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Mémoire de fin de formation à la Haute Qualité Environnementale

LE CYCLE DU CARBONE UNE CLE POUR L’ENVIRONNEMENT

Jérôme Renaudat Ecole d’Architecture de Lyon . Janvier 2005


INTRODUCTION Au cours de cette année de formation à la Haute Qualité Environnementale, nous avons été fortement sensibilisés à l’importance que représente le secteur du bâtiment, depuis la phase de conception jusqu‘au stade final de démolition, dans la quantification des impacts de l’homme sur son environnement. Les intervenants de cette formation nous ont quasiment tous, en guise d’introduction, rappelé brièvement les informations relatives aux changements climatiques globaux en cours et à venir, dont l’humanité semble être et se rendra responsable. Dans l’approche de nos intervenants, cette thèse du réchauffement climatique anthropique constitue la pierre d’angle de notre discipline, l’axiome de nos démonstrations. Si, dans ce microcosme de la Qualité Environnementale, nous sommes tous convaincus de la véracité de cette thèse, qu’en savons nous réellement ? Nous cherchons à œuvrer pour un « monde meilleur », mais que connaissons nous précisément des mécanismes susceptibles de nous projeter dans le pire ? C’est précisément sur les raisons qui sous tendent les actions à mener que s’est portée la curiosité de l’auteur de ce mémoire. En abordant de manière assez néophyte le sujet assez vaste des changements climatiques un élément récurrent s’est toutefois présenté et qui constitue désormais l’axe par lequel l’exposé se déroule. Le cycle du carbone. Le carbone comme on le verra par la suite est un élément qui se retrouve sur toute la surface du globe sous maintes formes vivantes et minérales et qui possède la propriété de migrer de l’un à l’autre. Il est à la fois le matériau de base de la constitution des êtres vivants et l’élément qui, dissout dans l’atmosphère, lui apporte la chaleur de l’effet de serre nécessaire à son développement. Mais le carbone c’est aussi les énergies fossiles pour lesquelles l’Homme moderne développe une réelle addiction. Consommé puis rejeté dans l’atmosphère le carbone devient alors une menace. Ce travail est la recherche menée par un architecte qui souhaite exercer sa profession avec les connaissances minimales mais nécessaires des mécanismes qui régissent le fonctionnement de notre planète à laquelle la démarche environnementale étend la responsabilité de chaque projet. C’est un jalon de sa culture personnelle d’architecte environnementaliste. Nous souhaitons que le lecteur y trouve au moins quelques informations pouvant étayer sa propre culture. Au cours de cet exposé et après de brefs rappels sur l’effet de serre et sur les variations naturelles du climat nous aborderons plus en détail la dynamique propre du carbone. Nous évoquerons successivement sa répartition, les forces qui le meuvent et le dynamisme global de son cycle.

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I – NOTIONS FONDAMENTALES 1 - L’effet de serre. L’effet de serre est un phénomène atmosphérique duquel dépend la température globale de notre planète, la portant à une moyenne de 15°C ce qui est tout à fait vivable. En « planétologie comparée », la Lune, ne comportant aucune atmosphère possède une température moyenne de -18°C tandis que Vénus, dont la lourde atmosphère est chargée de vapeur d’eau et de dioxyde de carbone (95%), « bout » à plus de 400°C (beaucoup plus chaude que Mercure, plus proche du Soleil mais ne possédant pas d’atmosphère). La Terre est essentiellement chauffée par le Soleil (la chaleur provenant du centre de la Terre ne contribue qu’à hauteur de 0,1 pour mille du total). 30% du rayonnement incident se trouve directement réfléchie par les nuages, les poussières de l’air (aérosols), la surface terrestre et surtout, les calottes glaciaires. Le reste, soit plus des deux tiers du rayonnement incident est absorbé par diverses strates de notre planète (sols, océans, atmosphère) puis transformé en chaleur. Ainsi chauffée, la surface de la Terre émet des infrarouges. Les gaz à effet de serre (GES) interceptent 90% du rayonnement terrestre, seule une petite partie s’échappant directement vers l’espace. L’énergie interceptée va chauffer l’atmosphère, laquelle va rayonner des infrarouges dont une large partie retourne au sol. La surface terrestre se trouve donc deux fois chauffée, une première directement par le rayonnement solaire, une deuxième par le rayonnement atmosphérique induit. C’est dans ce cadre protecteur que la vie prend place.

Figure 1 : Fonctionnement schématique de l’effet de serre (source : Adolphe Nicolas, 2050 Rendez- vous à risques, Belin, 2004)

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Les gaz intervenant dans l’effet de serre sont multiples. Se sont des gaz « suffisamment gros » - possédant une structure moléculaire de plus de deux atomes – pour arrêter le rayonnement infrarouge émit par la surface de la Terre. Les différents gaz à effet de serre ainsi que leurs contributions à l’effet de serre global sont listés ci-dessous, ce sont des gaz présents naturellement dans l’atmosphère.

Figure 2 : Importances relatives des différents gaz de l’atmosphère dans l’effet de serre (source : l’avenir climatique, Jean Marc Jancovici, Seuil, 2002).

Par opposition aux gaz précédents que l’on peut qualifier de naturels car présents dans la nature en dehors des actions de l’homme, il existe une famille de gaz dont les émissions sont exclusivement du fait de l’homme, les halocarbures. Ce sont des hydrocarbures dont, par procédés chimiques et pour satisfaire moult besoins industriels, on a substitué les atomes d’hydrogène par des atomes de gaz halogènes (Chlore, Fluor, Iode, Brome). Les composés chimiques résultants, une fois rejetés dans l’atmosphère montrent un pouvoir d’effet de serre bien supérieur à celui du CO2 (à masse de carbone égale) en intensité et en durée. Les halocarbures ont une grande stabilité chimique, il n’interfèrent pas ou peu avec les autres composés de l’atmosphère où ils peuvent résider pendant plusieurs millénaires. En 20 ans la proportion de ces gaz a été multipliée d’un facteur allant de 5 à 20. Avec une masse totale rejetée dans l’atmosphère pourtant minime, les halocarbures jouent un rôle non négligeable dans l’effet de serre.

Figure 3 : émissions anthropiques de GES. (source : l’avenir climatique, Jean Marc Jancovici, Seuil, 2002).

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2 – Archives glaciaires L’effet de serre est donc un phénomène dont le dynamisme est tributaire des concentrations des gaz présentés ci-dessus. Exception faite des halocarbures dont l’existence est très récente, l’étude des concentrations de ces gaz dans le passé, nous montre que le phénomène n’est pas stable dans le temps, que l’effet de serre et donc le climat sont des « grandeurs » variables. C’est, entre autres, grâce à la glaciologie que nous sommes à présent en mesure de simuler précisément le climat terrestre global du passé. La calotte glaciaire antarctique, épaisse par endroit de plus de 3500m se constitue par accumulation progressive de neige qui sous l’action de la pression augmentant avec la profondeur se transforme en glace, emprisonnant du fait l’air du temps. En effectuant des carottages de plus en plus profonds on peut ainsi remonter le temps et déterminer avec une grande précision les concentrations de gaz présents dans l’atmosphère jusqu’à -500 000 ans ainsi que la température moyenne qui y régnait (sans entrer trop dans le détail, grâce à un isotope lourd de l’oxygène ; le O18 dont le taux de présence dans les molécules d’eau est fonction de la chaleur lors des réactions d’évaporation et de condensation).

Figure 4 : évolution comparée sur les derniers 400 000 ans -de la concentration de CO2 (dioxyde de carbone) en ppmv -de la concentration de CH4 (méthane) en ppbv -de la température moyenne de l’air (en °C de différence par rapport à maintenant) Les concentrations s’expriment en ppmv et ppbv, c’est à dire en particules par million et particules par milliard en volume. (source : GIEC 2001)

Le premier constat qui s’impose, c’est la nature très fluctuante de la température moyenne sur Terre au cours des 400 derniers millénaires. En second lieu on note que les concentrations de dioxyde de carbone et de méthane d’une part et la température moyenne de la planète de l’autre sont fortement corrélées. Mais le plus saisissant est sans doute le

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rythme qui se dégage à la lecture de ce document. On y perçoit très nettement un rythme principal d’une période de 100 000 ans. Une explication de cette variation consiste à lui superposer les cycles astronomiques, dits de Milankovitch du nom du météorologue serbe qui mit en corrélation les variations du climat et celles de la configuration astronomique de notre planète. Les variations d’excentricité. L’orbite de notre planète autour du Soleil décrit une ellipse, plus ou moins allongée selon les époques (l’excentricité varie). Sans être parfaitement cyclique, cette variation a une période de l’ordre de 100 000 ans. Plus l’orbite est excentrique et plus le temps mis à parcourir la partie éloignée du soleil est proportionnellement important, avec pour conséquence une insolation annuelle moyenne qui diminue. Les variations d’inclinaison L’inclinaison de l’axe des pôles par rapport au plan de l’orbite terrestre (l’obliquité) varie au cours du temps, selon un cycle de 40 000 ans environ, entre 22° et 25°. Une obliquité importante engendre des saisons plus contrastées pour les pôles et les moyennes latitudes. Précession des équinoxes Au cours du temps, la droite reliant les pôles décrit un cône dont l’axe est perpendiculaire au plan de l’orbite, avec une périodicité de 26 000 ans. Ce mouvement, qualifié de précession des équinoxes, intervertit, tous les 13 000 ans l’hémisphère que la Terre présente au Soleil lorsqu’elle en est le plus proche. Les deux hémisphères étant dissymétriques par leur distribution de surfaces émergées cela influe sur la répartition régionale et saisonnière de l’insolation.

En superposant les différents rythmes de ces cycles on observe une variation de l’insolation moyenne qui correspond relativement bien aux analyses des glaces de l’antarctique. Ce constat implique que les variations du climat peuvent trouver leur origine dans des facteurs extra-terrestres. A la lumière de ces explications il apparaît que l’insolation et donc la température moyenne à la surface de la planète influe sur les concentrations des deux GES. La paléontoclimatologie nous montre que le climat n’est pas une donnée stable, elle est soumise à d’importantes variations dans le temps qui peuvent prendre leur source dans de légères modifications astronomiques. Non seulement le climat est une donnée mouvante mais aussi très sensible aux stimulations. Le constat est simple mais les mécanismes mis en œuvre pour le satisfaire le sont un peu moins. C’est ce nous nous proposons de découvrir à présent dans l’approche d’un phénomène global et indissociable de tout changement climatique à l’échelle de la planète.

