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ĂDITO
Kinshasa,enattente par Zyad Limam
DĂCOUVERTE
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ĂDITO
Kinshasa,enattente par Zyad Limam
DĂCOUVERTE
La grande promesse
Un dossier spĂ©cial de 33 pages. DĂCOUVERTE
ĂMERGENCE
Unegouvernance en panne
Selon la FondationMoIbrahim, lesconditionsdevie de troisquarts desAfricains se sont dégradéesdepuisdix ans.
BIENNALE
DAKâART2024
LâAfriqueenĂ©veil collectif
Le Premierministre sĂ©nĂ©galaisest au cĆur de la rĂ©volution en cours. Ălafoissouverainiste et panafricain,conservateur et pragmatique, il porte surtoutlâespĂ©rance de changement dâune grande partiedelapopulationâŠTentative de portrait. ET AUSSI
Soukaïna Oufkir, Felwine Sarr, Abou Sangare, Kiyémis, KarimMiské
PA R ZYAD LI MAM
Câest la capitale de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo. Disons 20 millions dâhabitants (un million au virage des annĂ©es 1970âŠ), lâune des villes les plus peuplĂ©es du monde, la premiĂšre francophone, devant lâagglomĂ©ration du Grand Paris Une conurbation dopĂ©e par le choc dĂ©mographique et lâexode rural. Un chaos urbain, qui pourtant semble avoir ses propres rĂšgles mystĂ©rieuses dâauto -stabilisation Le voyageur de passage est dĂ©passĂ© par la taille, la densitĂ©, la magnitude. Presque 10 000 km2 de superficie (la taille du Liban), un stupĂ©fiant mĂ©lange de rares grands boulevards (le fameux 30 Juin) et des rues-routes largement dĂ©foncĂ©es, oĂč le carrefour, gĂ©nĂ©ralement sans feu rouge, apparaĂźt comme lâexpĂ©rience ultime de la circulation. Les embouteillages sont dantesques. Paralysent lâactivitĂ©. Quand il pleut, ce qui est frĂ©quent, câest pire â les lacs se forment, des riviĂšres urbaines empor tent presque tout sur leur passage Les Kinois passent leur journĂ©e, rĂ©ellement, Ă tenter de se dĂ©placer, dâaller de chez eux au travail Ils dorment peu, le sujet est plus que politiqueâŠ
Le co nc ier ge de lâhĂŽte l vo us le di t co mm e une Ă©v ide nc e : Ă ce rtai ns mom ents , il fa ut bi en qu atre, cinq heures pour rejoindre lâaĂ©ropor t, pour tant distant dâĂ peine 20 km. LâaĂ©roport lui -mĂȘme, câest toute une histoire. Un grand hangar rafistolĂ©, enchĂąssĂ© dans un im me nse qu ar ti er pop u la ire, Ndji li Ma lg rĂ© la dĂ©c rĂ©pitude, le tarmac est encombrĂ© de gros -por teurs des grandes compagnies internationales, et de jets privĂ©s et de 747 Cargo⊠Clairement, business is business, malgrĂ© les obstacles.
Il y a le fleuve Congo, puissant, qui traverse toute lâAfrique et qui passe ici majestueusement, en chemin vers la mer. La capitale dâen face, Braz zaville, sembl e si petite et si calme, Ă moins de 7 kilomĂštres Ă vol dâoiseau Des hĂŽtels de luxe, qui rassemblent une population interlope de pirates internationaux, de chercheurs dâor, de cobalt ou de cuivre, dâentrepreneurs qui sirotent des cock tails en rĂȘvant de fortune. Le tout nouveau centre financier de Kinshasa, voulu par le prĂ©sident Tshisekedi, construit en un temps re cord, projet te ses lumiĂšres et souligne les ambitions du pays Et puis il y a le son, omniprĂ©sent, celui de la rumb a rock, celui de Fally Ipupa, de Ferre Gola, du pasteur Mike Kalamb ay et dâautres stars incontournables. On y pense en passant devant le
my thique stade des Mart yrs, monument dâarchitecture sino -africaine (comme, dâailleurs, le palais du Peuple, quelques kilomĂštres plus loin). On y pense aussi en voyant la multiplication des Ă©glises pentecĂŽtistes, qui promettent si facilement aux fidĂšles un monde meilleur⊠Kinshasa est surtout la porte dâentrĂ©e vers un pays gĂ©ant, instable, sur une corde, et pour tant central dans tous les sens du terme. 110 millions dâhabitants, 2 millions et demi de kilom Ăštres carrĂ©s, lâ Ă©quivalent de lâEurope occidentale, un point de jonction entre toutes les Afrique â du Nord, de lâEst, de lâOuest, du Sud. Des frontiĂšres avec neuf pays, dont une de 2 50 0 km avec lâAngola. Un pays modelĂ© par lâhistoire coloniale et postcoloniale, oĂč plane toujours la figure lĂ©gendaire et tragique de Patrice Emery Lumumba, un pays- continent aux 26 provinces, une stupĂ©fiante diversitĂ© ethnoculturelle, des quasi-nations et des peuples autochtones, mais aussi une incessante compĂ©tition ethnique, pour les ressources, pour la terre. Un pay s nom in ale me nt ri ch e, dĂ© te nt eu r dâun e grande partie du patrimoine naturel mondial, avec 60 % des forĂȘts du bassin du Congo. Un puits de carbone vital pour toute lâhumanitĂ©. Pour tant, chaque annĂ©e, la RDC perd un demi-million dâhectares de ce couvert vĂ©gĂ©tal. Câest le pays du fleuve, aussi, avec son formidable potentiel hydraulique â Ă lâimage de la tant at tendue rĂ©novation- ex tension du barrage dâInga Câest le pays des mines, du cobalt, du cuivre, du zinc, de lâor, certainement du pĂ©trole et du gaz⊠Et pourtant, le gĂ©ant reste encore pauvre â moins de 70 0 dollars par an et par habitant, et un PIB global (65 milliards de dollars) infĂ©rieur Ă celui de la CĂŽte dâIvoire (80 milliards de dollars).
Depuis la fin de lâĂšre Mobutu, et le gĂ©nocide rwandai s, câest au ssi un e nat ion en gu erre plus ou mo ins permanente De Kinshasa, cette guerre paraĂźt Ă la fois si proche et si lointain e. Ă lâest, dans les provinces du Nord -Kivu et de lâIturi, elle a fait des ravages. AlimentĂ©e par des mouvements plus ou moins directement liĂ©s au Rwanda Un processus de paix avance laborieusement Les violences communautaires sĂ©vissent un peu par tout ailleurs Sporadiques ou structurelles
La RĂ©publique est meurtrie. Le pays est difficile Pourtant, lâenjeu est lĂ . Il faut sây engager. LâAfrique a besoin de ce gĂ©ant. LâAfrique a besoin de son cĆur, en quelque sorte, pour pouvoir Ă©merger rĂ©ellement â
Meilleurs vĆux 2025 Ă nos lectrices, lecteurs et partenaires!
N° 45 9- 46 0âD ĂC
3 ĂDITO
Ki nshasa,enattente parZyadLimam
8 ON EN PARLE
CâEST DE LâA RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN TrĂ©sorschĂ©rif iens Ă Doha
29 CâESTCOMMENT ?
Réveillon made in Africa ! parE mmanuelle Pont ié
30 PA RCOURS
Rachel Seidu parAstridKrivian
130 VINGTQUESTIONS Ă⊠Hanane Harrath parAstridKrivian
TEMPS FORTS
32 Coup de freinsur la bonnegouvernance parCĂ©dricGouverneur
42 SĂ©nĂ©gal: LâĂ©nig me Sonko parZyadLimam
84 Bien nale DakâAr t2024: LâAfriqueenĂ©veil collecti f parShiranBen Abderrazak
92 SoukaĂŻna Ou fk ir : Unevoixlibre parSoundoussE lKasri
98 FelwineSar r: «Noussom mesdes ĂȘt res de lâincomplĂ©tude » parAstridKrivian
104 KiyĂ©mis: «Lâart de la joie » parAstridKrivian
110 Abou Sangare: « Je fais ma vielĂ oĂčje suis » parJean-Mar ie Chazeau
114 KarimMiské :« Le mal estu ne vraieq uestionhumaine » parCatherine Faye
51 Nigeria:
La grande promesse parE mmanuelle Pontié, avec MoïseGomis et OkechukwuUwaezuoke
58 Wale Edun :« Parier su rlâavenir,protĂ©ger lesplusfragiles»
62
La réfor me en avanttoute
66 Armst rong UmeTakang: «Nousdevonst rouver dessolutionslocales »
68 Au Nord,laprior ité sécu ritaire
72 Pour uneagricultu re de pointe
76 Bosu nTijani: «Unv iv ierdetalents »
78 Deslicor nes made in Nigeria
80 Afrobeatsetstar-system
AfriqueMagazine estinterd it de diffusionenA lgĂ©r ie depuismai 2018.Une dĂ©cisionsansaucunejusti cation.Cet te grande nation africaineest la seuleducontinent(et de toutenot re zone de lect ure) Ă exercer unemesuredecensu re dâun autretemps Le maintien de cettei nterdictionpĂ©nalise noslecteursalgĂ©r iens avanttout, au moment oĂč le pays sâengage dans un gra nd mouvement derenouvellement. Nosa misalgĂ©r iens peuvent nous retrouversur notresiteI nter net : www.afriquemagazine.com
120 LâAGOA sous la menace du tr umpisme
124 Ronak Gopaldas : « Tout dépendra de laquelle des intentions cont radictoires nira par dominer »
126 Air CĂŽte dâIvoire veut voler plus loin
127 La RDC ne renonce pas Ă lâor noir
128 LâA fr iq ue menacĂ©e par une croissance molle
129 La CĂŽte dâIvoire pro te de la hausse du caoutchouc par CĂ©dr ic Gouver neur
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Câest ma in te na nt , et câest de lâar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge
Le fa meux MI A, MusĂ©e dâar t isla mique, cĂ©lĂšbre en gra nd LE PATR IMOI NE
AV EC quelque 200 objets, manuscrits anciens, bijoux, photographies et instruments de musique, dont certains nâont jamais Ă©tĂ© exposĂ©s auparavant, lâexposition « Splendeurs de lâAtlas » rend hommage aux nombreux courants, inspirations, productions artisanales dâexception et rĂ©alisations artistiques qui ont façonnĂ© lâidentitĂ© du royaume du Maroc jusquâĂ nos jours. PrĂ©sentĂ©e au MusĂ©e dâart islamique (MI A), Ă Doha, qui abrite lâune des collections dâart islamique les plus complĂštes au monde, elle sâinscrit dans le cadre de lâAnnĂ©e culturelle Qatar-Maroc 2024 â une initiative qui vise Ă renforcer les liens entre les pays Ce voyage Ă travers un savoir-faire unique met en lumiĂšre lâinfluence des principales villes marocaines dans la promotion de lâĂ©rudition religieuse et des avancĂ©es scientifiques, ainsi que le rĂŽle importan que lâartisanat a jouĂ© dans la formation de lâensemble des caractĂ©ristiques du pays. Parmi les Ćuv res inĂ©dites, une coiffe alaouite ornĂ©e de plaques dâor et de pierres prĂ©cieuses, des bijoux amazighs en argent, ainsi que des poutres en bois datant du XIe au XIIIe siĂšcle, originaires dâun bĂątiment de FĂšs, proviennent des musĂ©es du Qatar, du MI A et du futur musĂ©e Lusail Lâexposition prĂ©sente Ă©galement une sĂ©lection de photographies et dâĆuvres dâart contemporaines de Bruno Barbey, Ir ving Penn, Lalla
Essaydi, Mous Lamrabat et Mounir Raji. Et sâadosse Ă un autre Ă©vĂ©nement proposĂ© au MI A, « Ektashif : Maroc » (jusquâau 26 fĂ©vrier 2025), qui met en avant les Ćuvres de sept artistes et designers qataris ayant travaillĂ© auprĂšs dâartistes et dâartisans experts du ro
Ci -c ontre, brace let (nba la ou ta nba lt).
Ci -d essous , couvre -c he f (âa sa ba) ser ti dâor et de p ier re s prĂ©cie us es
« SPLENDEURS DE LâATLAS : UN VOYAGE Ă TRAVERS LE PATRIMOINE MAROCAIN », MusĂ©e dâar t islamique, Doha (Qatar), jusquâau 8 mars 2025. mia.org.qa
BA RRY WINDSORSMIT H, AdastrainAfrica, Delcou rt, 52 pages, 15,50 âŹ.
Un RĂCI TGRA PH IQUE Ă l irecom me unefable su rL ALUT TE POUR LâIN DĂPENDANCE et lâautonomie.
CE CONTEdormait dans lesdossiersdeBarry Windsor-Smith, jusquâĂ cequâil dĂ©cide de le rĂ©Ă©crireetdeletransposerenun Ă©pisodedelajeunessedelaprincesseAdastra,exilĂ©esur terre parsamĂšre,lareine Organa.Pourrappel, cettemajestueuse divinitĂ© estlepersonnagelepluspopulaire de sa sĂ©rie Young Gods,unmĂ©lange subtil entrepiĂšce shakespearienneetbande dessinĂ©e cosmique, publiĂ©edanssarev ue rĂ©volutionnaire Stor yteller.Plusconnu pour sontravail dans lâuniversdes comics Marvel,ledessinateur anglaisanotamment adaptĂ© en bande dessinĂ©e le personnage de fiction crĂ©Ă© parlâĂ©crivainamĂ©ricain Robert Er vinHoward, ConanleBarbare,unaventurierdont lâambition se rĂ©sume Ă jouir de la vieetdumomentprĂ©sent.Dans ce nouvel ouvrageĂ lâesthĂ©tiquecaptivante, lâhĂ©roĂŻne, de retour en Afrique, essaie dâapporter la prospĂ©ritĂ© Ă unv illagefragilisĂ© parlasĂ©cheresse. Lâhommeblanc estpassĂ© parlĂ etalaissĂ©des machines agricolesqui ne fonctionnent plus fautedecarburant et de piĂšces. DĂšs lespremiĂšresplanches, vĂ©ritables pĂ©pites en noir et blanc, celuiqui aapportĂ© un romantisme contemporain au mondedes comics de super-hĂ©rosnord-amĂ©ricainspropose unefable Ă©trangeinf usĂ©e de questionsexistentiellescomplexes. Il se sert du rĂ©cit pour porter un regard curieuxsur lâeffetdela foietsur lesvaleurs desautochtones,dansunquestionnement constant surlâordre Ă©tabli et lâordrenaturel deschoses. Sans compterunclindâĆil explicite Ă laformule latine Pera spera ad astra.Par desvoiesarduesjusquâauxĂ©toiles â C.F.
ĂĂ©couter maintenant !
BlackP umas
Li ve Fr om Br ooklyn
Para mount, ATO/[PIA S].
Câestlorsdeleur derniĂšre tournĂ©eque le chanteur Eric Burton et le guitariste Adrian Quesadaont enregistrĂ© leur performancedeBrook ly n. Ilsont bien fait :enlâespacededeuxalbums (Black Puma s et Chronicles of aDiamond), lestubes ne manquentpas.Etils sont convoquĂ©sici avec lâĂ©nergie dontle duoatoujours fait preuve grĂąceĂ de multiples inspirations âlasoul, dâabord, mais aussileblues et le funk.
Dodi
El Sherbi ni AveC esar, Kidder mi nster.
Depuis sonpremier album, Fictions (2020), et sescollaborationsavecdes pointures commePhoenix,onconnaĂźt lâaptitude du musicien français Ă manier sy nthĂ©tiseurs et textes malins.Coproduit parlegroupedepop rockfrançais Rallye, cettenouvelledĂ©monstration dâobĂ©diencepsychĂ©dĂ©lique baptisĂ©e Ave Cesar dĂ©tourne lescodes de la variĂ©tĂ© avec uneĂ©lĂ©gance irrĂ©vĂ©rencieuse.
HĂ©ri ta ge,Tra nsgressiveRecord s/[PIA S]
Sort ie le 17 ja nv ier.
Câestunfolkdâune beautĂ© cristallineque nous livre, avecson quatriĂšmealbum HĂ©ritage,lequartet malien formĂ©Ă Bamako, mais dont les origines se trouvent Ă Tombouctou.En unedĂ©cennie, Songhoy Bluessâest imposĂ© commelâune desfigures de prouedu bluestouareg.Son secret :force guitares Ă©lectriques et voixhabitĂ©espourraconter lesravages du terrorismeâŠcomme les bienfaitsdelamusique. â SophieRosemont
La saga connaĂźtu nnouvel Ă©pisode, avec UN CI NĂASTE AFRO-A MĂRICA IN au xmanet tes.
EN 2019,Disneymettait en scĂšne uneversion rĂ©aliste de son blockbuster animĂ©sorti vingt-cinqans plus tĂŽt, Le Roi lion âenfait, desbĂȘtes 100% numĂ©riques,sansquâil sâagisse de dessinsoudecrĂ©ationsen3D, dans la tradition delâadaptation en prises de vues rĂ©elles(live action)deses classiques dâanimation.Devrais-fauxanimaux,bluffants de rĂ©alisme (saufquâilsparlentâŠ), quivivaientlâhistoire de Simbaaffrontantson oncleScarpourlasuccession au trĂŽne deson pĂšre Mufasa.Cinqans aprĂšs, voicilasuite sous forme de prĂ©quel, expliquant lesoriginesdelalĂ©gende de Mufasa Si lâon retrouve en grande partie lesmĂȘmes personnages (avecenVOles voix de DonaldGlover ou BeyoncĂ©; en VF celles de JamelDebbouzeouDanielKamwa), ce nâestplus JonFavreau quiorchestre, mais Barr yJenkins.LerĂ©alisateur afro-amĂ©ricain de Moonlight,filmdâauteurmulti-oscarisĂ©, ahĂ©sitĂ©plusieurs jours avantdâaccepter de dirigercette superproduction.Câest lâesprit de cetĂ©pisode,plongeantau
MU FASA, LE ROI LION (Ătats-Unis), de Barr yJen ki ns. Avec lesvoi x de TaharRah im, Jamel Debbou ze, Daniel Kamwa.
En sa lles le 18 décembre
plus profonddelâĂąme africaine, quilâauraitconvaincu.Autre nouveautĂ©: dans la versionfrançaise, TaharRahim assure la voix de Mufasa adulte,aprĂšs avoir dĂ©jĂ transformĂ©lasienne cetteannĂ©e dans Monsieur Aznavour.LesuccĂšsde2019 utilisaitdes techniques rĂ©volutionnaires se basant surle matĂ©riel rĂ©coltĂ©lorsdâunsafaridesix mois pour observer la fauneetlaf loreauKenya et en Tanzanie (240 000 photos). En 2024,cenouveau mixdeprisesdev uesrĂ©elles et dâimages numĂ©riques metencoreplusenvaleurles paysages du continent, avecdelaneige et deszones tropicales inspirĂ©esduBost wana.LerĂ©alismedes expressions sur lesgueules desanimaux et leur façondebougercomplĂšte Ă mer veillelavoixdes acteurs,etmontre la maĂźtrise techniquedes Ă©quipes Disney.Une odeaux familles (etĂ lâaccueildes «parias»)scandĂ©e pardâinĂ©vitables chansons (etlamusique du sud-africain Lebo M),qui offreune vision somptueuse de la nature en Afrique. â Jean -MarieChazeau
ES SA I
Une réflex ion su r
lâ histoi re des systĂšmes
DâEX PLOI TAT ION mis en place pa r
lâ homme su r lâan imal â et su r ceux quâi l considĂšre comme tel.
DĂS LES PR EMIĂRES pages, cet essai ultra-documentĂ© frappe fort. Difficile de ne pas penser Ă Chien blanc. Dans ce plaidoyer contre tous les racismes, Romain Gary narrait sa tentative de sauver un chien qui avait Ă©tĂ© dressĂ© pour attaquer les Noirs amĂ©ricains dans un pays bouleversĂ© par la lutte pour les droits civiques Un demi-siĂšcle plus tard, Kaoutar Harchi part elle aussi dâun Ă©vĂ©nement vĂ©cu quand elle Ă©tait enfant pour dĂ©rouler sa trame : lâun de ses camarades, Mustapha, est mordu par un berger belge malinois de la police. En mĂȘlant littĂ©rature autobiographique, recherche historique et thĂ©orie politique, lâĂ©crivaine et sociologue souhaite repolitiser la question de la domination « Dominer ne fut plus dominer [âŠ] On transforma le rĂ©el. LâOccident abrita en son sein toutes les formes lointaines de vie et devint lâarbitre de ces derniĂšres. Ainsi, des choses furent dites des animaux colonisĂ©s Lâon dit : ces animaux sont nos ennemis. Et lâon dit aussi : ces animaux sont nos amis. Et des choses furent faites Ă ces mĂȘmes animaux » Ă travers notre rapport aux bĂȘtes, lâautrice de LâAmpleur du saccage et Comme nou s existon s livre une histoire politique et poĂ©tique de la domination des animaux et explore, en miroir, lâhistoire occidentale de la pĂ©riode moderne Ă nos jours. De fil en aiguille, le texte met en lumiĂšre le processus dâune dĂ©shumanisation rĂ©pĂ©tĂ©e des populations, invariablement contrĂŽlĂ©es ou exploitĂ©es : de lâesclavage au fascisme, en passant par la lutte des classes, la condition de la femme, les minoritĂ©s raciales, la colonisation et le capitalisme. Sans toutefois totalement dĂ©sespĂ©rer : « Si je sais la force requise pour parvenir Ă sâĂ©lever au-dessus des horizons bouchĂ©s de la domination et entrevoir, ne serait-ce que par le bout de la lorgnette, le champ des possibles qui, nous devons le croire, demeure ouvert bien quâĂ©troit, je sais aussi que le temps des animaux viendra. » â C.F.
KAOU TA R HA RCHI, Ainsi lâanimal et nous, Actes Sud, 320 pages, 22,50 âŹ
CU ME NT AI RE
Ba nn ideson pays pour avoi rexposĂ©les rĂ©alitĂ©sduR ĂGI ME
DâAPARTH EI D, ER NEST COLE estm is Ă l âhon neur pa rRaoul Peck.
DEPUIS Lumumba, la mortdâunprophĂšte (1990), RaoulPeckpoursuituntravail de mĂ©moire dĂ©centrĂ© du regard occidental.Familier desluttesanticoloniales, il avaitdĂ©filĂ©contre lâapartheid dans lesannĂ©es1970. Aussilorsque la familledâErnestColevientletrouver aprĂšslesuccĂšsde sondocumentaireinspirĂ© desĂ©critsdeJames Baldwin, IAmNot Your Negro,lecinĂ©astehaĂŻtien se souvientdulivre de photos House of Bondage (La Maisondes servitudes), paru en 1967.Des clichĂ©sdevenus iconiques, rĂ©alisĂ©s parcejeune photographesud-africain de 27 ans, quiavait dĂ» quitterson pays pour avoirainsi rĂ©vĂ©lĂ©larĂ©alitĂ© sordidedusystĂšme Ă©rigĂ© parlepouvoir blancĂ Pretoria.ExilĂ© auxĂtats-Unis, sans espoir de retour,iltentera unenouvellecarriĂšre sans succĂšs, invitĂ© Ă fairedes reportages surles Afro-A mĂ©ricainspauvres quandilserĂȘvaitphotographede mode et de publicitĂ©. Sontravail capteĂ mer veilleles regardsetles attitudesdelapopulation desruesamĂ©ricaines,maisnâest pasreconnu.Ilmeurt Ă New York en fĂ©vrier1990,quelques jours seulementavant la libĂ©ration de Nelson Mandela⊠RaoulPeckrestituesaparoledans un rĂ©cit Ă lapremiĂšre personne,quâil contelui-mĂȘmedanslaversion française(câestlavoix du rappeuramĂ©ricain LakeithStanfield dans la VO), illustrĂ©par lesimagesduphotographe, dont beaucoup dâinĂ©dites.En2017, 60 000 nĂ©gatifs ontĂ©tĂ© retrouvĂ©sdansune banqueâŠĂ Stockholm. Quiles yamises ?Qui apayĂ©leloyer du coffre pendantprĂšsdetrente ans? Ses ayants droitont du malĂ les rĂ©cupĂ©rer,dâoĂčleurappel au cinĂ©aste haĂŻtien. Le rĂ©alisateur, partiĂ larecherche de celles et ceux quiont cĂŽtoyĂ©ErnestColeaux Ătats-Unis et en SuĂšde, ressuscite ainsi le parcours unique et injustementoubliĂ© dâun vĂ©ritableartiste africain â J.-M.C
ER NEST COLE, PHOTOGRAPHE (Ătats-Unis), de Raou lPeck. En sa lles.
Ci -d essus , un administrateu r de s pla ntations su iss es de ta ba c au x cÎté s de so n fil s, Kota ri, en 1921
Ci -c ontre, figu rin e re prĂ©senta nt la ve nte dâun e pe rsonn e rĂ© duite en esclavag e.
En 18 85, Ă De li su r lâ Ăźl e de Sumatra , ma ison de Ka rl Kr ĂŒs i da ns la pla nta ti on Ma ry land, ba pt is Ă©e du nom de sa fe mme Ma ry
retrace lâimpl icat ion de la confĂ©dĂ©rat ion da ns le systĂšme colonial, question na nt le dĂ©ni collecti f su r le sujet.
LA SUISSE nâa jamais eu de colonies. Pourtant, les citoyens et les entreprises de la RĂ©publique helvĂ©tique ont entretenu pendant quatre cents ans des liens Ă©troits avec le systĂšme colonial. LâinĂ©dite et poignante exposition du Landesmuseum ZĂŒrich, « Colonialisme, une Suisse impliquĂ©e », lĂšve le voile sur cette histoire effacĂ©e de la mĂ©moire collective, Ă travers des objets, des Ćuvres dâart, des photographies, des tĂ©moignages et des documents. On y prĂ©sente avec sobriĂ©tĂ© ces firmes, ces privĂ©s et ces communautĂ©s qui ont pris part Ă la traite et ont fait fortune grĂące Ă lâexploitation des esclaves. Les banques, qui ont mis Ă disposition le capital nĂ©cessaire Ă ces entreprises. Les missionnaires suisses et les mercenaires, qui ont participĂ© aux conquĂȘtes coloniales Ă travers le globe et Ă©crasĂ© la rĂ©sistance des peuples indigĂšnes. Sans oublier les spĂ©cialistes, qui ont mis leur savoir au serv ice des puissances coloniales et des universitĂ©s de Zurich et GenĂšve, qui ont enseignĂ© et diff usĂ© la pensĂ©e raciste qui a serv i Ă lĂ©gitimer le colonialisme. Un regard critique Ă©clairĂ©e, pour une exposition puissante et nĂ©cessaire â Lu is a Na nnip ier i « COLONIALISME, UNE SUISSE IMPLIQUĂE », Landesmuseu m, ZĂŒrich (Suisse), jusquâau 19 janvier 2025 landesmuseum.ch
Trau matisĂ© pa rson djihad en Sy rie, un jeunepaysa n tu nisien rent re au paysâŠUnDRA ME FA MI LI AL doublĂ© dâuneenq uĂȘte policiĂšre. EnvoĂ»tantetd âu ne grande beautĂ©.
YA-T-IL UN LIEN entreune sĂ©riededisparitionsdansunvillage du nord de la Tunisieetleretourdâexildâunhomme et sonĂ©pouse en niqab? CâestlâenquĂȘte quiparcourtcepremierfilm de la CanadoTunisienne Meryam Joobeur, quinâa pourtant rien dâun polar. On estdâabord en immersiondansunpaysagearide et venteuxenbord demer,chezdes Ă©leveurs de moutonsqui ont vu deux de leurs trois enfantspartirenSyrie,rejoindre Daesh⊠Troisgarçons au physique peubanal dans la rĂ©gion,rouxetauvisagecouvert de taches de rousseur.LacinĂ©asteavait fait desdeuxaĂźnĂ©s,authentiquespaysans, lesprotagonistes dâun court-mĂ©tragenommĂ© auxOscarsen2020 (Brotherhood). On lesretrouve, avec leur petitfrĂšredesix ans, aux cĂŽtĂ©sdâacteurs professionnelscomme Adam Bessa(LesFantĂŽmes, de Jonathan Millet). Mais ce sont bien lesfemmes, Ă commencer parlamĂšre (SalhaNasraoui, intense),qui sont au cĆur de ce rĂ©cit Ă©clatĂ©,plein de non-dits,dedouleurs,maisaussi dâhumanitĂ© Un contesur lesdĂ©gĂątscollatĂ©raux du djihadisme â J.-M.C
LA SOURCE (Tun isie-FranceCanada),de Meryam Joobeu r. Avec Salha Nasraoui,Malek Mechergu i, Adam Bessa. En sa lles
La collection neuse ivoi ro-l ibanaise a créé un ESPACE ARTIST IQUE INCONTOU RNABLE da ns le paysage abidja na is.
SITUĂE AU PL ATEAU, Ă Abidjan, la Galerie Farah Fakhri met en valeur des artistes contemporains de renom comme des talents Ă©mergents, du continent et de la diaspora CrĂ©Ă©e en 2022, cette plate-forme nĂ©cessaire sâengage dans les Ă©changes culturels, lâaccompagnement des artistes, leur reconnaissance sur la scĂšne mondiale.
AM : Quelle est votre ligne artistique ?
Farah Fakhri : Nous exposons le travail dâartistes Ă©tablis (Abdoulaye KonatĂ©, Joana Choumali, etc.) comme Ă©mergents (Chada, Keren Lasme, etc.). Ce dialogue crĂ©e des Ă©changes intergĂ©nĂ©rationnels, enrichit lâexpĂ©rience du public et des collectionneurs. Nous sommes sensibles Ă lâimpact des Ćuv res dans un contexte artistique et sociĂ©tal, Ă celles qui ouvrent des perspectives, suscitent des rĂ©flexions sur des sujets tels le panafricanisme, lâexil, lâimmigration, la spiritualitĂ©, la mĂ©moire. Les pratiques et techniques sont diverses, souvent complĂ©mentaires â peinture, photo, vidĂ©o, installation, sculpture, textile. Et nous construisons des relations sur le long terme avec les artistes que nous reprĂ©sentons Quelles sont vos ambitions ?
CrĂ©er un lieu de rencontres, de rĂ©flexions, contribuer Ă lâinfluence des artistes du continent et de la diaspora sur la scĂšne internationale Ă travers une dĂ©marche Ă©ducative, nous collaborons avec les Beaux-Arts dâAbidjan, Marseille, TĂ©touan, en vue de soutenir la formation et lâĂ©ducation artistique de jeunes talents. Nous organisons aussi des ateliers de dĂ©couverte, de crĂ©ation, des sy mposiums, des Ă©vĂ©nements culturels, des rencontres au sein de la galerie et de la rĂ©sidence. Nous formons des partenariats avec les institutions dâautres pays, ce qui enrichit nos projets et amplifie leur portĂ©e En rĂ©unissant les perspectives, en partageant les ressources, on ouvre des voies dâĂ©changes culturels, de soutiens. Parlez-nous des rĂ©sidences
ConstituĂ©e dâun comitĂ© curatorial, composĂ© de curateurs, collectionneurs et artistes, la rĂ©sidence est un espace de crĂ©ation et dâopportunitĂ©s pour les artistes, qui sâimmergent dans un nouveau contexte culturel et social, afin dâap-
profondir leurs recherches ou dâexplorer dâautres pratiques. Elle est ouverte aux curateurs et doctorants pour des rĂ©sidences de recherche, qui se concrĂ©tiseront par des sy mposiums Nous travaillons aussi avec la Fondation Montresso au Maroc, afin dâorganiser ensemble des rĂ©sidences croisĂ©es. En tant quâancienne directrice de la communication auprĂšs de la maison Chanel, ma mission consiste Ă diff user et faire rayonner le travail des artistes sur notre continent et le monde. Et nous avons Ă©galement un rĂŽle Ă jouer dans lâaccompagnement dâartistes de la diaspora qui souhaitent (re)dĂ©couv rir le continent de leurs aĂŻeux et y travailler
Quels sont les enjeux pour lâart ivoirien ?
Dâabord, la crĂ©ation dâinfrastructures, qui joueront un rĂŽle clĂ© dans la transmission et contribueront Ă la reconnaissance du travail des artistes. Ă lâinternational, lâenjeu est de garantir une prĂ©sence institutionnelle sur les rendez-vous mondiaux, tels que les biennales Le soutien public, indispensable, permettrait de mettre en lumiĂšre dâautres artistes galeriefarahfakhri.com â propos recueillis par Astrid Krivian
« Nous sommes sensibles Ă lâimpact des Ćuvres dans un contexte artistique et sociĂ©tal, Ă celles qui ouvrent des perspectives. »
RY TH ME S
Entrejazzett radition ma nd ingue, le nouvel al bu mdusaxophoniste frança is nâag uĂšre besoin de pa rolespou rexpri mer sesPASSIONSSONOR ES.
ANA LY SE
HOWA RD W. FR ENCH, Noiresorigines. LâAfriqueetla crĂ©ation du monde moderne 1471-1945, Ca lman n-LĂ©vy, 550pages, 25,90 âŹ
Si xsiĂšcles dâ histoi re oĂč
le cont inenta fr icai nret rouve unePLACE CENT RA LE da ns le récitdumonde moderne.
«SIR ĂPANDUES quesoient cesgrandes dĂ©couvertesdanslâimaginairepopulaire, concevoir les dĂ©buts de lâhistoire moderneĂ leuraune[âŠ] rev ient Ă occulterlavĂ©ritĂ©sur lâessor du monde âmoderneâetĂ nepas comprendrecomment les diffĂ©rents points du globesesonttrouvĂ©s liĂ©s et commetissĂ©sles uns avecles autres.» Depuis plusieurs annĂ©es,lejournaliste amĂ©ricainHoward W. French se consacre Ă dĂ©soccidentaliser lâhistoire desrelations internationales, notammentĂ partir de lâĂ©tudedelâA frique.PubliĂ©en2021aux Ătats-Unis et finalisteduprixPulitzer en 2022, Born in Blackness, traduitaujourdâhui en français,rĂ©interprĂšte lâhistoire mondiale en plaçantlecontinent et sespopulations au centre du rĂ©cit.Lâauteurmet en lumiĂšre desfigures mĂ©connues, telles que lesempereursayant tenu tĂȘte auxpuissances europĂ©ennesdu XV IIe siĂšcle,les riches marchands commerçantaveclâA sieoules hĂ©ros de la libĂ©ration desesclaveshaĂŻtiens. DĂ©passantlâanalyse purement verticaledes rapports de domination,lâouv rage fait comprendreles bouleversementssocio-Ă©conomiques liĂ©s au commercedelâor, du sucre, du tabacetdu coton, et Ă latraitedemillions dâAfricains. â C.F.
DEPUIS SONPREMIER album, Suites af ricaines (2009),nourri de duos avec balafonetkora, le saxophoniste,compositeur, producteur et arrangeurfrancilienrĂȘvaitderemonter aux sourcesdeses inspirations.Câest chosefaite avec Racines, quiallie le jazz,quâil adĂ©couvert et appris Ă New York,Ă la musiquemandingue,qui le passionne depuis toujours.Saxophoniste de TikenJah Fakoly,entre autres, JB Moundele (dontlenom sâinspire de lâexpressionlingala moundele ndombi,« le Blancnoir»)sâillustreen parallĂšledansplusieurs projetset collaborations,deSalif KeĂŻta Ă Oumou SangarĂ©. Cettefois, il sâentouredes instrumentistesMbady DiabatĂ©etBruno Desbiolles pour signer le superbe Racines,fortdedĂ©licatessestant musicalesque ry thmiques,tellesque «Moptysanko»,au groove bienbalancĂ©, et le subtil «Sankosong ». â S.R JB MOUNDELE, Racines, Inou ĂŻe Distri bution DR (3)
DE SI GN
Avec Kente Project Ar t La b, entre Pa ris et Lomé, ESTELLE YOMEDA crée des piÚces un iq ues de mobi lier et de text ile au x lignes épurées et sensuelles.
ARTISTE PL ASTICIENNE devenue bottiĂšre, la FrancoTogolaise Estelle Yomeda a dĂ©couvert Ă travers la crĂ©ation de chaussures son amour pour le travail manuel Une passion qui la pousse, en 2017, Ă lancer le Kente Project Art Lab : un laboratoire nomade, entre Paris et LomĂ©, Ă lâintersection de lâart, du design et de lâartisanat. Alors quâelle dĂ©couv re et retisse des liens avec le Togo du pĂšre, elle est fascinĂ©e par la dimension sy mbolique, identitaire et esthĂ©tique du tissu kente, par son graphisme ancestral et intemporel. Pour ses premiĂšres crĂ©ations textiles, elle
reprend donc la technique, mais conçoit ses propres motifs et coloris dans lâoptique de rĂ©inventer la tradition Ă lâaune de la contemporanĂ©itĂ©. Aujourdâhui, elle se fait remarquer pour ses Ă©lĂ©ments de mobilier en bois aux silhouettes sensuelles et, en mĂȘme temps, presque brutes. Ses « sĂ©ries diffĂ©renciĂ©es » comprennent des piĂšces entiĂšrement faites Ă la main, caractĂ©risĂ©es par un mĂ©lange dâessences et de textures qui tĂ©moigne du savoir-faire des artisans togolais. ĂlĂ©gantes et espiĂšgles, ses crĂ©ations ont Ă©tĂ© remarquĂ©es lors de la Design Week parisienne et seront bientĂŽt proposĂ©es par la galerie Maria Wettergren, dans le quartier du Marais, Ă Paris. kenteproject. com â L.N.
AprĂšsu ne poig nĂ©ed âEP, la jeune
chanteuseetrappeusef ra nco-ivoi rien ne livreu na lbum dâuneBELLE DENSIT Ă SONORE et trĂšs person nel⊠justement nommĂ© B.O. dâunevie.Rencont re.
AM : Comment estnĂ© B.O. dâunevie ?
Eesah Yasuke : Dâaussiloinque je me souvienne,jâaitoujoursvoulu Ă©crire Ă proposdemon histoire, surmon parcours trĂšs at ypique. Depuis plusieurs annĂ©es, je caresse lâidĂ©e de faireunfilmsur mes jeunes annĂ©es, mesplacements en foyers et en familledâaccueil, notamment⊠Il me semble que B.O. dâunevie estlapremiĂšre pierredeceprojet. Je dirais mĂȘme quejâaiinversĂ©lâordre deschoses: jâai composĂ©labande originale de ma vie, avantmĂȘmedâenĂ©crire le scĂ©nario !Cet albumest nĂ© de ma conv iction quâilfautrompre un cercle vicieuxpouraller vers le vertueux,etchaquemorceau prov ient dâuneimpulsion de nommer pour soigner. Ma seulevolontĂ©, câĂ©taitque ce premieralbum me ressembleetquâil corresponde Ă mes multiples facettes En quoi vosracines africaines et lesmusiques commelarumba, quevousĂ©coutiez enfant, ont- ellesinfluencĂ© votrecrĂ©ativitĂ© ?
Je penseque le simple fait dâavoirbaignĂ©dansces mĂ©lodies entraĂźnantesmâa Ă©duquĂ©esur la volontĂ©demeser virde la musiquepourexprimerdes conv ictionsetdes valeurs trĂšs fortes.Jepense parexemple au morceau« Migrantdes rĂȘves » de FallyIpupa,qui possĂšdedeux
niveauxdelecture :sây manifestent Ă lafoislemessageengagĂ©etla voix eniv rantedelâartiste,qui nous font passer un moment dĂ©licieux. Cetalbum a-t- il pu jouer un rĂŽle cathar tique dans votreexistence ?
DĂšsledĂ©part,lamusique lâaĂ©tĂ© pour moi. Mais davantageencore dans B.O. dâunevie,oĂčjâailiv rĂ© desparties de moiplusintimes quâĂ lâaccoutumĂ©e. Il mâapermis de frayer deschemins quejenâavais jusquâalorspas ou peuexplorĂ©s⊠Pour tout vous dire,jâaiconnu une grosse pannedâinspiration.Etcâest pendantcette pĂ©riodedifficile quejâaidĂ©couvert quelapeinture pouvaitĂȘtresourcede guĂ©rison,ce quimâa redonnĂ© de lâĂ©lan crĂ©atif. CâestenpartiegrĂące Ă ellesicet albumexisteaujourdâhui â propos recueillispar Sophie Rosemont
EESAHYASUKE, B.O. dâunevie, Blessi ng Product ion. Sort idepuis le 15 novem bre. En concer tle19dĂ©cem bre Ă laMaroq uiner ie (Paris)
s
MODE
MA ISON KA NTYâS rempor te le pr ix Jeune Ta lent de lâAbidja n Fash ion Week avec une collection du ra ble et ch ic, qu i cĂ©lĂšbre LES TEXT UR ES ET LES MATI ĂR ES.
LA PREMIĂRE ABIDJAN FASHION WEEK, organisĂ©e par le designer Elie Kuame en octobre dernier, a Ă©tĂ© un vĂ©ritable succĂšs. Au-delĂ dâoffrir aux crĂ©ateurs confirmĂ©s de la scĂšne ivoirienne (de Lafalaise Dion Ă Kente Gentlemen) une plate-forme dâexception, elle a aussi permis de mettre en avant les jeunes talents locaux avec un prix dĂ©diĂ©.
Le prix Marie-ThĂ©rĂšse-HouphouĂ«t-Boigny, dâune valeur dâun million de francs CFA, a Ă©tĂ© dĂ©cernĂ© au duo dâamis William MacKenzie et Thierry Aguy pour DjĂŽlĂŽh, la premiĂšre collection femme de leur label Maison Kantyâs. DjĂŽlĂŽh, qui signifie « chance » en langue bĂ©tĂ©, comprend en tout 17 piĂšces aux teintes beige et ivoire, faites Ă partir de coton et de lin tissĂ©s artisanalement dans lâatelier de la
marque, et inspirĂ©es des couleurs et des paysages dâAfrique du Nord. Kantyâs a Ă©tĂ© lancĂ©e en 2019, mais elle proposait jusque-lĂ surtout du prĂȘt-Ă -porter et des tenues de ville. Cette collection reprĂ©sente donc le premier projet vĂ©ritablement crĂ©atif du duo de designers, ĂągĂ©s dâune trentaine dâannĂ©es et passionnĂ©s de mode depuis lâenfance. Seulement une dizaine de piĂšces ont dĂ©filĂ© lors du concours, mais ces quelques silhouettes ont suffi Ă convaincre le jury de leur talent et Ă leur ouvrir les portes de la Fashion Week de Dakar, oĂč ils sont invitĂ©s en dĂ©cembre.
Les couturiers ont fait un travail remarquable sur les textures et les matiĂšres, Ă partir des franges qui ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©es Ă la main avec la technique de lâeffilochage
Ci -d es su s, dé fil é de l a coll ectio n DjÎl Îh. Ci -c ontre, à ga uc he, la ro be Cy nthia.K ; à droi te, la ju pe du lo ok Baf lan as sor ti e à la ve ste du look
Frédériqu e Lei nin ge r.
du coton brut et de la mise en avant de textiles dĂ©structurĂ©s. GuidĂ©s par les principes de la production circulaire, ils ont par ailleurs veillĂ© Ă dĂ©couper chaque tissu de façon Ă pouvoir ensuite utiliser les chutes pour crĂ©er dâautres piĂšces, faisant preuve dâinventivitĂ© et de finesse. La robe Cynthia.K (les noms des looks cĂ©lĂšbrent des femmes ivoiriennes qui ont luttĂ© contre le cancer, Octobre rose Ă©tant le thĂšme du concours), avec son col haut et son design moderne, est un parfait exemple dâune mode Ă la fois sophistiquĂ©e et durable. @lamaisonkant ys â L.N.
Ă
MAUR ICE, ces deux hĂŽtels haut de ga mme accuei llent DES TA BLES EM BLĂM AT IQUES et ra ff inĂ©es pour se fa ire plaisi r en fa mi lle ou en tĂȘte-Ă -tĂȘte.
LE BLUE MA RLIN est la table my thique du Paradis Beachcomber, un resort de rĂȘve sur la pĂ©ninsule du morne Brabant (sud-ouest). PlacĂ© en front de mer, il offre une vue imprenable sur le lagon, dans un dĂ©cor relaxant et contemporain entiĂšrement refait en 2023 Les lignes arrondies du mobilier, lâinstallation artistique accrochĂ©e au plafond et le carrelage, qui Ă©voquent des Ă©cailles argentĂ©es, sont autant de dĂ©tails qui rendent hommage au cĂ©lĂšbre poisson. Le chef y propose une cuisine du monde crĂ©ative, qui interprĂšte avec audace des classiques et sublime les produits de la mer. IdĂ©al aussi pour un midi gastronomique dĂ©contractĂ© au bord de la plage, Ă base de tempura du lagon ou de filet de berri avec palmiste croquant, champignons Ă lâhuile dâargan, asperges vertes et salsa de coquillages
le dialogue culturel entre lâAmĂ©rique latine et le Japon Ă travers un mĂ©lange culinaire fait dâune Ă©tonnante variĂ©tĂ© dâingrĂ©dients, de textures et de mĂ©thodes de cuisson. Chaque Ă©lĂ©ment, du dĂ©cor sophistiquĂ© et authentiquement pĂ©ruvien au choix des boissons (mention spĂ©ciale pour le Pisco), valorise les saveurs Ă©laborĂ©es par le chef Pedro Burgos. Des ceviches au bĆuf Wagyu, version anticucho, fumĂ© sur le gril avec sauce chimichurri, ou lomo saltado, de qualitĂ© extrĂȘme, jusquâau bar en rĂ©duction de parihuela (soupe de poisson) et raviolis aux crevettes, tout y est dĂ©licieux ! beachcomber-hotels.com luxresor ts.com â L.N. SP OT S
Ă lâautre bout de lâĂźle, le LU X* Grand Gaube accueille la premiĂšre table pĂ©ruv ienne de lâocĂ©an Indien : INTI â le dieu du soleil â est un lieu emblĂ©matique, qui cĂ©lĂšbre
Avec trois fois rien, le st ud io RA MOS CAST ELLA NO a constru it un musée éton na nt, qu i célÚbre et promeut la créativité boui llon na nte des ßles.
