CÔTE D’IVOIRE L’ENJEU 2025
L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE EST PRÉVUE POUR OCTOBRE PROCHAIN. RETOUR SUR CESANNÉES ADO, SUR CE QUIARADICALEMENT CHANGÉ.ETPROJECTIONS SUR CE QUIEST ÀVENIR.
EXPLOR ATIONS GRAND- BASSAM, AKOU ÉDOE T AILLEUR SENCOR E
L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE EST PRÉVUE POUR OCTOBRE PROCHAIN. RETOUR SUR CESANNÉES ADO, SUR CE QUIARADICALEMENT CHANGÉ.ETPROJECTIONS SUR CE QUIEST ÀVENIR.
EXPLOR ATIONS GRAND- BASSAM, AKOU ÉDOE T AILLEUR SENCOR E
En octobre prochain, ce sera donc l’élection présidentielle.
La douz ième de l’histoire du pays, et surtout la sixième depuis 1990 et l’avènement du multipartisme. Une séquence politique majeure, celle de l’élection du « chef » dans une démocratie encore fragile, dans un grand pays de promesses et d’oppor tunités où, hier, les crises identitaires et les déchirements n’auront pas manqué. Une séquence majeure pour une Côte d’Ivoire, depuis, en pleine dynamique d’émergence. Un moment de vérité sur la nouvelle capacité à vivre ensemble, un moment déterminant pour le processus de consolidation démocratique et l’accélération du développement.
Et ce sera un moment historique, central pour le « chef », justement, pour Alassane Dramane Ouattara. L’enfant de Kong est au pouvoir depuis 2011, après un long chemin politique. Il est consubstantiellement lié à l’histoire moderne du pays, architecte du second miracle économique et des nouveaux dispositifs institutionnels. C’est son projet et le projet d’une vie. Avec l’ él ection, il faudra entrer dans le bilan, se projeter aussi vers demain, dessiner un nouveau cycle.
Et il lui faudra décider aussi. S’il est candidat ou faiseur de candidat, et de quelle manière il sera au centre de la séquence
En quinze ans, on l’a dit, le pays a profondément changé La Côte d’Ivoire a accompli l’un des rares véritables parcours d’ émergence en Afriqu e sur la période La croissance est l’une des plus rapides au monde (7 % en moyenne), même pendant la terrible épreu ve du Covid (a ve c un ta ux trè s lég èrem ent positif en 2020). L’ économie est devenu e l’une des dix prem ières du contin ent. Le pa ys s’est construit, phys iq ue me nt tran sfor mé, méta morp ho sé Et pa s
uniquement avec des routes et des ponts. Mais aussi avec des écoles, des collèges, des universités, des centres de santé, des CHU… Abidjan est crédible sur les marchés internationaux , la signature ivoirienne « vaut », la Côte d’Ivoire reste le premier producteur mondial de cacao, une puissance agricole, et elle s’engage dans la production de pétrole et de gaz… Le changement dépasse la pure grille d’analyse économique. Malgré les différences ethniques et culturelles, les clivages réels qui peuvent renaître, alime ntés par les cyniqu es, en particulie r dans les sé qu en ce s poli tiq ue s, on re sse nt de pl us en pl us un e id ée ivoi ri en ne [voi r pag es 70 -75], le co nc ept de nation commune qui se construit, de destin qui se par tage. On ressent une volonté d’unité dans la diversité, une volonté en tout cas de ne pas retomber dans les af fres de la division. De protéger ce qui doit être protégé. Et la Coupe d’Afrique des nations (février 2024), véritable moment d’accomplissement collectif, a montré que l’enthousiasme autour du drapeau était plus que possible – certes, c’est plus facile avec le foot, un miracle à mi -parcours et une victoire finale à la clé.
La Côte d’Ivoire n’est pas, encore, une grande démocratie solide – y a-t- il encore, de par le monde, de grandes démocraties solides ? –, mais le progrès in sti tution ne l est ré el Avec de s textes, de s jur idictions, des process Les dernières élections législatives (mars 2021) et municipales (septembre 2023) ont été ouvertes, transparentes. Le président est le président, c’est clair Il décide et arbitre. Mais le système a des entrées multiples Avec de la concurrence dans les sp hè re s du po uvoi r. Un e so ciété mé di ati qu e, un e société civile, un débat, des personnalités politiques, des opposants qui s’expriment. C’est vivant et vivace
Et pui s, il y a la sé cu ri té . Ce l ux e de l ’Af ri qu e contemporaine. L’at tentat de Grand -Bassam (13 mars 2016) a laissé une blessure lancinante. Mais depuis, le pays a massivement investi en équipements, en intelligence, en formations et en revalorisation des métiers (a rm ée, po lic e, ge nd ar me ri e) La fragi lisation de la situation régionale, les risques sur l’intégration, les crises plus ou moins ouvertes avec les pays voisins sahéliens créent de nouveaux défis. Même si l’ état d’aler te est permanent et que le pire est toujours possible, que le danger djihadiste est par ticulièrement inquiétant, les frontières sont tenues La sécurité, c’est aussi une forme de tranquillité quotidienne. On peut voyager dans le pays, roul er, même de nuit, all er voir des cousins ou de la famille, sortir en ville la nuit, à Abidjan ou ailleurs, aller à la plage ou en forêt… Comme partout, il y a des risqu es, mai s ceux-c i so nt maî trisés dans un e fo rm e d’étonnante normalité
To ut ce l a po urr ai t pr es qu e pa ra ît re norm al aujourd’hu i. Comme une évidence. Pour tant, il faut aussi le redire, on revient de loin Le passé a été bruta l. La mor t du fo ndat eu r Fé li x Ho uph ou ët -B oign y (d éc emb re 19 93) a entraîné un cycl e de te nsi on s, de crises institutionnelles et économiques, et la naissa nc e du po is on de l’« ivoi ri té ». Le mi ro ir se br is e en déce mb re 19 99 Le prési de nt He nr i Ko nan Bé di é est renversé par un coup d’État (de Noël). Laurent Gbagbo acc ède au po uv oir en oc to br e 2 000 . En se ptembre 20 02, le pays est coupé en deux à la suite de la rébellion. La crise at teint son paroxysme avec l’élection présidentielle de novembre 2010, repor tée à plusieurs reprises depuis 20 05. Laurent Gbagbo refuse de reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara.
Au lendemain de cette dernière tragédie, la Côte d’Ivoire est exsangue, ruinée, elle est divisée, profondément, comme au sortir d’une guerre civile
Et pou rt an t, en de ux , tr oi s an s, le pa ys va se remettre sur pied, les gens vont se retrouver, travailler, vivre ensemble La réconciliation sera progressive, mais elle se fe ra très la rg em ent sa ns co ercition, sa ns violence. De tous « les travaux du président Ouattara, cette période précise est certainement la plus historique, la plus révélatrice », souligne un observateur avisé
Rien n’est simple, évidemment. Malgré le progrès visible, les inégalités et les disparités géographiques sont prégnantes. L’inclusivité reste une priorité. La démographie et l’immigration, toujours toniques, appor tent leur lot d’opportunités, mais aussi de contraintes. Les
ef fets du changement climatique pourraient bouleverser les schémas futurs de croissance Et il faut aller plus vite en matière d’industrialisation « propre », de développement durable, de création d’emplois, de mobilisation du secteur privé, d’adaptation aux nouvelles technologies et au monde qui vient. Mais ces « il faut » ne changent pas la réalité d’aujourd’hui. Sur la car te du continent, il y a encore trop peu d’endroits où « l’on y croit », avec un relatif optimisme vis -à -vis de l’avenir, où l’on sent du dynamisme, de l’ambition, de « la taille ».
Au centre de l’équation, il y a évidemment le président Alassane Dramane Ouattara. Le pays est gouverné. Il y a un projet Une volonté Un parcours, aussi. ADO s’est construit dans l’adversité, dans l’opposition, en créant un parti (le RDR), en mobilisant les troupes, en mobilisant une garde rapprochée de lieutenants et de fidèles. Certains nous ont quittés bien trop tôt. On pense à Amadou Gon Coulibaly, le véritable hériter politique disparu en juillet 2020. Et aussi à Hamed Bakayoko, fauché par la maladie en mars 2021.
Le président est entouré. Ça compte. Il travaille et ça compte. Il est clairement patriarche, il tient au respect des préséances, il peut être ombrageux (même si l’humour n’est jamais lo in). Ma is au -d el à du po uvo ir, il y a ce tt e vo lo nté so us -j ac en te et con st an te d’im prime r sa di fférence, la se nsat ion d’avoi r « fa it », d’avoi r mi s en œu vre un vé ri ta ble mod èl e af ricain d’ émergence, d’avoir eu un résultat Pour ADO, l’héritage et la legacy, comme disent les Anglo -Saxons, sont essentiels Et donc il se doit d’être capitaine du navire, il se doit de protéger la Côte d’Ivoire des dangers et des menaces. Il se sent responsable, et l’avenir ne s’écrira pas sans lui.
De to us les sc én ari os po ssi bl es , ce lu i de « l’effa cem ent tr an qu ill e » es t ha utem ent im prob abl e. Inspirateur ou acteur, il sera au centre de l’ équation électorale d’octobre 2025 ADO peaufine sa réflexion Mûrit sa décision Rappelle, lors des vœux au gouvernement, qu’il y a bien la fameuse « demi -douzaine » de personnes dans la salle qui pourraient postuler Il fait confiance à son vice- président, Tiémoko Meyliet Koné, un homme d’expérience À son Premier ministre, Robert Beugré Mambé. Au par ti, au gouvernement, les poids lourds sont alignés, prêts à agir
L’élection ne sera pas une formalité. Le moment est trop important Il y aura débat, il y aura concurrence, il y aura des chocs de personnalités avec, forcément, une projection vers la transition générationnelle L’oppo -
Le ch ef de l’État Al as san e Ouattara avec l e vic e- prési de nt Ti ém oko Meyl iet Ko né (à ga uc he) et le Prem i e r minist re Ro be rt Be ugré Ma mb é (à droi te).
sition est loin d’être aphone. Certains candidats potentiels sont bien décidés à y aller, d’une manière ou d’une autre. Avec leurs certitudes bien af firmées et leurs faiblesses. Tidjane Thiam, l’ancien banquier international, qui a pris d’assaut le PDCI, y croit dur comme fer, malgré son long éloignement du pays et les divisions de son camp Laurent Gbagbo veut sa revanche, qu el qu e soit X, sa place naturelle dans l’histoire Des francs -tireurs comme Jean- Louis Billon, et d’autres encore, chercheront à brouiller les scénarios.
Ce qui se joue, pourtant, dépasse de loin les destins et les aventures personnels. La Côte d’Ivoire est engagée dans un chemin d’émergence. Un processus rare Et fragile. L’évolution et le développement ne sont pas des acquis irréversibles. Les cercles vertueux
de la croissance, de la démocratisation et de la stabilité ne sont pas écrits d’avance. Les défis sont là, qu’il faudra relever collectivement. 70 % de la population a moins de 30 ans. Ces nouvelles générations ont besoin d’être impliquées, d’adhérer au modèle, de croire. Plus que jamais, il faut définitivement échapper aux conflits d’am bi tions, dé pa sser, vraim ent, les référents ré gionaux ou religieux. Plus que jamais, il faut faire preuve de mo de rnité. Promouvoi r l’indi sp ensa bl e di al o g ue politique, le collectif, l’ouverture.
L’enjeu est réel. L’échéance engage le président, la classe politique, les citoyens. Il y a une promesse ivoirienne à tenir, la possibilité de s’appuyer sur la capacité assez stupéfiante de ce pays à rebondir, à se construire, à se projeter, à avancer. ■
JANVIER 2025 P.22
3 ÉDITO
Le choix ivoirien par Zyad Limam
10 ZOOM
DES GR AN DS ANGLES ET DES IM AGES
POUR VOUS RACONT ER par Zyad Limam
22 MELTING-POT
LES GENS, LES LIEU X, LES SONS
ET LES COULEU RS
Les femmes de l’ar t
130 POUR CONCLU RE
En quinze ans… par Emmanuelle Pont ié
TEMPS FORTS
38 Comme nous avons changé ! par Zyad Limam et Philippe Di Nacera
42 Émergence, mode d’emploi par Zyad Limam et Philippe Di Nacera
52 La croissance et le social, pas à pas par Philippe Di Nacera
56 La jeunesse au cœur de toutes les attentions par Philippe Di Nacera
62 Chantiers d’avenir par Zyad Limam
70 Paysages politiques d’avant-campagne propos de Dion Yodé Simplice et Arthur Banga recueilli s par Venance Konan
76 Myss Belmonde Dogo : « Lutter et répond re au x besoins de base » propos recueilli s par Philippe Di Nacera
80 Euph rasie Kouassi Yao : « Nous avons assisté à une form idable évolution des mentalités » propos recueilli s par Philippe Di Nacera
84 Asta Rosa Cissé : « Nous avons besoin de jeunes pour nous aider à aller encore plus loin » propos recueilli s par Emmanuelle Pont ié
88 La métamorphose d’Akouédo par Zyad Limam
94 Franck Kacou :
« Le monde digital s’est imposé à nous » propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
98 Mu rielle Ahou ré-Demps :
« Se reconnecter à l’Afrique » propos recueillis par Philippe Di Nacera
102 Georges Mom boye :
« La danse, c’est partager ce que l’on a de plus beau » propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
106 Aboudia : « C’est au x ar tistes de mont rer ce qu’ils valent » propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
110 Alex Ogou : « Nous devons créer notre propre soft power cult urel » propos recueillis par Jihane Zorkot
114 Sarah Abdel Reda : « Ici, notre rappor t à l’espace est différent » propos recueillis par Jihane Zorkot
116 Elie Kuame : « Mes identités se re ètent dans le choix des couleu rs et des matières » propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
120 Dico 225 : « Je veux offr ir de la joie et de l’énergie positive » propos recueillis par Jihane Zorkot
124 Grand-Bassam : « Là où la vie résiste ! » par Amélie Monney-Maurial
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De s gr an ds an gl e s et de s im ag es po ur vo us ra con te r PR ÉS EN TÉ PAR Z YA D L IM AM
À droite, la Tour F en cons tru ct ion Avec la cathéd ra le Sa int- Pa ul au premi er p la n et l es to ur s A, B, C, D et E de la cité administrative.
ELLE S’ÉLÈV E CH AQUE
JOUR UN PEU PLUS, visible maintenant des quatre coins de la ville. De jour comme de nuit, elle est « au centre ». À la hauteur, si l’on peut dire, des ambitions de « Babi » (contraction d’Abidjan et de Babylone), véritable cité afro globale de plus de 5 millions d’habitants. Inscrite dans le plan d’urbanisme depuis les années 1970, la Tour F sera la sixième de la Cité administrative, au cœur du Plateau. Considérée comme un immeuble de très
grande hauteur (ITGH), elle atteindra 333 mètres de haut et sa flèche pointera à 421 mètres d’altitude Elle a été dessinée par l’architecte Pierre Fakhoury, qui a marqué de son empreinte le paysage ivoirien (on pense entre autres à la fameuse basilique de Yamoussoukro). Le dessin et la géométrie de la tour sont sy métriques, ils évoquent les formes d’un masque africain. L’ensemble des travaux, la complexité de l’œuvre, est piloté par l’entreprise PFO Africa.
ILS SONT REVENUS DE TR ÈS, TR ÈS LOIN, LES ÉLÉPHA NTS, de l’effondrement et d’une humiliante défaite (c’était dans la nuit du 22 janv ier 2024, au stade Alassane Ouattara d’Ebimpé, avec un plus que sévère 4-0 infligé par la
Guinée équatoriale). Qualifiés mathématiquement et par miracle pour le second tour, ils changent, se métamorphosent sous la direction d’un nouvel entraîneur (Émerse Faé). L’équipe enchaîne les victoires pour un come-back footballistique quasi unique
dans l’histoire de la Coupe d’Afrique des nations. La finale est à eux. Face aux Green Eagles nigérians, la coupe vient au pays ! Pour la Côte d’Ivoire, la CA N 2024, « la plus belle de l’histoire », aura été une formidable opération de fierté nationale, mais aussi
de sof t power. Des stades magnifiques (six enceintes homologuées FIFA), des pelouses qui tiennent, un public au rendez-vous, une organisation fluide, une ambiance de feu, Magic System et l’inattendu « coup du marteau » qui
auront fait danser l’Afrique… L’investissement a été conséquent, à hauteur de plus d’un milliard d’euros. ADO peut être fier et le pays est durablement installé sur la carte géopolitique du sport et de l’accueil.
BIEN VENUE DA NS CE PAYS MULTIPLE d’environ 30 millions d’habitants. Un melting-pot d’origines, d’identités, de religions. Soixante ethnies principales – Sénoufo, Malinké, Baoulé, Yacouba, Bété, Agni, Gouro, Dioula, Guéré, Dida, Lobi, Wobé, Abé, Adjouk rou, Ébrié… Des peuples que les enjeux de pouvoir ont pu séparer, opposer, et qui apprennent maintenant à vivre ensemble Par la fusion urbaine, les études universitaires, le mariage… Il y a aussi de nombreux immigrants, pauv res et nettement moins pauv res, venus de partout, d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale, attirés par les opportunités d’un pays de croissance. Ou simplement par la sécurité, essentielle. Il faut enfin souligner l’identité libanaise. Abidjan, l’autre grande ville du pays du cèdre. Même si les réf lexes identitaires sont encore puissants, même si la mosaïque est plus que fragile, une idée ivoirienne d’appartenance commune malgré tout se fait jour petit à petit. C’est l’un des véritables enjeux du futur.
EN VENA NT, ON PENSE
SOUV ENT À ABIDJA N, à cette mégalopole cosmopolite et en extension permanente Oui, la Côte d’Ivoire, c’est Babi, év idemment, mais c’est aussi un patrimoine naturel impressionnant De la frontière libérienne à celle du Ghana, le pays offre 515 km de côtes et de plages encore quasi vierges, face à l’Atlantique.
Avec ses spots farniente, comme l’incontournable Assinie, mais aussi GrandBéréby (près de San-Pédro) ou Grand-Lahou (ici, en photo).
La Côte d’Ivoire, c’est aussi le plus vaste réseau lagunaire d’Afrique. Un joyau, avec ses mangroves, son écosystème unique, en danger aussi, menacé par la pollution, le changement climatique, l’exploitation anarchique des ressources. C’est le pays
de la forêt et, aujourd’hui, la prise de conscience est réelle pour protéger ce trésor vert En contraste, en allant vers le nord, c’est le pays des savanes et du Sahel, avec ses traditions immémoriales. 322 463 km d’une nature riche et d’une humanité multiple, un appel au tourisme clair voyant et de qualité, un appel aussi à protéger, défendre ce patrimoine rare.
PLUS DE 75 % DES IVOIRIENS
ONT MOINS DE 35 ANS.
Et près de 40 % ont moins de 15 ans. Disons 11 millions de citoyens. Les enfants et les jeunes sont le cœur du pays
Une force, une opportunité (le fameux « dividende
démographique »), mais aussi une exigence, un défi Il faut construire des écoles, des collèges, des lycées, des universités, des instituts de formation, des cycles courts et des cycles longs. Au-delà de la construction, il faut instruire, former les maîtres,
les professeurs, les rémunérer. Préparer aussi ces cohortes de jeunes aux métiers de demain pour pouvoir réellement s’inscrire dans l’émergence, remodeler les chaînes de valeur traditionnelles.
Les projections pour 2050
sont complexes, largement fonction de la modernisation de la société et de la stabilisation démographique (contraception, éducation des filles, activité des femmes, etc.) Mais d’ici le milieu du siècle, les Ivoiriens pourraient être entre 45 et 50 millions. ■
Le s ge ns , le s li eu x, le s so ns et le s co ul eu rs
El les font bouger le paysage de l’ar t contempora in, el les pa rt icipent au RAYONN EM EN T CU LT UR EL DU PAYS, leurs ga leries s’ imposent su r la scène globale. Avec des ar tistes locaux et des diasporas.
ELLE A FA IT SES ARMES auprès de Daniel Templon, Chantal Crousel, David Zwirner. En septembre 2012, poussée par la volonté de s’investir dans l’art contemporain, elle ouvre sa première galerie à Abidjan, un surprenant cube de béton épuré situé à Cocody, offrant aux artistes locaux une véritable vitrine En 2018, elle inaugure un nouvel espace à Dakar. Œuvrer à la promotion de l’art contemporain sur le continent africain, telle est l’ambition : « Si on ne restaurait pas l’équilibre, demain, nos enfants devraient aller voir nos trésors nationaux en France ou aux États-Unis »,
confiait-elle récemment dans une interview accordée au Monde. Au fil des ans, ce sont près de cinquante expositions majeures qui voient le jour, mettant en avant toute une génération d’artistes emblématiques : Aboudia, Dalila Dalléas Bouzar, Jems Koko Bi, Vincent Michéa, François-Xavier Gbré, sans oublier l’immense Ouattara Watts, et bien d’autres encore À partir de mars 2020, elle développe le Project Space à Abidjan, un espace dédié à une programmation prospective, promouvant la diversité de la scène artistique contemporaine et la création émergente. ■ Iris Vertanessian
APRÈS DES ÉTUDES AU X ÉTATS-UNIS, Illa rentre en Côte d’Ivoire et travaille dans l’agroalimentaire. En 2008, elle crée la Fondation Donwahi en hommage à son père, Charles Bauza Donwahi, homme politique ivoirien et collectionneur d’art. Elle expose les talents du continent et d’ailleurs à Cocody, dans un lieu magique de 1 500 m2, répartis en trois villas Des salles d’exposition, une médiathèque, des ateliers et résidences d’artistes et un savoureux restaurant, Le Lounge, accueillent les visiteurs et les créateurs dans un parc ombragé par des arbres centenaires. Un lieu en constante ébullition, entre les happenings, les expos d’artistes contemporains renommés ou moins, les causeries et débats sur la création contemporaine. En 2024, Illa est choisie pour être la commissaire du pavillon Côte d’Ivoire à la Biennale de Venise, aux côtés du curateur Simon Njami. Le pays propose alors le concept « The Blue Note », sy mbole de résilience et d’espoir à travers l’expression artistique, qui rencontre un immense succès. ■ Emmanuelle Pontié
NICHÉE EN PLEIN CŒUR de la capitale ivoirienne, dans le quartier du Plateau, la Galerie Farah Fakhri est un espace culturel et artistique dédié à la promotion des arts visuels. Après avoir longtemps séjourné à l’étranger et travaillé pour les plus grands noms de la mode, tel que Chanel en tant que directrice de communication dans plusieurs pays, elle est désormais animée par la volonté de promouvoir le travail des artistes du continent et de la diaspora À travers des expositions et des partenariats stratégiques avec des institutions artistiques internationales, la galerie se donne pour objectif d’intégrer pleinement ses talents dans la conversation mondiale de l’art. Elle collabore avec des artistes contemporains de toute l’Afrique, dont les pratiques sont diverses, à l’instar des mi xed media s de Joana Choumali, des œuvres textiles murales du Malien Abdoulaye Konaté, de la peinture de l’Ivoirien Yeanzi, du Tunisien Taher Jaoui ou du Ghanéen Kelv in Haizel, de la photographie et de la vidéo de l’Ivoirienne Keren Lasme, de la sculpture et des installations avec notamment l’Ivoirien Chada… Exposer à la fois des artistes émergents comme Chada et des talents établis comme Abdoulaye Konaté permet de créer des dialogues intergénérationnels et culturels qui enrichissent l’expérience des collectionneurs et du public. Bien plus qu’un lieu d’exposition, la galerie Farah Fakhri est un espace de découverte et d’inspiration pour les passionnés d’art et les collectionneurs ■ Jihane Zorkot
DEPUIS DÉCEMBRE 2015, la galerie LouiSimone Guirandou, fondée par l’historienne de l’art Simone Guirandou et sa fille Gazelle, est un refuge pour les créateurs et les pépites artistiques, attirant une nouvelle génération de collectionneurs ivoiriens. Toutes deux portent une grande attention aux talents émergents, que la galerie attenante à la villa familiale s’efforce de mettre en lumière en leur offrant des plates-formes d’expression inédites Le succès est immédiat. Linguiste de formation, Gazelle occupe divers postes au sein d’une organisation internationale pendant vingt-cinq ans, avant de revenir à sa passion de toujours aux côtés de sa mère et de prendre finalement seule la direction de la structure en 2018 Soutenant activement la scène locale grâce à sa proximité avec les jeunes créateurs et sa connaissance du marché de l’art international, elle est notamment à l’origine de la première exposition personnelle en Côte d’Ivoire d’Oumar Ball et de la découverte du talent d’Ange Dakouo. Par ailleurs, l’équipe managériale de LouiSimone, majoritairement féminine, fait écho aux valeurs et à l’engagement de Gazelle Guirandou pour le leadership féminin et la place des femmes dans le monde de l’art. ■ I.V.
Vi si te of fici ell e à Toulous e, si èg e du constru cteu r Airbus, le s 23 et 24 octo bre 2 02 4, d’une dé léga ti on de ha ut nive au d’Ai r CI , me née par le p ré sident de so n Co ns eil d’administ ra tio n, le géné ra l Ab doulaye Co uli ba ly, et so n directeur gé néral, La urent Lo ukou
Le pavi llon national vise dorénava nt des DEST INAT IONS intercontinenta les.
CES VOLS SY MBOL ISEN T UN E SORT E DE GR AN D BOND EN AVANT. Si tout va bien, la compagnie aérienne nationale Air Côte d’Ivoire inaugurera ses premiers vols long-courriers intercontinentaux au cours du premier semestre 2025 Avec les appareils nécessaires, les deux Airbus A330-900neo, dont la réception est attendue d’ici av ril 2025 Une évolution majeure pour le pavillon ivoirien, qui vise désormais Paris, bien sûr, avec une
ouverture de ligne prév ue à la fin du premier semestre 2025 – et d’autres escales à Londres, Bruxelles, Genève, etc., sont possibles –, mais aussi à terme Washington et encore Bey routh. Johannesburg (ouverte en juin 2022 via Kinshasa) bénéficierait, elle, d’une plus grande capacité Cette stratégie représente un pari d’ampleur pour l’entreprise, une « marche haute » sur laquelle de nombreuses compagnies africaines ont déjà buté Le bu siness plan s’appuie sur l’attractivité de la place d’Abidjan, mais aussi sur les efforts entrepris depuis 2012, date de la création d’Air CI, voulus par le président Alassane Ouattara En une décennie, le pavillon est parvenu à capter 52 % de
parts du marché régional, avec 6,7 millions de passagers. Il affiche depuis 2021 un résultat d’exploitation positif et ambitionne, d’ici 2031, d’établir des liaisons avec au moins 35 destinations et de compter 12,5 millions de passagers annuels. L’agrandissement de l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, déjà au maximum de ses capacités, doit forcément accompagner cette ambition kingsize. Sur ce chemin de haut vol, Air CI devra faire face à de solides concurrents, à commencer par Ethiopian Airlines et ses multiples compagnies affiliées comme Asky Et surtout négocier une rév ision de l’« accord de ciel ouvert » signé avec Paris en mars 2016, afin de limiter la concurrence des pavillons français (A ir France et Corsair) sur Abidjan. Des discussions difficiles – la destination est particulièrement rentable –, mais indispensables pour laisser le pavillon ivoirien amorcer son envol vers la capitale française. En tout état de cause, les futurs passagers attendent d’embarquer sur l’un des tout premiers vols HF (le code IATA de la compagnie) entre Paris et la Perle des lagunes ! ■ Zyad Limam
qu i met à l’ honneu r la ga st ronomie loca le.
LA CHEFFE IVOIRIENNE incarne la nouvelle vague de la gastronomie africaine. À seulement 25 ans, elle s’est retrouvée à la tête de deux restaurants en France, l’un à Neuilly-sur-Seine et l’autre à Vanves. En 2018, elle prend un congé pour retourner en Côte d’Ivoire et travailler sur le gala de la Première dame, où elle rencontre la cheffe Anne-Sophie Pic, ainsi que sa consœur nationale Christelle Vougo Elle décide alors de revenir à Abidjan et ouvre en 2024 son premier restaurant, Cheffe Konan, dans le quartier de la Riviera, où elle propose une cuisine du monde aux saveurs riches et variées. Elle modernise les recettes traditionnelles – comme en témoigne sa brandade à l’ivoirienne, une adaptation du plat portugais, où l’igname remplace la pomme de terre. Dans ce restaurant à l’ambiance feutrée, elle cible une clientèle plurielle et souhaite que l’on s’y sente comme à la maison Le pari est réussi, avec une affluence de 30 à 60 couverts par serv ice. Faire rayonner la gastronomie ivoirienne tout en élevant les standards de la cuisine africaine, tel est son objectif. ■ J.Z.
Un lieu d’exception où LES BONN ES IDÉES ET CONCEPTS FOUR MILLENT et où le mot d’ordre est AVANT-GARDE.
SITUÉE AU CŒUR du quartier de Cocody, la Villa Colomb, véritable sy mbole de la belle époque abidjanaise des années 1980, a su faire peau neuve. Cette grande bâtisse, qui était la maison familiale de feu Auguste et Andrée Colomb, deux entrepreneurs amoureux de l’art, est désormais sous la super vision de leur fils Jean-Yves. Construite dans un st yle avant-gardiste et intemporel, elle saisit tout de suite par ses grands espaces. La maison accueille des événements privés depuis près de dix ans, mais s’est ouverte au grand public depuis 2023. Désormais, elle est le point de rendez-vous de tous les Abidjanais amateurs d’arts Elle se décline en divers concepts La T’Galler y expose de jeunes artistes en quête de visibilité, parmi lesquels le collectif Yéka La demeure abrite également le KN’7 Store, un concept store où designers
et st ylistes, qu’ils soient ivoiriens ou viennent de la sousrégion, présentent leurs collections. Ce qui fut autrefois le grand salon de réception, une immense pièce à la hauteur sous plafond vertigineuse avec un mobilier encore d’époque, fait désormais office de bar : les K’Napés sont ainsi devenus le point de rendez-vous de la jeunesse branchée de Babi. Il y a également une scène artistique accueillant concerts, spectacles, galas, et parfois des tournages, comme celui du Parlement du rire Les goûts et les saveurs sont également mis à l’honneur dans le restaurant éphémère A7, qui entend mettre en lumière le patrimoine culinaire ivoirien en invitant régulièrement différents chefs. Avec ses huit chambres disponibles à la location, la Villa se veut également maison d’hôtes, offrant un cadre paisible et raffiné aux voyageurs ■ J.Z.
