AM 461 FREE

Page 1


Trump, épisode 2

LA FIN D’UN MONDE

L’hyperprésident veut transformer l’Amérique et assurer sa domination globale. Même en Afrique.

PHOTOS

Sur les traces de Lost in Tunis.

INTERVIEWS

Koyo Kouoh L’art et l’idéal

Sidiki Diabaté

Entre tradition et modernité

Mahamat-Saleh Haroun et les femmes essentielles

Les géants miniers et le pouvoir de Bamako s’affrontent pour contrôler une manne plus que jamais convoitée. Une saga à la fois brutale et feutrée.

UN MONDE TRUMPIEN…

Si j ’étais un Américain « vieille école », at taché à la tradition libérale de mon pays, fidèle à l’édifice démocratique construit depuis plus de deux siècles, un Américain de la statue de la Liberté, celle qui a accueilli des dizaines de millions d’immigrants venus construire cette nation privilégiée, un Américain fier du rêve américain, fier, malgré les multiples échecs et la vio lenc e endémique, des progrès du multiracialisme, fier de ce que représente une personnalité comme Barack Obama, un Américain at taché aux alliances traditionnelles, à cette notion d’Occident interdépendant, pilier d’un ordre international relativement stable à défaut d’être juste (loin de là…), si j’étais cet Américain, je serais ef faré par l’intensité du bouleversement, de la tempête.

Je me dira is qu e je sui s en vo ie d’ex ti nction. M arginalisé par la formidable prise du pouvoir des autres Américains, que je connais à peine d’ailleurs, ceux des lointaines contrées du Kansas, du Montana, du Wisconsin ou des étendues arides du Texas, ces « petit s Bl an c s » de l’Am éri qu e rural e et de s petites villes, les fly overs (ceux que l’on survole en allant de New York à Los Angeles…). Ceux aussi venus d’ailleurs, convertis dans tous les sens du terme, travailleurs du quotidien avec leurs papiers en règle et bien décidé s à fe rm er la po rte de rr iè re eu x. Je se ra is ef fa ré par cette alliance entre ce « peuple », ces American people, et un milliardaire rancunier, colérique, impulsi f, ég ocentri qu e, con damn é à plu si eur s re pr is es, auteur d’un quasi- coup d’État il y a quatre ans. Un homme vieillissant (78 ans…), inusable, intouchable et, à sa manière, un génie politique, capable de survivre à tout

Si j’étais Américain, je serais plus qu ’effaré par l’alliance entre Donald Trump et les milliardaires de la tech décidés, eux, à asseoir leur conquête digitale du monde (presque comme le feraient les super-vi -

lains, héros maléfiques des films de James Bond…) En nous laissant croire qu’ils incarnent justement la liber té, la vraie, celle de l’expression populaire sans entrave, contre l’élitisme des médias traditionnels… Je serais ef faré par la centralité d’Elon Musk, un génie lui aussi, il faut bien le reconnaître, l’homme le plus riche du monde (largement dopé aux subventions de l’État américain), propriétaire d’un réseau social plus qu’influent, dont il peut manipuler les algorithmes à sa guise Et dont les saluts, bras tendus « à la romaine », vont tout de même au -delà de l’ambiguïté. Je serais ef faré par le pouvoir de cet homme, non élu, dont l’ascendant sur le président des États-Unis est plus que visible, comme s’il incarnait son double plus jeune, plus flamboyant encore.

Je ne su is pa s Am ér ic ain , et je ne pe ux qu e co ns ta te r. Co ns ta te r qu e c’est un vote popul aire, dans les rè gl es, qui a créé cette situation, celle du retour de Donald Trump malgré ses innombrables casseroles. Constater que Donald Trump sait canaliser la colère et les frustrations. Qu’il sait faire rêver, promettant une Amérique puissante, un nouvel âge d’or économique Il est « réac’ », anti-« woke », pro- « Blancs », proDieu (en apparence, en tous les cas), pro- « business », et ça marche dans un pays où les classes moyennes et populaires sont fragilisées par l’économie globale, les évolutions sociétales, par la sensation de déclassement racial, par le métissage inexorable du pays, par le supposé mépris des élites et des grandes villes côtières

Don al d Tr um p veut in stau rer un e hy per pr és ide nce, s’af franchir le plus possib le des textes, des lois, des convenances Remporter la guerre culturelle once and for all, une fois pour toutes, contre les libéraux engoncés dans leurs certitudes à la fois woke et bourgeoises, les démocrates, les gauchistes, les marxistes Il veut transformer l’Amérique de l’intérieur,

PA R ZYAD LI MAM

interdire l’avortement, démanteler l’éducation fédérale, rendre le pouvoir aux États (surtout ceux qui votent républicains), ef facer les qu estions et les compl exités du genre, rendre la liber té aux capitalistes et aux entrepreneurs, ef facer les contraintes sur l’environnement, sortir de l’accord de Paris, « forer, forer, forer » pour rendre sa toute- puissance énergétique à l’Amérique Couler l’action positive (affirmative action), les textes sur la diversité, mater les campus aussi, en particulier ceux qui auraient l’outrecuidance de manifester pour le droit des Palestiniens… Il faut rendre l’Amérique plus riche, et pour cela il faut sabrer à la hache dans les dépenses publiques, mission confiée à l’incontournable Elon Musk (qui se croit dans son entreprise…). Il faut rendre l’Amérique pl us sû re et ex pu ls er to us le s mi grants il lé ga u x, par dizaines de millions s’il le faut Même si ces migrants sont l’un des piliers du dynamisme économique incomparable de l’Amérique.

Le projet est à la fois flou et éminemment concret. Une Amérique débridée, libérée des normes, du politiquement correct, de la bureaucratie et même, dans certains cas, de la loi Avec un mélange vertigineux d’ancien et de nouveau On évoque les mérites d’un président McKinley – dont le mandat débute en 1897, qui a ajouté Hawaï, Guam, les Philippines et Porto Rico au te rr itoi re am ér icain et qui ai m a it auss i le s ta ri fs douaniers – une idéologie héritée de la conquête de l’Ouest et de l’ère des chemins de fer, tout en cherchant à planter le drapeau étoilé sur la planète Mars. Ou à dépenser 50 0 milliards de dollars dans l’intelligence ar tificielle. Trump, c’est à la fois la rébellion populaire et le rêve ultralibéral, la technologie et la fermeture des frontières, l’autocratie, l’oligarchie et la libération du peuple. Tout et son contraire, avec cette lancinante impression que la vraie démocratie, elle, sera la principale victime de l’expérience La réalité, la complexité s’ef facent devant les injonctions d’un pouvoir lib éré, devant les perceptions, les tweets et le post Facebook. Et la prése nc e qu as i or we ll ie nn e et qu ot id ie nn e de Donald Trump sur tous les écrans

L’Amérique, c’est le centre du monde. Et ce qu’elle fait, ce qu’elle décide, la moralité de ceux qui exercent le pouvoir nous impliquent et nous impactent On ne peut pas vivre « hors elle ». Même si le passif est lourd, avec, entre au tres, le Vi et nam, l’Irak , et tout ré ce mment la tragédie sans nom de Gaza, le principe était jusqu’ à présent celui d’une puissanc e glob al em ent ra isonnab le, at ta ché e à l’ordre mu ltil atéral et à ses

alliances. Fin de cette histoire L’Amérique veut af firmer sa puissance globale. Imposer ses règles et ses intérêts (parois légitimes, néanmoins négociables). Imposer ses deals et ses transactions. Elle veut à nouveau s’agrandir – oui, c’est le mot utilisé –, se veut à nouveau impéri al e. Le Groenland, c’est à eux (quoiqu’en pense le Danemark, allié historique) Le canal de Panama aussi (sauf si les Chinois s’en vont, à la rigueur…). L’Amérique latine devra obéir au doigt et à l’œil sur les questions d’immigration. Le Mexique et le Canada, partenaires commerciaux majeurs au sein de l’ALENA, sont menacés de taxes destructrices. Il leur faut aller à Canossa, ou faire semblant Les Mexicains connaissent leur grand voisin du nord et s’en méfient depuis des lustres Mais pour les Canadiens, amis, cousins presque, on peut imaginer la stupéfiante sensation de trahison Les Européens s’at tendent au pire (l’Union fait partie des fixettes négatives de Trump). Chinois et Russes se préparent à une longue partie de poker aux règles du jeu variables. L’Ukraine pourrait bien être sacrifiée. Et pourquoi pas Taïwan, aussi ? Ça dépendra des contrepar ties… Et le Premier ministre d’Israël sait que l’amitié apparemment chaleureuse du président américain, soucieux de faire advenir son nouveau Moyen- Orient version accords d’Abraham, peut s’avérer tout à fait variable.

