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À LA BARRE, FACE À LA PANDÉMIE Moussa Seydi, John Nkengasong, Serge Paul Eholié, Francis Akindès et Jean-Jacques Muyembe Tamfum

À la barre, face à la pandémie

Médecins, spécialistes, et même sociologue, ils sont, avec d’autres, à l’avant-garde de la lutte. Ils illustrent, chacun à leur manière, l’engagement de l’Afrique dans cette bataille contre le virus. par Cédric Gouverneur

Moussa Seydi Le praticien de la chloroquine Centre hospitalier national universitaire de Fann, Dakar (Sénégal)

QUOI QUE L’AVENIR NOUS RÉSERVE, le docteur sénégalais Moussa Seydi restera dans l’histoire comme le premier médecin du continent à utiliser la chloroquine contre le nouveau coronavirus. Chef du service des maladies infectieuses et tropicales au Centre hospitalier national universitaire de Fann à Dakar, ce médecin né en 1964 est un vétéran de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en 2014. Dès le 19 mars, il a décidé d’expérimenter l’antipaludique sur une centaine de malades du Covid-19, avec leur consentement. Le médicament, utilisé pendant des décennies sur le continent pour prévenir et traiter le paludisme – avant que le parasite ne finisse par lui résister, dans les années 2000 –, connaît en effet une nouvelle jeunesse depuis que l’infectiologue français Didier Raoult a vanté son efficacité supposée contre le nouveau coronavirus. Moussa Seydi assume passer outre les mises en garde de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – pour laquelle ce traitement n’a pas encore fait ses preuves contre le Covid-19 – et les critiques émises par les scientifiques concernant la méthodologie du professeur Raoult : « Le rapport bénéfice-risque était en faveur du bénéfice », a-t-il justifié au micro de la station de radio RFI fin mars. « Parce que nous avons besoin de traiter les patients très vite, pour libérer des places et prendre en charge d’autres patients… Je prends mes responsabilités en tant que médecin. C’est scientifique, mais ce n’est pas de la recherche. » En effet, il n’y a pas de groupe témoin auquel serait administré un placebo (ce qui permettrait de démontrer que les patients sans l’apport du médicament testé ne se seraient pas rétablis d’eux-mêmes). « Quand nous avons commencé le traitement, nous avons constaté que la charge virale diminuait rapidement », avait ajouté le professeur Seydi. Il précise utiliser de l’hydroxychloroquine, une molécule dérivée de la chloroquine, apparemment supportée sans effets secondaires par les malades. Comme le font de nombreux autres praticiens, le médecin envisage d’y associer un antibiotique. Il dément par ailleurs toute proximité avec le docteur Raoult : il ne l’a jamais rencontré et ignorait même que ce dernier était né à Dakar. Moussa Seydi précise néanmoins que, selon ses constatations, l’efficacité de la chloroquine n’est valable que pour les patients n’ayant pas atteint un stade avancé de la maladie : « La molécule a une utilité pour empêcher les cas de s’aggraver. » Il explique en outre les réticences occidentales envers ce traitement par la méconnaissance du produit : « Ici, au Sénégal, et plus généralement sur le continent africain, tout le monde a mangé de la chloroquine », a-t-il répondu à l’hebdomadaire français Marianne le 17 avril. Les Occidentaux la « connaissent moins et se posent donc plus de questions ». Sur le continent, la molécule est victime de son succès : depuis l’épidémie de Covid-19, on se rue en effet dessus. Au risque de périlleuses automédications. Et au risque également de provoquer de non moins périlleuses ruptures de stock, alors que la fermeture des frontières rend les importations problématiques. Moussa Seydi alerte ainsi ses concitoyens contre la vitesse de propagation du virus : « Nous avons un patient qui a contaminé 25 personnes », a-t-il expliqué à RFI. Face aux difficultés de faire appliquer un confinement intégral et compte tenu des réalités du mode de vie africain, le docteur Seydi estime que la généralisation du port du masque constituerait « la solution la plus simple » pour freiner les contaminations. Et qu’il faut tenir compte de la capacité d’innovation du Sénégal et d’autres pays africains, où la culture épidémique a permis de former de nombreux médecins ainsi qu’une pratique de la recherche, malgré la faiblesse des infrastructures. ■

Dès le 19 mars, il a décidé d’expérimenter l’antipaludique sur une centaine de malades du Covid-19, avec leur consentement.

John Nkengasong Le chef d’équipe Africa CDC, Addis-Abeba (Éthiopie)

« IL FAUT SE PRÉPARER AU PIRE et espérer le meilleur », estime le directeur de l’Africa CDC (Centre de contrôle et de prévention des maladies). Cette nouvelle agence de l’Union africaine a été créée en 2016 sous l’impulsion des chefs d’État du continent, afin de pallier les lacunes constatées lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, et notamment le manque de partenariats internationaux. Elle a pour modèle les CDC, qui forment la toute-puissante agence fédérale américaine en matière de protection de la santé publique, dont le quartier général se situe à Atlanta. « L’une des leçons majeures apprises lors de l’épidémie d’Ebola est que les maladies sont une menace globale pour l’Afrique : sanitaire, économique et sécuritaire », expliquait John Nkengasong lors de sa nomination fin 2016. Diplômé et formé à Bruxelles et Anvers, en Belgique, ce virologue camerounais respecté, expert en VIH et en tuberculose, a travaillé pendant vingt ans pour le centre américain et a notamment dirigé le laboratoire d’Abidjan. L’Africa CDC connaît son baptême du feu avec le Covid-19. L’agence a son siège à Addis-Abeba et dispose de bureaux régionaux au Gabon, au Nigeria, au Kenya, en Zambie et en Égypte. Dans cette crise, répète le docteur Nkengasong, l’Afrique doit « compter sur ses partenaires… et surtout sur les propres moyens de chacun de ses pays ». ■

