ville comme Paris ou une région comme l’Île-de-France se retrouvait en butte à un conf lit, alors comment survivre ? Comment s’y prendre – passer un barrage, répondre à des questions éthiques ou morales, sauver la vie de quelqu’un et se mettre en danger, ou pas ? Ces questions me paraissent essentielles.

Que répondriez-vous à la question de Françoise Héritier, que vous citez en exergue : « Et vous, qu ’est-ce qui vous manquerait le plus si tout cela devait disparaî tre à jamais de votre vie ? »

J’ai découvert cette citation lors d’un événement organisé par l’organisme où je dispense des ateliers d’écriture On avait

« Une guerre civile, ce n’est pas une idée avec laquelle il faut jouer.
Alors, au-delà des questions politiques ou idéologiques, j’ai voulu réfléchir aux faits.»

demandé aux écrivains de se soumettre à une consigne d’écriture – en l’occurrence, la question posée par cette anthropologue spécialiste de l’Afrique. Nous étions au printemps 2022, donc juste avant les élections, et j’ai commencé à jouer avec cette idée de guerre civile évoquée précédemment J’ai imaginé deux personnes qui avançaient vers un barrage de miliciens dans le XIe arrondissement, ne sachant pas s’ils allaient surv iv re ou non. L’un posait cette question à l’autre, en lui disant qu’il avait lu ça dans un vieux bouquin du XXe siècle. J’ai puisé dans quelque chose qui venait de mon propre passé. Et il lui a répondu que ce seraient des tartines beurrées et un chocolat chaud, au comptoir d’un café à Maubert-Mutualité.

Au-delà de cet exemple très précis, je pense que ce sont les sensations qui me manqueraient le plus Les sensations de ce qui n’existerait plus et de ce que l’on ne pourrait plus faire, parce que tous ceux que l’on connaissait auraient dispar u, ou parce qu’elles seraient devenues inaccessibles. Je pense que nous sommes tous constitués de cela. De sensations qui viennent de l’enfance ou de l’adolescence. Les premières que nous ayons expérimentées Pour moi, c’est l’odeur de la pluie sur le bitume. Ou ce que j’aimais manger ou boire. Ce sont ces choses-là qui font de nous ce que nous sommes, et que l’on trimbale toute notre vie durant Belleville, Paris, l’Île-de- France… Ce territoire géographique et mental où se situe votre récit interroge l’espace et les frontières. Pourquoi ce choix ?

Parce ce que ce sont des lieux familiers. C’est d’ailleurs un conseil que je donne lors de mes ateliers d’écriture : écrire sur ce dont on est coutumier. Il est plus facile d’être juste sur ce que l’on connaît et ce que l’on peut convoquer assez facilement. Par ailleurs, Paris est une capitale, avec ses contradictions, et c’est là, lors d’un conf lit, que l’on essaie de prendre le

pouvoir. En l’occupant Sans compter que c’est une métropole mondialisée – et il n’y en a pas une infinité. Cela permet donc de raconter le monde à travers un espace relativement restreint, maîtrisable. Enfin, ce qui m’intéresse également, c’est que Paris, c’est aussi l’Afrique. Cet espace parisien-francilien permet de faire vivre toute une mémoire dont est porteuse une partie de mes personnages À travers des éléments de l’Histoire, qui ont uni ou relié la France et l’Afrique, pour le meilleur comme le pire. Mais aussi à travers des récits intimes, en écho à cette grande histoire Parce que s’il y réside autant d’Africains du nord et du sud du Sahara, c’est qu’il s’agit bien de l’histoire coloniale française, qui s’est poursuivie par-delà ce qu’on appelle la « Françafrique », après la décolonisation. Qu ’est-ce qui vous inspire vos personnages, et que nous révèlent-ils de l’être humain ?

Je n’établis pas d’archét ypes comme on le fait pour des scénarios de séries télévisées. Mes personnages se dessinent au fil de l’écriture, et finissent par trouver leur chemin et leur voix en fonction de situations auxquelles ils sont confrontés et de la manière dont ils réagissent les uns en fonction des autres. Bien sûr, chacun porte en lui des éléments de la condition humaine. Ce qui m’intéresse à travers une histoire comme celle-là, c’est de voir comment il ou elle va réagir, concrètement, par rapport à des questions fondamentales de vie ou de mort : « Si je ne risque pas ma vie pour sauver quelqu’un, pour rais-je

continuer à me regarder dans le miroir ? Comment vivre avec cette faute ? » ; « Si on me donne une arme, puis-je commettre les pires exactions tout en pensant que c’est justif ié par de grandes idées ou par la nécessité du moment ? » Ces situations très paroxystiques sont d’ailleurs un procédé intéressant dans l’écriture, parce qu’en mettant les gens dans les conditions les plus difficiles, cela va forcément agir comme révélateur. Et amener le lecteur à se poser des questions sur lui-même. La question du bien et du mal est au cœur de l’intrigue… Chaque société est conf rontée à cette interrogation et y répond de manière totalement différente, même si globalement, toutes s’accordent à dire que tuer est un crime. Pourtant, selon la personne qui aura été tuée, l’opinion tergiverse. C’est la question de l’autre. Il y a plein de raisons qui permettent de se justifier de commettre des exactions. La non-appartenance à son peuple, à son idéologie, à son genre, la légitime défense… Quelle est la frontière ? Qui décide ? La question du mal est une question fondamentalement humaine. Car, en réalité, tout le monde sait intimement s’il fait quelque chose de mal ou non. C’est ensuite la capacité à se fixer une limite interne, cette fonction principale du surmoi en psychanalyse. Ce ty pe de sujet m’intéresse, c’est pour cela que j’aime aussi le genre du polar, où l’on est concrètement dans ces questions-là, avec des personnages un peu abîmés par la vie, qui ont commis des choses mauvaises, mais qui pour autant n’ont

Pa ri s, mani fe stati on du 1er ma i 20 22 , jou r de la fête du Travail Un e semaine après l’él ecti on présid enti el le, de s af fronte me nt s avec la po lic e éclate nt dans le cor tè ge de tête

pas abandonné tout sens moral – des personnages de tragédies grecques ou shakespeariennes, en quelque sorte. À quel moment avez-vous commencé à vous interroger sur le monde qui vous entoure ?