Globalement, le concept politique d’Occident, celui d’un camp structuré d’alliés avec Washington en son centre, est en voie d e disparition. Seul e compte désormais l’Amérique, véritable nation -monde (avec to ute sa di ve rs ité et hniqu e, re ligi eu se, ra cial e), su rpuissance militaire et économique qui se suffit à ellemême (en apparence) Une nation-monde légèrement inqui ète aussi, déterminé e à assurer sa domination, et surtout celle du dollar, face aux concurrences (la Chine, les BRICS, et même l’Europe…)

L’Afrique est loin d’être à l’abri des convulsions. La mi se au pa s de l’USAI D (u ne id ée, dit -o n, d’El on Musk), accusée d’être une of ficine gauchiste, et la suspension brutale et sans concertation pour une période de 90 jours de l’aide au développ em ent (l e premi er vo lum e au mond e, près de 70 mi lli ards de dol lars) impactent tout particulièrement le continent, premier bénéficiaire après l’Ukraine. La coopération et les aides directes sont menacées (comme en RDC, au Nigeria, en Ét hiopi e, en So ma li e…). Les pays les plus fragiles sont les plus touchés. Des milliers d’organisations civiles sont at teintes avec des programmes essentiels à l’arrêt Le programm e présidentiel d’aide contre le sida, un

exemple d’action bipartisane, est semble -t-il suspendu

On estime qu’il a permis à ce jour de sauver plus de 20 millions de vies. Se pose aussi la question du futur de l’African Grow th and Opportunit y Act (AGOA), qui permet à 1 80 0 produits issus de 32 pays du continent d’entrer sur le marché américain sans frais de douane, et expire en septembre 2025…

Comme pour d’autres executive orders spectaculaires, le désordre et la confusion sont généraux.

Mais la tendance est claire. En Afrique (comme ailleurs), l’Amérique privilégiera plus encore ses vassaux, luttera contre ceux qui ne seront pas par faitement alignés. Et les foucades par fois surréalistes ne sont pas à exclure.

Com me en té mo ig ne le po st fro ntal et prési de nt ie l accusant l’Afrique du Sud de pratiquer la discrimination raciale conte une certaine catégorie de ses citoyens

L’Afrique du Sud, pays de naissance (traumatisé) d’Elon Musk Et l’Afrique du Sud, qui a mené le combat contre Israël devant la Cour internationale de justice…

La ra ison cons is tera it donc à bien mesur er les rapports de force. Faire face à la réalité. Et savoir négocier avec le maître de la Maison -Blanche ou son entoura ge. Su ivre avec un e at tentio n ex trêm e l’ évolution. Trump n’est pas le premier président à vouloir étendre le pouvoir de l’exécutif. Mais sa victoire n’est pas aussi spectaculaire que ce que son camp veut nous faire croire Grosso modo, l’Amérique reste coupée en deux Dans deux ans auront lieu les élections de mi -mandat, incertaines. Les contre-pouvoirs existent, même affaiblis. Les milliers de plaintes et une par tie de l’appareil judiciaire vont ralentir la machine. Les États et villes dirigés par les démocrates lui résisteront, tout comme une partie des médias et de la société civile. Trump devra aussi faire face aux divisions au sein de son équipe, à son propre tempérament et à la réalité. Le pire peut advenir, mais la bataille pour l’âme de l’Amérique est loin d’être finie. Et le monde est bien plus complexe, multiple, résilient qu’aimeraient le croire Donald Trump et ses amis ■

Di man ch e 19 ja nvie r 20 25, la ve ill e de l’inve stitu re, Do nal d Tr ump et El on Musk au C ap ital On e Arena de Wa shin gton

3 ÉDITO

Un monde trumpien par Zyad Limam

8 ON EN PARLE

C’EST DE L’A RT, DE LA CU LT UR E, DE LA MODE ET DU DESIGN

De fil en aiguille

28 PA RCOURS

Gaël Kamilindi par Astr id Kr ivian

31 C’EST COMMENT ? Que d’eau… par Emmanuelle Pontié

48 CE QU E J’AI APPRIS

Ismaël Khelifa par Astr id Kr ivian

90 VINGT QU ESTIONS À… Sarah Lenka par Astr id Kr ivian

TEMPS FORTS

32 Pour tout l’or du Mali par Cédr ic Gouver neur

42 Sylv ie Laurent :

« Tr ump veut réinstau rer la domination des États-Un is su r le monde » par Astr id Kr ivian

50 Lost in Tu nis par Fr ida Dahmani

58 Mahamat-Saleh Haroun :

« Rappelons-nous que nous sommes issus de notre mère » par Astr id Kr ivian

64 Koyo Kouoh :

« Si on peut imag iner l’idéal, c’est qu’il est possible » par Shiran Ben Abderrazak

70 Sidiki Diabaté :

« La tradition est toujou rs présente, et la modern ité est en marche » par Luisa Nannipieri

74 Yasmina Jaafar :

« On ne peut pas êt re li bre si on n’est pas courageu x » par Catherine Faye

Afrique Magazine est interd it de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justi cation. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interd iction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algér iens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

PHOTOS DE COUVERTURE : JONAH ELKOWITZ/SHUT TERSTOCK - LOST IN TUNISNAOWAR AT/SHUTTERSTOCK

BUSINESS

80 Transfer ts d’argent : un business essentiel et coûteu x

84 Tiffany Wognaih : Or : « La valeur ajoutée se crée pr incipalement à l’ét ranger »

86 Les USA à la chasse au x mines africaines

87 Le Sénégal gagne une marche

88 Le Nigeria veut faciliter l’accès au crédit

89 Au Zimbabwe, on parie su r le nucléaire russe par Cédr ic Gouver neur

FONDÉ EN 1983 (41e ANNÉE)

31 RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Lau re nce Lim ou si n llimousin@afriquemagazine.com

RÉDACTI ON

Em manu el le Po nt ié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIR ECTR ICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Camille Lefèvre

PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com

ON T CO LL ABO RÉ À CE NU MÉ RO

Shiran Ben Abderrazak, Jean- Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Cédric Gouverneur

Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont. VE NT ES

FRANCE Destination Media

66 rue des Cévennes - 75015 Paris

TÉL. : (33) 1 56 82 12 00

ABO NNE ME NT S

OPPE R SERVICE S

20 rue Rouget de Lisle 92130 Issy-Les -Moulineaux

Tél. : (33) 1 40 94 22 22

Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

CO MMU NI CATI ON ET PU BL ICI TÉ regie@afriquemagazine.com

AM International

31 rue Poussin - 75016 Paris

Tél. : (33) 1 53 84 41 81

Fax : (33) 1 53 84 41 93

AF RI QU E MAGA ZI NE

ES T UN ME NSU EL ÉD ITÉ PA R

31 rue Poussin - 75016 Paris

SAS au capital de 768 20 0 euros

PRÉSIDENT : Zyad Limam.

Photogravure : Philippe Martin

Imprimeur : Léonce Deprez ZI

Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0229 D 85602 Dépôt légal : février 2025

La ré daction n’est pas re sponsable des te xt es et des phot os re çus Les indications de mar que et les adr esses figurant dans les pages ré dactionnelles sont données à titre d’informat ion , sans au cun but publ icit air e. La re pr oduct ion, même par tielle, des ar ticles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2024.