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II – LE CYCLE DU CARBONE

La mécanique globale du cycle du carbone n’est pas très éloignée de celle d’une plomberie élaborée, à base de baignoires, de pompes, de robinet et de bondes de fond. Le cycle du carbone est un processus dynamique fermé dans lequel le carbone est transféré par des forces identifiables entre des réservoirs distincts selon des flux mesurables, le bilan global des échanges entre les réservoirs étant nul. Avant d’aborder le dynamisme proprement dit du cycle, soit les forces qui l’animent, nous allons faire un rapide tour d’horizon de la répartition du carbone sur cette planète, ce qui nous permettra d’en définir les principaux réservoirs.

1 – les réservoirs L’élément carbone représente environ 0,8% de l’écorce terrestre. Il se présente naturellement sous deux formes, cristalline (pure) et moléculaire. La forme cristalline, le graphite et le diamant, existe en quantité infinitésimale au regard de la forme moléculaire, elle est par conséquent négligeable pour ce qui suit. Le carbone se retrouve dans l’ensemble de notre environnement dans l’atmosphère, sur terre, sous terre et dans les océans, sous forme minérale ou organique (vivante et morte). On distingue ainsi les grands réservoirs de carbone suivants :

11 - L’atmosphère Le carbone de l’atmosphère est représenté majoritairement par le dioxyde de carbone CO2 dont la concentration actuelle atteint les 360 ppmv (parties par million en volume). On le trouve ensuite sous forme de méthane CH4, à 0,8 ppmv et de monoxyde de carbone CO. On relève aussi des traces d’hydrocarbures et de gaz halogènes. La masse totale s’exprime en Pg (pétagrammes = 10E15g) ou en Gt (gigatonnes = 10 E9t) 1Pg = 1Gt c'est-à-dire en milliard de tonnes. Le carbone de l’atmosphère à une masse évaluée à 750 Gt. Les indications de masses correspondent à la masse de l’élément carbone de chaque composé. Par exemple le CO2 pèse un carbone plus deux oxygènes soit en masses atomiques 12+2x16 c'est-à-dire que 1kg de CO2 équivaut à 12/44 (masse de carbone sur masse totale)=0.27Kg de carbone. Il en va de même pour tous les autres composés carbonés.

12 – La biosphère Le carbone est en représentation pondérale le deuxième plus important matériau constitutif des êtres vivants après l’oxygène. Parce que pour subsister, la vie doit mourir et se nourrir d’elle-même, on pressent dès maintenant le dynamisme particulier du carbone dans ce réservoir. La surface de la terre est le domaine de prédilection de la vie qui la recouvre entièrement. Même dans les régions les plus désertiques on rencontre encore statistiquement quelques

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microgrammes de carbone organique au mètre carré. La masse de l’ensemble des êtres vivants rencontrés sur les terres émergées constitue la biomasse terrestre. On distingue conventionnellement les biomasses végétales et animales, vivantes et mortes. On opère également dans les calculs de biomasses une distinction entre les divers écosystèmes terrestres, en fonction de leur dynamique propre. La vie terrestre, globalement proliférante, produit une grande masse de débris organiques qu’elle stocke, le temps de la décomposition, dans le sol. On constate que cette biomasse morte souterraine de 1500Gtc est de loin plus importante que la biomasse aérienne (600800Gtc). Dans la partie océanique de la biosphère, la biomasse océanique se répartit principalement dans deux compartiments distincts. Les eaux de surface accessible à l’énergie solaire ou couche euphotique accueillent logiquement les organismes réalisant la photosynthèse le phytoplancton et ceux qui les consomment, le zooplancton (on néglige les espèces nageuses qui ne représentent qu’une biomasse infime) Sur le plancher océanique, près des côtes ou dans les abysses se développent les organismes du benthiques, phytobenthos et zoobenthos, organismes dont l’existence est liée aux sols marins (algues pédonculées, coquillages...). La biomasse totale des organismes marins est estimée à 6,7 Gtc.

milieu terrestre végétaux animaux hommes bactéries champignons litière humus Carbone organique du sol (autres) milieu océanique Phytoplancton Phytobenthos Zooplancton Zoobenthos

600 à 800 1à2 0,03 2 1 60 160 1500 3 0,3 1,7 1,7

Tableau. 5 : tableau récapitulatif des différents biomasses en milieu terrestre et marin Les masses sont exprimées en Gtc (source : le cycle du carbone, Henri Jupin, hachette, 1996).

13 – L’hydrosphère Le carbone océanique, majoritairement minéral, est le résultat de la dissolution du CO2 atmosphérique dans les eaux de surface, brassées plus profondément par les courants marins. On retrouve le carbone minéral sous trois formes : hydrogénocarbonates (HCO3-,

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89%), carbonates (CO3--, 10%) et dioxyde de carbone dissout (CO2, 1%). Au final, le réservoir de carbone ainsi constitué représente une masse d’un peu plus de 50 fois celle du réservoir atmosphérique avec 39 000 Gtc.

14 – La lithosphère Le carbone contenu dans la lithosphère, qu’il soit minéral ou organique est d’origine sédimentaire, c'est-à-dire le résultat d’une accumulation patiente sur des millions d’années. Le carbone minéral provient de la sédimentation au fond des océans durant des millions d’années du calcaire (CaCO3 - inorganique) contenu dans les débris d’animaux marins et constitue le plus gros réservoirs de carbone de notre planète puisqu’il avoisine les 50 000 000 Gt soit plus de 1200 fois le carbone contenu dans les océans. La part organique du carbone lithosphérique se présente comme le résultat de l’accumulation de matière organique dans les roches sédimentaires. On en distingue trois sortes : le charbon, les hydrocarbures (bitumes, huiles, gaz naturel) et les hydrates de méthane (clathrates). Ils représentent un stock estimé à 13 000 Gtc.

2 – Les forces motrices du carbone. Nous venons de déterminer les principaux réservoirs dans lesquels le carbone de notre planète réside. Le carbone, outre le fait d’être stocké dans différents réservoirs, a la particularité de migrer de l’un à l’autre sous l’action de forces identifiables. Celles ci sont nombreuses et variés. Elles peuvent avoir une nature physique, chimique ou biologique, plus ou moins active, plus ou moins constante.

21 - Les Forces de la biosphère photosynthèse, minéralisations, fermentation Le Carbone est une brique essentielle de la vie, il en est aussi le carburant. Tous les organismes doivent pour exister et perdurer se le procurer. Ils ont dans ce but élaboré successivement deux stratégies : Le capter dans l’atmosphère ou bien le soustraire à ceux qui l’ont déjà incorporé. Se définissent ainsi les deux grands mécanismes de circulation du carbone à partir de la biosphère, photosynthèse et minéralisations qui constituent un couple de forces complémentaires du cycle du carbone.

La photosynthèse Les organismes autotrophes phototrophes fixent le carbone minéral de l’atmosphère sous forme organique en utilisant le rayonnement solaire. C’est la réaction biologique de photosynthèse. énergie lumineuse + CO2 + H2O > CH2O + O2 dioxyde de carbone + eau > hydrate de carbone + oxygène libre

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La photosynthèse, réaction biologique, est influencée par les complexités propres au vivant et pas uniquement par la disponibilité des trois réactifs essentiels : lumière, dioxyde de carbone et eau. On trouve à la surface de la Terre, continents et océans, sous de multiples formes une grande richesse d’organismes réalisant la photosynthèse avec une efficacité très variable. En règle générale, l’ordre de grandeur de l’efficacité maximale de la photosynthèse reste sous le 1 % de l’énergie solaire captée. On distingue chez les végétaux phototrophes deux catégories Les plantes en C3 et les Plantes en C4. L’appellation se réfère au nombre d’atomes de carbone de la première molécule créé dans la chaîne de la photosynthèse. La majorité des espèces végétales ont un métabolisme en C3. Les organismes en C4, moins nombreux (maïs, canne à sucre..) résultent d’une adaptation à une époque moins riche en CO2. Leur grande différence consiste dans leur mode d’incorporation du CO2 pour lequel les C3 sont beaucoup plus efficaces. Ainsi la productivité photosynthétique des C4 stagne à partir d’une concentration de 300 ppm alors que les C3 continuent d’augmenter leur productivité jusqu’à de fortes concentrations si, bien sûr, un autre facteur ne vient pas la limiter (stress hydrique, manque de potassium..) Sur terre comme en mer, la photosynthèse réalise globalement un flux de carbone de 100 Gtc/an.

Les minéralisations A partir de la matière synthétisée par les autotrophes subsistent tous les organismes du vivant. Dans les diverses chaînes alimentaires, depuis les végétaux autotrophes qui comme leur nom l’indique se « nourrissent » d’eux même, jusqu’aux prédateurs supérieurs et aux décomposeurs ultimes de la matière organique, tous dégradent du carbone organique pour en tirer énergie et substances. Les réactions mises en jeu aboutissent, partiellement ou totalement, à la minéralisation du carbone, sous forme de CO2. On distingue : L’oxydation biologique La respiration a lieu pour tous les organismes vivants pour lesquels l’oxygène gazeux est vital. Par ce processus ces organismes aérobies produisent l’énergie chimique nécessaire à leur métabolisme en oxydant des sucres composés carbonés simples provenant de la photosynthèse pour les phototrophes et de la digestion pour les hétérotrophes. Cette réaction de libère de l’énergie sous forme chimique, de la vapeur d’eau et du CO2. La respiration est donc une réaction qui fait passer le carbone du monde organique au monde minéral. CH2O + O2 > CO2 + H2O + énergie chimique hydrates de carbone + oxygène > dioxyde de carbone + eau + énergie chimique La respiration représente un flux du carbone minéral atmosphérique au carbone organique de la biosphère qui représente globalement la moitié du flux de carbone réalisé par la photosynthèse, soit environ 50 Gtc/an.

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L’autre voie de minéralisation biologique du carbone organique est la décomposition qu’opèrent les microorganismes sur la matière organique morte déposée au sol, terrestre ou océanique. Le processus de dégradation consiste en partie à produire des réactions d’oxydations biologiques successives du carbone organique en le transformant en molécules de plus en plus simples. A chaque phase les molécules dégradées perdent une partie de leur masse de carbone sous forme de CO2 avec production d’énergie. Les réactions de décomposition de la matière organique contribuent au passage du carbone de la biomasse à l’atmosphère selon un flux de 49 Gtc/an. Comme nous le verrons un peu plus loin, certaines substances organiques sont dites réfractaires, elles ne peuvent être minéralisées par oxydation biologique. Dans certaines conditions elles peuvent s’accumuler durablement. A moins qu’une réaction d’oxydation chimique ne les consume. L’oxydation chimique : la combustion On sort un peu ici du domaine de l’action du vivant, tant il est vrai que la vie ne flambe pas spontanément. Cependant la combustion est une voie de minéralisation du carbone organique et rentre donc dans notre domaine d’étude. C’est une réaction très simple qui aboutit très rapidement aux résultats de la respiration : vapeur d’eau et CO 2 mais avec une énergie plus intense et qui se manifeste directement sous forme de chaleur. Elle peut s’entretenir seul mais nécessite, avec la concentration d’oxygène de l’atmosphère actuelle une assez forte énergie d’activation. Elle ne connaît par ailleurs pas de substance carbonée organique réfractaire, l’obtention de la réaction ne dépendant finalement que de l’énergie initiale injectée. On ne dévoilera guère le suspens de cet exposé en affirmant que cette voie de minéralisation du carbone organique constitue aujourd’hui une inquiétude grandissante pour la durabilité du sort de l’humanité sur cette planète.