Le 6 ja nvie r 2 025, la Première dam e Do mi niqu e Oua ttara re nd vi site aux ju me ll es s i amoi ses op érée s avec su cc ès
L’ hôpita l Mère-Enfant de Bi nger vi lle compte pa rm i les ACCOMPLISSEM EN TS
MAJ EU RS de la Fondat ion
Chi ld ren of Af rica.
CET ÉTABLISSEMENT a bouleversé le paysage social de la communauté de Bingerv ille, située à 30 kilomètres à l’est de la capitale économique, et plus largement de toute la Côte d’Ivoire Inauguré en 2018 par le président Alassane Ouattara, l’hôpital Mère-Enfant est un projet porté par la Première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, à travers sa fondation Children of Africa D’un coût global de 25 milliards de FCFA, dont 5,5 milliards investis dans des équipements de pointe, l’HME a une mission de serv ice public à but non lucratif L’objectif est d’augmenter l’offre de soins en direction du couple mère-enfant. Avec ses 130 lits, l’hôpital est équipé d’un matériel de dernière génération et offre un plateau technique impressionnant : trois blocs (chirurgical, obstétrical et néonatal), un double serv ice d’anesthésie et de réanimation, un laboratoire d’analyses médicales, un plateau d’imagerie et une pharmacie. Les mamans et leur progéniture viennent de tout le pays et de la sous-région pour profiter de ces équipements C’est dans cet hôpital que, début janv ier 2025, une équipe de médecins bénévoles de la Chaîne de l’Espoir s’est associée aux chirurgiens ivoiriens pour séparer des siamoises de six mois reliées par le ventre, au terme d’une opération hors-norme qui a duré 17 heures. Une prouesse scrutée par le monde entier Aujourd’hui, les deux petites ivoiriennes, Grâce et Marie, se portent très bien. ■ E.P.
Touche-à-tout, cette ar tiste pluridiscipli na ire évolue da ns les mi lieu x musica l et ar tist iq ue pour y proposer de vérita bles EX PÉRI ENCES SENSOR IELL ES.
MAUR ANE GA DE AU, alias Mrs Blues, est une artiste ivoirienne dont l’œuvre fusionne musique, performance et installation multimédia dans une démarche visant la libération émotionnelle Elle évolue dans un univers artistique dès son plus jeune âge, son père, le regretté Dez Gad (Désiré Coffi Gadeau), lui ayant transmis son amour de la musique, et du jazz plus particulièrement Son processus créatif repose sur l’improv isation et l’écoute attentive – expériences où elle cherche à transformer ses émotions en compositions Elle fait ses premiers pas sur scène en 2013 à l’occasion du célèbre festival l’Émoi du jazz à Abidjan, ce qui lui donne la chance de performer aux côtés d’artistes de renom, tels que Yodé & Siro, Lionel Loueke et Azouhouni Adou. En plus d’un parcours musical éclectique, elle obtient une licence d’art à Goldsmith, dans la capitale anglaise, et un master en art public et pratiques performatives à l’Université métropolitaine de Londres en 2024 L’artiste a également participé à des événements internationaux, comme la Biennale de Venise pour le pavillon de la Grande-Bretagne par le biais du British Council. Son travail, qui inclut des performances et des compositions, comme la chanson « Remedy » avec Ramy Raad, incarne une recherche constante d’espoir et de guérison – une valeur qu’elle porte à travers son nom d’artiste, Mrs Blues. Bien qu’elle soit encore en train de travailler sur son premier album, elle considère chaque moment en studio et sur scène comme une expérience unique Elle accorde une grande importance à l’approfondissement de soi et à la sérénité, cherchant à partager avec son public des moments d’exploration Actuellement en Italie, où elle accompagne dans son exposition Marina Moreno, artiste pluridisciplinaire, la jeune créatrice blues souhaite continuer à développer des expériences musicales multisensorielles, avec l’objectif de laisser en hommage à son père un héritage de paix ■ J.Z.
L’ONG lutte contre la déforestation et le braconnage pour PR ÉSERVER
LA FAUN E ET L’EN VIRONN EM ENT.
NÉ À ABIDJA N, Bilal Hallal est amoureux des grands espaces et des animaux depuis tout petit. En 2022, il fonde avec un groupe d’amis la Roots Wild Foundation, qui met en place des projets liés à la conser vation de la nature et à la sensibilisation des populations locales à l’importance de protéger l’environnement. Elle se décline en plusieurs départements Avec la création d’un refuge pour animaux à Gonzagueville, le département faune a recueilli plus de 568 animaux sur l’année 2023 et en a réintroduit près de 400 dans la nature En étroite collaboration avec le ministère des Eaux et Forêts, l’organisme a obtenu la gestion de la savane du Bandama rouge, qui s’étend sur 82 000 ha, et de la forêt tropicale classée de Monogaga, d’une superficie
de 40 000 ha Le but est d’y réintroduire les espèces animales. Le département flore agit pour la promotion de l’agroforesterie Une vaste opération de reboisement a été entamée en novembre 2024 dans la forêt de Monogaga, sensibilisant à une autre des actions de la fondation, la lutte contre le braconnage Ce travail, mené en partenariat avec l’UCT (l’unité de lutte contre la criminalité transnationale organisée) s’effectue grâce à la formation de rangers. Ces soldats de la nature ont permis en 2023 de sauver 563 animaux des mains des braconniers. La Roots Wild Foundation inclut enfin un département océanographique, chargé de la protection des tortues et des récifs, ainsi que de la restauration des écosystèmes marins ■ J.Z. DR
Pa s si loin de la grande métropole, ce COIN DE PA RA DIS reste terr iblement sédu isant.
ON POUR RA TOUJOURS DIRE que l’endroit est devenu snob, le rendez-vous un peu show-off de la haute société et de la jet-set abidjanaise, là où il faut être si l’on est un « grand quelqu’un ». Encore plus avec la nouvelle autoroute qui rend accessible le spot en moins d’une heure et demie depuis la mégalopole. Pourtant, le site reste unique, magique, avec cette bande de terre fragile entre la lagune aux apparences tranquilles et la force de l’océan, avec cette plage immense qui va jusqu’au Ghana, les maisons au luxe plus ou moins affiché qui ouvrent sur le grand large, les hôtels boutiques chics enfouis à l’ombre des cocotiers. Assinie fait son cinéma, mais elle reste terriblement séduisante.
Aujourd’hui, le rythme oscille entre le farniente au soleil, les dîners sous
les étoiles, les rencontres discrètes entre puissants. Assinie, toujours donc, et Assinie aux prises avec les temps modernes Le changement climatique et la montée des eaux impactent ce coin de paradis, qu’il va falloir dorénavant protéger ■ Z.L
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En quinze ans, le pays a connu des évolutions économ iq ues et sociales majeures que les statistiques permet tent de mesurer. Des données qui soulignent à la fois les progrès, mais aussi les zones de fragilité. Tour d’horizon quanti é de ces nouvelles réalités ivoirien nes. par Zyad Limam et Philippe Di Nacera
• Population totale : de 21,6 millions en 2011 (Banque mondiale) à 29,6 millions en 2023 (ONU).
33,66 %, c’est la traduction chiffrée d’une forte croissance démographique qui souligne tous les défis se présentant au gouvernement :
- infrastructures routières, scolaires et sanitaires ;
- urbanisme et construction de logements ;
- décentralisation des serv ices publics ;
- lutte contre l’exode rural ;
- adaptation de la ville d’Abidjan à la croissance démographique ;
- emploi, en particulier pour la population jeune ; - partage des fruits du dy namisme de l’économie.
• Pyramide des âges : 36,8 % de la population totale a entre 16 et 35 ans
Un chiffre qui ref lète la jeunesse de la population (avec un âge médian de 23 ans), moteur potentiel de la croissance et cible d’une attention grandissante des pouvoirs publics, en particulier en matière d’éducation, d’aide à l’entrepreneuriat et d’accès à l’emploi.
• Espérance de vie : 54,4 ans pour les femmes en 2011 contre 66 en 2021, 51 ans en 2011 pour les hommes contre 61,4 en 2021 Au total, 57,6 en 2011 et 63,5 en 2021 (ONU).
Une évolution qui démontre non seulement l’amélioration des conditions de vie, mais aussi celle des serv ices de santé publique et de lutte contre les endémies
Au cœu r du Pla te au, q ua rtie r de s af fa ires
• Population urbaine : de 10,296 millions en 2011 à 15,345 millions en 2023 (Banque mondiale).
Plus de 50 % des Ivoiriens vivent en ville. Le résultat d’un exode rural alimenté par la modernisation des modes de vie, la dureté des conditions du travail agricole, l’accès limité aux serv ices sociau x, sa ns oublier la pression démog raphique. Vivre sur les bords de la lagune Ébrié, c’est aussi le miroir des opportunités Résultat, 21,5 % de la population totale du pays habite dans la capitale économique, Abidjan.
• Croissance annuelle : de -5,4 % en 2011 (Banque mondiale) à 6,5 % en 2023.
Malgré un repli à 2 % en 2020 causé par la pandémie de Covid-19, la croissance ivoirienne dépasse les 7 % de moyenne annuelle depuis 2011 Le pays s’impose aujourd’hui comme l’une des économies les plus dy namiques d’Afrique de l’Ouest et est entré dans le top 10 à l’échelle du continent, aux alentours de la 8e ou 9e place.
• Produit intérieur brut (PIB) : de 36,39 milliards d’USD en 2011 (Banque mondiale) à 78,79 milliards d’USD en 2023.
Sy mbole de ce dy namisme économique, le triplement du PIB global La Côte d’Ivoire se rapproche de la barre sy mbolique des 100 milliards de dollars à l’horizon 2030.
• Répartition du PIB (Bloomfield Investment) :
- pour le secteur primaire : de 25 % en 2011 à 15,2 % en 2023 ;
- pour le secteur secondaire : de 23,1 % en 2011 à 30 % en 2023 ;
- pour le secteur tertiaire : de 40,2 % en 2011 à 45 % en 2023
L’évolution de la répartit ion et la part grandissante du secteur tertiaire soulignent la diversification progressive de l’économie, longtemps dominée par l’ag ricult ure, l’élevage ainsi que la pêche, au profit de la transformation, l’industrie ou encore le commerce et les serv ices
• Le PIB par habitant s’élève à 2 728 US dollars en 2023, contre 1 680 US dollars au virage des années 2010.
Malgré la pression démographique, le revenu net par habitant augmente Après le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire s’installe à la deuxième place en matière de revenus par habitant au sein de la Cedeao, devant les autres, y compris le Nigeria, le Ghana et le Sénégal. Reste à assurer une meilleure répartition de la richesse nationale et à maîtriser les inégalités grandissantes.
• Taux de pauvreté : de 55,4 % en 2011 à 39,4 % en 2018, avec une estimation à 35 % en 2023
La Côte d’Ivoire a connu une diminution significative de son taux de pauv reté grâce à la croissance, mais aussi à des politiques sociales ciblées (notamment les « filets sociaux »).
Mais les dispar ités restent fortes En pa rt ic ulier entre les régions, entre la ville et les campagnes, entre le littoral et le septentrion.
• Indice de développement humain (IDH) : estimé à 0,445 en 2011, il est passé à 0,534, selon le rappor t 2023/2024 du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement).
Cet indicateur, interprété différemment par les uns et les autres, fait évidemment parler de lui à l’approche de l’échéance présidentielle de 2025 Il souligne à la fois les fragilités év identes de la Côte d’Ivoire dans ce domaine, les inégalités, mais aussi les avancées. Désormais classée dans les pays à IDH moyen, la Côte d’Ivoire a progressé dans le classement des pays africains selon leur IDH de la 35e place en 2010 à la 25e aujourd’hui.
• Population scolaire : de 2 920 791 en 2011-2012 à 4 385 213 à la rentrée 2023 -2024.
De nombreux acquis ont été observés ces treize dernières années, notamment la loi d’obligation scolaire votée en 2015 – une mesure qui vise à garantir l’assiduité scolaire des enfants de 6 ans jusqu’à 16 ans. La qualité de l’enseignement reste néanmoins un enjeu, avec entre autres un manque de professeurs qualifiés et des classes encore surchargées (malgré de nombreuses nouvelles ouvertures). Des défis que le gouvernement veut prendre à bras-le-corps.
• Taux d’analphabétisme : estimé à 51,2 % selon les données de la Banque mondiale et de l’Unesco, à 47 % d’après le ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation en 2024
Le chiffre reste élevé malgré des avancées significatives et des politiques éducatives ambitieuses, comme le prog ramme École pour tous, la gratuité de l’école primaire, le programme d’éducation intég rée, ainsi que des campag nes de sensibilisation pour l’inscription scolaire. Subsiste le challenge de la rétention des élèves scolarisés jusqu’au bout de chaque cycle et surtout celui de l’alphabétisation des adultes.
L’Institu t nat ional pol ytec hniq ue Fé lix Houphouët- Bo igny de Ya mous soukro.
• Nombre d’universités publiques : de 4 en 2011 à 9 en 2024.
Depuis 2011, ci nq nouveaux ca mpus ont vu le jour à Korhogo, Man, San-Pédro ou Bondoukou. Ces universités permettent à des milliers de jeunes d’accéder aux études supérieures sans avoir à réaliser un véritable exode. Il en va de même de l’université virtuelle de Côte d’Ivoire, qui permet de suiv re à distance des cours pluridisciplinaires. Le chantier est, là aussi, d’ampleur. Il s’agit d’adapter les formations tout à la fois aux métiers du futur et aux besoins de l’économie et du marché du travail d’aujourd’hui. Le taux d’emploi post-études stagne à 32 %. Et le gouvernement mise sur la réforme de ses universités et sur la généralisation des stages.
• Pénétration Internet : de 2,9 % de la population en 2011 (Banque mondiale et Union internationale des télécommunications) à 38,4 % début 2024 (Rappor t Côte d’Ivoire, We Are Social et Melt water)
En un peu plus de dix ans, l’usage de ce qui était accessible à l’élite de la population s’est démocratisé, en particulier avec l’apparition des offres d’Internet mobile Selon les données de l’ARTCI, l’autorité régulatrice des télécoms locale, le taux de pénétration de l’Internet mobile atteignait les 93,7 % en 2023. L’essor du numérique transforme véritablement le quotidien des Ivoiriens, facilitant l’accès à l’information, à l’éducation en ligne, ainsi qu’à des opportunités économiques.
• Électrification : 33,1 % en 2011 à 88 % en 2023 (ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie).
Cap sur un taux à 100 % en 2025 ! La Côte d’Ivoire s’est dotée de l’un des réseaux électriques les plus viables et résilients de la sous-région, voire du continent. Ainsi, la durée
De s emp loyé s d’Ei ffag e con strui se nt une tour él ectri qu e.
moyenne des coupures électriques a considérablement été réduite (à 29 heures par an) par rappor t à tous les voisins. L’effort a été particulièrement axé sur les zones rurales, afin de doter la très grande majorité des villages d’un éclairage public et d’inciter à l’installation de compteurs individuels.
• Capacité de la production électrique installée : de 1 391 mégawatts (MW) en 2011 à 2 907 MW en 2023.
Un doublement de la production qui s’explique par l’expansion des infrastructures et la diversification du mix énergétique, avec entre autres l’inauguration, en av ril 2024, de la centrale solaire de Boundiali. Il s’agit de répondre à la fois aux besoins de toute la population, mais aussi à ceux d’une économie en pleine expansion.
• Taux d’accès à l’eau potable : 50 % en 2011, 80 % en 2019 (ministère de l’Hydraulique).
C’est l’une des grandes promesses de la gouver na nce Ouattara : que chaque Ivoirien puisse accéder à l’eau potable en 2030. Un accès universel au cœur du programme social du gouvernement La stratégie vise à la fois la desserte des grandes villes (comme avec l’usine d’eau de la Mé, près d’Abidjan, ou celle en constr uction pour Bouaké), mais aussi la desserte des zones rurales, en particulier dans le nord du pays (programme PASE A avec la Banque mondiale). ■
dé fis
La Côte d’Ivoire a connu un parcours de croissance et de développement impression nant au cours des quinze dernières an nées. Demain est une histoire en cours d’écriture, avec des challenges complexes qu’il faud ra collectivement surmonter. par Zyad Limam et Philippe Di Nacera
EN QUINZE ANS, le PIB de la Côte d’Ivoire a presque triplé, passant de 30 milliards à près de 80 milliards de dollars [voir l’article chif fres] Le pays est ainsi entré dans le club exclusif des dix premières économies du continent. Il s’est littéralement construit. Le PIB par habitant a suiv i la même courbe positive, évoluant de 1 600 dollars à 2 800 dollars. En dépit de ces évolutions notables, les performances en matière de développement humain (IDH), malgré l’amélioration des indices, restent en dessous du potentiel du pays Et les inégalités de revenus deviennent une question politique comme dans tous les grands pays émergents.
L’équation est complexe La Côte d’Ivoire rev ient de loin après deux décenn ies de sous-i nvestissements, de cr ises politiques permanentes (1990-2010), sans oublier le conf lit post-électoral de 2010 -2011. Il a fallu « ratt raper ». L’État a fortement invest i depuis la prem ière élection d’Alassa ne Ouat tara, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation (ouverture d’écoles, d’universités…), avec la mise
Vu e aé ri en ne du Pl ateau, à Ab idja n.
en place des plans anti-pauvreté du gouvernement (PS Gouv 1 et 2) et des plans jeunesse, d’accès à l’eau, à l’électricité aussi. Mais cette mobilisation et la croissance économique du pays sont à mettre en parallèle de l’évolution démographique. En quinze ans, le pays a « gagné » près de dix millions d’habitants. La jeunesse, ceux et celles qui ont moins de trente ans, représente 70 % de la population et a des besoins spécifiques im menses en éducation, format ion, intégrat ion La Côte d’Ivoire s’impose comme un pays émergent et stable, et l’immigration reste donc vivace, en particulier en provenance des pays sahéliens. Aujourd’hui, près de 22 % des habitants du pays sont des étrangers. Des frères et des sœurs, aussi, qu’il faut intégrer.
La croissance est élevée, mais elle doit mieux se répartir, à la fois entre les habitants et entre les espaces géographiques. Abidjan concentre aujourd’hui près de 80 % du PIB du pays (pour 25 % de la population). Il faut que le développement s’oriente massivement « hors les murs » de la capitale économique, vers les hinterlands, l’intérieur, les villes secondaires, les territoires du septentrion
La question de l’inclusiv ité dépasse de loin les querelles politiques et électorales. Elle est au cœur du modèle ivoirien et de sa projection vers l’avenir Une croissance élevée reste incontournable, mais elle se doit d’absorber le dy namisme démographique. En 2050, après- dema in, la Côte d’ Ivoi re comptera aux alentours de 45 millions d’habitants, selon les projections… L’un des défis majeurs sera de capitaliser sur ce nombre, de promouvoir et de consolider les fameuses classes moyennes pour bénéficier à plein du fameux dividende démographique. Et év iter une société polarisée. ■ Z.L.
AV EC UN E CROISSANCE DU PI B RÉ EL esti mée à 6,5 % en 2023, identique en 2024, le pays sort progressivement des effets négatifs de la crise du Covid et du choc inflationniste alimenté notamment par la guerre en Ukraine. Il reste sur une trajectoire ascendante, portée par des réformes structurelles et des investissements stratégiques. La vraie question reste celle de la durabilité de cette dy namique et de la capacité à répondre aux défis internes et aux chocs externes possibles Outre le maintien d’une croissance élevée, la Côte d’Ivoire bénéficie, sur un plan macroéconomique, d’un certain nombre de « boosters » qui incitent à l’optimisme : prix élevés du cacao (12 900 dollars la tonne, +200 % en un an), montée des investissements miniers (en particulier dans l’or), mise en serv ice progressive des gisements pétroliers et gaziers (principalement le champ Baleine, développé avec l’italien Eni). Les ressources de l’État devraient croître de manière tangentielle. En plus de ces ressources externes, on sent la nécessité d’accroître les ressources internes par la mobilisation fiscale, en particulier par l’élargissement de l’assiette des contribuables. Sur le plan stratégique, la présidence et le gouvernement ma intien nent une politique ambitieuse d’invest issement s publics (en premier lieu dans le domaine des infrastructures). Mais ils cherchent aussi à mieux maîtriser le financement des projets, la structuration des prêts, les conditionnalités pour contrôler l’endettement global.
Dans ce contexte ambitieux, le pays priv ilégie la gestion de sa dette extérieure, ainsi que sa crédibilité sur les marchés. La Côte d’Ivoire doit absorber les investissements liés à la Coupe d’Afrique des nations – un budget d’environ un milliard d’euros Et enfin, soutenir d’importants investissements financiers sur le plan militaire et sécuritaire, ainsi que sur les déboursements sociaux dans le Nord (zone sahélienne sensible) La question de la dette reste centrale dans la gestion macroéconomique du pays. À la fin de l’année 2023, le taux d’endettement de la nation était estimé à près de 60 % du PIB (en légère augmentation par rapport à 2022). Ce niveau demeure en deçà du seuil communautaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), fixé à 70 % du PIB. Selon les données disponibles, la dette extérieure officielle représentait environ 61,8 % de la dette totale à fin 2023, soit 28,5 milliards de dollars.
La st ruct ure de la dette reste un point important. La pér iode 2024 -2026 s’annonce ex igea nte. La Côte d’ Ivoire prévoit de consacrer environ 19 milliards de dollars au service de sa dette publique Cette somme représente une part significative des dépenses publiques, nécessitant une gestion rigoureuse pour maintenir la viabilité budgétaire. L’un des points de conf iance réside dans la capacité du pays à ref i-
nancer sa dette. Pour le moment, la Côte d’Ivoire continue d’inspirer confiance aux marchés des capitaux internationaux et à des taux « raisonnables ». Cette confiance se traduit dans la note souveraine du pays En octobre dernier, S&P a poussé la note du pays de BB- à BB, un degré en dessous du niveau particulièrement recherché, à savoir Investment Grade. En mars 2024, Moody’s a relevé la note souveraine du pays de Ba3 à Ba2, avec une perspective stable Fitch Ratings a également maintenu la note BB-, avec une perspective stable en août 2023 À bien des égards, l’économie ivoirienne reste l’une des plus crédibles du continent. ■ Z.L.
◗ L’agriculture au service de la souveraineté alimentaire
20 %, C’EST LE POIDS de l’agriculture dans le PIB ivoirien Un moteur essentiel de l’économie qui emploie plus de la moitié de la population active. Ce secteur stratégique fait toutefois face à des défis structurels liés à la dépendance aux exportations de matières premières, aux fluctuations des prix mondiaux et aux impacts environnementaux Pour y remédier et maximiser sa valeur ajoutée, d’ambitieuses réformes sont en cours.
Afin de transformer l’agriculture ivoirienne en un secteur compétitif et durable, les autorités ont conçu le Programme national d’invest issement ag ricole (PNI A) Sur la période 2018-2025, il bénéficie d’un budget de 11,9 milliards de francs CFA. Il s’agit d’un ensemble de réformes visant à améliorer les infrastructures et la productivité, à renforcer l’accès aux financements, sans oublier la transformation locale des produits. Réduire la dépendance du pays aux marchés mondiaux, développer l’industrie agroalimentaire, assurer une meilleure répartition des revenus, tels sont les objectifs de cette mesure.
La Côte d’Ivoire est, avec sa production annuelle de 2 millions de tonnes, le leader mondial incontesté depuis des décennies. Une réalité qui cache cependant un paradoxe. Moins de 30 % des fèves de cacao sont transformées localement, ce qui prive le pays d’une part importante de la valeur ajoutée La déforestation liée à la cacaoculture est aussi l’un des plus gros défis à relever L’initiative Cacao et forêts vise à introduire des pratiques agricoles durables, mais son adoption reste limitée à ce jour. Avec 900 000 tonnes d’anacardes (noix de cajou), la Côte d’Ivoire en est aussi le premier producteur mondial, mais seulement 10 % sont transformés sur place. Le gouvernement mise sur des incitations fiscales et la création d’unités locales de transformation pour atteindre les 50 % d’ici 2030 Ces politiques, qui s’appuient sur les nouvelles technologies, doivent faire de ces deux filières les piliers d’un agrobusiness inclusif, compétitif et respectueux de l’environnement. Rappelé avec force par le président Ouattara lors de ses vœux à la nation,
P.D.N.
le 31 décembre 2024, l’objectif de la souveraineté alimentaire, dans un pays qui compte près de 30 millions d’âmes, est crucial d’ici à 2030. En particulier dans les domaines de la production halieutique et de l’élevage, deux secteurs largement sous-représentés dans l’économie (4,5 % du PIB agricole et 2 % du PIB global) et dépendants des importations (80 % de la viande consommée en Côte d’Ivoire est importée). Le gouvernement veut favoriser l’élevage local pour réduire les 400 milliards de francs CFA que coûtent au pays les importations de viande et de poisson, faire face aux besoins de la consommation nationale et améliorer la gouvernance du secteur, ainsi que sa productivité et le revenu des acteurs. ■
APRÈS PLUSIEURS découvertes d’importants gisements de pétrole, la Côte d’Ivoire, championne de l’or brun (le cacao), rêve de devenir un géant africain de l’or noir Une ambition en plusieurs étapes. Plus de 10 000 millia rds de FCFA ont été investis dans les indust ries extractives et énergétiques depuis 2014 Ils ont perm is des découver tes majeures de pétrole et de gaz, comme les puits pétroliers en mer Baleine-1x (à 70 kilomètres de la côte d’Abidjan) et Baleine East-1x par le géant Eni. La première phase du gisement, en exploitation depuis août 2023, produit actuellement 22 barils de pétrole br ut par jour La production de gaz est quant à elle de 10 millions de pieds cubes de gaz naturel.
Les débuts sont prometteurs, et le gouvernement ivoirien entend bien ma ximiser les bénéfices. Ainsi, l’adhésion à l’initiative pour la transparence dans les industries extractives ga ra nt it une gest ion transparente des revenus pétrol iers. Et une loi sur le « contenu local », récemment adoptée, vise à inclure les communautés da ns l’emploi généré et le pa rtage des ressources, af in de réduire les inégalités régionales. Pour s’imposer comme un acteur majeur du secteur, la Côte d’Ivoire a lancé en novembre dernier le SIRE XE , le premier Sa lon internat iona l des ressou rces ex trac tives et énergétiques Un véritable tour de force qui, avec 300 exposants et 1 500 délégués internationaux, a marqué l’intérêt des investisseurs pour les hydrocarbures ivoiriens. Le secteur pétrolier doit encore enjamber de nombreux obstacles. À commencer par la volatilité des pr ix du pétrole. Surtout, il conv iendra d’év iter les erreurs d’autres géants du pétrole af ricains dans la gestion des ressources financières et la préser vation de l’environnement. À ces conditions, le pétrole pourrait bien être la clé de l’émergence ivoirienne d’ici 2030. L’année 2024 a été faste pour les responsables du sous-sol ivoirien Un grand gisement aurifère « de classe mondiale » de 5 millions d’onces
Ra ff in eri e de la Soc iété ivoir ienn e de ra ff inag e (S IR), à Ab idja n.
Il faudra éviter les erreurs d’autres géants du pétrole africains dans la gestion des ressources financières et la préservation de l’environnement.
(soit 155,5 tonnes d’or, avec une teneur moyenne de 0,72 g/t) a été découvert dans le nord du pays Une nouvelle ressource inattendue qui, ajoutée à la manne pétrolière, devrait changer le visage du pays. ■ P.D.N.
POUR CONTINUER À CROÎTR E en exploitant de nouvelles ressources carbone ou minières tout en préser vant son patrimoine naturel et sa capacité agricole, la nation doit répondre au x conséquences du changement climatique. Et mobiliser ses forces pour s’engager aussi dans des processus de développement durable. Les avancées des quinze dernières années risquent d’êt re compromises pa r les bouleversement s qui affectent déjà le pays – la hausse des températures, les phénomènes météorologiques imprév isibles, les coups de chaud et les pluies intenses et hors saison qui affectent les cultures, en particulier le cacao, dont le pays est le premier producteur mondial.
La hausse du niveau de la mer représente des menaces tout aussi importantes pour les grandes villes côtières, parmi lesquelles Abidjan, mégalopole en croissance permanente. La lutte contre les pollutions multiples, en particulier les plastiques, les cours d’eau, l’orpaillage clandestin, le tout alimenté pa r la croissance économ ique, doit ra llier des mult it udes d’acteurs dont les moyens sont limités. Ces bouleversements en marche af fectent les moyens de subsistance de millions d’Ivoiriens.
L’État cherche à se mobiliser sur ces fronts multiples La question des terres est complexe Il faut préser ver l’écosystème, tout en répondant à la nécessité de la souveraineté alimentaire, la nécessité de protéger également les cultures de rente essentielles aux ressources du pays La question de la déforestation est connue. Le pays a accueilli la COP 15 sur la désertification en mai 2022, annonçant un très ambitieux plan de sauvegarde : la restauration de 20 % du couvert végétal du pays d’ici à la fin de la décennie, la restauration de terres épuisées et un travail sur les chaînes de valeur des produits agricoles. Un programme dont le coût est estimé à hauteur de 1,5 milliard de dollars.
Même si le pays se mobilise et bénéficie de l’écoute des bailleurs de fonds sur les questions relatives à l’environnement et la biodiversité, la question de la suffisance des moyens de financement face à l’ampleur des défis reste brutalement d’actualité. L’une des clés de l’avenir sera aussi le rôle essentiel que devra jouer le secteur privé pour s’investir davantage dans l’adaptation climatique et le développement d’une nouvelle économie durable. ■ Z.L.