LA FAĂA DE Ă pois bariolĂ©e du Centre national dâar t et de design (CNA D) se dĂ©tache sur le paysage urbain de Mindelo, la capitale culturelle du Cap-Vert. Le musĂ©e â le premier ouvert dans lâarchipel aprĂšs lâindĂ©pendance â a Ă©tĂ© entiĂšrement rĂ©novĂ© par le cabinet local de Moreno Castellano et Eloisa Ramos, portĂ© par un projet visionnaire qui met en avant la crĂ©ativitĂ© et la dĂ©brouillardise locale et qui est dĂ©jĂ une icĂŽne internationale. Notamment grĂące aux brise-soleil orientables de lâannexe, crĂ©Ă©s Ă partir des couvercles des barils utilisĂ©s pour lâimportation de marchandises. Lâintervention du studio, qui a rĂ©novĂ© aussi la maison coloniale qui constitue le corps du CNAD, a permis de recoudre le tissu urbain, transformant un espace vide
et dĂ©laissĂ© en un patio public vivant et un vieux hangar en un bĂątiment de cinq Ă©tages, dotĂ© dâune librairie, dâun atelier, dâune rĂ©sidence ar tistique et de deux espaces dâexposition. Le duo en a aussi dessinĂ© le mobilier, rĂ©alisĂ© par des ar tisans cap-verdiens Ă partir de vieux dĂ©chets et matiĂšres locales. « Il a Ă©tĂ© difficile de convaincre les institutions que lâon peut faire de lâarchitecture impactante et de qualitĂ© Ă partir dâordures. Que cette âfolieâ Ă©tait faisable », expliquent les architectes depuis Bamako, oĂč ils travaillent Ă la scĂ©nographie de la 30e Ă©dition des Rencontres. Aujourdâhui, le CNAD est un pĂŽle dâattraction pour lâĂźle et un lieu oĂč le potentiel crĂ©atif des CapVerdiens sâexprime et se concrĂ©tise. ramoscastellano.com â L.N.
Ă cette pĂ©riode de lâan nĂ©e, lâAf rique se rĂ©vĂšle mu lt iple et propice au voya ge. Spor ts naut iq ues, vi rĂ©es en mont ag ne, cu lt ure vodu n et croisiĂšre su r le Ni lâŠ
VOICI QUAT RE EX EM PL ES
DâESCA PA DES BĂNĂFIQU ES !
Da ns le s hau teur s de la station dâOu ka ĂŻm ed en
LA FIN ET LE DĂBU T de lâannĂ©e sont les meilleures pĂ©riodes pour visiter le continent : dans le Sud, on peut savourer lâĂ©tĂ© austral ; au Nord-Est, la mĂ©tĂ©o douce est parfaite pour des excursions urbaines, tandis que les montagnes peuvent se couv rir de neige et attirent les amateurs de sk i. Et si la chaleur peut quelquefois devenir Ă©touffante dans lâEst, oĂč les pluies verdissent nĂ©anmoins les paysages, on nâa quâĂ mettre le cap vers le Nil et la mer Rouge pour se relaxer au bord dâune eau Ă la tempĂ©rature idĂ©ale. Ce sont aussi les mois de la saison sĂšche pour une bonne partie des pays tropicaux, comme le BĂ©nin, oĂč lâon peut se ressourcer en contact avec la nature ou redĂ©couvrir lâhistoire et la culture de la rĂ©gion. Voici quelques idĂ©es de voyage pour profiter au mieux de cette belle saison
EN AFRIQUE DU NOR D, la montagne attire de plus en plus de touristes et de passionnĂ©s de sk i. Câest le cas de la majestueuse chaĂźne du Djurdjura, Ă environ 150 km dâAlger, oĂč la station de Tikjda culmine Ă 1 478 m dâaltitude et offre une vue imprenable sur les pics enneigĂ©s et les paysages lunaires de lâAtlas algĂ©rien Cet endroit fĂ©erique est pour lâinstant conseillĂ© aux adeptes du sk i de randonnĂ©e et des balades dans la neige, le projet de rĂ©novation des remontĂ©es mĂ©caniques Ă©tant repoussĂ© dâannĂ©e en annĂ©e. Plus accessible, lâAtlas marocain abrite la station de Michlifen, surnommĂ©e La Petite Suisse marocaine, Ă environ 1 heure de route dâIfrane Pour un sĂ©jour en chalet alpin de luxe, au milieu des forĂȘts de cĂšdres, le Michlifen Resort & Golf, avec spa et piscine intĂ©rieure,
est le bon choix. La station la mieux Ă©quipĂ©e et la plus prisĂ©e du pays est toutefois celle dâOukaĂŻmeden : un paradis blanc qui atteint les 3 200 m dâaltitude Ă seulement 70 km de Marrakech. Lâendroit parfait pour profiter de la nature un jour et de la ville rouge le suivant. michli fen.com
EN FIN dâannĂ©e, les tempĂ©ratures sont idĂ©ales pour visiter la vallĂ©e des Rois ou la py ramide de KhĂ©ops, mais aussi bronzer sur les rives de la mer Rouge. Pour un sĂ©jour qui conjugue douceur de vivre et tourisme culturel, naviguer sur la vallĂ©e du Nil est une Ă©v idence. En attendant la mise en serv ice du train Guardian of the Nile, qui reliera Le Caire Ă Assouan
â en 2027, dit-on â, on peut dĂ©couv rir les sites de lâĂg ypte antique depuis une dahabiya, un bateau de croisiĂšre ou un vapeur Ă©douardien de grand st yle. Pour une pause gastronomique le long du fleuve, on conseille la cuisine crĂ©ative du Al Moudira, Ă Louxor, qui organise aussi des dĂźners sur-mesure dans certains temples et sites archĂ©ologiques, ou la terrasse du my thique Old Cataract dâAssouan. Pour un plus petit budget, les plats faits maison du Nubian Dreams Restaurant & Cafe (A ssouan) sont imbattables et la vue sur le fleuve est magnifique Plusieurs opĂ©rateurs touristiques, via Voyageurs du monde, proposent un sĂ©jour dâexception Ă lâoccasion du Nouvel An, avec soirĂ©e de rĂ©veillon et dĂźner sur lâeau. moudira.com/soïŹtel.accor.com
LE PAYS revendique depuis quelques années son statut de berceau du vaudou : il développe des parcours touristiques culturels, comme la route des Couvents voduns, et investit dans la construction du futur musée international du Vodun à Porto-Novo Il célÚbre aussi cet héritage avec un festival annuel dédié aux arts, à la culture et à la spiritualité à Ouidah. La deuxiÚme édition des Vodun Days (du 9 au 11 janv ier) prévoit des concerts et spectacles en bord de mer, prÚs de
la Porte du non-retour, mais aussi des parades en lâhonneur des divinitĂ©s vaudoues, des animations dans la citĂ© historique â oĂč se trouve le renommĂ© temple des Py thons â et des stands dâartisanat local. La ville cĂŽtiĂšre, qui accueille dĂ©jĂ le musĂ©e de la Fondation Zinsou dâart contemporain et son agrĂ©able cafĂ©, vit par ailleurs une rĂ©volution urbaine, qui vise Ă en faire une destination culturelle autour de la mĂ©moire de la traite. Les travaux sur ce front sont loin dâĂȘtre terminĂ©s, et le musĂ©e international de la MĂ©moire et de lâEsclavage nâa toujours pas ouvert, mais lâhistoire dâOuidah vaut Ă elle seule le dĂ©tour @ vodundays/ fondation -z insou.org â L.N.
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PA R EM MAN UE LL E PON
Et si, pour une fois, Ă lâoccasion des fĂȘtes de fin dâannĂ©e, on arrĂȘtait de se ruiner en achetant la derniĂšre Game Boy Ă son fils ? Si on cessait de rĂ©server le voyage Ă la mode vers DubaĂŻ ? Si on stoppait la commande dâhuĂźtres ou de saumon fumĂ© impor tĂ©s ? Et si, enfin, on choisissait ne pas por ter une robe du soir grif fĂ©e de Paris ?
Il su ff it de le dĂ©cider. Et de se dire trĂšs fort que tout cela est devenu ringard. Le must, cette annĂ©e, câest de consommer local, de promouvoir son propre patrimoine et de privilĂ©gier les circuits cour ts ! Et franchement, le continent regorge de tout ce dont on a besoin pour passer un rĂ©veillon made in Africa
Primo, ceux qui fĂȘtent NoĂ«l oublient le sa pi n ve rt en pl as ti qu e et sa fausse neige, et couvrent plutĂŽt de guirlandes les palmiers et les cocotiers du jardin ou nâimpor te quelle jolie plante locale en pot dans la maison. Au pied, on dĂ©pose des cadeaux, comme un awale et ses graines, ou un Monopoly City of Lagos commercialisĂ© par une entreprise nigĂ©riane. Ă lâoccasion du rĂ©veillon du 24 pour certains, et du 31 pour tous les autres, on sâhabille local â et si lâon veut frimer, on peut se payer une robe du soir de chez Gilles Toure ou JosĂ© Esam, un costume
Elie Kuame, une robe de princesse Alphadi ou encore un drapĂ© noir chic dâImane Ayissi, pour ne citer quâeux La liste est infinie, tant la crĂ©ation africaine regorge de talents.
Et si vous dĂ©cidez de vous payer un petit voyage, franchement, lĂ encore, le choix des destinations sur le continent subsaharien est incommensurablement variĂ© ! Depuis la croisiĂšre en bateau sĂ©nĂ©galais vers Saint- Louis au lodge sud- africain, en passant par un trek en Pays Dogon, une plage de sable blanc en Mauritanie ou une visite aux gorilles Ă dos argentĂ© dans les montagnes rwandaisesâŠ
Et enfin, cĂŽtĂ© agapes , absolument tous les plats traditionnels locaux sont une fĂȘte Ă eux tout seuls ! Un gbekui togolais et ses ablos, un folĂ©rĂ© du Nord Cameroun ou une sauce graine Ă Abidjan composeront pile comme il faut votre repas de rĂ©veillon Allez, on peut mĂȘme mettre des huĂźtres des palĂ©tuviers sĂ©nĂ©galaises en entrĂ©e, le tout arrosĂ© dâun vin de palme frappĂ© ou dâun puissant vin rouge sud- africain.
Pour plus de dĂ©paysement, le Gabonais pourra choisir un mafĂ© malien et le BurkinabĂš un saka -saka congolais Lâessentiel, câest de consommer afro Ăa sera trop bien, vous verrez : il faut lancer la mode ! Bonnes fĂȘtes et meilleurs vĆux pour lâannĂ©e qui sâannonce ! â
AVEC SA SĂRIE « PEAS IN A POD », prĂ©sentĂ©e au festival Planches Contact Ă Deauville, la photographe nigĂ©riane explore lâexpĂ©rience sociale et intime de personnes queers dans son pays et en Normandie. propos re cueillis par Astrid Krivian
En cette matinĂ©e dâautomne, dans la citĂ© balnĂ©aire de Deauville en Normandie, la mer Ă©tincelle sous un ciel nuageux. Sur la cĂ©lĂšbre promenade des Planches longeant la plage, Rachel Seidu, 27 ans, lunettes de soleil sur le nez et bonnet vissĂ© sur les nattes, se rĂ©jouit : le public a rĂ©servĂ© un accueil enthousiaste Ă sa premiĂšre exposition personnelle majeure, « Peas in a Pod ». PrĂ©sentĂ©e Ă lâespace adjacent Le Point de Vue, elle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans le cadre de la rĂ©sidence Tremplin Jeunes Talents du festival photographique Planches Contact. Dans la tranquillitĂ© de ce lieu de villĂ©giature, lâagitation de Lagos, oĂč elle vit, semble loin. Pourtant, lâartiste met en lumiĂšre des correspondances entre ces deux espaces. En croisant les portraits de personnes issues de la communautĂ© LGBTQI A+ quâelle a rĂ©alisĂ©s dans la capitale nigĂ©riane et dans cette rĂ©gion française, elle interroge : la vie est-elle plus facile en France, oĂč lâhomosexualitĂ©, la transidentitĂ© ne sont pas criminalisĂ©es par lâĂtat comme dans son pays natal ? La rĂ©ponse est plus complexe et nuancĂ©e : « LâOccident a toujours donnĂ© cette image dâenvironnement sĂ»r pour les queers ; or, Ă ma grande surprise, certaines personnes ici subissent du harcĂšlement. Lâhomophobie persiste. Et des exilĂ©s NigĂ©rians en Europe sont aussi en proie au racisme, Ă lâisolement. Existe-t-il donc un safe space pour nous dans ce monde ? », se dĂ©sole Rachel Seidu.
Ses clichĂ©s ont pour signature st ylistique un dĂ©licat clair-obscur ; au plus prĂšs des modĂšles, de leur intĂ©rioritĂ©, de leur quotidien, ils Ă©voquent lâenvie de trouver une lumiĂšre, une solidaritĂ© dans un contexte hostile, discriminant « Nous existons, nous sommes lĂ ! Oui, nous souffrons, mais nous tissons nous-mĂȘmes notre sĂ©curitĂ©, nous crĂ©ons de la joie, du lien, nous constituons une communautĂ©, nous cultivons une fiertĂ©, nous essayons de rendre nos vies plus lĂ©gĂšres Le spectateur ne peut pas diffĂ©rencier quelle photo a Ă©tĂ© prise au Nigeria ou en France. Car la communautĂ© est unie, globale. »
Vu e de lâex positi on
AprĂšs avoir passĂ© son enfance Ă peindre, dessiner, imaginer des histoires, elle a appris la photographie en autodidacte. Ses figures tutĂ©laires ? Vivian Maier, Gordon Parks, James Barnor, Seydou KeĂŻta. Membre de Black Women Photographers, Rachel Seidu a participĂ© Ă des expositions collectives dans son pays, en Autriche, en Ăquateur RepĂ©rĂ© sur Instagram en 2023, son travail fait lâobjet dâune rĂ©trospective dans la rev ue Rive Droite dâ Yves Saint Laurent et est exposĂ© Ă Los Angeles. « Je suis trĂšs reconnaissante de cette grande opportunitĂ© pour ma carriĂšre, qui a nourri mon estime personnelle. » DiplĂŽmĂ©e dans lâenseignement, lâĂ©ducation et la formation des Beaux-Arts et des arts appliquĂ©s, elle se destine Ă transmettre sa passion « Ma mission sur Terre nâest pas seulement de photographier, mais aussi dâenseigner. » Le pouvoir dâune image rĂ©ussie Ă ses yeux ? « Sa capacitĂ© Ă Ă©mouvoir. Peu importe quâelle suive les rĂšgles esthĂ©tiques. Câest mon ambition : je veux que les gens ressentent une Ă©motion face Ă mes images, lesquelles racontent une histoire. » Pari rĂ©ussi. â Festival Planches Contact Ă Deauville, ju squâau 5 janvier 2025
«Je veux que les gens ressentent une émotion face à mes images, lesquelles racontent une histoire.»
Le dernier rapport de la Fondation
Mo Ibrahim souligne les contradictions africaines. LâĂ©galitĂ© de genre avance, tout comme les infrastructures. Mais les processus dĂ©mocratiques et la sĂ©curitĂ© rĂ©gressent. Les opinions ne ressentent pas le changement. Les Seychelles dominent le classement, mais globalement â mĂȘme si chaque pays est diffĂ©rent â, le progrĂšs ralentit. par CĂ© dr ic Go uver ne ur
Câe st une enquĂȘte statistique dont les conclusions sont toujou rs trĂšs at tendues : le rapport de la Fondation Mo Ibrahim (MIF â mo.ibrahim.foundation). Milliardaire anglo-soudanais de 78 ans, ex-magnat de s tĂ©lĂ©coms, Mo Ibra hi m consac re depu is prĂšs de deux dĂ©cenn ie s une pa rt ie de sa fort une Ă lâamĂ©l iorat ion de la gouvernance en Afrique. Tous les deux ans, lâIbra hi m Index of Af rica n Governance (II AG) cumule une somme considĂ©rable de donnĂ©es portant sur des dizai nes de domaines, rĂ©coltĂ©es da ns les 54 pays du continent et dont la compilation permet de dresser un tableau prĂ©c is des Ă©volut ion s, des prog rĂšs et des reculs. « Les donnĂ©es sont extraites de 49 sources indĂ©pendantes, et les 96 indicateurs qui composent lâIIAG sont identiques pour les 54 pays. Cela permet Ă la fois dâĂ©valuer la performance finale et la trajectoire dâun pays dans la durĂ©e, et de les comparer Ă celles de ses homologues », nous prĂ©cise Nat halie Delapalme, directrice exĂ©cutive de la MIF [inter view pa ge s suivante s]. La limite de lâexercice est que lâII AG rend compte des donnĂ©es nationales, mais ne quantifie pas les inĂ©galitĂ©s au sein dâun mĂȘme pays, entre les rĂ©gions et entre les classes dâĂąge.
PubliĂ© fin octobre, lâII AG 2024 a de quoi inquiĂ©ter : le panorama continental, dans lâensemble, nâest guĂšre encourageant. MĂȘme si la gouvernance globale prog re sse da ns 33 pays su r 54, le s conditions de vie de trois Africains sur quatre (77 %) se sont dĂ©gradĂ©es ces dix derniĂšres annĂ©es en matiĂšre de sĂ©curitĂ© et de droits dĂ©mocratiques La sĂ©curitĂ©
physique des individus pĂątit log iquement de lâescalade des conf lits : Sahel, Est de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, Ăthiopie, Soudan Leurs droits sont menacĂ©s pa r le durcissement de ce rt ain s rĂ©gi me s : va gue de coup s dâĂtat militaires au Sa hel, rĂ©pression violente des manifestations au SĂ©nĂ©gal, au Nigeria et au Kenya â pourtant des pays oĂč les gouvernants sont dĂ©mocratiquement Ă©lus⊠Pour plus de la moitiĂ© de la population africaine, rĂ©sidant dans 26 pays, lâinsĂ©curitĂ© a augmentĂ© ce s di x dern iĂšre s an nĂ©es. Sâobserve mĂȘme une aggravation de la situation depuis 2019, du fait de lâaccumulation de crises (pandĂ©mie, inflation, endettement, catastrophes naturelles liĂ©es au changement cl imat ique, etc.). Enoc k Nyor ek wa Tw inobu ryo, Ă©conomi ste ougandais et expert de lâII AG, souligne « lâurgence de rĂ©pondre Ă lâinsĂ©curitĂ©, Ă la corruption et aux dĂ©fis en matiĂšre de gouvernance, qui menacent les objectifs de dĂ©veloppement durable ». Affronter ces problĂšmes sâavĂ©rera « cr ucial pour forger la future trajectoire de dĂ©veloppement de lâAfrique ».
MĂȘ me si plus ie urs pays ont accompli de s progrĂšs considĂ©rables en matiĂšre de droits et de pa rt ic ipat ion, la dĂ©mocratie bat de lâaile : pour tr oi s qu ar ts de s Af ricains, lâespace dâex pression de la sociĂ©tĂ© civi le sâest rĂ©trĂ©ci ces di x derni Ăšre s an nĂ© es . Au tr e phĂ©nomĂšne inquiĂ©ta nt : la diminution de lâadhĂ©sion aux valeurs dĂ©mocratiques, pour lesquelles les Africains se sont pour tant souvent battus dans les annĂ©es 1990 et 2000 « LâenquĂȘte sur lâat titude du public mont re quâun Ătat de droit faible entraĂźne un dĂ©clin de lâengagement populaire envers la dĂ©mocratie, constate Joseph Asunka, prĂ©sident gha nĂ©en dâAf roba rometer, institut de sondages panafricain qui a
participĂ© Ă lâĂ©laboration de lâII AG 2024
En dâautres termes, la conf ia nce des citoyens dans la dĂ©mocratie risque de sâĂ©roder avec le dĂ©clin de la qualitĂ© de lâĂtat de droit. » Au Ma li, au Burk ina Faso et au Niger, des gouver nements Ă©lus, cr itiquĂ©s pour leur gestion de la crise sĂ©curitaire, ont Ă©tĂ© renversĂ©s par des militaires putschistes avec lâappui dâune partie de la population Sans que la situation sĂ©curitaire sâamĂ©liore pour autant, bien au contraire [encadrĂ©].
Au tr e en sei gn em en t de ce tt e enquĂȘte : rien nâes t ja ma is ac qu is !
Aucun prog rĂšs nâest pĂ©renne sâil nâest pas sans cesse consolidĂ©. Sans surprise, la Tunisie, oĂč un br utal virage autoritaire a succĂ©dĂ© en 2021 Ă la rĂ©volution qui, en 2011, avait marquĂ© lâaurore des Pr intemps arabes, sâef fondre da ns le classement Lâ Ăźle Maur ice, dĂ©mocratie insulaire de lâOcĂ©an indien, 1 865 km2 pour 1,3 million dâhabitants, qui a longtemps caracolĂ© en tĂȘte du classement, dĂ©gringole, du fait de lâinflation galopante, de scandales de corruption et de reculs sur le plan de la santĂ© et de lâĂ©ducation Ă lâinverse, en Ăg ypte, pourtant tenue dâune ma in de fer par le prĂ©sident al-Sissi, les progrĂšs accomplis dans la constr uction dâin frastr uctures, la santĂ©, lâĂ©ducation, lâen vi ro nn em en t et le s droits des femmes portent leurs fruits.
« Les conditions de vie de trois Africains sur quatre (77 %) se sont dégradées ces dix derniÚres années. »
Gl ob al em en t, lâ II AG constate que la perception publique des opportunitĂ©s Ă©conomiques sâest dĂ©tĂ©riorĂ©e ces derniĂšres annĂ©es.
Le Fonds monĂ©taire international (FMI), dans son rapport sur les perspectives Ă©conomiques de lâAf rique subs ah ar ie nn e ren du fi n oc to br e, observe que « lâinteraction comple xe entre la pauv retĂ©, le manque de dĂ©bouchĂ©s et la mauv ai se gouver na nce », conjuguĂ©e Ă lâinflation et aux difficultĂ©s du quotidien, « nourrit les fr ustrations sociales ». « Les attentes non satisfaites, en particulier chez les jeunes, alimentent
Entre2014et2023, surles 54 paysafricains,33ont vu leur gouvernance sâamĂ©liorer, et 21 se dĂ©tĂ©riorer.LaTunisie et lesComores subissent la rĂ©gression la plusprononcĂ©e La situation en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo(RDC), 4e payslepluspeuplĂ© du continent, se dĂ©tĂ©riore depuis 2014 :elleest dĂ©sormais classĂ©e 48e sur54. Ălâinverse, la CĂŽte dâIvoire,leTogo, la MauritanieetDjibouti enregistrentles progrĂšs lesplus notables. LesSeychelles prennent la tĂȘte du classement continental, devant lâ ĂźleMaurice
Le 25 ju in 20 24, le s ma n ifestations a ntig ou ve rn em enta le s au Ke nya tourneront Ă lâĂ©m eute et fe ro nt pl usie ur s mo rt s.
la frustration et la colĂšre, les meilleurs dĂ©clencheurs de troubles et de conf lits », aler te Mo Ibra him dans la prĂ©face de lâII AG. Curieusement, mĂȘme lorsque la gouvernance sâamĂ©liore, sa perception par les populations demeure nĂ©gative, faute dâamĂ©liorations visibles au quotidien ! Câest lâun des aspects les plus frappa nts de lâenquĂȘte : le dĂ©ca lage entre les amĂ©liorat ions de la gouver na nce, quant if iĂ©es pa r les enquĂȘteu rs, et la perception de cette mĂȘme gouvernance pa r les popu lation s. « MĂȘme lor sque les gouver nement s prog ressent da ns des domaines tels que les in frastr uctures et les opportunitĂ©s Ă©conomiques, constate Mo Ibra him, de nombreuses pe rs on ne s se se ntent la is sĂ©e s pour compte. » Un phĂ©nomĂšne courant, que la sociologie politique dĂ©nomme law of ri sing ex pectations, dĂ©finie par lâAmĂ©ricain Abraham Maslow (1908-1970). Ce psychologue amĂ©ricain avait remarquĂ© que les citoyens se rĂ©voltent alors mĂȘme que sâamĂ©liorent leurs conditions matĂ©rielles, estimant mĂ©riter davantage.
Que cette dĂ©gradat ion des condition s de vie soit ta ng ible ou si mplement ressentie, elle a quoi quâil en soit des impact s politiques et prof ite au x populistes En Afrique du Sud, lâancien prĂ©sident Jacob Zuma â que la classe politique cr oy ait ente rr Ă© depuis le scanda le de corruption « Gupta » â a rĂ©uni 15 % des voix au x lĂ©gislative s de ma i de rn ier, un score sa ns doute alimentĂ© par les inĂ©galitĂ©s abyssales et le dĂ©senchantement face Ă lâus ur e du pouvoi r de lâANC⊠auquel appartenait pour tant un certain Jacob Zuma ! En Af rique francophone, des ca mpag nes de dĂ©sinformation orchestrĂ©es pa r Moscou tentent dâin fluencer le s citoyens, comme lâont dĂ©mont rĂ© nos conf rĂšres de Radio France internationale [voir « PlongĂ©e dans la machine de dĂ©sinformation russe en Cent rafrique », RFI, 21 novembre , ndlr] Le continent,
« Tangible ou ressentie, la dégradation des conditions de vie a des impacts politiques et profite aux populistes. »
de plus en plus connectĂ©, nâĂ©chappe pas Ă cette dĂ©sinfor mation en vogue dans le monde entier. LâĂ©lection de Donald Tr ump le conf ir me : lâancien prĂ©sident amĂ©ricain est de retour, malgrĂ© ses mensonges (comme cette histoire grotesque â et raciste â de rĂ©fugiĂ©s ha ĂŻt ie ns qu i ma ngera ie nt de s ch at s). Sa ca mpag ne Ă©lec tora le a bĂ©nĂ©ficiĂ© de la dĂ©sinformation orchestrĂ©e sur X (e x-Tw it ter), le rĂ© seau social de son nouvel ami Elon Musk⊠En 2016, en Gr an de -B re ta gn e, les « brex iters » avaient remportĂ© le rĂ©fĂ©rendum de sort ie de lâ Un ion eu ropĂ© en ne ave c de s argu ment s et des ch if fres qu i, pour beaucoup, se sont avĂ©rĂ©s mensongers. En Europe, lâextrĂȘme droite xĂ©nophobe a le vent en poupe (R N en France, Af D en Allemagne), malgrĂ© le vieillissement de la population, qui rend le recours Ă
La plupart des pays sâamĂ©liorent sur les questions de lâinclusion et de lâĂ©galitĂ© de genre, leviers indispensables Ă lâessor de toute la sociĂ©tĂ©. Mais les freins sociĂ©taux demeurent, les associations observant mĂȘme un possible « retour de bĂąton ».
Câest lâune des bonnes nouvelles de lâenquĂȘte : pour la quasi-totalitĂ© de la population africaine (94,8 %), dans 47 pays sur 54, lâĂ©galitĂ© de genre a progressĂ© cette derniĂšre dĂ©cennie. Dans 23 pays, rassemblant 60 % de la population, lâamĂ©lioration sâaccĂ©lĂšre mĂȘme depuis 2019 â lâeffet sans doute dâune prise de conscience sociĂ©tale, gĂ©nĂ©rationnelle et gĂ©nĂ©ralisĂ©e, des violences faites aux femmes et des inĂ©galitĂ©s. LâII AG souligne que les Ă©volutions englobent notamment un « renforcement des lois contre les violences faites aux femmes », une plus grande « acceptation sociale du leadership fĂ©minin » et, dans une moindre mesure, une « meilleure reprĂ©sentation politique des femmes » dans les cercles dirigeants « Les rĂ©sultats sont plus mitigĂ©s toutefois en ce qui concerne lâaccĂšs des femmes aux opportunitĂ©s Ă©conomiques, fortement impactĂ© par la crise du Covid-19 », prĂ©cise Nathalie Delapalme, directrice exĂ©cutive de la Fondation Mo Ibrahim.
de la population, conduisant Ă davantage dâinnovation, de croissance Ă©conomique et de progrĂšs social » NĂ©anmoins, mĂȘme lorsque des lois ambitieuses sont votĂ©es, les progrĂšs tardent parfois Ă se concrĂ©tiser⊠En mai dernier, lâassociation fĂ©ministe internationale Equality Now sâest penchĂ©e sur vingt pays dâAfrique subsaharienne. Elle observe que, malgrĂ© des avancĂ©es lĂ©gislatives rĂ©elles, malgrĂ© le Protocole de Maputo (signĂ© en 2003 pour garantir les droits des femmes et ratifiĂ© par 44 pays membres de lâUnion africaine), des « lois coutumiĂšres et des traditions religieuses rendent parfois difficile lâapplication des lois ». Câest notamment le cas pour le respect des droits Ă lâhĂ©ritage des veuves
Da ns la qu asitota li tĂ© des p ays du contin ent, lâĂ©gal itĂ© de gen re progresse
La plupart des pays prennent cependant des mesures pour favoriser la participation des femmes dans lâĂ©conomie. La CĂŽte dâIvoire et le Gabon « montrent lâexemple », estime la Banque mondiale dans une note publiĂ©e en novembre 2023, en mettant en place des rĂ©formes pour renforcer lâaccĂšs des femmes Ă lâemploi comme au crĂ©dit, les prĂ©munir de toute discrimination dans lâobtention de facilitĂ©s bancaires, et bien sĂ»r les protĂ©ger des violences domestiques. Ces mesures « ouvrent de nouvelles voies afin que les femmes puissent accomplir leurs aspirations professionnelles ». Le Togo a, lui, votĂ© fin 2022 plusieurs lois pour interdire les discriminations Ă lâaccĂšs au crĂ©dit, lutter contre les violences domestiques et favoriser lâĂ©galitĂ© des droits des mariĂ©s « Ces rĂ©formes ont crĂ©Ă© un environnement qui permet aux femmes de participer davantage Ă lâĂ©conomie, contribuant au dĂ©veloppement socio-Ă©conomique gĂ©nĂ©ral », estiment dans une note deux responsables de la Banque mondiale, Paula Tavares (BrĂ©sil) et Dion Benetatos (USA). Ils insistent sur le fait que ces rĂ©formes profitent aux femmes, mais aussi Ă toute la sociĂ©tĂ© : « En souscrivant Ă lâĂ©galitĂ© des genres, nous dĂ©verrouillons le potentiel complet de la moitiĂ©
ou lâinterdiction du viol conjugal La plupart des pays ont par exemple interdit le mariage des mineures. Mais dans le nord du Nigeria, plus de vingt ans aprĂšs cette interdiction, une fille sur deux est mariĂ©e avant son dixhuitiĂšme anniversaire⊠« On assiste, de plus, aujourdâhui Ă un backla sh de mouvements opposĂ©s aux droits des femmes », notamment sur les questions des mutilations gĂ©nitales et du mariage des mineures, observe Esther Waweru, avocate dâEquality Now En octobre dernier, la Cour de cassation du Maroc a cassĂ© le jugement de la Cour dâappel de Tanger qui, en 2019, avait pour la premiĂšre fois condamnĂ© un viol conjugal La juriste kĂ©nyane dĂ©plore Ă©galement la « stagnation » lĂ©gislative, quand des textes de lois restent « dans les limbes pendant des dĂ©cennies » en attendant dâĂȘtre promulguĂ©s â C.G.
lâimmigration indispensable Ă lâĂ©conomie. Ca r Ă lâĂšre des rĂ©seaux sociau x, omniprĂ©sents et addictifs, peu importe la rĂ©alitĂ© des faits : le biais de confirmation vient mĂ©caniquement conforter le citoyen impr udent da ns ce quâil croit savoir Au dĂ©triment de la qualitĂ© des dĂ©bats⊠et de la dĂ©mocratie !
DES INFR ASTRUCTURES PARTOUT EN PROGRĂS
Cette envolĂ©e des rĂ©seau x sociau x en Afrique â pas toujours bĂ©nĂ©fique, on le voit â est pour tant lâune des consĂ©quence s dâune autre Ă©volut ion, fort positive : la prog ression de s Ă©quipements internet et de tĂ©lĂ©phonie mobile. Pour la quasi-totalitĂ© de la population cont inenta le (95,7 %), les in frastr uctures se sont amĂ©liorĂ©es ces di x derniĂšres an nĂ©es, avec une accĂ©lĂ©ration depuis 2019 dans 24 pays rassemblant environ un tiers des Africains. Les progrĂšs sont nota mment trĂšs visibles au Ma roc, au SĂ©nĂ©ga l ou au BĂ©n in Les amĂ©liorations sont aussi substantielles en matiĂšre dâaccĂšs Ă lâĂ©nergie. Et deux tiers de la population af ricaine vivent dans des pays oĂč, globalement, la situation de lâhabitat sâamĂ©liore. « Beaucoup reste encore Ă faire, observe Nathalie Delapal me, en pa rt ic ul ier en ce qu i concer ne les infrastr uctures de transport intracontinentales â Ă lâinstar, par
exemple, du corridor de Lobito », entre lâAngola, la RDC et la Za mbie. Autre prog rĂš s considĂ©rable : lâamĂ©l iorat ion de la paritĂ© entre hommes et femmes [encadrĂ©]. En fi n, la lutte cont re le changement climatique et contre les menaces pesant sur la biodiversitĂ© sâest gĂ©nĂ©ralisĂ©e : dans 45 pays, rassemblant 90 % des Af rica ins, la pr ise en compte de la notion dâenvi ronnement du rable sâamĂ©liore â mĂȘme si, une fo is en co re , le ryt hm e de ce s pr og rĂš s a ra le nt i depuis 2019 et la succession de crises amputant les budget s ! Le rappor t soul ig ne nota mment les belles performances du Togo dans ce domaine. Ces progrĂšs quantifiables mĂ©ritent dâĂȘtre mis en avant. « La totalitĂ© des donnĂ©es de lâII AG 2024 est librement dispon ible, prĂ©ci se Nat ha lie De lapa lme. Mi-novembre, lâ II AG 2024 avait fa it lâobjet dâune couver ture dans 79 pays, dont 39 africains, y compris en langues bambara, foula, haoussa, kinyar wanda et swahili. » Justement, la transparence et la responsabilitĂ© des administrations sont en nette progression sur le continent : « Un nombre croissant de pays af ricains adoptent des lois de droit Ă
« Consolider la dĂ©mocratie implique de ne plus la rĂ©sumer Ă la simple tenue dâĂ©lections tous les quatre ou cinq ans. »
lâinformation », en rendant accessibles au public les textes et les documents, note Joseph Asun ka « Cela sâaccorde fortement au x at tentes des citoyens », souligne-t-il. Et câes t sa ns contes te lâun des moyens de rĂ©soudre ce dĂ©calage entre la rĂ©alitĂ© et sa perception : « Lorsque les citoyens peuvent aisĂ©ment accĂ©der Ă lâin format ion publ ique, il s font davantage confiance aux autoritĂ©s et ont moins tendance Ă les considĂ©rer comme corrompues », ce qu i en retour « accroĂźt le sout ien popu la ire Ă la dĂ© mo cr at ie », poursuit Asunka Câest aussi lâun des enseignements de cette radiog raph ie du cont inent : ce s di x de rn iĂš re s annĂ©e s, le s citoyen s af rica in s sont devenus davantage exigeants !
Comment tr adui re ce re ga in dâat te nt es en rĂ©al isat ions, de façon Ă amĂ©l iorer concrĂštement la vie des Af ricains, redonner espoir Ă la jeunesse et lui Ă©v iter de cĂ©der aux sirĂšnes de lâexil ou de lâextrĂ©misme ? Au niveau Ă©conomique, la mi se en place depu is 2021 de la ZLEC Af (dont les impacts, trop rĂ©cents, ne sont pas vraiment quantifiables dans lâII AG 2024) peut permet tre dâaccĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement, en ma ximisant le potentiel considĂ©rable du continent africain (notamment pour la croissance verte) ; lâintĂ©g ration Ă©conomique peut aussi exercer un impact positif sur la rĂ©duction des tensions rĂ©gionales. Au niveau politique, consolider la dĂ©mocratie implique de ne plus la rĂ©sumer Ă la si mple tenue dâĂ©lec tions tous les quat re ou cinq ans : « Il faut accorder une importance croissante Ă la dĂ©mocratie locale, beaucoup plus signif icative pour les citoyens, estime Nathalie Delapal me Pa r exemple au SĂ©nĂ©ga l, le Pastef et sa Yewwi Askan Wi avaient dĂ©jĂ remportĂ© Ă une large majoritĂ© les Ă©lec tions loca les de 2022, bien avant lâĂ©lection prĂ©sidentielle de 2024. » â
Le c ap itai n e b ur ki nab Ăš Ib ra him TraorĂ©, Ă ga uche, au x cĂŽtĂ© s du cap itaine Kiswe nd si da Fa rouk Azar ia So rg ho, lor s du coup dâĂtat du 30 septe mbre 20 22
Dans les pays sahĂ©liens oĂč des gouvernements Ă©lus ont Ă©tĂ© renversĂ©s par des juntes militaires, la situation sĂ©curitaire ne sâest guĂšre amĂ©liorĂ©e, bien au contraire.
LâinsĂ©curitĂ©, en menaçant les citoyens de perdre leurs biens, leur vie et celle de leurs proches, peut les conduire Ă opter pour la maniĂšre forte. Ă appuyer un coup dâĂtat militaire, afin de renverser des autoritĂ©s civiles perçues comme incapables de les protĂ©ger.
Le Sahel est confrontĂ©, depuis lâeffondrement de lâĂtat libyen en 2011, Ă un afflux dâarmes et dâinsurgĂ©s, alimentant une galaxie transfrontaliĂšre de groupes armĂ©s djihadistes, criminels et sĂ©paratistes Depuis 2020, la rĂ©gion a vĂ©cu une vague de putschs qui a mis successivement un terme aux institutions dĂ©mocratiques du Mali (janvier et aoĂ»t 2020), du Burk ina Faso (septembre 2022), puis du Niger (juillet 2023).
Dans ces trois pays, les putschistes ont lĂ©gitimĂ© leurs coups de force par un dĂ©sir de rĂ©pondre aux aspirations populaires en mettant fin Ă lâinsĂ©curitĂ© et Ă la corruption, sur fond de rejet de lâancienne puissance coloniale française et de ses troupes. Le colonel Assimi GoĂŻta (Mali), le capitaine Ibrahim TraorĂ© (Burkina Faso) et le gĂ©nĂ©ral Abdourahamane Tchiani (Niger) semblent bĂ©nĂ©ficier dâune certaine popularitĂ© : selon les enquĂȘtes dâopinion menĂ©es entre 2021 et 2023 par Afrobarometer, prĂšs de 80 % des Maliens et deux tiers des Burk inabĂš se disent favorables Ă un rĂ©gime militaire. « Lâeffet dâattentes insatisfaites et de promesses non tenues, mais aussi la difficultĂ© Ă gĂ©rer un risque essentiellement rĂ©gional dans un
contexte dâisolation croissante », commente Nathalie Delapalme, directrice exĂ©cutive de la Fondation Mo Ibrahim. Pourtant, la situation sĂ©curitaire sâest dĂ©gradĂ©e dans les trois pays dirigĂ©s par les putschistes, malgrĂ© le renfort des paramilitaires russes : « Le calendrier Ă©lectoral nâa pas Ă©tĂ© tenu et ni les conditions de vie ni la sĂ©curitĂ© ne se sont amĂ©liorĂ©es », constate la fondation Mo Ibrahim dans un rapport intitulĂ© « Un coup dâĂtat nâest pas la solution », publiĂ© en octobre 2023. Le Burk ina Faso subit dĂ©sormais une moyenne de 53 attaques djihadistes chaque mois, contre 47 avant le putsch, et environ la moitiĂ© du territoire Ă©chappe au contrĂŽle Ă©tatique LâenquĂȘte a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e avant le massacre de Barsalogho â entre 130 et 300 victimes. Deux tiers des Burk inabĂš jugent leurs conditions de vie « mauvaises », contre 40 % avant le coup dâĂtat Au Mali, la superficie contrĂŽlĂ©e par les djihadistes a doublĂ© depuis le putsch Le nombre dâattaques contre des civils a lui aussi presque doublĂ© (49 par mois, contre 25 avant les putschs). Le Mali se classe dĂ©sormais 48e sur 54, et le Burk ina 49e â il nâexiste pas dâinformations pour le Niger. « Les donnĂ©es montrent que les coups dâĂtat nâont eu aucun impact positif sur les situations sĂ©curitaires quâils Ă©taient censĂ©s rĂ©soudre, observe la Fondation Mo Ibrahim Ils ont au contraire entraĂźnĂ© une augmentation de lâinsĂ©curitĂ© et une aggravation de la situation intĂ©rieure. » â C.G.
Directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim et cosecrétaire générale de la Fondation Afrique-Europe
RĂ©pondre aux attentes de la jeunesse doit ĂȘtre la prioritĂ©. La croissance verte peut constituer lâune des clĂ©s
AM : LâIIAG 2024 constate une dĂ©gradation inquiĂ©tante des conditions dâexercice de la dĂ©mocratie. Nathalie Delapalme : Des 16 sous-composantes de lâII AG, la Participation est, avec la SĂ©curitĂ©, celle qui affiche la trajectoire la plus prĂ©occupante sur la dĂ©cennie 20142023. Plus de 77 % de la population vivent en 2023 dans un pays oĂč la participation dĂ©mocratique est moins bonne quâen 2014, et plus de 30 % dans un pays oĂč cette dĂ©gradation sâest accĂ©lĂ©rĂ©e depuis 2019. Une Ă©volution essentiellement tirĂ©e par la dĂ©tĂ©rioration des indicateurs LibertĂ© dâassociation et de rĂ©union et Espace accordĂ© Ă la sociĂ©tĂ© civile. On relĂšve aussi le rĂ©trĂ©cissement en matiĂšre de LibertĂ©s digitales dans 40 pays (plus de 65 % de la population du continent).
Comment comprendre le recul constatĂ© de lâadhĂ©sion aux valeurs et institutions dĂ©mocratiques ?
Le systĂšme dĂ©mocratique prĂŽnĂ© par les partenaires occidentaux, qui en font souvent une condition essentielle de leur appui, ne paraĂźt pas en mesure dâapporter des rĂ©ponses adĂ©quates, tant aux grands dĂ©fis globaux (climat, pandĂ©mies, conf lits, etc.) quâaux attentes de la vie quotidienne (perspectives dâemploi, santĂ©, sĂ©curitĂ©, justice, etc.). Selon la derniĂšre enquĂȘte dâAfrobarometer, une majoritĂ© de citoyens africains (66 %) â 64 % chez les jeunes â continuent dâaccorder leur prĂ©fĂ©rence Ă un rĂ©gime dĂ©mocratique, « le moins mauvais des systĂšmes ». Mais la confiance accordĂ©e aux Ă©lections nationales a chutĂ© de 8 points en moyenne pour les 30 pays observĂ©s. LâinstabilitĂ© croissante dont tĂ©moignent la recrudescence des coups dâĂtat et la montĂ©e des troubles sociaux reflĂšte cette dĂ©fiance Ă lâĂ©gard des valeurs et institutions dĂ©mocratiques. Certes, cette distanciation de la dĂ©mocratie au profit de systĂšmes autocratiques â incarnĂ©s en Afrique par les juntes militaires â nâest pas lâapanage du
seul continent. Mais elle est particuliĂšrement prĂ©occupante pour lâAfrique, parce quâelle fragilise les progrĂšs acquis en matiĂšre de dĂ©veloppement humain et Ă©conomique, et compromet gravement ceux qui restent Ă accomplir. Les perceptions des citoyens en matiĂšre dâopportunitĂ©s Ă©conomiques et de sĂ©curitĂ© se dĂ©gradent, mĂȘme lorsque des progrĂšs sont constatĂ©s ! Comment expliquer ce dĂ©calage ?
« 600 millions de personnes, soit prĂšs de la moitiĂ© de la population du continent, nâont toujours pas accĂšs Ă lâĂ©lectricitĂ©. »
Le dĂ©calage constatĂ© entre une amĂ©lioration consĂ©quente â prĂšs de 3 points sur la dĂ©cennie 20142023 pour la composante OpportunitĂ©s Ă©conomiques â et les perceptions du public en la matiĂšre â qui reculent de plus de 12 points â interpelle. Il peut sâexpliquer par la conjonction de plusieurs facteurs Dâabord, le fait que lâapparition mĂȘme de progrĂšs suscite des attentes croissantes, de moins en moins satisfaites. Ensuite, le fait que les informations qui circulent, notamment via les rĂ©seaux sociaux, ont plutĂŽt tendance Ă souligner ce qui ne marche pas, ou marche moins bien quâailleurs Enfin, la limite actuelle des donnĂ©es disponibles : il sâagit de moyennes nationales, qui nâapprĂ©hendent donc pas les inĂ©galitĂ©s sur le terrain entre zones gĂ©ographiques, entre gĂ©nĂ©rations et entre catĂ©gories sociales. Ce sont ces inĂ©galitĂ©s au niveau infranational, vraisemblablement croissantes, qui peuvent alimenter lâinsatisfaction. Cette tendance lourde doit ĂȘtre prise en considĂ©ration, car les attentes non satisfaites engendrent frustration et colĂšre, notamment chez une jeunesse largement majoritaire sur le continent, et conduisent inĂ©v itablement Ă des situations conf lictuelles Quels facteurs peuvent expliquer les disparitĂ©s ?
On ne peut rĂ©duire cet immense continent Ă une simple moyenne unique Câest une mosaĂŻque de 54 Ătats disparates, avec des gĂ©ographies et des Ă©conomies diffĂ©rentes. Il y a peu de points communs entre lâAlgĂ©rie, qui sâĂ©tend sur prĂšs de 2,5 millions de km2, et lâarchipel des Seychelles, qui en couv re Ă peine 400, ou entre le Nigeria et ses 225 millions dâhabitants et Sao TomĂ© avec un peu plus de 200 000 habitants. Bien sĂ»r, il faut considĂ©rer
la soliditĂ© des institutions et la capacitĂ© des dirigeants Ă adresser les multiples dĂ©fis auxquels ils sont confrontĂ©s â bien supĂ©rieurs Ă ceux des pays dĂ©jĂ dĂ©veloppĂ©s â, en particulier Ă rĂ©pondre aux attentes dâune jeunesse toujours en forte croissance. Câest lĂ que se situe lâenjeu prioritaire en matiĂšre de gouvernance et de leadership. Un aspect positif : les infrastructures progressent globalement. Les ef forts dâinvestissements et les politiques publiques portent leurs fruits ?
Des 16 sous-composantes de lâIndice, celle dĂ©diĂ©e aux infrastructures progresse le plus, gagnant plus de 7 points au niveau du continent. Pour 95 % de la population, la situation en la matiĂšre est meilleure en 2023 quâen 2014 Ce progrĂšs est essentiellement liĂ© Ă lâamĂ©lioration des Ă©quipements digitaux et de communication, et, dans une moindre mesure, de lâaccĂšs Ă lâĂ©nergie Cela dit, il est essentiel de considĂ©rer Ă la fois la trajectoire accomplie au cours de la dĂ©cennie sous rev ue, et le niveau atteint en fin de pĂ©riode. Pour les infrastructures, ce niveau reste encore faible, puisque cette dimension ne figure quâau 14e rang des 16 sous-composantes de lâII AG. Ainsi lâindicateur relatif aux infrastructures de transport se classe en 2023 parmi les derniers des 96 de lâII AG. Mais les investissements des gouvernements et de leurs partenaires portent leurs fruits. La transition Ă©nergĂ©tique est- elle globalement sur la bonne voie ?