ON EN PA RL E

C’est ma in te na nt , et c’est de l’ar t, de la cu ltu re , de la mo de , du de si gn et du vo ya ge

« WAX », musée de l’Homme, jusqu’au 7 septembre 2025. museedelhomme.fr/ fr/exposition/wax

Oma r Victo r Di op, Ou my Ndour « St ud io de s va ni té s », 2015.

Ma lick Si dib é, « Surpris e par ty à l’Arag on Cl ub », 1962

DE FIL EN AIGUILLE

LE MUSÉE DE L’HOM ME à Pa ris pa rt à la découver te de la SAGA DU WA X, devenu un tissu global qu i traverse les frontières. EX PO

COMME LE DENIM (jean) aux États-Unis et le tartan (kilt) en Écosse, le wax (pagne), dont les couleurs et les motifs ont traversé les frontières, demeure l’étoffe emblématique du continent. Son histoire singulière, entre Afrique, Europe et Asie, est tracée au fil d’une représentation prolifique où sa vitalité dans les domaines de la mode, du design et de l’art est soulignée On y croise les regards d’anthropologues, d’historiens de l’art, de designers, de couturiers et d’artistes contemporains qui examinent le tissu sous toutes ses

coutures Les œuvres de Gombo Wax, Thandiwe Muriu ou encore Omar Victor Diop apportent un éclairage

supplémentaire Pour comprendre cette aventure textile, un retour aux sources s’est également imposé. Initialement, le wax est une transposition technique et iconographique du batik indonésien Importé par les marchands néerlandais au XIXe siècle, l’imprimé conquiert si bien le continent qu’il devient un sy mbole de l’Afrique et une partie de son identité. L’exposition rappelle notamment l’influence des Nana Benz, les premières commerçantes distributrices de wax sur les marchés du Togo dans les années 1960. Une histoire passionnante, où s’entremêlent des intérêts à la fois économiques, culturels et artistiques. ■ Catherine Faye

FESPACO, TOUJOURS

Tous lescinémas du cont inent se retrouvent au BU RK INAFASO, da ns l’om breplusq ue ja ma is tutéla ireducapitai ne SA NK AR A.

«CINÉM AS D’AFRIQUEetidentités culturelles»,c’est le thèmedelanouvelleédition de la célèbrebiennale du septième artàOuagadougou. Avec le Tchadcomme pays invité et 235filmsprésentés, dont 17 longs-métrages en lice pour l’Étalon d’or de Yennenga (remis parle jury présidépar Souley mane Cissé) :des filmsducontinentdéjà sortis en salles ou dans d’autres festivalsetdéfenduspar Af riqueMagazine,comme Toutes lescouleurs du monde, du Nigérian BabatundeApalowo, Ever ybodyLoves Touda, du Franco-Marocain NabilAyouch, ou GoodbyeJulia,du SoudanaisMohamed Kordofani. Et desinédits très attendus, tels que L’Ef facement,ducinéastealgérienKarim Moussaoui (remarquéen2017avec En attendantles hirondelles), ou Sanko,lerêvedeDieu,delaMalienneMariamKamissoko. Pour clorelapolémique,lecinéasteBalufuBakupa-Kanyinda, àl’origine d’un prix Thomas Sankararemis depuis 2014 à un court-métrage, aacceptéqu’il soit rebaptiséprixThomas Sankarapourle panafricanisme, en réponseausouhait du gouvernementburkinabè ■ Je an -M ar ie Ch azea u 29e Festival panafr icai nducinéma et de la télévisiondeOuagadougou( Bu rk ina-Faso), 22 févr ierau1er ma rs 2025 fespaco.bf

SO UN DS

Àécouter maintenant !

JOÃO SELVA

On da,Underdog Record s.

Leschanteusesf rançaises

Cléa VincentetGabi Hartmann,respectivement expertes ès popetjazz, entourentle song wr iter brésilien, fils d’un pasteur d’Ipanema–çane s’inventepas !–,sur deux morceaux de ce troisièmealbum au titrebienchoisi. C’esten effet un bain de mertrèsensoleilléqu’Onda nous offre, sous influencesamba, mais aussir umba et zouk.Précieux en groove commeenv itamineD

KU TU

Marda,Naïve/B el ieve.

En quatre ansd’existence, le collectiffondé parThéo Ceccaldi et portépar le timbreenthousiasmant de la chanteuse éthiopienneHewan Gebrewoldcultive l’héritage desazmari d’Éthiopie en l’habillantdesonorités électronisantes, et plus encore surce nouvel album, qui, de l’introduction pop «A shewey na »àl’ultra-festifconclusif «Web Alem », tutoie de près la transe.

DOWDELIN

Tchenbé!,Underdog Record s/ Bi gWax

Ce groupe explorant lesdiversparadigmes de l’Atlantique noir est forméd’une équipe solide auxmultiples influences :lachanteuse martiniquaise Olyv ia, le multiinstrumentiste Dawatile, le batteurGreg Boudras, et le saxophoniste et joueur de gwokaguadeloupéenRaphael Philibert. Dowdelin rapporte le mal-êtrehumain, tout en le conjurantavecforce sonorités créolesetcaribéennes. ■ SophieRosemont

LA VIEDANSLES RUINES

Da ns la shor tl istdes Osca rs (maispas fi na listes), 22

«NOT RE SA NT ÉMEN TA LE estr uinée, nous ne pouvonsplusv iv re avec cetteg uerre»,dit unef illet te remarquablement mature dans l’un des22f ilms (det rois àsix minutes) quicomposentcetémoignage du quot idiendes Gazaouis aprèsles at taques du 7octobre 2023.Donnant àvoiraumonde entier ce qu’ont enduré leshabitants du terr itoire palestinien interdit d’accès, le cinéma vientunpeu àleurrescousse. Et permet àdes ar tistes de s’ex pr imer àleurfaçon Conf rontés commeles autres àlamor tetaux difficultés du quotidien, ilss’ensor tent avec desidées très différentes :f iction, documentaire, animation, jour nal intime et même comédie… Biendes genres sont esquissés, mont rant unev italitéqui est en elle-mêmeunsig ne d’espoir Celavaduplusdramatique, commeces en fantsqui ef facent de leur corpsleurprénom écrit parleurs parents (pourqu’on puisse rassemblerles membresaprès un bombardement), au plus léger,avecunauteurdestand-up quic herc he partoutà prendreune doucheavant de se produire en spectacleaumilieud’uncampement… Même le décor change,dansles limitesgéographiques d’un Gaza assiégé: sonborddemer,ses constr uctionsencoreintactes,mais surtoutses immenses villages de tentes et lesmilliers de plaquesdebéton br iséeseteffondréessouslesquelles descadavres n’ontpas encorepuêtredégagés.Der rière

ce projet,set rouvelecinéasteetproducteurpalestinien Rashid Masharaw i, lui-même né dans un camp àGaza en 1962.Fondateur d’un cent re de formation au cinéma àR amalla h, il acréé un fondspoursoutenir lescinéastes de l’enclave. Lesprojets de ving t- deux d’entreeux (dont sept femmes)ont étéc hoisis paruncomitéqu’il aorganisé. Pasdemessages politiques ni d’appelsàlavengeance. Aucune allusion nonplusaux otages ou àune paix possible. C’estlalimite de ce film,qui évacuelecontextehistorique et politique, n’évoquant jamais le gouver nement israélien ou la milicedu Hamas. Seules d’émouvantes marionnettes enboîtesdeconserveosent un discours plus frontal: «Cet te guer re estdif férentedes autres.Ils ont tout détr uit. » L’un despersonnages demande: «Etles Arabes,etles musulmans? Quefaittoutlemonde ?» Un autrerépond: «Toutlemonde regarde, seulement. »Parfois, le regard vaut témoignage, et ce film en estun, précieux. ■ J.-M.C

FROM GROUND ZERO (Palesti ne-FranceQatar-Jordanie-Ém iratsarabesu nis),deRashid Masharawiet22cinéastes de Gaza. En salles

FR AG ME NT S

Keziah Jones Nigerian power

LE ROI DU BLUFUN K à la renommée internat iona le revisite son riche corpus da ns un enthousiasma nt ALIV E AN D KICK ING.