Le pays a pe rd u 90 % de so n couve rt fo re sti er en cin qu ante ans. Pour retrou ve r ce pa tri moine sa ns af fe cter la prod ucti on, l’agroforesteri e est dé sorm ais ob lig atoi re.
L’État cherche à se mobiliser. Il faut préserver l’écosystème, tout en répondant à la nécessité de la souveraineté alimentaire.
DEPUIS L’EX TÉRIEUR comme à l’intérieur, la Côte d’Ivoire est concernée par la menace qui pèse sur la région ouest-africaine dans son ensemble Un peu plus de huit ans après l’attentat sur les plages touristiques de Grand-Bassam qui, le 13 mars 2016, avait fait 19 morts (dont trois soldats ivoiriens), l’accent est mis sur la surveillance. D’autant que le pays fait face à une montée de l’insécurité dans certaines zones urbaines et rurales.
Pour répondre à cette inquiétude, les autorités ont lancé en 2021 un plan de sécurité intérieure qui, avec un conséquent budget de 178 milliards de francs CFA, tend à moderniser la police et la gendarmerie, intégrer des technologies avancées et renforcer les moyens des forces de l’ordre locales, tout en menant des actions de prévention contre la radicalisation, en déjouant à l’avance les projets d’attentat
En dehors de ses front ières, la Côte d’ Ivoi re fa it face notamment à la menace d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et de l’État islamique au Grand Sa hara (EIGS) Le nord et l’ouest sont des zones frontalières particulièrement exposées, en raison de la proximité avec les foyers de violence au Mali, au Burk ina Faso et au Niger. Revendiqué par AQMI, l’attentat de Grand-Bassam a marqué un tournant À l’intérieur du pays, la sécurisation des frontières a été considérablement renforcée par la garde nationale et l’armée ivoirienne
Mais la réponse n’est pas seulement militaire Elle repose aussi sur le développement local, tant sur le plan économique que social, la création d’activités et l’implantation des serv ices publics, en particulier dans les régions frontalières du nord du
pays Des initiatives socio-économiques qui visent à réduire la radicalisation. Et puis, la Côte d’Ivoire a intensifié ses efforts de coopération régionale et internationale.
La coopération entre les pays d’Af rique de l’Ouest s’est renforcée, même si les coups d’État au Mali, au Niger, au Burkina Faso ont refroidi les relations de ces pays avec la Côte d’Ivoire et donné un coup de frein à cet élan Elle fonctionne en revanche parfaitement avec des acteurs internationaux, comme la France, l’Union européenne ou les États-Unis
La Côte d’Ivoire a consenti depuis quinze ans un ef fort fi na ncier important pour améliorer son outil de défense. Renouvellement des équipements, formations et restructurations, tout y est passé pour « bâtir une force de défense professionnelle, composée d’hommes et de femmes bien équipés et bien formés, afin d’assurer la sécurité de notre nation », a rappelé le ministre d’État, ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, en septembre dernier dans le Bas-Sassandra.
« Nous pouvons être fiers de notre armée, dont la modernisation est désormais effective », a rappelé le président de la République Alassane Ouattara lors de ses derniers vœux à la nation Il en a profité pour faire l’annonce « du retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire ». Ces dernières n’attendaient plus que la décision présidentielle pour rétrocéder le camp du 43e bataillon d’infanterie de marine (BIM A) aux forces armées de Côte d’Ivoire, et ce « dès ce mois de janv ier 2025 », a précisé le chef de l’État. Le camp portera désormais le nom du général Ouattara Thomas d’Aquin, le premier chef d’état-major de l’armée ivoirienne ■ P.D.N.
Le s qu ai s du te rmi nal 2 du po rt autonom e d’Abidja n, une p or te d’entrée ve rs toute l’Af riqu e de l’Oue st
Dès son ar rivée au pouvoir, le président Ouat tara a mis au cœur de sa st ratégie l’indispensa ble connex ion entre la notion d’« émergence » et celle d’« inclusiv ité sociale ». Un paramètre cent ral des Plans nationau x de développement (PND), avec un horizon sans cesse rappelé, celui de 2030.
par Philippe Di Nacera
«J’ai l’ambition de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent, une nation réconciliée avec elle-même et avec les autres. » Cette ph rase, Alassa ne Ouat ta ra, le président de la Républ ique, l’a prononcée lors de son premier discours à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2011. Ainsi le projet de l’émergence vient de loin. Et de 2011 à nos jours, le pays a engagé un processus de transformation économique majeure, traduction des divers Plans nationaux de développement (PND) adoptés par les gouvernements successifs du chef de l’État Grâce à cet outil de pilotage des politiques publiques, d’importants progrès ont pu avoir lieu, dont la croissance économique soutenue (l’une des plus élevées dans le monde depuis 2011, autour de 7 % en moyenne au cours de la dernière décennie) est l’une des manifestations, tout comme les mesures visant à améliorer l’inclusiv ité sociale.
L’objectif d’atteindre l’émergence économique d’ici 2030 – c’est-à-dire une économie diversifiée dont la croissance est supérieure à 5 %, un secteur tertiaire (celui des services) développé, une population jeune et surtout éduquée, une stabilité politique et institutionnelle, des taux de scolarisation et de mortalité qui convergent avec ceux des pays développés – est désormais plus que jamais au cœur des priorités gouvernementales Une aspiration qui se fonde sur l’industrialisation de l’économie et sur la prise en compte d’objectifs à caractère social dans les politiques de développement
Ce concept d’« émergence économique », qui n’a pas de définition précise au niveau international, ne peut se dissocier, dans l’esprit des gouvernants ivoiriens, de celui d’« inclusiv ité sociale ». La transformation structurelle profonde de l’économie, à savoir sa marche vers l’industrialisation, sa diversification et la transformation locale des matières premières, en est le socle. Rendue possible par une croissance soutenue, cette politique doit parallèlement relever des défis sociaux majeurs, comme la réduction des inégalités, l’amélioration de l’accès aux infrastructures et aux serv ices publics de base, la réduction du chômage, en particulier celui des jeunes.
Dans ce contexte, le Plan national de développement 20212025 a entraîné une série de mesures destinées à promouvoir une croissance inclusive. Une feuille de route qui passe par des politiques volontaristes de réduction de la pauv reté (un ministère a même été créé à cet effet), dont le taux est passé en treize ans de 51 % à 35 %, et par des efforts particuliers pour améliorer l’accès à l’éducation et à des emplois décents. Véritable innovation pour la population ivoirienne, une protection sociale élargie, dénommée couverture maladie universelle (CMU), a été lancée en 2015 et continue de se déployer aujourd’hui. Les Ivoiriens le savent, sans carte CMU, ils ne peuvent plus obtenir certains documents administratifs indispensables Une manière de les inciter à s’enrôler pour bénéficier d’un système de protection sociale qui nécessite la participation de toutes les personnes physiques résidant dans le pays et la garantie de l’État Les femmes et les jeunes profitent en outre de programmes spécifiques dans le but de les inclure davantage dans l’économie formelle. Ces axes majeurs de la politique économique et sociale voulue par Alassane Ouattara devraient être renforcés dans le cadre du PND 2026 -2030, en cours de préparation.
L’industrialisation devient donc un levier central de cette double ambition Passant par la diversification des sources de revenus, cette politique a pour but de renforcer l’économie ivoirienne et sa compétitiv ité, et de générer de l’emploi. La part de l’indust rie dans le produit intérieur br ut, qui reste encore limitée à 27,3 % en 2023, devra largement croître dans
Un effort d’adéquation est indispensable entre les formations et les besoins du marché de l’emploi, en particulier ceux des industries émergentes.
les années à venir Il faudra pour cela sortir l’économie de sa dépendance à l’exportation des matières premières, comme le cacao, l’anacarde ou l’huile de palme. Dans cette perspective, le gouvernement priv ilégie les industries de transformation, afin de créer localement de la valeur ajoutée. Un écosystème industriel inclusif, qui encourage l’installation de PME locales dans les chaînes de valeurs, notamment dans l’agro-industrie et les énergies renouvelables. Autre axe de développement : les zones économiques spéciales et des pôles industriels régionaux, dont l’objet est de créer de l’activité dans les régions et de désenclaver certaines zones rurales. En Côte d’Ivoire, l’extrême concentration de l’activité économique à Abidjan a donné lieu à des disparités géographiques qu’il conv ient de réduire. À l’autre bout de la chaîne, le port autonome d’Abidjan et les projets ferrov iaires, qui ouvrent le pays sur l’extérieur, figurent parmi les exemples d’investissements dans des infrastructures logistiques facilitant l’accès des industriels ivoiriens aux marchés internationaux. L’industrialisation doit profiter à tous La finalité de cette politique – outre la création de richesse, qui vient grossir la croissance et le PIB du pays –est d’offrir des emplois variés aux Ivoiriens, donc un niveau de vie en adéquation avec les standards d’un pays émergent
Parallèlement, l’ef fort d’adéquation indispensable entre les besoins du marché de l’emploi, en particulier ceux des indust ries émergentes, et les format ions, s’accent ue Une attention particulière est portée à l’enseignement technique et la formation professionnelle. En novembre 2024, un budget de 162,148 milliards de francs CFA est dévolu à ce secteur. Une dizaine de lycées professionnels publics, des dizaines d’établissements d’enseignement technique privés et publics sont répartis sur l’ensemble du territoire, et depuis quelques
années, c’est nouveau, on valorise l’apprentissage et les formations qui s’y attachent à travers des campagnes de communication. La question du genre est également au cœur des priorités. L’effort collectif doit profiter aux femmes Les responsables politiques veulent faciliter leur accès aux emplois industriels, notamment dans les secteurs de la transformation agricole et technologique Des politiques publiques spécifiques sont imaginées pour qu’elles bénéficient d’« emplois décents », selon la formule consacrée, mais aussi pour qu’elles accèdent à des positions de leadership Il en va de même pour la transition écologique. La promotion d’une industrialisation verte et durable est en effet indispensable, non seulement pour préserver l’environnement, mais aussi pour renforcer la compétitivité des industries ivoiriennes sur les marchés mondiaux. L’adoption de normes environnementales dans les nouvelles installations est devenue un impératif pour que le développement des unités industrielles ne se fasse pas au détriment de la biodiversité, dans un contexte de lutte globalisée contre le changement climatique. La transition énergétique et le développement des énergies renouvelables devraient figurer parmi les priorités du PND 2026 -2030.
Jugé audacieu x par certains, réaliste par d’autres, l’objectif de l’émergence d’ici à 2030 est d’abord une ambition compréhensible par tous, voulue par Alassane Ouattara pour mobi liser l’ensemble des ac teurs économ iques, politiques, administratifs, et plus largement l’ensemble des Ivoiriens. Lui ne relâche pas la pression sur ses ministres. Pour trouver sa concrétisation, cette vision repose largement sur la capacité à mobiliser des financements Le Plan national de
développement 2026 -2030, en cours de préparation, a déjà fait l’objet d’un décret de création d’un cadre institutionnel en septembre dernier. On anticipe déjà des investissements massifs. Il s’appuiera notamment sur un outil financier particulièrement prisé à Abidjan ces dernières années, les partenariats publics-privés (PPP). La bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et pour la transparence dans la gestion de projet trouveront aussi une place de choix dans le prochain PND. Des gages nécessaires pour faire sauter le « plafond de verre » que représente la corruption pour le développement, afin de garantir l’efficacité des investissements et rassurer les investisseurs internationaux.
Cet agencement, aussi cohérent soit-il, peut néanmoins êt re soum is à des aléas exogènes. Les cont raintes sécuritaires, en particulier dans la sous-région ouest-africaine avec la menace terroriste, le contexte des tensions internationales que la Côte d’Ivoire ne maîtrise pas, ou même les fluctuations des prix des matières premières sont des facteurs qui pourraient, s’ils évoluaient défavorablement, perturber les projets du président Ouattara.
Mais d’aucuns pensent, depuis la br illante réussite de la Côte d’Ivoire à la 34 e Coupe d’Af rique des nations, que « Ouattara a la baraka ». Qu’il se présente ou non à l’élection présidentielle de 2025, le succès du pays dans l’at teinte de l’émergence en 2030 dépendra de sa capacité à allier transformation économique et progrès social. Tout comme les précédents, le Plan national de développement 2026 -2030 portera une feuille de route ambitieuse, dont les retombées seront ressenties par les Ivoiriens au quotidien. Une prospérité partagée, telle est l’ambition ultime d’un président dont la population, quoi qu’elle pense de l’homme, dit « qu’il travaille ». ■
Ils et elles incarnent le futur de la nation.
Et la grande majorité de la population. Une opportunité, mais aussi un enjeu majeur pour l’État en matière de formation, d’inclusion, d’emploi.
par Philippe Di Nacera
Deux étudi ants deva nt l’Univer sité Fél ix Houphouët- Bo igny, à Ab idja n.
Les 16 -35 ans représentent 36,8 % de la population en Côte d’Ivoire et les 16 -40 ans 43 %, selon le dern ier recensement. Une port ion d’Ivoiriens si importante et portant de tels enjeux pour l’avenir du pays que le gouvernement compte en son sei n un mi ni st re, Ma madou Touré, qui lui est entièrement dédié. Son vaste département ministériel au périmètre transversal superv ise la Promotion de la jeunesse, l’Emploi des jeunes, l’Insertion professionnelle et le Serv ice civique. De là sont menées des actions multiformes, qui touchent aussi bien la formation de la jeunesse que sa santé, son autonomisation que son esprit civique, son insertion professionnelle que son inclusion sociale et sa protection contre toutes sortes de menaces (la drogue, le sida, la délinquance, etc.), dont l’embrigadement djihadiste dans la zone Nord du pays n’est pas le moins dangereux
Dans les régions de la Bagoué, du Bounkani, du Folon, du Kabadougou, du Poro et du Tchologo, toutes frontalières des pays du Sahel victimes de violences terroristes sur des parties importantes de leurs territoires, il s’agit de tout faire pour ne pas laisser la jeunesse tomber aux mains des extrémistes et grossir les rangs des groupes djihadistes. Pour cela, l’accent est mis sur les vulnérabilités économiques et sociales de ces
jeunes. En clair, leur inactivité et l’exclusion sociale qui en découle sont considérées comme les ferments de leur éventuel embrigadement. Le 22 janvier 2022, le Premier ministre de l’époque, Patrick Achi, a lancé un programme innovant visant à endiguer la pauv reté dans ces zones frontalières sensibles dit de « lutte contre la fragilité ». Avec l’aide de partenaires occidentau x (Europe, État s-Un is, France), des invest issements massifs sont faits dans les infrastr uctures et les services publics locaux afin de réduire les disparités régionales, de prévenir les risques d’instabilité dans ces zones et d’aider chacun, en particulier les jeunes, à s’investir dans une activité rémunératrice. Des aides substantielles sont notamment distribuées par le ministère de la Promotion de la jeunesse pour inciter à l’entrepreneuriat.
De manière générale, l’insertion professionnelle et l’emploi des jeunes est l’une des composantes majeures de cette politique. Disposant d’une enveloppe de 33 milliards de FCFA, le programme, courant de 2022 à 2024, ambitionne d’impacter directement la vie de 65 613 jeunes
Le ministre Mamadou Touré peut s’enorgueillir du bilan impressionnant des deux premières éditions de cette initiative Dès la première année, en 2022, 23 892 bénéficiaires ont été pris en compte, soit un taux de réalisation de 104,27 % par rapport aux objectifs initiaux. L’année suivante, 29 991 bénéficiaires ont été dénombrés, représentant un taux de réalisation de 98 %. Le 2 novembre 2024, le ministre a pu lancer en confiance la troisième tranche du programme avec des objectifs tout aussi ambitieux. Celle-ci vise à toucher 23 995 jeunes grâce à une allocation budgétaire de 11,1 milliards de FCFA Un nouvel engagement qui vient renforcer les acquis des précédentes éditions et étendre l’impact à davantage de bénéficiaires dans les régions stratégiques du nord du pays
Mener les jeunes à l’emploi, c’est bien, les mener à une carrière durable, c’est mieux. L’approche consiste non seulement à offrir des opportunités d’emplois directs, mais aussi à encourager des initiatives entrepreneuriales, en dotant les jeunes des moyens nécessaires pour démarrer ou développer des activités génératrices de revenus
Et c’est avec cette vision que le programme doit permettre aux bénéficiaires une insertion professionnelle durable, qui se décline également en formations professionnelles et techniques, avec des formules adaptées aux besoins des secteurs porteurs da ns ces régions fronta lières : l’ag ricult ure, l’élevage ou encore l’ar tisanat. Des compétences pratiques sont acquises, immédiatement exploitables. Les bénéficiaires de ces programmes sont aussi accompagnés, notamment par des formations en gestion, en vue de la pérennisation de leurs
Une dynamique dans laquelle
start- up ivoiriennes jouent un rôle clé.
activités économiques Le but est d’ancrer les bonnes pratiques et de créer un véritable écosystème entrepreneurial. Le tout s’accompag ne de partenar iats avec des entreprises loca les pour faciliter l’intégration des jeunes sur le marché du travail. Outre les ef forts menés dans les zones fronta lières du Nord, le gouvernement parie sur l’innovation et la technologie pour stimuler l’emploi des jeunes. Une dy namique dans laquelle les start-up ivoiriennes jouent un rôle clé. Pour soutenir cet écosystème entrepreneurial en pleine effervescence, les pouvoirs publics ont pris des initiatives comme le fonds d’appui au x star t-up et le projet Star tup Act, conçues pour offrir un cadre juridique et fiscal favorable aux jeunes entreprises innovantes Des entreprises qui, souvent, proposent des solutions adaptées aux problématiques locales ou des réponses aux défis environnementaux et sociaux actuels (gestion de centres en ligne, plates-formes numériques, gestion en ligne des déchets, etc.).
Dans ce même élan, les concours dédiés à la création et à la pérennisation des start-up se multiplient Ces compétitions, organisées tant par le gouvernement que par des institutions privées, visent à identifier, valoriser et soutenir les projets les plus prometteurs portés par de jeunes entrepreneurs Des initiatives qui encouragent l’innovation et permettent de repérer et structurer les start-up les plus prometteuses et les plus pérennes. L’une des récompenses emblématiques du pays est
le prix d’excellence du gouver nement ivoirien, qui valorise chaque année les structures les plus performantes dans divers secteurs. En parallèle, des initiatives privées se multiplient : le Seedstars Abidjan et le Challenge App Afrique, ou encore l’incubateur Orange Fab Côte d’Ivoire, sans oublier le prix du jeune entrepreneur de l’année de la Fondation BJ KD offrent aux start-up locales une visibilité accrue sur la scène africaine et mondiale Ces concours ne se contentent pas de décerner des récompenses, mais proposent également des programmes d’accompagnement : formations en gestion d’entreprise, mentorat, accès aux investisseurs et opportunités de réseautage.
Les TIC (technologies de l’information et de la communication) offrent bien sûr des opportunités inédites à la jeunesse ivoi rien ne, pa rt ic ulièrement connec tée, da ns des sec teurs comme le e-commerce, la fintech ou encore l’ag ritech Les
success-stories se multiplient, à l’instar de la fintech Djamo, considérée comme l’une des plus prometteuses d’Afrique de l’Ouest. Les jeunes formés à ces technologies peuvent non seulement intégrer ces secteurs, mais aussi créer des solutions adaptées aux besoins de leur communauté
À travers toutes ces initiatives, le gouvernement ivoirien adopte une approche holistique pour soutenir les jeunes générations. Du renforcement de l’insertion professionnelle dans les zones vulnérables à la promotion de l’entrepreneuriat technologique, la stratégie vise à bâtir une société plus équitable et prospère
Ces ef forts nécessitent une collaborat ion toujours plus dense avec les acteurs privés, la société civile et les partenaires techniques et financiers Efforts qui ont pour objectif de pérenniser les acquis et d’assurer à chaque jeune, peu importe qu’il vienne d’une zone rurale ou urbaine, une place dans le développement économique du pays ■
’est véritablement devenu une tradition nationale. Construire, bâtir, dessiner, modeler la physionomie du pays, lancer des ponts, enjamber de s lag unes, constr ui re et réhabiliter des routes, faire monter des immeubles vers le ciel
L’initiative est venue en premier du président fondateur Félix Houphouët-Boigny, soucieux d’installer la Côte d’Ivoire sur la carte du monde. D’abord, les premiers développements du Plateau à Abidjan, autrefois quartier central des colons et devenu le miroir du premier miracle ivoirien Il y a également la basilique de Yamoussoukro, incarnation du rêve peut-être surdimensionné de toucher à l’éternité. L’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011 va relancer l’investissement dans les infrastructures. Il s’agit de réhabiliter un système à genoux, au lendemain de la grave crise électorale de novembre 2010, de remettre littéralement en marche l’eau et électricité Puis de retrouver le niveau
après ving t ans de stagnation, de booster la croissance par l’investissement public La st ratégie va au-delà des contingences du présent. L’objectif sera de doper la compétitivité du pays en le dotant d’une colonne vertébrale, d’une backbone, de « l’armature » nécessaire pour soutenir et induire la croissance. Les infrastructures et les grands travau x sont des éléments centraux de l’émergence Ils sont nécessaires pour une économie en pleine croissance, qui ouvre aussi sur un vaste marché régional, celui de l’UEMOA et celui de la Cedeao. Abidjan est év idemment en première ligne de ces travaux. C’est la capitale économique, en pleine expansion démographique et territoriale (avec près de 7 millions d’habitants) Pour la mégalopole, il faut à la fois éviter la congestion et projeter un soft power attractif auprès des investisseurs, des visiteurs, des touristes Cet effort en matière d’infrastructures se délocalise aussi vers l’intérieur, avec en particulier un grand programme routier (comme la fameuse Côtière). Mais aussi vers l’énergie, le développement durable… Visite de ces chantiers d’avenir avec huit sites particuliers
Route, pont, barrage, canal, centrale… Les infrastructures sont au cœur de la stratégie de développement
et de l’ambition ivoirienne.
par Zyad Li ma m / ph otos par Na bi l Zo rkot
LE PO NT ADO ET SE S HAUBAN S
Dessiné par l’architecte Pi erre Fakhou ry, construit par l’entreprise chino ise CR BC sous le contrôl e du Bure au nati ona l d’ étud es te chniques et de déve lopp em ent (BN ETD), le cinqu iè m e pont de cette vill e construite sur la lagun e re li e la com mune de Cocody à ce ll e du Plateau. Cette au dacieuse structure à haub ans (l a premi ère du pays) s’inscrit dans la pe rspective de la nouvell e Tour F et de la cathé dral e. C’est deve nu la carte postal e emb lé matiqu e d’Abidjan, l’im ag e de référence Le chanti er, dé marré en 2019, a été retard é par la pand émi e de Covi d. Le pont a été inau gu ré le 12 août 2 023 par le prési de nt Ou at tara
C’est l’un des projets routier s les plus sp ecta culaires et né cessaires de la ville d’Ab idjan. Un tracé deux fo is deux vo ies qui doit pe rm et tre, à te rm e, le contour neme nt de la még alopo le L’ou vrag e s'inscrit dans le « projet d’inté gration por t- vill e du Grand Ab idjan ». La se ction 1 (d e Cocody au stad e d’Eb imp é) a été ou ve rte pour la Coup e d’Afriqu e des nati ons en fév ri er de rnier Les travau x des se ctions 2 et 3 so nt en cours
ON SE RE TR OUVE AU PARC DE S EXPO SITI ON S
Inau gu ré e le 17 juill et 2023, c’est l’une des pi èces ma îtresses du déve lopp em ent urb ain de la zo ne aé ro portuaire d’Abidjan. Cette premi ère phase a été ré alisée sur un e superficie d’environ 16 ha, avec en son cœur un conve ntion cente r en form e de nef futuriste capab le d’accueillir 11 000 pe rsonnes. Et un hall d’ex position (7 20 0 m2). Le projet sous l’ ég id e du ministère du Comm erce a été ré alisé par PF O Constr uction
L’EM BO UC HUR E DU CO MOÉ , CAP VE RS LE LARGE
Les travaux d’ou ve rture de l’embouchure du fl euve Como é à Grand- Ba ssam ont été lanc és en nove mbre 2019. Ce projet éc oresponsable cherc he à réta blir l’exutoire na turel du fl euve vers l’océ an Atlantiqu e, am éliorant ainsi le re nouvelle me nt des eaux de la lagun e Éb ri é, par ticuli èrem ent po llué e, et lim itant la pro li fé ra tion des espè ces vé gétales inva sives Cette embouchure natu re ll e avait été refe rm ée il y a plusi eur s déce nni es par le sa ble marin avec les mouvem ents de la me r. La lib ération du passa ge était par ticuli èrem ent at tendu e par les popula tions riveraines.
C’est le premi er des grands travaux de l’ ère Oua ttara. Constr uit sur le fl eu ve Sa ssandra, l’ équip em ent pe rm et la pro du ction de 275 MW d’ él ectricité. Et s’insc rit c om me l’un des incontournab les de la p olitiqu e én e rg étique du pays pour ré pondre à la de mande cro issa nte Les travaux , démarrés en 2 013, sont pris en cha rg e par l’entreprise chino ise Sinohydro. L’ou vrag e d’un e longu eu r de 4 km, doté de qu atre turb in es, a été inau gu ré et mis en se rvic e le 2 nove mbre 2017
C’est la nouvelle au to route qui par t ve rs l’est d’Ab idjan, tout d’abord en direction de Grand- Ba ssam, pu is doré navant, grâc e à l’ou ve rture d’un se cond tronçon ré alisé par l’entreprise Porteo, ve rs la station baln éaire hupp ée d’Assini e. Avec cette nouvelle deux fo is deux vo ies, Assini e n’est plu s qu’à un e heure ou presqu e d’Ab idjan (hors embouteill ag es…). L’ar tè re est en passe de deve nir l’un e des plus f ré qu enté es du pays. À te rm e, l’obje ctif, ou le rêve, est de l’inscrire dans le grand projet Abidjan- La gos.
Le 30 août 2 024, le vic e- présid ent Ti émoko Meyliet Koné inau gurait la se cond e phase de l’ éc hang eur baptisé du nom de feu l’anci en Premier ministre japonais Sh inzo Ab e. Le Ja po n a pris en charg e un e grand e partie du fin anc eme nt de la structure sur le carrefour So lib ra à Treichville Une zo ne noto irem ent de nse en circulation et qu i desse rt le cé lè bre boul evard VG E, re ba ptisé Fé lix Houphou ët-B oigny. Le passa ge propose des vu es assez sp ecta culaires sur la vill e.
Le chantier était at tendu de pu is plus de vingt ans. En 19 98, le vi eu x marché avait brûl é. Le nouveau projet, por té par la municipalité de B ou aké (c e qui est un e premi ère en matiè re de maî trise d’œu vre) est fina nc é par la France (A FD). Il propose un espac e marchand couver t de 30 00 0 m², avec 8 00 0 pl ac es pour les vend eur s. La comm erci alisation des emplac em ents a comm encé Le nouveau complexe se ra l’un des plus grands d’Afri qu e de l’Ou est. Et il pe rm et tra à la ville d’af firm er son rô le de métrop ol e ré gional e et éc onom iqu e. ■
La Côte Ivoire entre dans une séquence historiq ue avec l’élection présidentielle d’octobre 2025. Notre am i et collaborateur l’écrivain et jour naliste Venance Konan mène le débat avec deux observateurs renommés et écoutés de la scène nationale. propos recueillis par Venance Konan
Ils sont régulièrement invités sur les plateaux de télévision, dans les émissions de radio ou sur les réseaux. Ces experts incarnent, avec d’autres, la vivacité grandissante de la société civile et l’énergie du débat politique et médiatique ivoirien. Et la diversité du PA I, le paysage audiov isuel ivoirien, dopée en particulier par la télévision numérique terrestre. Un débat qui est encore plus vif lors d’une année d’élection présidentielle Entretien, donc, avec le professeur Yodé Simplice Dion, titulaire de la chaire de philosophie morale et politique de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Et avec le docteur en histoire des relations internationales et chercheur spécialiste des questions de défense à l’Université Féli x Houphouët-Boigny d’Abidjan Ar thur Banga. La démocratie, la participation et les listes électorales, le développement, l’inclusiv ité, la sécurité, les relations régionales et internationales, et le destin de la Cedeao sont au menu, entre autres, des échanges.
AM : Selon vous, comment a évolué la Côte d’Ivoire depuis 2011 ?
Yodé Simplice Dion : La transformation physique et infrastructurelle de la Côte d’Ivoire est indéniable. Le pays est en chantier et nous en sommes enchantés. L’administration se modernise. Notre économie a retrouvé sa vitalité et la situation sécuritaire s’est considérablement améliorée. Il en va de même pour l’éducation, la santé ou encore les politiques d’insertion des jeunes déscolarisés ou qualifiés sans emploi dans le secteur productif. Év idemment, on ne saurait conclure que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Des efforts restent encore à fournir Il est important, par exemple, de sensibiliser la gouvernance étatique sur la problématique de l’« équité territoriale » pour réduire le contraste de développement entre la capitale économique, Abidjan, et les régions productrices en matière d’infrastructures routières, sanitaires et éducatives Je veux parler notamment de la région du Centre-Ouest et de la zone montagneuse de l’ouest, notamment Man et Danané, qui constituent le poumon économique agricole du pays
Comment envisagez-vous l’élection présidentielle de 2025 ?