Serge Paul Eholié Le premier de cordée Centre hospitalier universitaire de Treichville, Abidjan (Côte d’Ivoire)

LE PROFESSEUR Serge Paul Eholié est chef du service des maladies infectieuses et tropicales au centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville, à Abidjan. Début février, avant même que le premier cas ne soit confirmé sur le continent, il participait à une étude internationale afin d’évaluer les risques que fait peser le nouveau coronavirus sur chaque pays africain. Publié le 19 février dans la prestigieuse revue scientifique britannique The Lancet, ce travail de recherche croise plusieurs données, comme les flux de voyageurs internationaux et les capacités d’accueil des systèmes de santé nationaux. Désormais, avec ses équipes du CHU de Treichville, le docteur Eholié traite les premiers cas sévères de Covid-19 que rencontre la Côte d’Ivoire. Président de la Société africaine de pathologie infectieuse, il échange régulièrement avec ses collègues ouest-africains : « Le Covid nous apprend l’humilité à tous », a-t-il confié au journal télévisé ivoirien. Il plaide pour le respect de la distanciation sociale, « la clé » à ses yeux si l’on veut limiter la propagation de l’épidémie : « Chacun se doit d’être le protecteur de l’autre », résume-t-il. ■

Francis Akindès Le sociologue du confinement

Université Alassane Ouattara, Bouaké (Côte d’Ivoire)

CE SOCIOLOGUE A ÉTÉ LE PREMIER à pointer du doigt la difficulté de faire appliquer le confinement en Afrique pour lutter contre la propagation du Covid-19. Les réalités qu’affrontent les classes populaires au quotidien sont-elles compatibles avec les réalités sociales du continent ? Des habitations sommaires, des quartiers à la très forte densité ; la prédominance de l’emploi informel ; l’absence d’épargne, qui oblige à gagner sa vie au jour le jour ; la promiscuité dans les transports en commun (taxis, microbus, mototaxis) ; et une culture communautaire, où prédominent la solidarité et la sociabilité, où l’on ne s’épanouit véritablement qu’avec les autres, sociologiquement loin de l’individualisme occidental. « Le confinement est la seule solution, mais il risque de déboucher sur des émeutes », alertait le professeur ivoirien au micro de RFI le 22 mars dernier. « Il va y avoir une perception de classe du confinement, qui va aussi alimenter une haine antipolitique », pronostiquait-il en outre le 1 er avril dans Jeune Afrique. En Afrique du Sud, un confinement extrêmement strict, imposé à la matraque, est en vigueur depuis le 27 mars. Jusqu’ici, la propagation de l’épidémie y demeure bien moins sévère qu’attendue. La plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale tentent des formules de confinement « souples », alliées à des périodes de couvre-feu et d’isolation des grands centres urbains vis-à-vis des provinces. ■

Jean-Jacques Muyembe Tamfum Le chasseur de virus Institut national de recherche biomédicale, Kinshasa (République démocratique du Congo)

C’EST PROBABLEMENT l’un des meilleurs spécialistes d’Afrique. L’homme que le président congolais Félix Tshisekedi a désigné comme coordinateur de la riposte contre le Covid-19 est surnommé « le chasseur d’Ebola ». Le docteur Jean-Jacques Muyembe Tamfum a en effet codécouvert (avec le Belge Peter Piot) ce virus, responsable de la fièvre hémorragique qui se répandait aux abords de la rivière Ebola, en 1976. Depuis, ce virologue né en 1942 n’a eu de cesse de le traquer. Directeur de l’Institut national de recherche biomédicale, à Kinshasa, il a combattu l’épidémie à Kikwit en 1995, puis dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri en 2018. Il a également mis au point avec des chercheurs américains un médicament qui semble efficace, le mAb114, et pilote le déploiement de deux vaccins expérimentaux, dont ont pu bénéficier 320 000 personnes. Juste avant d’être nommé à la tête de la lutte contre le Covid-19 en RDC, il confiait au journal Le Monde : « Honnêtement, on n’est pas prêts. » Car si la population de l’est du pays a été confrontée à Ebola et en a assimilé « le coût en vies humaines et le coût économique », il « semble bien loin » à l’ouest et à Kinshasa. Face à cette nouvelle maladie, « il faut tout refaire, et vite », pour sensibiliser la population aux gestes limitant la contagion. Le 3 avril, le « chasseur de virus » a cependant choqué ses compatriotes en annonçant, aux côtés de l’ambassadeur américain en RDC, que son pays était « candidat pour tester un vaccin expérimental » contre le Covid-19. Devant la vive polémique naissante – les Congolais refusant d’être des «cobayes» –, le virologue a finalement dû préciser qu’un vaccin devrait être testé au préalable dans d’autres pays, avec l’aval de l’OMS. ■

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