C’est venu assez tôt. Mon père était maur itanien, ma mère française. Ils se sont séparés assez vite. J’ai donc grandi essentiellement dans la famille française blanche de ma mère, à Paris, dans les années 1960 -1970, à une époque où il n’y avait pas autant de métissage qu’aujourd’hui. J’avais donc un sentiment de décalage à l’intérieur de ma famille française, comme à l’école ou dans la société qui m’entourait, et qui naturellement me faisait me poser des questions, sans que je le formalise tout de suite. Et puis, mes deux parents étaient internationalistes, tiers-mondistes et très militants. Ma mère était marxiste, féministe, léniniste. C’était assez particulier, parce qu’à la maison, nous parlions tout le temps de politique avec des gens qui passaient, qui venaient pas mal d’Afrique et du monde arabe. Très tôt, j’ai commencé à lire des romans policiers, et je pense que ça m’a fait du bien. Dans le sens où je vivais avec l’idée d’une sorte de messianisme révolutionnaire. Le sentiment qu’on irait un jour vers un monde meilleur, par des moyens politiques En lisant les polars, je me disais quand même que ce n’était pas gagné d’avance, parce que les personnes étaient mues par des désirs, des instincts de possession, qu’il y avait le vol, le viol, le meurtre, l’adultère, que tout le monde avait des choses à cacher. Je sentais bien qu’il n’y aurait pas une solution toute prête pour régler les problèmes. Alors, à partir de ce moment-là, j’ai commencé à essayer de comprendre comment une même personne pouvait faire le bien et le mal. Comment les grands phénomènes collec ti fs se mett aient en place. J’ai lu très jeu ne 1984, de George Or well, et je me su is intéressé au cr ime, au x préjud ices et à l’injust ice. Que fa it-on avec cela ? On ne peut pa s juste les éradiquer Il faut être capable de les regarder en face. Et aussi de regarder en soi.

Dans vos différents travaux, les questions de la religion et de la domination vous interrogent. Quel regard portez-vous sur le poids des croyances et de toutes les formes de pouvoir ?

Pourquoi est-on là ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi l’univers existe-t-il ? L’humanité se pose ces questions depuis la nuit des temps. La nécessité de comprendre et de croire est profondément humaine. On espère que la religion nous donnera des réponses. Et c’est normal, car nous avons besoin d’une sorte d’idée de la transcendance qui nous dépasse. Le problème, c’est lorsqu’on prend les préceptes relig ieux de manière littéra le. Blaise Pascal, qui of fre une analyse profonde de la condition humaine, a écrit lui-même : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Alors, en devenant janséniste – courant le plus « intégriste » de la religion chrétienne à son époque –, il a trouvé une réponse pour contenir ses angoisses. Concernant les my thes fondateurs, il

« À la suite de l’indépendance, la société mauritanienne est entrée rapidement et radicalement dans la modernité, rattrapée par la mondialisation. »

y a plusieurs manières de les comprendre, et c’est là que l’on ar rive à la question du pouvoir. On peut les considérer de manière sy mbolique, ce que font souvent les mystiques, c’està-dire qu’ils ne pensent pas qu’il y ait quelque chose à prendre au pied de la lettre Qu’ils doivent nous permettre de continuer à penser. Et aussi à ressentir, parce que souvent, c’est exprimé de manière très poétique. Et du moment que c’est poétique, cela ne peut pas être pris de façon stricte. La poésie propose de multiples sens. Chacun l’appréhende à sa manière. Mais, a contrario, cela peut devenir un instrument de pouvoir. En s’emparant du my the et en imposant une seule interprétation C’est ce qui a donné l’Inquisition, entre autres, et toutes sortes de mouvements apocalyptiques qui existent encore. L’homme a besoin d’être rassuré, d’amour, de consolation, de beauté, de trouver une manière d’affronter ses peurs. Et c’est là qu’il peut être pris en otage par des individus qui imposent une seule manière de voir les choses pour en tirer un pouvoir sur les autres. D’ailleurs, cela s’est transféré également sur la politique. Au XXe siècle, à partir du moment où le christianisme, notamment, a décliné en Europe, des idéologies se sont substituées à la religion. Comme l’extrême droite, le fascisme… Des systèmes de pouvoir devenus des instruments de domination. L’élection de Trump marque -t-elle le franchissement d’un nouveau palier ?

Ce que cette élection nous dit des Américains qui ont voté pour Trump, c’est qu’ils ont compris que le pouvoir de l’argent était extrêmement fort et que les ressources étaient limitées. Sy mboliquement, il y a comme un état de guerre entre plusieurs parties de la société, parmi lesquelles l’une dit non : elle veut garder son mode de vie occidental, parce qu’il n’y a pas de raison de changer, qu’elle a grandi là-dedans et qu’elle ne veut pas consommer moins. Trouver un nouvel ordre planétaire,

face à la crise écologique surtout, remettrait en cause la vie à laquelle elle est habituée. Du coup, elle peut se solidariser avec des milliardaires, lesquels en principe ne devraient pas être spécialement ses amis, même si elle n’a que des miettes de leurs richesses. La plupart des gens votent pour leurs intérêts De plus, les politiciens sont des bateleurs, des gens qui savent parler, sans aucun scrupule Ils vont utiliser n’importe quel argument, et ça marche. Cela nous ramène à la question du bien et du mal : ils utilisent ce qu’il y a de pire chez les gens, au détriment d’autres catégories de la population Le problème, c’est que l’on sait comment ça s’est passé en Europe il y a près d’un siècle, quand on a fait des choix de ce ty pe, d’abord avec les juifs et les Tziganes, puis avec les personnes souffrant de maladies mentales… À la fin, plus personne n’est protégé, en réalité, parce qu’il y a toujours une nouvelle catégorie à gommer C’est ce qu’Hannah Arendt explique très bien dans Les Origines du totalitari sme. Comment décririez-vous votre double appartenance mauritanienne et française ?