La situation politique, notamment préélectorale, dans notre pays présente actuellement un paradoxe. D’un côté, nous observons une normalisation démocratique encourageante Par là, j’entends que les formations politiques exercent librement leurs activités, organisent des rassemblements et des tournées dans tout le pays sans entrave majeure, y compris dans des régions autrefois considérées, à tort ou à raison, comme hostiles Le dialogue interparti se poursuit, et les débats politiques, de plus en plus animés, demeurent dans le cadre institutionnel. D’un autre côté, cependant, l’horizon 2025 fait surgir des points de tension préoccupants
Des désaccords profonds persistent sur des questions fondamentales : la composition de la Commission électorale, la fiabilité du fichier électoral et les conditions d’éligibilité. Plus
inquiétant encore, certains acteurs politiques commencent ou recommencent à adopter une rhétorique de clivage et de stigmatisation, ravivant des antagonismes que nous pensions avoir renvoyés aux calendes grecques, dans les entrailles d’un passé depuis longtemps dépassé. Ces tensions que nous avons connues et qui semblent renaître de leurs cendres, si elles ne sont pas traitées courageusement à temps par un dialogue inclusif et sincère, risquent de dégénérer en crises plus graves Ma conv iction, c’est qu’un pays en paix, ce n’est pas un pays où il n’y a pas de conf lits ou de tensions ; c’est un pays où les conf lits savent se gérer de manière raisonnable pour qu’ils ne dégénèrent pas en violences destructrices comme en 2002 et en 2011. La démocratie est faite de consensus et de compromis. Et la plus grande victoire, pour nous, Ivoiriens, sera d’offrir à l’Afrique et au monde un modèle électoral inclusif exemplaire.
Croyez-vous au risque de contagion en matière de coups d’État militaires, au vu des actualités qui ont secoué la sous -région ces dernières années ?
La Côte d’Ivoire présente des caractéristiques qui, de mon point de vue, la protègent significativement du risque de déstabilisation militaire observée chez ses voisins. La restructuration de l’armée engagée depuis 2011 me semble avoir produit des résultats tangibles : professionnalisation des troupes, amélioration des conditions de vie des soldats, modernisation des équipements et renforcement de la cohésion au sein des forces armées Cette transformation a créé un corps militaire plus stable et mieux intégré dans le fonctionnement institutionnel du pays Le dy namisme économique de la Côte d’Ivoire constitue un autre facteur majeur de stabilité La croissance soutenue, la diversification progressive des activités et l’afflux d’investissements étrangers ont créé un environnement économique où les ruptures brutales de l’ordre constitutionnel apparaissent comme des risques que peu d’acteurs conscients et citoyens sont prêts à encourager Toutefois, cette stabilité peut cacher des fragilités structurelles
préoccupantes. La présence forte des capitaux étrangers dans les secteurs stratégiques – les banques, les télécommunications, la grande distribution, les industries, etc. – pose la question de la souveraineté économique. La hausse continue du coût de la vie, particulièrement sensible dans les zones urbaines, peut contribuer à créer des tensions sociales qui ne doivent pas être sous-estimées, parce qu’elles peuvent être récupérées et instrumentalisées par certaines officines dans un contexte de diabolisation de l’Occident par un courant panafricaniste très distrait Il faut donc être vigilant à tout point de vue !
Comment endiguer, selon vous, la menace terroriste qui plane sur la Côte d’Ivoire, notamment aux frontières nord ?
Cette menace terroriste représente un défi sécuritaire sérieux, et notre pays démontre chaque jour sa capacité à y faire face. Les incidents survenus à l’époque, notamment dans la zone de Kafolo, ont serv i d’alerte, conduisant à une refonte substantielle de la stratégie de sécurité frontale L’État a considérablement renforcé ses dispositifs de surveillance, de renseignement et d’intervention, tout en approfondissant sa coopération avec les pays voisins dans la lutte antiterroriste. Je me réjouis personnellement que nous ayons à la tête de ce pays un leader qui a à cœur la question de la sécurité nationale et ne lésine sur aucun moyen pour sécuriser ses concitoyens et leurs biens. Par ailleurs, la résilience de la Côte d’Ivoire face à cette menace s’appuie sur plusieurs atouts fondamentaux. En sus d’un leadership de vigilance, l’État a également compris que la réponse au terrorisme ne peut être uniquement sécuritaire. Ce que l’on appelle le « biais sécuritariste » ou le « tout sécuritaire » n’est pas pertinent sur la durée Il faut aussi et surtout que l’environnement socio-économique soit un atout à opposer aux vendeurs d’armes, de mort et autres fous de Dieu. La stratégie de développement économique des régions septentrionales mise en place par les autorités répond à ce besoin et témoigne de cette approche nécessairement holistique Aussi la création d’un corridor industriel le long des zones frontales et frontalières représente-t-elle une initiative particulièrement pertinente Ces nouveaux pôles de développement, en offrant des perspectives d’emploi et d’entrepreneuriat aux jeunes, constituent un rempart efficace contre les tentations de l’extrémisme
Trois pays voisins – le Mali, le Burkina Faso et le Niger – se sont retirés de la Cedeao. Qu ’en pensez-vous et quelles conséquences cela peut -il avoir sur la Côte d’Ivoire ?
« La plus grande victoire, pour nous, Ivoiriens, sera d’offrir à l’Afrique et au monde un modèle électoral exemplaire. »
Le retrait du Mali, du Burk ina Faso et du Niger de la Cedeao marque un tournant historique dans l’histoire de l’intégration ouest-africaine. Cette décision révèle les limites et les faiblesses du modèle de coopération ou d’intégration régionale actuelle qui, visiblement, n’a pas su ou n’a pas pu s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques. Les sanctions économiques utilisées comme outil de pression pour le retour à l’ordre constitutionnel se sont révélées contre-productives, poussant ces pays à chercher des alternatives et à renforcer leurs liens avec d’autres partenaires, notamment la Russie Philosophiquement, toute période de crise est faite à la fois de dangers et d’opportunités. Le temps est peut-être venu pour la Cedeao de se remettre en cause afin de redéfinir ses objectifs, ses méthodes et surtout le socle commun de valeurs politiques sur lequel devrait se bâtir une véritable intégration, qui ne sera plus de façade et de mascarade. Le temps des tartuferies est révolu. Il faut construire une intégration sur des valeurs avec des peuples et des États qui y adhèrent et qui y trouvent leur compte L’Union européenne, par exemple, ne s’est pas construite sur des humeurs, des combines et des combinaisons à la tête du client Quand on sait ce que l’on veut, on sait comment et avec qui on doit y aller. Lao-Tseu le dit mieux que moi : « Avoir un but trace la voie » Pour la Côte d’Ivoire, cette situation crée assurément un défi diplomatique complexe. En tant que puissance économique majeure de la région et, par voie de conséquence, membre influent de la Cedeao, le pays doit maintenir un équilibre délicat. D’un côté, il lui faut préser ver des relations constructives avec ses trois pays voisins, relations essentielles pour la stabilité régionale et la lutte contre le terrorisme – les échanges commerciaux, notamment avec le Mali et le Burk ina Faso, restent indispensables pour l’économie de la région Nord du pays. Le maintien des corridors de transport vers ces pays enclavés demeure une priorité stratégique. De l’autre côté, la Côte d’Ivoire doit consolider son positionnement comme pôle de stabilité régionale et défendre le modèle de démocratie qu’elle a choisi. Cette posture requiert une diplomatie subtile : maintenir le dialogue avec les régimes militaires tout en réaffirmant son attachement aux principes démocratiques, développer des relations bilatérales pragmatiques sans perturber les valeurs fondamentales de la Cedeao, et surtout contribuer à repenser un nouveau modèle d’intégration régionale plus adapté aux réalités contemporaines de l’Afrique de l’Ouest.
Comment analysez-vous le dépar t progressif des forces françaises d’Afrique, et notamment leur retrait récemment acté de Côte d’Ivoire ?
Le départ des forces militaires françaises de plusieurs pays africains marque un réel changement dans les relations entre la France et le continent. Ce phénomène s’inscrit dans une transfor mation profonde des mentalités, pa rt ic ulièrement visible chez les jeunes générations africaines, qui revendiquent une nouvelle vision, un nouveau pa radigme des relations internat ionales, et pr incipa lement de la France et de ses ex-colonies. Cette évolution ref lète une prise de conscience collective : subsumés sous le concept diplomatique d’accord, les arrangements militaires hérités de la période postcoloniale ne correspondent plus aux aspirations des sociétés africaines contempora ines. À la suite des pays du Sa hel qui en ont fait un moment politique de rupt ure radica le sur fond de souverainisme exacerbé, après le Sénégal et le Tchad, de façon moins tonitruante, la Côte d’Ivoire vient d’annoncer le départ des forces françaises basées au 43e bataillon d’infanterie de marine et la rétrocession de ce camp à l’armée ivoirienne Le président Alassane Ouattara, qui en a fait l’annonce dans son discours de Nouvel An, prend soin de préciser qu’il s’agit d’un départ concerté, et donc préparé Il y a là une différence de ton et de méthode qui montre la nécessité pour la Côte d’Ivoire, d’une part de s’af firmer comme nation souveraine, capable désormais d’assurer sa propre séc ur ité, seule responsable
de son outil de défense, en dehors de toute forme de soustraitance, et d’autre part de maintenir et renforcer autrement les liens de coopération militaire avec la France, qui demeure un partenaire priv ilégié du pays J’appelle cela le réalisme politique, soit une politique raison née et ra ison nable. De manière générale, la présence militaire française, longtemps présentée comme un élément stabilisateur, est désormais perçue comme un sy mbole persistant de l’ère coloniale Cette perception s’est renforcée avec l’émergence de nouveaux partenaires internationaux, notamment la Chine et la Turquie, qui ont su développer des approches différentes de coopération Ils proposent des partenariats économiques et militaires qui, aux yeux de nombreux Africains, semblent sy mboliquement plus respectueux de la souveraineté nationale. Leur approche centrale sur des échanges commerciaux et des transferts de technolog ie, sa ns condit ion na lités politiques appa rentes, contraste avec le modèle traditionnel de la France, qu’elle a tout intérêt à réarticuler. Je ne cesse de répéter ce verset 2 des Corinthiens : « Le monde ancien s’en est allé ; un monde nouveau est déjà né » Nous devons comprendre que le monde a changé et que le numérique a provoqué un bouleversement dans nos modes de vie et de pensée partout dans le monde, surtout en Afrique. ■
AM : Comment jugez-vous l’évolution de la Côte d’Ivoire depuis l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir en 2011 ?
Ar thur Banga : Je pense qu’elle est globalement positive. Très tôt, l’économie s’est remise en marche Les travaux d’infrastructures et les choix libéraux ont vite fait redémarrer la machine en attirant les investissements. La croissance économique est au rendez-vous. Les chantiers de construction d’infrastructures ont transformé le visage du pays. Le taux de pauv reté est passé de 51 % en 2011 à 37 % en 2022 Sur le plan politique, et plus largement sur celui de la réconciliation nationale, le retour au pays de Laurent Gbagbo et sa liberté de manœuv re sont révélateurs des progrès accomplis. La dernière Coupe d’Afrique des nations (C AN) organisée avec brio en dit long sur le sof t power ivoirien. Cependant, ce tableau ne doit pas masquer les défis importants Le classement du pays en indice de développement humain (IDH) montre l’énormité du défi social et des attentes de la jeunesse. Il y a aussi l’incertitude autour de la participation de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé à la prochaine élection présidentielle, qui traduit les fragilités politiques et les interrogations autour du processus de réconciliation. L’année 2025 est justement celle de cette élection présidentielle. Avez-vous des craintes, lorsque l’on sait que cer taines d’entre elles ont été émaillées d’incidents violents par le passé ?
venirs tristes pour les Ivoiriens. Pour 2025, certains facteurs alimentent les craintes. L’incertitude évoquée plus tôt sur la participation de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, les doutes émis par l’opposition sur la fiabilité du processus électoral et sur la Commission électorale en font partie Mais il y a aussi une lassitude, une volonté des Ivoiriens, dans leur grande majorité, de ne plus revivre tout cela. En tout état de cause, l’élection de 2025 doit permettre à la Côte d’Ivoire de sortir de sa convalescence et de montrer sa maturité. La Côte d’Ivoire est entourée de trois pays qui ont connu des coups d’État militaires. Craignez-vous une contagion ?
« L’échec de la Cedeao à retirer le pouvoir aux militaires peut faire craindre un effet de contagion. »
La Guinée, le Mali et le Burk ina Faso sont malheureusement dirigés par des juntes qui s’éternisent au pouvoir. Et l’échec de la Cedeao à retirer le pouvoir aux militaires peut faire craindre un effet de contagion Des militaires assoiffés de pouvoir en Côte d’Ivoire pourraient s’en inspirer et bénéficieraient sans aucun doute du soutien actif des juntes des États du Sahel. Cela dit, la gestion plus réussie de la question du terrorisme, l’embellie économique, et par-dessus tout une armée qui reçoit des investissements tant pour son équipement que pour ses conditions de vie sont autant de facteurs qui penchent en faveur de la sérénité. Il faut malgré tout rester vigilant et travailler à la cohésion sociale et à la culture démocratique.
Malheureusement, en Côte d’Ivoire, élection rime avec violence. Le boycott actif de 1995, les morts en 2000, en 2011, la crise post-électorale et ses 3 000 morts sont des sou-
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de se retirer de la Cedeao. Comment analysez-vous cette décision ?
C’est dommage pour l’intégration régionale. Nous sommes dans un monde où seuls les grands ensembles s’en
sortent. Mais la construction régionale doit se baser sur un socle commun de valeurs et de principes. En Afrique de l’Ouest, nous avons librement inscrit le rejet des coups d’État comme principe Cela doit s’appliquer à tous Les juntes de l’AES ne veulent pas respecter ce principe, elles ne veulent pas sortir des transitions militaires D’où leur départ de la Cedeao Il faut en prendre acte et construire avec ceux qui sont restés une intégration plus forte. Bien sûr, la porte doit leur rester ouverte.
Après les trois pays du Sahel, le Sénégal et le Tchad, la Côte d’Ivoire vient d’annoncer elle aussi la fermeture prochaine de la base militaire française de Port- Bouët. Comment expliquez-vous cela ?
Depuis l’indépendance, les bases militaires françaises, ou disons les interventions militaires françaises en Afrique francophone, et le franc CFA ont concentré les critiques les plus
acerbes contre la France. Au cours des dernières années, les coups d’État au Sahel ont amplifié la contestation. Au même moment, la réflexion sur la présence de ce pays en Afrique a pris un tournant important incarné par le sommet de Montpellier. Le chef d’État français Emmanuel Macron va donc engager la discussion avec ses partenaires pour aboutir à un retrait militaire français en Afrique. Les choses étaient déjà actées depuis quelques mois. Le Tchad va tout de même bouleverser l’édifice. La non-intervention découlant de cette nouvelle politique militaire française sur le continent va froisser les autorités tchadiennes, surtout quand il s’agit de lutte contre le terrorisme Au Sénégal, Sonko et Faye ont un projet politique cohérent qui rejette la présence militaire française. Finalement, la Côte d’Ivoire reste le pays où la vision commune est implémentée selon le programme adopté par les deux pays ■
Elle a la tâche prioritaire de faire reculer la précarité depuis le 6 av ril 2021, date de création du ministère de la Cohésion nationale, de la Solidarité et de la Lutte contre la pauv reté. Figure appréciée, elle est sur le terrain pour éviter que certains restent en marge de l’émergence. Cartographie de son action et de celle du gouvernement. propos recueillis par Philippe Di Nacera
AM : Votre ministère n’existait pas avant 2021.
Quel message le prés ident a- t- il voulu faire passer en créant ce département ministériel spécifique ?
Myss Belmonde Dogo : La lutte contre la pauv reté est une priorité pour le chef de l’État. Depuis 2011, elle occupe une place de choix dans l’action du gouvernement. Ces politiques ont été centralisées en 2021 à travers la création de mon ministère. Cela affirme la volonté d’inclusion de toutes les couches de la population et la priorité donnée à la réduction de la précarité dans la marche vers l’émergence. Comment, concrètement, le gouvernement déf init -il la pauvreté ? Quel est son seuil en Côte d’Ivoire ?
La pauv reté est généralement définie comme un manque de ressources pour mener une vie décente. C’est le fait d’être dans une situat ion d’in férior ité matérielle par rappor t au x individus le s plus favori sé s. Cela se traduit nota mment par des difficultés à subvenir à ses besoins et à ceux de ses proches. Mais elle ne se caractérise pas uniquement par une précar ité financière Êt re pauv re, c’est aussi avoir faim, ne pas avoir accès à l’éducation, à l’eau potable, à l’électr icité, à la sa nté, au loisi r… La satisfac tion des besoi ns de base est jugée comme indispensable à la vie décente d’un êt re humain. Selon les travaux de Benjamin Seebohm Rowntree en 1901, le seuil est fixé en fonction d’un panier de biens alimentaires (2 400 calories par jour pour la pauv reté, 1 800
pour l’extrême pauv reté) et non alimentaires, nécessaires à la sur vie quotidienne. Ces derniers comprennent l’habillement, le tr an sp or t, l’ hy giène, l’eau et l’éner gie. Le s pays de l’UEMOA ont adopté une mesure depuis 2018, basée sur la consommation des biens des foyers (l’enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages, EHCV M) Un individu est considéré comme pauv re lorsqu’il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauv reté. En 2021, en Côte d’Ivoire, est considérée comme pauv re toute personne dont le revenu n’excède pas 1 012 FCFA (1,54 euro) par jour, soit 30 793 FCFA par mois et 369 516 FCFA par an. Quant à « l’extrême pauv reté », le revenu n’excède pas 750 FCFA par jour (1,14 euro), soit 22 500 FCFA par mois et 270 000 FCFA par an. La communauté internationale a fixé comme objectif d’éliminer la pauv reté sous toutes ses formes d’ici à 2030
Combien de personnes sont considérées comme pauvres en Côte d’Ivoire ?
Les chiffres sur lesquels nous travaillons, en sy nergie avec le ministère de l’Économie, du Plan et du Développement, sont établis en pourcentages. En 2024, le taux de pauvreté est de 35 % pour l’ensemble de la population
Selon les statistiques of ficielles , la réduction de la pauvreté est assez nette en Côte d’Ivoire depuis dix ans : 51,5 % en 2011, 44 ,4 % en 2015, 39,4 % en 2018, 35 % en 2023. Quel est l’objecti f à 2030 ?
La réduction de la pauv reté est l’une des priorités du gouvernement. Nous notons avec satisfaction la diminution du taux d’année en année, et nous nous sommes fixés comme objectif moins de 15 % en 2030 Qu ’est -ce que ces chif fres nous disent ? Que font les personnes une fois sor ties de la pauvreté ?
Les individus, une fois sortis de cette situation, sont pour la plupart en « activité génératrice de revenus ». En effet, dans le cadre de la lutte contre la pauv reté, ils reçoivent des formations qui, à terme, ont vocation à leur permettre de se prendre en charge.
Dans un pays où le train du changement est visible, comment faire pour prendre en compte les plus précaires sans les lais ser sur le quai de la gare ?
Quels outils avez -vous actionnés pour faire baisser la pauvreté ?
Les personnes les plus vulnérables financièrement ne sont aucunement laissées-pour-compte Elles sont intégrées dans le « programme social du gouvernement » et les « filets sociaux ». Ce programme des filets sociaux consiste à verser une allocation de 36 000 FCFA chaque trimestre pendant trois ans aux bénéficiaires qui sont choisis dans le respect de plusieurs critères, dont la région et les conditions de vie, entre autres Le choix est fait par un comité dirigé par le corps préfectoral de la région, qui comprend toutes les forces
vives, notamment la chefferie traditionnelle, les chefs communautaires et religieux, les représentants des femmes et des jeunes À ce jour, ce sont 230 000 ménages qui bénéficient des filets sociaux, mais depuis le début en 2018, 452 000 ménages ont été impactés par ce programme. Je voudrais également citer le programme AV EC (association de valorisation de l’entraide communautaire) Ce sont des regroupements de vingt à trente personnes qui épargnent ensemble, et cela débouche sur des activités individuelles et collectives génératrices de revenus.
Vos services ont établi une cartographie de la pauvreté dans le pays. Y a- t- il des zones géographiques où la pauvreté est plus répandue ?
Les études sont conduites par l’Agence nationale de la statistique (A NSTAT), le PNUD, l’Unicef et les ministères techniques Mes serv ices font une analyse des données pour l’extrême pauv reté par sous-préfectures et départements. En 2021, la pauv reté a reculé dans la majeure partie des régions de la Côte d’Ivoire. En effet, 20 régions sur les 33 ont connu une diminution de leur taux de pauv reté. La représentation cartographique des niveaux régionaux de pauv reté en 2021 permet d’observer qu’elle est plus forte dans les zones du Nord et du Nord-Est, et plus faible dans les zones de l’Ouest et du Centre. Nous constatons que les régions frontalières du nord du pays demeurent dans une situation
précaire, et que le taux de pauv reté y est accru. La baisse de la pauv reté est également observée en milieu urbain, tandis qu’en milieu rural, elle n’a pas sensiblement varié. En effet, entre 2018 et 2021, le taux de pauv reté passe de 24,7 % à 22,2 % en milieu urbain et de 54,7 % à 54,4 % en milieu rural. Mais l’on n’est pas pauvre de la même manière selon que l’on habite en zone urbaine ou rurale, même si les revenus sont faibles. Comment abordezvous cette question ? À partir de quel revenu entre -t -on dans la classe moyenne et à partir duquel peut -on être considéré comme riche dans ce pays ?
La pauv reté matérielle est associée à l’incapacité totale ou partielle d’obtenir de la nourriture, des vêtements. Si l’on se base sur la satisfaction des besoins alimentaires, le logement, les transports, l’habillement, la santé, la communication, les loisirs, l’épargne et les investissements, il est estimé que lorsque plus de 70 % des revenus de l’individu sont affectés aux seules dépenses alimentaires, alors il y a « extrême pauvreté » (1 800 calories par jour). Entre 56 % et 65 % du revenu, c’est de la pauv reté (2 400 calories par jour) ; à moins de 30 %, la personne appartient à la classe moyenne ; à moins de 10 %, avec une épargne de 40 % du revenu et une pleine satisfaction de tous les besoins de manière constante, l’indiv idu est considéré comme riche.
Vous êtes au ssi en charge, au sein du gouvernement, de la solidarité dans la société ivoirienne. Quelle est votre conception de ce mot ?
Quels outils avez -vous à votre disposition pour mener une politique de solidarité ?
Nous avons, au sein du ministère, une entité qui s’occupe des alertes précoces, qui nous informe de tous les chocs que subissent les populations. Une fois alertés, nos serv ices compétents élaborent les réponses à donner selon les cas. La solidarité ne peut pas être que financière
tiques et programmes nationaux de solidarité et de cohésion sociale. Il est désormais un véritable outil de veille, d’alerte et d’aide à la décision. Ainsi, il fait le suiv i régulier des incidents à travers son « mécanisme national d’alerte précoce », qui mobilise plus de 13 072 moniteurs d’alerte (des bénévoles qui couv rent toutes les sous-préfectures et villages). Ils rapportent au quotidien les situations de leurs localités en lien avec les indicateurs de solidarité et de cohésion sociale. Nous sommes donc informés en temps réel des situations qui impactent la vie des populations (conflits, inondations, vents violents, etc.). À partir de ces alertes, nous intervenons pour agir, ramener le calme ou exprimer la compassion du gouvernement L’observatoire interv ient aussi au niveau des processus électoraux Il déploie des missions d’observation proactives à chaque élection, accompagnées d’activités de sensibilisation. Tous les dysfonctionnements susceptibles de causer des troubles ou de perturber le bon fonctionnement du processus électoral sont remontés en temps réel pour que ces situations soient traitées et que le processus se déroule dans le calme et sans violence
Vous êtes à l’af fût de stratégies innovantes pour la réduction de la pauvreté. Le secteur privé, les ONG, la société civile font -ils preuve d’imagination posit ive ?
De plus en plus, nous tissons des partenariats avec le secteur privé, les ONG et la société civile dans le but d’atteindre une sy nergie d’actions et d’être plus efficaces en ce qui concerne la solidarité, la lutte contre la pauv reté et la cohésion sociale. De façon générale, trouvez-vous la société ivoirienne, les Ivoiriens , su ff isamment solidaires entre eux ?
« Les personnes les plus vulnérables financièrement ne sont aucunement laissées -pourcompte. »
L’obser vatoire de la solidarité et de la cohés ion sociale, qui dépend de votre ministère, a été créé en 20 08 pour évaluer et faire rayonner les politiques publiques menées pour lutter contre la pauvreté. À quoi sert- il et comment agit- il ?
L’observatoire de la solidarité et de la cohésion sociale (OSCS) est un établissement public administratif sous notre tutelle qui a pour missions de définir et d’actualiser les indicateurs de solidarité et de cohésion sociale. Cet outil permet au ministère d’être tenu informé et alerté en permanence Il développe les actions de sauvegarde et de promotion de la solidarité, évalue son évolution en tant que valeur sociale en Côte d’Ivoire. Pour cela, il conduit les études sur les poli-
À cette question, je répondrai oui et non. Je dirais que la solidarité se ressent beaucoup plus en milieu rural qu’en milieu urbain Nous travaillons à équilibrer les choses, afin que l’Ivoirien, partout où il se trouve, soit solidaire de son prochain
« L’Ivoirien nouveau » est une idée lancée en 2015 par le prés ident de la République. Elle s’inscrit, me semble -t -il, dans cette démarche de rendre la société plus solidaire. Pouvez -vous nous en dire davantage ?
Effectivement, le concept d’Ivoirien nouveau a été lancé lors de la campagne présidentielle de 2015 Il englobe plusieurs qualités et principes. Il incarne celui qui est en constante recherche de l’excellence, il est résiliant, avec un sens élevé de la responsabilité L’intérêt supérieur de la nation prime pour l’Ivoirien nouveau, qui se voit à travers les autres, qui prend soin des autres et qui est bien év idemment solidaire de ceux-ci. ■
ég al ité
«
Elle milite depuis trois décennies sur la thématique des inégalités femmes-hommes, une question du genre centrale pour la société et sur laquelle la Côte d’Ivoire est pionnière en Afrique. propos recueillis par Philippe Di Nacera
ELLE EST RECONNUE pour le rôle majeur qu’elle joue depuis trente ans dans la définition et la mise en œuv re d’une politique contre les inégalités subies par les femmes en Côte d’Ivoire. Depuis 2011, sous l’impulsion du président Ouattara, ses mesures se sont structurées et donnent des résultats. Et les méthodes, observées et partagées, sont même reprises à l’étranger. Une étude de l’OCDE publiée fin 2023 place le pays en tête du continent au regard des politiques de lutte contre les discriminations basées sur le genre. Elle fut ministre de la Promotion de la femme, de la Famille et de la Protection de l’enfant en 2016, conseillère spéciale du président de la République chargée des questions de genre jusqu’en 2023, puis conseillère spéciale du Premier ministre. Fondatrice et coordinatrice nationale du Compendium des compétences féminines depuis 2011, elle dirige la chaire Unesco « Eau, femmes et pouvoir de décisions », créée en 2006 en Côte d’Ivoire.
AM : Selon l’indicateur Institutions sociales et égalité des genres (SIGI) de l’OCDE , la Côte d’Ivoire occupe en 2023 le premier rang du classement des pays africains en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des femmes. Elle fait partie des 55 pays les mieux classés dans le monde, loin devant le Brésil, les États-Unis, le Japon ou le Canada. Que dit exactement cette étude et sur quoi se base -t -elle ?
Euphrasie Kouassi Yao : Elle prend en compte quatre éléments : les discriminations au sein des familles, l’accès aux
ressources financières, l’atteinte à l’intégrité physique, les libertés civiles. Cette étude est aussi bien qualitative que quantitative Par exemple, à l’échelle nationale, 18 % des Ivoiriens pensent que les mutilations génitales féminines doivent se poursuivre. C’est encore trop Mais au niveau continental, ce pourcentage est de 40 %. L’évolution des mentalités est prise en compte par l’OCDE pour établir ce classement.
Concernant les ressources financières, je peux citer le Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI). Il permet à ces dernières d’avoir des activités génératrices de revenus. Pour les violences faites aux femmes, nous avons beaucoup de progrès à faire De même, concernant les atteintes aux libertés civiles [le pourcentage de femmes dans les postes de décisions ou électifs, ndlr], nous ne sommes pas bien classés. Nous ne comptons que 14 % de députées, par exemple. Nous ne l’avons d’ailleurs pas caché dans notre rapport à l’OCDE.
Mais au total, l’ensemble de la politique, y compris dans ses aspects les moins visibles, nous a permis de passer du milieu du tableau en 2019 à la première place en 2023. C’est une heureuse surprise.
Que signifie cette reconnaissance internationale ?
Cette étude mesure la formidable évolution des mentalités dans notre pays, autant que l’arsenal législatif pour protéger les femmes (loi sur le mariage, loi sur le foncier rural, criminalisation des violences domestiques, etc.), qui est relativement complet. Elle couronne une ferme volonté du gouvernement ivoirien Cette reconnaissance signifie simple-
ment que nous avons la meilleure méthode en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des femmes et des filles. Il s’agit d’une approche unique qui mêle la question du genre et celle du développement, et qui donne à notre pays une expertise particulière. Ce résultat est le fruit de quinze années d’efforts politiques constants voulus par le président Alassane Ouattara. C’est tout cet ensemble – lois, stratégie, constance politique, etc. – qui permet d’aboutir à une telle performance. Cependant, il ne faut relâcher aucun effort, afin de continuer à progresser dans les secteurs où nous sommes plus faibles. En effet, l’étude SIGI de l’OCDE a lieu tous les quatre ans.
Pourquoi, à votre avis, Alassane Ouattara a-t- il fait de la question du genre une priorité de son action publique dès le départ ?
Dans les postes qu’il avait occupés à l’international, il a constaté l’apport et l’importance des femmes Tout un chacun, peu importe le genre, est indispensable au processus de développement Il a fait un constat qui figurait dans son programme de gouvernement en 2011 : « Chaque fois que des femmes accèdent à des postes à responsabilités, dans les entreprises, dans la fonction publique, dans la politique, les analyses sont mieux élaborées, de manière plus ouverte, les décisions sont prises avec une plus grande conscience, elles sont mieux expliquées, mieux acceptées, leur mise en œuvre devient plus facile, les conf lits s’apaisent, l’équilibre rev ient »
En quoi avez-vous « remodelé » l’approche du genre dans le pays avec une vision proprement ivoirienne ?