Lâindicateur mesurant lâaccĂšs Ă lâĂ©nergie des populations figure parmi les dix indicateurs de lâII AG qui ont le plus progressĂ© au cours de la dĂ©cennie 2014 -2023. NĂ©anmoins, lĂ encore, le niveau atteint en 2023 reste lâun des plus faibles de lâII AG et est notoirement insuffisant 600 millions de personnes, soit prĂšs de la moitiĂ© de la population du continent, nâont toujours pas accĂšs Ă lâĂ©lectricitĂ©. Il est essentiel que cette transition se fasse dans des conditions qui
accĂ©lĂšrent lâaccĂšs de tous Ă lâĂ©nergie Sans cela, pas de santĂ©, pas dâĂ©ducation, pas dâemploi, pas de dĂ©veloppement, et davantage de conf lits. Le continent possĂšde indubitablement des sources dâĂ©nergies renouvelables multiples et consĂ©quentes â solaire, Ă©olien, hydraulique. Il nâen reste pas moins que les seules Ă©nergies renouvelables ne seront pas en mesure dâĂ©quiper Ă court terme 600 millions de personnes. Le gaz, de loin la moins polluante des Ă©nergies fossiles, produit par 18 pays du continent, demeure en lâĂ©tat actuel une Ă©nergie de transition indispensable. Mais cela suppose dâaccĂ©lĂ©rer les investissements, non pas tant en matiĂšre de production pour lâexportation quâen matiĂšre de stockage et de distribution au profit des populations locales. Demeure la question de lâavenir des mĂ©galopoles africaine face au changement climatique et Ă la croissance urbaine : comment rĂ©pondre Ă ces dĂ©fis ?
La conjonction dâune forte croissance dĂ©mographique et dâun taux dâurbanisation encore trĂšs faible â deux fois moins que lâAmĂ©rique latine â fait que lâAfrique devrait enregistrer le taux de croissance urbaine le plus rapide du monde dâici 2050. Cette croissance devrait dâailleurs plus se manifester sous la forme dâune multiplication des villes moyennes que la poursuite de lâextension des mĂ©galopoles existantes. Le potentiel de dĂ©veloppement du secteur agricole pourrait Ă©galement conduire Ă une modification des perspectives dâamĂ©nagement des territoires. Il reste crucial dâinscrire cette forte croissance urbaine dans le contexte du bouleversement climatique Cette demande exigeante ouvre aussi des perspectives considĂ©rables : lâAfrique et ses partenaires pourraient dĂ©montrer leur capacitĂ© Ă concevoir et construire des villes et des infrastructures climato-compatibles, capables Ă la fois de rĂ©sister aux impacts du changement climatique, et de diminuer lâempreinte carbone des matĂ©riaux et procĂ©dĂ©s utilisĂ©s â
po uvoi r
Il est Premier ministre, mais il nâest pas PrĂ©sident. Pourtant, il est incontestablement au cĆur de la rĂ©volution en cours, dont les Ă©chos vont bien au-delĂ des frontiĂšres du pays. Ă la fois souverainiste et panafricain, conservateur et pragmatique, impulsif et Ă lâĂ©coute, il porte surtout lâespĂ©rance de changement dâune grande partie de la population⊠Tentative de portrait en cinq actes. par Zyad Lim am
Acte I. LâĂ©lection prĂ©sidentielle du 24 mars 2024 donne une premiĂšre idĂ©e de la lame de fond. Bassirou Diomaye Faye, libĂ©rĂ© de prison quelques jours plus tĂŽt, rempor te lâĂ©lection prĂ©sidentielle au premier tour, sa ns coup fĂ©rir, avec 54 % des voix Il est prĂ©sentĂ© et soutenu par son mentor Ousmane Sonko, libĂ©rĂ© lui aussi quasiment Ă la veille du scrutin, mais inĂ©ligible. Câest une victoire sans conteste, la fin de plus dâune dĂ©cennie Macky Sall (2012-2024), une alternance spectaculaire, le marqueur de la volontĂ© dâune rupture profonde, multidimensionnelle, Ă la fois gĂ©nĂ©rationnelle, sociale, sociĂ©tale et politique. Le rejet dâun modĂšle dâĂ©mergence et de gouvernance « libĂ©rale », qui nâaurait profitĂ© quâĂ certaines « Ă©lites ». Le SĂ©nĂ©gal bouleverse la scĂšne. En passant par le chemin institutionnel, le vote, en Ă©v itant la bascule violente ou le mirage et les
Le Premier mi nis tre Ousma ne Son ko (à ga uc he) au x cÎté s du p ré sid ent de la Répu bl ique Bas sirou Di om aye Fa ye (à droi te) dans la cour du pal ais présidenti el
impasses du coup dâĂtat. Et en portant Ă la tĂȘte de la nation des opposants jeunes, la quarantaine, pour beaucoup issus dâun milieu modeste et de la mĂ©ritocratie locale.
Acte II. Bassirou Diomaye Faye sâinstalle au palais de la prĂ©sidence. Et Ousmane Sonko devient son Premier ministre. LâAssemblĂ©e nationale incarne la nouvelle opposition, avec une majoritĂ© relative issue du rĂ©gime prĂ©cĂ©dent. Huit mois se passent, souvent difficiles, tant sur le plan Ă©conomique que social et politique. Avec une complexe « passation de rĂ©gime ». Il sâagit de succĂ©der Ă la prĂ©sidence forte, celle de Macky Sall De rassembler un pays qui sâest dĂ©chirĂ© au cours des derniers mois. Dâinstaller de nouvelles Ă©quipes. De maintenir Ă flot le bateau SĂ©nĂ©gal, dâapprĂ©hender les mĂ©canismes gouverne-
mentaux, de rĂ©pondre aux promesses de campagne, de tenir compte des Ă©quilibres et des dĂ©sĂ©quilibres macroĂ©conomiques Les embardĂ©es sont frĂ©quentes. DĂ©clarations intempestives, parfois contre-productives, en particulier sur le plan financier, guerre larvĂ©e avec la presse nationale, relations tendues avec ceux qui ne sont pas dâaccord⊠Le nouveau gouvernement mĂšne aussi une campagne dâaudits, de chasse aux « contrats corrompus », qui effraie le monde des affaires Et les affaires sont assez largement paralysĂ©es. LâĂtat est Ă sec, paie peu ou mal. Les relations avec le FMI sont tendues, au bord de la rupture. Le fameux « projet », celui de la transformation Ă©conomique et sociale du pays, est annoncĂ© en octobre. Il paraĂźt ambitieux, sachant que dans le monde plus ou moins feutrĂ© des institutions financiĂšres internationales, on se demande
Le cas de figure est inédit. On évoque parfois des coups de chaud et des montées de voix. Et puis des réconciliations rapides.
bien comment tout cela pourra ĂȘtre financĂ© sans mettre en place des rĂ©formes de fond (ingĂ©rables par ailleurs sur le plan social, comme la fin des subventions).
Avec Mack y Sall, la rupt ure est profonde. Lâancien prĂ©sident vit comme en exil, il parcourt le monde. Son « procĂšs », celui de ses proches, de certains de ses ministres est instruit quotidiennement sur la place publique, sur la thĂ©matique du dĂ©tournement de fonds gĂ©nĂ©ralisĂ©, de lâenrichissement illicite. Les acquis, certains bien rĂ©els, sont passĂ©s par pertes et profits. Lâancien prĂ©sident veut rester en politique, Ă la tĂȘte de son parti, il cherche Ă rassembler ses troupes. Les images presque bienveillantes de mars 2024, lors de la passation de pouvoir, sont dĂ©jĂ bien loin.
On observe ce nouveau pouvoi r sâin stal ler, ce « duo » exĂ©c utif surprenant, assez unique, incarnĂ© pa r le Premier ministre Ousmane Sonko et le prĂ©sident Bassirou Diomaye Faye. Les deux leaders ont une histoire commune, ils ont menĂ© une vĂ©ritable odyssĂ©e ensemble, celle de la crĂ©ation et de la montĂ©e au pouvoir du Pastef Ils sont comme les deux faces dâune mĂȘme piĂšce. Comme des frĂšres qui auraient fait un serment de loyautĂ©. Ils ont des codes traditionnels entre SĂ©rĂšre et Diola. Diomaye a mĂȘme un fils quâil a appelĂ© Ousmane. Mais le plan A, câĂ©tait bien Ă©videmment Ousmane Sonko, fondateur du parti, le hĂ©raut des militants, lui qui est en premiĂšre ligne depuis 2016 Lui qui se prĂ©sente dĂ©jĂ Ă lâĂ©lection de 2019 (oĂč il obtient un score dâun peu plus de 15 %). Lui qui a menĂ© la lutte frontale avec Macky Sall Ses arrestations multiples, ses dĂ©tentions, en particulier Ă la suite dâune triste affaire de viol, entraĂźneront Ă©meutes, rĂ©pressions et victimes. Câest Ousmane Sonko qui a dĂ©cidĂ© dâencourager la candidature alternative de Diomaye Faye Ă la prĂ©sidentielle pour « protĂ©ger le projet ». Câest Sonko, Ă©tonnamment libĂ©rĂ© par Mack y Sall, qui va Ă©lectriser la campagne Câest lui, le chef Mais ce nâest pas lui, le prĂ©sident.
Entre les deux hommes, forcĂ©ment, les tensions ne sont pas absentes Diomaye rassure, son domaine de compĂ©tences constitutionnelles est large, nous sommes dans un rĂ©gime prĂ©sidentiel Il incarne le rĂ©galien, câest lui qui annonce le retrait progressif des troupes françaises du SĂ©nĂ©gal. Câest lui qui prĂ©side les cĂ©rĂ©monies liĂ©es au 80e anniversaire du massacre du camp de Thiaroye, lui qui voyage et rencontre les chefs dâĂtat homologues Le prĂ©sident « parle » aux Ă©lites traditionnelles, qui voient en lui un possible contrepoids Ă Sonko, lâimpĂ©tueux, le populaire, lâincarnation de ce SĂ©nĂ©gal soucieux de rupture. LâĂ©quilibre entre les deux tĂȘtes de lâĂtat est subtil. Lâambition et les entourages jouent leur rĂŽle, les diffĂ©rences de fond et de tempĂ©rament Ă©galement. Mais Ousmane Sonko reste le centre de grav itĂ© politique, lâhyper-Premier ministre adoubĂ© par le peuple avec lâĂ©lection lĂ©gislative. On lâa dit, le cas de figure est rĂ©ellement inĂ©dit On Ă©voque parfois des coups de chaud et des montĂ©es de voix. Et puis des rĂ©conciliations rapides. Lâun se rendant chez lâautre, et vice versa, pour vider le dĂ©but de contentieux et aller de lâavant⊠Lâaventure du « duo » ne fait que commencer. Ils ont besoin lâun de lâautre. Pour le moment.
Acte III. Novembre Le duo engage donc la dissolution de lâAssemblĂ©e nationale, au terme du dĂ©lai imposĂ© par la constitution. Le pays entre en campagne pour les lĂ©gislatives. Ousmane Sonko arpente le territoire Il sait Il fait appel Ă ses militants et Ă©lecteurs pour financer lâopĂ©ration. Les petits dons affluent, câest un signe⊠Le Pastef y va seul, sans alliance, certain de sa dy namique. Lâopposition se dit pourtant quâil y a un coup Ă jouer. Quâil y a moyen de dĂ©stabiliser le nouveau pouvoir. Quâil est possible dâavoir suffisamment de dĂ©putĂ©s pour peser. Et se protĂ©ger aussi. Le bilan de ces derniers mois aurait, dit-on, ref roidi une partie des Ă©lecteurs. Mack y Sall prend la tĂȘte dâune liste, il fait une campagne de loin, lâopposition avance en ordre dispersĂ© Lâerreur dâapprĂ©ciation est patente et les rĂ©sultats sont sans appel. Le Pastef emporte tout sur son passage. Avec 55 % des voix et 130 siĂšges sur les 165. Les tĂ©nors de lâopposition sont mĂȘme battus chez eux, dans leur circonscription.
Acte IV. La prĂ©sidentielle, câĂ©tait le moment de Bassirou Diomaye Faye. Les lĂ©g islatives, câest bien le moment et la victoire dâOusmane Sonko. Certes, comme toujours au SĂ©nĂ©gal, les lĂ©gislatives viennent confirmer la prĂ©sidentielle Et comme souvent, les majoritĂ©s sont confortables, Ă lâexception dâailleurs notable de celles issues des Ă©lections de 2022. Mais la signification, cette fois, semble bien diffĂ©rente Nous ne sommes plus dans une alternance prĂ©v isible, entre partis historiques et traditionnels, nous ne sommes plus da ns une forme dâentre- soi. Nou s sommes da ns u n sc hĂ©ma de rupt ure. Une clas se politique tout entiĂšre ou presque est ba layĂ©e â social istes, libĂ©raux, hĂ©ritier s dâAbdou laye Wade, ac teurs post-Mac ky, Amadou Ba, Ba rt helemy Dias Un peu
plus de di x an s aprĂšs sa crĂ©ation, le Pa stef sâest in st al lĂ© au cent re de la scĂšne politique, et Ousma ne Sonko au cĆu r du pouvoi r. Avec sa s up er-m ajor itĂ©, le pa rt i es t dotĂ© de tous le s moye ns pour mettr e en Ćuv re le fa meu x « pr ojet », cette rĂ©volut ion Ă©conom ique, sociale, in st it ut ionnel le ta nt at tendue pa r les SĂ©nĂ©ga la is. Quasiment une nouvel le rĂ©publ ique Su r le pl an politique, la mĂš re de s rĂ© formes sera it de promouvoir une prat ique du pouvoi r plus dĂ©centr al isĂ©e, plus in st it ut ion ne lle, qu i sâĂ©m anciper ait de lâ hyperprĂ©sident ia li sme, de cette not ion selon laquel le un seul homme ou une seule fe mme peut ĂȘt re le ce nt re de tout. Cer ta ines in st it ut ion s consultatives « budgĂ©t ivores » seront da ns le coll imateu r, comme le Consei l Ă©conom ique, social et envi ronnementa l (C ESE) et le Haut Conseil des collectivitĂ©s territoriales (HCCT). On parle aussi de lâabrogation de la loi dâamnistie, votĂ©e dans les tout derniers jours du mandat de Macky Sall, qui exempte de poursuites toutes les personnes impliquĂ©es dans les manifestations et leur rĂ©pression entre fĂ©vrier 2021 et 2024 Et surtout de lâinstauration de la Haute Cour de justice. Une institution qui aura pour mission de juger les ministres et officiels qui ont eu Ă gĂ©rer les deniers publics et qui sont aujourdâhui Ă©pinglĂ©s dans diffĂ©rents scandales ou accusĂ©s de mauvaise gouvernance.
Ăv idemment, les observateurs locaux et internationau x cherchent Ă dĂ©cr ypter le personnage Ă dĂ©finir le sonkoisme. Le mouvement ratisse large dans une sociĂ©tĂ© fragilisĂ©e et en attente. Il entraĂźne avec lui la jeunesse dĂ©shĂ©ritĂ©e des quartiers pĂ©riurbains et des citĂ©s, les enfants de la dĂ©mographie, de lâexode rural, de lâĂ©chec des systĂšmes scolaires, les Ă©tudiants sans perspectives ni dĂ©bouchĂ©s. Mais aussi les sa la riĂ©s, la petite bourgeoisie urbaine et rurale privĂ©e dâopportunitĂ©s, et des cadres sĂ©duits par la promesse dâun nouveau modĂšle (et dâautres par pur opportunisme, pratiquant avec une certaine habiletĂ© la transhumance).
UNE FIGURE AMBIVALENTE ET INSAISIS SABLE
Le patron du Pastef sâinscrit dans une certaine gauche nĂ©omar xiste, altermondialiste, Ă la recherche de nouveaux hĂ©ros (et orpheline depuis la mort de Thomas Sankara). Il se positionne aussi, « en mĂȘme temps », comme un conser vateur intransigeant sur les valeurs traditionnelles. Il est musulman pratiquant et polygame (avec deux Ă©pouses). En mars 2022, il dĂ©clarait vouloir durcir la loi criminalisant lâhomosexualitĂ© (passible actuellement dâun Ă cinq ans de prison) dans « un souci de prĂ©ser vation de lâhumanitĂ© ». Inspecteur des impĂŽts, ex-cadre du ministĂšre des Finances, il nâest pas particuliĂšrement proche de lâesprit dâentreprise. Il se proclame souverainiste, patr iote et panafr icain. Tout en Ă©tant, semble-t-il, pragmatique, mĂȘme sur des questions qui furent au centre de la campagne prĂ©sidentielle, comme lâabandon possible du FCFA, la reforme ou le dĂ©mantĂšlement de la Cedeao. Il nâa guĂšre voyagĂ©, il ne connaĂźt pas bien le monde, par culture, il
Le 12 nove mbre 20 24,
nâest pas fascinĂ© par lâOccident, il alterne le chaud et le froid dans ses relations avec la France, il porte haut lâĂ©tendard de la tragĂ©die des soldats du camp de Thiaroye. Pour Sonko, lâobjectif nâest pas de remplacer « les uns par les autres », lâobjectif, câest de « rester libres et dignes ». Mais le systĂšme sâadapte et compense par lâintense activitĂ© diplomatique du prĂ©sident Diomaye Faye, qui maintient les canaux traditionnels ouverts, tout en annonçant une possible visite Ă Moscou.
Au fond, il y a aussi le saut quantique, le passage dâopposant, de mobilisateur des foules, Ă responsable dâun gouvernement, dâun Ătat, dâune Ă©quipe de ministres et de dĂ©cideurs. Ousmane Sonko est encore en apprentissage, en formation. Et les actes et les mots dâaujourdâhui pĂšsent bien plus lourd que ceux dâhier⊠Comme le souligne un proche du Pastef, « la conquĂȘte du pouvoir et lâexercice du pouvoir sont des choses bien diffĂ©rentes ».
Pour un autre observateur averti de la scĂšne sĂ©nĂ©galaise, il faut surtout et avant tout comprendre de quoi Ousmane Sonko est le nom. « Ce quâil dit, ce nâest pas lui qui le dit. Câest la trĂšs grande majoritĂ© du SĂ©nĂ©gal. Il agit comme un porte-voix. Il incarne une demande puissante de changement, de rupture sociĂ©tale. La fin dâun modĂšle, la fin dâun systĂšme qui favoriserait les Ă©lites et les inĂ©galitĂ©s, qui dĂ©laisse les petites gens, le peuple et les jeunes. Sonko incarne aussi lâimportance, la nĂ©cessitĂ© de la rĂ©Ă©dition des comptes. Il sait que câest attendu. Et il pense Ă la fois idĂ©ologiquement et stratĂ©giquement quâil faut en passer par la. » Et notre observateur dâajouter : « Si lâon fait lâimpasse sur le Pastef, sur Ousmane Sonko, si on lâem-
Nous sommes dans un schéma de rupture. Une classe politique tout entiÚre ou presque est balayée.
pĂȘche dâune maniĂšre ou dâune autre, câest lĂ que la violence peut intervenir, que la rĂ©volution peut mal tour ner, que la foule peut exploser, que le coup dâĂtat dev ient une possibilitĂ©. Sonko canalise la colĂšre et la demande. Il promet une solution. De ce fait, il stabilise le pays Et en ce sens, on a tous intĂ©rĂȘt Ă ce quâil rĂ©ussisse. » Quoi quâil en soit, Ousmane Sonko est bien dĂ©cidĂ© Ă agir. Au cĆur de lâexĂ©cutif, de la bagarre. Pas sur un strapontin ou inversement sur un lointain Aventin. Il centralise beaucoup â trop, certainement â, la plupart des dossiers remontent Ă la primature. Le personnage, on lâa dit, peut ĂȘtre impulsif, impĂ©-
Le 1er dĂ©cembre 1944, prĂšs de Dakar, des centaines de tirailleurs de retour de la guerre rĂ©clament leurs droits. La rĂ©pression est sanglante. Un crime colonial doublĂ© dâun crime dâĂtat. Dans une lettre au prĂ©sident Bassirou Diomaye Faye, son homologue français reconnaĂźt enfin quâil sâagissait dâun « massacre ».
Novembre 1944 AprĂšs quatre annĂ©es de captivitĂ© dans les stalags allemands, des milliers de tirailleurs sont rapatriĂ©s par bateau en Afrique. Mais Ă leur arrivĂ©e au camp militaire de Thiaroye, Ă une quinzaine de kilomĂštres de Dakar, ils se rendent compte que les autoritĂ©s françaises rechignent Ă leur payer les arriĂ©rĂ©s de soldes⊠Le 27 novembre, ils protestent en refusant de monter dans le train pour Bamako. « Ces sommes dâargent consĂ©quentes auraient pu changer le cours de la vie de ces hommes Ă leur retour dans leurs villages », explique lâhistorien Martin Mourre dans un rĂ©cent entretien au CNRS Le gĂ©nĂ©ral de division Marcel Dagnan leur promet dâexaminer leurs revendications Mais en rĂ©alitĂ©, il prĂ©pare la rĂ©pression : le matin du 1er dĂ©cembre, les automitrailleuses du 6e rĂ©giment dâartillerie coloniale dĂ©ciment les contestatairesâŠ
Le bilan officiel fera Ă©tat de 35 Ă 70 victimes â un chiffre encore repris, en 2014, par le prĂ©sident français François Hollande lors dâune visite au SĂ©nĂ©gal. Mais les historiens estiment le bilan rĂ©el Ă des centaines de morts. Ils en veulent pour preuve un document de la police militaire, antidatĂ©, mentionnant la « dĂ©sertion de 40 0 tirailleurs » lors dâune escale de leur navire Ă Casablanca. Ătrangement, aucun autre rapport ne mentionne cette prĂ©tendue dĂ©sertion massive, qui a probablement servi Ă effacer des registres les noms de quatre cents victimes du massacre de ThiaroyeâŠ
seule ce bout dâhistoire tragique » La rĂ©action du Premier ministre sĂ©nĂ©galais, Ousmane Sonko, Ă cette annonce montre Ă quel point lâomerta qui a prĂ©valu â cĂŽtĂ© français â pendant plusieurs dĂ©cennies sur ce massacre a laissĂ© des traces profondes. « Une dĂ©cision qui pourrait ĂȘtre complĂ©tĂ©e dĂšs lors que lâidentitĂ© exacte dâautres victimes aura pu ĂȘtre Ă©tablie », a commentĂ© la secrĂ©taire dâĂtat française aux Anciens combattants, Patricia MirallĂšs Ce qui lui a valu cette rĂ©plique cinglante du Premier ministre Sonko : « Ce nâest pas Ă la France de fixer unilatĂ©ralement le nombre dâAfricains trahis et assassinĂ©s aprĂšs avoir contribuĂ© Ă la sauver ».
Le 1er décembre, le président Diomaye Faye a tenu une cérémonie solennelle et officielle marquant
En juillet dernier, les autorités françaises ont enfin reconnu que quatre Sénégalais, un Ivoirien et un BurkinabÚ, soit six victimes, étaient « morts pour la France ». Un statut juridique, et donc historique, important « La France ne pourra plus ni faire ni conter
le 80e anniversaire de cette tragĂ©die En prĂ©sence des prĂ©sidents mauritanien, gambien, bissau-guinĂ©en et comorien La crĂ©ation dâun mĂ©morial et dâun centre dâĂ©tudes a Ă©tĂ© annoncĂ©e. En attendant, il est toujours possible de revoir Camp de Thiaroye, le magnifique film de SembĂšne Ousmane, corĂ©alisĂ© avec Thierno Faty Sow en 1988 Prix spĂ©cial Ă la Mostra de Venise la mĂȘme annĂ©e, le film ne sortira en France quâen 1998 dans quelques rares salles dâart et dâessai. Il a Ă©tĂ© rediffusĂ© Ă lâoccasion du Festival de Cannes 2024, dans la sĂ©lection Cannes Classics, qui reprend les grandes Ćuvres du cinĂ©ma mondial Un hommage bien tardif, mais nĂ©cessaire â CĂ© dr ic Go uv ern eu r et Zy a d Lim am
tueux. Il nâaime pas quâon lui marche sur les pieds, il rĂ©agit Mais il Ă©coute aussi. Il cherche, dit lâun de ses proches, Ă corriger les erreurs. Et la culture politique du Pastef implique du dialogue et des Ă©changes entre les leaders, qui peuvent ĂȘtre, dit-on, assez vifs Lors de la campagne, Sonko sâĂ©tait emportĂ© cont re les troupes de Bart helemy Dias, maire de Da kar et ancien alliĂ©, accusĂ© de violences et dâoutrances verbales (avĂ©rĂ©es). « Que chacune des agressions subies par Pastef de leur part depuis le dĂ©but de la campag ne, que chaque patriote quâils ont agressĂ© et blessĂ© soit propor tionnellement vengĂ© Nous exercerons not re droit lĂ©gitime Ă la riposte », avait-il alors Ă©crit sur Facebook, dans la nuit du 11 au 12 novembre. « Barthelemy Dias et sa coalition ne doivent plus battre campagne dans ce pays », avait-il ajoutĂ©. Le lendemain matin, Ă la suite dâintenses dĂ©bats internes, Sonko appelait finalement ses militants à « continuer la campagne dans le calme et la paix pendant les jours qui restent ». « Le PM sait ce quâil veut, poursuit lâun de nos tĂ©moins. Il veut aller de lâavant, il a clairement une volontĂ© dâaffirmer son autoritĂ© Mais il Ă©coute. Et il faut lâengager, ouvrir la discussion avec lui. »
Acte V. Le pays sort aussi dâune longue sĂ©quence Ă©lectorale, fortement politisĂ©e, ou il fallait mobiliser les troupes Une page se tourne, une nouvelle phase arrive, avec certainement une forme de normalisation, dâaf frontement du rĂ©el aussi, celui de la situation Ă©conomique et sociale du pays. Comme le souligne cet investisseur, « la rĂ©Ă©dition des comptes ne peut pas serv ir de politique Ă©conomique ad vita m aeternam Il faut relancer la machine, remett re de la conf iance dans le systĂšme, renouer avec les principaux partenaires locaux et internationaux ». Le dĂ©fi est de taille. Le SĂ©nĂ©gal reste classĂ© comme un pays pauv re, avec un PIB de prĂšs de 30 milliards de dollars, aux alentours de la 20e place du continent. Un pays en urgence sociale. LâĂąge mĂ©dian y est de di x-neuf ans. Et 70 % des SĂ©nĂ©galais ont moins de trente ans. Chaque annĂ©e, plus de 200 000 jeunes diplĂŽmĂ©s arrivent sur le marchĂ© du travail. Beaucoup veulent un emploi, un logement, se marier Dâautres, dĂ©sespĂ©rĂ©s, partent sur les pirogues, au pĂ©ril de leur vie. Dâici 2050, la population devrait doubler, avec plus de 50 millions dâhabitants. Le « projet » portĂ© par le Pastef est porteur dâune philosophie sĂ©duisante. Celle de lâĂ©mancipation par la transformation des modes de productions. Par lâintĂ©gration des chaĂźnes de valeur Par la crĂ©ation de richesse locale Par lâindustrialisation. La stratĂ©gie, câest de ne pas tomber dans le piĂšge dâune continuitĂ© habilement amĂ©nagĂ©e (celle dâune reprise habile des anciens PA ES). Mais comment le « projet » pourrait-il rĂ©ussir sans appui extĂ©rieur, sans apport de capital et dâexpertise ? Comment ne plus ĂȘtre uniquement producteur de matiĂšres premiĂšres ? Comment transformer la pĂȘche, les mines, rĂ©Ă©quilibrer les fr uits de lâexploitation du gaz et du pĂ©trole, sâinscrire dans une politique ambitieuse dâexploitation et de transformations de phosphate ? Comment promouvoir
Il y a ici le passage dâune Ă©poque Ă une autre, une recherche de ce que pourrait ĂȘtre un autre systĂšme, un nouveau chapitre.
les politiques dâimport-substitution ? Le projet vise Ă©galement Ă rĂ©duire sensiblement la dette extĂ©rieure et Ă doubler le revenu moyen par habitant en cinq ans. Ă quitter dans le mĂȘme laps de temps la zone des pays Ă dĂ©veloppement humain faible pour passer Ă celle des pays Ă dĂ©veloppement moyen. Mais tout cela nĂ©cessite de la cohĂ©rence, de la stabilitĂ©. Et comme le savent tous les hommes et les femmes de pouvoir, il y a le court terme et le moyen terme, il y a les besoins de croissance pour financer le social, il y a des besoins de financements pour lâĂtat et les entreprisesâŠ
LâHISTOIRE SE JOUE Ă DAKAR
Le SĂ©nĂ©gal a des atouts, du talent, de lâintelligence, une dĂ©mocratie, une grande façade maritime, des ressources naturelles. Pour rĂ©ussir, il faudra apaiser le climat politique, sortir des querelles permanentes et inutiles. Pour rĂ©ussir, il faudra attirer des vrais talents, des crĂ©ateurs, des techno-opĂ©rationnels, mobiliser les forces, favoriser la croissance, la confiance, lâinvestissement. Pour rĂ©ussir, il faudra faire preuve Ă la fois dâaudace, dâhabiletĂ©, de sĂ©duction, de rĂ©alisme et de pragmatisme. Un exercice dâĂ©quilibriste.
Au fond, comme nous lâavons dĂ©jĂ Ă©c rit da ns Af rique Maga zine [A M 454, avril 2024], quelque chose dâavant-gardiste, dâhistor ique, se joue Ă Da kar. Ce besoin de changement systĂ©mique, la permanence des inĂ©galitĂ©s, leur ref us, la furieuse envie de vivre des jeunes, de sâĂ©manciper, interpelle toute lâAfrique ou presque. Il y a ici le passage dâune Ă©poque Ă une autre, dâune lignĂ©e gĂ©nĂ©rationnelle Ă une autre, une recherche de ce que pourrait ĂȘtre un autre systĂšme, un nouveau chapitre de la trĂšs longue histoire de la dĂ©colonisation et la construction de lâAfrique moderne. Changer le monde, changer le SĂ©nĂ©gal, ne se fera pas du jour au lendemain Mais que lâon soit en accord ou en dĂ©saccord sur le plan idĂ©ologique, le pays a intĂ©rĂȘt Ă ce quâOusmane Sonko â et Bassirou Diomaye Faye â ne trĂ©buche pas sur une partie de ce chemin â
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De s an al ys es et de s po in ts de vu e in Ă©dit s.
Lâac cĂš s au x ar chives .
Compr en dr e un pa ys , un e vil le , un e ré gi on, un e or ga ni sati on
Le prĂ©s i de nt Tinubu Ă Abuja , lor s de la Journ Ă©e de la dĂ© moc ra ti e, qui fĂȘta it son 25 e annive rsaire le 12 ju in 20 24
Au pouvoi r depu is moi ns de deux ans, le prĂ©sident Ti nu bu mĂšne une politique choc. Des changement s en profondeur q ui doivent transfor mer la prem iĂšre Ă©conomie dâAf rique su bsahar ienne.
Vu e aé ri en ne de Vi ctoria Is land , le centre éc onom iq ue de La gos.
Cette vĂ©ritable superpuissanc e en devenir doit dâabord passer par lâ Ă©tap e difficile dâun chang ement de modĂšle Obje ctifs : assainir les finances publiques, restaurer la compĂ©titivitĂ©, sortir du tout-p Ă©trole. Et sĂ© duire les partenaires ex tĂ©rieurs.
par Emmanuelle Pontié
Aso Rock Villa domine Abuja.
« The Villa » pour les habituĂ©s. Câest du haut de cet imposant rocher que Bola Tinubu, 72 ans, prĂ©side aux destinĂ©es du pays mastodonte du continent et de ses 225 millions dâhabitants (voire 230, selon certaines estimations), depuis lâĂ©tĂ© 2023 DĂšs son arrivĂ©e, lâancien gouverneur de Lagos donne le ton en imposant deux rĂ©formes majeures, selon lui essentielles Ă la refonte en profondeur de lâĂ©conomie du pays Il met fin aux subventions du carburant et au contrĂŽle des changes. RĂ©sultat, le prix Ă la pompe est multipliĂ© par trois et le cours du naira sâeffondre Le coĂ»t des denrĂ©es alimentaires flambe de 40 % plus cher.
« Depuis ces mesures, le pouvoir dâachat a totalement chutĂ©. Jâai un travail et je gagne ma vie, mais depuis un an, jâavoue quâĂ la maison, câest un repas par jour », confie Blessing, 36 ans, assistante dans une petite sociĂ©tĂ© de communication Ă Abuja. En aoĂ»t dernier, dâimposantes manifestations contre la vie chĂšre nâont pas fait reculer le pouvoir, qui sâattelle depuis des mois Ă mettre en place des mesures de compensation, comme des versements directs sur les tĂ©lĂ©phones des plus dĂ©munis, ou encore une augmentation de la production de vivres locaux afin dâen inonder le marchĂ© et faire baisser les prix Lâadministration Tinubu a aussi annoncĂ© il y a trois mois que les nĂ©gociations avançaient avec les syndicats pour mettre en place un nouveau
Une batterie de mesures ont Ă©tĂ© lancĂ©es : facilitations pour les entreprises Ă©trang Ăšres et locales qui veulent investir, augmentation de lâalimentation en Ă©nergie, lutte anticorruption.
salaire minimum national. « Je comprends la douleur et la frustration qui motivent ces manifestations », a dĂ©clarĂ© le 4 aoĂ»t dernier le chef de lâĂtat Ă lâoccasion dâun discours tĂ©lĂ©visĂ©. Dans le mĂȘme temps, ses ministres, notamment Wale Edun aux Finances, multiplient les interventions publiques. Selon ce dernier, lâĂtat a dĂ©jĂ rĂ©cupĂ©rĂ© 20 milliards de dollars grĂące Ă lâarrĂȘt de la subvention sur le carburant, qui coĂ»tait 5 points du PIB, et espĂšre emmagasiner 7,5 milliards chaque annĂ©e. En rĂ©sumĂ©, lâĂ©conomie nigĂ©riane a besoin de rĂ©formes depuis des dĂ©cennies, afin de sortir de sa dĂ©pendance excessive aux revenus de lâexploitation du pĂ©trole. Le but est de crĂ©er des bases solides sur le long terme pour un futur Nigeria compĂ©titif, et, aussi, de faire en sorte que la population ait un accĂšs
plus équitable aux opportunités financiÚres.
LâidĂ©e est de diversifier lâĂ©conomie, en dopant notamment le potentiel agricole et les services, comme les nouvelles technologies, en crĂ©ant des opportunitĂ©s dâinvestissements massifs. Une batterie de mesures ont Ă©tĂ© lancĂ©es dans ce sens, secteur par secteur : facilitations pour les entreprises Ă©trangĂšres et locales qui veulent investir, augmentation de lâapprovisionnement en Ă©nergie, lutte anticorruption, particuliĂšrement dans le monde du pĂ©trole, oĂč le gouvernement dĂ©nonce un dĂ©tournement abyssal de 400 000 barils de pĂ©trole brut par jour, lutte encore contre lâinsĂ©curitĂ©
Sur ce dernier point, des premiers rĂ©sultats se font sentir dans le Nord, oĂč la rĂ©gion de Maiduguri, la capitale de lâĂtat du Borno ravagĂ© depuis 2009 par les exactions de la
Bo la Tinub u aux cĂŽtĂ© s du prĂ©sid ent françai s Emm anue l Ma cron, le 28 nove mbre 20 24, Ă lâhĂŽte l de s Inva lid es, Ă Pa ri s, l or s dâune vi si te dâĂtat De rri Ăšre eu x, le s Prem iĂš re s dames Ol uremi Tinubu et Br igi tte Ma cron.
Le pays capte dĂ©jĂ lâintĂ©rĂȘt dâun nombre impressionnant dâentreprises Ă©trang Ăšres, qui y ont implantĂ© des ïŹliales lucratives.
secte islamiste Boko Haram, reprend vie peu Ă peu, grĂące aux efforts, entre autres soutiens de forces conjointes, de lâarmĂ©e nigĂ©riane.
Depuis le jour de son accession au pouvoir, Bola Tinubu et sa volontĂ© ferme de transformer lâĂ©conomie du pays en profondeur, y compris Ă marche forcĂ©e, sont largement soutenus par les institutions financiĂšres internationales La Banque mondiale, la BA D, lâAFD, pour ne citer quâelles, saluent Ă chaque occasion le courage des autoritĂ©s et rappellent leur conviction quâun modĂšle libĂ©ral assumĂ©, oĂč lâĂ©conomie se redressera majoritairement par les investissements, permettra au gĂ©ant africain dâexploiter Ă plein son incroyable potentiel. Car enfin, les donnĂ©es de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale parlent dâelles-mĂȘmes. En 2050, le Nigeria devrait compter 440 millions dâhabitants et se hisser Ă la troisiĂšme place des nations les plus peuplĂ©es, derriĂšre lâInde et la Chine et juste devant les Ătats-Unis
LâURGENCE DU DĂVELOPPEMENT
Ă On it sha , de s Ă©l Ăšve s pe rfectio nn ent leur ma Ăźt ri se d e lâou til informati que
Des donnĂ©es dĂ©mographiques qui appellent Ă lâurgence du dĂ©veloppement en matiĂšre dâĂ©ducation, dâemploi, de logement, dâautosuffisance alimentaire. Mais le pays sâimposera dans le mĂȘme temps comme le troisiĂšme marchĂ© mondial. Il capte dĂ©jĂ lâintĂ©rĂȘt dâun nombre impressionnant dâentreprises Ă©trangĂšres, qui y ont implantĂ© des filiales lucratives Son potentiel en matiĂšre de pĂ©trole, de gaz, de mines est exploitĂ© par des investisseurs venus du monde entier. Premier ou second producteur dâor noir du continent, selon les annĂ©es, le Nigeria tirait directement
du pĂ©trole 5,67 % de son PIB en 2022, et bien plus indirectement Le brut Ă lui seul, la mĂȘme annĂ©e, reprĂ©sentait 78,74 % de la totalitĂ© des exportations. Une dĂ©pendance toxique, selon certains. Cependant, le Nigeria devrait Ă moyen terme rĂ©duire sa facture dâimportation de produits raffinĂ©s, grĂące Ă lâouverture de la mĂ©garaffinerie locale du milliardaire Dangote Au-delĂ de lâattrait de ses matiĂšres premiĂšres, le pays veut miser sur ses ressources humaines, comme en tĂ©moignent les programmes de formation ambitieux rĂ©cemment lancĂ©s pour former les jeunes aux mĂ©tiers des nouvelles technologies ou Ă lâintelligence artificielle. LâidĂ©e est de rĂ©pondre Ă la demande croissante, locale comme mondiale, de profils chev ronnĂ©s dans le secteur
Et puis, il y a aussi la position de poids lourd. Lâimmense marchĂ© nigĂ©rian pĂšse Ă©conomiquement â beaucoup, comparĂ© Ă ses pays voisins. Il reprĂ©sente 60 % du PIB de lâAfrique de lâOuest. Bola Tinubu est actuellement Ă la tĂȘte de la Cedeao Il a son mot Ă dire en matiĂšre de conf lits, dâengagements militaires, de diplomatie. Câest certainement la raison majeure qui a motivĂ© sa visite dâĂtat en France les 28 et 29 novembre derniers. La premiĂšre pour un prĂ©sident nigĂ©rian depuis 2000 Emmanuel Macron lâa reçu avec les honneurs, notamment avec un accueil officiel dans la cour carrĂ©e des Invalides, Ă Paris. Ce qui nâest pas donnĂ© Ă tous Depuis les expulsions de la prĂ©sence française au Mali, au Burkina, puis au Niger, le chef de lâĂtat compte, selon la plupart des observateurs, trouver un nouvel appui solide en Afrique. Dâautant que le prĂ©sident Tinubu aime Paris, oĂč il effectue des sĂ©jours privĂ©s prolongĂ©s frĂ©quents, la plupart du temps dans le confort luxueux de lâhĂŽtel Peninsula situĂ© dans le XVIe arrondissement Emmanuel Macron, pour sa part, avait sĂ©journĂ© six mois Ă Lagos, Ă lâĂąge de 23 ans, en stage Ă lâambassade de France, dans le cadre de son cursus Ă lâĂcole nationale dâadministration (ENA). Au-delĂ des enjeux diplomatiques et des vraisemblables atomes crochus entre les deux hommes, il faut rappeler que le Nigeria
reprĂ©sente 20 % des Ă©changes commerciaux de la France avec lâAfrique subsaharienne. Plus dâune centaine dâentreprises de lâHexagone y opĂšrent. Comme TotalEnergies, bien sĂ»r, mais aussi CM A CGM, Michelin, Fougerolle, Danone, Pernod Ricard, LV MH, etc Emmanuel Macron a dĂ©voilĂ©, aux cĂŽtĂ©s de son homologue nigĂ©rian, une Ă©volution du partenariat entre les deux pays : « Nous avons dĂ©fini plusieurs lignes dâactions nouvelles pour lâinvestissement des entreprises françaises au Nigeria, dans le domaine de lâĂ©nergie, des mĂ©taux rares et minĂ©raux critiques, nĂ©cessaires au dĂ©veloppement des nouvelles technologies, et en particulier des nouvelles industries dĂ©carbonĂ©es, dans le numĂ©rique, des industries culturelles et crĂ©atives. » Et dâannoncer dans le mĂȘme temps un montant de 330 millions dâeuros de prĂȘts de lâAFD en 2025 pour des projets « de sĂ©curitĂ© alimentaire, de mobilitĂ© urbaine, dâenseignement supĂ©rieur, dâagriculture, de formation professionnelle et de changement climatique ».
Un programme de soutien aux secteurs qui semblent tenir Ă cĆur au nouveau pouvoir nigĂ©rian, tournĂ©s vers le dĂ©veloppement, mais aussi la jeunesse et lâavenir Dans un
pays oĂč 43 % de la population a moins de 15 ans, Bola Tinubu a bien compris lâenjeu. Les jeunes peuvent Ă la fois reprĂ©senter une force pour demain dans un pays restructurĂ© oĂč la redistribution des richesses fonctionne, ou une dangereuse bombe Ă retardement. Son ambition, martelĂ©e Ă chaque occasion, est de construire un Nigeria fort, arguant que tous les fondamentaux pour cela sont dĂ©jĂ lĂ Quelques premiers indices montrent que la politique menĂ©e depuis moins de deux ans commence Ă donner des signes positifs. La croissance Ă©conomique sâaccĂ©lĂšre pour atteindre 3,46 % au troisiĂšme trimestre 2024 contre 2,98 en dĂ©but dâannĂ©e Il nâempĂȘche, le chantier reste immense. La corruption, jugĂ©e endĂ©mique par la plupart des organismes de notation internationaux, et lâinsĂ©curitĂ© qui rĂšgne encore dans plusieurs rĂ©gions du pays, avec le phĂ©nomĂšne des enlĂšvements par les « bandits » qui continuent Ă sĂ©vir, constituent encore des obstacles Ă la sĂ©curitĂ© des investissements. Et cĂŽtĂ© population, Ă ce jour, le quotidien est dur. Ă Abuja ou Ă Lagos, rares sont ceux qui croient dans les quartiers que cette pĂ©riode difficile dĂ©bouchera sur des lendemains plus doux. Câest pourtant la promesse ferme de Tinubu. â
Le «
l
Ministre des Finances et ministre coordinateur de lâĂconomie
«
Depuis mai 2023 et le début de la présidence Tinubu, le pays est engagé dans un ambitieux et difficile programme de reconstruction économique. Un ef fort salutaire à moyen terme, mais qui implique des coûts sociaux à cour t terme. Explications. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
AM : Depuis votre arrivĂ©e il y a un an et demi, comment se porte lâĂ©conomie du pays ?
Wale Edun : Depuis ces treize derniers mois, nous sommes sur la voie de la stabilitĂ© macroĂ©conomique, de la reprise, de lâaugmentation des investissements et de la productivitĂ©, de la croissance, de la crĂ©ation dâemplois et de la rĂ©duction de la pauv retĂ©. Le 29 mai 2023, lorsque le prĂ©sident Bola Tinubu est arrivĂ© au pouvoir, le pays Ă©tait en trĂšs mauvaise santĂ© sur le plan Ă©conomique, et plus particuliĂšrement en matiĂšre de finances publiques. Comme il lâavait promis, il a immĂ©diatement commencĂ© Ă rĂ©former lâĂ©conomie Les subventions pĂ©troliĂšres, qui coĂ»taient 2 % du PIB, soit environ 8 milliards de dollars par an, ont notamment Ă©tĂ© supprimĂ©es. En plus de suspendre les subventions du carburant, vous avez dĂ©valuĂ© le naira. Ces rĂ©formes ont dĂ©clenchĂ© dâimportantes Ă©meutes sociales En effet, la rĂ©forme macroĂ©conomique ne sâest pas arrĂȘtĂ©e Ă la suspension des subventions du carburant. Il y en avait une autre, qui coĂ»tait encore 2 Ă 3 % du PIB : celle des devises, qui Ă©taient vendues en dessous du prix du marchĂ©. Nous avons donc procĂ©dĂ© Ă sa fixation pour le pĂ©trole, lâessence, le carburant, ainsi que pour les devises. Sur cette base, lâĂ©conomie a une chance de se redresser, ainsi que les finances du gouvernement, comme celles de la compagnie pĂ©troliĂšre nationale. Câest le cĆur des rĂ©formes. Et, bien sĂ»r, nous assistions Ă une sous-Ă©valuation
des principaux actifs, qui profitaient Ă quelques personnes impliquĂ©es dans le rĂ©gime des subventions et le rĂ©gime dâallocation des devises Ă©trangĂšres. Les Ă©trangers, pour leur part, bĂ©nĂ©ficiaient de la contrebande dâessence par la frontiĂšre Lâabandon de ce systĂšme a naturellement entraĂźnĂ© une hausse du niveau des prix, puisquâil nây avait plus de sous-Ă©valuation de ces ressources clĂ©s : lâessence, les produits pĂ©troliers et les devises. ForcĂ©ment, lorsque lâon passe dâun tel systĂšme Ă un autre qui, Ă long terme, sera plus bĂ©nĂ©fique, il faut faire face Ă la douleur. Câest ce quâil se passe chez nous, et câest normal Quelles mesures dâaccompagnement concrĂštes avez -vous prĂ©vues Ă court et Ă moyen termes pour soulager la population dâune augmentation vertigineuse du coĂ»t de la vie ?
