La Wallonie: d'où vient-elle ? Première partie Hervé Hasquin Professeur à l'Université libre de Bruxelles I. Quelle Wallonie ? Il est malaisé de cerner pour les siècles passés cette "Wallonie" dont la mention la plus ancienne du mot dans son acception actuelle - la Belgique romane au sud de la frontière linguistique - date seulement de 1844 ! En tant qu'entité politique à part entière, elle n'a d'existence que depuis la révision de la Constitution belge en 1970-71 sous l'appellation de Région wallonne, mais le mot "Wallonie" ne figure pas encore dans le texte constitutionnel révisé pour la dernière fois en 19921993. A vrai dire, ses limites, qu'elles soient culturelles et linguistiques au nord et à l'est, ou politiques au sud, ont été très mouvantes. Les premières se sont plus ou moins stabilisées au haut Moyen Age alors que la frontière politique est essentiellement une création du XVIIe siècle, au terme des nombreuses guerres franco- espagnoles qui ont émaillé le règne de Louis XIV. Un espace politique éclaté La Région wallonne, au sens où on l'entend aujourd'hui, n'a jamais connu d'unité politique avant la seconde moitié du XXe siècle. Dans l'Antiquité, les territoires qui la composent appartenaient à la Gaule septentrionale. César la conquit en 57 avant notre ère, après avoir vaincu successivement les Nerviens et les Aduatiques qui, avec les Eburons et les Trévires, la peuplaient. Culturellement, ces tribus relevaient du monde celte, y compris les Belgae, venus du Rhin moyen entre Meuse et Seine, environ deux siècles avant la conquête romaine. La pax romana - elle dura jusqu'en 406-407 - marqua durablement ces régions organisées dans le cadre d'une “province Belgique” qui vit notamment se développer trois centres urbains de quelque importance : Tournai, Namur et Arlon. Puis survinrent les invasions, l'écroulement de l'empire romain et le dépeçage de la Gaule. En quelques phrases, L. Génicot a parfaitement synthétisé l'histoire de ces terres, baignées à l'ouest par l'Escaut et à l'est par la Meuse, entre les Ve et IXe siècles : "Partis de Tournai, les Mérovingiens, [..] l'ont [la Gaule], avec Clovis et ses fils (481-511), placée tout entière sous leur autorité. Provisoirement : les descendants du conquérant se partagèrent son royaume. L'Est de la partie septentrionale forma l'Austrasie. Elle allait, pour la Wallonie actuelle, du Rhin à l'Escaut et fut rapidement dominée par une grande famille qu'on désigne des noms de ses premiers et de son plus glorieux représentants, les Pippinides ou les Carolingiens. Des gens de la Meuse moyenne. Ils y possédaient leurs terres patrimoniales, immenses [...]. Cette dynastie de la Meuse refit ce qu'avait réussi celle de l'Escaut. Elle franchit celui-ci et, dès 687, s'imposa à toute la Francia. Elle réalisa bien davantage. Après avoir, en 751, avec Pépin le Bref, détrôné les Mérovingiens, elle s'empara, avec Charlemagne (768- 814), de la plus grande partie de l'Italie et du Nord de l'Espagne, atteignit l'Elbe et l'Europe centrale, fonda l'Occident et, en 800, ceignit la couronne impériale." Le traité de Verdun (843) allait à nouveau diviser politiquement l'empire. Des trois territoires résultant du partage, deux intéressent directement notre propos. La Francia occidentalis, qui se confondrait plus tard avec la monarchie française, englobait Tournai et son arrière-pays ainsi que la région de Mouscron. La Francia média, soumise à nombre de démembrements ultérieures, donna naissance à la Lotharingie; terre d'Empire depuis 925, cette dernière incorporait le reste du territoire de la Wallonie d'aujourd'hui. 1