La fermentation La vie est aussi capable de se développer en absence d’oxygène. Les réactions d’oxydation sont impossible dans ces milieux dits anoxiques. La vie a trouvé un autre moyen de dégrader la matière organique pour en tirer l’énergie : la fermentation. Cette réaction est un processus très actif dans les zones « humides ». D’une manière générale les eaux stagnantes, par l’absence de brassage qui les caractérise, se révèlent très accueillantes pour les bactéries anaérobies qui tirent leur énergie des réactions de fermentation. Dans le cadre de cet exposé nous laissons de coté la multitude des fermentations pour nous intéresser spécifiquement à la fermentation méthanogène dont le résultat influence le cycle du carbone en général et l’effet de serre en particulier. Réaction de fermentation par réduction de composés organiques : 2H+ + 2CH2O > CO2 + CH4 + énergie ion hydrogène + hydrates de carbone > dioxyde de carbone + méthane + énergie Globalement les réactions de fermentation représentent un flux de 1 Gtc/an qui vient équilibrer, en addition aux flux réalisés par les oxydations biologiques du carbone, celui de la photosynthèse.

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La fermentation méthanogène à l’origine des gisements de Clathrates Les fermentations s’opèrent visiblement en milieu terrestre et conduisent à un dégazage de méthane dans l’atmosphère. On a récemment découvert que dans les milieux plus opaques à notre perception de certaines zones sédimentaires océaniques et continentales, une grande activité de fermentation méthanogène semble se dérouler. Elle se manifeste indirectement par la présence dans ces zones d’un composé hybride glace d’eau/méthane ou hydrate de méthane appelé clathrates et que l’on retrouve dans des quantités surprenantes. Les sédiments du talus océanique constituent dans les premiers centimètres d’accumulation un milieu anoxique favorable à la fermentation des matières organiques qu’ils contiennent par des microorganismes benthiques. Dans les conditions de hautes pressions caractéristiques de ces zones, l’eau est capable de se transformer en glace à des températures légèrement supérieures à 0°C. Le méthane produit par fermentation au sein de ces roches en formation s’associe aux molécules d’eau pour former un solide ressemblant à de la glace d’eau. La structure cristalline de ce solide est constituée par des cages de molécules d’eau accueillant des molécules de méthane. Par cette configuration, un mètre cube de clathrates (solide) contient près de 170 m3 de méthane (gazeux).

Figure 6 : structure moléculaire d’un hydrate de méthane. Le méthane CH4 est emprisonné dans un réseau de molécules d’eau H2O.

Les sondages des talus océaniques effectués à la recherche de pétrole ont permit de dresser une carte des gisements reconnus de clathrates et d’aboutir à l’estimation de leur abondance qui est considérable. Le méthane des clathrates constituerait ainsi plus de la moitié du carbone organique contenu dans les réservoirs de la planète, soit le double des réserves en charbon, gaz et pétroles réunis. Les gisements océaniques sont les plus importants toutefois on trouve aussi ces hydrates de méthane dans le permafrost de la toundra arctique. Les conditions de températures et de pression y sont différentes mais

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conduisent néanmoins à leur accumulation. Nous verrons que l’existence d’une telle quantité de méthane n’est pas neutre dans la perspective d’un modification climatique globale. Les réactions de photosynthèse d’une part et de minéralisations du carbone organique de l’autre, forment un couple de forces opposées et complémentaire qui activent le cycle du carbone et l’équilibrent, et ce partout où la vie prospère. Voyons comment ce phénomène se décline selon les deux grands domaines de la vie que sont les terres émergées et les océans.

Le cycle du carbone organique en milieu terrestre Comme nous l’avons déjà vu dans la définition des réservoirs de carbone organique la biomasse animale est relativement négligeable. Cependant elle joue un rôle déterminant dans la dynamique du cycle. C’est par son activité de consommation des végétaux que le cycle reste à un équilibre relatif.

Figure 7 : schéma du cycle du carbone dans un écosystème forestier (source : le cycle du carbone, Henri Jupin, hachette, 1996)

La photosynthèse incorpore le carbone en une phytomasse généralement représentée par la partie aérienne des végétaux et leurs racines, c’est la partie vivante de la biomasse. Au sol on retrouve l’humus formé des débris organiques d’origines végétale et animale que les microorganismes s’affairent à décomposer, L’humus est globalement considéré comme une biomasse morte bien qu’étant le lieu d’un intense activité animale microscopique. Les végétaux sont constitués de matériaux cellulaires de structures très différenciées mais que l’on peut regrouper en lipides, glucides et protéines, constitutifs du contenu et de l’enveloppe des cellules végétales. A chaque type de molécule végétale correspondent un ou plusieurs microorganismes adaptés à sa décomposition (principalement enzymes, bactéries et champignons). Cependant, en bout de chaîne existent des molécules finales ou substances réfractaires qu’aucun organisme n’est en mesure de décomposer.

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Progressivement ces substances s’accumulent définitivement dans le sous sol pour former un produit insoluble et complexe, le kérogène (nous aurons l’occasion d’en reparler). Comparé à la production primaire annuelle d’un écosystème le flux de carbone ainsi piégé peut paraître négligeable, cependant sur l’échelle des temps géologiques il est à l’origine l’impressionnante accumulation de carbone organique que constituent les sédiments de la lithosphère. La compréhension des enjeux relatifs au cycle global du carbone ne peut se satisfaire d’une approche globale sur la base des principes décrits ci-dessus. En effet les différents écosystèmes de la biosphère ont des comportements spécifiques qui modulent la théorie et en enrichissent la compréhension. Au niveau planétaire on définit les écosystèmes selon les grands types de végétation ou biomes.

Figure 8 : Les écosystèmes terrestres (source : le cycle du carbone, Henri Jupin, hachette, 1996)

Selon les biomes définis ci-dessus on définit les réservoirs aériens et souterrains de biomasses ainsi que les flux de carbone propres à chaque biome ou groupe de biomes aux comportements similaires. Le schéma ci-dessous donne un aperçu du cycle du carbone en milieu terrestre.

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Figure 9 : Schéma du cycle du carbone en milieu terrestre les stocks sont exprimés en Gtc, les flux en Gtc/an (source :le cycle du carbone, Henri Jupin, hachette, 1996)

Biomes Forêts tropicales Forêts tempérées Taïga Savanes tropicales Prairies tempérées Déserts et semi déserts Toundra Zones humides Terres de culture

Tonnes de carbone par hectare Végétation sols total 120,4 122,3 243,0 56,8 96,2 153,0 64,2 343,8 408,0 29,2 116,8 146,0 7,2 235,8 243,0 1,8 42,2 44,0 6,3 127,7 134,0 42,9 643,1 686,0 1,9 80,1 82,0

% dans le sol 50,5 62,9 84,3 80,0 97,0 96,0 95,3 93,8 97,7

Tableau 10 : Contenus en carbone des divers type de végétation (source : GIEC 2001)

Ces documents sont riches d’informations, ils permettent des constats saisissants. En premier lieu il apparaît que les forêts tropicales pourtant d’apparence denses et globalement bien représentées à la surface du globe cumulent une biomasse inférieure à celle des prairies. En effet les forêts tropicales dynamisées par un climat chaud et humide ont une activité photosynthétique permanente et intense. De plus la chaleur active la décomposition microbienne. Les matériaux tombés au sol sont ainsi très rapidement recyclés, ce qui ne laisse pas le temps à l’humus de s’accumuler. Les forêts tropicales ne sont donc pas exceptionnelles par leur biomasse mais plutôt par le recyclage qu’elles exercent dessus. Dans la continuité de cette observation et à l’opposé des forêts tropicales on découvre que les forêts de la taïga, des hautes latitudes nordiques, constituent une biomasse totale très

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élevée due aux importants stockages réalisés en sous-sol. Cette accumulation s’explique par un climat froid qui ralentit, et peut même arrêter la décomposition microbienne. On y voit ensuite que la production totale de la photosynthèse de tous les biomes cumulés représente un flux de carbone correspondant à presque 20% du stock de carbone atmosphérique. Ce qui veut dire que la biomasse seule est théoriquement capable de renouveler complètement le carbone de l’atmosphère en moins de 6 ans.

Le cycle du carbone organique en milieu aquatique. Dans l’exposé suivant forcément réducteur dans le cadre d’une approche globale du cycle du carbone nous réduisons le champ d’étude du milieu aquatique à sa dimension océanique, les écosystèmes lacustres et fluviaux pouvant être négligés vu les quantités relatives d’échanges et de stocks de carbone qu’ils représentent. Nous ne minimisons toutefois pas leurs fonctions. Le fonctionnement biologique des océans se rapproche de celui de la biomasse terrestre par les processus de photosynthèse et de minéralisations qu’il met en jeu. La photosynthèse est réalisée dans la couche superficielle où l’énergie lumineuse accède, la couche euphotique. Cette strate, milieu liquide soumis à un brassage physique important, constituent un milieu plus homogène que les terres émergées. On distingue toutefois globalement trois écosystèmes particuliers : la zone pélagique ou hautes mers, les estuaires, riches d’apports nutritifs injectés par les réseaux hydrographiques terrestres et enfin les zones de remontées d’eau froides riches en nutriments ou upwellings.

Figure 11 : concentration de chlorophylle des océans (mg/m3) (source : NASA-GSFC)

Les océans recouvrent environ 70% de la surface du globe et totalisent une biomasse photosynthétique de 3 Gtc. Les 30% restant de terres émergées accueillent quant à eux une biomasse végétale d’environ 700Gtc. L’océan est donc comparativement plutôt désertique.