Notre approche s’intitule « genre et développement ». Nous avons lié ces deux problématiques, et c’est ce qui rend notre stratégie concrète et efficace. Elle vise à réduire les inégalités sociales en matière d’éducation, de santé, d’économie et à relever, pour les corriger, les discriminations Pour ce faire, nous avons une méthode et des outils permettant de régler les problèmes. Elle est globale, parce que nous avons compris que le genre n’est pas qu’une affaire de femmes, c’est le développement même, et elle a des conséquences sur les normes sociales, économiques, politiques J’ai beaucoup voyagé et je crois que nous sommes les seuls à avoir adopté cette approche. Aujourd’hui, on me sollicite beaucoup et partout au sujet de ces méthodes Nos formations à la chaire de l’Unesco sont prisées par de nombreux hauts responsables ivoiriens ou étrangers de plus de dix pays (Tchad, Bénin, Sénégal, Burk ina Faso, France, Canada, etc.). C’est ainsi que les mentalités et les réalités évoluent
En 20 06, vous devenez titulaire d’une chaire créée spécialement par l’Unesco, « Eau, femmes et pouvoir de décisions ». À quoi sert concrètement cette chaire ?
C’est parti d’un constat que j’ai fait au début des années 2000 dans certains villages Seuls les hommes géraient les pompes à eau installées par l’État. Au bout de trois ans, elles étaient dégradées. Des milliards étaient gaspillés. J’ai proposé de faire collaborer les hommes et les femmes dans la gestion de l’eau. Cela a eu de tels impacts que l’Unesco a décidé de me confier cette chaire, ce qui est rarissime pour une non-universitaire. C’est à partir de là que s’est bâtie peu à peu la stratégie contre les discriminations. Dès 2011, à la demande du chef de l’État, vous commencez à recenser des femmes compétentes dans tous les domaines. Ainsi naît le Compendium des compétences féminines, désigné en 2018 « meilleur programme africain » par le PNUD, l’OIF et l’Unesco. Qu ’est -ce que cet outil, que vous avez conçu et qui a beaucoup intéressé à l’étranger, a appor té ?
« Nos formations à la chaire de l’Unesco sont prisées par de nombreux hauts responsables ivoiriens ou étrangers de plus de dix pays (Tchad, Bénin, Sénégal, Burkina, France, Canada, etc.). »
Compendium signifie « la quintessence », ce qu’il y a de meilleur. C’est un programme qui vise à renforcer la visibilité et le leadership des femmes dans la gestion des affaires publiques et privées. Il identifie les secteurs où elles manquent. Enfin, il crée un réseautage entre elles. Dès le départ, en 2011, nous avons travaillé sans distinction d’ethnie, de religion, de parti politique. En treize ans, nous recensons plus de 18 000 femmes dans la base de données Ce programme, qui n’existe, encore une fois, nulle part ailleurs, a créé un élan incroyable en Côte d’Ivoire. Et des pays comme le Tchad nous demandent maintenant de les aider à installer un compendium C’est lors de votre passage au gouvernement en 2016 que la question de l’égalité des genres a été introduite dans la Constitution. Une avancée des droits des femmes qui n’était pas acceptée par tous…
Il y a eu des réticences Le Conseil de gouvernement [réunion des mini stres sans le chef de l’État, ndlr] a essayé de refuser cette mesure. Mais j’ai parlé au président de la République, et il a compris l’importance d’introduire l’égalité des chances dans le préambule de la loi suprême de la Côte d’Ivoire Nous avons gagné. Je suis fière des résultats de notre pays, parce que la lutte contre les inégalités basées sur le genre est une cause que je porte depuis trente ans. ■
sin ess
Directrice régionale du groupe AGL pour la Côte d’Ivoire et le Burkina depuis n 2023, elle est la première femme à occuper un tel poste, à la tête de plus de 5 000 collaborateurs directs et plus de 15 000 indirects. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
DIPLÔMÉE EN FINA NCE et en management à Paris et à Barcelone, elle est entrée dans le groupe Bolloré en 2007, et a dirigé Abidjan Terminal Bolloré Ports entre 2018 et 2023. Elle explique pourquoi c’est en Côte d’Ivoire qu’A frica Global Logistics, fruit du rachat du groupe Bolloré par MSC, détient sa plus grosse filiale et comment son entreprise soutient le développement économique du pays, tout en partageant sa vision des enjeux nationaux.
AM : AGL Côte d’Ivoire est la filière africaine la plus importante du groupe. Pourquoi ?
Asta Rosa Cissé : La Côte d’Ivoire occupe une position stratégique sur la côte ouest africaine et a une économie diversifiée Le groupe AGL y est implanté avec de multiples métiers et expertises, puisque nous avons les terminaux portuaires
Abidjan Terminal et Côte d’Ivoire Terminal, ainsi que notre traditionnelle activité de logistique Nous opérons aussi un chantier naval à travers Carena, et une concession ferroviaire avec Sitarail Cette diversité contribue à accroître le volume de nos activités, à renforcer nos sy nergies, à offrir à nos clients des serv ices logistiques intégrés et de qualité, et à contribuer modestement au développement économique et social de l’Afrique, de la Côte d’Ivoire et de la sous-région
De quand date l’histoire d’AGL en Côte d’Ivoire ?
Il faut remonter à la société Transcap, créée il y a plus de cinquante ans, pour refaire l’historique de notre entreprise en Afrique. Il y a eu ensuite la création de la Sivomar, la société maritime qui détenait un navire battant pavillon ivoirien dans le pays Sont venues ensuite les sociétés SAGA et SDV,
qui ont fusionné pour donner naissance en 2008 à Bolloré Africa Logistics. Et depuis le 30 mars 2023, à la faveur du rachat par le premier armateur mondial, le groupe MSC, nous avons pour identité Africa Global Logistics, qui a pour vocation d’être au cœur des transformations du continent. C’est à juste titre que nous sommes en Côte d’Ivoire à la conf luence des atouts agro-industriels et énergétiques de ce pays, terre d’opportunités (cacao, café, cajou, hévéa, etc.). Avec, de fait, un besoin énorme de transpor t.
La Côte d’Ivoire peut en effet se féliciter d’avoir développé au cours de ces vingt dernières années le meilleur réseau logistique de la côte ouest africaine. Les ports modernisés grâce aux investissements de l’État et du groupe AGL, les infrastructures routières et l’écosystème logistique promus par le ministère des Transports ont fourni à notre pays le levier des échanges commerciaux à l’import et à l’export Le pays exporte ses matières premières et produits semi-finis, et importe aussi des biens de consommation courante, à la grande satisfaction des compagnies maritimes, qui ont la possibilité d’exploiter cette double opportunité.
Vous avez inauguré en 2022 un deuxième terminal à containers Le premier a été modernisé. Et vous avez beaucoup d’autres activités. En quoi l’environnement ivoirien, au -delà de sa richesse, est- il positif pour leur développement ?
Pour investir plus de 400 millions d’euros comme nous l’avons fait pour Côte d’Ivoire Terminal, il va de soi que nous croyons en ce pays Sa stabilité est un gage de sécurité pour les investisseurs Depuis plus de dix ans, le pays affiche une
croissance économique moyenne de 7 %, avec un besoin de développement quasi vital. Le port autonome d’Abidjan a conduit les travaux de modernisation de l’infrastructure portuaire en vue d’accompagner la croissance. En dix ans, il a été transformé, avec des quais dédiés, des guérites modernisées. L’agrandissement du canal fait partie des grands travaux menés par le gouvernement. Le port d’Abidjan est aujourd’hui capable de traiter les volumes du pays, mais également de faire du transbordement, ce qui est important pour alimenter la côte ouest africaine et améliorer la desserte logistique du pays Il faut aussi évoquer les dispositions du code des investissements ou du code des impôts, qui permettent d’accélérer la dy namique d’investissement des opérateurs du secteur privé Pour notre part, nous avons été accompagnés par le Cepici dans le cadre de nos investissements pour le deuxième terminal à containers.
La politique du pays privilégie depuis quelques années la fabrication de produits finis. Qu ’est -ce que cela implique pour vous ?
La crise du Covid-19 nous a rappelé la nécessité de localiser les industries en Afrique, en vue de créer de la valeur et de soutenir les défis de la croissance démographique, dont l’emploi des jeunes. L’État a fait le vœu, dans le cadre du projet d’une Côte d’Ivoire solidaire à l’horizon 2030, de créer les conditions pour une transformation locale des produits agricoles avant leur exportation. Nous accompagnons cette évolution avec une offre commerciale différente, adaptée aux besoins du client, avec plus d’innovation, de digitalisation et d’outils pour permettre la célérité et l’information en temps réel. On ne transporte pas des fèves de cacao de la même façon que de la poudre ou du beurre de cacao. Nos équipes mettent en œuvre des solutions pour répondre aux attentes des clients. Et cela touche aussi aux métiers de la chaîne du froid.
Dans le cadre du soutien aux enjeux de la croissance démographique, nous avons depuis plus de deux décennies noué des partenariats avec des écoles d’excellence. Je pense notamment à l’Académie régionale des sciences et techniques de la mer (A RSTM), à l’INPHB de Yamoussouk ro, qui nous permettent d’attirer des talents, de participer à l’amélioration des programmes et de créer les compétences logistiques qui font notre fierté et celle de nombreuses entreprises de la place. Nous avons également lancé en 2022, en partenariat avec le ministère de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Serv ice civique, le programme « École du transit », qui permet d’accueillir des jeunes diplômés en logistique ou en commerce international que nous formons et que nous insérons au sein de nos serv ices
« Le pays peut se féliciter d’avoir développé le meilleur réseau logistique de la côte ouest africaine. »
Vous sélectionnez ces jeunes dans les écoles, prenez les meilleurs, puis les formez vous -mêmes ?
Absolument, ce sont des serv ices nouveaux, demandant des expertises et de la compétence. Nous avons par exemple créé les premières capacités de froid certifiées d’Abidjan avec l’aérohub, qui est très prisé par les opérateurs de la pharmacie, de l’agro-industrie ou du retail. Nous avons développé des compétences en la matière, ce qui fait la singularité de notre proposition sur le marché ivoirien
Justement, vous travaillez au développement du capital humain avec des systèmes de formations, de stages rémunérés et des emplois à la clé. Là aussi, en quoi la Côte d’Ivoire favorise-t- elle cela ?
Existe -t -il une appétence ou des dispositions par ticulières chez les jeunes Ivoiriens ?
Tout à fait. Nous avons, avec Sitarail, créé l’École supérieure des métiers ferrov iaires, qui est la seule spécialisée dans le rail en Afrique subsaharienne et qui offre aux jeunes ivoiriens et burkinabè des formations aux activités du chemin de fer. Par ailleurs, depuis plus de dix ans, nous avons une académie, le Centre de formation aux métiers portuaires (CFPP) Nous avons également des simulateurs et des outils pour accompagner la montée en compétences des jeunes Pour faire face aux nouvelles exigences, il nous est apparu nécessaire de créer de nouveaux métiers, comme ceux de vessel manager ou de responsable de shift, qui 24 heures/24 gère toutes les opérations sur le terminal Ce sont des diplômés de l’académie que nous avons retenus parmi les meilleurs, puis formés aux spécificités du métier par le biais de stages à l’étranger Dans le domaine du shif t, nous avons des femmes managers et d’autres qui manipulent les grues. C’était un clin d’œil à la fonction, parce qu’on n’imagine pas une femme grutier. Mais ça crée une saine émulation et tire tout le monde vers le haut Donc aujourd’hui, grâce à nos dernières recrues, jeunes, sorties de l’école, une ambiance différente s’est instaurée au sein des deux terminaux Nous bénéficions du support des autorités, notamment du ministre de la Promotion de la jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Serv ice civique Mamadou Touré, qui nous a fait l’honneur aux côtés de son collègue des TIC d’inaugurer en juin 2024 notre centre d’innovation YIRI. Comment fonctionne ce centre de compétences digitales YIRI, installé en zone 4 ?
Il conv ient de préciser que nous avons un centre de compétences informatique, Ascens Côte d’Ivoire, qui emploie plus de 250 informaticiens assurant le support de nos activ ités sur
le continent. Il nous a semblé utile, au-delà des solutions métiers, de disposer d’un accélérateur d’idées et de projets en lien avec la logistique. C’est à ce titre que YIRI a été lancé. Cet outil nous permet d’accompagner les jeunes entrepreneurs dans la réalisation de projets digitaux innovants, au sein d’un environnement favorable à l’idéation et au prototy page. Nous voulons aussi stimuler la créativité de nos collaborateurs et de nos clients. À ce titre, nous sommes heureux que, dans le cadre d’un hackathon organisé à Abidjan avec le soutien des fondations MSC et Pangea X, deux jeunes Ivoiriens de la start-up Ivoire Straw aient pu décrocher deux prix à la finale internationale à Paris. MEDEV, une autre start-up lauréate, met en œuv re au sein du centre une solution de gestion des alertes, qui sera bien utile aux autorités en charge de la protection civile.
Qu ’ont inventé les jeunes de la star t- up Ivoire Straw ?
Leur projet porte sur la fabrication d’emballages biodégradables, à base de pailles de riz. Un protot ype dans l’air du temps a d’ores et déjà été réalisé. Et lorsque l’on sait que les sacs plastiques causent du souci et que la paille de riz est abandonnée dans les champs, on ne peut qu’être admiratifs face à cette solution locale.
Mais finalement, rien à voir avec la logistique.
Ces projets font partie du programme « Discover », qui s’adresse aux jeunes avec des idées, que nous accompagnons pour qu’ils puissent les concrétiser. Il y a ensuite le programme « Accelerate ». L’appel à projets de septembre dernier a permis de retenir cinq start-up, dont PA PS et ALIA, qui offrent des solutions aux besoins des opérateurs logistiques.
Avez-vous des projets particuliers en ce moment sur la Côte d’Ivoire ?
Nous accompagnons le projet de transformation du pays. Le secteur de l’énergie est important pour nous. À l’horizon 2030, le pays entend sortir 200 000 barils par jour Nous mettons en œuv re des projets d’infrastructure et de développement de moyens logistiques pour répondre aux attentes des opérateurs pétroliers, gaziers et miniers Et nous sommes déjà en ordre de bataille dans le secteur de l’agro-industrie, avec des entrepôts aux normes et des équipements logistiques adaptés. Aussi, nous renforçons notre desserte des corridors intérieurs de la Côte d’Ivoire. Nous travaillons par ailleurs aux côtés de la Banque mondiale à la réhabilitation du chemin de fer Abidjan-Ouagadougou. Plusieurs milliards ont été mobilisés pour les travaux d’urgence qui démarreront dans les prochains mois
AGL communique beaucoup sur la politique du genre.
Vous avez évoqué les lois et facilitations qui soutiennent l’économie. Selon vous, quels points pourraient être améliorés ?
L’éducation reste, malgré les efforts des pouvoirs publics, un secteur qui doit continuer sa mue. Le volet apprentissage doit être renforcé pour que la formation soit moins théorique et plus pratique La Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer du modèle allemand ou suisse. À la sortie de l’école, les jeunes ne sont pas prêts à affronter le monde du travail. On est obligés, en tant qu’entreprise, de mettre en place des dispositifs complémentaires de formation de six à huit mois. Il faudrait aussi que les programmes éducatifs soient liés à la stratégie économique du pays, ambitieuse, claire et mise en œuvre avec succès. On le voit bien aujourd’hui avec le développement des métiers du secteur de l’énergie, oil and ga s et mining, et la difficulté à mettre en œuv re les lois sur le local content
Dans un secteur très masculin, vous faites en sor te que des femmes s’intègrent. Vous êtes vous -même le résultat positif de cette politique, en vous retrouvant à la tête de la plus grosse antenne africaine du groupe en Afrique. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Les mentalités évoluent -elles vraiment en profondeur ?
La perception des femmes dans des rôles traditionnellement masculins évolue positivement Par exemple, au début, les gens se demandaient comment une jeune femme pouvait gérer les dockers. En adoptant une autre approche, en év itant les confrontations directes, nous avons réussi à créer un environnement de travail harmonieux, avec moins de conf lits. Le regard des hommes change- t- il aussi ?
Grâce à une manière d’agir différente, en ne prenant personne de front, il y a moins de testostérone dans l’air ! L’Africain respecte la femme, la mère. Donc tout cela évolue très bien. ■
éc ol og ie
Ce fut long temps l’une des décharges les plus toxiques de la région. Implantée presque au cœur d’Abidjan. Fermée en 2018, elle a fait l’objet d’une am bitieuse réhabilitation. Bienvenue aujourd’hui dans un parc ouvert au pu blic, le nouveau poumon vert de la mégalopole. Un exemple à suiv re. par Zyad Limam
Pour l a prom enade pu bl ique, la p as serel le sé cu ri sé e, à un mètre du so l, pour év iter d’influ enc er le mi li eu nat ure l.
Aujourd’hui, la visite est impressionnante.
Réel lement Au cœur de la commune de Co cody, da ns l’ag it at ion d’Abidja n, s’ac hève la naissa nce d’un pa rc unique, une respiration verte dans un univers hautement urbain Un paysage hors de la cité, avec des arbres, un chemin botanique, des aires de sports et de jeux. Bientôt, dans quelques semaines, les habitants de la ville pourront y accéder. Une vraie révolution, lorsque l’on se replonge dans le passé. Akouédo, ce fut tout d’abord et longtemps une décharge de sinistre réputation, ouverte dans les années 1960 Elle fut pendant des décennies
le quasi seul site de stockage de déchets de la ville d’Abidjan, et l’un des principaux d’Afrique. Une zone particulièrement toxique, échappant à tout triage, progressivement absorbée par l’extension urbaine, avec des populations qui s’installent à proximité, un écosystème de la misère, un véritable risque écolog ique et sanitaire collectif Elle a été marquée aussi, en 2006, par la tragédie du Probo Koala, ce bateau poubelle dont les déchets hautement toxiques avaient été déversés sur le site, entraînant une catastrophe majeure. Un espace de 112 hectares, dont plus de 80 occupés par l’amoncellement de déchets de toute sorte. Face à ces enjeux, les autorités ivoiriennes décident de fermer la décharge en 2018, lançant un
projet particulièrement ambitieux de réhabilitation. Avec la gestion des déchets, la création d’un parc et d’aires ouvertes au public.
Un projet, fou par son ampleur et par le défi technologique que représente sa réalisation, porté par l’État et confié à PFO Africa, l’entreprise dirigée par l’architecte Pierre Fakhoury et son fils Clyde. L’entrepreneur ivoirien se lance à corps perdu dans le projet, s’associe à Veolia (exper t en traitement des déchets), Gregori International et le paysagiste jardinier Philippe Niez (Niez Studio) L’aventure hors-norme commence Le terrain est sécurisé, des millions de tonnes de déchets sont conf inés via le remodelage des massifs. Des fosses périphériques sont créées pour l’écoulement des eaux pluv iales. L’ensemble est recouvert d’une géomembrane étanche et sécurisée pour év iter toute fuite ou remontée toxique. Le biogaz et les lixiviats issus de la fermentation progressive des déchets sont captés par des puits de récupération, ainsi qu’un réseau tentaculaire, en surface, de collecte et d’acheminement Les biogaz sont transportés vers une usine de cogénération Cette centrale installée sur site permet d’assurer les besoins en électricité du parc, le surplus étant réinjecté da ns le réseau national Les li xiviat s, quant à eux, sont traités et dépollués. Et les eaux épurées sont renvoyées vers la lagune Ébrié.
RADICALE
L’a cc ès à l’ai re de jeu x et de sp or ts Te rra ins de te nnis et de ba sket, entre autres.
Ci -c ontre, la centrale d e cog énération qui traite le s lixiviat s.
L’ensemble a été conçu en trois zones. La zone A, désormais stabilisée, est destinée à être ouverte au public Les dômes B et C seront prog ressivement accessibles, au fur et à mesure de leur stabilisation Le dôme A comprend les espaces de loisirs ainsi qu’une maison de l’environnement. Et, cœur du projet, le développement d’un grand parc botanique dessiné par le paysagiste Philippe Niez Une vaste pépinière a été mise en place, qui s’est aussi appuyée sur l’expérience et le savoir-faire des populations qui ont vécu à proximité du site Les visiteurs pourront accéder à une promenade dans ces mondes végétaux ivoiriens via une passerelle sécurisée de 600 mètres, surélevée d’un mètre pour préserver ce milieu naturel renaissant Ils traverseront la forêt des arbres géants, ils découv riront l’espace de savane et ses hautes herbes Avant d’arriver dans le bois de Makoré (et ses espèces rares) Akouédo a reçu le Grand Prix économie circulaire 2021
L’a cc ès au pa rc avec la ma is on de l’environ nement (c i- de ssus). Les mobil ie rs de ss in és pa r l’ar ti ste Je an Se rvais So mia n (c i- contre).
du Geste d’or, une association indépendante des métiers du bâtiment. Et aujourd’hui, malg ré l’impact de l’épidémie de Covid sur les travau x, le parc est quasi prêt à êt re ouvert. Une gageure !
L’enjeu d’Akouédo, sa mutation radicale, dépasse le site lui-même La question des déchets et de l’assainissement, celle de la protection des espaces forestiers et naturels sont stratégiques. Toujours à Abidjan, le fameux parc national du Banco, véritable poumon vert de la ville avec ses 35 km2, est menacé par l’urbanisation, la coupe illégale, la pollution
Les décharges urbaines sont légion sur le continent, et demeurent un important point noir de la sécurité écologique des grandes métropoles africaines Elles ont par ailleurs un coût exorbitant en matière de bilan carbone. Sur la période allant de 2000 à 2021, les émissions de gaz à effet de serre liées aux déchets en Afrique ont augmenté presque deux fois plus rapidement que l’en semble des ém issions, compta nt désormais pour environ 8 % du total La question de l’assainissement reste tout aussi cruciale (seuls 300 millions d’Africains ont accès à des struct ures adéquates, selon l’OMS). L’expérience d’Akouédo et celle de la Côte d’Ivoire pourraient dès lors être particulièrement utiles à d’autres ■
« Le monde digital s’est imposé à nous »
À la tête d’Universal Music Africa pour la partie francophone, il utilise son expérience de rappeur et sa connaissance du marché pour façonner un modèle musical unique, où fusionnent business, respect des racines et innovation. propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
AM : Vous êtes aujourd’hui le DG d’Universal Music Africa pour la par tie francophone. Vous avez un parcours singulier, pouvezvous nous en dire quelques mots ?
Franck Kacou : Mon parcours est ef fectivement at ypique J’ai grandi en Côte d’Ivoire, terminé mes études pré-bac au Kenya, puis étudié à Bordeaux, où j’ai obtenu un master en finance internationale. En parallèle, j’ai mené une carrière d’auteur-compositeur-interprète sous le nom de Black Kent pendant sept ans, sig né da ns deux maisons de disques et écrit pour de nombreux artistes L’Afrique m’a rappelé, déjà à l’époque où j’étais rappeur. Quand l’opportunité s’est présentée de construire quelque chose sur le continent avec Universal Music Group, j’ai foncé. J’y suis alors entré en 2016 comme directeur artistique, signant notamment Kiff No Beat. Ensuite, je suis devenu directeur de label, puis directeur général d’Universal Music Africa pour la partie francophone en 2020 Ce pa rcours méla nge mon côté ar tist ique, qui ne disparaîtra jamais, et un côté académique de management qui m’aide à mener cette mission de front.
Pourquoi avoir choisi comme première action forte le lancement de Def Jam Africa ?
Je suis rappeur. Je parle bel et bien au présent, parce que c’est une âme que l’on a et que l’on conser ve. Quand je voyais le mouvement rap ivoire prendre de la place, pas seulement dans le pays, mais aussi dans toute la région, je sentais que
quelque chose de fort était en train de se produire. Les jeunes ar tistes émergeaient, inspirés pa r des mouvements venus d’ici et qui étaient ensuite détournés pour donner naissance à d’autres tendances ailleurs Le rap ouest-africain francophone méritait d’avoir une bannière pour le porter Et venant d’où je viens, j’ai voulu créer une ombrelle. Au sein du groupe, on m’a dit qu’il y avait déjà cette réf lexion en cours et on m’a proposé de lancer Def Jam Africa J’ai dit « let’s go », et on l’a fait C’était un sy mbole pour moi, ma première décision – en plein Covid, en plus C’était un moment très fort
Comment se porte l’industrie musicale sur le continent ?
Elle se porte bien. L’année dernière, l’Af rique subsaharienne a affiché la plus forte croissance mondiale, enregistrant un taux de presque 25 % grâce aux plates-for mes de streaming. Cela montre que le digital commence à prendre une place réelle Cependant, en matière de valeur, on reste loin des géants européens, américains ou asiatiques Le potentiel est immense : les populations sont là, les artistes et leur créativité aussi. Aujourd’hui, les plus grands ar tistes mondiaux s’inspirent des sonorités africaines, et il n’y a aucune raison que d’autres profitent de la puissance et de la richesse culturelle du continent à notre place. Il reste encore beaucoup à faire pour structurer l’industrie localement et mieux tirer parti de cette richesse, mais les signaux sont clairement positifs.
Comment se structurent les revenus des ar tistes dans la région ?
Les revenus des artistes en Afrique prov iennent de quatre canaux pr incipaux D’abord, la scène et les spectacles, qui restent une source importante. Ensuite, il y a le streaming, qui génère des revenus à la fois localement et à l’international, surtout grâce à l’impact des diasporas. Un autre canal majeur est le partenariat avec les marques, comme les associations avec des opérateurs téléphoniques ou des brasseurs, qui génèrent des revenus importants Enfin, les droits d’auteur font partie des revenus des artistes, mais devraient représenter une part plus importante si le marché était mieux structuré. Quel est le frein au développement du streaming ?
En Afrique, c’est l’accès à Internet. Le coût de la data reste un obstacle majeur, et cela limite l’abonnement payant. De plus, dans plusieurs pays, la bancar isation est faible, avec un taux de cartes bancaires qui tourne autour de 3 %. Cela empêche l’accès facile aux abonnements payants, car beaucoup de plates-formes de streaming offrent un moyen de paiement unique : la carte bancaire – bien qu’il y ait un nombre croissant de plates-formes locales qui tentent de proposer des solutions à cette problématique. Malgré cela, on constate une augmentation des abonnés payants et des revenus d’année en année Le streaming, selon moi, est la solution pour une consommation payante et durable de la musique pour les artistes, et il se développe de mieux en mieux malgré ces défis. Pourquoi le siège d’Universal
Mu sic Africa est- il à Abidjan ?
Bonne question. Il est peut-être plus facile d’y répondre aujourd’ hui qu’il y a quelques années Les signaux sont au vert pour Abidjan et la Côte d’Ivoire. Le groupe a pris la décision de s’installer ici il y a huit ou neuf ans, et on ne regrette pas ce choix. Il y avait déjà des indicateurs économiques solides : une croissance à deux chiffres dans les années 2010, et même aujourd’hui, malgré les crises depuis 2020, les taux restent élevés. En matière de sécurité, on a la chance d’évoluer dans un environnement favorable à l’invest issement La popu lation est jeune, dy namique, et une classe moyenne émerge, ce qui se ressent aussi sur nos performances L’industrie musicale ici s’est développée, avec de nouveaux acteurs qui se sont installés depuis la fin des années 2010, renforçant cette dy namique. Et surtout, Abidjan est devenu un hub culturel, une véritable fenêtre vers l’Afrique et le reste du monde. C’est un passage obligé pour les artistes qui ont des ambitions régionales ou internationales Beaucoup passent par la Côte d’Ivoire avant d’aller plus loin, et même des artistes étrangers viennent désormais ici pour leurs promos et concerts, conscients de l’importance de ce marché pour leur développement et leur inf luence.
Qu ’est -ce que la CAN a apporté à la mu sique ivoirienne et à son déploiement ?
« Abidjan est devenu un hub culturel, une fenêtre vers l’Afrique et le reste du monde. Un passage obligé pour les artistes. »
La CA N a été un boost incroyable, sans commune mesure – et en plus, on l’a gagnée ! La dernière en Côte d’Ivoire avait eu lieu il y a quarante ans, donc l’impact a été énorme non seulement sur les industries culturelles et créatives, mais aussi sur l’intérêt que les cult ures ivoiriennes et ouest-af ricaines ont suscité à l’international. Cela dit, c’est surtout au niveau local que l’effet a été le plus fort pour les acteurs de la filière. Nous avons plei nement bénéficié de cette dy na mique. La partie francophone d’Universal Music Africa a eu l’honneur de produire l’hy mne officiel, un projet majeur qui ne se limitait pas à une chanson pour l’événement L’objectif était de créer une œuvre qui perdure bien au-delà de la compétition. Nous avons réuni des ar tistes de tout le continent : Ég ypte, Nigeria, Congo, Sénégal, Cameroun, et bien sûr Côte d’Ivoire L’hy mne, sorti en octobre pour une compétition qui démarrait en janv ier, continue de vivre un an après, interprété par des artistes comme Magic System, Mohamed Ramadan ou Yemi Alade. C’est une vraie fierté, d’autant plus que l’impact de ce morceau, que ce soit en matière de vues, de streams ou de reconnaissance, a été inédit pour une CA N. On a même ouvert la voie à des concepts, comme le célèbre « coup du marteau ». Et on en reparlera encore longtemps. Mission accomplie ! Quels genres musicaux ivoiriens contribuent le plus à la renommée de la Côte d’Ivoire à l’international ? À mes yeux, le zouglou, qui est emblématique du pays, est véritablement incontournable. On pense immédiatement à « 1er Gaou », de Magic System, probablement le morceau ivoirien le plus connu au monde. Ce titre a ma rqué l’ hi stoi re de la mu sique lo ca le, au même titre que des œuvres d’Alpha Blondy ou de Ti ken Ja h Fa koly Le zouglou a véritablement sa place au Pa nt héon des genres mu sicaux ivoi rien s. En su ite, impos sible de ne pa s me nt ionner le coup é- dé ca lé, qu i a été porté pa r des figu res emblématiques, à l’image de Douk Saga, DJ Arafat, et toute la Jet Set. Ce genre a ma rqué une époque et demeure un pi lier du patri moine cu lt urel. Et aujourd’hui, c’est le rap ivoire qui fait parler de lui. Ce st yle, porté par une jeunesse créative, combine le hip-hop avec des sonorités et ry thmiques locales. Il innove et s’exporte, of frant des propositions ar tistiques nouvelles et captivantes. Nous voyons émerger chaque jour de nouveaux talents dans ce mouvement qui n’a pas fini de nous surprendre.