Le prĂ©sident Bola Tinubu sâest toujours engagĂ© Ă ce que les plus pauv res et les plus vulnĂ©rables soient protĂ©gĂ©s autant que possible des pires effets de lâaugmentation du coĂ»t de la vie Ă la suite de ces mesures audacieuses. Des aides ont ainsi Ă©tĂ© mises en place, de mĂȘme que des interventions, initialement pour les agriculteurs, les petits exploitants, afin dâobtenir des engrais, des semences, dâautres intrants et des cĂ©rĂ©ales Nous avons procĂ©dĂ© Ă une vĂ©ritable libĂ©ration des rĂ©serves de denrĂ©es alimentaires sur le marchĂ©. En outre, des surfaces supplĂ©mentaires ont Ă©tĂ© mises en culture afin que la nourriture soit abondante, disponible et abordable, et que la production augmente
Ainsi, nous contribuons Ă rĂ©duire les prix et le coĂ»t de la vie pour le NigĂ©rian moyen. Des paiements directs ont aussi Ă©tĂ© planifiĂ©s en collaboration avec la Banque mondiale, Ă lâinstar des mesures mises en Ćuv re lors du Covid, oĂč lâon apporte un soutien ponctuel dâurgence aux populations. Une initiative a Ă©tĂ© mise en place pour fournir Ă 15 millions de mĂ©nages, soit environ 75 millions de NigĂ©rians au total, trois paiements directs sur leur compte, ce qui leur permettra de faire face aux prioritĂ©s. Cette initiative est en cours. Parfois, mĂȘme lorsque nous disposons dâune bonne mesure, sa mise en Ćuv re peut sâavĂ©rer complexe En raison de la transparence, de lâintĂ©gritĂ© et de la responsabilitĂ© requises pour de tels paiements, un systĂšme a dĂ» ĂȘtre mis en place pour que les personnes inscrites au registre social, Ă savoir les 15 millions de mĂ©nages qui ont Ă©tĂ© choisis parmi les 60 % les plus pauv res de la population remplissant les conditions requises, soient identifiables de maniĂšre unique et biomĂ©trique, afin dâĂȘtre payĂ©es par le biais dâun mĂ©canisme numĂ©rique. Il ne sâagit pas de distribuer de lâargent liquide. Ce processus a pris du temps en matiĂšre de recensement et de vĂ©rification, mais il est important de le maĂźtriser pour pouvoir atteindre, de maniĂšre ciblĂ©e, les plus pauv res et les plus vulnĂ©rables. De mĂȘme, des subventions pour aider les plus petites microentreprises et DR
des prĂȘts Ă des conditions prĂ©fĂ©rentielles â Ă la moitiĂ©, voire au tiers du coĂ»t du taux dâintĂ©rĂȘt normal â sont disponibles. Ainsi, Ă une Ă©poque oĂč les autoritĂ©s monĂ©taires, sous la houlette de la Banque centrale, luttent contre lâinflation en augmentant les taux dâintĂ©rĂȘt, il existe des prĂȘts Ă taux abordables pour soutenir les entreprises, le secteur manufacturier et le secteur productif. Lâambition af fichĂ©e est de transformer le Nigeria. Combien de temps cela prendra- t- il, Ă votre avis ?
Nous avons entrepris des rĂ©formes dĂšs le premier jour oĂč le prĂ©sident Bola Tinubu est arrivĂ© au pouvoir, et les bĂ©nĂ©fices commencent dĂ©jĂ Ă se faire sentir. Il y a des rĂ©ussites, il y a des amĂ©liorations. Le taux de croissance du PIB sâest redressĂ©, la balance commerciale est forte, lâĂ©quilibre des comptes courants est excĂ©dentaire et en croissance. Lâinflation est en train dâĂȘtre maĂźtrisĂ©e. Elle a lĂ©gĂšrement augmentĂ© en raison de lâajustement rĂ©cent du prix des carburants, afin de le baser sur le marchĂ©, de sorte que tant pour les devises que pour lâessence, nous ayons un prix dĂ©terminĂ© par le marchĂ© et non un prix administratif ou subventionnĂ© Le dĂ©ficit budgĂ©taire, qui est passĂ© dâenviron 6,1 % du PIB Ă environ 4,4 % du PIB, affiche Ă©galement des progrĂšs. De mĂȘme, le serv ice de la dette, câest-Ă -dire la part des recettes publiques consacrĂ©e aux emprunts, est passĂ© de 90 % ou 100 % des recettes Ă un peu plus de 60 % des recettes. Câest encore Ă©levĂ©, mais câest beaucoup mieux. Ce sont ces ty pes dâamĂ©liorations qui ont favorisĂ© le rĂ©gime dâinvestissement dans le secteur du pĂ©trole et du gaz. Les rĂ©gimes fiscaux ont Ă©galement Ă©tĂ© amĂ©liorĂ©s Nous avons supprimĂ© les
Des surfaces supplĂ©mentaires ont Ă©tĂ© mises en culture aïŹn que la nourriture soit abondante, disponible et abordable, et que la production augmente.
retenues Ă la source pour le secteur manufacturier et lâavons encouragĂ© par des incitations fiscales Ă employer davantage de personnel. En consĂ©quence, nous assistons Ă des investissements majeurs dans le secteur pĂ©trolier de la part dâentreprises telles que TotalEnergies (6 milliards de dollars sur plusieurs annĂ©es), ou encore, dĂ©but octobre dernier, en marge de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, Ex xonMobil avec 10 milliards de dollars. Et il y en
aura dâautres. Certains fabricants nationaux sont restĂ©s en retrait, mais ils voient aujourdâhui un rĂ©gime orientĂ© vers le marchĂ©, oĂč lâĂ©conomie se stabilise et devient plus attrayante. RĂ©sultat, mĂȘme les investisseurs nigĂ©rians sont intĂ©ressĂ©s. Jâai rĂ©cemment discutĂ© avec un homme dâaffaires qui mâa dit quâil Ă©tait restĂ© en retrait, mais quâil Ă©tait dĂ©sormais prĂȘt Ă investir 1,2 milliard de dollars dans le secteur productif, Ă partir de matiĂšres premiĂšres quâil extrait pour fabriquer des produits industriels, des intrants pour dâautres entreprises manufacturiĂšres. Il est maintenant dĂ©cidĂ© Ă aller de lâavant. Il a Ă©tudiĂ© les mesures dâincitation disponibles et a indiquĂ© celles dont il aimerait profiter, comme le financement Ă taux dâintĂ©rĂȘt prĂ©fĂ©rentiel. Nous pensons quâil sâagira dâune histoire commune. Ceux qui se sont retenus jusquâĂ prĂ©sent regardent ainsi le nouveau climat dâinvestissement et ne veulent pas rester Ă la traĂźne. Vous dĂ©clarez rĂ©guliĂšrement miser sur les investissements plutĂŽt que sur les emprunts. Pour tant, vous continuez Ă emprunter. En at tendant ?
Nous avons dĂ» emprunter des financements concessionnels bon marchĂ© auprĂšs de banques multilatĂ©rales de dĂ©veloppement, comme la Banque mondiale et la Banque africaine de dĂ©veloppement Nous avons Ă©galement pu lever des fonds auprĂšs des NigĂ©rians, notamment ceux qui ont des Ă©conomies Ă lâĂ©tranger, en Ă©mettant pour la premiĂšre fois des obligations en dollars â ce qui est historique â, mais en utilisant le systĂšme de rĂ©glementation financiĂšre nigĂ©rian Cependant, il faut emprunter parce que câest nĂ©cessaire. Lâobjectif consiste Ă attirer les investissements Ă©trangers directs et nationaux, les capitaux propres et mĂȘme publics, provenant des impĂŽts et de lâaugmentation des recettes de la production pĂ©troliĂšre. En effet, les incitations Ă la production dans le secteur pĂ©trolier ont Ă©tĂ© amĂ©liorĂ©es, dâune part Et le moyen le plus rapide pour le Nigeria dâobtenir des devises et de disposer de liquiditĂ©s dans lâĂ©conomie, Ă la fois en devises et en nairas, provenant des recettes publiques, est bien sĂ»r dâaugmenter la production pĂ©troliĂšre, dâautre part Mais pour cela, il faut des investissements et de la sĂ©curitĂ©. Nous disposons aujourdâhui dâun environnement beaucoup plus sĂ»r, parce que câest une prioritĂ© pour le prĂ©sident Tinubu. Cela a permis Ă un plus grand nombre de personnes de retourner dans leur ferme pour pratiquer lâagriculture ou dâautres activitĂ©s, telles que lâĂ©levage, la pĂȘche, etc. Mais câest Ă©galement positif pour le secteur pĂ©trolier, car lâamĂ©lioration de la sĂ©curitĂ© dans ce
domaine est essentielle, tout comme le renforcement de la surveillance et la rĂ©duction des vols et autres pertes. Depuis quelque temps, la production pĂ©troliĂšre du Nigeria baissait dâannĂ©e en annĂ©e. Elle semble avoir remontĂ© rĂ©cemment
Lorsque le chef de lâĂtat a pris ses fonctions, la production Ă©tait dâenviron 1,2 million de barils par jour. Elle est passĂ©e Ă environ 1,6 million de barils par jour. Les forces de sĂ©curitĂ© et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) se sont engagĂ©es Ă atteindre 2 millions de barils par jour, en profitant des prix relativement Ă©levĂ©s du pĂ©trole et des ressources en combustibles fossiles dont dispose le pays. Par ailleurs, nous avons signĂ© plusieurs protocoles en faveur de lâĂ©nergie propre, de lâobjectif « net zĂ©ro » et de lâaction climatique â mais, en mĂȘme temps, il conv ient dâĂȘtre rĂ©alistes. Nous devons utiliser les combustibles fossiles dont nous disposons pour nous industrialiser, pour moderniser notre Ă©conomie et pour sortir notre population de la pauv retĂ©. Pour nous, le secteur du pĂ©trole et du gaz est une Ă©v idence Et pour la premiĂšre fois depuis quarante ans, nous raffinons le brut sur place, produisant non seulement du PMS [ Premium Motor Spirit , essence produite par la raffinerie Dangote, ndlr], du diesel et du Jet-A1, mais aussi des intrants, des matiĂšres premiĂšres pour le secteur agricole, des engrais, des matiĂšres premiĂšres pour le textile, pour les industries du bĂątiment, chimique et pharmaceutique. On assiste donc Ă une renaissance, Ă une relance de la tentative
On assiste Ă une vĂ©ritable renaissance, Ă une relance de lâindustrialisation du Nigeria.
dâindustrialisation du Nigeria, de la modernisation de lâĂ©conomie basĂ©e sur les investissements du secteur privĂ©. En dehors du pĂ©trole, vous cherchez Ă diversifier votre Ă©conomie Quels secteurs voulez-vous promouvoir ? Vous parlez dâabord de lâagriculture, mais pas seulement ?
Lâagriculture ne produit pas seulement des denrĂ©es alimentaires, mais aussi des matĂ©riaux comme lâĂ©thanol, lâamidon et bien dâautres intrants qui peuvent serv ir de base Ă un boom du secteur. Câest pourquoi nous crĂ©ons des zones agro-industrielles dans tout le pays Les produits de lâarriĂšre-pays sont dĂ©sormais acheminĂ©s vers un centre oĂč se trouvent des entrepĂŽts, des usines et des Ă©quipements de transformation, de fabrication, de finition,
de congĂ©lation, dâemballage, etc On transforme ainsi les matiĂšres premiĂšres en produits finis dans un pĂ©rimĂštre plus proche. Les diffĂ©rentes demandes pour ces produits sont traitĂ©es lĂ oĂč se trouvent les agriculteurs Ensuite, nous misons bien sĂ»r sur lâindustrie manufacturiĂšre. Sur le marchĂ© rĂ©gional, et mĂȘme national, il y a une forte croissance des produits manufacturĂ©s de base, des produits mĂ©nagers et des biens de consommation destinĂ©s Ă lâexportation locale, et mĂȘme sur lâensemble du continent. Une population de 1,3 milliard dâhabitants Ă lâĂ©chelle de lâAfrique, une population rĂ©gionale dâenviron 300 millions dâhabitants⊠VoilĂ des marchĂ©s attrayants pour les producteurs nigĂ©rians et les exportateurs En outre, nous nous intĂ©ressons au secteur du logement. Les NigĂ©rians disposent dâune Ă©pargne Ă long terme, de pensions, de fonds dâassurance-vie. En utilisant ces fonds combinĂ©s Ă un financement concessionnel de 1 % sur quarante ans de la Banque mondiale, nous pouvons offrir un taux dâintĂ©rĂȘt relativement bas que les gens peuvent supporter, et ensuite, bien sĂ»r, en plaçant lâargent Ă long terme, ils peuvent obtenir des prĂȘts hy pothĂ©caires sur vingt ou vingt-cinq ans. Cela donnera un coup de pouce aux classes moyennes, qui ont souvent assez dâargent pour lâapport, mais qui ne peuvent pas payer des taux dâintĂ©rĂȘt de 30 % ni rembourser un prĂȘt en trois ans. Cela devrait dĂ©clencher une hausse de la construction. Enfin, nous disposons dâun Ă©norme dividende dĂ©mographique, avec environ 600 000 diplĂŽmĂ©s par an, issus de diffĂ©rentes universitĂ©s, publiques et privĂ©es. Ils ont des compĂ©tences de base et peuvent fournir des serv ices dâexternalisation par Internet Dans les pays oĂč lâexternalisation est la plus importante, la croissance dĂ©mographique tend Ă ralentir, de sorte que ceux-ci risquent de manquer de main-dâĆuv re qualifiĂ©e, ce dont le Nigeria dispose en abondance. Lâexportation
de serv ices est donc un autre domaine trĂšs fertile dont le pays peut tirer parti. Et, bien Ă©videmment, nous avons amĂ©liorĂ© notre environnement fiscal de sorte que les entreprises Ă©trangĂšres puissent se procurer directement les serv ices des NigĂ©rians sur Internet, et ce sans avoir Ă payer une taxe onĂ©reuse. Auparavant, pour employer des NigĂ©rians, il fallait ĂȘtre au Nigeria. Aujourdâhui, nous disons : « Restez dans votre pays, employez des NigĂ©rians, ils paient leurs impĂŽts, câest trĂšs bien. »
Quels sont les principaux partenaires financiers du Nigeria aujourdâhui ?
Parce que nous sommes obligĂ©s dâemprunter, nous nous tournons vers les financements Ă conditions prĂ©fĂ©rentielles. La Banque mondiale est un vĂ©ritable partenaire, de mĂȘme que la Banque africaine de dĂ©veloppement et lâAgence française de dĂ©veloppement Elles ne cherchent pas seulement Ă financer des projets, mais aussi Ă soutenir le budget et les rĂ©formes macroĂ©conomiques du gouvernement Nous sommes reconnaissants envers ces partenaires et nous avons, bien sĂ»r, comptĂ© sur les NigĂ©rians pour nous aider Ă financer nos sorties sur le marchĂ© Lorsque nous approchons ce marchĂ©, nous le faisons de sorte que la population puisse nous soutenir, celle du Nigeria et celle de la diaspora, qui possĂšde des dollars ou qui conser ve ses Ă©conomies en devises Ă©trangĂšres, probablement en raison du manque de force de la monnaie nationale en tant que rĂ©serve de valeur Et puis, Ă©v idemment, nous avons accĂšs aux marchĂ©s des euro-obligations et nous nâimprimons plus dâargent pour payer les factures Ce nâest pas facile, mais nous respectons tous nos devoirs en matiĂšre de serv ice de la dette internationale et de la dette intĂ©rieure.
Vous semblez trĂšs confiant en lâavenir
Oui, jusquâĂ prĂ©sent. â
Bo la Tinubu, prĂ©sid ent dâun e fĂ© dĂ© ra tio n de 225 milli ons dâhab itants, assume les consĂ© qu en ces de m esures courag euses et doul oureuses Un ag enda in contour na bl e pour fa ire du Ni ge ri a, enfin, un e puissa nc e Ă©c on om ique de prem ie r pla n. par MoĂŻs e Gomi s
L«es subventions aux carburants sont donc terminĂ©es », annonce de maniĂšre laconique et sans prendre de pincettes le successeur de Muhammadu Buhari lors de son discours dâinvestiture. Dans la foulĂ©e, Bola Tinubu dĂ©clare sa volontĂ© de libĂ©raliser le marchĂ© des changes pour permettre au naira de retrouver sa valeur Quasi immĂ©diatement, la Banque centrale du Nigeria rend la paritĂ© du naira fluctuante avec la devise amĂ©ricaine
Les subventions sur les carburants, qui avaient cours depuis la fin des annĂ©es 1970, Ă©taient prĂ©v ues dans le budget fĂ©dĂ©ral jusquâen juin 2023 Lui, prĂ©sident, revendique dây mettre un
terme sans dĂ©lai, alors que cette mesure fut longtemps considĂ©rĂ©e comme un « acquis social » par les classes moyennes et supĂ©rieures Dix-huit mois plus tard, la position de Tinubu nâa pas bougĂ© dâun iota. MalgrĂ© le mouvement #EndBadGovernance, qui rĂ©clamait en aoĂ»t dernier le retour de la subvention MalgrĂ© les multiples bras de fer avec les principales centrales sy ndicales, qui en parallĂšle exigent lâaugmentation du salaire minimum. MalgrĂ© aussi les nombreuses visites, diurnes et nocturnes, de certains gouverneurs et parlementaires de sa majoritĂ© en audience privĂ©e Ă la villa dâAso Rock, le palais prĂ©sidentiel dâAbuja. Sans parler des critiques acerbes de ses deux opposants Atiku Abubakar
(PDP) et Peter Obi (Parti travailliste). Il entend tout. Il Ă©coute tout le monde. Mais le chef dâĂtat nigĂ©rian maintient son cap. SĂ»r de lui et de sa mĂ©thode. Sans ciller devant lâenvolĂ©e des prix du carburant Ă la pompe, passĂ©s de 185 Ă plus de 1 200 nairas dans les Ătats les plus Ă©loignĂ©s de Lagos, port dâarrivĂ©e des produits raffinĂ©es importĂ©s au Nigeria. Le prĂ©sident est conscient du choc pour une large majoritĂ© de ses concitoyens. NĂ©anmoins, lâarrĂȘt des subventions aux carburants est aussi un signal fort, en direction de toute la filiĂšre du pĂ©trole dâabord, mais aussi vis-Ă -vis de tous les opĂ©rateurs Ă©conomiques publics et privĂ©s du Nigeria, selon Olabode Sowunmi, expert en pĂ©trole et gaz de Cabtreng Consulting : « La façon dont le Nigeria organise et Ă©quilibre ses comptes, mais aussi la maniĂšre dont il administre son budget et gĂšre son Ă©conomie sont problĂ©matiques Ce nâest pas comme si cela datait dâhier Par consĂ©quent, le pays ne peut plus se permettre de verser ces subventions aux carburants »
DE GR ANDS PROJETS NATIONAUX
Expert-comptable de formation, le prĂ©sident Tinubu sâattaque naturellement aux comptes du Nigeria, comme le suggĂšrent depuis plusieurs annĂ©es le FMI et la Banque mondiale De maniĂšre systĂ©mique, les recettes liĂ©es au pĂ©trole financent Ă prĂšs de trois quarts le budget de lâĂtat Câest dâailleurs toujours le cas pour le budget 2025, prĂ©sentĂ© fin novembre 2024. Lâobjectif du prĂ©sident est donc de transformer le Nigeria du XXIe siĂšcle comme il a su le faire Ă Lagos entre 1999 et 2007. En effet, Ă lâĂ©poque, lâex-gouverneur de la ville sâappuie sur une politique fiscale inĂ©dite au Nigeria pour nourrir les finances de la mĂ©galopole du sud-ouest. PrivĂ© dâallocation fĂ©dĂ©rale par le prĂ©sident dâalors, Olusegun Obasanjo, Tinubu muscle les serv ices fiscaux de son administration Il taxe ainsi les grandes entreprises nationales et internationales dont les siĂšges sont sur le territoire, mais aussi les emblĂ©matiques danfos â ces minibus jaunes qui sillonnent Lagos.
Dix-sept ans plus tard, le prĂ©sident dĂ©pose au Parlement nigĂ©rian un projet de loi fiscale â pour lâinstant peu visible par la population, mais qui pourrait Ă long terme modifier la rĂ©putation du Nigeria auprĂšs des milieux financiers internationaux, si ce projet sâapplique. Il est question de lâharmonisation et de la simplification des guichets fiscaux Ă tous les Ă©chelons, du fĂ©dĂ©ral au local, de lâutilisation des technologies numĂ©riques pour collecter les impĂŽts, de faire passer la TVA par paliers de 10 % lâan prochain Ă 15 % en 2030 LâidĂ©e Ă©tant que les rentrĂ©es fiscales puissent peser 18 % du produit intĂ©rieur brut Ă lâhorizon 2026.
UN GOUVERNEMENT QUI MONTRE LâEXEMPLE
Ce vĆu nâest pas forcĂ©ment chimĂ©rique. En effet, en 2011 les impĂŽts constituaient un cinquiĂšme de la production de richesses. La prise en compte du secteur informel depuis 2014 dans le calcul du PIB du Nigeria a fait reculer mĂ©caniquement le poids des impĂŽts Puisquâinformels, donc sans existence lĂ©gale, des pans entiers de lâĂ©conomie ne paient pas dâimpĂŽts sur les bĂ©nĂ©fices ni sur les revenus Câest pourquoi en 2021 les impĂŽts reprĂ©sentaient seulement 10,86 % du PIB. Ainsi le chef de lâĂtat mise sur la fiscalisation de la quatriĂšme puissance Ă©conomique africaine, et donc sur la normalisation du secteur informel. Un pari potentiellement gagnant sur le papier, tant ce secteur dy namisĂ© par la jeunesse contribue Ă lâĂ©conomie. Selon le FMI, le secteur informel nigĂ©rian reprĂ©sentait plus de la moitiĂ© (65 %) du produit intĂ©rieur brut du pays en 2017. Aujourdâhui, de nombreux experts estiment que cette part reprĂ©sente 58,2 %. Pourtant, le dĂ©fi est immense : dans un pays dont le nombre dâhabitants approchera les 377 millions en 2050, le prĂ©sident Tinubu doit absolument convertir la grogne actuelle de dizaines de millions de NigĂ©rians, mĂ©contents du prix du carburant, du prix de lâĂ©lectricitĂ© et de lâeffondrement de leur pouvoir dâachat, en adhĂ©sion pour faire repartir le pays sur des bases financiĂšres plus saines Car comme lâindique le rapport sur
Lâobjectif du prĂ©sident est de transformer le Nigeria comme il a su le faire Ă Lagos entre 19 99 et 20 07.
Ă lâ Ă©poque, lâex-gouverneur sâappuie sur une politiqu e ïŹscale inĂ©dite pour nourrir les ïŹnances de la mĂ©galopole.
les comptes budgĂ©taires 2023 de lâauditeur gĂ©nĂ©ral de la FĂ©dĂ©ration, le gouvernement a rĂ©alisĂ© des recettes dâenviron 6 000 milliards de nairas, dĂ©pensĂ© 19 500 milliards de nairas et enregistrĂ© un dĂ©ficit de 13 500 billions de nairas, soit -225 % des recettes totales, soit plus de trois fois ce quâil a gagnĂ© en recettes.
En annonçant des Ă©conomies dans le train de vie de lâĂtat fĂ©dĂ©ral, avec notamment la suppression des doublons dans les administrations et agences fĂ©dĂ©rales, Bola Tinubu fait passer un message fort : la FĂ©dĂ©ration doit montrer lâexemple. Pour les femmes et les hommes politiques originaires du sud-ouest, le social-dĂ©mocrate Obafemi Awolowo a longtemps Ă©tĂ© une rĂ©fĂ©rence : figure majeure pour lâindĂ©pendance nigĂ©riane au cours des annĂ©es 1950, puis dĂ©fenseur du
fĂ©dĂ©ralisme, lâancien Premier ministre de la rĂ©gion Ouest a portĂ© des politiques basĂ©es sur lâĂtat-providence, rendant notamment lâĂ©ducation et les soins gratuits. Yoruba comme lui, Tinubu fait sien lâhĂ©ritage dâAwolowo Mais câest aussi dâune autre source de sa rĂ©gion quâil sâinspire : lâhomme dâaffaires et politicien Moshood Abiola, vainqueur de lâĂ©lection prĂ©sidentielle du 12 juin 1993, mais jamais investi et mort en prison. Ce dernier soutenait la dĂ©rĂ©gulation du marchĂ© pour sortir le Nigeria de la gestion centralisĂ©e et autocratique des juntes militaires. En accĂ©dant au poste suprĂȘme trente ans aprĂšs lâĂ©chec tragique de son mentor, le prĂ©sident Tinubu veut laisser une trace dans lâhistoire de son pays et ĂȘtre reconnu comme un homme dâĂtat rĂ©formateur libĂ©ral â
Directeur général du Ministry of Finance Incorporated (MOFI)
« Nous devons trouver des solutions locales »
Face Ă la crise, lâagence gouvernementale dĂ©diĂ©e Ă la gestion des actifs de lâĂtat accompagne les entreprises, publiques comme privĂ©es, pour dessiner lâarchitecture Ă©conomique de demain. propos recueillis par Emmanuelle PontiĂ©
AM : Qu âest -ce que le MOFI ?
Armstrong Ume Takang : Câest lâacrony me de Ministry of Finance Incorporated. Le MOFI est le gestionnaire des actifs et des investissements du gouvernement fĂ©dĂ©ral. Il a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par une loi de 1959, mais il nâest devenu opĂ©rationnel quâen fĂ©vrier 2023 Le MOFI dispose dĂ©sormais dâune structure de gouvernance et, au plus haut niveau, dâun conseil dâadministration prĂ©sidĂ© par le chef de lâĂtat, le vice-prĂ©sident en Ă©tant le supplĂ©ant. Nos activitĂ©s portent sur deux domaines clĂ©s Le premier consiste Ă dĂ©terminer ce que le gouvernement fĂ©dĂ©ral possĂšde, et pour ce faire, nous avons crĂ©Ă© un registre des actifs nationaux, quâil sâagisse dâactifs dâentreprises, immobiliers, de concessions ou dâautres. DeuxiĂšmement, nous travaillons avec les entreprises publiques, que nous soutenons pour quâelles fournissent des rendements supĂ©rieurs ajustĂ©s au risque, crĂ©ent plus dâemplois et boostent la croissance Ă©conomique. Avez -vous des exemples de ce type dâentreprises ?
La Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), la Bank of Industry, ou encore la Banque de développement du Nigeria, Family Homes Funds, Galax y Backbone, NigComSat⊠Nous possédons également des parts dans la Nigerian Mortgage Refinance Company (NMRC).
Détenez-vous aussi des parts dans des sociétés privées ?
Oui, et nous possĂ©dons aussi des entreprises publiques que nous dĂ©tenons Ă 100 %, censĂ©es ĂȘtre de nature commerciale. Nous les aidons Ă amĂ©liorer leur rendement en introduisant un bon niveau de gouvernance et en trouvant les moyens de leur donner plus de capital. Le troisiĂšme aspect de notre travail consiste Ă mobiliser les investissements destinĂ©s aux secteurs stratĂ©giques de lâĂ©conomie, tels lâagriculture, lâindustrie manufacturiĂšre, les infrastructures ou la santĂ©. Nous collaborons ainsi avec diffĂ©rents partenaires, en particulier le secteur privĂ© et les entreprises internationales, afin de mobiliser des capitaux. Si lâune des entreprises que vous choisissez nâest pas disposĂ©e Ă vous laisser entrer dans son capital, que se passe- t- il ?
Nous la laissons tranquille ! Et comme nous sommes une agence gouvernementale destinĂ©e Ă soutenir lâĂ©conomie, nous ne nous intĂ©ressons pas Ă toutes les entreprises. Quel est votre niveau de participation, en gĂ©nĂ©ral ?
Il peut aller de 11 % Ă 100 %, selon les cas.
Quel est le volume des acti fs détenus par la République fédérale ?
Lâexercice dâĂ©valuation des actifs est en cours Ceux que nous avons identifiĂ©s jusquâĂ prĂ©sent reprĂ©sentent au moins 20 000 milliards de nairas Avez -vous Ă©galement une fonction de levĂ©e de fonds ?
Nous identifions un projet, puis nous approchons diffĂ©rents investisseurs pour leur prĂ©senter lâopportunitĂ©. Quels sont les avantages pour les personnes prĂȘtes Ă investir ?
Pour beaucoup, câest une occasion de rentabiliser lâargent Pour dâautres, câest une opportunitĂ© de contribuer au dĂ©veloppement, notamment pour les institutions financiĂšres. Certains sont intĂ©ressĂ©s par lâESG (lâenv ironnement, le social et la gouvernance), lâemploi et le dĂ©veloppement, et ont dĂ©jĂ investi dans nos sociĂ©tĂ©s de portefeuille. Vous avez aussi lâambition de crĂ©er des opportunitĂ©s dâemploi.
Le gouvernement a un plan pour crĂ©er des millions dâemplois, mais pour cela, lâĂ©conomie doit renouer avec la croissance. Nous finançons notamment des entreprises agroalimentaires, qui se dĂ©veloppent et crĂ©ent de nouveaux emplois. Nous intervenons Ă©galement dans le secteur manufacturier en fournissant lâargent nĂ©cessaire pour accroĂźtre la production, crĂ©ant ainsi davantage de postes Ă pour voir Nous octroyons aussi des aides dans le domaine du logement et, grĂące Ă un programme de prĂȘts hy pothĂ©caires, nous augmentons la demande dans le secteur Par lâintermĂ©diaire de certaines de nos sociĂ©tĂ©s de portefeuille, nous finançons Ă©galement des start-up dans le domaine de la technologie Cela les aide Ă lancer de nouvelles entitĂ©s, qui vont recruter.
les investissements. Elles devraient offrir de formidables opportunitĂ©s pour les nationaux et les Ă©trangers qui sâintĂ©ressent au Nigeria. Nous sommes trĂšs confiants, mĂȘme si nous traversons une pĂ©riode difficile, avec une inflation plus Ă©levĂ©e que prĂ©v u, des problĂšmes de change et de liquiditĂ©, un taux de chĂŽmage important. Les rĂ©formes mises en place ouvrent de nouvelles opportunitĂ©s.
Câest une pĂ©riode di fficile pour la population. Et aussi pour cer tains investisseurs, qui quittent le pays en raison de lâinsĂ©curitĂ© et de la dĂ©valuation du naira
Câest une pĂ©riode difficile, en effet
Le gouvernement a un plan pour crĂ©er des millions dâemplois, mais pour cela, lâ Ă©conomie doit renouer avec la croissance.
Quelle est la taille minimale des entreprises avec lesquelles vous choisissez de travailler ?
Les entités dans lesquelles nous investissons directement sont généralement de taille moyenne.
Mais les sociĂ©tĂ©s de notre portefeuille peuvent investir dans les petites entreprises. Ătes -vous confiant en lâavenir ?
Oui, car notre Ă©conomie est en croissance Nous avons besoin de plus dâinfrastructures pour booster la production, soutenir la population. Et ce besoin offre des opportunitĂ©s dâinvestissement De plus, la population Ă©tant trĂšs jeune, nous disposons dâune importante main-dâĆuv re et nâaurons pas de mal Ă trouver des travailleurs pour accompagner le dĂ©veloppement de lâĂ©conomie. Le pays propose aujourdâhui de nombreuses incitations fiscales pour les entreprises et
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Lâenvironnement macroĂ©conomique nâest pas celui que nous souhaiterions. Lâaugmentation du coĂ»t de la vie, quâil sâagisse des transports, de lâĂ©lectricitĂ© ou de lâalimentation, crĂ©e des difficultĂ©s pour les entreprises et la population Et certaines entreprises se sont retirĂ©es pour ces raisons. Or, câest lâoccasion de redĂ©finir notre architecture Ă©conomique. Câest Ă nous de rester dĂ©terminĂ©s dans les rĂ©formes entreprises, dâĂȘtre innovants et crĂ©atifs dans la recherche de solutions locales. Il faut commencer Ă regarder vers lâintĂ©rieur. Nous ne pouvons pas tout importer, parce que le problĂšme de liquiditĂ© et le marchĂ© des changes nous en empĂȘchent. Nous devons donc trouver des solutions locales, afin de rĂ©duire la pression sur les devises. Je suis sĂ»r que ces temps difficiles ne dureront pas. Nous en sortirons plus forts, meilleurs et plus av isĂ©s Ce sera pour le bien de notre peuple et de notre pays Combien de temps faudra -t -il pour que la situation sâamĂ©liore vraiment, selon vous ?
Le septentrion du pays est se couĂ© depuis prĂšs dâune quinzaine dâannĂ© es par les violences. Au Nord -Est, la vie sociale et Ă©conomique reprend grĂąc e Ă la reprise par lâarmĂ© e des territoires de lâĂtat de Borno, jusque -lĂ infiltrĂ©s par les membres de Boko Haram et de lâISWA P. Mais au Nord -Ouest, des group es criminels prospĂšrent, poussant les civils Ă lâexode. par MoĂŻse Gomis
Lentement, Mai Aji Kolo pousse une charrette mĂ©tallique et rouillĂ©e dans la rue menant Ă son logement Ce quadragĂ©naire prend le temps de saluer chaque voisin quâil croise sur son chemin Dans ce lotissement dâAuno Ă quelques dizaines de kilomĂštres Ă lâouest de Maiduguri, la capitale de lâĂtat de Borno, tous les habitants sont dâanciens dĂ©placĂ©s internes ayant vĂ©cu plusieurs annĂ©es dans la promiscuitĂ© de camps humanitaires
Comme tout son voisinage, Mai Aji a obtenu gratuitement la clĂ© dâune maison de deux piĂšces. Sans hĂ©sitation, en novembre 2022, cet agriculteur signait les documents officialisant son retour Ă une vie « normale » pour ses sept enfants et son Ă©pouse. « Je suis serein, explique Mai Aji au moment de franchir le seuil de sa cour, car Ă chaque fois que je quitte ma maison et que je reviens, je retrouve ma famille saine et sauve. La communautĂ© aussi vit en paix maintenant Nous ne sommes plus menacĂ©s par Boko Haram. »
AprÚs avoir mis sa vie entre parenthÚses, ballotté avec les siens dans plusieurs campements humanitaires de Maiduguri, cet agriculteur a retrouvé le sourire.
Comme 160 000 ex-dĂ©placĂ©s, Mai Aji et sa femme sont les bĂ©nĂ©ficiaires dâun programme de relogement impulsĂ© par le gouverneur de lâĂtat de Borno, Babagana Umara Zulum. En 2020, alors que le Nigeria subissait encore la pandĂ©mie de Covid-19, ce dernier multiplie les dĂ©placements pour constater de ses yeux les progrĂšs en matiĂšre de sĂ©curitĂ© dans les principales localitĂ©s de lâĂtat de Borno, sous occupation de Boko Haram encore six ans plus tĂŽt. Et progressivement libĂ©rĂ©es de cette emprise grĂące aux efforts conjuguĂ©s de lâarmĂ©e nigĂ©riane, organisĂ©e autour de « supercamps » militaires regroupant plusieurs bataillons, et de ses alliĂ©s de la Force multinationale mixte (Cameroun, Tchad, Niger, BĂ©nin).
FidĂšle Ă ses promesses Ă©lectorales, le gouverneur Zulum sâengage alors Ă fermer tous les camps de dĂ©placĂ©s dans sa capitale Maiduguri. Il poursuit dâabord la politique de
La
fermeture ef fe
ctive
des 22 camps a bouleversĂ© le visage et lâatmosphĂšre des quar tiers villag es, avec lâouverture de plusieursliaisons aĂ©riennes et lâ Ă©mergence inĂ©dite dâhĂŽtels cinq Ă©toiles.
De s jeu ne s fill es de lâĂ©c ole pri mai re de Galtim ar i, Ă Ma idugur i, da ns lâĂtat de Bo rno oĂč le calm e es t reve nu.
reconstruction de logements dĂ©marrĂ©e par son prĂ©dĂ©cesseur Kashim Shettima, lâactuel vice-prĂ©sident du pays, avant dâorganiser les premiĂšres rĂ©installations de familles dans leur communautĂ© dâorigine. Ces retours, le gouverneur Zulum les accompagne lui-mĂȘme dans bien des cas. Ă la grande stupeur de nombreuses organisations humanitaires prises de court. « Avant lâinsurrection de Boko Haram, se justifie alors lâĂ©lu Ă lâĂ©poque, le Borno Ă©tait un Ă©tat clĂ© pour lâagriculture. Je veux que ces paysans et ces pĂȘcheurs, qui ne peuvent plus contribuer Ă lâĂ©conomie du territoire, retournent dans leur communautĂ© dâorigine pour y reprendre leur activitĂ© » La sĂ©curitĂ© autour des returnees est renforcĂ©e avec la crĂ©ation des agro rangers, rattachĂ©s au Corps de la sĂ©curitĂ© et de la dĂ©fense civile : ces miliciens volontaires en milieu rural ont pour mission de protĂ©ger les communautĂ©s lorsquâelles cultivent leurs champs Avec, Ă terme, lâobjectif de prendre le relais de lâarmĂ©e nigĂ©riane, qui nâa pas pour mandat de rester indĂ©finiment dans des zones considĂ©rĂ©es comme libĂ©rĂ©es de Boko HaramâŠ
Aujourdâhui, quatre ans plus tard, la fermeture effective des 22 camps a bouleversĂ© le visage et lâatmosphĂšre de Maiduguri. Ses quartiers villages sont en mutation, mĂȘme si lâimmense majoritĂ© des habitants y vit encore sous le seuil de pauvretĂ©. Quelques indices du dĂ©but de cette transformation : lâouverture de plusieurs liaisons aĂ©riennes, rompant lâisolement de la capitale du Borno. Et surtout lâĂ©mergence inĂ©dite dâhĂŽtels cinq Ă©toiles, pour
attirer et fidĂ©liser une clientĂšle dâaffaires nationale, voire internationale, ainsi que de nombreux projets immobiliers
Shareef Hamza, directeur commercial dâune entreprise vendant du ciment, est Ă la fois un acteur et un observateur de cette nouvelle Ăšre. Le trentenaire raconte : « DĂ©sormais, on peut sans crainte mettre sur la route des convois, avec chaque camion transportant pour 200 Ă 300 millions de nairas de marchandises On a retrouvĂ© la confiance. Pas encore comme avant, oĂč Maiduguri Ă©tait un hub incontournable pour les grossistes du Tchad, du sud-est du Niger ou encore du Cameroun Mais disons que nous avons recouvrĂ© notre force commerciale Ă 60 %. » Le retour de la sĂ©curitĂ© et le volontarisme du gouverneur Zulum ont servi dâaccĂ©lĂ©rateurs. Mais pour Hamza Suleiman, expert en sĂ©curitĂ© pour la sociĂ©tĂ© Zagazola, le rĂŽle des civils volontaires dans la guerre menĂ©e contre le groupe terroriste nâest pas suffisamment reconnu : « Sans ces miliciens, jamais lâarmĂ©e nigĂ©riane nâaurait rĂ©ussi. Dans toutes les opĂ©rations de contreinsurrection dans le Nord-Est nigĂ©rian, ces hommes ont Ă©tĂ© essentiels, et le sont encore pour identifier les membres de Boko Haram. »
MENACES ET DEMANDES DE RANĂON
AU NORD- OUEST
Dans le mĂȘme temps, au nord-ouest du Nigeria, une autre zone dâinsĂ©curitĂ© sâest ouverte. Quasiment Ă la mĂȘme pĂ©riode que celle oĂč Boko Haram commençait Ă causer des ravages dans le Borno. De faible intensitĂ© dâabord, avec des cycles dâattaques et de reprĂ©sailles dans de petites communautĂ©s rurales de lâĂtat de Zamfara. Puis le phĂ©nomĂšne a pris de lâampleur ces cinq derniĂšres annĂ©es pour dĂ©border sur les Ătats voisins (Sokoto, Kebbi, Katsina et Kaduna).
Des groupes criminels impliquĂ©s dans des enlĂšvements de masse contre rançon, des vols Ă main armĂ©e, des vols de bĂ©tail, des viols et autres violences sexuelles, des pillages dâexploitation agricole et de mines. Ă lâhĂŽpital Turai de Katsina, Mariam range son linge
dans un sac plastique. AprĂšs deux semaines dâhospitalisation avec son nourrisson, cette maman dâĂ peine vingt ans vient dâobtenir lâautorisation de rentrer dans son hameau dans la pĂ©riphĂ©rie de Batsari â une localitĂ© Ă la lisiĂšre de la forĂȘt de Rugu, une bande vĂ©gĂ©tale transfrontaliĂšre sâĂ©tendant sur prĂšs de 220 km entre le Niger et une partie de lâĂtat de Katsina au Nigeria. Ă partir de cette zone composĂ©e de bois, collines et grottes, des groupes criminels hantent les populations des Ătats de Katsina, Zamfara et Kaduna Alors Mariam prĂ©fĂšre attendre le lendemain pour voyager trĂšs tĂŽt le matin. « On vit avec la peur permanente des bandits, raconte la jeune femme. Ils peuvent essayer de nous dĂ©rober notre argent, et si on nâen a pas, ils nous tuent. Je suis venue en transport en commun et on a pu arriver jusquâĂ Katsina. Un jet de combat militaire patrouillait Ă faible altitude CâĂ©tait plus facile pour nous de venir. Les bandits ne nous ont pas inquiĂ©tĂ©s. Mais parfois, ils attaquent, alors on court dans la brousse pour nous cacher » Mariam, ses quatre enfants et son mari ne peuvent quitter leur hameau faute de moyen. Et surtout par manque de relations pour tenter de construire une nouvelle vie dans une zone urbaine telle que BatsariâŠ
Cette famille arrive encore Ă accĂ©der au lopin de terre quâelle cultive Car avec une dizaine de voisins, ils ont pu rassembler les 200 000 nairas (lâĂ©quivalent de 112 euros) rĂ©clamĂ©s en guise de sĂ©same par le groupe de bandits rackettant leur zone. Depuis 2014, entre 500 000 et 700 000 personnes dans le nord-ouest du Nigeria ont Ă©tĂ© chassĂ©es de leurs terres Ă cause de lâinsĂ©curitĂ©.
Le gouvernement fĂ©dĂ©ral nâa pas encore dĂ©crĂ©tĂ© de plan dâurgence pour rĂ©pondre Ă cette crise humanitaire. Les bandits sont particuliĂšrement violents, nâhĂ©sitant pas Ă tuer leurs captifs lorsque les rançons ne sont pas payĂ©es. Les enlĂšvements ne sont pas seulement une charge Ă©motionnelle pour les familles ; ils ont Ă©galement un impact Ă©conomique durable sur les mĂ©nages du Nord-Ouest, qui, statistiquement, comptent dĂ©jĂ parmi les plus pauvres du Nigeria.
OU NON Depuis 2019, plus de 94 000 NigĂ©rians se sont rĂ©fugiĂ©s dans la rĂ©gion de Maradi, au Niger, en jouant sur leurs alliances familiales, Ă cause de lâexplosion de la violence au nordouest de leur pays Le mari de Mariam a envisagĂ©, lui aussi, de traverser la frontiĂšre avec sa famille. Mais devant les rĂ©ticences de son Ă©pouse, il a renoncĂ© momentanĂ©ment Ă cet exode. « Nos enfants sont trop jeunes, se justifie Mariam. Et puis, nous ne pouvons pas abandonner notre terre comme ça Câest vrai que câest dur de devoir passer par des chemins et des routes oĂč lâon croise ces bandits en permanence. Mais je suis de Batsari. Et je ne me vois pas vivre ailleurs » â Ă
Câest lâune des prioritĂ©s de lâag enda prĂ©sidentiel.