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Cependant l’activité biologique y est extrêmement forte. Les 3 Gtc de biomasse de phytoplancton réalisent chaque année un flux de fixation de carbone minéral de 40 Gtc. C'est-à-dire que le phytoplancton renouvelle sa biomasse plus de 13 fois par an. Si l’on ramène à nouveau ces valeurs au cycle terrestre on voit que les forêts tropicales, écosystème recyclant le plus rapidement sa matière, ne drainent avec ses 300 Gtc de biomasse que 32 Gtc/an carbone. La biomasse océanique effectue donc un réel pompage de carbone atmosphérique. On explique la très forte productivité du phytoplancton par la relative simplicité de ces organismes qui n’ont pas besoin de développer des structures de maintien très énergétivore (fabrication des molécules de lignine des arbres, rigides et complexes) et qui ont un rapport biomasse/surface d’échange avec le milieu très performant. On peut toutefois s’interroger sur les raisons de la si faible concentration en biomasse des océans. Les études sur ce sujet montrent que l’activité du phytoplancton est principalement limitée par la pauvreté nutritionnelle de ce milieu. Les phosphates et nitrates, substances nécessaires à la vie se retrouvent en forte concentration dans les eaux des estuaires et les zones d’upwelling. C’est, comme on le voit sur le document précédent, là où l’activité photosynthétique est la plus forte. Le phytoplancton caractérisé par son métabolisme très dynamique, absorbe rapidement cet apport de nutriments, ne lui laissant pas le temps de se diffuser en haute mer. D’où la faiblesse relative de production photosynthétique dans cette partie des océans. Une spécificité de la biomasse océanique réside dans sa capacité de biominéralisation du carbone. Les êtres réalisant la synthèse de calcaire sont essentiellement, certaines espèces de phytoplancton et de zooplancton, des échinodermes (oursins et cousins), des coquillages et crustacés (on dirait une chanson), ainsi que des cnidaires (animaux des récifs coralliens). Ces organismes forment du carbonate de calcium en extrayant l’hydrogénocarbonate de l’eau pour en faire du calcaire CaCO3. Le calcaire est un matériau de construction important de la structure de ces organismes. Il a la propriété d’être insoluble et par conséquence inassimilable par les organismes en aval dans la chaîne alimentaire de l’écosystème océan. Le calcaire ainsi synthétisé par les organismes pélagiques (vivant en haute mer) et benthiques (vivant sur les fond marins) constitue un déchet minéral carboné dont l’importance dans le cycle global du carbone est déterminante.

22 - Les forces de la lithosphère Sédimentation et Volcanisme

Sédimentation La sédimentation correspond à l’entrée du carbone dans les réservoirs lithosphériques océanique et continental. Son flux est ténu (0,5 Gt/an) mais conduit au plus important stock connu (50 000 000 Gt). La sédimentation concerne trois types de carbone : inorganique, minéral et organique (le carbone inorganique est un carbone minéral issu d’un organisme) selon trois processus distincts.

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Sédimentation du carbone inorganique. Les écosystèmes pélagiques et benthiques, en intégrant des organismes capables de bominéraliser le carbone dans leur chaîne alimentaire, produisent de grandes quantités de calcaire. Le calcaire rejeté directement dans les eaux aura tendance à se dissoudre par réaction avec les hydrogénocarbonates. Dans certains mécanismes de la chaîne alimentaire, le calcaire est rejeté en combinaison avec d’autres substances organiques sous forme de pelotes fécales. Une membrane biologique protège alors le calcaire qui peut entreprendre son voyage vers les fonds marins sans crainte d’être dissout. La fraction organique de ce dépôt est remaniée par les organismes benthiques et réinjecté dans le cycle du carbone. Au final le calcaire se dépose progressivement et s’accumule jusqu’à se solidifier en roches selon un flux de 0,1 à 0,2 Gtc/an (processus de lithification). Comparativement à la production primaire des océans c’est seulement 3% du carbone fixé par photosynthèse qui s’incorpore à la lithosphère océanique. Cette dernière donnée sur la dynamique propre du carbone en milieu océanique nous permet d’en présenter le schéma complet.

Figure 12 : Schéma du cycle du carbone en milieu océanique les stocks sont exprimés en Gtc, les flux en Gtc/an (source : le cycle du carbone, Henri Jupin, hachette, 1996)

Sédimentation du carbone minéral. Une autre voie de sédimentation concerne le carbone minérale dissout dans les couches profonde de l’océan sous forme d’hydrogénocarbonates. Dans certaines conditions de pressions et de températures celui-ci est susceptible de se concentrer jusqu’à un seuil de précipitation. Le carbone particulaire ainsi formé tombe sur le sol océanique et s’intègre aux couches sédimentaires.

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Sédimentation du carbone organique La sédimentation de carbone organique consiste en l’incorporation de particules organiques de carbone (provenant des végétaux) sur les couches superficielles de la croûte terrestre et du plancher océanique. Elle conduit à la formation des principaux gisements d’énergies fossiles carbonées : le charbon et les hydrocarbures. Formation du charbon Le charbon s’est massivement formé il y a 300 millions d’années à une époque justement nommée carbonifère. C’est le temps de la conquête des terres émergées par les végétaux qui rapidement prolifèrent sans frein. Cette expansion est catalysée par l’adaptation au milieu terrestre des végétaux. Progressivement les algues se transforment en arbres. En s’adaptant à leurs nouveaux milieux les végétaux se diversifient, leurs structures évoluent, et innovent avec l’apparition de nouveaux matériaux cellulaires. Par exemple la lignine, bien plus rigide, permet aux végétaux le port dressé. Il semblerait que l’apparition de ces nouveaux tissus cellulaires n’est pas été immédiatement suivie de celle des organismes capables de les décomposer. Il s’en est suivi une gigantesque accumulation de carbone organique à la surface de la planète qui progressivement s’est incorporée aux strates sédimentaires sous forme de charbon.

Formation des hydrocarbures. Les hydrocarbures (bitumes, huiles, gaz) sont le résultat de l’accumulation de débris d’origine organique dans le milieu confiné anoxique (absence d’oxygène) que constituent les sédiments océaniques ou lacustres. Ils se sont massivement formés vers la période du crétacé supérieur (-80 millions d’années) lorsqu’un fort réchauffement climatique fit monter le niveau des océans qui recouvrirent une grande surface de terres. Le carbone des sols s’est alors progressivement recouvert de sédiments océaniques. Dans les couches superficielles sédimentaires, les dépôts organiques sont soumis à l’activité de microorganismes qui les transforment chimiquement en un composé solide, lourd et insoluble, le kérogène. A mesure que les couches supérieures de sédimentation s’accumulent, les couches inférieures s’enfoncent, se réchauffent et sont de plus en plus comprimées. Dans de telles conditions et en absence d’oxygène les lourdes molécules du kérogène intégrées à la roche mère se transforment par craquage physique ou pyrolyse en molécules plus légères. En poursuivant leur voyage vers les profondeurs ces molécules se scindent en de nouveaux composés de plus en plus légers et fluides. Ainsi se forment successivement, les bitumes, les huiles lourdes, les huiles légères et enfin le gaz naturel. A masse égale, les composés ainsi formés occupent de plus en plus de volume, ce qui par pression engendre des fissures dans la roche mère. Les hydrocarbures peuvent alors entamer leurs remonté vers les couches supérieures de la lithosphère, plus ou moins vite et loin selon leur viscosité et la porosité du matériau traversé. Sur leur chemin vers la surface, les hydrocarbures sont susceptibles de rencontrer des structures géologiques formant des pièges dans lesquels ils s’accumulent lentement et parfois dans des quantités gigantesques.

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Volcanisme Entre son incorporation aux roches et son exclusion au profit d’autres réservoirs, le carbone sédimentaire suit le mouvement que lui imprime la tectonique des plaques. En résumé, la tectonique des plaques est la théorie qui explique la dynamique de la croûte terrestre, comme le glissement des plaques lithosphériques sur un matériau plastique (l’asthénosphère) animé de forts mouvements de convection. Le mouvement relatif des plaques est lent, pas plus de quelques centimètres par an. C’est au niveau des limites géographiques des plaques que s’achève le périple du carbone sédimentaire dans les manifestations du volcanisme.

Figure 13 : Tectonique des plaques, schéma simplifié

Lorsqu’une plaque océanique se confronte à une plaque continentale (ou une plaque océanique plus épaisse) se produit alors généralement une subduction c’est-à-dire que la plaque océanique, plus fine, glisse en se courbant sous la plaque continentale. En plongeant elle rencontre les premières couches de roches en fusion du manteau terrestre, l’asthénosphère à 100 Km de profondeur. A son contact, les sédiments calcaires constitutifs de la plaque océanique vont commencer à fondre et créer une poche de magma. A ces hautes valeurs de pression et de températures les roches sédimentaires se transforment physiquement (fusion) et chimiquement. Le carbone et l’oxygène contenus dans ces roches s’associent pour former du dioxyde de carbone. La pression additionnelle due au dégazage de CO2 est à l’origine du volcanisme explosif que l’on observe par exemple sur la Ceinture de Feu du Pacifique.

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Figure 14 : Schéma de principe du volcanisme de subduction

Le carbone sédimentaire qui n’est pas réémis dans l’atmosphère par le volcanisme de subduction plonge profondément dans l’asthénosphère où suite aux mouvements de convections qui y règnent s’y retrouve totalement mélangé. Le carbone est ainsi séquestré entre dans un cycle encore plus long duquel il ne pourra sortir qu’à l’occasion d’un volcanisme différent qui injecte directement le magma de l’asthénosphère à travers les plaques océaniques ou continentales. On en distingue deux types. Le volcanisme des rifts et des dorsales océaniques, se manifeste par une résurgence de basalte qui vient combler l’espace laissé par l’écartement des plaques lithosphériques (voir Fig. 11). Le volcanisme des points chauds est ainsi dénommé car en certains points géographiques du globe (les îles Hawaï par exemple) des mouvements ascendants de convection du magma au sein du manteau exercent une pression sur la croûte, la déforment selon un cône et l’amincie, jusqu’à la percer. Du basalte s’échappent alors et s’accumule en coulées. Dans les deux cas l’épanchement de magma au delà de la croûte terrestre s’accompagne d’émissions de gaz carbonique qui rejoint ainsi le réservoir superficiel de l’atmosphère. La Terre a connu au cours de son existence des périodes de volcanisme beaucoup plus intenses et c’est par ce biais que l’atmosphère s’est progressivement enrichie en CO2. De nos jours le volcanisme s’est assagi mais il continu à contribuer à hauteur de 0.03 Gtc/an à l’apport en CO2 dans l’atmosphère.

23 – les forces de l’hydrosphère Dissolution, Erosion, Dégazage Parce que l’eau a la capacité de dissoudre le carbone minéral elle joue un rôle prépondérant dans le cycle du carbone en le véhiculant d’un réservoir à l’autre.