Mon père était un ex ilé politique et, de mon côté, j’ai grandi en France Je me suis donc constitué comme un adolescent parisien, puis je ne suis allé en Mauritanie que lorsque j’avais quinze ans. À l’époque, il n’y avait pas de mots comme « racisé ». Je ne savais pas trop si j’étais « métisse » ou bien « franco-mauritanien », j’étais un peu comme dans des limbes. Je ne voyais pas très souvent mon père et j’avais dans la tête une Mauritanie imaginaire, mystérieuse. Ce n’est qu’en m’y rendant que j’y ai découvert une réalité très déroutante au départ, mais également tellement intéressante et ag réable, pa rce que j’ai sent i que j’y ét ai s at tendu. Auta nt, en Fr ance, on pouv ait question ner d’une cert aine ma nière mon appa rtena nce à une autre cu lt ure – et c’ét ait toujou rs ét ra nge, pa rce que je me sent ai s mi s à l’éc ar t, alor s que je n’avai s pa s envie d’êt re ra mené à une ex tranéité ; auta nt en Maur it an ie, c’ét ait le cont ra ire. Là-bas, ma pa rt frança ise n’i ntéressait person ne, ce qu i ét ait import ant pour le s ge ns, c’ét ait ma fi li at ion patri li néaire. L’ét ra ngeté pour moi, c’était donc de voir en miroir deux endroits où l’appartenance fonctionnait de façon différente. D’un côté, il y avait la France avec tout cet héritage colonial dont j’entendais beaucoup parler, et, de l’autre, l’Afrique avec ses contradictions. De plus, comme mon père était de l’ethnie maure, arabo-berbère, je me retrouvais plutôt sy mboliquement du côté des oppresseurs Tout cela était donc très troublant.

En effet, le pays s’est beaucoup transformé J’essaie de m’y rendre autant que possible, même si ce n’est pas souvent, et j’entretiens un lien très fort avec lui. J’y ai des demi-sœurs, un peu plus âgées que moi, dont la mère est mauritanienne. On se parle régulièrement. La famille là-bas, c’est plus qu’une famille, c’est un groupe social, une tribu. Cela crée des attaches et des rapports particuliers Ce que j’ai pu observer, c’est qu’après l’indépendance, la société mauritanienne est entrée un peu rapidement et radicalement dans la modernité. À l’époque, il y avait environ 70 % de nomades dans le pays Les villes étaient très peu peuplées. Aujourd’hui, Nouakchott compte plus d’un million et demi d’habitants. Elle a été rattrapée par la mondialisation. On y ressent plein d’influences différentes, aussi bien des pays du Golfe que des États-Unis. C’est très intéressant, parce que c’est une culture qui est en transformation permanente Par ailleurs, les sujets tabous de l’époque n’en sont plus, comme les séquelles de l’esclavage ou les relations entre les Maures et les Peuls. Les mentalités évoluent Après, comme partout dans le monde, on observe une société inégalitaire, où les questions d’argent sont venues prendre au moins autant de place que la question de la domination ancestrale. Mais ce qui mérite pa rt ic ulièrement l’at tent ion, c’est le mélange culturel de ce pays singulier, comme un entre- deux entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.

La Situ atio n (2 023), Les Avri ls, 25 6 page s, 22 €

Votre dernier documentaire, en cours de montage, porte sur un tout autre territoire : l’Inde. Qu ’y abordez-vous ?

Cette mini-série de deux fois 52 minutes, destinée à Arte, raconte l’histoire de l’Inde à travers la famille Nehru-Gandhi, une lignée politique du pays Après Motilal Nehru, président du Congrès, son fils Jawaharlal, proche du mahatma Gandhi aux côtés de qui il s’est battu pour l’indépendance, lui succède puis devient Premier ministre. Vient ensuite le tour de sa fille, Indira Gandhi – dont le nom de famille n’a rien à voir avec le mahatma –, puis le fils aîné de celle-ci, Rajiv Gandhi, victime d’un attentat suicide en 1991. Aujourd’hui, son fils Rahul est chef de l’opposition of ficielle. Cela permet donc de raconter l’histoire de l’Inde de 1861 à nos jours, au fil de cinq générations d’une même famille. Une excellente trame narrative pour dérouler le récit chronologique d’un pays particulier, en pleine croissance, qui a complètement renoncé au socialisme de l’époque de Nehru. Et où les my thes fondateurs diffèrent autant du monde occidental que du continent africain.

Somme toute, où vous sentez-vous chez vous ?

La Mauritanie de votre enfance a-t- elle beaucoup changé en près d’un demi -siècle ?

Paris, où j’ai grandi et où je rev iens toujours, reste ma ville. À l’est de cette capitale, je me sens chez moi. C’est mon territoire. ■

BUSINESS

Interv iew

Rona k Gopa ldas

Ai r Côte d’Ivoi re veut voler plus loin

La RDC

ne renonc e pa s à l’or noi r

L’Af rique menacée pa r une croi ssance molle

La Côte d’Ivoi re pro te de la hausse du caoutchouc

L’AGOA sous la menace du trumpisme

Depu is plus de vi ng t ans, cet accord favor ise les ex port at ions des pays d’Af rique su bsahar ienne vers les Ét ats-Un is. Il doit êt re renouvelé en 2025, à moi ns que Dona ld Tr ump, nouveau héraut du protection nisme, décide de tout bouleverser. par Cé dri c Gou ve rn eu r