Quelles initiatives avez -vous prises pour agir sur la préser vation du patrimoine musical ?
Il y a deux ans et demi, j’ai lancé Virgin Music, un label dédié à la distribution digitale Nous aidons des artistes et des labels africains ou internationaux à être présents sur les plates-formes, en profitant du réseau Virgin – étant un label d’Universal, il est l’un des plus connectés au monde. Nous avons développé en son sein une activité parallèle, qui est la digitalisation du patrimoine musical. L’idée est de permettre à certains pays dont les musiques sont une richesse patrimoniale de les mettre à disposition sur les plates-for mes. Dans les années 2000, le Centre national de la musique en France a donné 50 000 euros par producteur pour permettre la numérisation des bandes. Nous, malheureusement, n’avons pas bénéficié de ce soutien Cependant, le monde digital s’est imposé à nous, et nous avons mis en place un schéma pour accompagner cette transition Aujourd’hui, on est fiers de parler de projets pilotes qu’on a lancés au Bénin et à Madagascar L’idée est de digitaliser un volume d’œuvres musicales et de les distribuer via Virgin, pour que le public jeune, qui consomme aujourd’hui en ligne, puisse y avoir accès. Il s’agit aussi de permet tre au x diasporas de retrouver ce lien avec leur pays d’origine, de se connecter à leur culture à travers la musique. C’est un projet extrêmement valeureux, qui s’autofinance grâce à la consommation, et on en est très fiers.
Le programme UMA Academy a été lancé pour former de futurs talents de la mu sique africaine francophone. Quels résultats avez -vous observés depuis sa mise en place ?
En effet, c’est un projet bénévole visant à former des jeunes aux métiers de la musique. L’idée était de ne pas se concentrer uniquement sur la formation d’artistes, mais aussi sur des profils de juristes, de marketeurs, de managers, de chefs de projet, etc. Nous avons déjà formé deux cohortes de cent jeunes chacune : parmi eux, trois ont intégré Universal et deux sont encore en poste aujourd’hui. Ils ont commencé par des stages, mais au fil du temps, on a découvert des talents qui ont évolué au sein de l’entreprise Cependant, il est important de préciser que ce projet n’a pas été pensé pour le bénéfice d’Universal, mais pour l’industrie musicale dans son ensemble Nous sommes très satisfaits de voir que certains anciens élèves de l’académie ont trouvé des opport unités ailleurs, grâce à la formation. Bien sûr, un tel projet doit faire l’objet de soutien pour continuer à se développer. La formation est un enjeu clé pour l’avenir de l’industrie musicale, et nous sommes prêts à jouer notre part dans ce domaine. Toutefois, il est év ident que des aides extérieures sont essentielles. D’autres initiatives similaires émergent, et nous sommes prêts à continuer de porter UM A Academy en Côte d’Ivoire, af in d’accompag ner le développement du secteur sur le long terme.
Quels conseils donneriez -vous aux jeunes ar tistes ivoiriens qui souhaitent percer sur la scène internationale ?
Soyez patients ! Les réseaux sociaux donnent l’illusion que tout peut arriver rapidement, mais ce n’est pas la réalité. La réussite prend du temps et chaque étape du parcours compte Persévérez, le cheminement fait partie du processus. Ceux qui veulent vraiment réussir doivent être prêts à investir du temps et à travailler dur.
Quels sont les trois ar tistes ivoiriens à suivre en 2025 ?
Je dirais Ayanne, une véritable pépite, qui mélange rap ivoire et pop de manière unique On est fiers de l’accompagner, elle vous réserve plein de surprises pour 2025 Ensuite, soyez prêts pour Serge Beynaud, l’un des fers de lance du coupé- déca lé Je sais ce qu’il prépa re et j’espère que vous aurez les oreilles bien ouvertes Et enfin, mon choix du cœur, c’est Didi B. Je le connais depuis les années 2010, et j’ai signé en 2016 son groupe Kiff No Beat On l’accompagne depuis qu’il a pris le chemin d’une carrière solo Ça promet pour 2025 ■
El le cé lè bre sa mé dai ll e d’or lor s du 60 m fé mi nin des Ch amp io nnat s du mon de e n sa ll e de 2018, à Bi rm ingha m.
Après avoir porté haut les couleurs de la Côte d’Ivoire sur les pistes d’athlétisme, elle raccroche aujourd’hui ses chaussures à pointes et rentre au pays pour mettre sa notoriété au service de causes qui lui tiennent à cœur.
propos recueillis par Philippe Di
Nacera
AM : Vous avez mis fin à votre carrière d’athlète à 37 ans, après les Jeux olympiques de Paris. Est- ce di ff icile de laisser la compétition derrière vous ?
Murielle Ahouré -Demps : Non, pas du tout ! J’ai commencé l’athlétisme à 17 ans. Même si c’est assez tard, j’ai fait du sport pratiquement toute ma vie. Puis, je suis devenue professionnelle à 21 ans, et ce jusqu’à aujourd’hui. J’ai consacré suffisamment de temps à cette pratique En réalité, je suis heureuse d’avoir fini. Maintenant, je passe à autre chose. Est- il suppor table de ne plus vivre avec l’adrénaline des compétitions, de la performance ?
Le sport de haut niveau est tellement stressant… Il faut toujours être au meilleur de sa forme pour réussir. Je dois admettre qu’il est apaisant de ne pas penser à la prochaine compétition. Vous n’avez pas idée de ce qu’il faut engager, du poids qui pèse sur un athlète lorsqu’il prépare un événement sportif. Je lâche cette pression avec bonheur.
Vous habitez aux États-Unis depuis l’âge de 14 ans. Mais vous avez décidé à l’is sue de votre longue carrière de venir vous installer, avec votre mari américain , en Côte d’Ivoire. Pourquoi avoir fait ce choix ?
C’était important pour moi. Je suis Africaine. Je me sens bien plus à l’aise ici. Les États-Unis, c’est l’endroit où je travaille, celui d’où vient mon mari aussi. Il est fondamental de prendre du temps, au moins un an, comme une année sabbatique, pour me reposer et me reconnecter à l’Afrique. Les dernières années ont été très difficiles pour nous sur le plan sportif.
Jeff Demps, votre mari , a lui-même excellé au plus haut niveau national et mondial dans deux spor ts di fférents – le football américain et l’athlétisme –, ce qui est rarissime. S’installer dans un pays africain francophone, est- ce une démarche di ff icile pour lui ?
Les Américains noirs ne connaissent pas leurs racines, mais ils ont conscience d’être Africains à la base. Ils sont intéressés par notre continent, mais n’ont que rarement l’opportunité de le connaître. La première fois qu’il est venu en Côte d’Ivoire, c’était juste avant le Covid, en 2019, il m’a tout de suite dit : « Murielle, je ne sais pas ce qu’il se passe, je me sens à la maison » Depuis qu’il a touché le sol africain, il se dit « apaisé », « connecté ». Ce sont ses mots.
Comment vous accueillent les Ivoiriens depuis votre retour ?
Leur amour est indescriptible. Ils sont gentils, chaleureux. C’est touchant Ils me donnent un sentiment d’appartenance. Vos nouvelles activités sont à la fois caritatives et profes sionnelles. Vous êtes d’abord ambassadrice de l’Unicef, et vous venez à ce ti tre de faire une tournée à l’intérieur du pays. En quoi cela a- t- il consisté ?
J’en rêvais avant d’être nommée. J’ai toujours vu ma maman faire beaucoup d’activités sociales Elle est mon modèle, mon inspiration. C’est une femme ouverte, qui aime donner aux autres. Pour ma part, j’ai connu l’athlétisme à travers l’éducation C’est ce qui m’a décidée à choisir comme mission à l’Unicef celle d’œuv rer pour l’éducation des jeunes filles. Il est fondamental qu’elles sachent lire et écrire, qu’elles aient un minimum d’éducation pour être ensuite autonomes. Lors de cette tournée à San-Pédro, Méagui, Sassandra, etc., nous avons suivi des classes itinérantes, allant à la rencontre d’enfants qui se trouvent par exemple dans des champs de cacao ou dans des campements reculés, et qui n’ont pas l’opportunité d’aller en cours L’Unicef construit aussi des écoles dont les briques sont faites de plastique recyclé pour éviter aux enfants de marcher des kilomètres pour se rendre en classe. Vous vous lancez, avec votre mari, dans l’agriculture et l’immobilier. Une vraie reconversion professionnelle. Votre projet agricole compor te une importante dimension sociale Pouvez -vous nous en dire plus ?
Nous avons appelé ce projet Back to the Land (« retour à la terre »). Il faut donner quelque chose de motivant à la jeunesse. Il s’agit de la ramener à la terre. Nous voulons, en collaboration avec des chefs de villages, permettre aux jeunes qui sont aujourd’hui en ville de retourner dans leurs villages d’origine et de travailler la terre, en général pour des cultures à cycle cour t. Nous créons un cadre entre eux et les responsables locaux, apportons les formations et les conseils qui conv iennent. Nous travaillons ensemble et nous partageons le fruit de ce labeur.
Cela semble important pour vous de met tre en place des projets qui ont du sens
Oui, bien sûr. À mes yeux, revenir en Côte d’Ivoire, c’est y rapporter tout ce que j’ai appris à l’étranger pour aider les générations futures. Je reviens avec l’idée que je dois ainsi apporter ma contribution au développement.
faire comme sport ? », j’ai répondu : « Rien ! Mais quand j’étais enfant, je courais toujours contre les garçons et je gagnais. »
Elle m’a mise en relation avec l’entraîneur de l’équipe d’athlétisme du lycée. Il m’a fait faire un essai sur 50 m, et là, comme ça, sans aucun entraînement, j’ai battu le record du lycée. Voilà comment j’ai intégré l’équipe d’athlétisme. Au début, c’était juste pour me faire des amis, mais je suis quelqu’un qui aime gagner et j’ai rapidement pris goût à la compétition. Cela m’a permis d’avoir une bourse pour aller à l’université.
Après le lycée, vous avez donc obtenu une bourse universitaire pour pratiquer votre spor t au plus haut niveau et vous êtes vite entrée dans le monde de la compétit ion Comment cela s’est- il passé ?
« Je voulais montrer aux jeunes sportives qu’il n’est pas nécessaire de changer de nationalité pour réussir. »
Revenons sur votre carrière Vous êtes arrivée à 14 ans aux États-Unis pour y apprendre l’anglais et vous avez décidé d’y rester. Mais vous n’étiez pas destinée à devenir championne d’athlétisme. Comment avez -vous découver t vos talents de sprinteuse ?
Je n’étais pas si bonne en sport ! Je ne connaissais rien à l’athlétisme, et ça ne m’intéressait pas plus que ça C’est un pur hasard qui m’a fait découv rir mes capacités. Je devais avoir 16 ans, et je suis arrivée dans un lycée où je ne connaissais personne. La directrice m’a conseillé de faire du sport pour rencontrer des gens À sa question « Que pourrais-tu
J’ét ai s da ns l’ Ét at de Vi rg inie. Mon entr aîneu r m’a rapidement dit que je pouvais êt re l’une des meilleures au monde. Il a même préc isé : « Tu seras la prem ière femme af ricaine à être championne du monde. » Je ne pouvais pas le croire. Mais, effectivement, je faisais partie des meilleures. J’ai été championne universitaire, puis dans les compétitions au niveau national Pendant quatre ans à l’université, vous étudiez la criminologie et pratiquez l’athlétisme. Quand vous êtes pas sée professionnelle en 2011, vous auriez pu concourir sous la bannière américaine Pour tant, dès le début, ce sont sous les couleurs de la Côte d’Ivoire que vous avez choisi de vous présenter dans les compétitions internationales. Pourquoi ce choix ? Je suis Ivoirienne. Je ne peux pas courir pour un autre drapeau que le mien. Ensuite, j’ai très vite compris que je pouvais donner une visibilité au continent africain. Je voulais montrer aux jeunes filles qui sont dans le sport qu’il n’est pas nécessaire de changer de nationalité pour réussir. Je voulais donner l’exemple, être la première femme africaine. Vous êtes reconnaissante envers la Côte d’Ivoire, envers le couple prés identiel. Vous vous êtes toujours sentie soutenue ?
En effet, le président de la République et son épouse m’ont beaucoup soutenue tout au long de ma carrière. Je les remercie infiniment. Ils m’ont donné l’opportunité de pratiquer ma discipline sans stress et d’avoir autour de moi les meilleurs médecins et entraîneurs. C’est extrêmement précieux. Grâce à cela, j’ai pu me consacrer à mon sport et atteindre mes objectifs.
Seize ans de carrière, un palmarès extraordinaire. Comment fait -on pour se maintenir au ssi longtemps au plus haut niveau ?
Ça, c’est l’amour du pays et le soutien des Ivoiriens. Comme je vous l’ai dit, je ne m’appartiens plus, et je sens cet élan à mon égard qui m’a toujours poussée à redoubler d’efforts. Quand je me suis aperçue de l’impact que j’avais sur les jeunes, j’ai essayé de me dépasser pour eux.
Vice -championne du monde en salle en 2012 , double vice -championne du monde à Moscou sur 10 0 m et 20 0 m en 2013, titre mondial en salle sur 60 m en 2018, participation aux Championnats du monde en 2019, participation aux Jeux olympiques en 2024
Vous êtes la première personnalité africaine, hommes et femmes confondus , à avoir été médaillée aux Championnats du monde en sprint et la première femme africaine à passer sous la barre des 11 secondes au 10 0 m. Certaines jeunes filles ivoiriennes vous ont- elles dit qu ’elles souhaitaient suivre vos traces ?
Oui ! Dans l’athlétisme, mais également dans le sport ivoirien en général. Et pas seulement les filles, les garçons aussi. Ce que j’entends toujours, c’est : « Tu as réveillé le sport ivoirien. » Et partout où je passe, on me remercie. Quand j’ai eu ma première médaille en 2012, j’ai été reçue par le président de la République et par la Première dame. C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à me soutenir Cela a donné envie à tous les athlètes de Côte d’Ivoire de réussir. Personne ne pensait qu’une Africaine pouvait arriver au plus haut niveau du sprint mondial. Il y avait eu des Américaines, des Jamaïcaines, des Européennes… Mais aucune Africaine. J’ai eu la chance de pouvoir donner cette visibilité au continent. C’est une grande responsabilité que j’ai portée, avec une lourde pression aussi. C’est pour cela que je suis heureuse de passer le relais à celles qui me suivent. Elles représentent très bien la Côte d’Ivoire, elles ont un futur.
Je voudrais évoquer un moment douloureux , votre dernière course aux Jeux olympiques de Paris. Vous commet tez vous -même l’erreur qui élimine votre équipe au relais 4 × 10 0 m.
Vous avez mordu sur la ligne, ce qui a entraîné la sanction immédiate. Vous êtesvous pardonné cette faute ?
Jusqu’à maintenant, non. Cela m’a vraiment fait mal. Si j’avais couru pour une épreuve individuelle, j’aurais pu être fâchée contre moi-même
Mais c’était une course d’équipe dont j’étais la capitaine. C’est pour elles, mes petites sœurs, que je n’avais pas arrêté ma carrière un an plus tôt, comme je l’avais envisagé. Je voulais faire cette
dernière course avec elles, et sortir en beauté. Mais je l’ai ratée. En seize ans, je n’ai jamais fait de faux départ, je n’ai jamais mordu sur une ligne. Le fait que cela se soit passé ainsi lors de ma toute dernière course, je n’arrive toujours pas à le comprendre… Je dois essayer de l’accepter
Les Ivoiriens , eux, vous ont largement pardonnée. Si je vous demande ce qu ’il se passe dans la tête d’une championne, est- ce bien cela, le refus absolu de l’échec ?
C’est exactement cela. Il y a des hauts, il y a des bas. Il faut savoir accepter, même si ce n’est pas toujours facile Il faut aussi savoir tourner la page pour se focaliser sur le prochain objectif. Ce qu’il s’est passé aux JO, je dois le prendre comme une leçon, voire une opportunité de tourner la page ■
Jef f De mp s, épo ux de M u ri el le Ahouré- De mp s, s’éc hau ffe avant le 4 x 10 0 m, le 28 avri l 2018, lo rs de l’évé nement USA vs th e Wo rld au Franklin Fi el d, à Phil ad el phi e, en Pe nnsylva ni e.
mo uvem ents
ce que l’on a de plus beau »
C’est le chorégraphe ivoirien. Il puise dans de multiples références : l’Afrique, le classique, le jazz, le contemporain… Il s’investit dans la formation des jeunes talents. Et ne cache pas son intérêt pour les grands événements, comme la Coupe d’Afrique des nations en février dernier. propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
AM : La devise de la Côte d’Ivoire pourrait être celle de la danse : « Union , discipline, travail » Qu ’en pensez -vous ?
Georges Momboye : C’est vrai, « Union, discipline, travail » résonne profondément avec le pays. Mais si l’on transpose cette devise dans notre univers, elle se décline en plusieurs dimensions Le danseur solo peut sembler isolé sur scène, mais il est en union avec lui-même, son corps, son espr it. Dans les duos, l’union devient un dialogue, une rencontre Et pour les chorégraphies de groupe, elle se transforme en énergie collective, un souffle partagé, une communion des corps en mouvement. Or, rien n’est possible sans discipline. Le corps est notre instrument, et exige ainsi une pratique quotidienne. La discipline est ce qui nous invite à sculpter notre art, à chercher sans cesse la perfection Quant au travail, c’est une véritable quête, presque sacrée. Travailler son corps consiste à chercher l’harmonie, rassembler, intégrer dans une entité des gestes, des émotions, des intentions. En ce sens, il devient une offrande, une manière d’atteindre un but plus grand que soi. Qu ’est -ce que la danse vous a appor té dans votre vie ?
Bien plus que je ne saurais dire Avant tout, elle m’a appris à vivre avec les autres Parce que danser est à la fois un acte
intime et un don. C’est se faire plaisir à soi-même, mais surtout offrir ce plaisir à l’autre. La danse, c’est partager ce que l’on a de plus beau, ce que l’on porte en soi, et le faire jaillir à travers le corps, le mouvement, l’expression. Cet ar t m’a donné confiance, m’a offert les clés pour communiquer avec le monde. Je suis né bègue, et la pratiquer m’a aidé à apprivoiser la parole, à maîtriser ma voix et dépasser cette barrière. Aujourd’hui, j’ai trouvé une manière d’exprimer ce qui autrefois restait enfermé. Elle m’a aussi ouvert les portes du monde. J’ai voyagé, rencontré des âmes formidables, appris de grandes leçons auprès de personnes de tous horizons. Chaque rencont re, chaque ex pér ience a en richi mon pa rcours Et aujourd’hui, j’ai ramené tout cela ici, pour le mettre au serv ice de mon pays. C’est une immense fierté.
Vous avez côtoyé de nombreux maîtres qui ont nourri votre travail, parmi lesquels Alvin Ailey. Quelle est la figure qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
Celui qui m’a le plus marqué, c’est mon père – avant même de rencontrer toutes ces personnes. C’était un homme impressionnant, un maître maçon, comme on les appelait alors. Il n’était pas ingénieur, mais il participait à la construction des grandes maisons coloniales. Sa passion et sa rigueur m’ont
toujours fasciné. Mais ce qui m’a le plus touché, c’est sa ferveur : il était musulman et, même malade, il ne manquait jamais la prière. Sa discipline me laissait sans voix. Et au-delà de ça, il aimait profondément la danse et la musique. Pour lui, c’était un moment d’évasion, une manière de se reconnecter à lui-même. Ensuite, bien sûr, Alvin Ailey et Martha Graham ont été des figures majeures pour moi, qui ont su porter la danse bien au-delà du mouvement. C’était une quête, presque métaphysique. Je me souv iens de Martha Graham, qui était partie en Inde pour chercher l’authentique, l’essence même de l’expression artistique Quand elle est revenue, elle était transformée, emplie d’une richesse qui se ref létait dans ses chorégraphies. Chaque geste était chargé de sens, d’une profondeur, d’une densité incroyable Quant à Alvin Ailey, il avait cette connexion profonde avec la terre de ses ancêtres. Il nous apprenait que danser, c’est aussi se reconnecter à nos origines, puiser dans nos racines pour exprimer l’universel. Son message pour moi, c’était de croire en soi, de persévérer, et surtout de ne pas avoir peur C’est une leçon qui m’accompagne encore aujourd’hui.
Vous avez chorégraphié des cérémonies d’envergure internationale, à l’image de celle de la CAN. Quelle est la di fférence entre un travail chorégraphique pour dix danseurs et 2 000 danseur s ?
La di fférence réside da ns la gest ion : di x danseurs, c’est dix énergies distinctes à harmoniser, avec un effet créatif plus subtil à optimiser. C’est de la poésie, une précision presque intime Orchestrer 2 000 danseurs, c’est un autre défi : l’ef fet de ma sse crée une pu issa nce vi suel le immédiate, à l’image d’une unité silencieuse qui raconte une histoire collective. C’est une dy namique différente, où le groupe dépasse l’individu, comme une élévation pour une dernière danse.
Vous avez toujours valorisé la danse africaine dans vos projets. Quelles danses ou traditions mériteraient selon vous de rayonner davantage à travers le monde ?
Il est difficile de choisir parmi la variété de danses africaines, parce que ce qui les rend fascinantes, c’est leur manière unique de s’exprimer à travers différentes parties du corps, selon les régions. Mais si je devais vraiment choisir, je dirais que ce qui me touche le plus, ce sont les danses du zaouli ou du gla. Avec leur focus sur les pieds, si ancrés et pourtant si mobiles, elles illustrent une rencontre entre le sol, le mouvement et l’autre. Le pied devient ainsi messager, il fait le pont entre les corps et les cultures
La Côte d’Ivoire regorge de traditions chorégraphiques riches et variées. Comment voyez-vous leur transmis sion aux jeunes générations, qui sont aujourd’hui très in fluencées par des danses venues du monde entier via les réseaux sociaux ? Comment leur transmet tre leur propre identité chorégraphique ?
« C’est en s’adaptant au langage des jeunes que l’on pourra réellement leur transmettre le patrimoine. »
Vous dites souvent : « Point d’ethnique, encore moins de folklore » Vous puisez votre inspiration dans la danse africaine sans l’en fermer dans le moule étroit de la tradi tion. Comment trouvez-vous le juste équilibre ?
À mes yeux, la danse est avant tout une expression du temps, lequel ne s’arrête jamais Beaucoup parlent de danse « traditionnelle » comme si ce mot signifiait immuable, figé. Mais je ne suis pas d’accord avec cette idée. Une tradition est vivante, elle bouge, elle évolue À l’instar d’un arbre, qui peut sembler enraciné, immobile, mais le vent qui souffle à travers ses branches ne sera jamais le même La danse traditionnelle, telle que je la vois, est en perpétuel mouvement, portée par ceux qui la vivent, par leurs expériences, leurs rencontres.
C’est pour cela que je m’efforce de transmettre cette tradition avec une vision contemporaine.
C’est une grande bataille, parce qu’aujourd’hui, les jeunes se détour nent parfois de ce qu’ils ont de meilleur. Quand j’étais en fa nt, au village, nos grands-pères nous raconta ient des histoi res. C’était éducat if, mais aussi amusant. Ils glissaient des leçons dans leurs récits, et on apprenait sans même nous en rendre compte. Je crois qu’on peut adopter la même approc he aujourd’hui : ut iliser ce que les jeunes aiment pour les recon necter à leurs racines. Si leur univers, ce sont les réseaux sociau x, TikTok, Instagram, alors il faut y introduire petit à petit des éléments de nos traditions En partant de leurs centres d’intérêt, on peut leur montrer ce qu’ils doivent découv rir et préser ver. C’est en s’adaptant à leur langage que l’on pourra réellement leur transmettre le patrimoine.
La danse bénéficie- t- elle d’un soutien su ff isant des institutions et de la société ivoiriennes ? Comment faire pour qu ’elle devienne un ar t majeur et préparer la prochaine généra tion de danseurs et chorégraphes à s’imposer sur la scène internationale ? Quels lieux ou structures manque -t -il pour renforcer cet écosystème ?
La danse en Côte d’Ivoire est en train de se structurer Il existe des initiatives, telles que des fédérations de danse, dont la FID (Fédération ivoirienne de la danse), que je préside. Ces dernières regroupent des compagnies structurées, organisent des ateliers et forment les jeunes. L’État commence à observer ce mouvement et apporte parfois un soutien à travers des subventions, mais cela reste encore insuffisant Il faudrait des
lieux dédiés, comme une Maison de la danse avec plusieurs studios et théâtres pour programmer des créations et permettre aux œuvres de tourner à travers tout le pays Aujourd’hui, les jeunes ont accès à des outils numériques comme TikTok ou Instagram, mais ils manquent souvent de patience pour acquérir la technique et la profondeur nécessaires Mon rêve est de réhabiliter les grands espaces culturels en Côte d’Ivoire pour que l’on puisse y former des danseurs, développer la technique et la créativité, et créer des spectacles visibles partout, pas seulement en Europe. Je profite de mes centres à Abidjan et à Paris, ainsi que de mes créations, pour former cette nouvelle génération, mais il reste un long chemin à parcourir. La danse a un potentiel énorme pour devenir un art majeur en Côte d’Ivoire, au même titre que la musique, si on lui donne enfin les moyens et la reconnaissance qu’elle mérite
Transmet tre le travail technique en danse est une chose, mais comment inculquer la dimension spirituelle, cette capacité à toucher l’âme de la jeune généra tion ? Comment guider les danseur s pour que leur pratique dépasse le simple mouvement et devienne une véritable émotion incarnée ?
C’est une question complexe, mais je pense que tout part de l’émotion Il faut d’abord comprendre ce qui pousse un jeune à danser Pourquoi danses-t u ? Est-ce pour échapper à une difficulté, exprimer une douleur, ou tout simplement parce que c’est un besoin vita l ? À pa rt ir de là, on touc he quelque chose de profondément émotionnel, qui peut nourrir leur art. Quand ils pratiquent, il faut leur rappeler ce qu’ils ressentent, ce qu’ils vivent, et leur apprendre à traduire cela dans leurs mouvements, leurs postures et leur énergie C’est
ce qui rend leur danse vivante et authentique. La parole joue un rôle, mais elle doit être suiv ie de pratique : il faut gérer le silence, laisser les émotions s’exprimer dans le mouvement lui-même. Transmettre aux jeunes gens la spiritualité, c’est leur apprendre à se connecter à leur histoire et à leur essence, pour que leur art ait une âme. Quels sont vos projets à venir, tant sur le plan national qu ’international, pour continuer de faire vivre la danse ivoirienne ?
Je vais bientôt créer un concours de danse, qui s’intitulera Danse avec ton étoile, en partenariat avec la télévision. L’idée est de révéler les meilleurs talents, les meilleurs danseurs de Côte d’Ivoire, afin de leur permettre ensuite d’accéder à de grands centres de formation de danse, notamment en France et aux États-Unis Nous voulons provoquer un engouement dans les quar tiers, trouver des talents cachés, per mett re à des jeunes d’imaginer un avenir dans l’art. Je vais aussi créer un grand spectacle de cirque et de danse joué en Europe, réunissant des artistes issus de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe.
Une collaboration ouverte entre les différentes populations du globe. L’année 2025 sera aussi le moment de la sortie d’Empreintes ancest rales pour le Ballet national de Côte d’Ivoire.
Je vais, enfin, bientôt relancer le Grand Show Momboye, qui sera mensuel – un rendez-vous dans mon centre ar tistique d’Abidjan mariant le slam, la musique, la mode, la danse et le cirque
Enfin, si vous deviez transmet tre un mes sage aux jeunes ar tistes ivoiriens qui aspirent à suivre votre parcours , que leur diriez-vous ?
Union, discipline, travail ! ■
C’est l’une des gures majeures de l’art contemporain. Il se perçoit comme un écrivain qui peint ce qu’il voit. Et comme un artiste à vocation universelle qui refuse de se laisser enfermer par des frontières. propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
AM : Comment Abdoulaye Diarrassouba est- il devenu Aboudia ?
Aboudia : C’est un pseudo qui est né à l’école. On a simplement combiné Abdoulaye et Diarrassouba pour créer un nom d’ar tiste. En réalité, il n’y a pas deux personnalités : Abdoulaye, l’homme, et Aboudia, l’ar tiste, partagent les mêmes valeurs et les mêmes émo--tions Ce qui les différencie, c’est le mode d’expression. Mon travail est une manière de transformer des idées et des réf lexions en quelque chose de visible, de tangible Les médias vous qualifient souvent de « peintre de la guerre ». Qu ’en pensez-vous ?
C’est une étiquette facile, un raccourci Oui, j’ai bel et bien peint des moments marquants de l’histoire de la Côte d’Ivoire, à l’image de la crise postélectorale, mais réduire mon travail à ça, c’est ignorer son essence. Mon sujet principal, ce sont les enfants des rues, leur éducation, leur avenir. En tant qu’artiste, je me sens responsable de la société dans laquelle j’évolue. Comme un écrivain qui raconte l’époque dans laquelle il vit, je peins ce que je vois, ce qui me touche. Mais considérer que je suis le « peintre de la guerre », c’est nier la diversité de mon travail.
Quelles sont vos principales inspirations ?
Les enfants des rues sont ma plus grande source d’inspiration. Leur énergie, leurs défis, leur réalité… Tout ça me parle. J’ai grandi en observant ces enfants qui dessinaient dans leurs ca hiers, mélangeant l’innocence et la créativité br ute. Mon travail est une célébration de l’éducation et de la formation, parce que je crois que les enfants sont le pilier d’une nation. Si on ne leur donne pas les outils pour réussir, que deviendront-ils ? Mon art cherche à transmettre ce message de manière simple, presque candide, pour que tout le monde puisse le comprendre.
On vous compare parfois à Basquiat.
Que pensez-vous de ce parallèle ?