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L’érosion de ruissellement des calcaires La tectonique des plaques définit aux frontières convergentes des plaques des mécanismes autres que la subduction. Si d’aventure, deux plaques d’épaisseur similaires s’affrontent, on assiste alors à une orogenèse. Sous l’effet de la percussion et du maintien de la compression activé par les forces de convection de l’asthénosphère, les deux plaques se soudent selon un bourrelet de roches qui forme une surépaisseur de la croûte terrestre. Ce principe a notamment conduit à la formation de la chaîne de l’Himalaya lorsque la plaque indienne est venue percuter la plaque eurasienne. Les calcaires des roches sédimentaires se retrouvent ainsi projetées en altitude et donc soumis à l’érosion dont la pluie est un acteur essentiel. La pluie, avant de tomber au sol, se charge de CO2 qu’elle dissout sous forme d’hydrogénocarbonates HCO3-. Le calcaire, initialement insoluble, sous l’action de cette pluie « acide » se transforme en hydrogénocarbonate de Calcium, qui lui est soluble dans l’eau. Le carbone ainsi subtilisé par l’érosion à la roche s’intègre au bassin hydrologique local pour retourner finalement à la mer. Le flux de carbone correspondant s’élève à 0,2 Gtc/an. CO2 + H2O > H+ + HCO3CaCO3 + HCO3- + H+ > Ca(HCO3-)2 insoluble soluble Remarquons qu’au cours de ces réactions du CO2 est soustrait à l’atmosphère. Certains chercheurs estiment même que la surrection de la chaîne himalayenne pendant dix millions d’années aurait conduit à diviser le taux de CO2 atmosphérique de moitié, expliquant une période de froid survenue 2 millions d’années avant notre ère. Le cycle du carbone dans la lithosphère est extrêmement long. Le carbone y est incorporé par sédimentation et en est extrait sous l’action du volcanisme et de l’érosion. Le temps de retour dans le réservoir d’origine se compte en millions d’années.

Dissolution et dégazage en milieu océanique Les forces de l’hydrosphère dans le cycle du carbone consistent principalement dans la faculté de l’eau de dissoudre le gaz carbonique atmosphérique, ou le rendre le cas échéant par dégazage. Les flux occasionnés par ces phénomènes, comparativement au stock de carbone que représente l’atmosphère sont considérables. Le CO2 contenu dans l’air se mesure à une concentration moyenne de 360ppm ce qui représente la pression partielle de ce gaz dans l’atmosphère. L’océan n’est pas un milieu homogène sur toute sa profondeur. Les eaux de surface sont soumises à un brassage permanent du à la houle et au vent. Le CO 2 atmosphérique se dissout ainsi dans la couche superficielle sur une dizaine de mètres de profondeur au maximum. Les pressions partielles de CO2 atmosphérique et aquatique cherchent naturellement à s’équilibrer. Ainsi au printemps dans l’hémisphère nord, lorsqu’on assiste au développement rapide du phytoplancton, la pression partielle de CO2 aquatique baisse suite

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au retour massif de la photosynthèse. La différence de pression qui en résulterait est en permanence compensée par la dissolution supplémentaire de CO 2 atmosphérique nécessaire à la croissance du phytoplancton. Par ailleurs la capacité de l’eau à retenir le CO2 de l’atmosphère dépend de sa température. Plus l’eau est chaude, moins elle peut retenir les gaz qui y sont dissous (pour l’exemple vous pouvez toujours ouvrir une bouteille de champagne pas assez fraîche). On assiste ainsi dans les régions tropicales ou les eaux de surface sont plus chaudes à un dégazage. Inversement, en se rapprochant des pôles on assiste à un renforcement de la dissolution de CO2.

Figure 15 : Flux de dioxyde de carbone entre l’atmosphère et l’océan (source : le cycle du carbone, Henri Jupin, hachette, 1996)

Nous avons vu précédemment que le stockage de carbone océanique s’effectue surtout dans les couches profondes de l’océan où il atteint les 39 000 Gtc contre 900 Gtc pour les eaux de surface. Ce stockage correspond au flux engendré par les courants marins ou circulation thermohaline car engendrée par deux paramètres physiques de l’eau, la température et la salinité. Les courants marins, c’est de notoriété publique, sont d’une importance capitale dans la régulation des climats (gulf stream, El nino...) par les transferts de chaleur qu’ils opèrent et ont une interaction avec la dynamique du cycle du carbone. Il faut donc en saisir l’essentiel. Circulation thermohaline Les courants marins brassent toutes les eaux océaniques du globe, ils sont chauds et rapides en surface, froid et lent en profondeur. Ils contribuent à homogénéiser les concentrations de carbone entre la surface et les abysses. Le moteur de cette circulation provient surtout de la différence de température et de salinité entre de masses d’eaux différentes (les vents alizés engendrés par les forces de Coriolis et qui poussent les masses d’eaux vers l’Est dans l’hémisphère Nord et à l’Ouest dans l’hémisphère Sud contribuent également mais avec une moindre intensité). La température et la salinité agissent sur la densité de l’eau. Plus les eaux sont froides et salées plus elles sont denses. Dans l’océan arctique, les eaux de l’Atlantique Nord sont plus salées (formation de la banquise) et plus froides et ont donc tendance à s’enfoncer. Dans ce mouvement elles tirent vers le Nord les eaux de surfaces. A partir de cette zone motrice s’établit un complexe « tapis roulant » reliant dans une même dynamique globale les courants océaniques profonds et superficiels. On estime qu’un cycle complet de la boucle thermohaline s’effectue en une période approximative de mille ans.

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Figure 16 : principe de circulation des courants océaniques

24 – Les forces de l’atmosphère

A proprement parler, l’atmosphère, considérée dans sa phase gazeuse, n’a que très peu d’influence sur la transformation du carbone (elle oxyde le Méthane en dioxyde de carbone). Sa caractéristique principale dans le cycle du carbone est d’opérer des flux très importants relativement à son stock, avec tous les autres réservoirs. Les mouvements de masses d’air brassent les gaz de l’atmosphère. On considère qu’il ne faut que quelques mois à un atome relâché en un point pour pouvoir être retrouvé n’importe où. (On en déduit au passage l’extension de la validité des mesures effectuée dans les glaces de l’antarctique à l’ensemble de la planète). De plus, avec une distribution relativement homogène en épaisseur sur la surface de la Terre on peut ainsi considérer l’atmosphère comme une gigantesque plaque tournante du marché du carbone fonctionnant en flux tendu. Son importance dans le cycle du carbone est donc déterminante.

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3 – Schéma récapitulatif du cycle complet du carbone

Schéma 17 : tableau récapitulatif du cycle du carbone Les stocks sont exprimés en Gtc, les flux en Gtc/an

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III – DYNAMIQUE DU CYCLE DU CARBONE

Le système décrit jusqu’à présent montre l’équilibre relatif des forces mises en jeu dans le cycle du carbone. Elle sont multiples, locales et globales, physiques, chimiques et biologiques, astronomiques et telluriques, terrestres et océaniques, etc. Cependant elles n’ont pas la constance sous-entendue par la rigidité des schémas. Comme le montre la figure 4 le taux de CO2 varie dans le temps ce qui implique que le cycle du carbone puisse être modifié dans l’intensité de ses flux et les capacités de ses réservoirs. Les recherches en paléoclimatologie ont même montré que la terre a connu des périodes aux climats très contrastés. A au moins une fois au cours de son histoire entre -700 et -600 millions d’années la terre aurait été recouverte d’une épaisse couche de glace s’étendant pratiquement jusqu’à l’équateur. Inversement le Crétacé supérieur (-80 millions d’années), fut la période la plus chaude de l’histoire de la Terre, un peu plus de 6°C qu’aujourd’hui. La corrélation avérée entre le dynamisme du carbone et celui du climat global de la terre (l’effet de serre) indique qu’à ces époques le cycle du carbone devait être tout autre dans le rapport des forces qui l’animent. Mais l’idée essentielle que sous tendent les connaissances en paléoclimatologie c’est que La terre sait tout à fait osciller entre des configurations climatiques très contrastées. Il existe donc des forces capables de ramener la terre depuis des extrêmes climatiques à une configuration dans laquelle la vie peut se maintenir.

1 – Notion de rétroaction. Les rétroactions sont des forces corollaires engendrées par une dynamique. Elles peuvent soit s’exercer dans le sens de la dynamique et la renforcent, on les appelle alors rétroactions positives, soit dans le sens opposé, se sont alors des rétroactions négatives et tendent alors à la freiner. Dans le cas de l’épisode « terre boule de neige », le climat semble emporté par un élan irrésistible qui l’emmène jusqu’à un état de gel généralisé. Voyons quels mécanismes sont à l’oeuvre dans l’embâcle et la débâcle des terres. On postule généralement que les déclenchements des glaciations coïncident avec les cycles astronomiques décrits plus haut. Suite à un apogée d’un cycle astronomique de Milankovitch, l’hémisphère nord reçoit pendant une longue période une intensité lumineuse moindre, la glace du pôle va alors s’étendre. La nouvelle surface ainsi crée possède des propriétés physiques différentes de celle qu’elle recouvre et notamment son albédo est beaucoup plus fort (l’albédo mesure la fraction du rayonnement solaire réfléchi par une surface). Ainsi, les rayons du soleil parvenant jusqu’aux nouvelles surfaces gelées sont retournés plus fortement vers la voûte céleste. Il s’ensuit un refroidissement local qui accélère la formation des glaces. Plus la surface de glace s’étend et moins le rayonnement solaire n’a d’influence et plus climat se refroidit, etc. La formation des glaces est soumise à un puissant effet de rétroaction positive. Pour revenir à la « normale » il faut concevoir ce qu’implique une terre entièrement ou même simplement en partie recouverte de glace et quelles sont alors les modifications dans le cycle du carbone. Dans un tel cas la vie est sinon massivement éteinte au moins fortement affaiblie, et donc la photosynthèse marque une pause. Les océans recouverts de glaces n’échangent plus leurs gaz avec l’atmosphère. De même les précipitations s’affaiblissent

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(l’eau est stockée sous fore de glace), et donc l’érosion diminue. Ce sont donc tous les transferts habituels du CO 2 de l’atmosphère vers les autres réservoirs de carbone (ou puits de carbone) qui cessent. Cependant il n’y a pas de raison qu’un peu de glace bouche les volcans, le CO2 qui s’en échappe constamment s’accumule dans l’atmosphère, renforce l’effet de serre et la terre se réchauffe. En résumé, l’obturation des puits de carbone constitue la rétroaction négative du processus de glaciation. L’exemple évoqué est un cas extrême et finalement un peu caricatural. Il correspond à un passé lointain où toutes les forces cherchaient leur point d’équilibre. La réalité du climat global actuel implique que toutes les dynamiques ainsi que les rétroactions associées, nombreuses et variées, soient en tensions permanentes et créent une synergie dont le résultat est la viabilité de notre cadre de vie. L’atmosphère est le lieu de cette grande agitation au bilan apparemment si stable. C’est le réservoir de carbone le plus réduit mais celui avec lequel les échanges sont les plus intenses et les plus diversifiés. De ce fait il constitue le milieu le plus sensible aux variations qu’elles soient naturelles, accidentelles ou du fait de l’homme.