IL VIENT D’EX POSER ses dessins à l’encre dans une galerie parisienne, il va jouer à la prestigieuse Seine Musicale en mai prochain, et publie aujourd’hui un nouvel album… Lequel, fidèle à la personnalité multifacette de Keziah Jones, propose quelques inédits (dont le gospel sentimental et détourné de « Melissa »), des reprises (de Police et Rick James), mais surtout ses hits revisités, comme le fabuleux « Rhythm Is Love ». Enregistré dans sa maison de Lagos dans des conditions live, Alive and Kicking entend boucler la boucle avant un prochain disque qu’il annonce plus audacieux. À 56 ans, Keziah Jones n’a jamais eu le temps de s’ennuyer. Né dans la patrie de Fela Kuti, pilier de toutes ses inspirations qu’il parv iendra à rencontrer à la fin des années 1990 pour une mémorable interv iew, il bénéficie d’une éducation britannique le destinant à marcher dans les pas de son père ingénieur. Dans sa valise

ALIVE ET KICKING,

Because Music. En concer t à la Seine Musica le le 23 ma i 2025

pour Londres, le No Agreement de Fela Pour échapper à sa solitude scolaire, il apprend le piano, puis la guitare, qu’il se retrouve à jouer quelques années plus tard dans le métro parisien C’est là que le cofondateur du Gotan Project, Philippe Cohen Solal,

le remarque et l’introduit au sein de l’industrie du disque. En 1992, son disque tutélaire et bien nommé Bluf unk is a Fact! donne le ton d’une carrière internationale. Dans ces réincarnations de pistes de Liquid Sunshine (1999), Black Or pheu s (2003) ou encore Captain Rugged (2013), brille sa large palette d’influences, du highlife au folk, de la soul au rock psychédélique, du blues au funk – en témoigne l’électrifiant « Million Miles

From Home » qui, vingt ans après sa sortie originelle, n’a rien perdu de sa résonance ar tistico-politique. On l’entendra sans doute lors de sa performance à la Seine Musicale, qui sera appuyée par l’Orchestre national d’Île-de-France dirigé par Rémi

Durupt, et dont les arrangements feront d’autant plus retentir l’alchimie possible entre l’organique des cordes, la flamboyance des cuiv res et l’indéniable facilité percussive dont fait preuve l’artiste depuis ses débuts ■ S.R.

ROMAN

Grandjeté

L’Helvético-Camerounais MAXLOBElivre un nouveautexte introspectif infusé de littérature traditionnelle AFRICAINE.

RÉ CI T Mère courage

UneODE àlarésilience, àl’amour maternel et àlaforce DESRÊVES.

VISAGE d’unegrandedouceur,boucles d’oreilles doréesetrouge àlèvrescarmin, MaxLobeallie la grâceàlavitalité. Qu’ilparle ou qu’ilécrive, il manie la langue commeunchorégraphe,créantet ordonnantles pasetles figuresdedanse –sautde chat,cabriole, arabesque… –aufil d’uneécriture déliée.Dans La Dansedes pères,l’oralité,lefunkymakossaouencorelaraï algéroises’entremêlent àla poésie, àl’émotion et àune philosophie politique. On ydécouvrel’histoire de BenjaminMüller, danseur classiquesur le tard,qui s’isolechezlui,àGenève, pour réexplorersavie,son rapportaux pèresqui l’ont fabriqué.Une quête initiatique àl’aunedece queSimonedeBeauvoir notaitdansses Cahiers de jeunesse:«J’acceptela grande aventured’être moi-même.» Pour ce faire, le narrateur convoque tousles hommes d’unevie: KundéDiGwetNjé,le géniteur,grand conteur élégant, Ruben Um Nyobè, AhmadouAhidjo et Paul Biya,les pères desindépendances,Mongo Beti,l’écrivaindela résistance, Wolfgang,l’ancêtre pleind’esprit. «Que fairedetoute cettemémoire,deces morceaux d’histoire?/Moi, BenjaminMüller./Latresse de cesvoixdepères: Wolfgang –Kundè –Mapoubi/Et cestraitsduvisagequi trahissent le lien,/Quedois-je en faire?»,s’interroge le héros.Réussira-t-ilàtuerles figurespaternelles pour pouvoirs’affirmer et affirmer sa masculinité tellequ’il la vit? Unetraversée de soiàl’épreuve de la filiation, de l’homophobie et de la banalité d’uneviolence mâle.Caustique et truculent. ■ C.F.

MAXLOBE, La Dansedes pères, Zoe, 176pages,17€

ROMANCIER, PEINTREETSCULPTEUR,auteur d’uneœuvre majeureexposée dans le mondeentier, Mahi Binebinen’a de cessedemener uneréflexion surles fracturessocialesduMaroc moderneet contemporain,toutentouchantàdes problématiques universelles.Après LesÉtoilesdeSidi Moumen,adapté au cinéma parNabilAyouchen2012(LesChevaux de Dieu,primé au Festival de Cannes), Le Fouduroi, traduitendix langues, ou encore Monfrère fantôme, GrandPrixAlain-Fournier2024, le treizièmelivre de Mahi Binebineraconte l’histoire d’un petitgarçon quis’éveilleàlavie dans lesruelles sans soleil de Marrakech. Uneépopéeintimeàtravers desdestins croisés: «Dufouillis dessouvenirsdemajeunesse surgissent deux images d’unesurprenante précision: celledupetit garçon frileuxqui somnoleaupoint du jour entreles cuisses de sa mère,etune autreoù, triomphant,il parade en médina sur lespuissantes épaulesde sonfrère,son héros.»Cet ouvrageest un hommage àsamère,abandonnée àson sort avecsept enfantsàcharge, qui, malgré l’adversitéet l’absencedupère,n’a jamais cessédecroire en sesrêves ni baissé lesbras. Alliantpoésie, drame, digressions et fantaisie, celuiqui,après avoirlongtemps vécu àParis,New York et Madrid,s’est installé définitivement au Maroc, livreici un récit poignant. Commedansses toiles,ilyabordedes thèmes qui parlentàchacun, tels quelaquête identitaire, la violence socialeetpolitique,l’instinctdesurvieou le lien familial. Avec unegrandesensibilité. ■ C.F. MAHI BINEBINE, La nuit nous emportera, Robert Laffont, 192pages,19€.

MEHDI OU RAOUI, Romance nationale, Faya rd, 192pages, 19,90 €

NAR RA TI ON

QUANDL’AMOUR FLIRTE AVEC L’EXTRÊMEDROITE

Derr ière

DA NS UN ST YLEcabotantentre poésie et slam,récit intime et engagement militant, l’auteur de MonFantôme –oùlechanteuralgérien Rachid Taha apparaissait au héros dans un AbribusdeParis et le chargeaitd’annoncer sa résurrection au monde–poursuitson explorationdes fracturesidentitaires.Dansson nouveautexte,l’essay iste et normalien, quianotamment enseignél’analyse du discours politiqueà Sciences-PoPar is,inter roge les tensions idéologiquesqui traversent notresociété et capt urel’ascension ir résistible de l’extrêmedroite. Une nouvelle fois,son protagoniste porteson propre prénom. «Onnedev raitjamaisêtrelepersonnagesecondairede sa propre histoire », scande ainsiMehdi,professeurde latin au quotidienbienréglé,qui voit sa viebouleversée parJoséphine, uneinf luenceuseNew Romanceà la sexualitédébridée. L’hommev it unerelationtor ride avec la jeune femmedont les conv ictionsetles valeurs sont diamét ralement opposéesaux siennes. En même temps, il s’aperçoitqu’un malmystérieu xeffacepeu

uneromance trucu lente, MEHDIOUR AOUI interroge lesfondementsDENOT RE ÉPOQUE.