Le se cteur emploie 35 % de la population, avec dâimmenses oppor tunitĂ©s Et cherche Ă se moderniser en pariant sur la te chnologie, mais aussi sur lâutilisation, contestĂ©e par certains, dâOGM, pour mieux sâadapter aux conditions naturelles par MoĂŻse Gomis
Maria et Blessing, dâun geste mĂ©canique mais prĂ©cis, Ă©pluchent des tubercules de maĂŻs Ă©talĂ©s devant elles. Câest la pĂ©riode de la rĂ©colte. Comme ces deux trentenaires, chaque jour depuis la fin octobre, elles sont une bonne centaine dâouvriĂšres agricoles Ă rejoindre Foburg, une exploitation de 22 hectares gĂ©rĂ©e par Green Eden Farms, Ă une trentaine de kilomĂštres de la ville de Jos. Assises cĂŽte Ă cĂŽte, les deux femmes sont chaudement vĂȘtues. Car un vent frais descendant des collines voisines souffle dans cette partie orientale de lâĂtat de Plateau, limitrophe de celui de Bauchi Bonnet rouge sur le crĂąne, survĂȘtement noir et sneakers marron, Theophilus Maimako montre lâexemple. Le fondateur de la start-up effectue aussi des tĂąches de manutentionnaire. Personne nâest priv ilĂ©giĂ©, ici. Surtout lorsque le maĂŻs ne demande quâĂ ĂȘtre Ă©vacuĂ© Ă Jos, Ă moins dâune heure de route. Avec quatre compagnons, le directeur gĂ©nĂ©ral est prĂ©posĂ© au va-etvient pour porter, puis charger les sacs de jute vert et blanc remplis dans le vĂ©hicule
utilitaire Ă benne : « Cette rĂ©colte est une belle satisfaction, dĂ©clare le jeune homme. Nous enregistrons un pourcentage de perte relativement faible pour le moment Dans lâidĂ©al, il nous faudrait doubler le nombre de bras, car nos pieds de maĂŻs ont bien produit, cette annĂ©e 2024 Et nous espĂ©rons atteindre pour lâensemble de notre exploitation nos trĂšs bons rĂ©sultats de lâan dernier. » En 2023, câest un chiffre dâaffaires de 100 000 dollars que Green Eden Farms a dĂ©gagĂ©, en dĂ©pit des alĂ©as climatiques. Notamment des Ă©pisodes successifs de pluies diluviennes alternant avec de courtes pĂ©riodes de sĂ©cheresse. Les plants de maĂŻs, bien sĂ»r, mais Ă©galement ceux de tomates et de soja ont rĂ©sistĂ© grĂące Ă un appui technologique. Car Theophilus et son associĂ©e principale, Stephanie Meltus, PDG et cofondatrice de la sociĂ©tĂ©, ont conjuguĂ© leurs forces et talents pour dĂ©velopper une application pour smartphone reliĂ©e Ă des capteurs Ă©lectroniques : un systĂšme de micropuces dissĂ©minĂ©es dans les sols Ă lâair libre et dans les bacs placĂ©s dans des serres, permettant en temps rĂ©el de connaĂźtre
Booster lâagriculture, câest aussi lâune des mesures phares pour at teindre lâautosufïŹsance, et surtout gĂ©nĂ©rer des revenus capables de limiter la dĂ©pendance Ă lâor noir.
les besoins de chaque plant en matiĂšre de nutriments, dâeau et de lumiĂšre. Pour dĂ©marrer cette entreprise, les deux tĂȘtes pensantes de Green Eden ont Ă©tĂ© aidĂ©es par leur entourage proche, puis ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de campagnes de crowdf unding via Internet Au Nigeria, des millions dâagriculteurs et dâagricultrices nâont ni lâentregent ni les ressources pour accĂ©der Ă ce ty pe de rĂ©seau. Pourtant, plusieurs administrations, dâOlusegun Obasanjo Ă Muhammadu Buhari, ont affectĂ© des fonds dans le budget fĂ©dĂ©ral pour soutenir des petites et moyennes exploitations agricoles. Au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, la Banque centrale du Nigeria a notamment octroyĂ© des prĂȘts Ă faible taux pour encourager lâinstallation et la mĂ©canisation Et aussi faciliter lâachat dâengrais ou de semence. Depuis lâĂ©tat dâurgence de lâagriculture, dĂ©crĂ©tĂ© par le prĂ©sident Tinubu en juillet 2023, le ministĂšre de lâAgriculture pilote plusieurs programmes en sâappuyant sur les Ă©conomies rĂ©alisĂ©es avec le retrait des subventions au carburant. « Nous avons pour objectif chaque annĂ©e de soutenir la mise en culture de 500 000 hectares, promet le chef dâĂtat Ce sont 500 milliards de nairas Ă terme que nous comptons investir pour soutenir les filiĂšres de riz, maĂŻs, blĂ© et manioc » Booster lâagriculture, câest aussi lâune des mesures phares pour atteindre lâautosuffisance, et surtout gĂ©nĂ©rer des revenus capables de limiter la dĂ©pendance Ă lâor noir
SUCCESS -STORY
Ce soutien aux jeunes agriculteurs et agricultrices, Yemisi Iranloye le voit dâun trĂšs bon Ćil. Cette biochimiste de formation est Ă la tĂȘte de Psaltr y International Limited, premiĂšre entreprise agro-industrielle de transformation du manioc en Afrique. Chaque annĂ©e, elle gĂ©nĂšre un chiffre dâaffaires de 12 millions de dollars. La clĂ© de sa rĂ©ussite : le sorbitol, un Ă©dulcorant Ă base de manioc AprĂšs dix ans dâexpĂ©rience chez Ek ha Agro Processing, une entreprise spĂ©cialisĂ©e dans la fabrication de sirop de glucose, Yemisi quitte Lagos pour sâinstaller Ă Ado-Awaye,
une localitĂ© rurale reculĂ©e dans lâĂtat dâOyo : « On utilisait le manioc pour fabriquer ce sirop, explique la PDG de Psaltr y. Jâavais constatĂ© que les agriculteurs qui fournissaient la sociĂ©tĂ© Ek ha parcouraient 200 kilomĂštres pour livrer le manioc et que, bien souvent, Ă leur arrivĂ©e, au moins 30 Ă 50 % des produits nâĂ©taient pas exploitables Ă cause de la mauvaise conser vation lors du trajet » En 2015, Ă Ado-Awaye, tout est Ă construire : ni Ă©lectricitĂ© ni systĂšme dâeau, et seulement un chemin menant Ă la communautĂ© quasi coupĂ©e du monde. Yemisi a une vision. Elle construit une modeste habitation sur le terrain quâelle a achetĂ© avec ses Ă©conomies, fruit de toute une vie salariĂ©e, avant dây rĂ©sider avec une Ă©quipe dâenviron six employĂ©s Ensemble, ils commencent Ă cultiver la terre. Et en parallĂšle, la cheffe dâentreprise se rapproche de ses voisins, agriculteurs locaux Avec comme objectif dâinciter ces paysans Ă diversifier leur culture du manioc, destinĂ© au fufu ou au garri, pour se concentrer plutĂŽt sur une production Ă des fins industrielles. PrĂšs de dix ans plus tard, avec lâappui de la Banque centrale du Nigeria via deux banques commerciales (FCMB et Prov idus Bank), cinq usines forment dĂ©sormais un complexe industriel, oĂč un relais incessant de camionnettes se dĂ©roule 5 jours sur 7. Un pont a Ă©tĂ© construit par le gouverneur de lâĂtat dâOyo, Seyi Makinde, permettant lâapprov isionnement en manioc sur un rayon de plusieurs dizaines de kilomĂštres auprĂšs de 5 000 familles de producteurs Ă lâintĂ©rieur des bĂątiments de couleur verte trĂŽnent de gros silos oĂč transite toute la matiĂšre premiĂšre avant sa transformation en dĂ©rivĂ©s de haute qualitĂ© (farine, amidon). Cette production attire des clients tels que la multinationale NestlĂ© ou le gĂ©ant local Nigerian Breweries. Lâhistoire de Psaltry sâest accĂ©lĂ©rĂ©e en 2022, avec le lancement de la premiĂšre usine africaine de fabrication de sorbitol, Ă©dulcorant plus connu sous lâĂ©tiquetage E240. En raison de sa faible teneur en calories, il est utilisĂ© dans les aliments sans sucre, les produits pharmaceutiques et les produits dâhygiĂšne
buccodentaire. « Je savais quâil Ă©tait possible dâextraire le sorbitol du manioc, raconte Yemisi. Donc quand Unilever, lâun de mes plus gros clients, mâa indiquĂ© quâau Nigeria, toutes les entreprises agroalimentaires et pharmaceutiques importaient le sorbitol faute de fournisseurs au Nigeria, jâai immĂ©diatement compris que jâavais sous les yeux et Ă portĂ©e de main un marchĂ© inĂ©puisable »
CĂDER OU NON AUX SIRĂNES DES OGMâŠ
Le gouvernement de Bola Tinubu a validĂ© depuis le 11 janv ier 2024 la commercialisation du maĂŻs transgĂ©nique. Ă Zaria, Ado Yusuf dirige lâInstitut de recherche agricole rattachĂ© Ă lâUniversitĂ© Ahmadu Bello. Depuis sa crĂ©ation en 1922, lâIR A est le principal moteur des transformations agricoles au nord du pays. Chaque annĂ©e, ses chercheurs partagent leurs innovations en matiĂšre de labour, de plantation, de dĂ©sherbage, de rĂ©colte des cultures. Et surtout au sujet des semences hybrides « Nous impactons la vie des agriculteurs, se fĂ©licite le professeur Yusuf. Sur ces cinquante derniĂšres annĂ©es, nos recherches, ici, Ă Zaria, ont amĂ©liorĂ© 200 variĂ©tĂ©s Au-delĂ du Nigeria, nos variĂ©tĂ©s dâarachide et de niĂ©bĂ© dĂ©veloppĂ©es au sein de lâIR A sont largement cultivĂ©es par les agriculteurs de la rĂ©publique du Niger, du Mali et du Cameroun. » ConfrontĂ© au dĂ©fi de lâobsolescence de ses Ă©quipements et de ses infrastructures, cet institut centenaire nâen demeure pas moins un centre de recherche reconnu Ă lâinternational. Dans ses collaborations extĂ©rieures au Nigeria, lâIR A de Zaria participe depuis plusieurs annĂ©es au projet TELA Maize, un partenariat publicprivĂ© dont lâobjectif est la commercialisation de variĂ©tĂ©s de maĂŻs transgĂ©nique. Comme les Ă©quipes dâinstituts nationaux de six autres pays du continent (A frique du Sud, Ăthiopie, Kenya, Mozambique, Tanzanie et Ouganda), celles du professeur Yusuf ont mis sur le marchĂ© quatre variĂ©tĂ©s de maĂŻs transgĂ©nique « conçues pour rĂ©sister Ă la fois Ă la sĂ©cheresse et aux infestations dâinsectes ». Cette commercialisation
suscite toujours un vif dĂ©bat au sein de la communautĂ© scientifique, mais aussi dans la sociĂ©tĂ© civile Joyce Brown est la directrice des programmes de la fondation Health of Mother Earth, une organisation de dĂ©fense de lâenvironnement et de la souverainetĂ© alimentaire basĂ©e Ă Benin City. La jeune femme organise sur le terrain des formations autour de techniques de culture sans produit chimique. Son public cible : des agriculteurs dans des zones du Nigeria frappĂ©es par diverses maladies touchant les vĂ©gĂ©taux. Joyce Brown regrette lâintroduction des OGM au Nigeria : « Le Covid-19 nous a donnĂ© la leçon de toujours construire notre Ă©conomie locale en prioritĂ©. Nous devons donc avoir un systĂšme de circuits beaucoup plus courts, dans lequel les agriculteurs locaux contrĂŽlent la production alimentaire, les semences et, bien sĂ»r, la façon dont elles sont plantĂ©es Or, toutes les semences transgĂ©niques actuelles viennent de lâextĂ©rieur du Nigeria, et nous serions donc dĂ©pendants, ce qui ne serait pas bĂ©nĂ©fique pour les petits exploitants agricoles ou pour le consommateur en gĂ©nĂ©ral, Ă long terme. » Les semences du projet TELA Maize sont concĂ©dĂ©es sous licence libre de droits par Bayer CropScience LP (anciennement Monsanto Company) aux partenaires du projet. Au Nigeria, rĂ©aliser plusieurs tests sur les risques, en plus des validations administratives, est obligatoire pour quâun produit alimentaire soit mis sur le marchĂ©. Certains experts scientifiques auraient aimĂ© des dĂ©lais plus longs avant lâautorisation du maĂŻs transgĂ©nique. Ces principes de prĂ©caution et de prudence, le directeur de lâInstitut de recherche agricole de Zaria les comprend : « Pour cette premiĂšre annĂ©e, nous nous contentons de distribuer 3 tonnes de semences pour tout le Nigeria. Il sâagit dâun nouveau domaine scientifique, en particulier en Afrique. Je comprends que des gens aient des doutes par rapport aux organismes gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©s. Moi, je ne me suis pas engagĂ© en tant que chercheur dans lâagriculture pour faire du mal, mais bien pour nourrir des ĂȘtres humains. » â
Ministre des Communications, de lâInnovation et de lâĂconomie numĂ©rique
«
Cadre lĂ©gal, formations, incubateursâŠ
Prendre la tech à bras-le- corps pour devenir un acteur incontournable. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
AM : En novembre 2023, vous avez lancĂ© un programme de formation destinĂ© Ă 3 millions de talents technologiques. Quels premiers rĂ©sultats ? Bosun Tijani : Notre programme « 3 Million Technical Talent », connu sous le nom de « 3MTT », avance bien. Il priv ilĂ©gie lâinclusion, assurant la participation de lâensemble des 774 zones de gouvernement local du Nigeria, et en particulier des communautĂ©s mal desser vies, des femmes et des jeunes. Il sâagit dâune initiative qui a des consĂ©quences significatives, non seulement au Nigeria, mais aussi dans le monde entier Ainsi, lâun des principaux objectifs est de faire de notre pays un exportateur net de talents techniques en matiĂšre de compĂ©tences technologiques recherchĂ©es, Ă lâinstar de ce que lâInde a fait rĂ©cemment 3MTT a Ă©tĂ© structurĂ© en trois phases. La premiĂšre, le Prototy pe, a commencĂ© par 1 % de lâobjectif souhaitĂ©, Ă savoir 30 000 boursiers, et sâest avĂ©rĂ©e trĂšs fructueuse. Nous avons tirĂ© les enseignements et les meilleures pratiques de cette phase pour amĂ©liorer la prestation des formations et lâapprentissage dans la phase 2, le Pilote, qui est axĂ©e sur lâaugmentation du nombre total de boursiers formĂ©s Ă 300 000, ce qui reprĂ©sente 10 % de notre objectif. Une fois cette Ă©tape franchie, nous passerons Ă la phase 3, dâici Ă 2025, afin dâatteindre notre objectif de 3 millions dâici Ă 2027. Les premiers boursiers ont dĂ©jĂ trouvĂ© un emploi et jouent dĂ©sormais leur rĂŽle dans la croissance de lâĂ©conomie numĂ©rique du Nigeria. Nous sommes Ă©galement reconnaissants dâavoir pu Ă©tablir des partenariats avec des organisations telles que IHS Towers, MTN, le PNUD, AWS, Microsof t et dâautres,
tandis que nous constatons Ă©galement un intĂ©rĂȘt accru de la part des entreprises technologiques locales et mondiales pour la formation avancĂ©e et les possibilitĂ©s dâembauche Selon vous , combien de jeunes peuvent ĂȘtre impactĂ©s par le secteur des nouvelles technologies ?
La majoritĂ© (plus de 60 %) de notre population ayant moins de 25 ans, nous nous attendons Ă ce que la technologie joue un rĂŽle important dans la vie de nombreux jeunes NigĂ©rians au cours de la dĂ©cennie Ce potentiel est dĂ» Ă la croissance exponentielle de lâĂ©conomie tech mondiale, Ă la facilitĂ© dâaccĂšs aux compĂ©tences, Ă lâadoption et Ă la consommation croissantes de plates-formes et de serv ices numĂ©riques dans notre pays Actuellement, il y a plus de 4,5 millions dâemplois technologiques non pour vus dans le monde, et environ 30 millions de postes supplĂ©mentaires Ă crĂ©er au cours des quatre prochaines annĂ©es. Nous avons donc la possibilitĂ© de constituer un vivier de talents pour rĂ©pondre Ă cette demande. Par des investissements stratĂ©giques dans lâĂ©ducation, lâintelligence artificielle, lâinfrastructure numĂ©rique et lâinnovation, nous voulons donner Ă nos jeunes les moyens de faire carriĂšre et de tirer parti des opportunitĂ©s Ă©conomiques et de croissance dans le domaine de la technologie. OĂč en est le projet de loi sur lâĂ©conomie numĂ©rique et la gouvernance Ă©lectronique ?
Il est actuellement au stade avancĂ© de lâexamen lĂ©gislatif et devrait ĂȘtre adoptĂ© dans les mois Ă venir Nous sommes en train de le prĂ©senter aux 36 Ătats et au territoire de la capitale fĂ©dĂ©rale, afin dâobtenir de nombreux apports des parties prenantes des secteurs public et privĂ© qui seront concernĂ©s par son adoption Cette consultation inĂ©dite des parties prenantes â la premiĂšre du genre au Nigeria â vise Ă susciter un engagement total, compte tenu du rĂŽle essentiel de lâĂ©conomie numĂ©rique dans le dĂ©veloppement financier. Ce projet de loi permettra de formaliser le cadre de lâinfrastructure publique numĂ©rique et de lâe-gouvernance, de fluidifier lâaccĂšs aux serv ices gouvernementaux et de favoriser lâinnovation en crĂ©ant une clartĂ© juridique autour des technologies Ă©mergentes telles que lâIA, la blockchain et la fintech. Des changements fondamentaux sont attendus,
notamment une meilleure prestation de serv ice pour les citoyens, une plus grande transparence dans la gouvernance et un cadre juridique plus solide pour attirer les investissements Ă©trangers dans le secteur technologique nigĂ©rian. En quoi consiste lâinitiative « DevsInGovernment », qui vise Ă amĂ©liorer la prestation des services publics ?
Lâinitiative « DevsInGovernment » est un Ă©lĂ©ment clĂ© de notre stratĂ©gie visant lâintĂ©gration de lâinnovation technologique dans la gouvernance. Il sâagit dâune communautĂ© qui rassemble des professionnels et des passionnĂ©s de technologie au sein des ministĂšres, des dĂ©partements et des agences gouvernementales, afin de partager les connaissances, de favoriser lâapprentissage, de collaborer et de crĂ©er collectivement des solutions pour la transformation numĂ©rique, en vue dâamĂ©liorer la prestation des serv ices publics. Cette initiative sert Ă©galement Ă mettre en place lâutilisation de la technologie au sein du gouvernement et Ă faire en sorte que les utilisateurs en premiĂšre ligne deviennent ensuite des champions Ă travers lâensemble du gouvernement.
Vous ĂȘtes trĂšs impliquĂ© dans lâarrivĂ©e de lâintelligence ar ti ficielle. Vous avez notamment reçu une subvention de 2,8 milliards de nairas de Google Ă cet ef fet. Co comptez-vous utiliser et rĂ©guler lâ
Nous misons beaucoup sur lâIA et aura sur notre Ă©conomie. Je suis pa du soutien que nous avons reçu de la organisations telles que Google, ma qui a soutenu notre communautĂ© de â AI Collective â avec un financemen dollars. La subvention de Google se mation de jeunes NigĂ©rians, ainsi qu dĂ©cideurs Ă la science des donnĂ©es et est Ă©galement apportĂ© Ă dix start-up travaillant dans lâinnovation en mati dans des domaines tels que la santĂ©, lâagriculture, lâĂ©ducation et les serv ic publics. Nous avons dĂ©cidĂ© de prendr les devants sur la maniĂšre dont elle façonne notre avenir, notamment du
Donner Ă nos jeunes les moyens de faire
carriĂšre et de tirer par ti du domaine de la technologie.
point de vue du Sud global. Nous avons commencĂ© par Ă©laborer notre stratĂ©gie nationale en matiĂšre dâintelligence artificielle en rĂ©unissant des experts dâorigine nigĂ©riane du monde entier travaillant dans le domaine pour cocrĂ©er ce document. Nous avons Ă©tĂ© en mesure dâĂ©tablir clairement une orientation cohĂ©rente pour le travail que nous effectuons, et nous constatons que cela est reconnu par un meilleur classement du Nigeria dans le domaine de lâIA au niveau mondial. Nous soutenons Ă©galement le dĂ©veloppement dâun modĂšle multilingue local Ă grande Ă©chelle, qui facilitera le dĂ©veloppement dâapplications dâIA Tout cela a Ă©galement permis de renforcer nos capacitĂ©s en vue de devenir un centre de talents pour lâIA, en commençant par le niveau de base de lâĂ©tiquetage et de lâannotation, et en dĂ©veloppant progressivement les ensembles de compĂ©tences locales pour devenir compĂ©titifs sur le marchĂ© mondial. Vous dĂ©clarez que lâambition de votre pays est de devenir « un fournisseur mondial de talents dans les technologies ».
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Abritant six des huit licornes africaines, lâĂ©cosystĂšme nigĂ©rian dĂ©diĂ© Ă lâinnovation est une destination de choix % du finanPourtant, truit notre mposĂ© dâun onnels, qui et aux aginez lâimgnificative de fre de talents e mondiale combler t actuel au niveau parvenir, ntentons notre plan nous amĂ©lioent lâaccĂšs Ă haut dĂ©bit et numĂ©riques tre projet 90 000 km es Ă fibres pour comlâinfrastrucistante. â
Solutions de paiement aux institutions financiĂšres, services aux particuliers
Les fintechs sont en plein essor. Et certaines valorisations dépassent déjà le milliard de dollars. par Moïse Gomis
Juste au pied de la passerelle pour piĂ©tons qui traverse lâautoroute Ă trois voies reliant la partie nord dâAbuja et sa proche banlieue, Salatu Ibrahim jongle entre les deux terminaux bleus Moniepoint posĂ©s sur sa petite table en bois
Ses clients sont toujours pressĂ©s et veulent que leur retrait de cash ou leur transfert dâargent soit validĂ© sur lâĂ©cran dâune des machines Ă carte de dĂ©bit quâelle utilise pour fidĂ©liser sa clientĂšle. « Nous nâĂ©tions que trois agents Ă faire des transactions financiĂšres dans ce coin, il y a un peu plus dâun an, raconte Salatu DĂ©sormais, jâai de nombreux concurrents Ma voisine dâen face travaille avec le boĂźtier Ă©lectronique dâOPay. Une autre, Ă cinq mĂštres, fait du Moniepoint comme moi, mais a aussi un terminal mauve PalmPay. »
Au Nigeria, ces terminaux colorĂ©s reliĂ©s Ă des applications ont dĂ©ferlĂ© en moins de dix ans sur le marchĂ© des transactions financiĂšres des particuliers et des entreprises. Les paiements sont instantanĂ©s et vĂ©rifiables sur tout Ă©cran, avec un taux dâĂ©chec moyen infĂ©rieur Ă celui des virements bancaires traditionnels Et surtout une accessibilitĂ© permettant lâouverture dâun compte via un tĂ©lĂ©phone, ainsi que lâobtention rapide dâune carte de crĂ©dit Si la Banque centrale du Nigeria (CBN) tance rĂ©guliĂšrement tel ou tel opĂ©rateur de ce secteur Ă la fois concurrentiel et imaginatif, elle reconnaĂźt aussi le rĂŽle clĂ© quâont jouĂ© ces jeunes
entreprises du numĂ©rique lors de la crise du Covid-19 bien sĂ»r, et surtout celle de la fin 2022 jusquâau premier trimestre 2023, alors que le pays nâavait pas assez de nouveaux billets en service pour satisfaire la demande. Mais si les fintechs nigĂ©rianes ont rĂ©volutionnĂ© ces quinze derniĂšres annĂ©es les pratiques bancaires au sein du pays et du continent, elles ont aussi rĂ©intĂ©grĂ© dans le systĂšme tout un monde habituellement invisible : le secteur informel Avec 37 % et 20 % des parts du marchĂ© des transactions financiĂšres gĂ©nĂ©rĂ©es, les nigĂ©rianes OPay et Moniepoint sont les leaders des POS (points of sale), les points de retrait, de dĂ©pĂŽt et de transfert. La sociĂ©tĂ© PayCom a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e Ă Lagos par le Chinois Zhou Yahui, soutenue par SoftBank Vision Fund et Sequoia Capital China. Sous lâappellation PayCom Nigeria, OPay sâimpose rapidement comme lâapplication fintech la plus tĂ©lĂ©chargĂ©e dans le pays. Son secret : combiner plusieurs services En se diversifiant avec OFood, ORide, OCar, OBus et OKash, OPay jette les fondations de sa croissance exponentielle. OPay garde le sourire malgrĂ© lâinterdiction des okada â ces taxis-motos sans signe distinctif â dans lâĂtat de Lagos, notamment pour des raisons de sĂ©curitĂ©, qui met un terme au service ORide. Car en parallĂšle, ses services monĂ©taires et de paiements mobiles continuent de prospĂ©rer La CBN lui accorde une licence bancaire. La stratĂ©gie
Elles ont révolutionné les pratiquesbancaires, ici et bien au -delà des frontiÚres.
de la start-up fonctionne : son application multiser vice permet dâaimanter les clients sur une plateforme unique, en proposant une solution de paiement Ă des utilisateurs non bancarisĂ©s ou sous-bancarisĂ©s, qui peuvent envoyer et recevoir de lâargent facilement, et payer des factures par lâintermĂ©diaire dâun vaste rĂ©seau dâagents OPay revendique Ă ce jour 35 millions de clients individuels. En plaçant le secteur informel au cĆur de sa stratĂ©gie de dĂ©veloppement, Moniepoint a une trajectoire similaire Ă celle de sa rivale OPay. Mais le chemin parcouru est bien diffĂ©rent. « Aucune autre entreprise de technologie financiĂšre nâa passĂ© comme nous quatre ans Ă comprendre comment le secteur bancaire fonctionne de maniĂšre pratique, et pas seulement thĂ©orique, estime Edidiong Uwemakpan, vice-prĂ©sidente de Moniepoint. Et lorsquâon a dĂ©cidĂ© de se lancer, on Ă©tait mieux prĂ©parĂ©s que quiconque. » Lâaventure Moniepoint dĂ©marre sous le nom de Team Apt en 2015 Aux manettes, six dĂ©veloppeurs basĂ©s Ă Lagos. Sous le leadership de Tosin Eniolorunda et de Felix Ike, tous deux issus dâInterswitch, la premiĂšre licorne africaine lancĂ©e en 2002 Le duo contribue alors Ă la crĂ©ation dâun systĂšme numĂ©rique permettant dâinterconnecter les banques au Nigeria. Quatre autres dĂ©veloppeurs rejoignent Team Apt. En conjuguant les expĂ©riences de chacun, la start-up accouche de deux produits : le terminal de paiement Moniepoint et les comptes virtuels Monify. Une combinaison rĂ©volutionnaire en 2018, alors que la majoritĂ© des banques nigĂ©rianes valident encore manuellement la plupart de leurs transactions. Team Apt devient Moniepoint en janvier 2023 « Nous opĂ©rons sous licence de banque de microfinance, avec la souplesse et lâagilitĂ© dâune banque numĂ©rique, justifie Edidiong Uwemakpan tout sourire. Nous essayons dâatteindre le niveau de crĂ©dibilitĂ© dont jouissent les banques traditionnelles » Des millions de PME, notamment issues de lâĂ©conomie informelle, mais aussi des grandes entreprises, sâenregistrent alors sur les plateformes proposĂ©es par Moniepoint,
attirĂ©es par les possibilitĂ©s de prĂȘts. En 2024, la start-up affiche la santĂ© dâune grande entreprise. Elle dĂ©clare un volume de 800 millions de transactions mensuelles. Et, toujours selon Moniepoint, sur ses machines, transiteraient 17 milliards de dollars par mois, dissĂ©minĂ©s dans chaque recoin du pays. Deux autres fintechs se disputent la troisiĂšme marche du podium des services digitaux de paiements au Nigeria : PalmPay et Kuda Bank, au coude Ă coude pour devenir la prochaine licorne. Mais elles sont encore loin de la sociĂ©tĂ© Flutterwave, cofondĂ©e et dirigĂ©e par Olugbenga Agboola. Avec une valeur estimĂ©e en 2024 Ă 3 milliards de dollars, cette start-up fintech devenue multinationale continue dâattirer les investisseurs. Elle cĂŽtoie et Ă©change avec des mastodontes tels que Visa et Mastercard. En sâappuyant sur une API (Application Programming Interface), Flutterwave est capable de traiter toute forme de paiement. Sans aucune incompatibilitĂ© de systĂšmes ou de services financiers. TestĂ©e et validĂ©e dâabord par des commerçants en Afrique, puis par ceux des marchĂ©s Ă©mergents, cette solution de paiement en ligne compterait pour clients Facebook, Uber ou encore Jumia. Et si Flutterwave a installĂ© son siĂšge Ă San Francisco, aux Ătats-Unis, son cĆur bat toujours depuis ses bureaux de Lagos. Au Nigeria. â
Plus quâunstyle musical, câestunvĂ©ritable phĂ©nom Ăšne de sociĂ©tĂ©por tĂ© pardes tĂȘtesd e file ultrapopulaires. par Okechukwu Uwaezuoke
Cegenre musicalvibrant estnĂ©auNigeria, mais adĂ©finitivement conquis le monde. CaractĂ©risĂ©par un ry thme dy namique, fusion de musiquetraditionnelleyoruba, de jazz, de fuji et de funk,lâafrobeats estdevenuunphĂ©nomĂšne viral. Ălâavant-garde de ce mouvement, se trouvent certainsdes musiciensnigĂ©riansles plus emblĂ©matiques
Ainsi, Wizkid et Davido se sont faitspionniers et lâont prĂ©sentĂ© au mondeĂ travers des featurings avecDrake, BeyoncĂ©ouChris Brown. Pendantcetemps,Burna Boya Ă©tĂ©une indĂ©niable forcemotrice pour la reconnaissancedu genre. Sesalbums Twice As Tall et Af ricanGiant luiont valu unereconnaissance internationale et permisdecollaborer avec desartistescomme Justin Bieber ou SamSmith
Et la nouvelle vaguede talentsqui dĂ©ferle, parmi lesquels se distinguent notammentRema,AyraStarr ou Asake, pousselegenre vers de nouveaux sommets. Le premieralbum de Rema, Rave &Roses,etson EP Ravage, reprenant desĂ©lĂ©mentsdetrapetdemusique Ă©lectronique, tĂ©moignent de sonespritinnovant. La voix soul dâAy ra Starr lâarendueincontournable,tandisque lemĂ©lange unique dâafrobeatsetdef ujidâA sake asucaptiverles foules
LâintĂ©rĂȘtinternational suscitĂ©par lâafrobeats sâexplique parune fusion unique de sons traditionnels et modernes,ref lĂ©tant le richepatrimoineculturel nigĂ©rian.Les icĂŽnes inspirentdejeunesartistesetassoient la puissancemusicaledupaysâsymbole de la fiertĂ© et de lâidentitĂ© africaines.Portraits de troissuperstars de lâafrobeats: BurnaBoy,Rema et Ay ra Starr.
MĂLA NGEZ lâesprit rebelledeFelaKuti, lesv ibrationssoul de BobMarley, le feulyriquedeKendrickLamar,etvous obtenezBurna Boy, la starnigĂ©riane quifaitdes ravages surlascĂšne musicale mondiale !GrĂące Ă unson unique teintĂ© dâafrobeats, de hip-hop, de reggae et de RânâB, cette icĂŽneinternationaleaentamĂ©une ascensionirrĂ©versible. NĂ© en 1991 Ă PortHarcourt, au Nigeria, Damini EbunoluwaOgulu granditdansune famillede musiciens, auxcĂŽtĂ©sdâunpĂšre manageretdâune mĂšre choriste.IlcommenceĂ faire de la musiquedĂšs lâĂąge de dixans,inf luencĂ© parles sons traditionnelsnigĂ©rians, le hip-hop amĂ©ricainetlereggaejamaĂŻcain
Sonpremier single,« Like to Part y» (2013),aallumĂ© lâĂ©tincelle, suiv ideson premieralbum, LIFE (2013), quia consolidĂ©sabasedefansnigĂ©rians.En2017, BurnaBoy signeavecAtlanticRecords et Warner MusicGroup,etles albums Outside (2018) et Af ricanGiant (2019) mettent en valeur songĂ©nie musical, luivalantleBET du Meilleur artisteinternational âprixamĂ©ricain crĂ©Ă© en 2001 parle rĂ©seauBlack Entertainment Television âetune nomination auxGrammypourlemeilleuralbum de musiquedumonde
Ce nâĂ©taitque le dĂ©but: Twice As Tall (2020) remportele Grammy du Meilleuralbum de musiquedumonde en 2021. Love,Damini (2022) fait sonentrĂ©e dans le classement Billboard200,battant desrecords pour lesartistesnigĂ©rians.
Avec un sonafro-fusion trĂšs Ă part, BurnaBoy continue de brĂ»ler lespistes. Un parcours enflammĂ©loindâĂȘtreterminĂ©!
ALORS QUE LE RIDE AU se fermait sur sa tournĂ©e Ă Auck land et Wellington, lâĂ©cho de ses hy mnes afrobeats rĂ©sonnait encore, laissant une marque indĂ©lĂ©bile dans le cĆur des fans nĂ©o-zĂ©landais.
NĂ© Divine Ikubor le 1er mai 2000 Ă Benin City, au Nigeria, Rema sâest dĂ©couvert une passion pour la musique alors quâil Ă©tait lycĂ©en. Il ne savait pas que le mĂ©lange unique dâafrobeats, de hiphop et de RânâB qui caractĂ©rise ses morceaux allait bientĂŽt captiver les foules du monde entier
En 2019, Rema sort « Dumebi », un premier single qui a causĂ© une onde de choc sur la scĂšne musicale locale Mais câest « Calm Down », en 2022, qui le propulse vers la cĂ©lĂ©britĂ©, avec un remix accompagnĂ© de Selena Gomez qui a atteint la troisiĂšme place du classement Billboard Hot 100. Rave & Roses, son premier album, a assis sa position de puissance musicale mondiale, atteignant la 81e place du classement Billboard 200.
Lâancien prĂ©sident amĂ©ricain Barack Obama a inclus la chanson « Yayo » dans sa playlist dâĂ©tĂ© 2024, aux cĂŽtĂ©s dâautres artistes talentueux, tels que Tems et Tyla, tĂ©moignant ainsi de la portĂ©e internationale de sa musique.
VĂ©ritable Ă©toile montante de lâafrobeats, il peut se targuer dâĂȘtre lâauteur du premier album africain Ă avoir dĂ©passĂ© les deux milliards de stream s sur Spotif y. Son st yle musical, mĂȘlant rythmes traditionnels nigĂ©rians et sonoritĂ©s modernes, inspire une nouvelle gĂ©nĂ©ration dâartistes.
Ăgalement connu pour son engagement envers la justice sociale, il a Ă©tĂ© un fervent soutien du mouvement #EndSA RS, qui lutte contre la violence policiĂšre au Nigeria.
Les critiques vantent son talent et son inf luence : Rolling Stone le dĂ©crit comme « un emblĂšme de la montĂ©e en puissance de lâafrobeats Ă lâĂ©chelle mondiale ». The Guardian Nigeria souligne la « dominance de la musique nigĂ©riane sur la scĂšne internationale ». Et ses fans attendent aujourdâhui la suite avec impatience
AV EC UNE VOIX semblable Ă celle dâun rossignol et une incroyable prestance scĂ©nique, la nouvelle sensation nigĂ©riane de 22 ans a explosĂ© sur la scĂšne musicale mondiale, laissant derriĂšre elle une traĂźnĂ©e de records et de fans sous son charme Oy inkansola Sarah Aderibigbe est nĂ©e Ă Cotonou, au BĂ©nin, en 2002, mais a grandi au Nigeria. Benjamine dâune famille de cinq enfants, elle a commencĂ© Ă chanter dans le chĆur de son Ă©glise, oĂč elle a dĂ©veloppĂ© une grande passion pour la musique. Cette talentueuse chanteuse et autrice-compositrice a, en effet, connu un succĂšs fulgurant et est aujourdâhui considĂ©rĂ©e comme une pure artiste du cru.
Son ascension vers la célébrité a été rapide. Son premier EP Away et le single éponyme, sortis en 2021, ont dominé le classement TurnTable Top 50 du Nigeria pendant deux semaines consécutives Son premier album 19 & Dangerou s, également sorti en 2021, a reçu des éloges de la critique et a généré deux tubes dans le Top 40 du pays
Ay ra Starr est aussi une grande passionnĂ©e de mode et a collaborĂ© avec des marques telles que Nike et Adidas. DĂ©fenseuse des droits des femmes et des jeunes, elle a travaillĂ© avec des organisations caritatives pour soutenir lâĂ©ducation et la santĂ© dans les communautĂ©s dĂ©favorisĂ©es.
Son single « Bloody Samaritan » est le premier titre solo féminin à atteindre la premiÚre place du classement
Top 50. Et quand on lui demande son secret pour ĂȘtre aussi douĂ©e, Ay ra rĂ©pond simplement : « Câest le feu qui brĂ»le en moi⊠et un peu de magie bĂ©ninoise ! »
Mais câest « Rush », sorti en 2021, qui la propulse vers la gloire internationale. La chanson a atteint la 24e place des charts au Royaume-Uni et a dĂ©crochĂ© une nomination aux Grammy Awards pour la Meilleure prestation musicale africaine. En 2024, elle sort son deuxiĂšme album, The Year I Turned 21, consolidant ainsi sa position de PremiĂšre dame de lâafrobeats. Ay ra Starr a reçu de nombreux prix et distinctions, notamment le titre de Meilleure artiste fĂ©minine aux Headies Award 2023, un concours de musique crĂ©Ă© en 2006 par le Hiphop World Maga zine pour rĂ©compenser les acteurs de lâindustrie musicale locale, et sâest retrouvĂ©e numĂ©ro trois du classement Next Big Sound de Billboard en 2021. DĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre, son succĂšs brise le plafond de verre pour les artistes fĂ©minines, dans lâafrobeats et au-delĂ . â
Pour cette 15e Ă©dition, de lâancien palais de Justice aux pavillons
et au parcours of f, les artistes se saisissent des grands enjeux de notre temps, entre climat, identitĂ© et mĂ©moire postcoloniale, pour un continent qui se parle en n Ă lui-mĂȘme, sans compromis.
par Sh ir an Be n Ab de rr az ak
En ce dĂ©but de mois de novembre, la capitale sĂ©nĂ©galaise a Ă©tĂ© lâun des Ă©picentres culturels mondiaux avec lâouverture de la quinziĂšme Ă©dition de DakâArt, Biennale de lâart contemporain africain Depuis sa crĂ©ation en 1992, elle sâest imposĂ©e comme une institution phare qui attire tous les regards dans le monde de lâart. LâĂ©dition de 2024 a Ă©tĂ© difficile Ă rĂ©aliser compte tenu de la transition politique Ă laquelle le pays fait face. Son report de six mois, en mai, a eu lâeffet dâun coup de massue, et certains acteurs craignaient de la voir tout bonnement annulĂ©e. Pourtant, Ă la veille des Ă©lections lĂ©gislatives du 17 novembre, dans la chaleur intense post-saison des pluies, DakâArt sâouvrait bel et bien. Et elle a offert aux amateurs et professionnels de lâart du SĂ©nĂ©gal, du continent et du reste du monde une programmation ambitieuse, riche et foisonnante. Sous le thĂšme de lâĂ©veil, « The Wake », Salimata Diop, sa directrice artistique, lâa construite comme on compose un roman ou une sy mphonie. « Parce que nos arbres, notre monde, notre sociĂ©tĂ©, notre jeunesse brĂ»lent », il sâagit de se laisser Ă©veiller par les artistes, de suiv re leur sillage.
Le 7 novembre au matin, dans le Grand ThĂ©Ăątre national, la cĂ©rĂ©monie dâouverture donne le ton : un parterre dâinvitĂ©s prestigieux venus du monde entier assiste Ă la remise des prix qui rĂ©compensent six des 58 ar tistes de la sĂ©lection officielle, entrecoupĂ©e dâintermĂšdes de musique live ravissant un public qui manifeste sa joie dâĂȘtre prĂ©sent. Le Grand Prix prĂ©sidentiel LĂ©opold SĂ©dar Senghor est remis par le prĂ©sident de la RĂ©publique, Monsieur Bassirou Diomaye Faye, Ă lâar tiste martiniquaise AgnĂšs BrĂ©zĂ©phin pour son Ćuv re Au fil de soi(e) Lâoccasion pour lui de dĂ©livrer un discours fort, qui trace les contours dâune politique culturelle ambitieuse et en prise avec les enjeux contemporains : la prĂ©ser vation et la valorisation du
patrimoine culturel, lâĂ©conomie de la culture, le numĂ©rique et le renforcement de la dĂ©centralisation culturelle Un discours qui déçoit certains des ar tistes plasticiens prĂ©sents, murmurant quâils auraient aimĂ© entendre un engagement prĂ©sidentiel plus ferme sur lâavenir de la Biennale ou des promesses dâinvestissement dans le secteur des ar ts visuels. NĂ©anmoins, le programme Ă©noncĂ© est ambitieux, et les dossiers et chantiers semblent maĂźtrisĂ©s. Leur avancĂ©e pourrait renforcer sensiblement lâĂ©conomie crĂ©ative du SĂ©nĂ©gal et donner au pays une place de tĂȘte de file rĂ©gionale sur ces questions importantes de dĂ©veloppement Ă©conomique, social et territorial â en Ă©cho aux thĂšmes de la Biennale.
La visite inaugurale des pavillons nationaux se tient Ă la suite de la cĂ©rĂ©monie dâouverture, au musĂ©e des Civilisations noires. Ă peine quelques centaines de mĂštres Ă parcourir pĂ©niblement sous un soleil accablant⊠Lâimpressionnante bĂątisse, monumentale et ultramoderne, accueille dans une fraĂźcheur climatisĂ©e les pavillons sĂ©nĂ©galais, cap-verdien et amĂ©ricain. Une fois dans le pavillon sĂ©nĂ©galais, lâĆil est tout de suite attirĂ© par une gigantesque tapisserie colorĂ©e de cinq mĂštres : lâĆuv re de Manel Ndoye, intitulĂ©e PortĂ©e cult urelle, illustre une scĂšne liĂ©e aux traditions de la pĂȘche de la tribu des LĂ©bous, et a obtenu plus tĂŽt le Prix du maire de la ville. Cette Ćuvre est en dialogue avec celle dâAlioune Diagne, ancien Ă©lĂšve de Manel Ndoye aujourdâhui chez Templon, qui prĂ©sente sous le format dâune peinture hiĂ©roglyphique une autre scĂšne de pĂȘche. Le sujet pourrait sembler anodin ou pittoresque si lâon ignorait les ravages Ă©conomiques, Ă©cologiques et sociaux que la pĂȘche industrielle provoque sur le littoral sĂ©nĂ©galais. Un rappel quâune scĂšne innocente peut en dire beaucoup. Lâattrait est fort de la part des visiteurs, qui virevoltent dâune Ćuvre Ă lâautre et se photographient avec les ar tistes prĂ©sents ou devant leurs Ćuvres
Pendant la Biennale, la ville de Dakar vibre au diapason de lâar t. En effet, plus de 450 manifestations ar tistiques ont Ă©tĂ© recensĂ©es dans le cadre du of f. La ville Ă©tait donc parcourue dâamateurs dâar t dâici et dâailleurs, qui allaient dâune exposition Ă un talk et sâĂ©changeaient les bons plans. Des galeries et des projets ar tistiques dâautres pays ont aussi posĂ© leurs valises dans ce temps of f pour participer Ă lâeffervescence ar tistique Câest le cas de la galerie Christophe Person (Paris), qui a pris possession du Jardin tropical, au nord, pour y faire une proposition sur le thĂšme de la ville, oĂč lâon pouvait retrouver des Ćuvres des ar tistes sĂ©nĂ©galais Mamady Seydi et Fally Sene Sow ou encore Nyaba LĂ©on Ouedraogo (artiste burk inabĂš ayant aussi participĂ© Ă lâexposition internationale du in).
Câest le cas aussi de lâexposition intimiste « Animal Kingdom », montĂ©e dans la maison dâhĂŽte Casa Mara. Celle-ci explore la nature humaine et les dy namiques sociales Ă travers des Ćuvres du Tunisien Slimen El Kamel, sensible coloriste (prĂ©sent dans le in), du trĂšs cinĂ©matographique congolais nĂ© aux USA Bayunga Kialeuka, et du camerounais Franck Kemkeng Noah, qui se joue des codes de lâhistoire de lâar t pour interroger la place de lâAf rique dans le milieu. Cette exposition est montĂ©e par le Kloser Ar t Projects, un programme nomade dĂ©diĂ© Ă lâar t contemporain dâavant-garde, mettant en avant des ar tistes af ricains et de la diaspora, fondĂ© en 2018 par Klaus Pas, commissaire et collectionneur.
Pour ajouter Ă la dy namique et continuer de faire perdre le nord aux amateurs dâar t perdus dans cette prof usion
Ab doulaye
Ko natĂ© pose deva nt so n Ću vre in Ă©d ite
Ho mm age aux chas seu rs du Ma nd é #4, présenté e lo rs de la Bi enn ale p ar la O H Gal le ry
dâexpositions, cette annĂ©e, la 13e Ă©dition du « Partcours », qui regroupe 33 espaces, est organisĂ©e en sy nergie avec le of f Câest dans ce cadre que OH Galler y â qui, par ailleurs, reprĂ©sente Oumar Ball, prĂ©sent dans le in â propose une Ćuvre inĂ©dite dâAbdoulaye KonatĂ©, qui poursuit le travail entamĂ© il y a prĂšs de trente ans sur les chasseurs du MandĂ©. Cet hommage, dans le contexte de la Biennale, illustre la façon dont les traditions anciennes rĂ©apparaissent et se transforment face aux dĂ©fis actuels, et tĂ©moigne de la place
que trouvent les valeurs, les pratiques ancestrales et leur signification dans un contexte de crise moderne. Il faut aussi aller visiter la galerie Selebe Yoon : proposant trois expositions dans un espace incroyable, elle sert Ă©galement de rĂ©sidence, Ă la fois pour les ar tistes et pour la recherche et la curation. Des fenĂȘtres de la galerie, une trĂšs belle lumiĂšre rase les toits jaunes de la ville sous les piaillements des oiseaux qui passent et repassent, omniprĂ©sents Lâune des expositions prĂ©sentĂ©es Ă©tait celle du SĂ©nĂ©galais
ArĂ©bĂ©nor BassĂ©ne, Ă©galement prĂ©sent dans le in de la Biennale. Et puis, Laurence MarĂ©chal, figure historique de la ville de Dakar, grande voyageuse et collectionneuse, femme de culture, a ouvert les portes de son petit paradis de verdure en plein cĆur du Plateau, Ă une rue de la place de lâIndĂ©pendance, pour donner Ă voir sa collection, ses meubles glanĂ©s çà et lĂ sur le continent tout au long de ses aventures Elle propose Ă©galement des ateliers dâar tistes quâelle coordonne encore, les ateliers Nylanou.
Enfin, un lieu particulier propose lâexposition « Cartographie sensible », montĂ©e par le commissaire
Theo Petroni, oĂč lâon retrouve les Ćuvres des ar tistes Kareoba, Deborah Metsch, Benjamin Monteil et Uda Niane. Il sâagit de la Maison Eiffage, espace inaugurĂ© en 2022 et qui a vocation, nous dit Maimouna DĂšme, responsable communication dâEiffage SĂ©nĂ©gal, dâhĂ©berger la collection des Ćuvres dâar t du groupe, qui sâengage dans la promotion de la culture et des ar tistes sĂ©nĂ©galais depuis plus de vingt ans. Un Ă©crin pour montrer une belle sĂ©lection aux employĂ©s de la structure, mais Ă©galement au grand public
Le cĆur de la Biennale se trouve dans lâancien palais de Justice de Dakar, au cap Manuel. LâĂ©dif ice emblĂ©matique coupe le souffle par sa stature et ses volumes. Câest dans ce laby rinthe br utaliste constr uit en 1957 par Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut que va se dĂ©ployer une proposition ar tistique puissante, oĂč lâesthĂ©tique se marie Ă la politique et oĂč le conceptuel est incarnĂ© par des techniques et des langages plastiques forts et ancrĂ©s dans les traditions. Cinq expositions, une bibliothĂšque haptique, lâinstallation dâun grand tĂ©moin Il est possible de sây perdre au sens propre comme au figurĂ© pendant des jours. Tout commence dans le pĂ©rist yle, ancienne salle des pas perdus aux 99 colonnes et au patio central empli dâarbres Il est occupĂ© par des installations monumentales saisissantes. Celle de lâar tiste mauritanien Oumar Ball sâintitule Dialog ues et est une sculpture en assemblage de tĂŽles, fers et autres mĂ©taux, qui reprĂ©sente une hyĂšne aux prises avec trois vautours, dont lâun se tient sur un globe : mĂ©taphore puissante Ă la rĂ©sonance politique forte en ces temps oĂč nous semblons encerclĂ©s partout de charognards.
Ensuite, visite de la bibliothĂšque haptique, lâun des espaces les plus Ă©tonnants du in Une grande salle emplie de vidĂ©os, dâobjets du quotidien, dâĂ©lĂ©ments ar tisanaux venus des quatre coins du continent. Un espace Ă explorer, mais oĂč lâon est aussi invitĂ© Ă toucher, Ă©couter, expĂ©rimenter
bi bl ioth Úqu e hapti qu e, « es pace ra dic al de m ém oire et de ré si
Ex posi ti on de s com missai re s invitĂ© s, « On sâar rĂȘtera qu and la te rre ru gi ra ». Ic i, Ću vres de Cl Ă©o ph Ă©e R.F Moser et Beya Gill e Gacha.
LĂ©on Ouedraogo ? Les lettres Ă la mer de la Tunisienne Faten Rouissi ? Le parcours floral tissĂ© et parf umĂ© de la Marocaine Ghizlane Sahli ? Tellement dâĆuvres dialoguant entre elles, exprimant des choses de ce monde qui nous entoure. Nous plongeant dans leur sillage⊠Et pour tant, lâessentiel Ă retenir ne rĂ©side peut-ĂȘtre pas dans les thĂ©matiques abordĂ©es, que lâon peut retrouver au grĂ© des diffĂ©rentes expositions et foires dans le monde. Non, lâessentiel est probablement le fait que, pour une fois, les ar tistes af ricains parlent de ces sujets, abordent ces thĂ©matiques, ensemble, entre eux, pour eux et pour nous. Sans se prĂ©occuper du regard de lâOccident et de son jugement sur ce quâils ont Ă en dire Sans avoir Ă adapter le discours, le propos, le concept, pour plaire Ă cet Autre avec lequel il est de plus en plus complexe dâentretenir des rappor ts Ă©quilibrĂ©s, compte tenu des thĂšmes dont il est question. Le climat, ses dĂ©rĂšglements, lâidentitĂ©, sa constitution, son dĂ©veloppement, la migration, la colonisation, ce non-dit, la post-colonisation, cette inachevĂ©e⊠Tout cela est, dans cette Biennale, manifestĂ© et incarnĂ© par des Ćuvres produites par des Af ricains du nord au sud, de lâest Ă lâouest.
autrement. Salma Kossemtini, lâune des curatrices, membre de lâĂ©quipe dâArchive Ensemble â qui a conçu cette bibliothĂšque â nous explique que câest un espace radical de mĂ©moire et de rĂ©sistance, oĂč la remĂ©moration se libĂšre des modes traditionnels pour explorer de nouvelles façons de toucher le savoir. Livres, tissus et objets divers y cohabitent pour inviter le visiteur Ă se connecter, au-delĂ du texte imprimĂ©, Ă une mĂ©moire collective et sensorielle, cĂ©lĂ©brant ainsi une Af rique qui communie avec son histoire et ses rĂ©cits Les enfants Ă©taient au comble du bonheur dans cette salle oĂč ils Ă©taient enfin invitĂ©s Ă interagir avec ce quâils percevaient.