Je n’aime pas les comparaisons. Quand j’ai commencé à peindre, je ne connaissais même pas Basquiat Ces parallèles ne rendent pas justice à mon travail Je veux qu’on le reconnaisse pour ce qu’il est, pas parce qu’il ressemble à celui d’un autre. De la même manière, je n’aime pas que l’on parle d’« art contemporain af ricain ». Je suis Af ricain et mes origines se ref lètent dans mon art. Mais l’art est universel, il n’a pas de frontières. Quand on regarde mes œuvres, on devrait voir mes influences : le graffiti, le nouchi, l’énergie des rues d’Abidjan.
Vous utilisez beaucoup de journaux, de papiers imprimés et de cahiers dans vos créations. Pourquoi ?
C’est une manière de parler de l’éducation, de la formation. Les livres, les journaux, les cahiers que l’on trouve dans mes œuvres sy mbolisent l’apprentissage. Les graffitis que j’ajoute représentent l’énergie brute des enfants des rues. C’est une manière de dire : « Allez à l’école et apprenez, tout en gardant votre créativité »
Vous avez collaboré avec des ar tistes comme Frédéric Bruly Bouabré. Qu ’avez-vous appris de ces expériences ?
Ce sont des moments riches. Collaborer avec une figure comme Bouabré, c’était rendre hommage à une génération qui a ouvert la voie Pour moi, transmettre le savoir et tendre la main à ceux qui viennent après, c’est essentiel. L’art ne doit pas être une ligne discontinue, mais une chaîne où chaque maillon renforce le suivant.
Quelle est la place de l’ar t en Côte d’Ivoire, aujourd’hui ?
Malheureusement, l’ar t n’est pas encore assez valor isé.
Red Traf fic 2019
Te chnique mix te su r to il e, 15 0 x 20 0 cm, gal e ri e Cé cil e Fakhou ry
« L’art ne doit pas être une ligne discontinue, mais une chaîne où chaque maillon renforce le suivant. »
Beaucoup de ge ns le voie nt comme une perte de temps. J’ente nd s souvent, à pr op os de mon travail, des remarques co mm e : « Mo n en fa nt fa it mieux que ça » Mais les choses changent. Il y a de plus en plus de galeries privées, de mécènes qu i sout iennent nos œuvres C’est à nous, artistes, de prouver que notre travail a de la valeur Quelles initiatives pourraient mieux soutenir les ar tistes ivoiriens ?
Ce n’est pas seulement une question d’initiatives C’est aussi aux artistes de montrer ce qu’ils valent. Il faut travailler dur et ne pas at tendre que tout vien ne des autres Les instit utions publiques aident peu, mais le privé commence à prendre le relais. Ce que je voudrais voir, c’est une vraie reconnaissance de l’art comme un pilier de notre culture et de notre société.
Quels sont vos projets à venir ?
Je suis sur une nouvel le série de sc ulpt ures C’est un médium que j’ex plorais déjà au x Beau x-Ar ts, mais que je n’avais jamais montré. Je veux que cette prochaine étape de mon travail ref lète encore plus mon message d’éducation et de transmission
Si vos œuvres étaient des cartes postales envoyées à l’humanité, quel message serait au dos ?
« Paix, amour, responsabilité » On a tous le choix entre la guerre et la paix, entre la haine et l’amour. Pourquoi choisir
ce qui divise quand on peut avancer ensemble ? Si chacun assumait ses responsabilités, le monde serait meilleur. ■
Producteur, comédien, réalisateur, il a certainement plusieurs cordes à son arc. Aux manettes de séries authentiques et à succès, il entend jouer un rôle de pionnier pour que les productions ivoiriennes aient en n la visibilité qu’elles méritent. propos recueillis par Jihane Zorkot
IL A GR ANDI en France, mais se sent ancré dans son « identité d’Africain ». Une fois rentré en Côte d’Ivoire, en 2015, il voit sa carrière de réalisateur prendre son envol grâce au succès de la série télévisée Invi sibles, diff usée par Canal+, qui raconte la vie de ceux que les Ivoiriens appellent avec dédain « les microbes » et les autorités « les enfants en conf lit avec la loi ». Aujourd’hui producteur surbooké et heureux, il nous partage, entre autres, sa perception et son analyse du sec teur de l’audiovisuel en Côte d’Ivoire
AM : Vous connaissez les métier s du cinéma et de l’audiovisuel. Acteur, cadreur, monteur, réalisateur, producteur, vous avez joué dans les films de réalisateurs prestigieux tels que Guédiguian.
Depuis quelques années , c’est en Côte d’Ivoire que vous exercez vos talents de réalisateur et de producteur de séries (Invisibles, Cacao, etc.). Dans quelle discipline vous sentez -vous le plus à l’aise ?
Alex Ogou : Sans hésiter, dans ce que je fais actuellement, à savoir réaliser et produire des films et des séries. C’est exactement ce dont je rêvais lorsque j’étais adolescent À 14 ou 15 ans, je me suis inscrit dans des ateliers de cinéma pour regarder, décortiquer, analyser des films. Je savais dès cet âge-là que je voulais être réalisateur. J’aime l’idée d’être le responsable de la bonne marche d’un projet Si je travaillais avec des producteurs confirmés, je pense que je serais heureux de n’être que réalisateur. Si je travaillais avec des réalisateurs très doués, qui comprennent parfaitement leur environnement et les problèmes inhérents à la production, je serais très heureux de n’être que producteur La question s’est posée pour moi lorsque je suis rentré en Côte d’Ivoire Et j’ai malheureusement constaté un réel manque d’expérience chez les producteurs et les réalisateurs Je ne parle ni de compétence ni de probité, mais bien d’expérience professionnelle
J’ai compris que si je voulais mener mes projets comme je l’entendais dans cet écosystème, j’avais intérêt à maîtriser tout le processus, à être réalisateur et producteur. Vous semblez avoir délais sé le métier de comédien
On vous reconnaî t pourtant un certain talent dans le domaine…
J’aime être comédien. Si l’on me propose un rôle qui m’intéresse vraiment, je l’interpréterai. Mais la spécificité de ce métier, ici ou à Hollywood, c’est que l’on dépend de la volonté d’un tiers pour exercer. Personnellement, je n’aime pas cette at tente et cette dépendance. C’est une position passive, fragilisante, qui ne me conv ient pas. Je préfère agir, décider par moi-même.
Depuis la libéralisation de l’espace audiovisuel en Côte d’Ivoire en 2017, plusieurs chaînes privées ont été créées. Cela a- t- il eu l’ef fet escompté, à savoir un appel d’air pour la création ?
Vous pouvez constater que le public ivoirien, depuis la création de ces chaînes, bénéficie d’une pluralité d’offres En tant que producteur, je le vois aussi. Il y a davantage de concurrence dans mon métier Clairement, la libéralisation a ouvert le champ des possibles.
Parallèlement, on constate aussi la très grande qualité des productions cinématographiques et audiovisuelles locales. À quoi at tribuez-vous cette évolution positive ?
Le réalisateur ivoirien Andy Melo m’a dit un jour : « Avec les séries Invi sibles et Cacao, tu nous as mis dans la merde, car tu as imposé un niveau de qualité que nous nous devons tous, au moins, d’égaler » Il y a de l’émulation dans notre corporation. Nous avons de l’estime les uns pour les autres Nous nous regardons et cela nous tire vers le haut Pourtant, sur le plan de l’environnement, des équipes, nous ne sommes pas encore au niveau attendu. Il a fallu attendre 2017 pour que nous produisions des séries de manière plus régulière Avec le temps, les comédiens, les équipes techniques, qui n’ont pas forcément fréquenté des écoles ou suiv i des formations qualifiantes, travaillent de manière plus constante. Ils font leur expérience sur le tas. Il faut du temps, mais le niveau monte. J’encourage ceux qui ont la chance de pratiquer les métiers de l’audiov isuel à renforcer leurs connaissances avec de la théorie, à travailler leur
culture générale, à regarder des films classiques, à apprendre à les décortiquer. Tout cela pour s’ouv rir et ne pas rester sur une vision locale du métier.
Le public ivoirien semble de plus en plus réceptif à ces créations locales…
Bien sûr. Il attendait cette offre de programmes conçus chez nous. D’une certaine manière, il attendait de « se voir être raconté », même si cela se faisait déjà un peu dans certaines comédies. Maintenant, nous sommes sortis d’une représentation audiov isuelle de l’Afrique et de l’Africain qui passait toujours par la comédie ou le sport. Tous les nègres – j’assume ce terme au sens où Aimé Césaire l’employait – ne sont pas forcément drôles, ne courent pas forcément vite Ils veulent aussi que l’on parle à leur intellect, que l’on stimule leur réflexion. Je me considère moi-même comme un nègre, fier de l’être, mais pas un négro, esclave ou dépendant d’autrui Je prends un positionnement politique sur ce sujet Si les chaînes achètent des productions locales, c’est qu ’il y a un public Est- ce su ff isant pour faire vivre tout le secteur de l’audiovisuel ?
Il est difficile de répondre à cette question Cela dépend du taux d’investissement des chaînes, qui dépend lui-même de l’audience visée et de celle qui leur est accessible Si une chaîne produit à moindre coût, ses productions n’atteindront pas un niveau de qualité international. Le bassin d’audience sera limité au niveau local. Le groupe Canal+, au contraire, a une large audience sur plusieurs pays Il peut se permettre d’investir sur des fictions, qui seront plus largement partagées. Ce que je crois, c’est que nos productions doivent être panafricaines. Car notre bassin d’audience, avec environ 28 millions d’habitants en Côte d’Ivoire, est trop petit. Il n’y a aucun débouché économique pour moi dans la production africaine francophone considérée dans chaque pays. Nous ne sommes pas le Nigeria avec ses 225 millions d’habitants. Là-bas, on peut produire uniquement pour le pays Nous, nous devons regarder plus large. Comment se passe le financement des projets ?
Quel est le modèle économique ? Existe -t -il un système de subventions, un soutien de l’État à la création audiovisuelle ?
Chez nous, ce sont les chaînes qui, à 99 %, financent les projets. Le modèle est constitué ainsi. Alors si on a la chance, comme moi, de travailler avec Canal+, on peut avoir un budget par épisode situé entre 80 000 et 100 000 euros pour une création originale. Mais les autres chaînes ivoiriennes ne
peuvent pas dépasser un budget de 5 000 à 6 000 euros par épisode. Pour pallier cette difficulté, elles essaient de plus en plus de travailler ensemble sur des projets. Elles se partagent d’avance des « fenêtres de diff usion » en fonction de leurs parts dans le budget global Par ailleurs, en Côte d’Ivoire, le FONSIC [le Fond s de soutien de l’indu strie cinématographique, ndlr] peut chaque année injecter un peu d’argent dans cinq à six projets. Personnellement, j’ai obtenu une subvention du FONSIC sur un seul de mes projets, la saison 2 d’Ôbatanga [une série policière de création originale de Canal+, ndlr], et c’était 80 000 euros en tout et pour tout C’est très limité En tout cas, que ce soit les acteurs, diff useurs ou producteurs ivoiriens, nous sommes tous en phase de création de nos catalogues de programmes, avec pour objectif dans un second temps de les vendre ailleurs.
Grâce à tous ces projets, nous avons vu émerger une génération de jeunes comédiens avec beaucoup de talent. Sont -ils en mesure de vivre de leur métier ?
Non, le constat est clair : les comédiens n’arrivent pas à vivre de leur art.
Abidjan a pour ambition de devenir le pôle africain de la création audiovisuelle francophone. Pensez -vous que cet objecti f soit crédible ?
Oui ! Mais entre « crédibilité » et « possibilité », il y a du chemin Pour rendre possible quelque chose de crédible, il faut investir. L’espace et l’environnement permettent de penser que la Côte d’Ivoire peut devenir un hub On sent un frémissement. On constate que des étrangers commencent à s’intéresser à notre secteur On l’a vu par exemple au SICA [Salon international du contenu audiovisuel d’Abidjan, ndlr], la Côte d’Ivoire fait tout pour plaire à l’extérieur et attirer des financements La dy namique est enclenchée. Mais attendons de voir si cette spirale vertueuse peut tenir et se développer dans le temps.
« On ne s’en sortira pas avec nos ressources, mais grâce à une revendication intellectuelle. »
retrouve dans un taxi et le chauffeur me parle de « ces gamins qui sont sortis de Yopougon [un quartier populaire, ndlr] pour venir tuer des gens à la Riviera [un quartier résidentiel, ndlr] ». Je suis incrédule, je ne sais rien de tout cela Je l’interroge. Il me répond : « Vous, vous n’êtes pas d’ici ! Vous ne connaissez pas les petits qui tuent avec des machettes ? » En une semaine, je suis confronté à trois reprises à des personnes qui me parlent de ce phénomène de société. Tous concluent : « Ces gamins, il faut les tuer, il faut les exterminer. » Et moi, papa d’une petite fille d’un an à l’époque, ça m’interpelle. Je me suis beaucoup documenté. La première fois que j’ai écouté une analyse, au-delà de mes premières conversations, c’était sur RFI, grâce à l’émission Sept milliards de voi sins Et c’est ainsi qu’est née la série. J’ai toujours aimé analyser les comportements humains et sociétaux – j’ai d’ailleurs étudié la sociologie à la fac. Chez moi, cela se traduit en films, parce que c’est mon mode d’expression. Vous êtes parti en France avec vos parents à l’âge de cinq ans et y avez fait toute la première partie de votre carrière. Vous êtes rentré en Côte d’Ivoire à 35 ans, en 2015. Pourquoi le choix du retour ?
À partir de 2010, des productions françaises m’ont envoyé travailler en Afrique sur certains de leurs tournages. Burk ina Faso, Sénégal, Ghana, Côte d’Ivoire À un moment, je me suis rendu compte qu’en deux ans et demi, je n’avais passé que trois ou quatre mois dans mon appartement à Paris. Mon activité est clairement passée du côté de l’Afrique. Et puis moi, il était hors de question que je devienne le « bon petit » qu’on envoie travailler en Afrique, « parce qu’il connaît », « parce qu’il est Africain ». Si je suis Africain, je travaille en Afrique, pour nous Comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
Dans votre carrière, la série à succès Invisibles, réalisée en 2017 et di ffusée en 2018, occupe une place centrale Pouvez -vous nous en parler ?
Invi sibles est év idemment une production très particulière pour moi. C’est mon bébé. C’est la première série que j’ai écrite de A à Z, avec un coscénariste, que j’ai produite et réalisée, et qui a rencontré le succès Je suis persuadé que les Ivoiriens ont senti que cette série est née de mes tripes. Cela a contribué à son succès. Je ne l’ai pas faite en pensant à un marché ou à un business Parler d’un sujet aussi sensible, à savoir des enfants qui tuent, n’était pas év ident. C’est un phénomène que j’ai découvert à mon arrivée en Côte d’Ivoire Le 4 juillet 2015, je débarque à Abidjan. Le 6 juillet, je me
En ce moment, ma plus grande motivation est d’être un pionnier, pour ouvrir la voie à d’autres personnes sur le continent Mon plaisir est de faire émerger des professionnels et une industrie ici. Mais je ne veux pas que ce soit uniquement une industrie du divertissement Je veux que ce soit une industrie de conscientisation des Africains. On ne s’en sortira pas uniquement avec nos ressources, nos minéraux, nos matières premières. Nous ne nous en sortirons pas davantage avec nos armes, nous sommes trop faibles. Fondamentalement, les Africains émergeront grâce à une revendication intellectuelle forte. Nous devons créer un sof t power culturel africain Nous devons créer une coalition, déjà en Afrique de l’Ouest, nous présenter en un bloc qui parle la même langue et propose une véritable richesse culturelle, pour imposer notre vision des choses ■
Née en Côte d’Ivoire, cette architecte est heureuse d’y exercer son métier-passion. Dans un environnement aux codes multiples, elle peut laisser libre cours à sa créativité tout en cherchant l’équilibre. propos recueillis par Jihane Zorkot
TR ÈS TÔT FASCINÉE PA R SA FU TURE PROFESSION, Sarah Abdel Reda a suiv i sa vocation. Après des études brillantes à l’École nationale d’architecture de Montpellier, elle rejoint l’agence Koffi & Diabaté avant de fonder en 2014 sa propre structure, Architecture & Milieu. Avec une approche novatrice et un regard aiguisé sur l’esthétisme, la fonctionnalité et la durabilité, elle est aujourd’hui un acteur clé du monde de l’architecture ivoirienne. Chaque projet qu’elle mène ref lète sa volonté de bâtir un futur où créativité et environnement cohabitent harmonieusement. Un parcours inspirant, qui illustre son engagement à transmettre son savoir et à encourager la nouvelle génération d’architectes en Côte d’Ivoire
AM : Y a- t- il une expérience qui a marqué le début de votre carrière ? De quel projet êtes -vous la plus fière ?
Sarah Abdel Reda : La résidence Le Cube, où nous sommes ac tuel lement, a une sign if ic ation pa rt ic ul ière pour moi. C’est au sei n de cet im meuble que j’ai choi si d’ouvr ir mon cabi net Arch itec tu re & Mi lieu. Ce fut mon prem ier projet, et j’ai im médiatement été plongée da ns le conc ret. J’ai su iv i l’en semble de la procédure de A à Z, et le fa it d’y avoi r in st al lé mon entrepri se m’a perm is de prendre du rec ul, d’observer les défaut s, et de ti rer de s en seignements pour les exerc ices qu i ont su iv i cette réal isat ion. Chaque projet réal isé nous fa it ressenti r une cert ai ne fier té, ma is avec le temps, nous gag nons en matu rité et en capacité à nous remett re en question. Je su is fière de not re dern ière exéc ut ion, le siège de Tota lEnerg ies. Nous avon s dû répondre à l’appel d’of fres da ns un
déla i ex trêmement cour t. Nous avon s travai llé jour et nuit pour le respec ter. C’était un défi colossal. In it ia lement, nous av ions une date de rendu préc ise, ma is il nous a été dema ndé de le livrer trois mois plus tôt pour que l’inauguration coïncide avec le centenaire de l’entreprise. C’était un pa ri réussi pour mon équipe et moi. Cette ex périence nous a prouvé qu’avec de la déterm inat ion, rien n’est impossible Face au boom immobilier que connaî t le pays ces dix dernières années , quelle est votre vision ?
« Abidjan est en perpétuelle mutation, et la ville se redessine au fil des années et des saisons. »
Au début, je trouva is que la vi lle ét ait devenue un véritable chaos. Le but sembla it êt re de constr ui re pour le plai si r, sa ns réf le xion su r l’espace urba in L’image et le de sign de s bâti ment s d’Abidja n n’ét aient pa s une pr iorité. Or, les ment al ités ont évolué avec le temps. Le beau a pr is le de ssus su r le fonc tionnel et, pa r ef fet domino, chac un voulait une constr uc tion plus bel le que celle de son voisin L’esthét isme s’est ai nsi imposé da ns la ment al ité des cl ient s, ta nt pour l’intérieu r que pour l’ex térieu r. Nous sommes aujourd’ hu i consta mment soll ic ités pour de s projet s résident iels, et on nous la isse souvent ca rte blanche. Un autre aspect fa sci na nt du monde arch itec tu ra l ivoi rien réside da ns le fa it que, bien que nous ayon s de s règles d’urba ni sme à respecter, comme pa rtout ai lleu rs, celles-c i ne défi ni ssent pa s un modèle imposé C’est une chance pour nous, ca r cela nous permet de la isser libre cours à notre imag inat ion. Nous ne vivons pa s da ns une vi lle figée da ns le temps ou da ns la pierre. Cela nous pousse à donner le meilleu r de nous-
mêmes, à ad mirer le travai l de nos conf rères et à cherc her à êt re à la hauteu r de leur s réal isat ion s. Abidja n est en perpét uelle mutation – les im meubles poussent à une vitesse vert ig ineuse et la vi lle se redessi ne au fi l de s années et de s sa ison s.
Comment définiriez -vous votre approche ?
Très contex tuel le Là où cert ai ns peuvent céder à la folie des grandeurs, ma vi sion est plutôt prag matique. Dès le début, j’éc ha nge longuement avec mon cl ient pour définir ses besoin s. J’observe aussi le voisinage, les alentours, ca r l’emplacement et la futu re fonc tion du bâti ment sont des éléments déterm inants Après avoi r collec té toutes les in format ions nécessaires, je fa is une proposit ion qu i doit d’abord répond re à la fonc tion pr incipa le du bâti ment, pu is l’esthét ique en découle natu rellement. Chaque arch itecte aborde les projets à sa ma nière, ma is il est indéniable que le contex te défi nit l’approc he. On ne constr ui ra pa s de la même ma nière en bordure de mer ou de lagu ne qu’en plei ne vi lle. C’est pour cette ra ison que j’ai choi si de nommer mon agence Arch itec tu re & Mi lieu.
Quelles sont les tendances actuelles en matière d’écriture architecturale en Côte d’Ivoire ?
Et quels sont les déf is à venir ?
La tendance qu i se dégage est, comme da ns d’autres région s du monde, le min imal isme Aupa rava nt, l’idée do -
mi na nte ét ait d’en mett re plei n la vue, d’en fa ire toujou rs plus. Avec le temps, on a compri s qu’i l est en fa it plus complexe de proposer un esthét isme si mple, épuré et intemporel que de concevoi r quelque chose de su rc ha rgé On commence aussi à observer un début d’éc ritu re arch itec tu ra le tropic ale. Da ns mes projet s et publ ic at ions, j’ai choi si de l’appeler la « Babitect ure » – un terme que j’ut il ise pour désigner un agencement de l’espace qu i dépa sse la question des matériau x ou du vi suel C’est une ma nière de penser l’aménagement en fonc tion du mode de vie. En Af rique, nous ne vivons pa s comme en Eu rope, et notre rappor t à l’espace est donc di fférent. Pa r exemple, les pièces à vivre sont souvent plus grandes, la cu isine est un élément central de la ma ison, et la vie de fa mille se st ruct ure di fférem ment Nous avon s cette tradit ion de prendre le temps de ma nger en semble, il y a de s espace s dédiés au x repa s, à la vie de couple, à la vie des en fa nt s et de s pa rent s. L’arch itec tu re ne se li mite donc pa s à une question vi suel le ic i, el le touc he également l’ergonom ie et la fonc tion na lité d’un espace qu i est propre à Abidja n et à la cu lt ure ivoi rien ne. Quant au x défi s à venir, je pen se que le pr incipa l problème réside da ns le fa it qu’i l y ait bien trop peu d’arch itec tes pour répond re à la dema nde croi ssante. La jeunesse devrait se tour ner davantage vers ce métier d’aven ir, et participer à la constr uc tion de la Côte d’ Ivoi re de dema in ■
Il est rentré à Abidjan en 2015, bien décidé à valoriser la mode ivoirienne et africaine, mélange de traditions et d’audaces contemporaines. Et avec la Fashion Week by Elie Kuame, ce natif de Bruxelles cherche à encourager un écosystème haute couture local. Rencontre avec un fashion selfmade-man. propos recueillis par Amélie Monney-Maurial
AM : Quel est votre parcours et comment est née la maison Elie Kuame ?
Elie Kuame : Tout a commencé à Paris, lors d’un concours de jeunes talents qui a marqué un tournant dans ma vie et ma carrière Pour le préparer, mes camarades et moi av ions une habitude : chaque vendredi soir, nous fouillions dans les poubelles des zones industrielles du Sentier. On récupérait des chutes de tissus, des coupons, parfois même des patrons abandonnés. Avec ces trouvailles, j’ai créé douze robes qui ont séduit les jurés, me permettant de remporter une bourse et de lancer ma maison de couture. Ce succès m’a ouvert des portes : présentation de mes créations en Arabie saoudite, superv ision d’usines en Chine. Mais en 2015, j’ai tout quitté pour revenir en Côte d’Ivoire, déterminé à contribuer au développement de la mode africaine et faire évoluer cette industrie. Recommencer à zéro était un défi, mais aujourd’hui, mes créations s’exportent à l’international. Ce retour aux sources a redéfini ma carrière et renforcé mes racines. Comment vos racines ivoiriennes et libanaises in fluencent- elles vos créations ?
Tout d’abord, la structure est au cœur de mes créations. C’est un héritage de mes études et de mon parcours, qui m’ont appris à concevoir chaque vêtement sur des bases solides. À cela s’ajoute mon métissage : mon identité ivoirienne se reflète dans le choix des couleurs et des matières, avec une authenticité qui célèbre mes origines mauritaniennes et maliennes. Enfin, une touche orientale, héritée de mes origines libanaises, vient sublimer l’ensemble, apportant une certaine brillance et un raffinement subtil L’idée est de trouver l’équilibre parfait, de suggérer plutôt que d’exagérer, pour magnifier la silhouette sans en faire trop C’est ainsi que je crée mes « sauces », ces mélanges uniques qui définissent mon st yle. Quelle est la vocation de la maison Elie Kuame ?
Notre vocation est de sublimer nos rois et nos reines, tout en respectant notre héritage et le contexte dans lequel nous évoluons. Contrairement aux grandes maisons de couture qui dictent les tendances, ici, c’est différent : chaque individu sur le continent est un créateur de tendance. Une tenue audacieuse portée un jour peut devenir l’inspiration d’un st yle entier C’est cette richesse, cette capacité à inventer et réinventer spontanément, qui fait la force de l’Afrique. Nous avons à cœur de respecter les règles de l’élégance et de valoriser notre savoir-faire en le mettant pleinement au serv ice de nos clients.
Ou sont fabriquées vos créations ?
Toutes nos créations sont born in Af rica, fabriquées ici, à Abidjan, dans nos ateliers, à l’exception de quelques pièces parfois en collaboration avec Paris. C’est un choix fort, qui ref lète notre engagement pour le savoir-faire ivoirien Nous avons un département couture, où sont réalisées les pièces
sur-mesure, robes de mariée notamment, un département prêt-à-couture – une ligne haut de gamme entre la couture et le prêt-à-porter classique. Nous avons également un département maroquinerie et accessoires, ainsi qu’un atelier dédié au perlage et aux broderies.
Les petites mains de votre maison sont -elles formées avant d’arriver chez Elie Kuame ? Y a- t- il en interne une initiation à votre savoir -faire ?
Nous formons des talents venus de divers horizons : certains, fraîchement sortis de l’école, développent leurs bases chez nous, tandis que d’autres, déjà expérimentés, perfectionnent leurs compétences. Par exemple, une stagiaire de Paris, formée au patronage, a récemment découvert nos techniques de broderie et travaillé des matériaux nouveaux pour elle, ce qui a permis d’enrichir mutuellement nos savoir-faire. Nous accueillons aussi d’anciens stagiaires, comme Mademoiselle Fofana, revenue deux ans après pour approfondir ses connaissances. Chacun trouve sa place, qu’il reste ou poursuive ailleurs Nous veillons à ce que tous maîtrisent le processus créatif, tout en partageant des savoir-faire avec d’autres maisons. Ces échanges renforcent l’industrie de la mode ivoirienne et nourrissent une croissance collective
Vous avez créé la Fashion Week Abidjan by Elie Kuame, réunissant di fférents créateurs. Abidjan n’accueillai t pas de semaine de la mode installée et récurrente jusque -là. Pourquoi ?
À un moment donné, il est devenu év ident, à force de participer à d’autres Fa shion Week s, qu’Abidjan avait besoin de son propre événement. Il fallait fédérer les artisans et les créateurs, construire des ponts avec l’extérieur et mettre en lumière ce savoir-faire et cette créativité, qui jusquelà restaient perçus comme un simple divertissement Avec certains camarades, nous avons décidé de passer à l’action et de créer une véritable Fa shion Week, prenant en compte toute la structure et les défis que cela implique Il était temps de donner à Abidjan un événement capable de refléter son dy namisme et de positionner ses talents sur la scène internationale.
tisserands, teinturiers, bijoutiers, bronziers, perleuses, maroquiniers, et surtout des artisans tailleurs, qui ont parfois un don. Préser ver et transmettre ces savoir-faire est une nécessité pour une mode africaine forte et durable. Notre ambition est de labelliser nos créations born in Af rica pour faire rayonner l’excellence du continent. La première édition de la Fa shion Week by Elie Kuame a permis aussi, au travers des créations des designers, de montrer la richesse du travail de nos artisans.
Quels sont les défis pour développer une maison de couture en Côte d’Ivoire ?
Les challenges ici ne diffèrent pas de ceux que l’on rencontre ailleurs, que ce soit en France, en Italie ou au Liban. Le principal obstacle est souvent financier. Sans un partenaire solide, comme Pierre Bergé l’a été pour Yves Saint-Laurent, c’est complexe. J’ai dû apprendre à jongler entre la création et la gestion pour tenir la barre de ma maison et orienter son cap avec clarté. Séduire une clientèle exigeante est également un défi constant Elle a soif d’exclusiv ité, ce qui nous pousse à proposer des nouveautés en permanence, des couleurs et des designs toujours différents. Les femmes qui portent nos créations se connaissent, ce qui oblige à renouveler sans cesse notre offre.
« Il était temps de donner à Abidjan un événement capable de refléter son dynamisme et de positionner ses talents sur la scène mondiale. »
En Europe, on parle beaucoup de préser vation des savoir -faire, qui tendent à disparaî tre et doivent être transmis de toute urgence, à l’instar de la création du 19M par le groupe Chanel. Qu ’en est- il des savoirfaire ivoiriens en textile, couture, maroquinerie et bijouterie ? Quels sont- ils ? Comment les préser ver ?
La transmission et la valorisation des savoir-faire sont au cœur de notre vision La Côte d’Ivoire regorge de talents :
Quel est le st yle de la femme ivoirienne ?
Pour commencer, il faut savoir que la femme ivoirienne a tout particulièrement envie d’être toujours en avance sur son temps ! Elle est élégante, elle aime le raffinement. Elle souhaite porter des créateurs de son continent, de son pays, tout en étant aussi attachée à des codes occidentaux. C’est une femme qui a beaucoup de caractère et d’exigence, mais aussi beaucoup de douceur. Elle pourrait porter autant du Ibrahim Fernandez que du Simone & Elise, du Loza Maléombho que du Dior ou du Chanel. Elle aime le beau et le rare. En quoi Abidjan, et plus largement la Côte d’Ivoire, est une terre de mode ?
Les Ivoiriens ont toujours été avant-gardistes, friands de tendances venues de l’extérieur. Que ce soit dans la manière de s’habiller, de cuisiner, ou même dans le choix des voitures, cette ouverture sur le monde fait partie intégrante de leur identité Ils aiment découv rir et consommer ce qui est nouveau, et se distinguer comme les premiers à connaître une musique, un restaurant ou une tendance – être pionniers, en somme. À Abidjan, cette passion se reflète dans l’effervescence culturelle : nouveaux restaurants, initiatives, influences… C’est un véritable art de vivre, ancré dans le quotidien, qui témoigne d’une envie constante d’explorer et de s’affirmer sur la scène mondiale
Le Met, notamment avec le Met Gala , va mettre à l’honneur la figure du Black Dandy au travers de son expo événement « Superf ine: Tailoring Black St yle ». Quelle a été votre réaction à l’annonce de cette mise en lumière de la culture du tailleur noir ?
Il était temps, vraiment ! On ne peut plus faire semblant de ne pas voir les conséquences et la richesse des influences africaines dans la mode Je trouve le thème très intéressant, pertinent, et j’ai hâte de voir comment il va être exploré. Ce serait juste dommage de voir tous les invités porter uniquement du Dior ou d’autres grandes maisons occidentales, alors qu’il y a des créateurs sur le continent africain capables de proposer des pièces incroyables pour ce thème. C’est un appel que je lance, donc : j’espère que celles et ceux qui seront invités au Met Gala feront l’effort de porter des créations africaines, pour que nos talents soient mis en avant. Ça apporterait enfin une vraie légitimité Et pourquoi pas voir, par exemple, Madame Anna Wintour dans un tailleur dandy chic rev isité par la maison Elie Kuame ? Ce serait un sy mbole puissant
Y a- t- il des causes ou des sujets sociétaux que vous voulez porter avec la maison Elie Kuame ?
Nous souhaitons éveiller les consciences sur des sujets importants, comme le gaspillage, en montrant comment donner une seconde vie aux matériaux. Le recyclage fait désormais partie intégrante de la mode, et c’est un message esthétique autant qu’un engagement La lutte contre le cancer du sein est un autre sujet qui me tient particulièrement à cœur. Nous travaillons sur des moyens de soutenir cette cause, en nous inspirant d’initiatives comme celle que j’ai récemment vue à Vancouver, où un centre hospitalier a levé plus d’un million de dollars en seulement trois heures J’aimerais reproduire ce ty pe de projet ici, avec mes reines, pour apporter une aide concrète à ceux qui en ont besoin.
Comment voyez-vous l’avenir de la mode en Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire est pleinement entrée dans la mode de demain La Fa shion Week a pris son envol et gagné en légitimité, avec plus de 1 400 personnes présentes lors du grand show, qui rassemblait quinze designers. Nos créateurs se défendent désormais sur la scène internationale, en proposant
Sé le ct io n de looks prés enté s lo rs de la Fa sh io n We ek by El ie Kuam e, qui s’es t te nu e à Ab idja n du 10 au 13 octo bre 20 24
des produits uniques, différents de tout ce qui existe ailleurs, et qui attirent même l’attention des marchés anglophones Cependant, pour continuer sur cette lancée, il est essentiel d’injecter davantage de capital dans le secteur Cela permettra de booster l’industrie, d’améliorer les formations, et surtout de garantir la pérennité des maisons de couture. Sans un soutien financier solide, il est difficile de maintenir cet élan prometteur eliekuame.com ■
Depuis son entrée fracassante dans l’univers musical avec la vidéo virale de l’atalakou aux côtés de Mokobé, Dylan Ismail, de son vrai nom, n’a cessé de surprendre son public. propos recueillis par Jihane Zorkot
L’ARTISTE D’OR IGINE LIBA NA ISE a su marier ses racines ivoiriennes et son parcours international pour proposer une musique pleine d’énergie et d’authenticité. En 2022, il explose les compteurs avec son clip Sortez les bôtchôs, incarnant parfaitement son st yle unique – un mélange de coupé-décalé et de sonorités modernes qui font bouger petits et grands. Après avoir mis le feu sur les réseaux, Dico 225 poursuit son ascension avec des titres comme La Go, en 2023, et C’est la CA N, en 2024. Entre Abidjan et Paris, où il exerce le métier d’ingénieur digital et informatique, l’artiste surnommé l’« Ivoirien Blanc » fait sensation et n’a pas fini de faire parler de lui. Sa musique, un cocktail explosif de rythmes et de bonnes vibes, est l’expression de son amour pour sa terre natale, la Côte d’Ivoire, et de sa grande capacité à fusionner les cultures.
AM : Comment avez-vous démarré votre parcours dans le domaine musical ?
Dico 225 : Je me baladais vers Châtelet, à Paris, au cours de l’été 2020, quand j’ai croisé l’artiste Mokobé du groupe 113 et de la Mafia K’1 Fr y. J’ai alors fait un atalakou (louange) en direct dans la rue, et j’ai eu la chance qu’il le filme. C’est ainsi qu’a commencé Dico, parce que cette vidéo a rapidement fait le buzz sur les réseaux sociaux. De là, j’ai fait mes premiers pas dans le monde de la musique. Tout le monde parlait du « petit Arafat », de l’« Ivoirien Blanc », au point qu’en janv ier 2022, Willy Dumbo m’a invité à passer dans sa célèbre émission WA M sur Life TV, ce qui a donné un tremplin supplémentaire au début de ma carrière.
Comment donnez-vous naissance à une chanson ? Quelles sont vos principales sources d’inspiration, notamment en lien avec le nouchi et la culture ivoirienne ?
« Représenter fièrement mon pays, montrer ses paysages, ses couleurs et véhiculer les valeurs qui me sont chères. »
Un bruit quelconque peut stimuler l’imagination et inspirer la création d’une topline, qui est la base d’un morceau. Il suffit d’être attentif et à l’écoute. Je suis également constamment à l’affût des productions instrumentales, de l’actualité, et surtout des sonorités anciennes. Je suis sans cesse en recherche de nouvelles créations musicales. Une fois la prod’ réalisée par DK M, producteur et compositeur, la seconde étape consiste à écrire les paroles. Je le fais souvent seul, à la maison ou en voiture, dans un endroit calme où je peux me retrouver et donner le meilleur de moi-même, en contact direct avec mon âme. Les paroles racontent mon vécu, ainsi que mon histoire Ensuite, l’enregistrement en studio peut commencer. Je suis entouré de personnes très compétentes : DK M, donc, et Maxime, l’ingénieur studio d’OTE Mansion Je m’occupe moi-même de la direction artistique, de la rédaction des paroles et de la création des contenus. Il faut savoir que la musique demande du temps et un investissement constant. Une fois le morceau terminé, je l’envoie à des proches pour avoir leur av is Puis, quand il est validé, il faut réaliser les visuels (clip, TikTok, etc.). Ensuite, je poste la musique sur les réseaux sociaux et les plates-formes de streaming (Deezer, Spotif y, Apple Music) Ma partie préférée est la composition, car c’est à ce moment-là que je me retrouve et que je m’exprime pleinement Mes inspirations sont très diverses : Arafat, les Garagistes, Tiken Jah Fakoly, Meiway Les so-
norités ivoiriennes imprègnent l’ensemble de mes morceaux
Étant né à Abidjan, j’ai vécu toute mon enfance avec le peuple ivoirien, que je porte dans mon cœur. J’ai été bercé par Arafat et ses magnifiques atalakou J’aime me mélanger aux autres, parce que la musique repose avant tout sur le partage. Ma simplicité et mon côté « sans façon » font que les Ivoiriens ont adopté Dico et ses chansons.
À votre avis, qu ’est -ce qui explique l’af fection que le public ivoirien vous témoigne ?
La simplicité et le partage. J’ai toujours voulu rester fidèle à moi-même, authentique, sans artifice. Je pense que les Ivoiriens ressentent cette sincérité dans ma musique. Je tourne la majorité de mes clips en Côte d’Ivoire, et c’est un choix qui me permet de représenter fièrement mon pays, de montrer ses paysages, ses couleurs, et surtout de véhiculer les valeurs qui me sont chères En faisant cela, je veux aussi offrir de la joie, de l’énergie positive et, d’une certaine manière, rendre
hommage à mon peuple. Les Ivoiriens voient en moi un ref let de leur culture, et c’est cette connexion réelle et profonde qui crée cet enthousiasme.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier projet, votre EP ? Qu ’est -ce qui le rend unique à vos yeux ? Et enfin, quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
Depuis que j’habite à Paris, ma direction artistique a énormément changé Je suis beaucoup plus tourné vers la pop et la drill. Mon prochain morceau s’appelle « CA RDIO ». Plusieurs visuels ont déjà circulé sur les réseaux sociaux, et je vois que ça crée un engouement, donc c’est plutôt cool Mes futurs projets musicaux seront davantage axés sur la mélodie. Les textes seront plus travaillés, avec un mélange de mon univers ivoirien et parisien. L’endroit où l’on vit et les fréquentations influencent énormément la musique que l’on fait C’est un nouveau Dico que vous découv rirez au fil des années ■
La commune de Treichville, l’un des pôles majeurs du districtd’Abidjan, est réputée pour son histoireriche et sa dynamique de développement.Fondée au début du xxe siècle, Treichville doit son nom àMarcelTreich-Laplène, explorateur français ayant contribué àl’établissement de la Côte d'Ivoiremoderne.Grâce àses infrastructures portuaires et de transport, la communeest devenue un carrefour incontournable pour les échanges culturels et économiques du pays
Le conseil municipaldeTreichville, composé de 50 conseillers élus pour un mandatdecinq ans,piloteles affaires de la communeavecune vision de développement durable et de cohésion sociale
Cettestructuredegouvernanceinclut le maireetses six adjoints,élus parle conseil, quiveillentàlamiseenœuvre des décisions visant àaméliorer les conditions de viedes plus de 100000 habitants de la commune.Lacroissancedémographique de Treichville s’explique en grande partie parles fux migratoires, renforçant son caractère cosmopolite
Son Premier magistrat,François Albert Amichia, assureune gouvernanceinclusivedepuis1996, àsavoir unegestionparticipativeavecses mandants. Cettelongévitéauservice de Treichville, ainsi que sa connexionprivilégiée avec les Treichvillois.e.s s’expliquent parsapolitique de
proximité, mais surtout parlecontrat de confanceetlarelationderespectmutuel qu’il asuétabliraveclacommunauté.
Également conscient de la problématique de l’emploides jeunes,lemaire de la communeaprisdes mesures innovantes en mettant en placeleguichet unique de l'emploi,qui centralise les profls desjeunes en recherched'emploi danslacommune.Grâce àcette initiative, le mairea la possibilité,lorsqu'une entrepriseimplantée sur le territoireexprime un besoin en recrutement,dediriger facilementcette dernière vers lescandidats adéquats,ens'appuyant sur les CV préalablement centralisés au GUE.
INITIATI VE SM AT ÉRIALISATION
Comitésdegestion de quartier 48 comités bénéfcient chacund’unesubvention annuelle de 1000 000 de FCFA . Unionsdes femmes de quartier 48 unionsde femmes reçoivent une subvention annuelle de 400 000FCFA.
Union desjeunes L’Union des jeunesdelacommune est subventionnée àhauteur de 20 millions de FCFA paran.
Conseil national desjeunesLeConseil national desjeunesbénéfcied'une subvention annuelle de 3millions de FCFA
Association des retraités L’Associationdes retraités bénéfcied’une subvention annuelle de 2millionsdeFCFA.
Priseencharge scolaireUnmontant de 120 millions de FCFA paranest allouépoursoutenir la prise en charge scolairedes élèvesdelacommune.
Priseencharge despersonnes âgées5 millionsdeFCFA.
Priseencharge funéraire40millions de FCFA
Fonds sociauxUnfonds de 500 millions de FCFA est alloué chaque année, répartientre lesjeunes et lesfemmes de la commune
Quelquesréalisations de la mairie
ConstructiondelaMaison desjeunes, de locaux pour les retraités, de cantines scolaires, d’un dispensaire municipal offrant des soinsgratuits, d’écoles maternelles…
UN HÉRITAGEMULTICULTUREL
ET INCLUSIF
Treichville incarne un modèle de diversité. Avec 54 %desapopulation d’origine étrangère, elle est souvent qualifée de «Cedeao en miniature» Ce brassage ethnique, qui comprend des ressortissants de l’Afrique de l’Ouest ainsi que des populations maghrébines, libanaises et syriennes, renforce l’unicitéde la commune. Le peuplement historique, organisé en quartierspar affnités communautaires, témoigne de l’intégration réussie de cesdiversgroupes, qui cohabitent en harmonie et enrichissent le tissu social de Treichville.
Treichville s’impose comme un acteur central de la cultureivoirienne. Elle abrite des créateursetartisans locaux ainsi que des événements d’envergure, tels que le Marchédes arts et du spectacle africain (MASA), le Festival international du court-métrage d’Abidjan, et d’innombrables expositions d’artisanat.Lepalais de la Culture, édifce emblématique de 1200 m² bordant la lagune, est équipé de huit salles de spectacle, dont la salle BernardDadié avec une capacitéde 4000 places.
La commune offreégalement des infrastructures éducatives et sportives de qualité. L’École régionale, centenaire, acontribué àformer des fgures de l’administration ivoirienne. La médiathèque de Treichville, avec une bibliothèque pour enfants et adultes, ainsi qu’une salle multimédia, et le complexe sportif Anzoumana Konaté, rénové,illustrent l’investissement de la commune dans l’éducation et les loisirs.
Lesdifférentes communautés qui composent la municipalitépartagent leurstraditions et cohabitent dans une atmosphèredetoléranceetd’ouverture. Cette dynamique d’intégration se traduit parlaprésencedes «courscommunes », des espaces résidentiels typiques de Treichville où la vie collectiverenforcelasolidarité.Les chefs de communautéetles comités de gestion de quartier (CGQ)constituent un relais essentiel entrelapopulation et les autorités locales. Cesacteursdeproximitéassurent la gestion des quartiersenrelayantles préoccupations des habitants àlacommune et en favorisant la cohésion au sein des différents groupes culturels et ethniques. Treichville compte48quartiers, chacun dotéd’un président de CGQ, d’une présidentedefemmes et d’un président de jeunes, tous élus et impliqués dans le maintien d’un équilibresocial harmonieux.
TREICHVILLE,UNE EXPÉRIMENTATION RÉUSSIE DE L’INTÉGRATION
Treichville se distingue parsacapacitéàintégrer des populations diverses au sein de sa communauté. La présencedetravailleursétrangers– français, chinois, sud-africains, italiens et américains –contribue àsanotoriétéentant que centred’affaireset de commerce.Ledéveloppement de Treichville est dynamisé parl’implantation de grandes entreprises, telles qu’AGL, Castelli, SIFCA ,Solibra, CFAO,Total-CI.
Le maireFrançois AlbertAmichia nourritl’ambition de fairedeTreichville le prolongement naturel de la commune administrativeduPlateau, aujourd’hui en partie saturée. Située àseulement cinq minutes de la cité administrativepar les ponts De Gaulle et Félix Houphouët-Boigny, Treichville adopteprogressivement ce rôle d’extension.
En témoignent les infrastructures d’envergure déjà présentes sur l’avenue 1, telles que le siège de la Fédération ivoirienne de football, la Garde républicaine, le palais de la CultureetlaBourse du travail. D’autres espaces, comme les rues 12 et 38,offrent également un potentiel d’accueil pour des bâtiments administratifs àvenir
Ce succèsenmatièred’intégration fait de Treichville un exemple pour la Communautééconomique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), démontrant que l’union régionale peut êtreune réalitétangible. Aujourd’hui, la cité N’Zassa s’est dotée d’un autreédifce matérialisant les relations plus que cordiales entrelaCôted’Ivoire et le Maroc ,à traverslaconstruction de la mosquée Mohammed VI
Treichville représenteune symbiose unique de tradition et de modernité. Cettecommune, empreinte de diversitéetdedynamisme, continue de prospérerenvalorisant la paix sociale et l’inclusion de ses citoyens et résidents de toutes origines.
éc hap pé es
À une heure d’Abidjan, c’est un lieu où le temps semble gé et où la mémoire architecturale est plus que jamais en péril. Pour tant, celle qui fut la « prem ière capitale » du pays se trouve un nouveau chem in. Ent re refuge slow life et la boratoire créatif, elle réinvente le lien entre ar t, ar tisanat et modernité. par Amélie Monney-Maurial
On aurait pu les rencontrer réunis dans un atelier, autour d’un verre, su r les bords de la lag une ou même à l’occasion d’un concert nocturne sur la plage. Ils se connaissent tous Designers, chefs, réal isateu rs, st yl iste s, photog raphes, sc ulpteu rs, cé ra mi stes forment une communauté où les front ières entre leurs prat iques s’effacent. Ils éc hangent des conseils, partagent leurs savoirfaire, s’invitent dans leurs ateliers, collaborent et se parlent avec une attention rare Leur point commun, leur univers, leur socle, c’est là où ils vivent. Ancienne capitale politique
devenue capitale culturelle, Bassam, pour les intimes, est un lieu où le temps s’est arrêté Entre les bâtiments coloniaux rongés par le sel et la nature qui reprend ses droits, la ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco est devenue un sanctuaire, loin de la frénésie d’Abidjan. Ici, comme le dit le photographe Dadi, alias Nuits Balnéaires, « la vie résiste ». Dans cet écrin d’histoire, de lagune et de plage, artistes et artisans se confondent, et leur travail devient un dialogue constant entre tradition et innovation. Grand-Bassam n’est pas seulement un lieu, c’est une alchimie : celle de la main et de l’esprit Portrait d’une communauté
Vu e aé ri en ne de la vil le cla ssée au p atrim oi n e mon dial de l' Un es co
Entre Abidja n, qui se transfor me à grande vitesse au ry thme des chantiers et des klaxons, et Assinie, la belle station balnéaire élitiste, Grand-Bassam apparaît comme une capsule temporelle et naturelle singulière Son architecture et ses arbres qui s’entremêlent invitent à ralentir et contempler une flore y semblant à son aise. Pour Karin, la céramiste fondatrice de Maison Kaolin, « Bassam a une énergie presque animiste. Ici, on est connectés à la nature, au x éléments » Dans son travail, ce qu’offre la terre est central : autour du kaolin, cette argile locale utilisée dans des rites traditionnels, elle a bâti un univers où céramique, bois et métal discutent dans des créations mêlant textures brutes et finitions délicates. Mais au-delà de la matière, c’est le geste qui porte un sens profond : « Travailler avec les artisans locaux, c’est préser ver des techniques ancestrales tout en leur apportant un souffle nouveau, en utilisant des gestes simples mais significatifs. » Pour év iter la rouille des pièces de fer qu’elle intègre à ses œuv res, elle
les couv re de beurre de karité, créant une barrière protectrice naturelle. Ce soin apporté à la matière reflète son engagement pour une création durable et respectueuse de son environnement.
Cette démarche se retrouve aussi dans le travail du sculpteur-designer ivoirien de renom Jean Servais Somian Il s’est donné pour mission de transformer le cocotier, un matériau souvent sous-estimé, en objets porteurs de sens Cet arbre, dans une région où l’on construit vite, est abattu parfois sans ménagement, notamment sur les côtes. « Tant qu’ils couperont des cocotiers, je créerai des objets », dit-il Pour ce pionnier du design ivoirien formé à l’ébénisterie, travailler ce matériau, c’est lui donner une seconde vie, en écho à la préser vation du patrimoine naturel ivoirien
Ce sont ces mêmes cocotiers qui, la nuit tombée, prennent un tout autre visage grâce au chef ivoi ro -a méricain Rõze Traoré et au photographe ivoirien Nuits Balnéaires L’espace devient un studio naturel extraordinaire pour le photographe, Je an Se rvai s So mi an da ns son showroom , entouré de ses pi èce s po intu es , entre mobil ie rs de si gn et sculptu re s.
qui utilise ces arbres comme décors pour ses shootings, capturant la lumière nocturne unique et les textures vibrantes du littoral du golfe de Guinée. Pour Rõze, ces plages servent de cadre aux Residenc y Lives, ces concerts où les artistes résidents internationaux de son hôtel-restaurant partagent un moment priv ilégié, offrant une nouvelle énergie à ces lieux ensablés. « L’énergie de Bassam est rare. Même dans ses imperfections, elle te renvoie à une vérité brute. Cela t’oblige à explorer qui tu es vraiment en tant qu’artiste. » Récemment, Ichon, en résidence à La Fourchette de Rõze, a offert un concert à la fois intimiste et puissant, imprégné de son expérience bassamoise et de l’énergie offerte par l’océan en perpétuel mouvement, qui ry thme les journées au gré des marées. Pour Nuits Balnéaires, ce lien avec la nature dépasse l’esthétique : « L’océan ici a une force unique, presque un message à transmettre. Ce lien, combiné à la nostalgie de mes voyages avec ma famille et à l’artisanat local, m’a naturellement ancré à Bassam » Grand-Bassam est bien plus qu’un lieu, c’est un territoire d’adoption pour beaucoup, où la créativité, nour rie par la nat ure et les traditions locales, trouve un terrain d’expression unique.
UNE COMMUNAUTÉ PROLIFIQUE EN SYMBIOSE
Si Grand-Bassam est un lieu de production, c’est avant tout un espace de vie. Pionnier en 2015, Jean Servais Somian rénove la ma ison fa mil ia le pour ouvr ir en 2018 un atelier-showroom, où l’on découvre ses créations sur rendez-vous. Il le conçoit comme un lieu de partage, invite visiteurs, arti-
C’est bien plus qu ’un lieu, c’est un territoire d’adoption où la créativité, nourrie par la nature et les traditions, trouve un terrain d’expression unique.
sans et ar tistes à échanger et découv rir au gré d’anecdotes l’histoire de son travail, qui se mêle à celle de la ville et de ses rencontres. Une chaîne vivante où artistes et artisans collaborent et s’enrichissent mutuellement Ils y tissent des liens denses, mêlant collaboration et transmission, loin de l’entresoi. « Tout le monde ici partage, s’entraide. Cette absence de compétition est précieuse », confie Karin. Elle collabore avec près de quarante artisans locaux, œuvrant à la préser vation de leur indépendance, permettant d’enrichir leurs savoir-faire au contact d’artistes différents. À La Fourchette de Rõze, deux ar tistes en résidence, Remember Charles et Lassana Sarre, nous font découvrir leur studio temporaire, baigné de lumière, ry thmé par le son des vagues, où ils vivent et travaillent sur leurs prochaines peintures. Il semblerait que cette résidence agisse comme un vortex créatif… « On arrive pour un projet, mais l’énergie du lieu et les connex ions qu’on y tisse nous retiennent », confie l’un d’eux. « Ce qui frappe, c’est l’entraide, mais aussi les ouvert ures inat tendues, comme l’invitation à découv rir l’atelier de Jean Servais Somian » Rõze Traoré rêvait d’un espace où l’art écrit une nouvelle histoire de Bassam. Son hôtel-restaurant, ouvert en 2023, avec des murs laissés volontairement vides et blancs, se pare des œuvres des ar tistes en résidence, au gré de leur passage. Dans cet environnement, la frontière entre artisanat et art devient floue, et c’est précisément dans cette porosité que réside la richesse de Bassam Les artisans bronziers ou potiers créent les cadres des photos de Nuits Balnéaires, qui immortalise Rõze pour son article dans le New York Times À Grand-Bassam, la création n’est jamais isolée Chaque pièce, chaque image, chaque projet porte la trace de ces rencontres. « Bassam est une sy nergie. Ce que je constr uis ici n’aurait jamais vu le jour ailleurs, résume Rõze. Je voulais que cet endroit devienne un sanctuaire où
les artistes peuvent se retrouver et créer sans pression. » Cette sérénité cache une urgence. Les transformations rapides et la perte progressive du patrimoine inquiètent Les bâtiments du quar tier France s’ef fondrent peu à peu et des lieux comme le Centre de céramique, pourtant emblématiques, manquent cruellement de moyens pour surv iv re Tout comme Adama, le tisserand du trottoir d’en face, qui fait perdurer la tradition du kenté.
LA PRÉSERVATION
Chaque personne rencontrée a cette volonté de préser ver l’héritage pour les générations futures. « Je me suis engagée envers cette communauté, affirme Karin. Même si je pars un jour, je continuerai à soutenir les artisans » « Il faut qu’ils aient accès à des outils modernes, pour résister au temps et rester compétitifs », ajoute Nuits Balnéaires, qui rêve d’un cent re de photog raphie et de cinéma, un lieu où les jeunes pourraient apprendre et s’exprimer « Cela donnerait une nouvelle dy namique à ce territoire. » Il évoque également l’impact des transformations sur la nature et le paysage : « Voir ces espaces changer, parfois disparaître, c’est un pincement au cœur Mais
cela nous rappelle aussi l’importance d’agir pour protéger ce qui reste. » C’est la vocation des travaux d’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé, qui visent à améliorer le renouvellement des eaux et à réduire les inondations à Grand-Bassam. Que ce soit à travers la nature qui reprend ses droits, les bâtiments qui résistent au temps qui passe, les artisans qui perpétuent l’héritage du geste ou les œuvres d’art qui en émergent, cette ville continue de façonner des histoires et d’inspirer ceux qui la traversent. Grand-Bassam est un trésor à protéger, les bâtiments ont plus que jamais besoin d’être rénovés, les initiatives et résidences d’artistes soutenues et l’impact environnemental modéré. Pour Karin, la clé réside dans l’éducation : « Apprendre à respecter la nature, à comprendre la valeur des gestes et des matières, c’est la première étape pour préser ver ce que nous avons. » Ce message, elle le transmet par le biais de ses œuv res qui invitent à une réf lexion sur notre rapport au monde, comme Echoes of the Reef, alertant sur le blanchiment des coraux Comme le résume Nuits Balnéaires, Bassam est « la ville où la vie résiste ». Et dans ce lieu à l’épreuve du temps, chaque création, chaque collaboration, chaque geste devient un acte de résistance ■
PA
PON TI É
Al or s bi en sûr , il y a A bi dj an . Ba bi p ou r les i nt im es . Capitale témoin d ’un d évelopp em ent vertical, spectaculaire, qui est devenue « the » hub de l’Afriqu e d e l ’Ouest Les routes, l es infrastructures et les ponts construits, et les travaux d’embellissement, l’ él ec tr if ica tion g lob al e et l a flui d if ication d e la ci rc ul at ion m e né s s ou s l es m an dats O u a t ta ra o nt li tt ér al em en t modifi é so n vis ag e. E t pu is , il y a l e sof t p ower La m od e, l ’a rt c onte mpora in, le son, l e parler nouchi rayonnent bien au- delà des frontières ivoiriennes. Toute l’Afrique af flue, celle des talents, des investisseurs, des influenceurs, des bâtisseurs, celle qui veut être là, prendre sa par t au sein d’un continent qui bouge, qui avance et qui s’inscrit dans le tempo mondial, depuis Babi l’incontournable Ic i, l es vis it eu rs s on t f ac e à u ne i mm en se of fr e h ôte liè re, d epuis l es c ha înes inte rnational es ju squ’aux b outik hôtels raf fin és qui cultivent l e luxe intime et fleurissent un peu partout La palette des lieux de détente, d’agape, et de loisirs est elle aussi infinie
Depuis les célèbres maquis ombragés qui pullulent jusqu’aux tables les plus huppées, en passant par les clubs privés et bar lounges. Toutes les ambiances et saveurs sont là, réunies en une seule cité et réparties dans la multiplicité de ses communes et quar tiers. Ma is la pr ou es se , au -d el à d’avoir pla cé Abidjan au cœur du rythme du monde, c’est aussi, en parallèle, d’avoir désenclavé, restauré, développé l’ensemble du pays, jusqu’aux zones les plus reculées. Par la réalisation d’un réseau routier déjà, avec des au to ro utes qui ra pproch en t le s Ivoi ri en s, ou vr en t le s éc hang e s, fa cil itent le co mm erce Grâc e au x re to mb ée s au ssi de l ’o rg anis at ion to p niv ea u de la dernière Coup e d’Afriqu e des nations, qui laisse
dans son sillage des infrastructures hôtelières et des nouveaux restaurants dans toutes les villes hôtes, de San- Pédro à Korhogo, en passant par Yamoussoukro et Bouaké Le pays est prêt pour le tourisme, le vrai, pas seulement celui du business. La volonté politique est forte, les moyens sont mis, la compagnie nationale a repris du poil de la bête et la Côte d’Ivoire recèle de trésors en matière de plages, d’écotourisme, de cultures et de traditions diverses, de faune, de flore, de biodiversité…
Et en fi n, af in qu e le dé ve loppe me nt à l’ivoir ie nn e se fa ss e da ns un ce r cl e ve rt ue ux , soucieux des équilibres , la promesse sociale est là. Malgré l’impatience légitime des populations qui voudraient que le panier de la ménagère se remplisse plus vite, les indicateurs bougent. Fortement, depuis quinze ans L’indice de développement humain est en hausse, le PIB et le taux de croissance annuel aussi. Idem pour le taux de scolarisation, l’accès à la santé, l’espérance de vie… Et la pauvreté recule. Beaucoup
Ca r, enfi n, c’est le pl us im po rtant, le pays avan ce. D’un bloc La Côte d’Ivoire, ce n’est pa s seulement une capitale économique qui at tire par ses lumières et l’opulence de ses visiteurs, c’est aussi un pays entier qui bouge, qui évolue
Sa population, peu à peu, accède à l’emploi, bé néf icie d’un e co uv er tur e san té un iv er se lle , parvient à se loger décemment. Les programmes de formation des jeunes sont légion, la question du genre est au cœur de toutes les politiques et l’autosuf fisance alimentaire est à portée de main. C’est ce qui compte pour que le pays entre de plain- pied dans le concert des nations et se dessine un avenir En tous les cas, en quinze ans, le chemin a été tracé. ■
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