àpeu soncor ps jusqu’àlerendreinv isible.Danscet te Romancenat ionale,tit re faisantéchoàlanotionde «roman national », narrationromancéequ’un pays of fre de sa propre histoire,passion et politiques’inter pénètrent donc au filde deux parties– deux perspectives, deux temps–etd’unépilogue. Portépar un jeusubtil entre fiction et réalité, le récit allief inessepsychologique et cr itique sociale. Et metchacundes personnagesfaceà sescontradictionspersonnelles. Ancienne plumepour diverses personnalités, MehdiOuraoui,f ilsd’unémigré algérien,est aussil’auteurde plusieurs essaispolitiques, comme Marine Le Pen, notre faute, Le Présidentdel’outrage, àproposdeNicolas Sarkozy, LesGrand sDiscourssociali stes français du XX e siècle,préfacé parFrançoisHollande, et LesGrand sDiscoursdel’Europe,préfacépar Jacques Delors. Dans un autreregistre, Le Dernier Di scours,oulejouroù Emmanuel Macron mitunterme àses fonctionsdeprésident de la République,paruen2020, posait déjàunregard quasiprophétique surl’actualité.Vertigineux. ■ C.F.

L’ENFANT

OTAGE

Après L’Arabeduf utur, RI AD SATTOU Freprend l’ histoi re de sa fa mi lle sous un autrea ngle.

CETTEFOIS-CI,lasaga autobiographiquedudessinateur franco-syrien–plusde3,5 millionsd’exemplaires, traduits en 23 langues–nousest racontée du point de vuedeson petitfrèreenlevéetélevé en Sy riepar leur père Abdel-Razak. Se sentantrejeté, et aprèsavoir cherché àconvaincresafemme de retournerdans sa villed’origine,celui-cikidnappelepetit garçon et luifaitquitter la France. Sa mère et sesdeuxfrères ne le reverront paspendant desdécennies.Premier tome d’unenouvellesérie,cet albums’appuiesur lesentretiensque Riad SattoufaréalisésavecFadi en 2011 et 2012.Une histoire vueàhauteur d’enfant, nourriedesouvenirstrèsprécis, où le particulier se mêle àl’universel.Planche aprèsplanche,lapalette de couleurs utilisée parlelauréat du GrandPrixdu Festival d’Angoulême2023pourl’ensembledeson œuvresetransformepourmontrer ce fragileetbrutal glissement d’unelangueà uneautre. Plusencore, la capacité d’un enfant àsurmonter l’insurmontable. ■ C.F.

RIAD SATTOU F, Moi,Fadilefrère volé, tome I(1986-1994), LesLiv resdufut ur,152 pages, 23 €.

AN AL YS E

L’âme urbaine de Dakar

Deux spécia listes signent UN OU VR AGEI NÉDI T qu idocumente l’ histoi re et le pat ri moi ne de la vi lle àt ravers lesépoq ues, et aler te su rson aven ir.

LA CA PITA LE SÉNÉGA LA ISEs’agrandit, se développe et se métamorphose chaque jour.Decette évolution, on ne gardepourtantque très peudetraces. Pour palliercemanque, lesarchitectes dakarois Xavier RicouetCaroleDiopsesont associés àlachaire d’économieurbainedel’Essec pour réaliser un livre quiparcourtl’épopéeurbainedelapresqu’île.

De la république léboue à la fondation de la ville en 1857,jusqu’à sa transformationencapitale de l’empire colonial français en Afrique, et à sonrôledelaboratoire architecturaleturbain devenu aussiunhautlieu culturel.Une grande fresqueaucroisement de l’architecture,de l’urbanisme, dessciences sociales et desartsqui,àtravers descontributions d’expertsetdes illustrations inédites tiréesd’archives, cartes et photographies, metenvaleurtantles bâtimentsemblématiques queles histoiresetles quartiers quidéfinissentles identitésde la ville. Remarquablementmis en page,cet ouvragecoloréet agréable àparcourir invite àréf léchir au destin de Dakar et àsauvegarder sonâme ■ LuisaNannipieri

CA ROLE DIOP ET XAVIER RICOU, Dakar,métamorphosesd’une capitale, Éditions de l’Aube/SenegalmetisÉditions, 352pages,20000 FCFA/30 €

YOUSSOUPHA, Amour suprême, Believe.

RA P

YOUSSOUPHA Retour aux racines

Sous in fluence

AFROBEAT et SOUL, le sept ième al bu m du rappeu r congolais, d’une sola ire matu rité, est peut-être son meilleu r à ce jour.

« J’AI PASSÉ ma vie dans ce pays, on me l’a reproché/Et puis j’ai quitté ce pays, on me l’a reproché, […] mais le rap français, je l’aime trop donc je ne peux pas raccrocher », annonce-t-il dès la superbe ouverture de « Supreme ». Enregistré entre Dakar, dont était originaire la mère de l’artiste, Bruxelles, Abidjan, Montréal et les célèbres studios de Miraval, dans le sud de la France, Amour suprême bénéficie d’une riche orchestration et d’une volonté d’explorer le plus sincèrement possible la soul, l’afrobeat et les chants griots. Fort de vingt ans d’une carrière démarrée en première partie de Snoop Dogg ou Busta Rhymes, le fils de Tabu Ley Rochereau, né à Kinshasa et élevé en banlieue parisienne, s’entoure ici d’instrumentistes de haut vol afin de raconter ses émois familiaux, ses convictions sociales et spirituelles comme son amour pour sa fille. Le tout servi par des textes réfléchis et non exempts de punchlines. Une vraie réussite ! ■ S.R.

LE ROMANDEL’EXIL

Un jeuneMaghrébin tentedefai re sa VIE

ÀM ARSEILLE

et tombesur un policier pascom me lesaut res…

AYOU BGRETA Aavait étéremarquédans L’Maktoub, feuilleton àsuccèsduramadan 2022 au Maroc (sur la chaîne 2M). Le voicientêted’affiched’unf ilmsélectionné àlaSemainedelacritiqueauder nier Fest ival de Cannes, et quisor tcemois- ci au cinéma.Danscet te remarquable im mersiondansles années1990,auson du raïetau fildutemps quipasse, il incarneNour, jeuneMarocain clandestinbientôt conf rontéàunpoliciermarseillaisen apparence intraitable, quivapourtantleprendresousson aile avec l’assentimentdeson épouse.Cet rioinattendu devientainsi le cœur battantduf ilm.Toutcommenceau seind’une bandedejeunespotes maladroits et insouciants, sans-papiers pour la plupar t, quiv iventdemenus traf ics et finissentpar se faireprendre. Rien quecet te première partie donne le ton: on n’estpas dans la caricature,les

YOUNG, FAMOUSA ND AFRICA N, saison 3(AfriqueduSud),deWesley Makgamatha. Avec Na kedDJ, An nie Macaulay-Idibia,Nad ia Na ka i. Su rNet ix

person nagesexistentsansenfaire trop.Quand Nourest recueilli parlecouplef rançais(incarnépar lest rèsjustes Grégoire Colin et Anna Mougla lis),c ’est le même état de grâce, jusqu’àglisser vers le mélodramel’air de rien,mais avecbeaucoupdestyle (lumières,décors, couleurs). La décennie quidéf ilesousnos yeux estpeut- êt re enjolivée parleréalisateur (néen1986).Maiselleper metàSaïd Hamich Benlarbi,après Retour àBollène (2017),det raiter du thèmedel’exilsousunaut re angle, moinspolitique et plus romanesque.Unt roisième chapit re tour né au Maroc (aveclac harismatique Fatima At tif dans le rôle delamère de Nour)raconteaussi avecjustesseleregardpor té surceu x quipar tent et tententderevenir.Subtil et prenant ■ J.-M.C

LA MER AU LOIN (France-Maroc), de Saïd Hamich Benlarbi. Avec AyoubGretaa, Anna Mouglalis, Grégoire Colin. En salles.