De ces heures dâerrance dans les mĂ©andres de lâancien palais de Justice, que retenir ? La Chapelle aux mains coupĂ©es de la kĂ©nyane Wangechi Mutu, grand tĂ©moin de cette Ă©dition ? Les photos du Burk inabĂš Nyaba
Que ce soit lâexposition internationale et ses quatre chapitres, lâexposition des commissaires, le tour de force magistral en rappor t avec la question du design sur le continent, lâexposition des collectionneurs, lâĆuv re magistrale (Ă la fois glaçante et transcendante) du grand tĂ©moin, lâensemble des Ćuvres offertes au regard, la proposition ar tistique et ses scĂ©nographies composĂ©es avec beaucoup de maĂźtrise, tout cet ensemble grandiose nous habite encore longtemps aprĂšs en ĂȘtre sorti. De trĂšs rares Ă©vĂ©nements ar tistiques sont capables de marquer une rupture. Rares sont ceux Ă©galement dont on peut dire quâils marquent une transition entre un avant et un aprĂšs. Cette Biennale en fait partie. Pour la simple raison quâelle permet peut-ĂȘtre enfin de faire sortir lâar t contemporain crĂ©Ă© sur le continent du ghetto de « lâar t contemporain af ricain ». â
Lâa rtis te kĂ© nya ne Wa ng ech i Mu tu a par ti ci pĂ© Ă cette Ă©d iti on en ta nt qu e gran d tĂ© moin avec son Ćuvre magis trale, Un pa la is en mo rc eaux
inte rv iew
Lâartiste sort un premier album intime, bien dĂ©cidĂ©e Ă tourner la page des blessures du passĂ©, Ă sâĂ©manciper, Ă faire tomber les barriĂšres, Ă sâexprimer pleinement. Une Ćuvre Ă la fois douce, sensible et puissante, le dĂ©but dâun nouveau chemin, dâune nouvelle vie. propos recueillis par So un do us s El Ka sr i
Ă60 ans, SoukaĂŻna Oufk ir signe et autoproduit un prem ier album si ng ulier, nĂ© dâune ex istence marquĂ©e par lâenfermement et dâun besoi n absolu de libertĂ©. La plus jeune fille du gĂ©nĂ©ral marocain Mohamed Oufk ir est emprisonnĂ©e Ă 9 ans avec sa mĂšre, ses frĂšres et sĆurs, ainsi que deux autres personnes sans lien avec leur famille, toutes victimes collatĂ©rales de la tentative de coup dâĂtat de 1972 contre Hassan II. Pendant prĂšs de vingt ans, ils sont enfermĂ©s dans des conditions terribles, jusquâĂ leur libĂ©ration en 1991 Aujourdâhui, elle choisit de relĂ©guer cette histoire au passĂ©. Elle estime avoir dĂ©jĂ tout dit dans son livre, La Vie de vant moi, publiĂ© en 2008 chez Calmann-LĂ©vy DĂ©sormais, elle choisit de parler de musique, de prĂ©sent et dâespĂ©rance. Câest donc Ă travers Dâune vie, lâautre, sorti le 20 septembre dernier, quâelle se raconte sans rancune ni revendication Chaque chanson est une dĂ©claration, une affirmation de la libertĂ© de penser, de ressentir et de dire. Lâopus navigue entre blessures du passĂ© et aspiration Ă savourer pleinement Ses textes
chantent lâamour, les rencontres et ce toi mystĂ©rieux, sy mbole dâune Ăąme sĆur Ă lâesprit libre, comme elle.
Pour SoukaĂŻna, la musique est bien plus quâun exutoire ; câest un refuge, une deuxiĂšme respiration oĂč sa libertĂ© sâexpr ime sa ns compromis. Sa voix, puissa nte et dĂ©sarmante, porte aussi une sagesse, une luciditĂ©. Avec cet album, elle ne cherche ni projecteurs, ni validation, ni pardon, ni excuses. Câest dâabord un cadeau quâelle sâest fait Ă elle-mĂȘme. Et pour ceux qui voudront lâĂ©couter, ils y trouveront une femme qui, malg rĂ© tout, a choisi de rester debout, dĂ©terminĂ©e Ă vivre pleinement.
AM : SoukaĂŻna, vous avez mis prĂšs de trente ans Ă sortir cet album. Qu âest-ce qui vous a finalement poussĂ©e Ă le partager ?
SoukaĂŻna Oufkir : Quelques mois avant de fĂȘter mes 60 ans, je me suis demandĂ© quel cadeau je pouvais me faire Ă moimĂȘme. Et je me suis dit : « Il faut que tu rĂ©alises ton album. »
Pendant des annĂ©es, ce nâĂ©tait pas tant la production des titres qui prenait du temps, mais plutĂŽt lâespoir de convaincre un label ou une maison de disques de me signer. Donc jâĂ©tais dans cette attente-lĂ En parallĂšle, je faisais de la scĂšne Mais en arrivant Ă 60 ans, jâai compris que personne ne sâintĂ©resserait Ă mon travail. Alors, jâai dĂ©cidĂ© de le faire seule, en toute humilitĂ©, avec cette conscience quâĂ la fin, on ne laisse derriĂšre soi quâun souvenir que le temps estompera.
Vous ĂȘtes une jeune chanteuse de 60 ans.
Comment appréhendez-vous cette aventure ?
Avec apaisement. Jâai donnĂ© le meilleur de moi-mĂȘme.
Tous les artistes qui ont contribuĂ© Ă ce projet sont ici remerciĂ©s chaleureusement Jâai accompli ce rĂȘve dâenfant, je vais en rĂ©aliser un autre, car jâai besoin de rĂȘver. Soyons fous : la paix dans le monde, les droits des femmes, lâĂ©mancipation de lâhomme. [Rires.]
Et concrĂštement, comment voyez-vous lâavenir ?
Mon avenir est un prĂ©sent. Demain nâexiste pas encore. Mes chansons vont vivre leur existence. Si elles sont Ă©coutĂ©es, apprĂ©ciĂ©es, partagĂ©es, merci la vie. Si elles ne le sont pas, merci aussi.
Dans vos paroles, on ressent une tension entre ombre et lumiĂšre, Ă©preuve et renaissance, comme dans « Entre- deux », oĂč vous Ă©crivez : « Les mĂȘmes murailles Ă©lĂšvent les mĂȘmes dĂ©rives. » Est- ce que cet album est pour vous une façon de dire « je suis là » ?
Une chanson nâest pas une dĂ©claration de prĂ©sence ou dâabsence ; câest avant tout une inspiration, une histoire que lâon raconte. Mes morceaux me permettent de dĂ©fendre des valeurs en lesquelles je crois. Par exemple, peu de personnes ont compris que celui que vous citez parle de polyamour. La sociĂ©tĂ© nous restreint et multiplie les interdictions, comme une morale qui dĂ©passe les limites de la morale. Je suis une telle amoureuse de la libertĂ© que jâobserve son absence dans toute
« Une ch an son, câest avant tout une in spir at ion, une hi st oi re que lâon racont e. Me s morc eaux me permet tent de dĂ©fend re de s va leu rs en le sq uelles je cr oi s. »
Imag e du c lip de « Si c'était ell e ».
chose. Je suis pour le respect de lâautre, je suis pour le respect de soi-mĂȘme, mais que lâon arrĂȘte de trouver des solutions par lâinterdit ! Nous devrions plutĂŽt Ă©duquer.
Cet album vous a-t- il permis dâexprimer cela ?
Chacune des chansons parle dâun sujet qui me touche, mais sans prĂ©mĂ©ditation ; elles sâimposent Ă moi en fonction de ce que jâai vĂ©cu. Je ressens beaucoup de fr ustration par rapport Ă la notion de libertĂ©. Mais ce nâest pas pour dĂ©noncer quoi que ce soit que jâai enregistrĂ© cet album. La musique mâest vitale. Câest raconter une histoire en trois minutes et laisser chacun en faire ce quâil veut. DĂšs quâun morceau est en ligne, il ne mâappartient plus
Et vous a-t- il permis de dĂ©couvrir quelque chose sur vous -mĂȘme ?
Ce dont jâai pris conscience depuis sa sortie, câest de ma tĂ©nacitĂ©. Je nâai jamais lĂąchĂ©, peu importent les obstacles. Comment Ă©crivez-vous ?
Quand lâinspiration vient. Câest comme une voix intĂ©rieure qui se manifeste sans prĂ©venir. Il y a des refrains que jâai enregistrĂ©s dans le mĂ©tro, avec la chanson dĂ©jĂ formĂ©e dans ma tĂȘte Une fois lâinspiration passĂ©e, il reste le travail : je fignole chaque mot, car je suis trĂšs attachĂ©e au texte, Ă lâĂ©criture.
Que représente ce toi, qui revient souvent dans vos chansons, comme « Il y a toi » ?
Ce sont ces Ăąmes sĆurs que la vie nous permet de croiser, des ĂȘtres avec qui lâon partage des fondamentaux, mĂȘme si lâon est diffĂ©rents Dans ce monde si fragile, il y a encore des gens qui ga rdent les pieds sur terre tout en regardant les Ă©toiles, sans se laisser emporter par la futilitĂ© ou la brutalitĂ©. Je lâai dĂ©jĂ dit, on nâest peut-ĂȘtre pas les plus forts, mais on est nombreux.
Dans « Vis », vous dites : « Le passĂ©, efface- le ; le futur, efface -le ; rien nâexiste que le prĂ©sent. » Est- ce une urgence de vivre lâinstant ?
Câest une forme de luciditĂ©. DĂšs lors que lâon comprend que le passĂ© est Ă sa place et que le futur nâest pas encore lĂ , alors
chaque instant devient une vĂ©ritable urgence. Prendre le temps dâobserver, de ressentir, dâĂȘtre lĂ avec gratitude⊠En somme, il sâagit de vivre aussi intensĂ©ment que possible le moment prĂ©sent.
Dans « Si câĂ©tait elle », vous parlez dâune muse, dâune prĂ©sence idĂ©ale. Que reprĂ©sente-t- elle pour vous ?
Câest un idĂ©al dâamour. Comme une moitiĂ© Je ne dĂ©sespĂšre pas de finir ma vie avec quelquâun qui respectera Ă la fois mes forces et mes faiblesses, qui aimera ce corps qui sâĂ©croule, mon Ăąme qui se bonif ie, mes dĂ©mons jugulĂ©s, ma vie, ses merveilles et son prix en Ă©tendard Quelquâun qui ne rĂ©clame rien, afin de me laisser lâespace de tout lui donner. Et rĂ©ciproquement. Et pourtant, aimer est presque contradictoire avec ma quĂȘte de liberté⊠Ne sommes-nous pas tous faits dâambivalences ?
Lâamour serait ainsi au -dessus de la libertĂ© ?
« Mon cĆur est Ă la fois ma ro ca in et fr ança is. Je nâai mera is pa s que lâon me dema nde de choi si r. Une fois encore, câest ma li bert Ă©. Et si un autr e pays deva it mâac cuei lli r, mon cĆur sera it as sez gr and pour lu i au ssi. »
Quand il interv ient, câest vrai quâil lâemporte⊠Vos textes Ă©voquent souvent la mĂ©moire et la rĂ©silience. Cet album vous aide-t- il Ă apaiser la douleur du passĂ© ?
Jâai un passĂ© qui est ce quâil est, et jâai fait un travail sur moi pour passer de la colĂšre au pardon, et du pardon Ă lâacceptation. Ce nâest pas pour guĂ©rir que je crĂ©e, mais en le faisant, je me rĂ©pare Ma douleur, aujourdâhui, est liĂ©e aux horreurs du monde. Alors, je fais ce que je peux pour dĂ©multiplier mon humanitĂ© et ma bienveillance, comme pour compenser la furie de notre temps.
Les chansons « Entre deux » et « LâAnimal » expriment un dĂ©sir dâailleurs, de sortir des limites. AprĂšs ces annĂ©es de reconstruction, quel est ce dĂ©sir dâailleurs ?
Sâil existait un endroit oĂč la libertĂ© correspond Ă ma vision, jây serais. Comme je ne le connais pas, jâĂ©largis mes libertĂ©s lĂ oĂč je suis Le temps quâil me reste Ă vivre est court, mais je garde espoir que les humains finiront par se tenir debout et penser par eux-mĂȘmes. Sur tous les sujets, mon premier rĂ©f lexe, câest la libertĂ© : celle de penser, de conscience, dâexister pleinement. En tant que femme, câest souvent plus difficile Ă affirmer quâen tant quâhomme, alors je mets deux fois plus dâĂ©nergie Ă la faire respecter. Votre mĂšre semble ĂȘtre une prĂ©sence douce, mais puissante, dans votre vie. Qu âest-ce qui reste de son influence ?
Son Ă©ducation â le plus beau cadeau quâelle mâait fait. Câest un passeport pour la vie. Parfois, jâai lâimpression quâelle est lĂ pour me rappeler ce quâelle mâa transmis Jâai traversĂ© sept ans de deuil, oĂč jâai manquĂ© de souf fle, dâair⊠Jâai manquĂ© de tout, jusquâau moment oĂč je lâai portĂ©e en moi. Dâailleurs, la chanson « Un » en parle. Je la porte comme elle mâa portĂ©e pendant neuf mois. Je lâemmĂšne partout, elle vit tout avec moi, le bon comme le mauvais. Je lâaime. Elle est lĂ , au quotidien, et mâaccompagne dans chaque choix.
Entre le Maroc et la France, oĂč vous avez vĂ©cu longtemps, oĂč balance votre cĆur ?
Mes racines sont marocaines Mon cĆur est Ă la fois marocain et français. Je ne confonds jamais un pays avec son gouvernement. Quand je pense Ă la France, je pense aux amis qui mây ont accueillie, Ă ce que jây ai appris â la laĂŻcitĂ©, les droits et les devoirs. Depuis trois ans, je suis revenue au Maroc, et je savoure ce retour aux sources. Jâhabite Ă Marrakech, une ville oĂč rĂšgnent une magie et une humanitĂ© dont jâai besoin au quotidien. Mais je nâaimerais pas que lâon me demande de choisir. Une fois encore, câest ma libertĂ©. Et si un autre pays devait mâaccueillir, mon cĆur serait assez grand pour lui aussi. Maintenant que lâalbum est sorti, pensez-vous dĂ©jĂ Ă un second projet ou prĂ©fĂ©rez-vous savourer lâinstant ?
Lâenvie est lĂ , câest certain Jâai mĂȘme relancĂ© quelques ar rangeurs que je connais pour travailler sur une nouvelle idĂ©e â complĂštement diffĂ©rente. Mais pour lâinstant, je prĂ©fĂšre ne pas en parler, car ce nâest pas encore concret. Je pensais que cet album marquerait la fin, le point final. Mais dix jours aprĂšs sa sortie, jâĂ©tais dĂ©jĂ en train dâappeler les arrangeurs pour leur proposer de recommencer Donc oui, câest reparti. â DR
LâĂ©crivain sĂ©nĂ©galais, Ă©diteur, Ă©conomiste, et dâautres choses encore, livre un recueil de nouvelles Ă mi-chemin entre ction et autobiographie. Des textes sur lâamour, les liens qui se tissent et se dĂ©tissent, et sur notre solitude fondamentale. Rien de dĂ©sespĂ©rant, bien au contraire⊠propos recueillis par As tr id Kr ivi an re nc on tr e
Les humains sont-ils incapables dâaimer ? Avec son recueil de nouvelles au titre intrigant, Le bouddhisme est nĂ© Ă Colobane, lâĂ©crivain sĂ©nĂ©galais propose une variation mĂ©ditative sur le thĂšme de lâamour, des liens qui sâessou ff lent, sâĂ©puisent, su r la quĂȘte dâabsolu Ă travers lâautre. Se livrant Ă une introspection, ses person nages sont conf rontĂ©s Ă lâĂ©rosion des sentiments, Ă la perte, Ă lâĂ©cueil dâune conception Ă©gotique de lâamour, au deuil, aux carcans sociĂ©taux, aux rendez-vous manquĂ©s. En tirant des enseignements, des rĂ©f lexions de leurs expĂ©riences, de leurs tourments existentiels, ils tentent de se libĂ©rer de leurs illusions, dâapprivoiser leur blessure, la solitude, de cheminer vers un amour plus apaisĂ©, bienveillant et altruiste. Un
apprentissage pour aussi accepter lâimpermanence, la mĂ©tamorphose constante des choses, des af fects, des relations. Ry thmĂ©s par les musiques de Wasis Diop, Cheikh LĂŽ et des arpĂšges cristallins du regrettĂ© Toumani DiabatĂ©, ces textes lumineux et philosophiques puisent dans diverses spiritualitĂ©s pour nourrir son propos.
NĂ© en 1972 Ă Niodior, au SĂ©nĂ©ga l, Felw ine Sa rr est romancier, essayiste, universitaire, musicien, cofondateur de la maison dâĂ©dition Jimsaan, ainsi que de lâĂ©vĂ©nement culturel Les Ateliers de la pensĂ©e Ă Dakar. Professeur agrĂ©gĂ© dâĂ©conomie, il enseigne actuellement les philosophies africaine et diasporique Ă lâUniversitĂ© Duke de Durham, en Caroline du Nord, aux Ătats-Unis Ses essais Af rotopia, plaidoyer pour lâautodĂ©termination de lâAfrique, ou Habiter le monde, qui invite Ă renouveler notre relation avec la communautĂ© du vivant, sont devenus des ouvrages de rĂ©fĂ©rence.
AM : De quelle nĂ©cessitĂ© lâĂ©criture de ce recueil de nouvelles est- elle nĂ©e ?
Felwine Sarr : Câest une rĂ©f lexion de longue haleine, jâai Ă©crit ces textes au fil du temps. Jâai voulu explorer diffĂ©rents aspects sur le thĂšme du lien qui se dĂ©fait, et rĂ©flĂ©chir en creux sur nos idĂ©aux Ă propos de lâamour. La rĂ©flex ion sur les questions spirituelles sâest invitĂ©e. Câest un sujet essentiel de la vie humaine. Souvent, dans notre littĂ©rature africaine, il y a trĂšs peu de place pour lâintime. Mon travail littĂ©raire creuse des questions existentielles et individuelles, des dimensions de la condition humaine, des tensions intimes. Les liens que nous articulons avec les autres sont fondamentaux. Avant dâĂȘtre des ĂȘtres collectifs, on est dâabord des individus. Pourquoi le titre Le bouddhisme est nĂ© Ă Colobane, en rĂ©fĂ©rence Ă ce quartier de Dakar ?
Câest un dĂ©placement. Le bouddhisme est nĂ© en Inde, Ă Bodhgaya, oĂč le Bouddha assis sous un arbre mĂ©dite et atteint lâillumination ; il comprend lâimpermanence des phĂ©nomĂšnes, des choses â le samsara Jâai imaginĂ© que des gamins, assis sur un banc Ă Colobane, ce quar tier trĂšs intense, trĂšs boui llonnant Ă Dakar, observent la vie se faire, se dĂ©faire, les Ă©vĂ©nements naĂźt re, puis disparaĂźtre, cet Ă©coulement, ce flux, cette tran sfor mation incessante des choses Comme si, Ă partir de ce lieu, ils accĂ©daient Ă la sagesse, Ă lâintelligence du monde. Les Ă©crivains recrĂ©ent les mythes, les dĂ©placent, ils font rĂ©cit, ils fabulent. Et puis, mon ami musicien Wasis Diop a grandi Ă Colobane. Pour moi, il est un sage, je le compare Ă un moine bouddhiste. CâĂ©tait ma maniĂšre de lui faire un clin dâĆil, de mĂȘme quâavec sa chanson « Let It Go » Ă©voquĂ©e dans le livre, et qui aborde cette facu ltĂ© Ă la isser couler les choses Lâun de mes personnages souhaite que son Ăąme soit vaste comme un estuaire, af in dâaccueillir ce qui ar rive, ce qui sâen va, le mouvement. Il fait lâexpĂ©rience dâune perte, il essaie de vivre son deuil ; ce chemin passe par lâacceptation que les choses viennent et passent. Câest plus facile Ă dire, Ă Ă©crire, quâĂ expĂ©rimenter dans sa propre existence. La nouvelle « Elyne Road », du nom de ce morceau de Toumani DiabatĂ© qui accompagne le texte, raconte lâĂ©rosion de lâamour, du dĂ©sir.
lâautre ne la voit plus, ne la perçoit plus Elle nâest plus un don, elle devient un dĂ» Le temps peut Ă©roder une qualitĂ© de prĂ©sence. Ce qui mâintĂ©ressait ici, câĂ©tait de montrer que parfois, nul nâest responsable. Il nây a pas de coupable Ă dĂ©signer, cela fait partie de lâĂ©tiolement des choses, câest une thermody namique. Peut-ĂȘtre devrions-nous penser Ă la maniĂšre dont on octroie sa prĂ©sence Câest aussi une rĂ©f lexion sur ce qui sâĂ©puise, sâessouff le, sur le sentiment qui se transforme. Cela fait Ă©cho Ă la mĂ©tamorphose de toute chose. Nous cherchons de la permanence, de lâidentique dans un sentiment qui bouge, affectĂ© par le passage du temps⊠Est-ce raisonnable ? Je questionne ces prĂ©supposĂ©s, ces attentes, ces illusions Ă lâaune de lâexpĂ©rience du rĂ©el.
â Le bouddhisme est nĂ© Ă Colobane, Ă©ditions Philippe Rey /Jimsaan, 112 pages, 17 âŹ, 2024.
â Les lieux quâhabitent mes rĂȘves, Gallimard, 2022.
â La Saveur des derniers mĂštres, Philippe Rey, 2021.
Lâhabitude, le quotidien y mĂšnent-ils inexorablement ?
Jâinterroge la quot idien netĂ© du couple, en mobi lisa nt notamment cette idĂ©e rencontrĂ©e chez le philosophe François Jullien et lâĂ©crivain Pascal Quignard : une prĂ©sence se dĂ©sactive lorsquâelle est donnĂ©e de maniĂšre habituelle, routiniĂšre ;
Le texte « Teibashin » narre une relation amoureuse contrariĂ©e par une vision traditionnelle du mariage et illustre la tension entre la pression sociale, familiale et lâaspiration au bonheur, Ă la libertĂ© de lâindividu⊠Câest une grande question. Les sociĂ©tĂ©s ont organisĂ© les cadres de la conjugalitĂ©, des foyers familiaux pour que des gens se marient, fassent des enfants, les Ă©duquent et participent Ă la construction de la sociĂ©tĂ©. GĂ©nĂ©ralement, la fable que la sociĂ©tĂ© raconte, câest que ce lieu a Ă©tĂ© conçu pour que les gens soient heureux. Mais celui-ci est surtout configurĂ© pour la reproduction sociale. Les individus sont pris en tension entre le dĂ©sir de stabilitĂ©, de permanence, et celui dâĂȘtre profondĂ©ment eu x-mĂȘmes, heureu x. La conjugalitĂ© est-elle le lieu de lâĂ©panouissement ? On peut imag iner des tentatives pour la rĂ©inventer. Quâest-ce quâun amour qui se dĂ©ploie sous la tutelle du rega rd social ? Da ns les histoi res de couples, gĂ©nĂ©ralement, un certain nombre de difficultĂ©s proviennent du groupe â lequel a configurĂ© ces formes, et enjoint les individus Ă sây pl ier. Une scĂ©nog raph ie est dĂ©jĂ lĂ , et chacun doit y tenir un rĂŽle Ce sont des relations que le groupe autorise et norme. Bien souvent, les tensions dans un couple vien nent du fa it de devoir rĂ©pondre Ă des injonctions concernant des questions intimes, dâune part, et nouvelles, dâautre part : un couple devrait pouvoir imaginer son propre modĂšle relationnel. Mais la sociĂ©tĂ© se pose en garante, elle surveille, el le sa nc tion ne Elle est coercitive Câest une thĂ©matique ancienne : comment faire du cadre conjugal un lieu Ă©panouis-
Ta ble ro nd e autou r de lâou vrag e Peup le de lâea u, dâIssa Da ma an Sa rr (a u centre) anim Ă©e par Fel w in e Sa rr (Ă droi te) et Mo ham ed Mbouga r Sa rr (Ă ga uc he).
sant ? Je ne suis pas sûr que la plupart des couples soient heureux dans cette forme-là .
Est- ce pour cette raison que votre narrateur dĂ©clare : lâamour nâest pas fort ? Car, parfois, il ne gagne pas face Ă ces conventions sociales ?
Il y a cette idĂ©e-lĂ , en ef fet. Mais jâinvite aussi Ă rĂ©f lĂ©chir sur ce que lâon prĂ©tend appeler amour. Le texte Ă©voque cet amour profondĂ©ment Ă©gocentrĂ©, portĂ© sur la satisfaction de ses besoins, qui peut utiliser lâautre pour rĂ©pondre Ă ses propres fins psychologiques. Cet amour nâest pas fort, car il est incapable dâaltruisme. Tandis que lâamour avec un grand A est une quĂȘte infinie, vertigineuse et presque impossible pour nos petites humanitĂ©s. Nous sommes pris dans ces tensions. Les fictions que nous racontent les chansons populaires, les roma ns amoureux, est- ce vrai ment la rĂ©alitĂ©, le vĂ©ritable amour ? Nous devons le repenser.
Lâamour est- il avant tout amour de soi, comme vous lâinterrogez ?
Câest lĂ oĂč le bouddhisme est intĂ©ressant : il a une conception bienveillante de lâamour, faite de compassion, dâĂ©largissement de lâesprit, moins centrĂ©e sur lâego, ouverte Ă la pluralitĂ©, au souci du bien pour autrui. Ăv idemment, câest fondamental de sâaimer, dâĂȘtre prĂ©occupĂ© de son bien Ă soi, mais on ne peut pas sây limiter. Il y a peut-ĂȘtre un dĂ©placement Ă opĂ©rer entre les besoins individuels et les besoins de la relation, en matiĂšre de gĂ©nĂ©rositĂ©, dâaltruisme. Câest une tĂąche difficile, et je ne prĂ©tends pas donner des leçons Câest un espace Ă interroger Lâamour est- il une « fausse appellation dâune complexion Ă©gocentrĂ©e qui se raconte la belle histoire de lâĂ©lan vers lâautre », comme vous lâĂ©crivez ? Souvent, on aime
« La solitude est une part essentielle de notre ex istence, apprenons Ă vivre avec, renonçons Ă lâillusion quâautrui comblera nos besoins. »
avant tout lâimage flatteuse que lâautre nous renvoie de nous- mĂȘmes ?
La question de lâego est centrale, cette nĂ©cessitĂ© dâĂȘtre un sujet individuel, de sâaccomplir, de rĂ©pondre Ă ses propres besoins. Et en mĂȘme temps, nous devons lutter contre lâobsession narcissique, lâimage flatteuse, des questions complexes auxquelles la relation nous expose. Le lien Ă autrui est aussi un chemin dâapprentissage sur soi ; il doit mener au progrĂšs spirituel. On apprend beaucoup Ă travers le miroir que lâautre nous renvoie, y compris sur des dimensions inconnues de nousmĂȘmes, dont on nâa pas vraiment conscience. Câest lâoccasion de les regarder et de faire un travail Ă ce sujet. Doit-on comprendre qu âaucune relation ne peut
combler le manque constitutif Ă tout ĂȘtre humain ?
En effet. Depuis les my thes antiques court cette grande illusion : la rencontre avec lâautre nous comblerait. On serait incomplets Ainsi, on cherche lâĂąme sĆur, on cherche sa moitiĂ©. Il y a aussi ce dĂ©sir de retourner dans le ventre de sa mĂšre, de retrouver lâunion primordiale. Or, nous sommes des ĂȘtres de lâincomplĂ©tude Il faut lâappr ivoiser. La solitude est une part essentielle de notre existence, apprenons Ă vivre avec, renonçons Ă lâillusion quâautrui comblera nos besoins. Câest un chemin vers une relation plus juste, plus saine. La bĂ©ance est constitutive de notre identitĂ©, aucune relation ne viendra la colmater. Il sâagit dâessayer dâapprendre Ă faire la paix avec ça. Lâamour finit- il toujours par manquer sa promesse ?
Câest toute la complexitĂ© du sentiment amoureux et des tensions quâil rĂ©vĂšle : tout individu mĂšne une quĂȘte dâabsolu, mais est-ce raisonnable de le chercher au sein dâune relation humaine ? Câest un exercice dĂ©licat de luciditĂ©, car il ne faut pas non plus verser dans le cy nisme, manquer Ă la prĂ©sence de ce sentiment, prĂ©dire sa fin, ne pas le vivre pleinement Cela dĂ©pend aussi de quel ty pe dâamour il sâagit : si câest lâamour avec un petit a, tournĂ© vers nos ego, alors il manquera sa promesse. Mais si lâego est conscient de la qualitĂ© du lien Ă autrui, avec bienveillance, quâil accepte lâimpermanence des choses, quâil a fait la paix avec ses illusions, peut-ĂȘtre que lâamour peut tenir sa promesse.
Pourtant, lâamour est aussi « la forge dâoubli du rĂ©el », Ă©crivez-vous.
Oui, il sublime le rĂ©el, il transporte Pendant un temps, on habite ce lieu, on aime colorer le rĂ©el de la teinte de notre choix. JusquâĂ ce que ce rĂ©el nous rattrape. Tant que câest une illusion consentie, dont on a conscience, il nây a pas de problĂšme, on accepte de la vivre comme telle. Le problĂšme est de prendre cette illusion pour vĂ©ritĂ©, rĂ©alitĂ©. Qu âest-ce que « vivre au -dessus de ses moyens existentiels », pour citer vos mots ?
Parfois, il arrive que lâautre nous comble, nous fournisse de lâĂ©nergie vitale Il devient alors notre ox ygĂšne â une idĂ©e trĂšs prĂ©sente dans les romans et les chansons. Mais câest le comble de lâillusion. On vit alors au-dessus de ses moyens existentiels. Ce nâest pas un rappor t juste au monde et au x choses, car quand lâautre nâest plus lĂ , on croit que lâon ne peut plus vivre ni respirer. Or, on devrait pouvoir compter sur nous-mĂȘme pour lâĂ©lan de vie, et ne pas reporter cette responsabilitĂ© sur autrui.
Que reprĂ©sente la musique pour vous, au cĆur de ces textes ?
Câest lâune de mes pratiques artistiques. Et les musiciens font partie de mon espace spirituel, esthĂ©tique et mental. Je voulais rendre hommage Ă ceux qui me sont chers â Wasis Diop, Toumani DiabatĂ©, Cheikh LĂŽ. La musique suggĂšre lâimmatĂ©riel, lâineffable, lâindicible, elle nimbe lâatmosphĂšre. Jâai voulu convoquer ces ambiances, ces trames, ces lieu x, ces
« La béance est constitutive de notre identité, aucune relation ne viendra la colmater.
Il sâagit dâessayer dâapprendre Ă faire la paix avec ça. »
formes esthĂ©tiques et les enlacer. Les sentiments sâexpriment diffĂ©remment Ă travers la vibration, le texte musical. Elle a cette capacitĂ© Ă nous faire passer « de lâautre cĂŽtĂ© de la rĂ©alitĂ© », dites-vous.
Les et hnomusicolog ues lâont bien mont rĂ© : la premiĂšre forme de savoir nâest pas le texte Ă©crit, mais le texte musical. Les premiers hommes ont chantĂ© avant de parler, pour communiquer des messages importants (recherche de lâeau, prĂ©sence de prĂ©dateurs, etc.). La musique est un outil de savoir, de connaissance, un espace vibratoire qui communique une prĂ©sence Ă travers lâonde Elle touche Ă des Ă©tages profonds de lâĂȘtre.
Pourquoi est- ce important pour vous de cultiver différentes spiritualités ?
Jâai eu la chance de grandir dans une famille musulmane, qui prĂŽnait une ouverture Ă dâautres traditions spirituelles. Jâai Ă©tudiĂ© dans des Ă©coles privĂ©es catholiques. Le patrimoine spirituel de lâhumanitĂ© est si riche ; on peut nourrir sa rĂ©flexion Ă plusieurs sources sans avoir le sentiment de trahir sa tradition. On nâest mĂȘme pas obligĂ©s de sâidentifier de maniĂšre absolue Ă un vocable, une appellation. Lire les grands maĂźtres soufis ou bouddhistes, mĂ©diter sur les grands mystiques chrĂ©tiens ne peut ĂȘtre que bĂ©nĂ©fique dans cette quĂȘte.
De quelle maniĂšre votre enfance sur lâĂźle de Niodior, dans le Sine -Saloum, vous a-t- elle forgĂ© ?
On hĂ©rite des lieux que lâon habite et que lâon frĂ©quente. Ces gĂ©ographies physiques deviennent des gĂ©ographies mentales et spirituelles. Jâai eu la chance dâhabiter un lieu dâune beautĂ© naturelle extraordinaire, fait dâeaux, de bras de mer, de bolongs [chenaux dâeau salĂ©e, ndlr], de palĂ©tuviers, de terre aussi. La prĂ©sence de ces Ă©lĂ©ments mâaffecte et a sans doute Ă©veillĂ© mon dĂ©sir de voyager, de circuler
Comment sacraliser notre rapport au monde, aux autres, et ĂȘtre plus bienveillants ?
Câest lâun de nos grands dĂ©fis : nous devons qualifier au mieux ces liens que nous articulons avec la communautĂ© du vivant, sans laquelle nous ne pouvons vivre. On a Ă©tĂ© Ă©duquĂ©s Ă devenir des extractivistes, des prĂ©dateurs, Ă transformer toute chose en objet pour notre profit Ăv idemment, les besoins nĂ©cessaires de la vie doivent ĂȘtre comblĂ©s. Mais nos dĂ©fis Ă©cologiques, sociaux, culturels et politiques sont aussi liĂ©s Ă cette rationalitĂ©. LâAfrique produit moins de gaz Ă effet de serre que les autres, elle nâest pas trĂšs industrialisĂ©e, elle dĂ©vaste moins. Des cultures africaines traditionnelles rurales entretiennent un rapport de nĂ©gociation aux Ă©cologies premiĂšres, au biotope. Ces ressources existent dans nos sociĂ©tĂ©s, on doit les envisager, les prĂ©ser ver ; elles peuvent rĂ©pondre aux besoins Ă©conomiques tout en portant un soin Ă lâenvironnement. Les deux peuvent aller de pair. Il y a ce grand rĂȘve dâindustrialiser lâAfrique pour rattraper un soi-disant retard. Ainsi, dans de nombreux projets dits « de dĂ©veloppement », la question Ă©cologique nâest pa s cent ra le. Cer ta in s revendiquent mĂȘme le droit Ă polluer plus pour accĂ©der aux bienfaits de la civilisation techno-industrielle. Je ne suis pas sĂ»r que ce soit le chemin du progrĂšs.
Comment gardez-vous lâĂ©quilibre dans ce monde violent ?
Nou s vivons de s te mp s cr Ă©puscu la ir es, ma is nous ne de vons pa s abdiquer. Notre tĂąche dâĂ©c riva in est peut-ĂȘtre de trouver les mots qui font sens, qui apaisent et redonnent espoir
Nous devons refuser la nuit dĂ©finitive, et trouver les raisons qui maintiennent la lueu r. Ăt re lucide est une tension douloureuse : câest ne rien attendre du monde, mais aussi ref user lâobscur itĂ©. Comment redonner du sens aux choses, Ă lâhumanitĂ©, face Ă tant de dĂ©vastation, comme ces 50 000 morts Ă Gaza ? Je pense Ă Camus : comment peut-on consentir Ă lâabsurde ? Câest une grande tĂąche. Devant un tel dĂ©ferlement, que peuvent les mots ? Ils sont dĂ©risoires, mais aussi essentiels.
importantes envers ce dernier, qui en est Ă ses dĂ©buts ; il faut lui laisser le temps dâavoir une majoritĂ© Ă lâAssemblĂ©e, dâavoir tous les leviers pour mener sa politique. Quels sont les enjeux de votre maison dâĂ©dition Jimsaan ?
Nous recevons beaucoup de demandes, on ne peut pas toutes les absorber La coĂ©dition avec Philippe Rey du roman de Moha med Mbouga r Sa rr La Plus SecrĂšte MĂ©moire de s hommes, couronnĂ© du prix Goncourt en 2021, a jetĂ© la lumiĂšre sur Jimsaan. Nous voulons rester une maison exigeante, qui consacre du temps aux textes, et ne pas croĂźtre trop vite. Nous publions des essais, liĂ©s Ă lâhistoire intellectuelle, politique et culturelle africaine, qui dialoguent aussi avec dâautres rĂ©gions du monde, comme lâAmĂ©rique latine. Mohamed Mbougar Sarr dirige notre collection de romans, faisant la part belle Ă des voix singuliĂšres du continent et dâautres lieux.
Qu âobservez-vous auprĂšs des jeunes plumes que vous lisez ? Et quels conseils leur donneriez-vous ?
Le s je unes autr ic es et aute ur s sâĂ©ma ncipent des injonc tions fa ites Ă ce que lâon appelle la littĂ©rature af ricaine. Ils embrassent des questions trĂšs diversifiĂ©es sur le monde actuel. Le seul conseil que je me permettrais de leur donner, câest de rester fidĂšle Ă lâexigence dâĂ©criture, de travailler inlassablement son texte, son propos, de rĂ©Ă©cr ire, de se cu lt iver LâĂ©c ritu re est un chem in de forge, qui grandit dans lâincessant ouvrage. Parfois, des mĂ©tĂ©orites comme Mohamed Mbougar Sarr font irruption et sâabattent sur la planĂšte littĂ©raire â il est un gĂ©nie, dotĂ© dâune maturitĂ© exceptionnelle. Mais le chemin classique de lâĂ©criture est lent et patient. Des jeunes ont le dĂ©sir dâĂȘtre cĂ©lĂšbres, dâavoir du succĂšs rapidement, de faire le buzz, et ne travaillent pas assez leur texte. Le succĂšs ne se commande pas. Il peut arriver, vous surprendre, mais câest la passion de lâĂ©criture qui est fondamentale. Vous enseignez aux Ătats-Unis. Comment vivez-vous lâĂ©lection prĂ©sidentielle de Donald Trump ?
Comment observez-vous la vie politique sénégalaise, avec ce nouveau président Bassirou Diomaye Faye élu en mars 2024 ?
Nous sortons de trois annĂ©es extrĂȘmement difficiles. La dĂ©mocratie sĂ©nĂ©galaise a Ă©tĂ© profondĂ©ment remise en cause, chahutĂ©e. Câest une rĂ©volution dĂ©mocratique : avec lâaide de sa jeunesse, le pays a rĂ©ussi Ă Ă©v iter lâinstabilitĂ© en Ă©lisant dĂ©mocratiquement un prĂ©sident. Les attentes sont lĂ©gitimes,
Câest comme un mauvais remake. Une grande inquiĂ©tude est palpable dans le pays chez ceux qui ont votĂ© pour les dĂ©mocrates. La dĂ©mocratie fait face Ă de grands dĂ©fis, car elle ouvre la voie aussi Ă des populismes, des extrĂ©mismes. Une grande rĂ©f lexion est Ă mener Ă ce sujet : comment peut-elle promouvoir une personnalitĂ© comme Trump, en dĂ©pit de ses propos xĂ©nophobes, racistes, sexistes, complotistes, Ă lâopposĂ© de lâhumanisme et des valeurs de progrĂšs ? â
inte rv iew
Poétesse, essayiste, animatrice, et désormais autrice.
Un premier roman oĂč sa prose sublime le courage fĂ©minin de sâaf rmer, dâaller Ă lâencontre de lâordre Ă©tabli. Ă la gure ctionnelle dâAndoun se superpose celle de sa grand-mĂšre, Ă qui elle rend hommage dans un texte Ă©mancipateur et plein dâespoir.
propos recueillis par As tri d Kr iv ia n
Elle a composĂ© son nom dâĂ©c riva ine Ă pa rt ir des patronymes de sa mĂšre et de sa grand-mĂšre : pour KiyĂ©mis, lâimport ance de la lignĂ©e â not amment fĂ©minine â est une Ă©vidence. PoĂ©tesse, essayiste et romanciĂšre française dâorigine camerounaise, nĂ©e Ă Paris en 1992, elle a grandi en rĂ©gion parisienne. AprĂšs des Ă©tudes dâhistoire, cette militante afrofĂ©ministe signe un recueil de poĂšmes, Ă nos humanitĂ©s rĂ©voltĂ©es (MĂ©tagraphes, 2018), ainsi que des textes dans la presse et sur son blog, « Les Bavardages de KiyĂ©mis ». Son essai, Je suis votre pire cauchemar ! (Albin Michel, 2022), tente de dĂ©construire les normes de beautĂ© pour aller vers lâacceptation de tous les corps. PrĂ©sentatrice de lâĂ©mission en ligne « Rends la joie » sur Mediapart, elle participe Ă des confĂ©rences en France et Ă lâĂ©tranger, et anime des ateliers dâĂ©criture. InspirĂ© du parcours de sa grand-mĂšre, son premier roman, Et, refleurir (Philippe Rey, 2024), retrace lâĂ©popĂ©e haletante dâune femme libre, insoumise, Ă©mancipĂ©e, qui refusera tout au long de sa vie de se conformer Ă un rĂŽle prĂ©Ă©tabli et dĂ©jouera les carcans auxquels on tentera de lâassigner. De son enfance au village de Nyokon, dans le Cameroun des annĂ©es 1950, jusquâĂ Douala puis la France, de son dĂ©sir empĂȘchĂ© dâĂ©tudier Ă celui dâouvrir un salon de beautĂ©, de ses dĂ©sillusions amoureuses Ă son engagement corps et Ăąme pour Ă©duquer sa fille, Andoun doit braver les obstacles dâune sociĂ©tĂ© conser vatrice, patriarcale, affronter les difficultĂ©s matĂ©rielles, le regard de lâautre, confrontĂ©e aussi au racisme dans lâHexagone. Gagnant son indĂ©pendance Ă la sueur de son front, refusant dâentrer dans le rang et dâĂ©pouser un homme quâelle nâaime pas, la protagoniste, en rupture avec le modĂšle fĂ©minin
attendu, croit au pouvoir de ses rĂȘves : face Ă lâadversitĂ©, ils lui donnent la force dâinventer de nouveaux chemins, de rebondir, de crĂ©er une vie hors des sentiers battus, de quĂȘter la lumiĂšre et la joie Ry thmĂ© par des poĂšmes qui ajoutent un souffle, une profondeur, Ă ce texte trĂšs maĂźtrisĂ©, Et, refleurir est finaliste en 2024 du prix Orange et laurĂ©at du prix RĂ©gine Deforges.
AM : Diriez-vous que ce premier roman germe en vous depuis lâenfance ?
KiyĂ©mi s : Enfant, comme jâĂ©crivais sans cesse des poĂšmes, des chansons, des histoires, ma grand-mĂšre mâavait dit : « Un jour, tu Ă©criras mes mĂ©moires ! » Jâai pris cet engagement un peu ma lg rĂ© moi, tout en repoussa nt cette promesse : une fois adulte, jâai compris Ă quel point lâĂ©criture Ă©tait difficile. Jusquâau jour oĂč je rencontre mon Ă©ditrice, qui me propose dâĂ©crire une forme longue. JâĂ©tais terrifiĂ©e de me lancer dans un premier roman, mais je suis trĂšs contente dâĂȘtre arrivĂ©e au bout, dâavoir dĂ©passĂ© ces obstacles. Jâai longuement interviewĂ© ma grand-mĂšre Jâai beaucoup de chance car, convaincue dâĂȘtre spĂ©ciale, elle avait envie de raconter son histoire. Comme je mâentends trĂšs bien avec elle, nos Ă©changes Ă©taient fluides. Toutefois, je nâai pas Ă©crit une biographie ou un tĂ©moignage, mais un roman ; jâai ainsi menĂ© un travail de crĂ©ation, de restitution, choisi un arc narratif, Ă©laborĂ© un fil conducteur. JâĂ©tais emportĂ©e par cette envie de narrer lâĂ©popĂ©e dâA ndoun, une hĂ©roĂŻne Ă la fois ordinaire et extraordinaire par sa capacitĂ© Ă crĂ©er de nouveaux chemins. Je souhaitais proposer un Ă©mer veillement face Ă cette facultĂ©. Le titre, Et, refleurir, Ă©voque ainsi la fĂ©conditĂ©, la qualitĂ© de pouvoir renaĂź tre comme un printemps ?
Oui, câest un hommage Ă la beautĂ© de la renaissance. Je voulais mont rer la capacitĂ© particuliĂšre dâAndoun Ă croire en elle, Ă imaginer, Ă inventer, malg rĂ© les conditions dans lesquelles elle se trouve Choisir dâĂȘtre poĂ©tesse, Ă©crivaine, semble un peu fou quand on vient de ma condition. On a besoin de contes et de my thes pour se rĂ©conforter, sâencourager Jâai donc Ă©crit le rĂ©cit de cette femme extraordinaire. Jâai eu la chance dâavoir cette hĂ©roĂŻne dans ma famille et ce nâest pas donnĂ© Ă tout le monde, donc jâavais envie de le partager. Andoun a eu raison dâĂȘtre ainsi, car aujourdâhui, un roman lui est consacrĂ© ! Elle est prĂ©tentieuse, elle croit quâelle est spĂ©ciale, quâelle aspire Ă mieux, quâelle a droit aux plus belles choses de la vie. Dâautant plus que, nâayant pas Ă©tĂ© Ă©levĂ©e ainsi, rien ne lây prĂ©destinait. Câest ce que lâon rĂ©torque aux femmes quand elles en demandent « trop » : « Vous ĂȘtes prĂ©tentieuses. Vous vous prenez pour qui ? » Ma grand-mĂšre est trĂšs fiĂšre, orgueilleuse, et je trouve ça trĂšs beau. En quoi est- elle en rupture avec les normes de la condition fĂ©minine dans le Cameroun des annĂ©es 1950 ?
Le fait dâaspirer Ă aller plus loin, Ă croire, la rend rebelle. Elle fait des choix de vie inattendus, elle bouge les conven-
Le roman montre quel est le prix dâĂȘtre dĂ©raisonnable, de croire en soi, de ne pas se plier Ă certaines normes.