Signée en 2000 sous la présidence de Bill Clinton, la loi sur la croissance et les opportunités en Af rique (Af rican Growth and Opport unit y Act, AGOA) permet aux pays éligibles d’exporter sans droits de douane une gamme d’environ 1 800 produits aux États-Unis. Prolongé en 2015 pour une durée de dix ans, cet accord doit en théorie être renouvelé en 2025 Mais le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait changer la donne. Certains chefs d’État, à l’image de Bola Tinubu (Nigeria) et Emmerson Mnangag wa (Zimbabwe), ont félicité le vainqueur pour son élection à la présidentielle. Mais la plupart ne se font aucune illusion quant au personnage : non seulement Trump ne connaît pas l’Af rique, mais il s’en désintéresse et la méprise (il aurait même osé traiter le continent

de « pays de merde » en 2018…). Lors de son premier mandat (20172021), il n’a reçu que deux leaders af ricains (le Nigérian Muhammadu Buhari et le Kényan Uhuru Kenyatta). Sous son mandat, le nombre de visas accordés aux étudiants du continent avait été divisé par deux

UN CREDO PROTECTIONNISTE

Trump veut sabrer dans les dépenses du budget fédéral et pourrait donc s’en prendre à l’Agence des États-Unis pour le développement international (USA ID), qui reste le premier donateur du continent avec 7 milliards de dollars en 2021. Surtout, comme il l’avait déjà fait en 2016, Tr ump a séduit ses électeurs avec un credo protectionniste (Amer ica first, « l’Amérique d’abord »), promettant de pénaliser les importations dans le but de favoriser

l’emploi aux États-Unis. Il parle d’imposer une ta xe de 10 % sur les importations (et même jusqu’à 60 % sur les importations chinoises).

L’AGOA, contrairement aux accords de libre-échange, est unilatéral : les États af ricains partenaires bénéficient donc d’un avantage compétitif pour exporter une large gamme de produits sur le territoire américain, mais sans obligation de réciprocité, c’est-à-dire sans faciliter les importations made in USA sur leur territoire Trump pourrait donc exiger des Af ricains des contreparties commerciales… ou même mettre fin à l’AGOA Aux États-Unis, des entreprises se plaignent de la concurrence af ricaine, pourtant marginale (notamment dans l’av iculture de poulets). En juillet dernier, lors de l’AGOA Forum qui se tenait à Johannesburg,

Na tio na l Har bo r, Ma ry land, le 24 févri er 20 24

Le fu tu r ch e f d’État e st al or s en p le in e ca mpagne pré sid enti el le

BUSINESS

le ministre du Commerce et de l’Industrie d’Af rique du Sud, Park s Tau (A NC), a averti qu’en cas de non-reconduction de l’accord, les emplois de 13 000 de ses concitoyens seraient menacés dans les mines, les usines (notamment celles de pièces détachées automobiles) et l’agriculture (les trois quarts des exportations de vin sud-af ricain sont dirigées vers les USA). L’Af rique du Sud bénéficie d’un excédent commercial de 8 milliards de dollars avec la superpuissance. « Nous avons besoin de cet avantage concurrentiel », souligne à l’Agence France Presse (A FP) Justin Chadwick, président de la CGA, l’association des producteurs d’agrumes sudaf ricains, ajoutant que « des milliers d’emplois ruraux » seraient menacés. Les pays af ricains sont, certes, accoutumés aux conditionnalités de l’AGOA – traité que Washington a toujours utilisé comme un instr ument

de pression diplomatique « Pour les États-Unis, les bénéfices économiques et commerciaux de l’AGOA sont largement négligeables », écrit dans un récent rapport l’économiste sud-af ricain Ronak Gopaldas [lire son interview pages suivantes], qui estime que « la valeur réelle de l’AGOA pour Washington réside dans son apport géopolitique ». Avec 18,5 milliards de dollars, l’Af rique représente environ 1 % des exportations globales des ÉtatsUnis, première puissance mondiale… Pour les pays af ricains, l’impact de l’AGOA est inverse : « Le bénéfice est économique, et le coût est

Les pays africains sont accoutumés aux conditionnalités de ce traité, que Washington a toujours utilisé comme un instrument de pression diplomatique.

géopolitique. » En 2021, l’Éthiopie d’Abiy Ahmed a été exclue en raison des violations des droits de l’Homme perpétrées au Tigré. Addis-Abeba, qui n’est pas membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), se voit donc privée d’exporter aux États-Unis son prêt-àporter, produit dans le parc industriel de Hawassa, soit un manque à gagner de 275 millions de dollars. A contrario, la République démocratique du Congo a été réadmise en 2021, afin de saluer les efforts de gouvernance du président Félix Tshisekedi. Tr ump, qui jure d’expulser manu militari des millions de migrants du sol américain, n’accorde un intérêt que très relatif au respect des droits humains… Mais il pourrait sanctionner les pays du continent dont la diplomatie lui déplaît, et à l’inverse en récompenser d’autres

LA RECONNAISSANCE

DU SOMALILAND AU PROGRAMME

Le c hef d’État i vo iri en Alass ane Ou at ta ra s’ex pri me lor s de l’ou ve rture du 18 e fo rum de l’AG OA à Ab idja n, le 5 août 2019

En décembre 2020, Tr ump avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, en contrepartie de la reconnaissance d’Israël par Rabat. Le manifeste politique de Trump, le « projet 2025 », évoque par ailleurs une reconnaissance du Somaliland autoproclamé, décision qui ne manquerait pas d’avoir des répercussions sismiques sur tout le continent. Pretoria, membre des BR ICS qui a procédé à des manœuv res conjointes avec la Russie et la Chine en 2023, puis poursuivi en 2024 Israël devant la Cour internationale

de justice (CIJ ) à cause de la guerre à Gaza, pourrait être « punie » par Washington En 2015, Pretoria avait abandonné un projet de ta xe sur les importations de poulet américain, Washington menaçant d’exclure le pays de l’AGOA. Or, la perspective de perdre les bénéfices de cet accord constitue rarement un obstacle pour les dirigeants af ricains, qui savent que Pékin ou Moscou se montreront toujours prompts à se substituer aux Occidentaux.