UNE AFRIQUE EN OR

TOUJOURS JEUNES (enfin,plusoumoins…),célèbres et africains, mais avecquelques nouvellestêtes :14musiciens,stylistes,inf luenceurs, hommes et femmes d’affaires de toutel’A frique anglophoneaff luentà nouveauenjetsetenvoituresdeluxeàJohannesburg pour desfêtes clinquantes (« diamants et perles »…)etdes prises de tête quivirentà la battle d’insultes (surtout entrefemmes) en huit épisodes.Entre séduction, mensongesettrahisons,les problèmesderiches(et de triche) se succèdent. Lestenuessont extravagantesetlechampagne couleàf lots, sans un regard pour le restedelasociété sud-africaine. Unebulle dorée quiabrite ragots,disputesetpunchlines sans fin, où «êtreheureux ne veutpas dire qu’on n’en veutpas plus ». Alors, unequatrièmesaison? ■ J.-M.C

ANCRÉ DANS L’AIR DU TEMPS

Avec son BA NC AYO, Josh Egesi mont re comment la cu lt ure, les trad it ions et l’espr it du cont inent peuvent nour ri r un design de solution.

DA NS SA CH AMBR E de la Cité internationale des ar ts de Paris, où il travaille à une nouvelle collection intitulée « Ego » (« je » en latin et « argent » en igbo), le Nigérian Josh Egesi a installé une œuv re d’ar t pratique devant sa fenêtre. Un châssis recouvert de feuilles rouges qui transforme la grisaille de l’hiver parisien en lumière envoûtante.

Et qui nous dévoile plusieurs aspects de la mentalité du trentenaire, parmi les designers les plus brillants de sa génération. Egesi est débrouillard – il travaille souvent à partir de matières de récup Il se laisse inspirer par ses expériences personnelles. Il conçoit le design comme un outil pour créer des solutions fonctionnelles adaptées au contexte Enfin, il aime le rouge. La version du banc Ayo qu’il a exposée en 2024 à la Triennale de Milan est d’ailleurs de la couleur mystique du juju et du royaume du Bénin Un banc minimaliste en bois et acrylique, modulable, pour permettre à plusieurs personnes de

s’asseoir ensemble ou de se réunir simplement en déplaçant le dossier, et équilibré sur les côtés par un porte-revues et un plateau pour le jeu ayo (dit aussi awalé, kpo ou makpon). Créé pour remplacer un banc mal équilibré dans son jardin, ce meuble répond au besoin de partage et de sociabilité traditionnel avec une esthétique contemporaine et une âme résolument af ricaine. ■ L.N. joshegesi.com

Ci -c ontre, l’ar ti ste à La us anne à l’oc casio n d’un e conférenc e en 20 23

CORRESPONDANT DE PAIX

Une plongée da ns l’univers

photog

raph

iq ue POÉT IQUE ET HU MA NIST E de Reza.

SITUÉ dans la fortification de Borj El Kebir, érigée à la fin du XIXe siècle, également connue sous le nom de Fort Rottembourg, le Musée national de la photographie de Rabat expose le travail de l’un des plus grands photoreporters contemporains. Depuis plus de quarante ans, le Franco-Iranien Reza Deghati, plus connu sous le nom de Reza, sillonne les quatre coins du monde appareil photo en main à la rencontre de destins croisés d’enfants, de femmes et d’hommes victimes de guerres et de conf lits, mais aussi d’injustice sociale et d’exclusion. Conteur d’histoires et passeur d’émotions, il témoigne d’un monde blessé au cœur duquel il tente de déceler la beauté par laquelle « on arrive à changer les mentalités et créer des liens entre différents êtres humains ». Diff usés dans la presse internationale – National Geographic, le Time ou Le Monde –, ses clichés s’inscrivent comme moyens de résistance et de réflexion face à l’agitation du monde moderne. Avec quatre cents portraits pris par Reza dans plus d’une centaine de pays, l’installation rabatie envoie un message de paix, de tolérance et d’acceptation de l’autre. Au fil des photographies exposées, inspirées librement de la célèbre Conférence des oi seau x, du poète persan Farid alDin Attar, l’artiste propose aux visiteurs un voyage à travers sept vallées : la Connaissance, la Quête, l’Amour, la Beauté, le Détachement, le Néant et l’Univers. Un parcours visuel et spirituel. Et une expérience émotionnelle hors du temps. ■ C. F. « L’ODYSSÉE CONTEMPORAINE DE REZA », Musée national de la photog raph ie, Rabat, jusqu’au 30 mai.

fnm.ma/musees- ouverts/musee- national- de -la- photographie/

de cestrois milieuxculturels et explorelerapport du corps àl’espace. Elle conçoitses mobiliersdécoratifscomme des corps, vecteurs d’expressiond’une culture, d’un héritage, d’un message, partagés entrel’aspectutileetlapréciosité. «Jesouhaiteque le spectateur s’interroge: est-ce pratique ou justebeau?»,indique l’artiste, quis’inscrit ainsientre le design et lesartsplastiques. Exposées àl’automne 2024 au 110Galerie VéroniqueRieffel dans le cadredela Design Week,ses créations(lampetissée, tabouret, siège…) sont actuellementprésentéesdansleconcept-store parisien Saargale (47, avenue Daumesnil,75012 Paris) Ellesmettent en lumière lessavoir-faireetles matériaux ivoiriens. Collaborantavecdes tisserands et desébénistes, Alloua Maëlys Ediaho aainsi travaillé le bois,trèsrépandu et valorisésur sa terrenatale, le métal, quiyest souvent recyclé,les filets de pêche, en écho àlarégionbalnéaire de Grand-Bassam et afin aussidedonnerune dimension nobleetécologique au plastique, très décrié.Les couleurs

Ci-contre, le tabouret Kléma en bois de Yundé et filsdepêche

Ci-dessus, la Wovenchair. Ci-contre, la Rope Lamp.

bleu et rose layettedeses pièces accrochent l’œilavecdouceur.«Mon approche du corpsest basée surl’enfant intérieur. En mélangeanttousces mondes,je ramène lesgensàl’aspectludique,universel de l’art, pour quemêmeles enfantssoient interpellés.»Diplômée d’une licenced’artsplastiquesàl’UniversitéParis VIII,oùelleapu se familiariser àdiversesdisciplines (vidéo,photo,dessin, etc.), elle rêvaitdetravailler dans lesartsdepuisl’enfance, inspirée parunpère quipratiquelapeintureetlacouture. En 2023,elledécouvre et apprendavecenthousiasmele design,quand l’illustremaîtreivoirienJeanServais Somian, dont elle suit le travail avec grandintérêt, lanceunatelier de formationsur concours,Young DesignersWorkshop, dont elle estlauréate. Actuellement,ellesuitunCAP en menuiserie en France, où elle apprendainsi àréaliser sesprototypes.Elles’initieégalement auxtechniquesde cordageetdetissage. Sonambition?Trouver de nouvelles manièresdecommuniquer desidées,mixer différents médiums –peinture, sculpture, objets, installation –, tout en gardantunaspectpratique, utilitaire ■ AstridKrivian

DE SIGN

La ro be El is sa de la coll ectio n capsule

« Ne bul a », présenté e lor s du dé fil é Crea tive

Tu nisi a.

MOD E

La tu niqu e Rayo n de la co ll ecti on « Ne bul a ».

CALESTIS LA MÉDITERRANÉE DANS LE TISSU

Une MA RQUE TU NISI EN NE qu i associe ex péri ment at ion créative et recherche su r les matières, pu isant da ns le potent iel DES JEUN ES ARTISA NS LOCAUX.