Dire « non » a des conséquences.
tions. Elle nâest jamais lĂ oĂč on lâattend. Et en mĂȘme temps, elle reste trĂšs attachĂ©e Ă lâappartenance Ă un espace, Ă une famille, Ă un groupe social. Câest important de montrer cette ambivalence. Elle est tiraillĂ©e : comment appartenir quand on a aussi envie de changer les choses ? Câest compliquĂ© de naviguer ainsi. Ă son arrivĂ©e en France, elle veut absolument travailler dans la beautĂ© Or, Ă lâĂ©poque, personne nâimaginait une femme noire incarner, crĂ©er la beautĂ©. Le regard des autres change, elle est obligĂ©e de sâadapter Ă des cases oĂč lâon veut absolument lâenfermer Mais, mĂȘme si elle ne va pas tout rĂ©volutionner, elle va inventer aussi quelque chose autour de ces carcans â des voies pour sa famille, sa fille, et moi, puisque je suis en partie la rĂ©sultante de sa capacitĂ© de crĂ©ation Le mot « rĂ©silience » me fatigue. Jâai lâimpression quâil dĂ©signe cette aptitude Ă accepter les coups, Ă supporter. Tandis que la capacitĂ© de crĂ©ation, câest non seulement encaisser, mais devenir alchimiste ; on crĂ©e Ă partir de ça, on fait quelque chose de nous. Câest plus fort.
Lâune des injonctions qui lui est faite, câest de « se cacher derriĂšre un homme », de sâappuyer sur lui. Son indĂ©pendance fait figure de pionniĂšreâŠ
Elle nâavait pas forcĂ©ment cette idĂ©e en tĂȘte, au dĂ©part, mais elle Ă©tait trop grande pour ces hommes. Ils nâĂ©taient pas suffisants. Câest le fait du patriarcat, dâinstiller chez les femmes lâenvie dâĂȘtre rassurĂ©e par des hommes Or, parfois, pour de multiples raisons, ils ne sont ni rassurants, ni stables, ni fiables ! Alors câest aux femmes de crĂ©er ce sentiment de sĂ©curitĂ© et de sâen saisir Oui, parfois, elle a envie de se reposer sur un homme, mais il est souvent bancal. Et puis, dans les annĂ©es 1970 et 1980, en France, les hommes immigrĂ©s africains Ă©taient empĂȘchĂ©s, ils ne pouvaient pas totalement
Le 8 mai 1980, à Pa ri s, pour la Journé e inte rnational e de s fe mm es, la Coo rd ination de s fe mme s no ires créée en 1976, se ré uni t et marche
rĂ©pondre Ă ces attentes du patriarcat, car leur situation Ă©conomique Ă©tait fragile, instable, avec une volontĂ© aussi de ne pas sâĂ©tablir dans ce pays Et câest important de rappeler quâavant, les femmes avaient besoin dâune autorisation du mari ou du pĂšre pour sortir, voyager, ouvrir un compte bancaire. Face Ă ces questions rĂ©elles de subsistance, le parcours et la crĂ©ativitĂ© de ma grand-mĂšre et dâAndoun sont dâautant plus admirables.
Le rĂȘve est un moteur, aussi un outil de connaissance, par fois un lieu spirituel, voire mystique. Pourquoi ?
La langue du spirituel, de lâĂ©sotĂ©rique, est prĂ©sente Ă la fois chez ma grand-mĂšre et chez Andoun. Câest important, sinon on ne comprend pas pourquoi elle croit autant, pourquoi elle ne sâeffondre pas. Parfois, la foi dĂ©passe la raison â câest inexplicable. Jâai tentĂ© de mettre en poĂ©sie lâirrationnel qui la traverse, la maintient. Si la raison ne peut pas expliquer ce quâelle vit, y donner un sens, il existe dâautres outils. En tant que poĂ©tesse, ce langage de lâonirisme mâest familier. Je voulais mettre en lumiĂšre la puissance de lâirrationnel, sa beautĂ©, sa nĂ©cessitĂ©. Andoun est une femme qui veut absolument vivre selon ses rĂȘves, ses envies. Ce nâest pas un acquis. On ne sâattend pas Ă ce quâune femme comme elle se tienne debout ; elle est censĂ©e ĂȘtre invisible, immobile et donner sans recevoir. Le livre Ă©voque, notamment Ă travers des poĂšmes, la guerre dâindĂ©pendance du Cameroun (1955 Ă 1971).
Pourquoi ?
Elle fait partie de lâhistoire de mon hĂ©roĂŻne. Mais pour cette gĂ©nĂ©ration, cette guer re est recouverte dâun silence,
dâune chape de plomb. Mon pĂšre et ma grand-mĂšre ne mâont racontĂ© cette pĂ©riode que trĂšs rĂ©cemment. Encore trĂšs jeune Ă lâĂ©poque, ma grand-mĂšre nâavait pas vraiment conscience des enjeux et de la rĂ©alitĂ© des Ă©vĂ©nements. Câest moi qui les ajoute dans le rĂ©cit, aprĂšs avoir effectuĂ© des recherches. En tant que descendante du Cameroun, Ă©tant nĂ©e et ayant grandi en France, jâai voulu comprendre pourquoi on parle le français Ă 6 000 kilomĂštres de lâHexagone. Ă lâĂ©cole, on mâavait enseignĂ© que la dĂ©colonisation en Af rique subsahar ienne sâĂ©tait faite de maniĂšre pacifique â un Ă©lĂ©ment positif aux yeux du professeur â, Ă lâopposĂ© de celles de lâAlgĂ©rie et de lâIndochine. En menant mon propre apprentissage, jâai bien vu que câĂ©tait faux. DĂšs 1945, de grandes rĂ©voltes, des contestations ont soulevĂ© ces peuples et ont Ă©tĂ© rĂ©primĂ©es par des massacres. Toutes ces questions sont en toile de fond, car elles tĂ©moignent de ma volontĂ© de diff user ce savoir auquel je nâai pas eu accĂšs pendant longtemps. Ma grand-mĂšre est nĂ©e en 1958, dans un Cameroun encore colonisĂ©. Cela explique beaucoup de choses, notamment le rappor t Ă la blancheur : comme Andoun est plus claire de peau, elle est valorisĂ©e, ce qui facilite un peu son accĂšs Ă certaines richesses, certains mĂ©tiers. Ce systĂšme colonial structure la sociĂ©tĂ© dans laquelle elle Ă©volue. Comment vit- elle son arrivĂ©e en France ?
Elle fantasme la France comme un outil pour ensuite affirmer son pouvoir au Cameroun. Mais quand elle arrive, elle se rend compte quâil faut tout recommencer. Elle fait face Ă la rĂ©alitĂ© : le gris, la duretĂ© de la vie, la pĂ©nibilitĂ© du travail, le
racisme, le froid Elle admire les vitrines des magasins, mais est aussi conf rontĂ©e Ă de nombreu x obstacles en tant que femme noire et immigrĂ©e dans ces annĂ©es oĂč le racisme est trĂšs ancrĂ©. On peut ĂȘtre facilement isolĂ©e. Il faut sâaccrocher. On ne lui dĂ©roule pas le tapis rouge ! Jâavais envie de montrer Ă quel point câest une femme qui se bat, qui ne se laisse pas faire. Il faut encore trouver en soi les capacitĂ©s de changer de voie, dâidentifier dâautres solutions. Câest admirable. On trĂ©buche beaucoup, et on crĂ©e de la joie aussi â beaucoup de fĂȘtes, car il faut aussi rĂ©animer les braises. Que reprĂ©sentent les fĂȘtes dans le roman ?
Dans un pays oĂč lâhumanitĂ© des personnes, du fait de leur couleur de peau, de leur statut administratif, est remise en question, faire la fĂȘte les remet en connexion avec leur droit au bonheur, Ă la joie, Ă la rĂ©union, Ă lâamour. Câest aussi le moment des solidaritĂ©s. Les liens sont ambivalents, ambigus, part iculiers, diff iciles parfois, mais ils demeurent. Et câest nĂ©cessaire pour Andoun. Contrairement Ă nous qui naissons dans un monde individualiste, lâidĂ©e de la communion, de la communautĂ©, du collectif persiste.
Elle nâa pas le luxe de se plaindre, Ă©crivez-vousâŠ
Elle sâest battue pour quâon ait ce luxe de se plaindre. Mais elle, elle ne le peut pas. Elle a tellement de choses Ă rĂ©aliser, et si peu de temps !
Elle a cette urgence Ă crĂ©er, Ă espĂ©rer, Ă grandir, Ă surv iv re. Elle occupe un trava il di ffici le, cont ra inte Ă des hora ires compliquĂ©s ; elle est partagĂ©e entre deux continents, effectue des va-et-vient. Elle a ses espoirs, ses rĂȘves, sa fille, sa famille â elle fait partie dâun vrai continuum dans lequel, si tu as rĂ©ussi, tu dois aider les autres qui demeurent dans une situation compliquĂ©e.
Sa mÚre lui assÚne cette phrase forte : « Ma fille, tu es un homme. »
Qu âest -ce que votre grand- mĂšre vous a transmis ?
MĂȘme si on se ressemble beaucoup, jâai plus peur quâelle Mais jâessaie dâĂȘtre un peu plus arrogante, câest-Ă -dire de croire en moi. Au vu de mon ascendance, jâai le droit de croire en mes rĂȘves â jâen ai mĂȘme le devoir ! Je viens dâune famille de rĂȘveurs, de survivants, de guerriers. Ma maniĂšre de perpĂ©tuer cet hĂ©ritage est de croire, dâĂȘtre poĂ©tesse, crĂ©atrice. Ma grandmĂšre mâa lĂ©guĂ© cette foi. Je me sens alignĂ©e avec cet hĂ©ritage. Je voulais lâoffrir aux autres, leur dire : croyez en vous ! Quâat-on Ă perdre ? En tant que femme noire, grosse, pas « fille de », je ne suis pas censĂ©e ĂȘtre arrogante â câest un peu un caprice, un cadeau, un petit luxe que je vais chercher chez les priv ilĂ©giĂ©s pour me lâoffrir ! Câest une rĂ©paration Si on prend conscience de notre ascendance, notre legs, nos traumas, nos richesses, nos langues, notre magie, nos trĂ©sors, nos cartes, on a le droit dâĂȘtre capricieux, on est mĂȘme censĂ©s ĂȘtre arrogants ! Câest juste que quelque chose nous est volĂ© â notre sociĂ©tĂ© hiĂ©rarchisĂ©e considĂšre que seuls les hommes blancs, riches, occidentaux peuvent ĂȘtre des gĂ©nies, des hĂ©ros, capricieux Vous a-t- elle aussi appris lâar t de la joie ?
Andou n es t alor s da ns une position oĂč el le devient la person ne qui ra mĂšne les re ss ou rc es . Câes t el le qu i va Ă lâavent ure, qu i se bat, qu i entreprend, pu is envoie lâar ge nt Ă sa fa mil le . Le s femmes ne sont pas censĂ©es remplir ce rĂŽle Le roman montre quel est le prix dâĂȘtre dĂ©raisonnable, de sortir de ce qui est attendu de nous, de croire en soi, de ne pas se plier Ă certaines normes. Dire « non » a des consĂ©quences LâindĂ©pendance et la crĂ©ativitĂ© ont un coĂ»t Parfois, on sacrifie quelque chose sans le savoir sur le moment. Et parfois, on pense se libĂ©rer mais en fait, on entre dans une autre case aux yeux des autres !
Oui ! Ătre en abondance, en joie, en gratitude, danser, câest mon hĂ©ritage familial ! Les membres de ma famille ont vĂ©cu tellement de choses difficiles quâils sont trĂšs facilement en joie. Ma grand-mĂšre mâa appris Ă voir le beau, lĂ , tout de suite. Câest une ressource prĂ©cieuse. Ă 20 ans, jâĂ©tais trĂšs en colĂšre contre la sociĂ©tĂ©. Puis jâai basculĂ© dans la joie, afin de rester intĂšgre, pour ne pas ĂȘtre trop abĂźmĂ©e par cette vie. Câest une maniĂšre de se guĂ©rir, de gĂ©rer lâexistence. Ma mĂšre me disait toujours : « Nâaie pas peur ! Vas-y, ma fi lle ! Nâoublie pas la joie ! » Mes parents mâont donnĂ© le droit de me pe rd re un pe u, je nâĂ©tais pas obligĂ©e dâĂȘt re parfaite. Pour eux qui ne sont pas riches, mâautoriser Ă me lancer dans lâĂ©criture, me laisser cet espace pour ĂȘtre moi-mĂȘme, câest un vrai cadeau Quel est le pouvoir de la fiction ? Elle nous permet de cr Ă©er de s chem in s, de modeler la rĂ©alitĂ©, la transformer. Elle donne beaucoup de place pour imaginer dâautres voies, aimer, faire monde. Câest un superpouvoir fondamental pour lâĂȘtre humain, mais qui nous est volĂ©. Certains pensent que crĂ©er est rĂ©servĂ© Ă une Ă©lite. Câest faux ! On nâest pas obligĂ© dâĂ©crire un liv re, mais crĂ©er fait partie de notre expĂ©rience dâĂȘtre vivant. La fiction est un endroit oĂč lâon se reconnecte à ça, en tant quâauteur, mais aussi que lecteur.
â Et, refleurir, Ă©ditions Philippe Rey, 384 pages, 22 âŹ.
â Ă nos humanitĂ©s rĂ©voltĂ©es, MĂ©tagraphes (2018)
â Je suis votre pire cauchemar !, Albin Michel (2022).
Quelles ont été vos lectures fondatrices ?
Comme par magie, dâElizabeth Gilbert, sur le pouvoir de la crĂ©ation. Ă propos dâamour, de bell hook s, qui a changĂ© mon regard sur ce sentiment Je relis en boucle Orgueils et PrĂ©jugĂ©s, de Jane Austen Jâaime profondĂ©ment lâĂ©criture de LĂ©onora Miano. Ses tour nures de phrases dans CrĂ©puscule du tourment mâont tellement Ă©mue La MĂ©moire amputĂ©e, de Werewere Liking, est exceptionnel, trĂšs fort, trĂšs dur. TrĂšs grande lectrice, ma mĂšre a suiv i des Ă©tudes de lettres ; elle est trĂšs attentive Ă la prĂ©sence des femmes, noires notamment, dans les films, les mĂ©dias, les livres, etc. Elle mâa donc incitĂ©e Ă lire beaucoup dâautrices. Qu âest -ce qui vous a poussĂ©e Ă Ă©crire votre essai, Je suis votre pire cauchemar ?
Ce livre est une tentative pour dĂ©nouer les codes de beautĂ©. Jâobservais que de nombreuses femmes Ă©taient complexĂ©es â mĂȘme les minces Ă la peau blanche. Leur peur panique Ă©tait dâĂȘtre comme moi. Elles avaient tort ! Il faut peut-ĂȘtre dĂ©sactiver ce cauchemar pour nous Ă©vader de cette prison imposĂ©e ; câest important de comprendre dâoĂč il vient. Inscrit en nous, dans nos chairs, il nâest pas individuel. On crĂ©e un rapport de force avec notre corps. On nâest pas en gratitude, on nâa pas conscience de sa beautĂ©, de sa capacitĂ© Ă crĂ©er, et ça nous rend trĂšs docile aussi, apeurĂ©e, exploitable, offerte. On peut venir nous prendre cette valeur
Comment se libérer de ces normes esthétiques ?
Câest trĂšs difficile de se dĂ©faire du patriarcat, de la grossophobie Mais chaque minute oĂč lâon rĂ©ussit Ă mettre Ă distance nos complexes, oĂč lâon se sent belle, pleine et entiĂšre, est un trĂ©sor qui doit nous rĂ©jouir. Il faut savourer ce rĂ©pit. On est la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration de femmes au rĂ©gime ; ce combat, plus ancien que nous, nâest pas acquis. On doit dĂ©sapprendre tant de choses. Au lieu de sâaccabler de ne pas ĂȘt re totalement dĂ©faite des injonctions, on doit considĂ©rer chaque petit pas comme une victoire. Je suis beaucoup moins complexĂ©e quâavant. Il y a beaucoup plus dâespaces, de possibilitĂ©s, de terreaux fertiles Tout cela est trĂšs joyeux !
Comment faire pour arriver à une plus grande variété de représentations ?
Il faut trouver des alliĂ©s. Et notre responsabilitĂ© est de crĂ©er : câest une chance, un priv ilĂšge. Câest aussi la responsabilitĂ© de chacun, pas seulement des personnes noires. La joie de voir que lâhumanitĂ© est vaste, dans ce qui nous rassemble et nous diffĂ©rencie. Je veux Ă©crire dâautres histoires pour que les gens disposent dâun large choix de textes, dâĂ©critures. Câest important, les mobilisations politiques, les revendications, lâengagement dans des associations et des mouvements ; mais au niveau individuel, ma responsabilitĂ© est de me tenir droite et de continuer Ă crĂ©er. Quand je rencontre des enfants, des adolescents, ils peuvent se dire : une poĂ©tesse, une autrice, ressemble aussi Ă une femme noire qui Ă©coute Aya Nakamura ! Ăa Ă©largit lâhorizon.
Quand je rencontre des enfants, ils peuvent se dire : une poétesse, une autrice, ressem ble aussi à une femme noire qui écoute
Aya Nakamura !
Votre double culture est une richesse. Est- ce parfois un tiraillement dâĂȘtre entre -deux ?
CâĂ©tait un tiraillement quand jâavais ving t ans, car on nous demande de faire un choix â ou tu penses que tu dois faire un choix. Aujourdâhui, ce nâest plus du tout le cas, et le livre a beaucoup jouĂ©. La crĂ©ativitĂ© aide, car tout est crĂ©ation.
Tous nos idĂ©aux, nos reprĂ©sentations imposĂ©es, nos idĂ©es sont construits, donc mobiles. Ătre autrice, connectĂ©e Ă ma dimension crĂ©ative, me permet de me dire : « Jâai la place pour ĂȘtre qui je veux »
Comment observez-vous la montĂ©e de lâextrĂȘme droite, en France ?
Nous sommes dans un moment de crispation identitaire. Leurs discours mortifĂšres et dĂ©sespĂ©rĂ©s sont pĂ©tris de peur, dâamertume, avec ce fantasme de fossilisation, de retour au passĂ©. Ce nâest pas du tout constructif. Ils veulent garder le pouvoir, leurs privilĂšges, mais cela tĂ©moigne aussi Ă mes yeux dâune grande insĂ©curitĂ©, dâune peur de la disparition. En tant que fille de personnes nĂ©es dans des sociĂ©tĂ©s colonisĂ©es â « ĂȘtre Ă la marge nous apporte un savoir », pour citer bell hooks â, je peux tĂ©moigner : on nâest pas morts, on est bel et bien lĂ . Jâai envie de dire aux fachos : « Vous nâallez pas mourir DĂ©jĂ , vous ĂȘtes un empire, et si nous, on continue Ă vivre, Ă crĂ©er, Ă ĂȘtre en beautĂ©, Ă aimer, de quoi avez-vous peur ? » Câest avec joie et espoir que lâon change le monde, pas dans lâanxiĂ©tĂ©, lâangoisse et la volontĂ© dâĂ©craser les autres. Cette crispation est une rĂ©ponse Ă une vague trĂšs puissante et importante : on a la chance de vivre Ă une Ă©poque oĂč des voix comme celles de lâafrofĂ©minisme sont plus accessibles sur la place publique. Et cela suscite un large intĂ©rĂȘt, pas seulement chez les femmes noires Câest une belle cĂ©lĂ©bration de lâhumanitĂ© ! â
entret ie n
Il a quittĂ© la GuinĂ©e. Il est venu en France clandestinement. Ă 23 ans, le voilĂ acteur par le meilleur des hasards. GrĂące Ă son rĂŽle intense dans LâHistoire de Souleymane, il obtient un prix dâinterprĂ©tation au Festival de Cannes et se retrouve dans la liste des rĂ©vĂ©lations aux prochains CĂ©sar. Entretien avec un talent pour le moment sans papiers. propos recueillis par Jean -M ar ie Ch az ea u
LâH is toi re de So ul ey ma ne, de Bori s Lojk ine, est lâun des fi lms ma rqua nts de 2024, doublement primĂ© Ă Cannes (pri x du jury et meilleur acteur de la sĂ©lection Un certain regard), et succĂšs Ă la fois cr it ique et public (prĂšs dâun demi-million dâentrĂ©es en France depuis sa sortie en salles en octobre) Avec un inconnu en tĂȘte dâaffiche : un jeune sans-papiers de 23 ans, dĂ©couvert dans le nord de la France oĂč il vit depuis son arrivĂ©e Ă lâĂąge de 16 ans, alors quâil ne parlait que le malinkĂ©. Premier rĂŽle pour Abou Sangare, que la camĂ©ra ne lĂąche pas pendant ce rĂ©cit palpitant des 48 heures de la vie dâun jeune livreur de repas Ă vĂ©lo dans les rues de Paris. Un thriller quasi documentaire dans lequel son personnage doit ruser pour travailler, faute de papiers, et inventer un rĂ©cit convaincant pour obtenir lâasile politique en France, alors quâil est venu clandestinement dâune paisible campagne guinĂ©enne. Lâhistoire de Souley mane finit par rejoindre celle de Sangare Ă la fin du film, mais pendant prĂšs dâune heure et demie, lâapprenti comĂ©dien rĂ©ussit Ă incarner un autre de façon impressionnante GrĂące Ă son charisme, mais aussi au travail rĂ©alisĂ© avec le cinĂ©aste Boris Lojkine, dĂ©jĂ connu pour ses documentaires au Vietnam et ses fictions au Maroc (Hope, 2014) ou en Centrafrique (Camille,
2019). Cette annĂ©e triomphale se termine par un nouveau prix du meilleur acteur remis en novembre par Pierre Niney, prĂ©sident du jury du Premier Prix cinĂ©ma Evok Collection, en attendant peut-ĂȘtre les CĂ©sar, dont la 50e cĂ©rĂ©monie aura lieu le 28 fĂ©vrier : il figure dans la liste des seize comĂ©diens prĂ©sĂ©lectionnĂ©s pour les RĂ©vĂ©lations 2025 du cinĂ©ma français (aux cĂŽtĂ©s du Tunisien Adam Bessa et du SĂ©nĂ©galais Ibrahima Mbaye) Mais Abou Sangare, qui attend toujours une rĂ©gularisation de sa situation administrative â jusquâen octobre, il faisait lâobjet dâune obligation de quitter le territoire français â, ne se projette pas en tant que comĂ©dien Ă plein temps, mĂȘme sâil entend bien profiter de toutes les occasions pour retrouver les plateaux de tournage Il reste tout entier fixĂ© sur son but premier : rester en France et travailler dans la mĂ©canique. La tĂȘte dans les Ă©toiles, mais les pieds sur terre.
AM : Six mois aprĂšs lâaccueil triomphal du film au Festival de Cannes, quel souvenir gardez-vous ?
Abou Sangare : CâĂ©tait une journĂ©e incroyable Je nâoublierai jamais ça, la rĂ©action des gens Mais câĂ©tait aussi trĂšs dur pour moi. Jâavais dĂ©jĂ vu le film une premiĂšre fois avant Cannes, et je ne mâĂ©tais pas du tout reconnu Ă lâĂ©cran ! Et depuis, le film marche trĂšs bien en salles. Que du positif ! Le film a dĂ©jĂ at tirĂ© plus de 50 0 000 spectateurs depuis sa sortie en octobre en France. Vous avez eu lâoccasion de le prĂ©senter lors de dĂ©bats avec le public. Quelles questions revenaient le plus souvent ? CâĂ©tait surtout des questions sur ma situation, comparĂ©e Ă celle du personnage de Souley mane. Je savais quâon allait mâinterroger lĂ -dessus. Et jâen avais parlĂ© avec Boris [Lojkine, le rĂ©alisateur, ndlr] bien avant. Le scĂ©nario, ma situation personnelle, le sujet du film : il fallait savoir rĂ©pondre.
Lâaf fich e du long -m Ă©t ra ge, vĂ© rita ble su cc Ăšs p ub lic et cr iti qu e.
Les questions qui revenaient le plus Ă©taient : câest quoi le rapport entre vous et Souley mane ? Est-ce que la derniĂšre scĂšne raconte vraiment votre histoire ? Je rĂ©pondais : oui, câest mon histoire. Ă la fin du film, Souleymane, aprĂšs avoir appris une histoire Ă raconter Ă lâorganisme qui peut lui accorder lâasile, finit par expliquer les vraies raisons qui lâont poussĂ© Ă quitter la GuinĂ©e. Vous -mĂȘme
ĂȘtes arrivĂ© en France Ă lâĂąge de 16 ans ?
Oui, jâĂ©tais mineur, et jâai demandĂ© que ce soit pris en compte. Puis je me suis concentrĂ© sur mes Ă©tudes jusquâĂ mes 18 ans, et jâai fait une demande de titre de sĂ©jour Ă©t udia nt ca r jâavais une proposit ion de contrat dâapprentissage. Ăa nâa pas Ă©tĂ© possible : je nâĂ©tais pas venu sur le territoire avec un visa Ă©tudiant. Jâai passĂ© mon bac en mĂ©canique et transport routier. Une autre entreprise mâa proposĂ© un CDI, mais ça nâa pas fonctionnĂ© non plus pour des raisons administratives. Jâen suis Ă ma quatriĂšme demande de rĂ©gularisation, en espĂ©rant que ça marche
LâĂ©quipe du film vous aide dans vos dĂ©marches ?
Oui, beaucoup Câest elle qui a tout engagĂ©.
Et le fait dâavoir deux prix Ă Cannes, ça peut aiderâŠ
JâespĂšre ! Câest ce quâon pensait. Mais vu la situation politique en France, ces derniers mois
Et oĂč en est votre situation administrative Ă ce jour ?
Depuis la sor tie du film, le prĂ©fet de la Somme nous a proposĂ© de dĂ©poser une nouvelle demande â câest ce quâon a fait le 10 octobre. Maintenant, on doit attendre. Mon dossier est Ă lâĂ©tude.
Vous ĂȘtes originaire de Conakry ?
Non, je viens de Sinko, dans le sud-est de la GuinĂ©e, Ă la frontiĂšre de la CĂŽte dâIvoire
Vous Ă©tiez parti pour pouvoir payer des mĂ©dicaments Ă votre maman, qui est dĂ©cĂ©dĂ©e depuis, et votre sĆur est toujours lĂ -bas, nâest- ce pas ?
Je nâai plus de contact avec ma sĆur depuis longtemps Mais elle est toujours lĂ -bas, oui. Je parle rarement avec les gens de GuinĂ©e Je ne sais pas pourquoi, mais câest comme ça
Vous avez coupé les ponts avec votre famille ?
Pas coupĂ©, parce que les gens ont mon numĂ©ro. Mais si on ne mâappelle pas, et que moi je nâappelle pas⊠Et puis, ma sĆur a sa propre vie.
Vous ne savez pas si elle a suivi votre succĂšs Ă Cannes ?
Non, je ne sais pas⊠Quelles ont été les réactions en Guinée ?
Du cĂŽtĂ© du gouver nement, ça a Ă©tĂ© bien reçu, mais du cĂŽtĂ© de la population, je nâen sais rien. Peut-ĂȘtre quâon le saura prochainement, puisque des projections devraient avoir lieu dĂ©but 2025 en GuinĂ©e. Alors peut-ĂȘtre quâĂ lâissue de ça, on verra comment les gens rĂ©agissent.
Mais pour lâinstant, vous ne pouvez pas quitter la France pour aller le prĂ©senter.
Non, mais mĂȘme si jâen avais la possibilitĂ©, je nâirai pas en GuinĂ©e.
Vous ne voulez plus y retourner ?
Ce nâest pas que je ne veux plus y retourner, mais il faut dâabord que je me construise une situation ici, en France. Et ce nâest pas ce film qui va me ramener en Afrique. Et au sein de la communautĂ© guinĂ©enne en France, comment votre succĂšs et celui du film sont perçus ?
Je frĂ©quente peu de GuinĂ©ens en France Dans ma ville, Ă Amiens, je nâen cĂŽtoie que deux : la prĂ©sidente de lâassociation qui a per mis dâorganiser le casting et mon colocataire, qui est aussi un ami Que ce soit Ă Amiens ou Ă Paris, câest vrai que les gens mâarrĂȘtent dans la rue pour me dire : « Ah, câest toi, Souley mane ! On tâa reconnu ! » Certains espĂšrent que le film pourra faire Ă©voluer la situation de leur dossier. Câest ce quâon me dit : « Ă travers ton histoire, on va prendre des rendez-vous Ă la prĂ©fecture⊠» Moi, je leur dis : « Allez-y, tentez votre chance, on ne sait jamais ! »
« Pour apprendre une langue, il ne faut pas trop écouter la tienne.
Il faut mettre une musique différente de celle de ton pays. »
Votre parcours a Ă©tĂ© compliquĂ© pour arriver en France. Est- ce que vous diriez aux jeunes guinĂ©ens tentĂ©s par lâexil de partir quand mĂȘme pour tenter leur chance en Europe, ou au contraire de ne pas le faire ?
Je ne dirai rien Moi, je suis parti de mon pays sans demander conseil Ă personne. Donc je ne donnerai pas de conseils. En fait, ce quâil faut dire, câest que la traversĂ©e de la MĂ©diterranĂ©e, ce nâest pas⊠[Il ne termine pa s sa phra se, ndlr.] Si tu ne veux pas avoir de problĂšme, nâappelle pas quelquâun pour dire : « Ah oui, si, ça, ça marche⊠» Parce que sâil sâembarque en mer et perd la vie, alors câest toi qui seras en danger Câest pour ça que je ne veux pas communiquer lĂ -dessus. De toute façon, en GuinĂ©e, Ă part dans mon village, je ne connais pas grand monde. Je nâai que deux amis Ă qui je peux tout dire, et câest ici en France.
Et vous ne suivez pas du tout ce qu âil se passe en GuinĂ©e au niveau politique ? Le changement de constitutionâŠ
Non, pas du tout. De toute façon, la politique ce nâest pas mon truc, et je suis parti de GuinĂ©e Ă lâĂąge de 16 ans, alors que je ne mây intĂ©ressais pas. Et ici, câest pareil. Et puis, dans ma tĂȘte, lĂ oĂč je suis, câest lĂ oĂč je fais ma vie.
Et câest en France, Ă Amiens, que vous faites votre vie, dans la mĂ©canique.
Je suis mécanicien poids lourd.
Pas réparateur de vélo, malgré votre rÎle dans le film ?
Câest pareil ! Le vĂ©lo, câest mĂ©canique. Et je fais du vĂ©lo en dehors du film. Ăa fait sept ans que je vis Ă Amiens et je circule Ă vĂ©lo, parce que câest un moyen de faire du spor t dâabord, et un moyen dâĂ©conomiser aussi. Mais je nâai jamais Ă©tĂ© livreur comme dans le film ! Je nâai jamais livrĂ© un plat, jusquâĂ prĂ©sent.
Votre interprĂ©tation du rĂŽle de Souleymane a Ă©tĂ© saluĂ©e par la critique, par les spectateurs et le Festival de Cannes, qui vous a remis un prix dâinterprĂ©tation. Est- ce que vous souhaitez continuer le mĂ©tier de comĂ©dien ?
Jâai passĂ© trois castings ! Le dernier, câĂ©tait hier, pour une sĂ©rie qui se passe entre le Maroc et lâEspagne. Je ne sais pas encore si jâai le rĂŽle, mais il me faudra des papiers pour pouvoir y aller⊠Si lâoccasion se prĂ©sente, je referai du cinĂ©ma. Mais mon objectif, câest de devenir mĂ©canicien et de rester vivre Ă Amiens Quoi quâil arrive, Amiens sera toujours ma ville. Jây suis arrivĂ© par hasard, et jâai trouvĂ© que câĂ©tait fait pour moi ! Je nâavais pas choisi la France, ni lâAlgĂ©rie, mais quand je suis arrivĂ© en France, jâai tout de suite beaucoup aimĂ© Amiens Ce quâil faut dire, câest que je suis arrivĂ© ici alors que je ne parlais pas le français, et je lâai appris dans cette ville.
Vous nâaviez pas Ă©tĂ© Ă lâĂ©cole en GuinĂ©e ?
Non, je nâavais pas les moyens dâaller Ă lâĂ©cole, et il fallait trouver quelque chose pour le s be soin s mĂ©dicaux de ma maman. Donc je travaillais dans les champs, auprĂšs des vaches, et petit Ă petit sur des projets de mĂ©canique, et les jours de marchĂ©, jusquâen 2016
Votre papa nâĂ©tait plus lĂ ?
Non, je ne lâai pas connu. Jâai Ă©tĂ© Ă©levĂ© par maman
Une femme forteâŠ
Plus que forte mĂȘme, câest bien plus que ça On Ă©tait tous les trois, avec ma sĆur AprĂšs, jâai aussi des demi-f rĂšres pa r mon pĂšre
Quand vous ĂȘtes par ti en 2016, vous vouliez aller en Europe ?
passeurs ! En tout cas, clandestinement, câest impossible On est dâabord arrivĂ©s en Libye. Ensuite, on a pris un Zodiac pour lâItalie, et chacun a Ă©tĂ© orientĂ© dans des villes diffĂ©rentes. Moi, je me suis barrĂ© tout de suite ! En Italie, on vous emmĂšne dans des hĂŽtels, des foyers, mais vous nâĂȘtes pas obligĂ© de rester : si je voulais partir, je pouvais. Et câest Ă ce moment-lĂ que jâai cherchĂ© Ă venir en France
Vous avez traversé la montagne à pied ?
Non, Ă pied, câĂ©tait dans le dĂ©sert. Quand je suis arrivĂ© Ă Milan, jâai rencontrĂ© un monsieur qui mâa beaucoup aidĂ©, jusquâĂ Paris. CâĂ©tait un militaire français
Lâargent que vous avez gagnĂ© en tournant LâHistoire de Souleymane vous a permis de rembourser les passeurs. Oui, câest ce que jâai dit quand on mâa posĂ© des questions dans dâautres interv iews, mais je ne prĂ©fĂšre pas en parler. Ăa doit rester entre le passeur et moi. De toute façon, câest impossible de traverser sans payer. Si tu nâas rien, il faut trouver des solutions.
Non, pas du tout Je nâavais jamais connu lâEurope, en Ă©tant en Af rique. Chez nous, on a lâhabitude de partir pendant les saisons dâĂ©tĂ© : on travaille pour quelquâun qui nous paie, puis on prĂ©pare les cult ures pour la saison des pluies. Câest ce que je voulais faire. Si je suis allĂ© en AlgĂ©rie, câĂ©tait pour travailler un peu et revenir en GuinĂ©e. Sauf que lĂ -bas, je nâĂ©tais pas assez costaud pour le travail quâon me faisait faire : câĂ©tait trĂšs physique et dur pour moi. JâĂ©tais manĆuv re sur des chantiers, je devais pousser des brouettes de sable. Ensuite, des amis mâont convaincu quâil fallait traverser avec eux, alors jâai pris la route. Ăa nâa pas Ă©tĂ© facile, mais bon⊠on y est arrivĂ© Vous avez dĂ» faire appel Ă des passeurs.
Oui. Jâai dĂ» faire comme tout le monde. Tu ne peux pas arriver en Italie sans passer par les pasteurs [Rires.] Enfin, les
Lâacte ur inte rprĂšte un livreur Ă vĂ© lo Ă Pa ri s en qu ĂȘte de rĂ© gularis ation
Maintenant, votre vie est ici, vos dettes sont rĂ©glĂ©es, il ne manque plus que les papiers pour pouvoir voyager. Voyager, non⊠Surtout pouvoir travailler dans un garage ! LâidĂ©e, câest de rester ici, de travailler et de construire ma vie. Et quels liens vous gardez avec la culture guinĂ©enne ?
Aucun. Jâai du mal Ă me prononcer, parce que ma copine, qui est française, me pose la mĂȘme question tous les jours : « Pourquoi tu nâĂ©coutes pas de musique guinĂ©enne ? » Dâabord, je ne parle pas français correctement : or, pour apprendre une langue, il ne faut pas trop Ă©couter la tienne. Il faut mettre une musique diffĂ©rente de celle de ton pays Alors jâĂ©coute du rap français, amĂ©ricain, mais rarement les musiques de chez nous. Si on mâinvite Ă une fĂȘte et si on me demande de mettre de la musique guinĂ©enne, je le fais, mais tout seul non. â
entrev ue
Dans son dernier polar, lâauteur et rĂ©alisateur franco-mauritanien imagine une dystopie brutale, une France en con it avec elle-mĂȘme. Lâoccasion de sâinterroger sur notre nature profonde, nos justi cations et nos dĂ©cisions. propos recueillis par Ca th er in e Fa ye
AprĂšs le succĂšs dâArab Jazz, Grand Prix de littĂ©rature policiĂšre en 2012, traduit dans le monde entier, La Situation ex plore les dĂ©rives politiques contemporaines, en plongeant dans la noir ceur dâune guer re civi le. Dy stopie redout able , le second roma n de lâĂ©c rivain et rĂ©alisateur franco -mau rita nien Ka ri m MiskĂ© rĂ©active les questionnements les plus inquiĂ©tants de notre Ă©poque : les rouages politiques, la violence, lâaltĂ©ritĂ©, lâidentitĂ©, les ultimes zones dâhumanitĂ©. Nous sommes en 2030. Des affrontements entre coalition de gauche et milice dâextrĂȘme droite mettent Ă sac Paris et sa banlieue. Commence alors une traversĂ©e des rĂ©alitĂ©s les plus ardues. Un rĂ©cit, entre polar et anticipation, oĂč lâauteur dâune vingtaine de films documentaires sur des sujets aussi divers que la bioĂ©thique, les nĂ©ofondamentalismes juifs, chrĂ©tiens et musulmans, en passant par la surditĂ©, met en scĂšne des personnages attachants dans un environnement complexe. Une rĂ©f lexion â une alerte ? â sur ce qui pourrait advenir. Rencontre.
AM : Comment vous est venue lâidĂ©e de ce roman ?
Karim MiskĂ© : Elle est nĂ©e au moment de lâĂ©lection prĂ©sidentielle française de 2022 Tout le monde disait que le pays Ă©tait coupĂ© en trois, et lâon entendait parler du risque dâune guerre civile. Ce ty pe de discours est souvent agitĂ© par des personnes, dont des journalistes, qui ont des difficultĂ©s avec lâĂ©volution de la France actuelle. Comme le fait quâelle ait changĂ© de couleur au fil des dĂ©cennies, notamment avec tous ceux dont les parents ou les grands-parents viennent des anciennes colonies : une question un peu existentielle pour lâidentitĂ© mouvante dâun pays. Je me suis dit quâils ne savaient pas trop de quoi ils parlaient. Ăvoquer une guerre civile, ce nâest pas une idĂ©e avec laquelle il faut jouer. Jâai eu lâoccasion dâaller dans des pays qui en avaient connu, que ce soit en Afrique ou au Proche-Orient, et, lors de la rĂ©alisation de documentaires, des gens mâont racontĂ© comment ça se passait rĂ©ellement. Alors, au-delĂ des questions politiques ou idĂ©ologiques, jâai voulu rĂ©f lĂ©chir aux consĂ©quences et aux faits. Câest-Ă -dire, concrĂštement : si, tout Ă coup, une ville comme Paris ou une rĂ©gion comme lâĂle-de-France se retrouvait en butte Ă un conf lit, alors comment survivre ? Comment sây prendre â passer un barrage, rĂ©pondre Ă des questions Ă©thiques ou morales, sauver la vie de quelquâun et se mettre en danger, ou pas ? Ces questions me paraissent essentielles.
Que rĂ©pondriez-vous Ă la question de Françoise HĂ©ritier, que vous citez en exergue : « Et vous, qu âest-ce qui vous manquerait le plus si tout cela devait disparaĂź tre Ă jamais de votre vie ? »
Jâai dĂ©couvert cette citation lors dâun Ă©vĂ©nement organisĂ© par lâorganisme oĂč je dispense des ateliers dâĂ©criture On avait
« Une guerre civile, ce nâest pas une idĂ©e avec laquelle il faut jouer.
Alors, au-delĂ des questions politiques ou idĂ©ologiques, jâai voulu rĂ©flĂ©chir aux faits.»
demandĂ© aux Ă©crivains de se soumettre Ă une consigne dâĂ©criture â en lâoccurrence, la question posĂ©e par cette anthropologue spĂ©cialiste de lâAfrique. Nous Ă©tions au printemps 2022, donc juste avant les Ă©lections, et jâai commencĂ© Ă jouer avec cette idĂ©e de guerre civile Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment Jâai imaginĂ© deux personnes qui avançaient vers un barrage de miliciens dans le XIe arrondissement, ne sachant pas sâils allaient surv iv re ou non. Lâun posait cette question Ă lâautre, en lui disant quâil avait lu ça dans un vieux bouquin du XXe siĂšcle. Jâai puisĂ© dans quelque chose qui venait de mon propre passĂ©. Et il lui a rĂ©pondu que ce seraient des tartines beurrĂ©es et un chocolat chaud, au comptoir dâun cafĂ© Ă Maubert-MutualitĂ©.
Au-delĂ de cet exemple trĂšs prĂ©cis, je pense que ce sont les sensations qui me manqueraient le plus Les sensations de ce qui nâexisterait plus et de ce que lâon ne pourrait plus faire, parce que tous ceux que lâon connaissait auraient dispar u, ou parce quâelles seraient devenues inaccessibles. Je pense que nous sommes tous constituĂ©s de cela. De sensations qui viennent de lâenfance ou de lâadolescence. Les premiĂšres que nous ayons expĂ©rimentĂ©es Pour moi, câest lâodeur de la pluie sur le bitume. Ou ce que jâaimais manger ou boire. Ce sont ces choses-lĂ qui font de nous ce que nous sommes, et que lâon trimbale toute notre vie durant Belleville, Paris, lâĂle-de- France⊠Ce territoire gĂ©ographique et mental oĂč se situe votre rĂ©cit interroge lâespace et les frontiĂšres. Pourquoi ce choix ?
Parce ce que ce sont des lieux familiers. Câest dâailleurs un conseil que je donne lors de mes ateliers dâĂ©criture : Ă©crire sur ce dont on est coutumier. Il est plus facile dâĂȘtre juste sur ce que lâon connaĂźt et ce que lâon peut convoquer assez facilement. Par ailleurs, Paris est une capitale, avec ses contradictions, et câest lĂ , lors dâun conf lit, que lâon essaie de prendre le
pouvoir. En lâoccupant Sans compter que câest une mĂ©tropole mondialisĂ©e â et il nây en a pas une infinitĂ©. Cela permet donc de raconter le monde Ă travers un espace relativement restreint, maĂźtrisable. Enfin, ce qui mâintĂ©resse Ă©galement, câest que Paris, câest aussi lâAfrique. Cet espace parisien-francilien permet de faire vivre toute une mĂ©moire dont est porteuse une partie de mes personnages Ă travers des Ă©lĂ©ments de lâHistoire, qui ont uni ou reliĂ© la France et lâAfrique, pour le meilleur comme le pire. Mais aussi Ă travers des rĂ©cits intimes, en Ă©cho Ă cette grande histoire Parce que sâil y rĂ©side autant dâAfricains du nord et du sud du Sahara, câest quâil sâagit bien de lâhistoire coloniale française, qui sâest poursuivie par-delĂ ce quâon appelle la « Françafrique », aprĂšs la dĂ©colonisation. Qu âest-ce qui vous inspire vos personnages, et que nous rĂ©vĂšlent-ils de lâĂȘtre humain ?
Je nâĂ©tablis pas dâarchĂ©t ypes comme on le fait pour des scĂ©narios de sĂ©ries tĂ©lĂ©visĂ©es. Mes personnages se dessinent au fil de lâĂ©criture, et finissent par trouver leur chemin et leur voix en fonction de situations auxquelles ils sont confrontĂ©s et de la maniĂšre dont ils rĂ©agissent les uns en fonction des autres. Bien sĂ»r, chacun porte en lui des Ă©lĂ©ments de la condition humaine. Ce qui mâintĂ©resse Ă travers une histoire comme celle-lĂ , câest de voir comment il ou elle va rĂ©agir, concrĂštement, par rapport Ă des questions fondamentales de vie ou de mort : « Si je ne risque pas ma vie pour sauver quelquâun, pour rais-je
continuer Ă me regarder dans le miroir ? Comment vivre avec cette faute ? » ; « Si on me donne une arme, puis-je commettre les pires exactions tout en pensant que câest justif iĂ© par de grandes idĂ©es ou par la nĂ©cessitĂ© du moment ? » Ces situations trĂšs paroxystiques sont dâailleurs un procĂ©dĂ© intĂ©ressant dans lâĂ©criture, parce quâen mettant les gens dans les conditions les plus difficiles, cela va forcĂ©ment agir comme rĂ©vĂ©lateur. Et amener le lecteur Ă se poser des questions sur lui-mĂȘme. La question du bien et du mal est au cĆur de lâintrigue⊠Chaque sociĂ©tĂ© est conf rontĂ©e Ă cette interrogation et y rĂ©pond de maniĂšre totalement diffĂ©rente, mĂȘme si globalement, toutes sâaccordent Ă dire que tuer est un crime. Pourtant, selon la personne qui aura Ă©tĂ© tuĂ©e, lâopinion tergiverse. Câest la question de lâautre. Il y a plein de raisons qui permettent de se justifier de commettre des exactions. La non-appartenance Ă son peuple, Ă son idĂ©ologie, Ă son genre, la lĂ©gitime dĂ©fense⊠Quelle est la frontiĂšre ? Qui dĂ©cide ? La question du mal est une question fondamentalement humaine. Car, en rĂ©alitĂ©, tout le monde sait intimement sâil fait quelque chose de mal ou non. Câest ensuite la capacitĂ© Ă se fixer une limite interne, cette fonction principale du surmoi en psychanalyse. Ce ty pe de sujet mâintĂ©resse, câest pour cela que jâaime aussi le genre du polar, oĂč lâon est concrĂštement dans ces questions-lĂ , avec des personnages un peu abĂźmĂ©s par la vie, qui ont commis des choses mauvaises, mais qui pour autant nâont
pas abandonnĂ© tout sens moral â des personnages de tragĂ©dies grecques ou shakespeariennes, en quelque sorte. Ă quel moment avez-vous commencĂ© Ă vous interroger sur le monde qui vous entoure ?