Outre l’Af rique du Sud, le Kenya, l’Éthiopie, Madagascar, Maurice, le Lesotho et l’Eswatini ont particulièrement bénéficié de l’AGOA. Grâce à cet accord, les exportations hors hydrocarbures sont passées de 1,4 à 5,7 milliards de dollars entre 2002 et 2022 Au Kenya, l’AGOA aurait permis de créer 52 000 emplois dans les usines textiles, notamment pour les marques Calv in Klein et Tommy Hilfiger. Le département du commerce américain lui-même estime que l’AGOA aurait contribué à la création en Af rique subsaharienne d’environ 300 000 emplois directs et 1,5 million d’emplois indirects, surtout pour les femmes et les jeunes.

L’Af rique pourrait se retrouver malgré elle au milieu de la guerre commerciale qui s’annonce entre Washington et Pékin, surtout si Trump décide de nuire aux voitures électriques chinoises, concurrentes des Tesla de son nouvel ami Elon Musk Plutôt que de faire perdurer un traité qu’il juge nuisible aux exportations américaines, Tr ump pourrait choisir de priv ilégier les accords bilatéraux, à l’exemple de l’accord STIP (St rategic Trade and Invest ment Part nership) lancé entre Washington et Nairobi en 2022, af in notamment de contrer l’influence chinoise en Af rique de l’Est. ■

LES CH IFFR ES

LA PART DU PI B CO NSACRÉ E À L’ÉDUCATION A CH UTÉ EN MOYE NNE À 3,9 % DANS LE S PAYS LE S PLUS PAUVR ES , TR ÈS LO IN DE S BESOI NS ESTIMÉS .

La p rod uction céréal ière ou es t- af rica in e a di mi nu é de 70 0 000 tonn es en 20 24 du fa it

des aléas cl im ati qu es .

1,14 milliard de dollars : le montant de la dette de la Somalie envers les ÉtatsUnis, annulée par Washington.

70 %

DES CONSOMMATEURS D’AFRIQUE

SUBSAHARIENNE

DÉCL ARENT PRÉFÉRER

LES MARQUES ALIMENTAIRES LOCALES AUX MARQUES ÉTRANGÈRES.

LA TR AN SITI ON ÉN ER GÉ TI QU E ET SA « CRO IS SANCE VE RTE » PO UR RAIE NT CR ÉER ENTR E 1,5 ET 3,3 MI LLI ON S D’EM PLOI S D’ICI À 20 30.

Le service de la dette a

augmenté de 16,3 % entre 2017 et 2023 dans la plupart des pays du continent.

Ronak Gopaldas

« Tout dépendra de laquelle des intentions contradictoires nira par dominer »

L’AGOA pourrait servir d’arme dans la guerre commerciale avec Pékin, tandis que Tesla – société dirigée par le milliardaire Elon Musk – s’intéresse, elle, aux minerais africains. Analyse des intérêts divergents américains, avec l’économiste politique sud-africain Ronak Gopaldas. propos recueillis par Cédric Gouverneur

AM : Quels impacts sur l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) avait eu le premier mandat de Donald Trump (janvier 2017- janvier 2021) ? Ronak Gopaldas : Son administration avait maintenu l’AGOA, qui accorde un accès en franchise de droits au marché américain aux pays éligibles d’Af rique subsaharienne, mais elle n’avait fait que peu d’efforts pour l’étendre ou le renouveler. L’approche de Trump à l’égard de l’Af rique était transactionnelle, se concentrant sur les intérêts américains plutôt que sur des partenariats à long terme. Tandis qu’il critiquait l’influence de la Chine en Af rique, accusant Pékin de pratiques de prêt prédatrices, son administration n’avait pas de stratégie cohérente pour contrecarrer cette influence chinoise, laissant les nations af ricaines équilibrer leurs relations avec les deux puissances

Le commerce entre les USA et l’Afrique subsaharienne est en baisse, en volume comme en valeur. Quelles sont les principales raisons de cette diminution ?

Elle est due à l’évolution des modèles commerciaux mondiaux et à l’essor de puissances économiques émergentes, telles que la Chine, l’Inde et la Russie, qui ont approfondi leurs liens avec l’Af rique, et donc réduit la dépendance du continent à l’égard des États-Unis Alors que la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de l’Af rique, investissant massivement dans les infrastr uctures et les ressources naturelles, les États-Unis ont eu du mal à rivaliser. Pendant ce temps, l’administration Tr ump s’est davantage concentrée sur les priorités nationales, réduisant ainsi son engagement avec l’Af rique. La création de la Zone de libre-échange continentale af ricaine (ZLECA f) en 2021 a également encouragé le commerce intraaf ricain, diminuant encore davantage la dépendance à l’égard de marchés extérieurs tels que les États-Unis. Elon Musk est promis à de hautes responsabilités (Trump entend le nommer « ministre de l’Ef ficacité gouvernementale ») : est- ce une bonne nouvelle pour les producteurs africains de lithium (Zambie et République démocratique du Congo, par exemple), indispensables à Tesla ?

Les entreprises d’Elon Musk, notamment Tesla, SolarCit y et SpaceX, ont des intérêts importants dans les minéraux af ricains, tels que le cobalt, le lithium et le nickel, qui sont cr uciaux pour les véhicules électriques et les solutions d’énergies renouvelables. Cela crée des opportunités pour les producteurs de pays comme la Zambie et la République démocratique du Congo.

Le serv ice Internet par satellite Starlink pourrait également améliorer la connectivité numérique en Af rique, en comblant les lacunes en matière d’infrastr uctures et en favorisant le développement économique. Cependant, les tensions géopolitiques et les inquiétudes concernant l’approv isionnement durable pourraient façonner l’implication future d’Elon Musk dans la région Le résultat dépendra de laquelle de ses intentions contradictoires finira par dominer : en cas de guerre commerciale avec la Chine, Tr ump utilisera l’AGOA comme une arme de sof t power afin de faire avancer les intérêts américains. Les minéraux critiques revêtent donc une importance stratégique pour promouvoir l’influence des ÉtatsUnis et freiner l’influence de la Chine. Trump pourrait être tenté d’utiliser l’AGOA comme arme diplomatique : l’Afrique du Sud pourrait- elle subir des représailles en raison de la politique de Pretoria au Moyen- Orient depuis octobre 2023 ?