2 - « L’anthropie »

Une brève histoire d’énergie A l’époque préindustrielle les sociétés en place dépendaient avant tout du bon vouloir de la nature. L’agriculture ne connaissant pas les rendements actuels, procédait par déforestation pour gagner la surface nécessaire à l’alimentation d’une population en croissance. Le chauffage domestique et la sidérurgie, intensifiée par les efforts de guerre, ajoute à la pression de l’homme sur la forêt, unique source d’énergie. Le besoin de bois d’oeuvre pour la construction de navires de guerre finit de faire reculer la forêt jusqu’à une situation alarmante obligeant les dirigeants à légiférer sur l’exploitation des forêts. C’est ainsi que de la « cueillette » l’exploitation forestière évolua nécessairement vers une forme plus raisonnée de gestion des ressources, base de la sylviculture moderne et première étape inconsciente, soit, vers un développement durable. Avec l’avènement de la révolution industrielle au milieu du XIX siècle, une étape capitale est franchie. Les hommes descendent sous la Terre à la recherche du minerai noir bien plus énergétique, dans l’obscurité là où par définition, l’épuisement de la ressource ne peut être anticipé. L’objectif est alors simple : creuser, extraire, vendre et brûler. Pour son développement et sa croissance, l’humanité (occidentale) peut enfin se soustraire partiellement aux rythmes lents et capricieux d’une nature avare en énergie. Avec l’accession aux énergies mortes mais abondantes, puissantes et dociles les activités humaines subissent une accélération inédite et sans frein.

Les « apports » humains au cycle du carbone L’idée désormais fort bien admise que les activités humaines puissent avoir des répercussions sur l’environnement global n’est pas une réelle nouveauté. Dés 1896 un

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chimiste suédois, Svante Arrhenius, se basant sur la découverte de l’effet de serre par le mathématicien français Joseph Fourier en 1824, prédisait la possible augmentation de la température globale par suite de l’utilisation des combustibles fossiles. Aujourd’hui l’intuition se révèle exacte mais ce n’est que depuis le début des années 1990 que l’on est capable de quantifier le réchauffement induit par les activités humaines avec grâce au développement simultané de la climatologie et des puissances de calcul informatique. D’après tous les modèles climatologiques élaborés sur le siècle passé il est impossible d’expliquer la hausse de 1°C des températures relevées sur cette période sans impliquer les activités humaines. La croissance économique et la croissance démographique ont de grandes répercussions sur le cycle du carbone. Que se soit du fait de son addiction à la consommation d’énergie fossile ou par la déforestation des forêts tropicales, les activités humaines se traduisent dans la dynamique du carbone par des rejets massifs de CO2 dans l’atmosphère. Par extension, Il n’y a pas d’activité humaine dont on ne puisse quantifier les émissions de CO2. La déforestation et l’agriculture. Les forêts équatoriales contrairement à une légende bien vivace ne sont pas le poumon de la terre. Ces écosystèmes aboutis sont dans un équilibre global entre photosynthèse, respiration et décomposition. L’intervention de l’homme s’y traduit, pour des besoins liés à la survie des populations avoisinantes à de grandes entreprises de bûcheronnage conduisant à une réelle déforestation. La sylviculture reste marginale dans ces régions. La récolte des quelques essences recherchées par l’industrie conduit à une « cueillette » qui ne produit que quelques grumes à l’hectare. Une fois les pistes de l’exploitation forestière ouvertes elles sont utilisées par les populations les plus pauvres en recherche de terres agricoles pour subvenir à leurs besoins. Après le passage des bûcherons les paysans s’installent et défrichent la végétation restante. La couche d’humus des forêts pluviales, plutôt fine et pauvre, est rapidement épuisée ce qui contraint les populations paysannes à suivre d’assez près les populations de bûcherons, laissant derrière elles les terres hors d’usage. Les surfaces ainsi privées de couvert végétal sont lessivées par les pluies abondantes qui caractérisent ces régions et disparaissent rapidement et définitivement, anéantissant tout espoir de reconquête des sols par la végétation. En définitive, l’action couplée de l’exploitation forestière et de la culture des sols fait que tout le carbone aérien et souterrain des forêts irrémédiablement détruites rejoint l’atmosphère sous forme de gaz carbonique et contribue à renforcer considérablement l’effet de serre. Ces forêts, mythiquement dispensatrices généreuses d’oxygène, se transforment par la main de l’homme en une source puissante de CO2. La démographie galopante de l’espèce humaine exerce une pression de plus en plus forte sur l’ensemble des surfaces de terres cultivables susceptibles de lui apporter subsistance. L’extension de la surface de se fait généralement au détriment de la forêt ou de la prairie, elle ne remplace que plus rarement des zones désertiques. Si l’on se réfère au tableau 10 on voit que le changement de destination des sols au profit des terres agricoles se traduit par d’inévitables émissions supplémentaires de gaz carbonique. Il est même surprenant que du point de vue de la conservation des stocks de carbone, il faille de préférence couper une forêt que labourer une prairie. Les régimes alimentaires sont aussi en cause dans l’inflation de l’atmosphère en gaz d’origine agricoles. Les pays d’orient et d’extrême orient on une alimentation basée sur le riz, or les rizières fonctionnent de la même façon que les marais ou autres zones humides. Ce

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sont des milieux d’eaux stagnantes, anoxiques, où les bactéries méthanogènes prolifèrent. Les pays surdéveloppés avec leur goût prononcé pour la viande bovine se rendent aussi responsables d’une forte émission de méthane, les bactéries méthanogènes ne rechignant pas à séjourner dans les replis stomacaux des ruminants où chaleur, nourriture et absence d’oxygène en font un paradis. L’agriculture, l’élevage et la déforestation sont responsables d’un rejet de 1,6 Gtc/an dans l’atmosphère. La fabrication du ciment et La consommation des énergies fossiles. La fabrication du ciment inverse en quelque sorte le processus par lequel la sédimentation incorpore le carbone aux roches. Les calcaires sédimentaires, chauffés à hautes températures rejettent leur carbone dans l’atmosphère sous forme de CO2. La consommation de combustibles fossiles est la condition nécessaire à l’existence des sociétés dans leurs configurations actuelles. Pétrole, gaz et charbon sont brûlés pour fournir chaleur et énergie motrice. Leur combustion représente l’apport le plus massif de CO2 d’origine humaine dans l’atmosphère. Nous ne nous étendrons pas plus sur le sujet. Les activités relevant de l’exploitation des sous-sols sont à l’origine d’une émission de CO2 de 6,3 Gtc/an.

Schéma 18 : tableau récapitulatif du cycle du carbone Les stocks sont exprimés en Gtc, les flux en Gtc/an les flèches rouges représentent les modifications anthropiques du cycle

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Les apports humains en CO2 induisent donc un déséquilibre du cycle du carbone. Le solde naturellement nul des échanges entre l’atmosphère et les autres compartiments du carbone est à présent positif. Les mesures effectuées montrent qu’effectivement la concentration de CO2 atmosphérique augmente rapidement : le carbone additionnel n’est pas réinjecté en totalité dans le cycle. Nous savons aussi fort bien que la tendance actuelle n’est pas près de fléchir. La croissance économique à laquelle (presque) tous les peuples aspirent tire les consommations vers le haut. Et Tant que nous n’aurons ni trouvé l’énergie « propre » suffisamment disponible pour satisfaire nos modes de vie ou que nous n’aurons pas changé ces modes de vie eux-mêmes, nous ne pourrons qu’angoisser sur le sort qui nous attend. Car pendant que les recherches s’activent à comprendre les mécanismes globaux, facteurs de modifications climatiques, le CO 2 remplit inexorablement l’atmosphère (la concentration actuelle atteint déjà un record inédit sur le dernier million d’années!) et renforce progressivement l’effet de serre. La recherche progresse, c’est indéniable, mais si elle peut d’ors et déjà décrire les mécanismes isolément, elle tarde à prévoir la manière dont ils vont interagir. De ces interactions dépend entièrement le climat à venir. Et tant qu’il subsistera le moindre doute quant aux conséquences de nos actes rien ne se passera réellement. Mais il y a de l’espoir : en quelques années, sur la responsabilité de l’homme dans un changement global du climat on est passé de « peut-être » à « probablement ». Il nous faudra attendre « sans aucun doute » avant qu’une réelle réaction inédite et globale de l’humanité ne prenne forme (A moins bien sûr que l’on ne découvre que tout ça c’était de l’intox pour gonfler les budgets de la recherche et dans quel cas on pourra continuer à tout pourrir avec insouciance). En attendant nous ne pouvons que spéculer sur la manière dont se comporterons les grands cycles naturels soumis à la fièvre de l’homme. En ce qui concerne le cycle du carbone nous avons déjà quelques pistes.

3 – les puits de carbone

Définition Le CO2 anthropique est rejeté dans l’atmosphère selon un flux actuel de 6,3 Gtc/an d’origine Lithosphérique et 1,6 Gtc/an provenant de biosphère. On devrait logiquement retrouver cette quantité de carbone dans l’atmosphère, mais toutes les mesures concordent, on en retrouve qu’une partie. L’atmosphère n’accumule que 3,3 Gtc supplémentaires par an. Où sont donc passé les 4,5 Gtc restantes ? On invoque pour expliquer cette différence l’existence de puits de carbone. Dans le dynamisme du cycle du carbone, un puits est un réservoir dans lequel le carbone s’accumule définitivement. Si l’on se réfère au schéma 17 on voit bien que le fonctionnement en circuit fermé récuse l’idée même de puits. Le schéma 17 représente le cycle global du carbone, c’est à dire qu’il prend en compte le temps nécessaire au recyclage du carbone de tous ses compartiment. Le temps de résidence du carbone lithosphérique est extrêmement long, avoisinant les 200 millions d’années, intervalle entre l’incorporation du carbone dans les sédiments et son éventuel réémission dans l’atmosphère et les océans par volcanisme, orogenèse et érosion. Cependant dans la problématique qui nous préoccupe, l’échelle du temps graduée en millions d’années n’a que peu d’intérêt.

