La Wallonie: d'où vient-elle ? Deuxième partie Hervé Hasquin Professeur à l'Université libre de Bruxelles III. Une région sans nom Au temps du régime féodo-seigneurial A la fin du Moyen Age, la population rurale représente encore près de 85 à 90% des effectifs démographiques des terres "wallonnes". La vie économique et sociale reste d'abord rythmée par les travaux des champs; en cela, rien que de très normal par rapport au reste de l'Occident. Que survienne une crise frumentaire, consécutive le plus souvent à des accidents météorologiques, et c'était l'hécatombe. Quelques grandes famines ont marqué l'histoire de ces régions, notamment 1125, 1195-97, 1315-16; il pouvait arriver que le prix du seigle quadruple ou quintuple en quelques mois par rapport à la normale ! Comme dans nombre de contrées d'Europe occidentale, la poussée démographique, réelle du VIIIe au Xe siècle, va carrément s'emballer jusqu'au début du XIVe. Puis ce fut un déclin amorcé par la famine de 1315-16 et brutalement confirmé par la Peste noire; arrivée en Italie en 1374, elle frappe l'Europe du Nord en 1348-49. Désormais, la peste ferait périodiquement des ravages; n'aurait-elle pas emporté un tiers de la population au XIVe siècle ? Le déclin démographique se prolongea pendant les deux premiers tiers du siècle suivant. Comparé à ce qui pourrait être écrit pour bien des régions voisines, cet état de la question pourrait n'être que très banal s'il occultait une dynamique qui a conféré à ces terres quelque originalité : la vitalité urbaine. Aux XIIe et XIIIe siècles, elles comptent deux "grandes" villes, ce sont deux cités épiscopales, Tournai et Liège, et quatre villes "moyennes", Huy - une charte de 1066 reconnaît à ses bourgeois un certain nombre de franchises -, Namur, Dinant et Nivelles. Quatre d'entre elles étaient déjà des agglomérations mérovingiennes (Vici), auxquelles se greffa un quartier marchand (portus) sous les Carolingiens : Tournai, Namur, Huy et Dinant. Au XIIe siècle, quatre centres domaniaux accédèrent au rang de villes : Mons, Binche, Gembloux et Fosses-la-Ville. L'essor urbain se poursuivrait jusqu'au XIIIe siècle : une dizaine de bourgades naquirent : Arlon et Bastogne dans le Luxembourg, Wavre dans le "roman pays de Brabant", comme on dira bientôt, Chimay et Lessines en Hainaut, Bouvignes dans le Namurois et Couvin dans la principauté de Liège; dans deux cas, en Brabant wallon, il s'agit véritablement de villes neuves créées de toutes pièces : Jodoigne (1185-90) et Genappe (1200). Dès le XIVe siècle, plusieurs de ces villes furent le théâtre de troubles sociaux. Ainsi à Huy, à Dinant, à Tournai et surtout à Liège où la révolte contre le patriciat entraîna les 3-4 août 1312 la mort de deux cents notables dans l'incendie d'une église (le "Mal St Martin"). Ces "commotions" se doublèrent d'affrontements avec les princes, qu'ils soient laïcs ou ecclésiastiques (évêques, abbés); ce sont autant de tentatives d'échapper à leur tutelle : ainsi, à Liège, la "paix de Fexhe" (18 juin 1316) imposée à l'évêque Adolphe de La Marck, énonce les principes qui restèrent à la base du droit public liégeois jusqu'en 1794. C'est dans ce contexte de luettes pour le pouvoir que se mirent en place un peu partout dans le courant du XIIIe siècle des institutions urbaines ("Conseil" ou "Magistrat") de plus en plus représentatives des groupes influents de la cité et qui traduisaient la volonté des bourgeoisies à se gouverner en toute autonomie. Des Pays-Bas centralisés, champ de bataille de l'Europe Philippe le Bon (1393-1497), duc de Bourgogne, avait donc réuni en quelques décennies un nombre impressionnant de principautés. Cinquante ans plus tard, Charles-Quint régnait sur ces territoires qui, augmentés de quelques provinces hollandaises, formèrent les "17 provinces des Pays-Bas". Son fils, Philippe II ne put préserver l'héritage : 1