Joe Biden avait suspendu l’Éthiopie de l’AGOA , accusant le pays de violations des droits de l’Homme. Trump, peu sensible à ces problématiques , pourrait- il se concentrer sur les relations diplomatiques ?

Sous le premier mandat de Trump, les intérêts stratégiques et économiques ont en effet souvent pris le pas sur les droits humains. Et contrairement à Biden, qui a suspendu les avantages accordés à l’Éthiopie au titre de l’AGOA en raison de violations des droits de l’Homme pendant le conf lit au Tigré (2020-2022), l’administration

Tr ump avait donné la priorité aux avantages commerciaux et aux alliances stratégiques, s’engageant même avec des dirigeants que l’on peut qualifier d’autoritaires lorsque cela s’accordait avec les intérêts américains.

Quelle sera la politique de Trump en matière de dollar ?

La préférence de Tr ump va à un dollar plus faible, afin de stimuler les exportations américaines en les rendant plus compétitives Ce qui pourrait, indirectement, réduire le fardeau de la dette af ricaine, car elle est libellée en dollars. Cependant, les critiques de Tr ump à l’égard des politiques de la Réserve fédérale (la Fed) et ses conf rontations avec son président Jerome Powell [en poste ju squ’en 2026 – Tr ump l’a qualif ié d’« ennemi des États-Unis», ndlr] suggèrent que de futurs débats autour de la politique monétaire américaine pourraient avoir des implications imprév isibles sur le commerce et les investissements mondiaux. Quelles pourraient être les impacts sur la ZLECAf de la guerre commerciale de Trump contre la Chine ?

Les minéraux critiques revêtent une importance stratégique pour promouvoir l’influence des États-Unis et freiner l’influence de la Chine.

Tr ump pourrait utiliser l’AGOA stratégiquement pour influencer les politiques af ricaines La position de l’Af rique du Sud sur le Moyen-Orient pourrait susciter un examen minutieux, en particulier si la politique étrangère américaine devient plus belliciste. Or, les efforts diplomatiques de l’Af rique du Sud sous la direction de l’ambassadeur Ebrahim Rasool et du ministre du Commerce et de l’Industrie Park s Tau pourraient contribuer à atténuer les tensions. L’Af rique du Sud présidera le G20 en 2025, ce qui pourrait aussi créer des opportunités de dialogue constr uctif entre les deux pays

Les politiques commerciales de Tr ump pourraient avoir des effets à la fois positifs et négatifs sur la ZLEC Af. Des États-Unis plus isolationnistes pourraient encourager les pays af ricains à se concentrer sur le commerce intraaf ricain, et ainsi à réduire leur dépendance à l’égard des partenaires extérieurs Cependant, une augmentation des droits de douane sur les exportations af ricaines ou des accords bilatéraux avec des pays indiv iduels pourraient compromettre les objectifs communs de la ZL EC Af. En réponse aux tensions commerciales, les pays af ricains pourraient approfondir leurs partenariats avec d’autres acteurs mondiaux, comme la Chine et l’Union européenne, tout en poursuivant leur industrialisation et leur intégration régionale afin d’atténuer les chocs extérieurs ronakgopaldas.com ■

Air Côte d’Ivoire veut voler plus loin

L’objectif consistera à desser vir l’Europe, l’Amérique du Nord et le Moyen-Orient, notamment avec l’agrandissement de l’aéroport d’Abidjan.

Si tout va bien, Air Côte d’Ivoire inaugurera ses premiers vols long-courriers pour Paris au courant du premier semestre 2025, dès la réception, prév ue en mars et av ril, de ses deux nouveaux appareils A330 -900 d’une capacité de 287 places Une évolution majeure pour le pavillon ivoirien, qui vise désormais l’Europe (Paris, puis Londres, Br uxelles, Genève…), l’Amérique du Nord (Washington) et même Beyrouth. Lancée en 2012 par le président Alassane Ouattara,

la compagnie est parvenue en une décennie à capter 52 % de parts du marché régional, avec 6,7 millions de passagers. Elle affiche depuis 2021 un résultat d’exploitation positif. Depuis juin 2022, Air Côte d’Ivoire desser t Johannesburg avec une escale à Kinshasa. Elle ambitionne d’ici 2031 d’établir des liaisons avec au moins 35 destinations, dont six intercontinentales, et de cumuler 12,5 millions de passagers annuels. D’ici là, sa flotte devrait doubler et le nombre de ses salariés grimper à 1 180, auxquels

s’ajouteront 7 000 emplois indirects. L’agrandissement de l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny accompagne forcément cette ambition. Avec deux millions de passagers (dont un tiers transpor té par Air Côte d’Ivoire), « FHB » est au ma ximum de ses capacités. Des travaux d’extension, démarrés en 2022, devraient lui permettre d’accueillir 5 millions de passagers, la plateforme passant de 30 000 à 55 000 m2 Air Côte d’Ivoire doit cependant affronter de solides concurrents, à commencer par Ethiopian Airlines,

Sur le ta rm ac de l’aé ro po rt inte rnational F éli x Houphouët- Bo ig ny

desser vant 63 destinations sur le continent et assurant déjà une liaison Abidjan-New York JFK. Le mastodonte a multiplié les accords avec les transpor teurs régionaux, comme la compagnie privée togolaise Asky. Deux autres concurrents – Turk ish Airlines (49 destinations dans 37 pays du continent) et la RA M (Maroc) – proposent des vols vers l’Europe depuis Abidjan, avec escales.