Câest venu assez tĂŽt. Mon pĂšre Ă©tait maur itanien, ma mĂšre française. Ils se sont sĂ©parĂ©s assez vite. Jâai donc grandi essentiellement dans la famille française blanche de ma mĂšre, Ă Paris, dans les annĂ©es 1960 -1970, Ă une Ă©poque oĂč il nây avait pas autant de mĂ©tissage quâaujourdâhui. Jâavais donc un sentiment de dĂ©calage Ă lâintĂ©rieur de ma famille française, comme Ă lâĂ©cole ou dans la sociĂ©tĂ© qui mâentourait, et qui naturellement me faisait me poser des questions, sans que je le formalise tout de suite. Et puis, mes deux parents Ă©taient internationalistes, tiers-mondistes et trĂšs militants. Ma mĂšre Ă©tait marxiste, fĂ©ministe, lĂ©niniste. CâĂ©tait assez particulier, parce quâĂ la maison, nous parlions tout le temps de politique avec des gens qui passaient, qui venaient pas mal dâAfrique et du monde arabe. TrĂšs tĂŽt, jâai commencĂ© Ă lire des romans policiers, et je pense que ça mâa fait du bien. Dans le sens oĂč je vivais avec lâidĂ©e dâune sorte de messianisme rĂ©volutionnaire. Le sentiment quâon irait un jour vers un monde meilleur, par des moyens politiques En lisant les polars, je me disais quand mĂȘme que ce nâĂ©tait pas gagnĂ© dâavance, parce que les personnes Ă©taient mues par des dĂ©sirs, des instincts de possession, quâil y avait le vol, le viol, le meurtre, lâadultĂšre, que tout le monde avait des choses Ă cacher. Je sentais bien quâil nây aurait pas une solution toute prĂȘte pour rĂ©gler les problĂšmes. Alors, Ă partir de ce moment-lĂ , jâai commencĂ© Ă essayer de comprendre comment une mĂȘme personne pouvait faire le bien et le mal. Comment les grands phĂ©nomĂšnes collec ti fs se mett aient en place. Jâai lu trĂšs jeu ne 1984, de George Or well, et je me su is intĂ©ressĂ© au cr ime, au x prĂ©jud ices et Ă lâinjust ice. Que fa it-on avec cela ? On ne peut pa s juste les Ă©radiquer Il faut ĂȘtre capable de les regarder en face. Et aussi de regarder en soi.
Dans vos différents travaux, les questions de la religion et de la domination vous interrogent. Quel regard portez-vous sur le poids des croyances et de toutes les formes de pouvoir ?
Pourquoi est-on lĂ ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutĂŽt que rien ? Pourquoi lâunivers existe-t-il ? LâhumanitĂ© se pose ces questions depuis la nuit des temps. La nĂ©cessitĂ© de comprendre et de croire est profondĂ©ment humaine. On espĂšre que la religion nous donnera des rĂ©ponses. Et câest normal, car nous avons besoin dâune sorte dâidĂ©e de la transcendance qui nous dĂ©passe. Le problĂšme, câest lorsquâon prend les prĂ©ceptes relig ieux de maniĂšre littĂ©ra le. Blaise Pascal, qui of fre une analyse profonde de la condition humaine, a Ă©crit lui-mĂȘme : « Le silence Ă©ternel de ces espaces infinis mâeffraie. » Alors, en devenant jansĂ©niste â courant le plus « intĂ©griste » de la religion chrĂ©tienne Ă son Ă©poque â, il a trouvĂ© une rĂ©ponse pour contenir ses angoisses. Concernant les my thes fondateurs, il
« Ă la suite de lâindĂ©pendance, la sociĂ©tĂ© mauritanienne est entrĂ©e rapidement et radicalement dans la modernitĂ©, rattrapĂ©e par la mondialisation. »
y a plusieurs maniĂšres de les comprendre, et câest lĂ que lâon ar rive Ă la question du pouvoir. On peut les considĂ©rer de maniĂšre sy mbolique, ce que font souvent les mystiques, câestĂ -dire quâils ne pensent pas quâil y ait quelque chose Ă prendre au pied de la lettre Quâils doivent nous permettre de continuer Ă penser. Et aussi Ă ressentir, parce que souvent, câest exprimĂ© de maniĂšre trĂšs poĂ©tique. Et du moment que câest poĂ©tique, cela ne peut pas ĂȘtre pris de façon stricte. La poĂ©sie propose de multiples sens. Chacun lâapprĂ©hende Ă sa maniĂšre. Mais, a contrario, cela peut devenir un instrument de pouvoir. En sâemparant du my the et en imposant une seule interprĂ©tation Câest ce qui a donnĂ© lâInquisition, entre autres, et toutes sortes de mouvements apocalyptiques qui existent encore. Lâhomme a besoin dâĂȘtre rassurĂ©, dâamour, de consolation, de beautĂ©, de trouver une maniĂšre dâaffronter ses peurs. Et câest lĂ quâil peut ĂȘtre pris en otage par des individus qui imposent une seule maniĂšre de voir les choses pour en tirer un pouvoir sur les autres. Dâailleurs, cela sâest transfĂ©rĂ© Ă©galement sur la politique. Au XXe siĂšcle, Ă partir du moment oĂč le christianisme, notamment, a dĂ©clinĂ© en Europe, des idĂ©ologies se sont substituĂ©es Ă la religion. Comme lâextrĂȘme droite, le fascisme⊠Des systĂšmes de pouvoir devenus des instruments de domination. LâĂ©lection de Trump marque -t-elle le franchissement dâun nouveau palier ?
Ce que cette Ă©lection nous dit des AmĂ©ricains qui ont votĂ© pour Trump, câest quâils ont compris que le pouvoir de lâargent Ă©tait extrĂȘmement fort et que les ressources Ă©taient limitĂ©es. Sy mboliquement, il y a comme un Ă©tat de guerre entre plusieurs parties de la sociĂ©tĂ©, parmi lesquelles lâune dit non : elle veut garder son mode de vie occidental, parce quâil nây a pas de raison de changer, quâelle a grandi lĂ -dedans et quâelle ne veut pas consommer moins. Trouver un nouvel ordre planĂ©taire,
face Ă la crise Ă©cologique surtout, remettrait en cause la vie Ă laquelle elle est habituĂ©e. Du coup, elle peut se solidariser avec des milliardaires, lesquels en principe ne devraient pas ĂȘtre spĂ©cialement ses amis, mĂȘme si elle nâa que des miettes de leurs richesses. La plupart des gens votent pour leurs intĂ©rĂȘts De plus, les politiciens sont des bateleurs, des gens qui savent parler, sans aucun scrupule Ils vont utiliser nâimporte quel argument, et ça marche. Cela nous ramĂšne Ă la question du bien et du mal : ils utilisent ce quâil y a de pire chez les gens, au dĂ©triment dâautres catĂ©gories de la population Le problĂšme, câest que lâon sait comment ça sâest passĂ© en Europe il y a prĂšs dâun siĂšcle, quand on a fait des choix de ce ty pe, dâabord avec les juifs et les Tziganes, puis avec les personnes souffrant de maladies mentales⊠à la fin, plus personne nâest protĂ©gĂ©, en rĂ©alitĂ©, parce quâil y a toujours une nouvelle catĂ©gorie Ă gommer Câest ce quâHannah Arendt explique trĂšs bien dans Les Origines du totalitari sme. Comment dĂ©cririez-vous votre double appartenance mauritanienne et française ?
Mon pĂšre Ă©tait un ex ilĂ© politique et, de mon cĂŽtĂ©, jâai grandi en France Je me suis donc constituĂ© comme un adolescent parisien, puis je ne suis allĂ© en Mauritanie que lorsque jâavais quinze ans. Ă lâĂ©poque, il nây avait pas de mots comme « racisĂ© ». Je ne savais pas trop si jâĂ©tais « mĂ©tisse » ou bien « franco-mauritanien », jâĂ©tais un peu comme dans des limbes. Je ne voyais pas trĂšs souvent mon pĂšre et jâavais dans la tĂȘte une Mauritanie imaginaire, mystĂ©rieuse. Ce nâest quâen mây rendant que jây ai dĂ©couvert une rĂ©alitĂ© trĂšs dĂ©routante au dĂ©part, mais Ă©galement tellement intĂ©ressante et ag rĂ©able, pa rce que jâai sent i que jây Ă©t ai s at tendu. Auta nt, en Fr ance, on pouv ait question ner dâune cert aine ma niĂšre mon appa rtena nce Ă une autre cu lt ure â et câĂ©t ait toujou rs Ă©t ra nge, pa rce que je me sent ai s mi s Ă lâĂ©c ar t, alor s que je nâavai s pa s envie dâĂȘt re ra menĂ© Ă une ex tranĂ©itĂ© ; auta nt en Maur it an ie, câĂ©t ait le cont ra ire. LĂ -bas, ma pa rt frança ise nâi ntĂ©ressait person ne, ce qu i Ă©t ait import ant pour le s ge ns, câĂ©t ait ma fi li at ion patri li nĂ©aire. LâĂ©t ra ngetĂ© pour moi, câĂ©tait donc de voir en miroir deux endroits oĂč lâappartenance fonctionnait de façon diffĂ©rente. Dâun cĂŽtĂ©, il y avait la France avec tout cet hĂ©ritage colonial dont jâentendais beaucoup parler, et, de lâautre, lâAfrique avec ses contradictions. De plus, comme mon pĂšre Ă©tait de lâethnie maure, arabo-berbĂšre, je me retrouvais plutĂŽt sy mboliquement du cĂŽtĂ© des oppresseurs Tout cela Ă©tait donc trĂšs troublant.
En effet, le pays sâest beaucoup transformĂ© Jâessaie de mây rendre autant que possible, mĂȘme si ce nâest pas souvent, et jâentretiens un lien trĂšs fort avec lui. Jây ai des demi-sĆurs, un peu plus ĂągĂ©es que moi, dont la mĂšre est mauritanienne. On se parle rĂ©guliĂšrement. La famille lĂ -bas, câest plus quâune famille, câest un groupe social, une tribu. Cela crĂ©e des attaches et des rapports particuliers Ce que jâai pu observer, câest quâaprĂšs lâindĂ©pendance, la sociĂ©tĂ© mauritanienne est entrĂ©e un peu rapidement et radicalement dans la modernitĂ©. Ă lâĂ©poque, il y avait environ 70 % de nomades dans le pays Les villes Ă©taient trĂšs peu peuplĂ©es. Aujourdâhui, Nouakchott compte plus dâun million et demi dâhabitants. Elle a Ă©tĂ© rattrapĂ©e par la mondialisation. On y ressent plein dâinfluences diffĂ©rentes, aussi bien des pays du Golfe que des Ătats-Unis. Câest trĂšs intĂ©ressant, parce que câest une culture qui est en transformation permanente Par ailleurs, les sujets tabous de lâĂ©poque nâen sont plus, comme les sĂ©quelles de lâesclavage ou les relations entre les Maures et les Peuls. Les mentalitĂ©s Ă©voluent AprĂšs, comme partout dans le monde, on observe une sociĂ©tĂ© inĂ©galitaire, oĂč les questions dâargent sont venues prendre au moins autant de place que la question de la domination ancestrale. Mais ce qui mĂ©rite pa rt ic uliĂšrement lâat tent ion, câest le mĂ©lange culturel de ce pays singulier, comme un entre- deux entre le Maghreb et lâAfrique subsaharienne.
La Situ atio n (2 023), Les Avri ls, 25 6 page s, 22 âŹ
Votre dernier documentaire, en cours de montage, porte sur un tout autre territoire : lâInde. Qu ây abordez-vous ?
Cette mini-sĂ©rie de deux fois 52 minutes, destinĂ©e Ă Arte, raconte lâhistoire de lâInde Ă travers la famille Nehru-Gandhi, une lignĂ©e politique du pays AprĂšs Motilal Nehru, prĂ©sident du CongrĂšs, son fils Jawaharlal, proche du mahatma Gandhi aux cĂŽtĂ©s de qui il sâest battu pour lâindĂ©pendance, lui succĂšde puis devient Premier ministre. Vient ensuite le tour de sa fille, Indira Gandhi â dont le nom de famille nâa rien Ă voir avec le mahatma â, puis le fils aĂźnĂ© de celle-ci, Rajiv Gandhi, victime dâun attentat suicide en 1991. Aujourdâhui, son fils Rahul est chef de lâopposition of ficielle. Cela permet donc de raconter lâhistoire de lâInde de 1861 Ă nos jours, au fil de cinq gĂ©nĂ©rations dâune mĂȘme famille. Une excellente trame narrative pour dĂ©rouler le rĂ©cit chronologique dâun pays particulier, en pleine croissance, qui a complĂštement renoncĂ© au socialisme de lâĂ©poque de Nehru. Et oĂč les my thes fondateurs diffĂšrent autant du monde occidental que du continent africain.
Somme toute, oĂč vous sentez-vous chez vous ?
La Mauritanie de votre enfance a-t- elle beaucoup changĂ© en prĂšs dâun demi -siĂšcle ?
Paris, oĂč jâai grandi et oĂč je rev iens toujours, reste ma ville. Ă lâest de cette capitale, je me sens chez moi. Câest mon territoire. â
Interv iew
Rona k Gopa ldas
Ai r CĂŽte dâIvoi re veut voler plus loin
La RDC
ne renonc e pa s Ă lâor noi r
LâAf rique menacĂ©e pa r une croi ssance molle
La CĂŽte dâIvoi re pro te de la hausse du caoutchouc
Depu is plus de vi ng t ans, cet accord favor ise les ex port at ions des pays dâAf rique su bsahar ienne vers les Ăt ats-Un is. Il doit ĂȘt re renouvelĂ© en 2025, Ă moi ns que Dona ld Tr ump, nouveau hĂ©raut du protection nisme, dĂ©cide de tout bouleverser. par CĂ© dri c Gou ve rn eu r
SignĂ©e en 2000 sous la prĂ©sidence de Bill Clinton, la loi sur la croissance et les opportunitĂ©s en Af rique (Af rican Growth and Opport unit y Act, AGOA) permet aux pays Ă©ligibles dâexporter sans droits de douane une gamme dâenviron 1 800 produits aux Ătats-Unis. ProlongĂ© en 2015 pour une durĂ©e de dix ans, cet accord doit en thĂ©orie ĂȘtre renouvelĂ© en 2025 Mais le retour de Donald Trump Ă la Maison-Blanche pourrait changer la donne. Certains chefs dâĂtat, Ă lâimage de Bola Tinubu (Nigeria) et Emmerson Mnangag wa (Zimbabwe), ont fĂ©licitĂ© le vainqueur pour son Ă©lection Ă la prĂ©sidentielle. Mais la plupart ne se font aucune illusion quant au personnage : non seulement Trump ne connaĂźt pas lâAf rique, mais il sâen dĂ©sintĂ©resse et la mĂ©prise (il aurait mĂȘme osĂ© traiter le continent
de « pays de merde » en 2018âŠ). Lors de son premier mandat (20172021), il nâa reçu que deux leaders af ricains (le NigĂ©rian Muhammadu Buhari et le KĂ©nyan Uhuru Kenyatta). Sous son mandat, le nombre de visas accordĂ©s aux Ă©tudiants du continent avait Ă©tĂ© divisĂ© par deux
UN CREDO PROTECTIONNISTE
Trump veut sabrer dans les dĂ©penses du budget fĂ©dĂ©ral et pourrait donc sâen prendre Ă lâAgence des Ătats-Unis pour le dĂ©veloppement international (USA ID), qui reste le premier donateur du continent avec 7 milliards de dollars en 2021. Surtout, comme il lâavait dĂ©jĂ fait en 2016, Tr ump a sĂ©duit ses Ă©lecteurs avec un credo protectionniste (Amer ica first, « lâAmĂ©rique dâabord »), promettant de pĂ©naliser les importations dans le but de favoriser
lâemploi aux Ătats-Unis. Il parle dâimposer une ta xe de 10 % sur les importations (et mĂȘme jusquâĂ 60 % sur les importations chinoises).
LâAGOA, contrairement aux accords de libre-Ă©change, est unilatĂ©ral : les Ătats af ricains partenaires bĂ©nĂ©ficient donc dâun avantage compĂ©titif pour exporter une large gamme de produits sur le territoire amĂ©ricain, mais sans obligation de rĂ©ciprocitĂ©, câest-Ă -dire sans faciliter les importations made in USA sur leur territoire Trump pourrait donc exiger des Af ricains des contreparties commerciales⊠ou mĂȘme mettre fin Ă lâAGOA Aux Ătats-Unis, des entreprises se plaignent de la concurrence af ricaine, pourtant marginale (notamment dans lâav iculture de poulets). En juillet dernier, lors de lâAGOA Forum qui se tenait Ă Johannesburg,
Na tio na l Har bo r, Ma ry land, le 24 févri er 20 24
Le fu tu r ch e f dâĂtat e st al or s en p le in e ca mpagne prĂ© sid enti el le
le ministre du Commerce et de lâIndustrie dâAf rique du Sud, Park s Tau (A NC), a averti quâen cas de non-reconduction de lâaccord, les emplois de 13 000 de ses concitoyens seraient menacĂ©s dans les mines, les usines (notamment celles de piĂšces dĂ©tachĂ©es automobiles) et lâagriculture (les trois quarts des exportations de vin sud-af ricain sont dirigĂ©es vers les USA). LâAf rique du Sud bĂ©nĂ©ficie dâun excĂ©dent commercial de 8 milliards de dollars avec la superpuissance. « Nous avons besoin de cet avantage concurrentiel », souligne Ă lâAgence France Presse (A FP) Justin Chadwick, prĂ©sident de la CGA, lâassociation des producteurs dâagrumes sudaf ricains, ajoutant que « des milliers dâemplois ruraux » seraient menacĂ©s. Les pays af ricains sont, certes, accoutumĂ©s aux conditionnalitĂ©s de lâAGOA â traitĂ© que Washington a toujours utilisĂ© comme un instr ument
de pression diplomatique « Pour les Ătats-Unis, les bĂ©nĂ©fices Ă©conomiques et commerciaux de lâAGOA sont largement nĂ©gligeables », Ă©crit dans un rĂ©cent rapport lâĂ©conomiste sud-af ricain Ronak Gopaldas [lire son interview pages suivantes], qui estime que « la valeur rĂ©elle de lâAGOA pour Washington rĂ©side dans son apport gĂ©opolitique ». Avec 18,5 milliards de dollars, lâAf rique reprĂ©sente environ 1 % des exportations globales des ĂtatsUnis, premiĂšre puissance mondiale⊠Pour les pays af ricains, lâimpact de lâAGOA est inverse : « Le bĂ©nĂ©fice est Ă©conomique, et le coĂ»t est
Les pays africains sont accoutumés aux conditionnalités de ce traité, que Washington a toujours utilisé comme un instrument de pression diplomatique.
gĂ©opolitique. » En 2021, lâĂthiopie dâAbiy Ahmed a Ă©tĂ© exclue en raison des violations des droits de lâHomme perpĂ©trĂ©es au TigrĂ©. Addis-Abeba, qui nâest pas membre de lâOrganisation mondiale du commerce (OMC), se voit donc privĂ©e dâexporter aux Ătats-Unis son prĂȘt-Ă porter, produit dans le parc industriel de Hawassa, soit un manque Ă gagner de 275 millions de dollars. A contrario, la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo a Ă©tĂ© rĂ©admise en 2021, afin de saluer les efforts de gouvernance du prĂ©sident FĂ©lix Tshisekedi. Tr ump, qui jure dâexpulser manu militari des millions de migrants du sol amĂ©ricain, nâaccorde un intĂ©rĂȘt que trĂšs relatif au respect des droits humains⊠Mais il pourrait sanctionner les pays du continent dont la diplomatie lui dĂ©plaĂźt, et Ă lâinverse en rĂ©compenser dâautres
LA RECONNAISSANCE
DU SOMALILAND AU PROGRAMME
Le c hef dâĂtat i vo iri en Alass ane Ou at ta ra sâex pri me lor s de lâou ve rture du 18 e fo rum de lâAG OA Ă Ab idja n, le 5 aoĂ»t 2019
En dĂ©cembre 2020, Tr ump avait reconnu la souverainetĂ© marocaine sur le Sahara occidental, en contrepartie de la reconnaissance dâIsraĂ«l par Rabat. Le manifeste politique de Trump, le « projet 2025 », Ă©voque par ailleurs une reconnaissance du Somaliland autoproclamĂ©, dĂ©cision qui ne manquerait pas dâavoir des rĂ©percussions sismiques sur tout le continent. Pretoria, membre des BR ICS qui a procĂ©dĂ© Ă des manĆuv res conjointes avec la Russie et la Chine en 2023, puis poursuivi en 2024 IsraĂ«l devant la Cour internationale
de justice (CIJ ) Ă cause de la guerre Ă Gaza, pourrait ĂȘtre « punie » par Washington En 2015, Pretoria avait abandonnĂ© un projet de ta xe sur les importations de poulet amĂ©ricain, Washington menaçant dâexclure le pays de lâAGOA. Or, la perspective de perdre les bĂ©nĂ©fices de cet accord constitue rarement un obstacle pour les dirigeants af ricains, qui savent que PĂ©kin ou Moscou se montreront toujours prompts Ă se substituer aux Occidentaux.
Outre lâAf rique du Sud, le Kenya, lâĂthiopie, Madagascar, Maurice, le Lesotho et lâEswatini ont particuliĂšrement bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâAGOA. GrĂące Ă cet accord, les exportations hors hydrocarbures sont passĂ©es de 1,4 Ă 5,7 milliards de dollars entre 2002 et 2022 Au Kenya, lâAGOA aurait permis de crĂ©er 52 000 emplois dans les usines textiles, notamment pour les marques Calv in Klein et Tommy Hilfiger. Le dĂ©partement du commerce amĂ©ricain lui-mĂȘme estime que lâAGOA aurait contribuĂ© Ă la crĂ©ation en Af rique subsaharienne dâenviron 300 000 emplois directs et 1,5 million dâemplois indirects, surtout pour les femmes et les jeunes.
LâAf rique pourrait se retrouver malgrĂ© elle au milieu de la guerre commerciale qui sâannonce entre Washington et PĂ©kin, surtout si Trump dĂ©cide de nuire aux voitures Ă©lectriques chinoises, concurrentes des Tesla de son nouvel ami Elon Musk PlutĂŽt que de faire perdurer un traitĂ© quâil juge nuisible aux exportations amĂ©ricaines, Tr ump pourrait choisir de priv ilĂ©gier les accords bilatĂ©raux, Ă lâexemple de lâaccord STIP (St rategic Trade and Invest ment Part nership) lancĂ© entre Washington et Nairobi en 2022, af in notamment de contrer lâinfluence chinoise en Af rique de lâEst. â
LA PART DU PI B CO NSACRĂ E Ă LâĂDUCATION A CH UTĂ EN MOYE NNE Ă 3,9 % DANS LE S PAYS LE S PLUS PAUVR ES , TR ĂS LO IN DE S BESOI NS ESTIMĂS .
La p rod uction céréal iÚre ou es t- af rica in e a di mi nu é de 70 0 000 tonn es en 20 24 du fa it
des aléas cl im ati qu es .
1,14 milliard de dollars : le montant de la dette de la Somalie envers les ĂtatsUnis, annulĂ©e par Washington.
70 %
DES CONSOMMATEURS DâAFRIQUE
SUBSAHARIENNE
DĂCL ARENT PRĂFĂRER
LES MARQUES ALIMENTAIRES LOCALES AUX MARQUES ĂTRANGĂRES.
LA TR AN SITI ON ĂN ER GĂ TI QU E ET SA « CRO IS SANCE VE RTE » PO UR RAIE NT CR ĂER ENTR E 1,5 ET 3,3 MI LLI ON S DâEM PLOI S DâICI Ă 20 30.
Le service de la dette a
augmenté de 16,3 % entre 2017 et 2023 dans la plupart des pays du continent.
LâAGOA pourrait servir dâarme dans la guerre commerciale avec PĂ©kin, tandis que Tesla â sociĂ©tĂ© dirigĂ©e par le milliardaire Elon Musk â sâintĂ©resse, elle, aux minerais africains. Analyse des intĂ©rĂȘts divergents amĂ©ricains, avec lâĂ©conomiste politique sud-africain Ronak Gopaldas. propos recueillis par CĂ©dric Gouverneur
AM : Quels impacts sur lâAGOA (African Growth and Opportunity Act) avait eu le premier mandat de Donald Trump (janvier 2017- janvier 2021) ? Ronak Gopaldas : Son administration avait maintenu lâAGOA, qui accorde un accĂšs en franchise de droits au marchĂ© amĂ©ricain aux pays Ă©ligibles dâAf rique subsaharienne, mais elle nâavait fait que peu dâefforts pour lâĂ©tendre ou le renouveler. Lâapproche de Trump Ă lâĂ©gard de lâAf rique Ă©tait transactionnelle, se concentrant sur les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains plutĂŽt que sur des partenariats Ă long terme. Tandis quâil critiquait lâinfluence de la Chine en Af rique, accusant PĂ©kin de pratiques de prĂȘt prĂ©datrices, son administration nâavait pas de stratĂ©gie cohĂ©rente pour contrecarrer cette influence chinoise, laissant les nations af ricaines Ă©quilibrer leurs relations avec les deux puissances
Le commerce entre les USA et lâAfrique subsaharienne est en baisse, en volume comme en valeur. Quelles sont les principales raisons de cette diminution ?
Elle est due Ă lâĂ©volution des modĂšles commerciaux mondiaux et Ă lâessor de puissances Ă©conomiques Ă©mergentes, telles que la Chine, lâInde et la Russie, qui ont approfondi leurs liens avec lâAf rique, et donc rĂ©duit la dĂ©pendance du continent Ă lâĂ©gard des Ătats-Unis Alors que la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de lâAf rique, investissant massivement dans les infrastr uctures et les ressources naturelles, les Ătats-Unis ont eu du mal Ă rivaliser. Pendant ce temps, lâadministration Tr ump sâest davantage concentrĂ©e sur les prioritĂ©s nationales, rĂ©duisant ainsi son engagement avec lâAf rique. La crĂ©ation de la Zone de libre-Ă©change continentale af ricaine (ZLECA f) en 2021 a Ă©galement encouragĂ© le commerce intraaf ricain, diminuant encore davantage la dĂ©pendance Ă lâĂ©gard de marchĂ©s extĂ©rieurs tels que les Ătats-Unis. Elon Musk est promis Ă de hautes responsabilitĂ©s (Trump entend le nommer « ministre de lâEf ficacitĂ© gouvernementale ») : est- ce une bonne nouvelle pour les producteurs africains de lithium (Zambie et RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, par exemple), indispensables Ă Tesla ?
Les entreprises dâElon Musk, notamment Tesla, SolarCit y et SpaceX, ont des intĂ©rĂȘts importants dans les minĂ©raux af ricains, tels que le cobalt, le lithium et le nickel, qui sont cr uciaux pour les vĂ©hicules Ă©lectriques et les solutions dâĂ©nergies renouvelables. Cela crĂ©e des opportunitĂ©s pour les producteurs de pays comme la Zambie et la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo.
Le serv ice Internet par satellite Starlink pourrait Ă©galement amĂ©liorer la connectivitĂ© numĂ©rique en Af rique, en comblant les lacunes en matiĂšre dâinfrastr uctures et en favorisant le dĂ©veloppement Ă©conomique. Cependant, les tensions gĂ©opolitiques et les inquiĂ©tudes concernant lâapprov isionnement durable pourraient façonner lâimplication future dâElon Musk dans la rĂ©gion Le rĂ©sultat dĂ©pendra de laquelle de ses intentions contradictoires finira par dominer : en cas de guerre commerciale avec la Chine, Tr ump utilisera lâAGOA comme une arme de sof t power afin de faire avancer les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains. Les minĂ©raux critiques revĂȘtent donc une importance stratĂ©gique pour promouvoir lâinfluence des ĂtatsUnis et freiner lâinfluence de la Chine. Trump pourrait ĂȘtre tentĂ© dâutiliser lâAGOA comme arme diplomatique : lâAfrique du Sud pourrait- elle subir des reprĂ©sailles en raison de la politique de Pretoria au Moyen- Orient depuis octobre 2023 ?
Joe Biden avait suspendu lâĂthiopie de lâAGOA , accusant le pays de violations des droits de lâHomme. Trump, peu sensible Ă ces problĂ©matiques , pourrait- il se concentrer sur les relations diplomatiques ?
Sous le premier mandat de Trump, les intĂ©rĂȘts stratĂ©giques et Ă©conomiques ont en effet souvent pris le pas sur les droits humains. Et contrairement Ă Biden, qui a suspendu les avantages accordĂ©s Ă lâĂthiopie au titre de lâAGOA en raison de violations des droits de lâHomme pendant le conf lit au TigrĂ© (2020-2022), lâadministration
Tr ump avait donnĂ© la prioritĂ© aux avantages commerciaux et aux alliances stratĂ©giques, sâengageant mĂȘme avec des dirigeants que lâon peut qualifier dâautoritaires lorsque cela sâaccordait avec les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains.
Quelle sera la politique de Trump en matiĂšre de dollar ?
La prĂ©fĂ©rence de Tr ump va Ă un dollar plus faible, afin de stimuler les exportations amĂ©ricaines en les rendant plus compĂ©titives Ce qui pourrait, indirectement, rĂ©duire le fardeau de la dette af ricaine, car elle est libellĂ©e en dollars. Cependant, les critiques de Tr ump Ă lâĂ©gard des politiques de la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale (la Fed) et ses conf rontations avec son prĂ©sident Jerome Powell [en poste ju squâen 2026 â Tr ump lâa qualif iĂ© dâ« ennemi des Ătats-Unis», ndlr] suggĂšrent que de futurs dĂ©bats autour de la politique monĂ©taire amĂ©ricaine pourraient avoir des implications imprĂ©v isibles sur le commerce et les investissements mondiaux. Quelles pourraient ĂȘtre les impacts sur la ZLECAf de la guerre commerciale de Trump contre la Chine ?
Les minĂ©raux critiques revĂȘtent une importance stratĂ©gique pour promouvoir lâinfluence des Ătats-Unis et freiner lâinfluence de la Chine.
Tr ump pourrait utiliser lâAGOA stratĂ©giquement pour influencer les politiques af ricaines La position de lâAf rique du Sud sur le Moyen-Orient pourrait susciter un examen minutieux, en particulier si la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine devient plus belliciste. Or, les efforts diplomatiques de lâAf rique du Sud sous la direction de lâambassadeur Ebrahim Rasool et du ministre du Commerce et de lâIndustrie Park s Tau pourraient contribuer Ă attĂ©nuer les tensions. LâAf rique du Sud prĂ©sidera le G20 en 2025, ce qui pourrait aussi crĂ©er des opportunitĂ©s de dialogue constr uctif entre les deux pays
Les politiques commerciales de Tr ump pourraient avoir des effets Ă la fois positifs et nĂ©gatifs sur la ZLEC Af. Des Ătats-Unis plus isolationnistes pourraient encourager les pays af ricains Ă se concentrer sur le commerce intraaf ricain, et ainsi Ă rĂ©duire leur dĂ©pendance Ă lâĂ©gard des partenaires extĂ©rieurs Cependant, une augmentation des droits de douane sur les exportations af ricaines ou des accords bilatĂ©raux avec des pays indiv iduels pourraient compromettre les objectifs communs de la ZL EC Af. En rĂ©ponse aux tensions commerciales, les pays af ricains pourraient approfondir leurs partenariats avec dâautres acteurs mondiaux, comme la Chine et lâUnion europĂ©enne, tout en poursuivant leur industrialisation et leur intĂ©gration rĂ©gionale afin dâattĂ©nuer les chocs extĂ©rieurs ronakgopaldas.com â
Lâobjectif consistera Ă desser vir lâEurope, lâAmĂ©rique du Nord et le Moyen-Orient, notamment avec lâagrandissement de lâaĂ©roport dâAbidjan.
Si tout va bien, Air CĂŽte dâIvoire inaugurera ses premiers vols long-courriers pour Paris au courant du premier semestre 2025, dĂšs la rĂ©ception, prĂ©v ue en mars et av ril, de ses deux nouveaux appareils A330 -900 dâune capacitĂ© de 287 places Une Ă©volution majeure pour le pavillon ivoirien, qui vise dĂ©sormais lâEurope (Paris, puis Londres, Br uxelles, GenĂšveâŠ), lâAmĂ©rique du Nord (Washington) et mĂȘme Beyrouth. LancĂ©e en 2012 par le prĂ©sident Alassane Ouattara,
la compagnie est parvenue en une dĂ©cennie Ă capter 52 % de parts du marchĂ© rĂ©gional, avec 6,7 millions de passagers. Elle affiche depuis 2021 un rĂ©sultat dâexploitation positif. Depuis juin 2022, Air CĂŽte dâIvoire desser t Johannesburg avec une escale Ă Kinshasa. Elle ambitionne dâici 2031 dâĂ©tablir des liaisons avec au moins 35 destinations, dont six intercontinentales, et de cumuler 12,5 millions de passagers annuels. Dâici lĂ , sa flotte devrait doubler et le nombre de ses salariĂ©s grimper Ă 1 180, auxquels
sâajouteront 7 000 emplois indirects. Lâagrandissement de lâaĂ©roport international FĂ©lix HouphouĂ«t-Boigny accompagne forcĂ©ment cette ambition. Avec deux millions de passagers (dont un tiers transpor tĂ© par Air CĂŽte dâIvoire), « FHB » est au ma ximum de ses capacitĂ©s. Des travaux dâextension, dĂ©marrĂ©s en 2022, devraient lui permettre dâaccueillir 5 millions de passagers, la plateforme passant de 30 000 Ă 55 000 m2 Air CĂŽte dâIvoire doit cependant affronter de solides concurrents, Ă commencer par Ethiopian Airlines,
desser vant 63 destinations sur le continent et assurant dĂ©jĂ une liaison Abidjan-New York JFK. Le mastodonte a multipliĂ© les accords avec les transpor teurs rĂ©gionaux, comme la compagnie privĂ©e togolaise Asky. Deux autres concurrents â Turk ish Airlines (49 destinations dans 37 pays du continent) et la RA M (Maroc) â proposent des vols vers lâEurope depuis Abidjan, avec escales.
Pour les affronter, Air CĂŽte dâIvoire a signĂ© en mai un partenariat avec Air SĂ©nĂ©gal, af in de rĂ©duire les coĂ»ts et de multiplier les correspondances proposĂ©es aux passagers. Elle nĂ©gocie surtout une rĂ©vision de lâ« accord de ciel ouvert » signĂ© avec Paris en mars 2016, af in de limiter la concurrence française (A ir France et Corsair) sur Abidjan. Des discussions difficiles â la destination est particuliĂšrement rentable â, mais indispensables pour laisser le pavillon ivoirien amorcer son envol vers Paris sans ĂȘtre Ă©touffĂ© par la concurrence.
« Nous avons tenu à réussir le niveau régional avant de nous lancer dans cette nouvelle aventure », expliquait en septembre dernier le DG de la compagnie, Laurent Loukou, lors du Forum de la Banque af ricaine de développement (BAD) consacré aux transpor ts, ajoutant :
« On ne veut pas rester petits, au serv ice dâEthiopian Airlines ou dâautres compagnies aĂ©riennes. »
Le DG concluait : « La rĂ©gion qui va de Nouakchott Ă Kinshasa est la plus dif ficile de toute lâAf rique », dĂ©plorant des coĂ»ts de production Ă©levĂ©s et estimant que seules 2,5 millions de personnes environ, sur un total de 500 millions dâhabitants, utilisent, pour lâinstant, le transpor t aĂ©rien â
La mu l tina tiona le Pe re nco, sp Ă©cialisĂ© e dans lâex pl oita ti on de pu it s de pĂ©trol e en fin de vi e, su r le so l cong olai s.
La RDC ne renonce pas Ă lâor noir
Le gouvernement est dĂ©cidĂ© Ă prĂ©senter un nouvel appel dâoffres dĂšs lâannĂ©e prochaine.
Le ministre congolais des Hydrocarbures, AimĂ© Sakombi Molendo, nommĂ© en mai dernier, lâa dĂ©clarĂ© lors du Forum Makutano qui sâest tenu Ă Kinshasa mi-novembre : la RDC proposera un nouvel appel dâoffres de recherche et dâexploitation pĂ©troliĂšre courant 2025. LâĂtat est Ă©galement en voie de solder son contentieux avec Ventura, actant le dĂ©part de lâentreprise du sulf ureux Dan Gertler. Et libĂ©rant ses permis prometteurs sur le lac Albert. Le 11 octobre, le gouvernement avait dĂ» annoncer lâĂ©chec du premier tour de table, lancĂ© en juillet 2022. MalgrĂ© plus de deux annĂ©es de nĂ©gociations, les blocs proposĂ©s nâont guĂšre trouvĂ© preneurs : dix nâont pas reçu la moindre offre et neuf ont fait lâobjet dâune seule proposition Les dĂ©fenseurs de lâenvironnement, pour leur part, nâont pas cachĂ© leur soulagement devant lâĂ©chec de la procĂ©dure. DĂšs
lâannonce mi-2022 du projet, lâONG Human Rights Watch avait dĂ©noncĂ© la mise en pĂ©ril de « vastes zones sensibles », oĂč rĂ©sident des peuples autochtones et oĂč est prĂ©ser vĂ©e une grande biodiversitĂ©. Les associat ion s soulignent nota mment la prox imitĂ© des pa rc s nationau x de s Vi ru nga et de lâ Upemba, ai nsi que les menaces que fera ient peser les forages su r « la plus grande tourbiĂšre tropic ale au monde », qu i retiendrait capt ives da ns son sol 6 mil liards de tonnes de CO2 . Les nouveau x appel s dâof fres devraient tenir compte des impĂ©rat if s envi ronnementaux et se concentrer su r de s zones au potent iel avĂ©rĂ©. Par ailleurs, la RDC a signĂ© le 4 octobre avec lâAngola un accord de partage les revenus du bloc exploitĂ© par Chev ron sur leur frontiĂšre maritime Kinshasa pourrait ainsi et aussi bĂ©nĂ©ficier de la longue expĂ©rience de Luanda, deuxiĂšme producteur de brut africain â
Bi ll et s de 10 000 francs CFA.
Pour le FMI, mĂȘme si lâinf lation dĂ©croĂźt, les perspectives Ă©conomiques des cinq prochaines annĂ©es restent moroses.
La croissance Ă©conomique en Afrique subsaharienne devrait ĂȘtre de 4,2 % en 2025, aprĂšs 3,6 % en 2024 comme en 2023, selon les prĂ©v isions du Fonds monĂ©taire international (FMI). En moyenne, Ă travers le monde, la croissance devrait sâĂ©lever Ă 3,2 % en 2025, exactement comme en 2024, ce que le FMI qualifie sans ambages de « stable, mais dĂ©cevant »⊠Surtout, les perspectives de croissance pour les cinq prochaines annĂ©es, jusquâen 2030, stagnent Ă 3,1 %, « le niveau le plus bas depuis des dĂ©cennies ». Les perspectives Ă
moyen terme sont plus mĂ©diocres que celles observĂ©es avant la pandĂ©mie de Covid. La croissance moyenne resterait donc infĂ©rieure dâun point Ă celle des deux premiĂšres dĂ©cennies du millĂ©naire, « ce qui pourrait conduire Ă un recul du niveau de vie ».
LâINFLATION EN RECUL
Une bonne nouvelle, cependant : lâinflation consĂ©cutive Ă la pandĂ©mie de Covid-19 (2020-2021) et Ă lâinvasion de lâUk raine (2022) commence Ă refluer. Le FMI souligne que « la bataille mondiale contre lâinflation a Ă©tĂ© dans une
large mesure remportĂ©e ». Avec +3,5 % fin 2024 contre +9,4 % au troisiĂšme trimestre 2022, la hausse globale des prix est dĂ©sormais « lĂ©gĂšrement infĂ©rieure Ă la moyenne des annĂ©es 2000-2019 ». Dans la plupart des pays, le taux dâinflation se rapproche des objectifs fixĂ©s par les banques centrales, ce qui augure dâun assouplissement monĂ©taire. Aux Ătats-Unis, la Fed a entamĂ© dĂšs le mois de juin une diminution de ses taux directeurs, qui Ă©taient en hausse continue depuis 2022. Les monnaies de nombreux pays Ă©mergents commencent mĂ©caniquement Ă
regagner du terrain face au dollar amĂ©ricain et leurs conditions de fina ncement sâamĂ©liorent. « Toutefois, les prix Ă©levĂ©s resteront un problĂšme et les familles continueront de souffrir », tempĂšre la directrice du FMI, la Bulgare Kristalina Georgieva. Et en Afrique subsaharienne, la lutte contre lâinflation Ă deux chiffres nâest pas terminĂ©e : un tiers des pays du continent pĂątissent dâune inflation supĂ©rieure Ă 10 %. Lâendettement Ă©levĂ© implique des obligations croissantes quant au serv ice de la dette, qui viennent concurrencer les fonds allouĂ©s aux dĂ©penses de dĂ©veloppement. « Les taux de croissance nâont pas atteint des niveaux suffisants pour diminuer de façon significative la pauv retĂ© », souligne la directrice du FMI.
Cette croi ssance molle interv ient da ns un contex te de besoi ns accr us et de recet tes li mitées : « Et pendant ce temps, la dette publ ique mondia le cont inuera de croßtre, avec le risque de dépasser 20 % du PIB mondial », alerte Mme Georgieva. « Les besoins de dépenses augmentent, notamment en raison du changement climatique et de la démographie [en Af rique]
On estime que, dâici 2030, ces besoins pourraient ajouter 7 Ă 14 % du PIB aux dĂ©penses annuelles des Ătats. »
« Nous vivons dans un monde fragmentĂ©, oĂč la confiance est dĂ©sormais absente et la sĂ©curitĂ© nationale une prĂ©occupation majeure », dĂ©plore-t-elle en soulignant « le retrait de lâintĂ©gration Ă©conomique et la montĂ©e du protectionnisme ». Le monde a certes « dĂ©jĂ connu cette fragmentation par le passĂ©, mais jamais dans un contexte dâinterdĂ©pendance Ă©conomique aussi fort ». â
Ex tracti on de la tex à Dué koué
Une augmentation de bon augure pour les planteurs dâhĂ©vĂ©as et lâindustrie du troisiĂšme producteur mondial.
Les cours du caoutchouc naturel ont grimpĂ© pour le quatriĂšme trimestre consĂ©cutif, dĂ©passant 2 dollars le kilo en octobre. Une hausse de prĂšs de 40 % en un an, dopĂ©e selon la Banque mondiale par les conditions climatiques subies par les planteurs asiatiques : la ThaĂŻlande et lâIndonĂ©sie, premier et deuxiĂšme producteurs au monde, ont vu leurs rĂ©coltes dĂ©gringoler respectivement de 8 et 13 % en un an, en raison dâune baisse des pluies consĂ©cutive au phĂ©nomĂšne El Niño. Ă lâinverse, la CĂŽte dâIvoire, troisiĂšme producteur mondial, a vu sa rĂ©colte grimper de +18 %. Et la demande mondiale a augmentĂ© de 2 %, soutenue par les commandes de lâindustrie automobile (les pneus reprĂ©sentent les deux tiers des dĂ©bouchĂ©s du caoutchouc).
La Banque mondiale estime que les cours vont continuer Ă augmenter de 3 %, en 2025 comme en 2026. La CĂŽte dâIvoire devrait profiter pleinement de cette conjoncture : le pays a inaugurĂ© en octobre 2023 sa sixiĂšme usine de transformation de caoutchouc, Ă SoubrĂ© (sud-ouest). Dâune capacitĂ© de 60 000 tonnes par an, elle devrait Ă terme doubler sa production pour atteindre 120 000 tonnes. La CĂŽte dâIvoire projette de traiter sur son sol la totalitĂ© de sa production, estimĂ©e Ă 1,8 million de tonnes Ses capacitĂ©s installĂ©es sont passĂ©es de 700 000 tonnes en 2017 Ă 1,4 million en 2023. En novembre 2023, le Conseil hĂ©vĂ©a palmier Ă huile (CHPH) a interdit les exportations de caoutchouc brut, afin dâencourager la transformation sur place et lâindustrialisation du pays â
Avec PASSION, rigueu r et bienveillance, la jour naliste ma rocaine donne la pa role Ă des person nalitĂ©s inspirantes et propose des RĂFLEX IONS su r notre monde. propos recu eillis par Astrid Krivian
1 Votre objet fétiche ?
Un carnet et un st ylo que mon pĂšre mâa offerts. Jâai besoin de toujours avoir Ă portĂ©e de main de quoi Ă©crire, consigner sur du papier. Je nâarrive pas Ă le faire avec mon tĂ©lĂ©phone
2 Votre voyage favori ?
Le Liban et la Sy rie, au début des années 2000
JâĂ©tais impressionnĂ©e par leurs vestiges historiques, Ă©mer veillĂ©e par lâĂ©lan de vie du premier, qui se relevait de la guerre
3 Le dernier voyage que vous avez fait ?
Ă Br uxelles.
4 Ce que vous emportez toujou rs avec vous ?
Des livres Je peux passer une heure Ă choisir lesquels je vais mettre dans ma valise !
Et jâen ai toujours deux dans mon sac.
5 Un morceau de musique ?
« Canon », de Pachelbel, mâapaise, me remue profondĂ©ment
6 Un livre su r une ßle déserte ?
Une vie bouleversĂ©e, dâEtty Hillesum Une leçon de spiritualitĂ©, de rĂ©silience, de foi en la bontĂ© humaine, mĂȘme au milieu du pire.
7 Un film inou bliable ?
The Magdalene Si sters : lâhistoire dâun couvent irlandais oĂč Ă©taient enfermĂ©es, abusĂ©es et maltraitĂ©es des jeunes filles considĂ©rĂ©es
comme « perdues » par leurs familles (Ă la suite dâun viol, par exemple), jusquâen 1996
8 Votre mot favori ?
« Humilité » : une vertu cardinale.
9 Prodig ue ou Ă©conome ?
Trop prodigue !
10 De jour ou de nuit ?
De jour. Je ne suis pas (ou plus) capable dâĂȘtre de nuit !
11 X, Facebook, WhatsApp, coup de fil ou lettre ?
Jâadore prendre le temps dâĂ©crire des lettres, les envoyer, attendre la rĂ©ponse. Mais je le fais de moins en moins, jâutilise plutĂŽt WhatsApp.
12 Votre tr uc pour penser Ă autre chose, tout ou blier ?
Quand jâai besoin de retrouver de lâĂ©nergie et de la joie, je mets de la musique et je danse.
13 Votre extravagance favorite ?
Goûter tous les chocolats possibles !
14 Ce que vous rĂȘviez dâĂȘtre quand vous Ă©tiez en fant ?
Ăcrivaine. Et comĂ©dienne de thĂ©Ăątre, mais je me lâinterdisais : dans ma famille, les mĂ©tiers ar tistiques Ă©taient ceux des « saltimbanques ».
15 La derniÚre rencontre qui vous a marquée ?
Un ancien combattant nationaliste marocain, de gauche, exilé pendant vingt ans en France.
DĂšs son retour au Maroc, il a constr uit une Ă©cole pour partager sa vision de lâinstruction, prĂȘt Ă contribuer au dĂ©veloppement du pays
16 Ce Ă quoi vous ĂȘtes incapable de rĂ©sister ?
Danser, oĂč que je sois â restaurant, magasinâŠ
17 Votre plus beau souvenir ?
Toutes les fois oĂč je suis devenue tata, et le jour oĂč jâai appris que jâallais avoir un filleul.
18 Lâendroit oĂč vous aimeriez vivre ?
Nâimporte oĂč, pour vu que la mer soit Ă cĂŽtĂ©.
19 Votre plus belle dĂ©claration dâamou r ?
Celle des amis qui mâaccompagnent et croient en moi depuis longtemps.
20 Ce que vous aimeriez que lâon retien ne de vous au siĂšcle prochain ?
Quâil faut faire les choses sĂ©rieusement, mais sans jamais se prendre au sĂ©rieux : sâamuser et prendre plaisir Ă tout est essentiel. â
Câest Ă di re et Jâai ta nt de choses Ă vous di re su r 2M
MONDIALE TOUT EN LUTTANT
CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE.