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Nabil Karoui de retour sur le terrain

Nabil Karoui de retour sur le terrain ! humanitaire

Le candidat malheureux à la présidentielle en 2019 avait fait de la lutte contre la pauvreté la priorité de son programme. La pandémie le propulse à nouveau sur les routes avec son association Khalil Tounes. Comme un retour à la vraie vie. par Frida Dahmani

Tout d’abord, ce fut un petit génie de la pub et de la com, associé à son frère Ghazi, avant de se lancer dans la télévision et de donner un nouveau visage au paysage audiovisuel avec Nessma TV. Puis, il a vécu un drame personnel – le décès accidentel de son fils Khalil –, une tragédie à l’origine de la création de l’association caritative Khalil Tounes. Une véritable machine de soutien aux Tunisiens les plus fragiles et les plus pauvres, oubliés par les bureaucrates et les grands idéaux de la révolution… Ce fut ensuite l’entrée fracassante, clivante, en politique, avec la création du parti Qalb Tounes et la candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2019. Avec un discours de rupture et son ambition habituelle, Nabil Karoui a vite fait figure de favori. L’ascension fulgurante de ce personnage flamboyant a dérangé ses rivaux, qui auront employé plus d’un moyen pour le contrer. En multipliant les obstacles juridiques ou en bloquant les activités de son association. Son arrestation sur une autoroute, en août 2019, à quelques semaines des élections, est restée dans

Les véhicules de Khalil Tounes apportent un soutien alimentaire et sanitaire à la communauté subsaharienne installée en Tunisie.

les annales. Accusé d’évasion fiscale, il est emprisonné. Sans pouvoir faire campagne, il se qualifie malgré tout pour le second tour et est libéré à quatre jours du scrutin final. Où la défaite est lourde. Aujourd’hui, il continue de peser avec son parti, arrivé deuxième aux législatives d’octobre 2019. Qalb Tounes est devenu un enjeu : on le courtise pour obtenir ses voix au parlement, on l’exclut des négociations quand il s’agit de participer au gouvernement. En retrait des médias, confronté à une épée de Damoclès judiciaire, Nabil Karoui était soi-disant éprouvé, usé, décidé à se mettre un temps de côté…

Une pandémie et quelques mois plus tard, les véhicules de Khalil Tounes sont de nouveau sur les routes pour distribuer des aides alimentaires et sanitaires. Malgré les mesures de confinement, le couvre-feu et les restrictions de circulation, l’arrivée des camions rouges estampillés du nom de l’association écartent, du moins temporairement, le spectre de la disette à Zaghouan, Jebeniana (entre Mahdia et Sfax), Sfax, Le Kef, Bizerte, L’Ariana, Béja, Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, ou encore Médenine. Nabil Karoui a repris du service, à fond, comme il se doit pour lui. L’épidémie du Covid-19 a mis à jour la précarité de pans entiers de la société tunisienne : nécessiteux, journaliers ayant perdu leurs revenus, tâcherons et sans-ressources ont été jusqu’à défier les mesures de confinement et le couvre-feu pour protester contre les pénuries et les pertes d’emploi. « Entre le coronavirus et la faim, on n’a que le choix de mourir », hurlait début avril un désespéré en quête d’un paquet de semoule, lors d’un attroupement à Ettadhamen, un quartier démuni en périphérie de Tunis. Les soutiens de l’État restent bien insuffisants pour répondre aux besoins des familles précaires, mais le gouvernement, lui-même en grandes difficultés économiques, ne peut guère faire plus.

En tout cas, à Tunis, les critiques se font plus discrètes. On se risque moins à le traiter de « père la

charité » ou à surnommer Qalb Tounes de « parti des pâtes ». « Ayant acquis un savoir-faire dans le temps, nous avons été rapidement opérationnels ; les plus démunis étaient déjà identifiés, nous savons où agir », précise Nabil Karoui, qui rappelle que 2 millions de Tunisiens vivent sous le seuil de pauvreté. Khalil Tounes a en outre été parmi les premières associations à apporter un soutien alimentaire et sanitaire à la communauté subsaharienne installée dans le pays, où les migrants sans papiers sont nombreux. Les conditions de vie des Subsahariens, oubliés des autorités, en butte au racisme, sans droits et sans lois pour les protéger, sont très difficiles et régulièrement dénoncées par les organismes des droits humains.

Nabil Karoui s’émeut des effets du confinement ajoutés à la misère : « Les conditions physiques et morales qui en découlent sont encore plus difficiles quand l’on n’est pas dans son propre pays. » Khalil Tounes a paré au plus pressé et ciblé les quartiers de Lafayette, El Omrane, Laaouina et Bhar Lazreg dans le Grand Tunis, pour distribuer des cartons de produits de première nécessité : « Cela représente près de 65 dinars de nourriture ; de quoi tenir une semaine », évalue Théorine, une Camerounaise qui a perdu son emploi de femme de ménage et s’étonnait que des hommes gantés et en combinaison de sécurité soient venus frapper à sa porte, au fond d’une impasse.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Ce que ne sait sûrement pas Théorine, c’est le lien particulier de Nabil Karoui avec l’Afrique. La fratrie (Nabil, Ghazi, Rym) compte un frère adoptif, Omar, un Subsaharien que ses parents ont recueilli et élevé. Aujourd’hui, la complicité entre Nabil et Omar est toujours évidente. Celui-ci fait partie du premier cercle familial et de ses proches à Nessma TV. Une manière pour l’homme de continuer à veiller sur lui, comme le lui avait recommandé son père. En attendant, pendant que le gouvernement navigue relativement à vue sur le front du virus et que les politiques se font discrets, Nabil Karoui avance, sans trop se soucier de ce que pourront dire les uns et les autres de ses éventuelles ambitions renouvelées. Il poursuit son engagement et prépare l’organisation de la distribution d’aides à 10 000 familles durant Ramadan. Une tâche titanesque, mais il considère que « continuer est son devoir ». De toute façon, les Tunisiens ne sont pas dupes et feront la part des choses. « Il y a Nabil, l’humanitaire, et Karoui, le chef de parti », distingue un habitant d’Ain Zaghouan, en banlieue de Tunis, veuf et père de quatre enfants qui a été parmi les premiers à recevoir de quoi subsister. ■

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