La st yl is te dans son ateli er

POUR EMNA GAHBICHE, 31 ans, la mode n’est pas seulement un métier créatif. Avec sa marque Calestis, basée dans sa ville natale de Sousse, elle entend aussi puiser dans le potentiel des jeunes artisans tunisiens et donner un coup de pouce à l’industrie locale, célébrant ainsi son identité méditerranéenne. Née en 2020, Calestis a déjà à son actif plusieurs collections et collaborations, dont la dernière, « Ch’hili », avec la marque Benma de Hedi Ben Mami, a été partiellement dévoilée fin 2024. Le label peut aussi se targuer d’avoir exposé des pièces au musée des Arts décoratifs de Paris en 2021. Une étape importante pour la créatrice – revenue en 2019 dans son pays d’origine après avoir fait des stages dans la haute couture parisienne – qui commençait tout juste à définir son identité. Le retour en Tunisie est marqué

Le lo ok Lu no.

par la prise de conscience qu’il reste beaucoup à faire pour développer un véritable système de mode à l’échelle locale. En attendant de lancer sa propre marque, elle multiplie alors les expériences, notamment dans la création de costumes de scène. Une influence scénographique que l’on retrouve dans certaines de ses silhouettes et dans sa conviction que la mode et l’art sont inséparables. Au-delà des coupes envoûtantes et d’une certaine obsession pour la corseterie, la marque se caractérise par un travail de recherche acharné sur la matière. Après une première collection en brocart de soie dédiée à sa grand-mère, qui l’a soutenue financièrement, Gahbiche parcourt la Tunisie du nord au sud pour aller à la rencontre des artisans locaux. C’est tout près de Sousse qu’elle déniche de jeunes tisserands pour donner vie à des pièces d’une incroyable finesse. À partir d’un même fil de soie, ils jouent avec les graphismes, donnant aux vêtements monochromes un teint vif et des textures changeantes et complexes. Ensemble, ils expérimentent avec la laine, le coton et le hayek, un tissu tunisien, pour signer des ponchos et des robes avec une illusion de corset à même le vêtement Le nom de la collection, « Ch’hili », évoque le vent du sud et la canicule, les souvenirs d’enfance et les journées d’été au bord de la Méditerranée. calestis.com.tn/ ■ L.N.

L’ensembl e Omb re noctu rn e

Le po ncho
Sa blier de la coll ectio n
« Ch’h ili ».

L’a uth entiqu e Ca ntinho do Az iz et ses saveur s tradi ti on ne ll es du Moza mb ique

LES TABL ES DE LISBON NE

Da ns la capita le port ugaise, on découv re UN E AU TR E CU ISIN E AFRICA IN E et diasporique, fa ite de classiques et de touches contempora ines.

POUR des raisons historiques, il y a des cuisines africaines qui sont peu représentées à Paris ou Londres mais que l’on peut savourer lors d’une virée à Lisbonne Comme celle du Mozambique, mélange d’influences indiennes, portugaises et du continent. Cantinho do Aziz est le lieu parfait pour la découv rir. Ouvert en 1983 par Aziz, avec sa femme Dona Farida aux fourneaux, l’établissement est aujourd’hui géré par la deuxième génération de la famille Leur fils Khalid Aziz et sa compagne la cheffe primée Jeny Sulemange proposent toujours les classiques comme le N’biji (fruits de mer à la noix de coco et à l’huile de palme), le Frango a Cafreal (poulet peri-peri

braisé) ou le Makoufe (chou en sauce de noix de coco et arachides avec crevettes et crabe). Prisée par les locaux et des célébrités comme Monica Bellucci, cette cantine est une véritable institution de la Mouraria, l’un des quartiers les plus traditionnels et multiculturels de la ville. Ouvert en 2022, Sofia’s Place est un restaurant à la philosophie contemporaine. Si la patronne, Ana Sofia, est d’origine cap-verdienne, dans ce charmant afrobistrot de 18 couverts, on promeut une cuisine créative panafricaine et diasporique. La carte change en fonction des légumes et des épices que la cheffe et ses amis ramènent de voyage. Toujours prête à inviter en cuisine ceux qui peuvent lui apprendre de nouvelles recettes, l’ancienne maquilleuse devenue cheffe (et bientôt youtubeuse gastronomique) joue avec les connexions entre les cuisines du continent et celles des Amériques ou des Caraïbes, de la Colombie à la Jamaïque. Elle adore le yassa et, en ce moment, elle met à l’honneur les recettes de la Guinée-Bissau, comme le caldo de mancarra cantinhodoaziz.com/@sofia.s.place ■ L.N.

SP

L’esprit Kéré au Togo

FR ANCIS KÉRÉ enchaîne les projets d’envergure en Af rique de l’Ouest. Après avoir conçu l’Assemblée nationale au Bénin, le Goethe-Institut à Dakar ou encore le mausolée de Thomas Sankara dans son Burk ina natal, tous encore en travaux, il vient d’entamer la constr uction de son premier projet au Togo Le chantier du Centre des cultures et spiritualités éwés, commandité par la Fondation

Kothor à Notsè, environ 80 km au nord de Lomé, a été entamé en octobre dernier pour une livraison prév ue en février 2026. Le projet s’ar ticule

L’ARCH IT ECTE BU RK INABÈ a dévoilé son projet pour le Cent re des cu lt ures et spir it ua lités éwés, près de Lomé, qu i verra le jour da ns un an.

autour des vestiges de la grande muraille Agbogbo et du sanctuaire d’Agbogbodzi, qui abrite la divinité principale du peuple éwé. Il comprend un sanctuaire, des temples, un amphithéâtre à ciel ouvert, un espace de réception, des salles d’exposition, un auditorium, des restaurants et une reconstitution de l’ancien palais royal éwé. Les bâtiments, tous assez bas, à l’exception de la tour en forme de spirale qui sy mbolise la connexion entre la terre et le divin, serpenteront à travers le paysage de chaque côté du mur et seront

ponctués de patios plantés permettant la ventilation naturelle Ils seront constr uits en briques de latérite rouges, une matière locale, durable et adaptée au climat du Togo, et éclairés à travers des puits de lumière naturelle intégrés aux plafonds L’entrée du site a été inspirée par le design du tabouret éwé, le siège emblématique du pouvoir royal. « Le centre démontrera comment l’architecture peut être un catalyseur qui permet aux communautés de célébrer leur culture », a déclaré l’architecte ■ L.N.

DESTINATION

Dolce vita à Cotonou

C’est le nouveau fleuron de l’hôtellerie ouest-africaine, le new spot de la capitale économique béninoise.

Géré par le groupe français Accor, le Marina affiche les AMBITIONS du pays en matière de tourisme et de culture.

L’ÉVÉNEMENT était très attendu. Le Sofitel Cotonou Marina a ouvert le 12 décembre dernier, après un soft opening le 1er septembre. Et dans la capitale économique béninoise comme dans toute l’Afrique de l’Ouest, l’hôtel 5-étoiles au luxe French Touch, qui fait face à la mer et s’étend sur 29 hectares, est déjà the place to be ! Construit sur l’emplacement de rêve du très ancien Sheraton Marina, il propose 198 chambres, toutes avec balcon, dont des suites avec piscine privée, une brasserie chic signature, L’Ami, tenue par la cheffe étoilée béninoise Georgiana Viou, un spa, un centre de conférences, un cinéma, un casino et une discothèque. Et bientôt, un kids club. Dans les couloirs de l’établissement, on peut admirer 150 œuvres d’art contemporain du cru. La directrice de l’hôtel Juliette

Véritable flagship africain du groupe, le Sofitel Cotonou Marina Hotel & Spa, au design et au confort exceptionnels, expose aussi 150 œuvres d’art.