DES DISCUSSIONS DIFFICILES, MAIS NÉCESSAIRES

Pour les affronter, Air Côte d’Ivoire a signé en mai un partenariat avec Air Sénégal, af in de réduire les coûts et de multiplier les correspondances proposées aux passagers. Elle négocie surtout une révision de l’« accord de ciel ouvert » signé avec Paris en mars 2016, af in de limiter la concurrence française (A ir France et Corsair) sur Abidjan. Des discussions difficiles – la destination est particulièrement rentable –, mais indispensables pour laisser le pavillon ivoirien amorcer son envol vers Paris sans être étouffé par la concurrence.

« Nous avons tenu à réussir le niveau régional avant de nous lancer dans cette nouvelle aventure », expliquait en septembre dernier le DG de la compagnie, Laurent Loukou, lors du Forum de la Banque af ricaine de développement (BAD) consacré aux transpor ts, ajoutant :

« On ne veut pas rester petits, au serv ice d’Ethiopian Airlines ou d’autres compagnies aériennes. »

Le DG concluait : « La région qui va de Nouakchott à Kinshasa est la plus dif ficile de toute l’Af rique », déplorant des coûts de production élevés et estimant que seules 2,5 millions de personnes environ, sur un total de 500 millions d’habitants, utilisent, pour l’instant, le transpor t aérien ■

La mu l tina tiona le Pe re nco, sp écialisé e dans l’ex pl oita ti on de pu it s de pétrol e en fin de vi e, su r le so l cong olai s.

La RDC ne renonce pas à l’or noir

Le gouvernement est décidé à présenter un nouvel appel d’offres dès l’année prochaine.

Le ministre congolais des Hydrocarbures, Aimé Sakombi Molendo, nommé en mai dernier, l’a déclaré lors du Forum Makutano qui s’est tenu à Kinshasa mi-novembre : la RDC proposera un nouvel appel d’offres de recherche et d’exploitation pétrolière courant 2025. L’État est également en voie de solder son contentieux avec Ventura, actant le départ de l’entreprise du sulf ureux Dan Gertler. Et libérant ses permis prometteurs sur le lac Albert. Le 11 octobre, le gouvernement avait dû annoncer l’échec du premier tour de table, lancé en juillet 2022. Malgré plus de deux années de négociations, les blocs proposés n’ont guère trouvé preneurs : dix n’ont pas reçu la moindre offre et neuf ont fait l’objet d’une seule proposition Les défenseurs de l’environnement, pour leur part, n’ont pas caché leur soulagement devant l’échec de la procédure. Dès

l’annonce mi-2022 du projet, l’ONG Human Rights Watch avait dénoncé la mise en péril de « vastes zones sensibles », où résident des peuples autochtones et où est préser vée une grande biodiversité. Les associat ion s soulignent nota mment la prox imité des pa rc s nationau x de s Vi ru nga et de l’ Upemba, ai nsi que les menaces que fera ient peser les forages su r « la plus grande tourbière tropic ale au monde », qu i retiendrait capt ives da ns son sol 6 mil liards de tonnes de CO2 . Les nouveau x appel s d’of fres devraient tenir compte des impérat if s envi ronnementaux et se concentrer su r de s zones au potent iel avéré. Par ailleurs, la RDC a signé le 4 octobre avec l’Angola un accord de partage les revenus du bloc exploité par Chev ron sur leur frontière maritime Kinshasa pourrait ainsi et aussi bénéficier de la longue expérience de Luanda, deuxième producteur de brut africain ■

Bi ll et s de 10 000 francs CFA.

L’Afrique menacée par une croissance molle

Pour le FMI, même si l’inf lation décroît, les perspectives économiques des cinq prochaines années restent moroses.

La croissance économique en Afrique subsaharienne devrait être de 4,2 % en 2025, après 3,6 % en 2024 comme en 2023, selon les prév isions du Fonds monétaire international (FMI). En moyenne, à travers le monde, la croissance devrait s’élever à 3,2 % en 2025, exactement comme en 2024, ce que le FMI qualifie sans ambages de « stable, mais décevant »… Surtout, les perspectives de croissance pour les cinq prochaines années, jusqu’en 2030, stagnent à 3,1 %, « le niveau le plus bas depuis des décennies ». Les perspectives à

moyen terme sont plus médiocres que celles observées avant la pandémie de Covid. La croissance moyenne resterait donc inférieure d’un point à celle des deux premières décennies du millénaire, « ce qui pourrait conduire à un recul du niveau de vie ».

L’INFLATION EN RECUL

Une bonne nouvelle, cependant : l’inflation consécutive à la pandémie de Covid-19 (2020-2021) et à l’invasion de l’Uk raine (2022) commence à refluer. Le FMI souligne que « la bataille mondiale contre l’inflation a été dans une

large mesure remportée ». Avec +3,5 % fin 2024 contre +9,4 % au troisième trimestre 2022, la hausse globale des prix est désormais « légèrement inférieure à la moyenne des années 2000-2019 ». Dans la plupart des pays, le taux d’inflation se rapproche des objectifs fixés par les banques centrales, ce qui augure d’un assouplissement monétaire. Aux États-Unis, la Fed a entamé dès le mois de juin une diminution de ses taux directeurs, qui étaient en hausse continue depuis 2022. Les monnaies de nombreux pays émergents commencent mécaniquement à

regagner du terrain face au dollar américain et leurs conditions de fina ncement s’améliorent. « Toutefois, les prix élevés resteront un problème et les familles continueront de souffrir », tempère la directrice du FMI, la Bulgare Kristalina Georgieva. Et en Afrique subsaharienne, la lutte contre l’inflation à deux chiffres n’est pas terminée : un tiers des pays du continent pâtissent d’une inflation supérieure à 10 %. L’endettement élevé implique des obligations croissantes quant au serv ice de la dette, qui viennent concurrencer les fonds alloués aux dépenses de développement. « Les taux de croissance n’ont pas atteint des niveaux suffisants pour diminuer de façon significative la pauv reté », souligne la directrice du FMI.

