SPÉCIAL L’AFRIQUE AU FRONT
À la barre, face à la pandémie Médecins, spécialistes, et même sociologue, ils sont, avec d’autres, à l’avant-garde de la lutte. Ils illustrent, chacun à leur manière, l’engagement de l’Afrique dans cette bataille contre le virus. par Cédric Gouverneur
Moussa Seydi Le praticien de la chloroquine
Centre hospitalier national universitaire de Fann, Dakar (Sénégal) QUOI QUE L’AVENIR NOUS RÉSERVE, le docteur sénégalais Moussa Seydi restera dans l’histoire comme le premier médecin du continent à utiliser la chloroquine contre le nouveau coronavirus. Chef du service des maladies infectieuses et tropicales au Centre hospitalier national universitaire de Fann à Dakar, ce médecin né en 1964 est un vétéran de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en 2014. Dès le 19 mars, il a décidé d’expérimenter l’antipaludique sur une centaine de malades du Covid-19, avec leur consentement. Le médicament, utilisé pendant des décennies sur le continent pour prévenir et traiter le paludisme – avant que le parasite ne finisse par lui résister, dans les années 2000 –, connaît en effet une nouvelle jeunesse depuis que l’infectiologue français Didier Raoult a vanté son efficacité supposée contre le nouveau coronavirus. Moussa Seydi assume passer outre les mises en garde de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – pour laquelle ce traitement n’a pas encore fait ses preuves contre le Covid-19 – et les critiques émises par les scientifiques concernant la méthodologie du professeur Raoult : « Le rapport bénéfice-risque était en faveur du bénéfice », a-t-il justifié au micro de la station de radio RFI fin mars. « Parce que nous avons besoin de traiter les patients très vite, pour libérer des places et prendre en charge d’autres patients… Je prends mes responsabilités en tant que médecin. C’est scientifique, mais ce n’est pas de la recherche. » En effet, il n’y a pas de groupe témoin auquel serait administré un placebo (ce qui permettrait de démontrer que les patients sans l’apport du médicament testé ne se seraient 62
pas rétablis d’eux-mêmes). « Quand nous avons commencé le traitement, nous avons constaté que la charge virale diminuait rapidement », avait ajouté le professeur Seydi. Il précise utiliser de l’hydroxychloroquine, une molécule dérivée de la chloroquine, apparemment supportée sans effets secondaires par les malades. Comme le font de nombreux autres praticiens, le médecin envisage d’y associer un antibiotique. Il dément par ailleurs toute proximité avec le docteur Raoult : il ne l’a jamais rencontré et ignorait même que ce dernier était né à Dakar. Moussa Seydi précise néanmoins que, selon ses constatations, l’efficacité de la chloroquine n’est valable que pour les patients n’ayant pas atteint un stade avancé de la maladie : « La molécule a une utilité pour empêcher les cas de s’aggraver. » Il explique en outre les réticences occidentales envers ce traitement par la méconnaissance du produit : « Ici, au Sénégal, et plus généralement sur le continent africain, tout le monde a mangé de la chloroquine », a-t-il répondu à l’hebdomadaire français Marianne le 17 avril. Les Occidentaux la « connaissent moins et se posent donc plus de questions ». Sur le continent, la molécule est victime de son succès : depuis l’épidémie de Covid-19, on se rue en effet dessus. Au risque de périlleuses automédications. Et au risque également de provoquer de non moins périlleuses ruptures de stock, alors que la fermeture des frontières rend les importations problématiques. Moussa Seydi alerte ainsi ses concitoyens contre la vitesse de propagation du virus : « Nous avons un patient qui a contaminé 25 personnes », a-t-il expliqué à RFI. Face aux difficultés de faire appliquer un confinement intégral et compte tenu des réalités du mode de vie africain, le docteur Seydi estime que la généralisation du port du masque constituerait « la solution la plus simple » pour freiner les contaminations. Et qu’il faut tenir compte de la capacité d’innovation du Sénégal et d’autres pays africains, où la culture épidémique a permis de former de nombreux médecins ainsi qu’une pratique de la recherche, malgré la faiblesse des infrastructures. ■ AFRIQUE MAGAZINE
I
404 – MAI 2020