Peron mise sur le tourisme culturel, à l’heure de la restitution des œuvres au Bénin, et sur le thème du retour aux sources d’une clientèle d’Amérique du Sud: «Les Brésiliens, notamment, sont à la recherche de leurs racines dans l’ancien Dahomey. Nous allons aussi essayer de créer du tourisme de loisirs panafricain, en travaillant notamment les marchés du Nigeria, du Togo ou de la Côte d’Ivoire.» Et la clientèle aisée de Lagos, aujourd’hui à une heure de Cotonou, est déjà là, en week-end, avec enfants et nounous, autour des deux piscines. Le personnel, composé de 375 employés béninois qui ont suivi un training intense sur quatre mois, est déjà rodé aux codes du luxe et de l’accueil haut de gamme, les deux valeurs cardinales du groupe français, qui livre ici le dernier fleuron de sa flotte ■ Emmanuelle Pontié

PA RC OU RS

Gaël Kamilindi

AVEC SON MAGNIFIQUE DOCUMENTAIRE

DIDY, l’acteur pensionnaire de la Comédie-Française et cinéaste retrace l’histoire de sa mère au Rwanda. Retissant le lien avec ses origines, ce portrait sensible, émouvant, spirituel, oppose à l’absence la vitalité de la mémoire, du geste créatif. propos recu eillis par Astrid Krivian

Il a passé sa prime enfance entre l’ex-Zaïre – où il est né en 1986, à Kinshasa –, le Burundi et le Rwanda, pays de sa mère, Didy, qu’elle a fui en raison des violences perpétrées envers les Tutsi par les Hutu Gaël Kamilindi n’a que 5 ans lorsqu’elle est emportée par le sida, en 1992 Peu après, il émigre en Suisse où il est élevé par sa tante. Avec son film bouleversant, le comédien remonte le fil de l’histoire maternelle et esquisse un portrait sensible, recueillant la parole des sœurs, des ami(e)s de sa mère, croisant les archives familiales. « Avec l’absence, je l’avais mise sur un piédestal. Elle incarnait une figure maternelle héroïque, iconique. J’avais besoin de découv rir sa complexité, son humanité, ses failles, ses peurs, ses doutes. Sans aucun souvenir de sa voix, je voulais que l’on me raconte Didy à travers les sens – son parfum, son regard, etc. », indique-t-il. L’artiste reconstruit aussi son lien avec le Rwanda, où il s’ancre désormais régulièrement pour « rattraper le temps perdu imposé par l’exil ». Pendant longtemps, le souvenir de sa mère et celui du pays aux mille collines se confondaient dans son esprit. Le film témoigne de cette quête intime et charnelle d’une terre originelle, maternelle. Des scènes spirituelles le ponctuent, où Gaël Kamilindi pratique des gestes inspirés de rituels funéraires précoloniaux : bain purificateur, veillée autour d’un feu, pétrissage de la terre, enduisage de cendres. « Ces rites de passage accueillent le deuil ; ils devaient s’inscrire dans ma chair, y laisser une trace intime. »

Une manière aussi de faire sépulture, quand le cimetière où reposait Didy au Burundi a été viabilisé, les pelleteuses réduisant tout en poussière. « Ce film est un tombeau sy mbolique, immortel. Gravée sur des images, la mémoire de ma mère se ravive à l’infini. » Primé à l’international, notamment diff usé au festival Le Grand Bivouac d’Albert ville à l’automne 2024, didy est présenté en compétition officielle du Fespaco 2025 à Ouagadougou.

Sa passion pour l’art dramatique est-elle un chemin pour retrouver ce goût de l’enfance, une innocence trop tôt perdue ? À Genève, où il grandit, la découverte du théâtre à 12 ans est en tout cas une év idence. « Sur scène, j’étais dans un émer veillement, une naïveté, une candeur. Le jeu est lié à l’enfance, aux histoires, à notre place qu’il faut trouver. Je respirais, le théâtre a apaisé mon âme. »

di dy, coréal is é avec Françoi s-Xavi er De stor s, CPB Fi lm s.

Après son bac, il étudie au conser vatoire de sa ville, puis entre au Conser vatoire national supérieur d’art dramatique de Paris à 22 ans. Il apprend à s’écouter, à développer son indépendance artistique, son intuition, son instinct, sa confiance. En 2017, il intègre la troupe de la ComédieFrançaise. Sur un rythme de travail très soutenu – jusqu’à 14 représentations par semaine –, il fait vibrer les grands textes classiques comme les écritures contemporaines

Au cours de sa prolifique carrière sur les planches (Lucrèce Borgia, Le Roi Lear, En attendant Godot…), il a entre autres travaillé sous la direction de Denis Podalydès, Jean-Pierre Vincent, Robert Wilson « L’art du comédien est un merveilleux terrain d’exploration de l’âme humaine. On plonge dans des recoins sombres de nous-mêmes C’est très libérateur, cathartique. » ■

«Ce lm est un tombeau symbolique, immortel. Gravée sur des images, la mémoire de ma mère se ravive à l’in ni.»

AFRICA CITY 13H- 16H

LUNDI AU VENDREDI

GLADYSMIGNAN

QUE D’EAU…

On le sa it : le ch ang em en t cli matiqu e frapp e de pl ei n fo ue t le con tin en t af ricai n. On y en re gis tre de pu is qu el qu es an né es de s te mp érat ures ex trêm es et un me rc ure qu i s’envo le au gré de s an né es . Av ec de s po inte s à 45 °C à l’omb re à Ba ma ko en a vri l, par exe mpl e. Dé jà ins ou te nab le, et ce n’est qu e le dé but d’un e as ce nsi on du th er mo mè tre, no us dit -o n, irrév ers ib le.

Ir on ie du sor t, su r de s te rres br ûl ée s par le so le il , où l’on a tten d l’ea u du ci el comm e un e dé livranc e, le ré cha uf fe me nt de l a pl an ète entraî ne au jo urd’ hu i de s to rrents de plui e ja mais ég al és qu e le s so ls du rs comm e la pi erre ne par vi en ne nt pas à abs orb er.

Pr ès de 7 mi lli on s de pe rs on ne s ont ét é to uc hée s par de s inond ati on s en Af riqu e oc cid en ta le et ce nt ra le en 20 24. Au Ni ge r, par exe mp le, ce rtai ne s ré gion s ont en re gis tré ju sq u’ à 20 0 % d’excéd en t de plu ie s par ra ppor t aux ann ée s pr écéde nte s. Au Tc ha d, le s on de s diluvi enn es ont fa it au mo ins 576 mor ts et près de 2 mi llion s de sin is trés de pu is ju ill et de rni er Au Ca me ro un , 56 000 ma is on s ont été dé tr uites

L’ea u es t de ve nue en que lq ues an né es un nouve au fl éa u pou r le co n ti ne nt , lui qu i ne con tri bu e qu ’à haut eu r d’en vi ro n 4 % aux émis si on s mon di al es de ga z à ef fe t de se rre. La préc ari té de s po pu la tio ns , qu i vi ve nt da ns de s log em en ts de fo rt un e, con st rui ts la pl upa rt du te mp s en mod e anarchi qu e da ns de s sy stèm es où pe rs on ne n’est as su ré, eng en dre un lot de dram es hu mai ns

Al or s, ce rt es , on p eu t es pé re r qu e la su ite de CO P ou le pr och ain Somm et Cl ima te Ch anc e Eu ro pe Af riqu e, qui se ti en dra le 31 mars en Fran ce, à Ma rs ei ll e, ra le nt iront le ph é no mè ne Ou pas

Mai s en at te nd a nt , les ca ta str op hes s’en ch aî ne nt . Et loc al em en t, pe u ou pa s de me su re s so nt pri ses Le s conn aiss an ce s mété orol ogiq ue s po ur ra ie nt dé jà pe rm et tre d’ ins ta urer un sy stèm e d’al er te pr éc oce, af in qu e le s pop ula tion s pu is se nt s’or ga nis er av an t d’ êt re en gl ou ti es so us l’ea u av ec le urs mais on s.

On do it au ss i ur ge mme nt me tt re en pl ac e de s te ch nique s de dr ai na ge le lo ng des rou te s, en comm ençant par ne ttoy er ce ll es qu i ex is te nt dé jà et so nt tota le me nt en go rg ée s par le s ordu re s urb ai ne s. Et bie n sû r, lu tter contre l’ im plantation sa uvag e de s hab itatio ns , so uv ent en zo ne im me rs ib le. Enf in , préparer l’av en ir, de mai n, av ec de s pol iti qu es qu i in c lu ent im pé ra tiv em ent la do nn ée du ré ch au ffe me nt cl im at iq ue. La su rv ie de pe upl es enti er s en dé pe nd. ■

PA R EM MAN UE LL E

AM vous a offert les premières pages de notre parution de Février

Profitez de nos offres d'abonnements pour accéder à la totalité de nos magazines et bien plus encore

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.