UNE CO NF IANCE BR ISÉ E

Cette croi ssance molle interv ient da ns un contex te de besoi ns accr us et de recet tes li mitées : « Et pendant ce temps, la dette publ ique mondia le cont inuera de croître, avec le risque de dépasser 20 % du PIB mondial », alerte Mme Georgieva. « Les besoins de dépenses augmentent, notamment en raison du changement climatique et de la démographie [en Af rique]

On estime que, d’ici 2030, ces besoins pourraient ajouter 7 à 14 % du PIB aux dépenses annuelles des États. »

« Nous vivons dans un monde fragmenté, où la confiance est désormais absente et la sécurité nationale une préoccupation majeure », déplore-t-elle en soulignant « le retrait de l’intégration économique et la montée du protectionnisme ». Le monde a certes « déjà connu cette fragmentation par le passé, mais jamais dans un contexte d’interdépendance économique aussi fort ». ■

Ex tracti on de la tex à Dué koué

La Côte d’Ivoire profite de la hausse du caoutchouc

Une augmentation de bon augure pour les planteurs d’hévéas et l’industrie du troisième producteur mondial.

Les cours du caoutchouc naturel ont grimpé pour le quatrième trimestre consécutif, dépassant 2 dollars le kilo en octobre. Une hausse de près de 40 % en un an, dopée selon la Banque mondiale par les conditions climatiques subies par les planteurs asiatiques : la Thaïlande et l’Indonésie, premier et deuxième producteurs au monde, ont vu leurs récoltes dégringoler respectivement de 8 et 13 % en un an, en raison d’une baisse des pluies consécutive au phénomène El Niño. À l’inverse, la Côte d’Ivoire, troisième producteur mondial, a vu sa récolte grimper de +18 %. Et la demande mondiale a augmenté de 2 %, soutenue par les commandes de l’industrie automobile (les pneus représentent les deux tiers des débouchés du caoutchouc).

La Banque mondiale estime que les cours vont continuer à augmenter de 3 %, en 2025 comme en 2026. La Côte d’Ivoire devrait profiter pleinement de cette conjoncture : le pays a inauguré en octobre 2023 sa sixième usine de transformation de caoutchouc, à Soubré (sud-ouest). D’une capacité de 60 000 tonnes par an, elle devrait à terme doubler sa production pour atteindre 120 000 tonnes. La Côte d’Ivoire projette de traiter sur son sol la totalité de sa production, estimée à 1,8 million de tonnes Ses capacités installées sont passées de 700 000 tonnes en 2017 à 1,4 million en 2023. En novembre 2023, le Conseil hévéa palmier à huile (CHPH) a interdit les exportations de caoutchouc brut, afin d’encourager la transformation sur place et l’industrialisation du pays ■

LE S 20 QU ES TI ON S

Hanane Harrath

Avec PASSION, rigueu r et bienveillance, la jour naliste ma rocaine donne la pa role à des person nalités inspirantes et propose des RÉFLEX IONS su r notre monde. propos recu eillis par Astrid Krivian

1 Votre objet fétiche ?

Un carnet et un st ylo que mon père m’a offerts. J’ai besoin de toujours avoir à portée de main de quoi écrire, consigner sur du papier. Je n’arrive pas à le faire avec mon téléphone

2 Votre voyage favori ?

Le Liban et la Sy rie, au début des années 2000

J’étais impressionnée par leurs vestiges historiques, émer veillée par l’élan de vie du premier, qui se relevait de la guerre

3 Le dernier voyage que vous avez fait ?

À Br uxelles.

4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?

Des livres Je peux passer une heure à choisir lesquels je vais mettre dans ma valise !

Et j’en ai toujours deux dans mon sac.

5 Un morceau de musique ?

« Canon », de Pachelbel, m’apaise, me remue profondément

6 Un livre su r une île déserte ?

Une vie bouleversée, d’Etty Hillesum Une leçon de spiritualité, de résilience, de foi en la bonté humaine, même au milieu du pire.

7 Un film inou bliable ?

The Magdalene Si sters : l’histoire d’un couvent irlandais où étaient enfermées, abusées et maltraitées des jeunes filles considérées

comme « perdues » par leurs familles (à la suite d’un viol, par exemple), jusqu’en 1996

8 Votre mot favori ?

« Humilité » : une vertu cardinale.

9 Prodig ue ou économe ?

Trop prodigue !

10 De jour ou de nuit ?

De jour. Je ne suis pas (ou plus) capable d’être de nuit !

11 X, Facebook, WhatsApp, coup de fil ou lettre ?

J’adore prendre le temps d’écrire des lettres, les envoyer, attendre la réponse. Mais je le fais de moins en moins, j’utilise plutôt WhatsApp.

12 Votre tr uc pour penser à autre chose, tout ou blier ?

Quand j’ai besoin de retrouver de l’énergie et de la joie, je mets de la musique et je danse.

13 Votre extravagance favorite ?

Goûter tous les chocolats possibles !

14 Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez en fant ?

Écrivaine. Et comédienne de théâtre, mais je me l’interdisais : dans ma famille, les métiers ar tistiques étaient ceux des « saltimbanques ».

15 La dernière rencontre qui vous a marquée ?

Un ancien combattant nationaliste marocain, de gauche, exilé pendant vingt ans en France.

Dès son retour au Maroc, il a constr uit une école pour partager sa vision de l’instruction, prêt à contribuer au développement du pays

16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ?

Danser, où que je sois – restaurant, magasin…

17 Votre plus beau souvenir ?

Toutes les fois où je suis devenue tata, et le jour où j’ai appris que j’allais avoir un filleul.

18 L’endroit où vous aimeriez vivre ?

N’importe où, pour vu que la mer soit à côté.

19 Votre plus belle déclaration d’amou r ?

Celle des amis qui m’accompagnent et croient en moi depuis longtemps.

20 Ce que vous aimeriez que l’on retien ne de vous au siècle prochain ?

Qu’il faut faire les choses sérieusement, mais sans jamais se prendre au sérieux : s’amuser et prendre plaisir à tout est essentiel. ■

C’est à di re et J’ai ta nt de choses à vous di re su r 2M

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LINCEYSIBAÏ

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