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Clyde Fakhoury On sous-estime la capacité de réaction de l’Afrique
Clyde Fakhoury « On sous-estime la capacité de réaction de l’Afrique » interview
Pour le directeur exécutif de PFO Africa, le groupe BTP basé à Abidjan, le secteur privé doit jouer un rôle majeur dans la lutte contre la pandémie. propos recueillis par Zyad Limam
Son père, l’architecte Pierre Fakhoury, s’est fait un nom aux quatre coins du continent. On lui doit, entre autres, la fameuse basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro. Mais aussi la création de PFO Africa, une entreprise multi-métiers dans le bâtiment, les travaux publics, l’immobilier… Depuis 2012, le fils Clyde a repris progressivement la direction opérationnelle du groupe. Et l’oriente vers de nouveaux secteurs d’activité.
AM : L’Afrique semble, pour le moment, plus résistante qu’annoncé face à l’épidémie de Covid-19. Clyde Fakhoury : Nous ne sommes pas, pour l’instant, dans la situation de scénario catastrophe que nous redoutions. Au-delà des possibles aspects démographiques, comme la jeunesse de la population, je pense qu’il y a aussi une raison structurelle. On sous-estime trop souvent la capacité d’action de nos pays. Or, on assiste depuis le début de la crise à des prises de décisions fortes, rapidement mises en place et respectées. Des décisions inclusives aussi qui visent un large spectre de la population, tel que le port du masque. Et l’on assiste à une grande solidarité, les gens apprennent à vivre avec le virus, pratiquent les gestes barrière, ne se mettent pas en danger inutilement. Comment une entreprise comme PFO Africa absorbe-t-elle ce choc de conjoncture ?
Nous sommes engagés sur de nombreux chantiers en Côte d’Ivoire et dans la sous-région. Aucun projet n’est à l’arrêt. Les solutions de financement qui ont été mises en place permettent de sécuriser nos activités. Nous pouvons nous appuyer sur un système bancaire réactif. Et sur l’État, décidé à soutenir le secteur des infrastructures. Les travaux en cours sont donc pérennes, même si évidemment la production est ralentie. Nous devons travailler en journée continue jusqu’à 14 h 30-15 heures. Nous devons réduire le nombre simultané de personnes présentes sur un même site. Et des retards de livraison de nos importations sont prévisibles. Tout cela aura un impact, que l’on essaye de maîtriser et de mesurer. Mais nous avons une visibilité à moyen terme. La réelle inconnue sera la possibilité de monter de nouveaux financements sur de nouveaux projets. Comment le secteur privé peut-il s’engager dans la lutte collective face à l’épidémie ?
Il est primordial qu’il soit solidaire. Et c’est le cas. On assiste à des initiatives tous les jours, auprès de nos gouvernements ou directement auprès des populations. Le continent est un vivier d’entrepreneurs, et ces entrepreneurs ont tous des solutions pour aider. Que ce soit à l’importation de matériel médical, à la création d’outils technologiques, à la fabrication de masques. Et en Afrique, nous avons la culture du don. Y compris pour les entreprises, grandes, moyennes ou petites, et même informelles ! À la demande de l’État ivoirien, nous avons mobilisé toutes nos équipes et nos forces, jour et nuit durant trois semaines, pour construire de nouveaux réceptifs hospitaliers. Ce sont 400 nouvelles chambres qui viennent d’être livrées en un temps record. Et nous participons activement à l’importation de matériel médical, combat acharné en ces temps de demande mondiale. Comment la Côte d’Ivoire va-t-elle s’adapter à cette épidémie pour rester attractive ?
Nous n’avons pas le choix que d’apprendre à vivre avec cette menace. Le plus grand danger serait que nos économies soient à l’arrêt. Il faut continuer à investir. Maintenir les efforts engagés pour que nos racines continuent de grandir. Maintenir l’ambition de l’émergence. C’est le choix du président Alassane Ouattara. C’est ce qui permet aussi de rassurer le secteur financier. Une
solution devra être trouvée pour permettre de rouvrir, au moins de manière conditionnelle, nos frontières. L’intégration africaine sera un levier de croissance dont l’on ne pourra s’affranchir. En quoi ce virus, ou d’autres, va-t-il modifier de manière générale le métier des travaux publics ?
Il est trop tôt pour y répondre, mais nos méthodes devront apporter des solutions face aux risques de transmission de virus. Notamment dans les secteurs de la climatisation et de l’eau. Tout comme cela a été le cas face aux problèmes environnementaux, avec des solutions d’économie d’énergie qui n’existaient pas jusqu’alors. Pour l’instant, et au plein cœur de la pandémie, il s’agit surtout de faire respecter les mesures barrière sur les chantiers. Et d’accroître la sécurité collective. La crise génère un débat intellectuel très actif sur les transformations dans lesquelles les économies africaines « doivent » s’engager : autonomie, valeur ajoutée, production locale… Quel est votre avis de « praticien » ?
Ce n’est pas cette pandémie qui nous réveille ! Nous sommes engagés sur ce front depuis de nombreuses années. Certains pensent que cela ne va pas suffisamment vite ? Je ne suis pas de cet avis. On assiste en Côte d’Ivoire et dans d’autres États à des progrès considérables en peu de temps. On voit l’émergence d’une classe d’entrepreneurs, mais également de citoyens engagés qui agissent pour le renforcement de nos pays. L’enjeu principal est la création de valeur localement. Le secteur industriel est en marche, le secteur financier aussi, d’autres suivent, comme les technologies digitales. Bien sûr, nous sommes encore trop dépendants de produits importés, et la crise le souligne avec acuité. Mais nous en sommes tous conscients et nous sommes bien décidés à poursuivre cette dynamique de progrès. Restez-vous un manager positif ?
Toujours positif ! Cette période nous donne du temps, nous permet de faire une pause et de porter un regard sur notre chemin effectué et la direction envisagée, pour ainsi ajuster notre parcours. Je suis très fier du développement de notre groupe, de cette aventure humaine et professionnelle. Grâce à notre croissance et à notre diversification (dans l’eau potable, l’environnement, le facility management, l’immobilier), nous sommes au plus près des problématiques structurelles de nos pays. Et nous sommes capables d’apporter des solutions. Cette crise changera sûrement nos habitudes, nos manières de vivre, en particulier celles qui n’étaient pas « en harmonie » avec le monde qui nous entoure. C’est passionnant et motivant. ■