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Dans le cycle court le recyclage complet du carbone des trois réservoirs atmosphérique, biosphérique et hydrosphérique, prend le temps mit par le réservoir le plus lent à se recycler. Dans ce cas la règle du temps change d’unités pour passer en siècles, 1000 à 2000 ans étant une durée généralement admise pour un recyclage du carbone océanique. Dans ce cas on peut considérer que la fraction additionnelle du carbone venant gonfler le flux de la sédimentation est du carbone perdu puisque globalement il ne devrait pas venir gonfler celui du volcanisme avant 200 millions d’années. Par extension nous admettrons que l’existence de puits de carbone est relative à une échelle de temps. En ce qui concerne la problématique actuelle et afin de définir les puits potentiels de carbone une échelle de temps d’une longueur de quelques siècles devrait suffire, le temps que si tout se passe bien, l’homme ait finalement trouvé une place sur Terre en accord avec son environnement. Revenons à présent notre carbone perdu.

Le puits vert Les émissions de CO2 anthropique ont pour conséquence d’augmenter la pression partielle de ce gaz uniformément dans l’atmosphère. Cette grandeur physique stimule la photosynthèse des phototrophes au métabolisme en C3 (voir titre II, 21) dont le CO 2 constitue la nourriture. Comme pour tout être vivant, l’abus de nourriture conduit immanquablement à une surcharge pondérale. Une partie du carbone anthropique disparaît donc de la circulation en s’intégrant à la biomasse végétale. Toutefois, parler de puits de carbone serait un peu abusif pour ce qui ne constitue finalement qu’un stockage temporaire. Car il faut être lucide en ce qui concerne la faculté des plantes à grossir indéfiniment et tôt ou un peu plus tard, l’excédent de carbone sera inévitablement restitué à l’atmosphère. Si l’on applique ici le point théorique décrit plus haut, considérer la végétation comme un puit de carbone c’est se placer dans une durée inférieure au temps de résidence du carbone dans la biomasse dont on estime la durée à une vingtaine d’année, ce qui n’est pas précisément une échelle temporelle valable dans la perspective d’un développement qui se souhaiterait durable. De plus des expériences menées sur des plantes dans des milieux artificiels surenchéris au gaz carbonique montrent que passé le coup de fouet du à l’adaptation au nouveau milieu, la photosynthèse, même chez les végétaux C3, a tendance à retrouver son niveau « normal » assez rapidement. On doit quand même nuancer ce propos car une fraction de la fixation du carbone par la biomasse s’effectue dans des biomes qui stockent le carbone massivement sous terre où le temps de résidence est plus long. C’est l’exemple de la taïga dont on a vu que la biomasse à l’hectare est importante grâce à une forte proportion de carbone enfouit dans un sol dont l’activité microbienne de décomposition est freinée par un climat plutôt froid. En résumé on estime que la stimulation de la photosynthèse est responsable d’une fixation supplémentaire annuelle de carbone de 2,3 Gtc/an. Il en manque encore. Le puits bleu La hausse de pression partielle de CO2 de l’atmosphère influe aussi sensiblement sur le comportement des océans en agissant sur ses pompes à dioxyde de carbone.

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La pompe physique c’est le phénomène qui met en jeu la surface des océans, perméable aux gaz. Les lois physiques font que les deux milieux atmosphérique et hydrosphérique, possédant tous deux des pressions partielles de CO2 vont chercher à équilibrer leurs pressions respectives. Selon le principe des vases communicants, le CO2 gazeux passe naturellement du milieu où la pression partielle est la plus forte à celui où elle est la plus faible, c’est à dire dans le cas présent, l’océan. Une fois dissous dans l’eau il devient le facteur d’accélération de la deuxième pompe océanique de carbone : la pompe biologique. A l’instar de son homologue terrestre le végétal océanique se nourrit de carbone minéral. L’augmentation de la teneur en CO2 dissous dans l’eau accélère la productivité de la photosynthèse. Le zooplancton s’en réjouit et ceux qui le mangent aussi. Les déchets de ce festin en chaîne tombent lentement vers le fond et le carbone qu’ils contiennent se dissout en grande partie avant d’atteindre le plancher (voir schéma 17). Le carbone pompé dans les couches supérieures de l’océan suit le cours de la circulation thermohaline qui le propulse lentement dans les profondeurs des océans. Plaçons nous à présent dans le cadre d’un développement durable, c’est à dire que nous observons les phénomènes sur une durée de quelques siècles. Si cette durée est inférieure au temps de résidence du carbone dans le réservoir océanique alors on peut s’attendre à y trouver un puits de carbone. L’apport additionnel de carbone anthropique au fond des océans est estimé aujourd’hui à 2,3 Gtc/an ce qui, proportionnellement à la masse de carbone contenu dans ce réservoir 39 000 Gtc, ne représente pour ainsi dire qu’une goutte d’eau dans l’océan. Si l’on ajoute que la saturation des océans en carbone est globalement loin d’être atteinte on peut s’attendre à ce que le carbone injecté par l’homme ne remonte pas selon un flux équivalent à celui injecté avant un temps relativement long. Dans ce cas, et pour l’échelle de temps qui nous concerne, l’océan constitue un véritable puits de carbone et même, c’est bien triste, le seul puits naturel sur lequel l’humanité puisse compter dans l’effacement de sa dette de carbone.

4 – le cycle du carbone soumis au réchauffement

C’est avéré, le climat est en train de se réchauffer. Dans ses prévisions, Svante Arrhenius y voyait une amélioration sensible des conditions de vie, une hausse générale de la productivité de l’agriculture, des hivers moins rigoureux, etc. La science actuelle est moins optimiste, de fortes craintes portent sur la manière dont peut réagir le cycle du carbone dans un contexte de réchauffement car Il semble peu probable que la dynamique globale du carbone dépendant de tant de facteurs n’en soit pas modifiée.

L’inventaire des menaces dans le cycle du carbone Une perte d’efficacité du puits océanique. La capacité de puits de carbone de l’océan dépend de plusieurs facteurs. En résumé il faut que le CO2 se dissolve dans les couches superficielles de l’océan et qu’il soit en suite soit entraîné vers le fond par la circulation thermo haline soit déposé dans les profondeurs par l’action de la pompe biologique. Que pourrait il se passer en cas de réchauffement prolongé ? En premier lieu la température des couches superficielles des océans

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augmenterait, leur capacité à dissoudre le CO2 se réduirait donc sensiblement (voir fig. 15) mais la différence de pression partielle de gaz carbonique augmentant du même coup, un phénomène de rétroaction négative interviendrait pour limiter la baisse de performance de la pompe physique. La pompe biologique ne devrait par contre pas ralentir du la concentration de CO2 n’étant pas un facteur limitant de la production primaire océanique. Les eaux de surface plus chaudes et moins chargées en CO2 une fois entraînée vers le fond réaliseraient donc un flux plus réduit de carbone. Si toutefois les courants marins survivent au réchauffement. Car là aussi une menace plane. La circulation thermohaline des océans dépend de la différence de densité entre deux masses d’eau en contact (voir fig. 16). Le réchauffement global active la fonte de la calotte arctique (ce qui a déjà commencé) et les précipitations sur l’hémisphère nord ; de grandes masses d’eau douce se mêlent à l’océan arctique et contribuent à abaisser la salinité des eaux de surface. Il se forme ainsi un véritable mur d’eau douce, moins dense qui ne peut plus par conséquent plonger dans les profondeurs arctique bloquant de ce fait l’ensemble de la circulation des courants océaniques. Il ne resterait dans ce cas que le phytoplancton de la pompe biologique pour nous sauver d’affaire. Encore que cela ne durerait pas. Avec le ralentissement voire même l’arrêt de la circulation thermohaline, les remontées d’eaux froides chargées d’éléments nutritifs cesseraient et le phytoplancton en pâtirait sévèrement. La pompe biologique tournant au ralenti, l’océan aurait alors cessé d’être un puits. Il semble que l’arrêt des courants marins soit déjà intervenu à plusieurs reprises, notamment au quaternaire période où se sont succédées les périodes glaciaires et celles de réchauffements. Dans l’Atlantique circule le Gulf Stream qui outre le carbone, transporte la chaleur accumulée dans les basse latitudes jusqu’aux côtes d’Europe. L’arrêt de ce courant induirait une baisse importante de la température sur l’Europe de l’ouest et la côte est des Etats-unis. Il n’est pas certain que le refroidissement serait suffisant pour infléchir la tendance au réchauffement planétaire, mais ce mécanisme constitue un bel exemple de rétroaction négative qui évoque toutes les contradictions que doivent gérer les scientifiques pour accéder à des modèles climatiques valables. Le puit terrestre devient une source. Quel serait le comportement de la biosphère en cas de réchauffement prolongé ? Le réchauffement global attendu ne devrait pas être homogène à la surface de la Terre. Il devrait en effet être plus prononcé dans les hautes latitudes de l’hémisphère Nord. L’effet de serre est provoqué principalement par la vapeur d’eau qui se trouve en saturation dans l’air de la zone équatoriale, forêts et océans, où l’évaporation est intense ; les zones plus proches des pôles ont un air plus sec, l’effet de serre du à la vapeur d’eau y est par conséquent plus faible. Le CO2 est, par contre, distribué dans l’atmosphère avec beaucoup plus d’homogénéité. Ainsi un renforcement de l’effet de serre par émissions de CO2 anthropique aura proportionnellement plus d’impact vers les pôles qu’à l’équateur. Comme on l’a vu en début d’exposé, la végétation n’est pas homogène à la surface de la Terre et se décline en biomes globalement distribués selon la latitude. Les écosystèmes nordiques sont ceux qui devront faire face aux élévations de température les plus fortes. Reprenons l’exemple de la taïga (voir figures 8, 9 et 10). La hausse du taux de CO2 dope momentanément sa croissance, elle stocke massivement du carbone dans son sol, elle est un puits de carbone. Le métabolisme des végétaux atteint vite son point de saturation au gaz carbonique, ou se trouve un autre facteur limitant sa production, la forêt est à l’équilibre. Mais la température augmente toujours et l’isotherme 0°C annuel remonte inexorablement

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(vers 2100 les zones les plus nordiques pourraient affronter un réchauffement allant jusqu’à 8°C pour les scénarios les plus pessimistes). Tout le carbone stocké pendant la « poussée carbonique » dans le sol se dégrade alors de plus en plus vite sous l’action microbienne accélérée par le réchauffement. Tous les biomes de l’hémisphère nord dont l’activité de biominéralisation microbienne ont comme facteur limitant la durée de période froide verraient ainsi leurs stocks de carbone souterrain progressivement se réduire. Les plus méridionaux constitueraient des puits moins efficace, les plus septentrionaux se transformeraient en de nouvelles sources de carbone minéral pour l’atmosphère, source de réchauffement, etc. Une boucle de rétroaction positive s’amorce, un réel cercle vicieux. La fonte de clathrates Lors des prospections pétrolières des années 70 on se méfiait déjà de ces hydrates de méthane (fig. 6), de peur que les forages, en entamant les couches sédimentaires dans lesquelles ils se forment, n’en libèrent brutalement le méthane, gaz hautement inflammable et qui en créant une émulsion eau-gaz plus légère que l’eau sous le navire foreur, aurait bien pu le couler (tout corps plongé dans un liquide subit une force du bas vers le haut égale au poids de la masse du liquide déplacé). La menace actuelle de la fonte des clathrates a un caractère plus global et plus préoccupant. Le dimensionnement de la masse de ce composé dans les sédiments océaniques (et dans le permafrost des hautes latitudes septentrionales) fait l’objet de recherches poussées. On estime sa masse actuelle à 10 000 Gtc soit le double de la somme des masses de tous les combustibles fossiles. Les océans exercent sur le réchauffement un rôle d’inertie thermique très prononcé. Tant que la circulation thermohaline opère, une partie de la chaleur accumulée par l’atmosphère contribue ainsi au réchauffement des eaux profondes. Les clathrates, glace d’eau sédimentaire des talus océaniques et piégeant du méthane pourraient en être affectées. Cette glace faite d’eau si elle était amenée à fondre conduirait à deux phénomènes de grande ampleur. D’une part cela affaiblirait localement la structure des couches sédimentaires dans lesquelles elle se forme avec pour conséquences de gigantesques glissements de terrains océaniques et leurs répercussions sur les côtes sous forme de tsunamis. Il semble qu’à la fin de la dernière période glaciaire, un réchauffement de quelques degrés ait déclenché la fusion des clathrates dans les sédiments du talus océanique de Norvège. Un coussin d’eau et de méthane se serait accumulé au sein de ces sédiments. La pente aidant, ce coussin fluide aurait porté le gigantesque glissement sous-marin de Storegga en Mer du Nord, épais de 450 m et s’étendant sur 800 km. Le raz-de-marée ainsi déclenché a déposé des sédiments à quatre mètres au dessus du niveau des hautes eaux en Ecosse. A l’échelle globale cette fois, on n’ose imaginer les conséquences du rejet massif de méthane dans l’atmosphère (le pouvoir à effet de serre du méthane est environ 20 fois plus fort que celui du CO2) si même une faible partie de cette glace venait à fondre. La boucle de rétroaction positive qui s’initierait alors pourrait conduire à une crise climatique majeure.

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IV – Conclusion – Alors que faire ?

En brûlant des énergies fossiles l’Homme réalise un court circuit dans le cycle du carbone. Il réinjecte en deux siècles ce que la nature a mis plusieurs dizaine de millions d’années à stocker. Les lois de la nature sont implacables : il ne peut y avoir de climat relativement stable tant que le réservoir atmosphérique sera l’objet d’un flux artificiel dépassant les capacités de régulation dont le cycle du carbone est capable. C’est à dire arriver à un niveau d’émissions correspondant à ce que peuvent ingurgiter les océans, soit 3 Gtc/an. Nous sommes à plus du double. Théoriquement, d’après l’étude du cycle du carbone, deux possibilités se présentent pour régler la dette anthropique: stopper le flux dont l’homme se rend responsable et précipiter la chute du carbone atmosphérique vers un autre réservoir.

Les puits gris, des pièges à C...arbone La matière grise humaine tourne à plein régime pour proposer aux entreprises émettrices de CO2 de payer des dollars contre l’enfouissement de tonnes de carbone. Une technique fort simple consiste à imiter la nature. Il s’agit de proposer aux entreprises qui émettent trop de CO2 de financer des opérations de boisements afin de répercuter leurs émissions sur un puits vert. L’idée est belle mais sujette à cautions. L’efficacité du procédé dépend avant tout de la nature de la terre qui est choisie pour l’opération. Si on laboure une prairie pour planter des arbres, l’opération va à l’encontre de son objectif (tableau 10). Les terrains susceptibles d’être performant pour la réalisation d’un puits vert sont : les déserts et les terres cultivables. Autant dire que ça n’arrive pas souvent. Ceci dit, l’opération se monte, les arbres sont là, avec le sigle de l’entreprise dessous. L’image sera bonne. Jean-Marc Jancovici (à qui nous avons d’ailleurs emprunté le joli jeu de mot dans le titre ci dessus) se livre dans son ouvrage, l’avenir climatique, à un calcul édifiant. En admettant que l’on souhaite éponger tout le CO 2 anthropique mondial au seul moyen du boisement à partir de terres agricoles il faudrait planter l’équivalent de 30 à 40 fois la surface de la France ou pour être plus explicite sur les chances de voir se réaliser un tel projet, plus de 2 fois le Sahara ; ce calcul ne prenant pas en compte l’augmentation progressive des émissions. Une autre technique consiste à accélérer la nature dans le sens qui nous convient. Une proposition, qui s’appuie sur le mécanisme de la pompe biologique des océans, consiste à saupoudrer les océans de sels de fer ce qui, en laboratoire active grandement la productivité du phytoplancton. Alors que les observations montrent que les résultats sont médiocres ou inexistants (le phytoplancton se développe, le zooplancton le broute dans l’instant et c’est tout), les instigateurs de cette démarche proposent déjà la tonne de carbone piégée à 4$, ce qui nous fait un billet aller retour Paris-New York en avion « vert » pour 2$ de plus. Encore plus difficilement réalisable, la séquestration du carbone à la source de l’émission consiste à soutirer le CO2 des fumées avant de les relâcher dans l’atmosphère. Ce procédé intéressant dans la théorie possède deux inconvénients pratiques. Il met en jeu de lourdes

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technologies inadaptables aux « petites » émissions (automobiles, cheminées) et ne concernerait donc que 15% de l’énergie fossile brûlée. De plus cette technologie consomme elle même 30% d’énergie supplémentaire, pour une énergie fournie identique, amenuisant d’autant la disponibilité de réserves déjà limitées. Ce projet pose un problème supplémentaire. Que faire du carbone isolé dont les quantités seraient considérables (dans l’absolu 15% de 6.3 Gtc/an soit un milliard de tonnes) ? Une solution qui ne manque pas de charme propose de l’injecter sous pression dans les réservoirs de gaz et de pétrole épuisés. Une autre fait l’hypothèse de jeter par bateau au fond de l’océan des blocs de neige carbonique qui iraient se dissoudre dans l’océan... On imagine la somme d’effort à investir pour acheminer ces centaines de milliers de tonnes de carbone par un nouveau réseau de pipe-line et de navires jusqu’aux rares sites d’enfouissement. Cela relève de « l’usine à gaz ». Couper les vannes. Le fourmillement d’idées concernant les puits de carbone est tout à fait révélateur d’une certaine forme de panique vis à vis de la réalité qu’il faudra bien un jour accepter : Le problème que l’humanité rencontre aujourd’hui n’est pas un problème technologique. L’enjeu proposé aux sociétés modernes, à l’occasion du bouleversement à venir du climat, ne consiste pas à écouler par n’importe quel moyen la surcharge de tant de milliard de tonnes de carbone de l’atmosphère ; c’est du ressort du cycle naturel du carbone, mais à accepter avec lucidité notre responsabilité et faire notre possible pour cesser d’en émettre. C’est dans cette voie que la marge de manœuvre est la plus large, mais c’est aussi celle qui demande le plus d’efforts. Elle ne se contentera pas de solutions technologiques. Pour revenir à des émissions acceptables de carbone les sociétés devront absolument étalonner l’intensité de leurs modes de vie sur les rythmes soutenables par les cycles de régulations naturels. Là réside la véritable interrogation. Ce qui fait le plus varier les modèles de prévisions climatiques se ne sont finalement pas les données scientifiques, qui concordent globalement, mais la façon dont va réagir l’être humain.

Schéma 19 : évolution des émissions de CO2 anthropique selon les scénarios probables. (source : GIEC 2001)

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L’humanité sera-t-elle capable de maîtriser son destin. Dans le contexte actuel on ne peut s’empêcher d’avoir des doutes. Les puissants ne renoncent pas encore à leur puissance conquise sur la consommation quasi exclusive de combustibles fossiles. Les plus faibles ne renonceront pas de si tôt à l’aspiration de les rejoindre sur le chemin de la puissance. L’humanité possède son inertie propre. La dynamique qui l’a entraînée dans la situation présente prend sa source peut-être aux origines mêmes de l’Homme, dans sa nécessaire lutte pour sa survie, contre les dangers de la nature et contre lui même. Cette notion de concurrence, revendiquée depuis l’évolutionnisme darwinien jusqu’au néolibéralisme économique par lequel fonctionne le monde des puissants, n’a eu de cesse de projeter les hommes les uns contre les autres dans une compétition dont l’enjeu avoué n’est plus la survie de l’espèce mais le confort de l’individu. Par une ironie du sort, que seule la lecture de l’avenir nous permettra de saisir pleinement, c’est dans les « dommages collatéraux » de cette conquête du confort devenue atavisme inhérent à la construction sociale que l’espèce humaine risque aujourd’hui sa survie même.


Bibliographie : Jupin Henri, Le cycle du carbone, Hachette supérieur, 1996. Perrodon Alain, Quel pétrole pour demain ?, Editions TECHNIP, 1999. Jancovici Jean-Marc, L’avenir climatique, science ouverte, Editions du Seuil, 2002. Decourt Noël, La forêt dans le monde, L’Harmattan, 2001. Comptes rendus De l’académie d’agriculture de France, volume 88, n°5, 2002 Nissim Amzallag Gérard, L’homme Végétal, Albin Michel, 2001 Adolphe Nicolas, 2050 Rendez- vous à risques, Belin – pour la science, 2004 Kandel Robert, le réchauffement climatique, Que sais-je ?, puf, 2002 Lovelock James, Gaïa, une médecine pour la planète, ed. Sang de la Terre, 2001

Ouébographie www.manicore.fr Site de Jean-Marc Jancovici, tout sur le changement climatique, très riche et pas élitiste. www.IPCC.ch Le site du International Panel for Climate Change ou GIEC en Français. Les rapports des groupes de travail internationaux sur l’expertise et de la prospective des changements climatiques. La référence scientifique. www.u-laval.ca Des cours universitaires, résumés de géologie, biologie, etc. www.visibleearth.nasa.gov/ Les images de satellites ! Les tempêtes, les poussières, le plancton... Les images disponibles gratuitement sont de très bonne résolution. Pour garder un œil sur tout ça.

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