53 minute read

Chronique de la famille Arié de Samokov(suite

Next Article
Para meldar

Para meldar

Nous poursuivons la publication bilingue de la chronique de la famille Arié de Samokov. Ce tapuscrit qui comprend plus de 2000 pages en judéo-espagnol en caractères latins retrace la vie d’une famille de grands commerçants sépharades de Bulgarie du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle.

Bannie de Vienne par un édit impérial, la famille Arié s’est d’abord établie à Vidin en 1775, sur les bords du Danube. C’est là que le patriarche Moche A. Arié, soutenu par ses trois fils Samuel, Isaac et Abraham développe avec succès un premier négoce. À sa mort en 1789, ses fils héritent du commerce qui est ruiné lors du pillage de la ville de Vidin par des troupes irrégulières. Sans ressources, les trois frères se séparent. Alors qu’Isaac demeure à Vidin, Samuel se rend à TournoSeverin en Roumanie et Abraham M. Arié I part pour Sofia. Il y fait la connaissance d’un pharmacien juif, M. Farhi, qui l’embauche et ne tarde pas à lui confier la gestion de son commerce où se rendent des notables turcs. Il y rencontre l’Agha Mehmed Emin de Samokov qui lui confère le titre de fournisseur officiel et lui permet ainsi de s’installer et de commercer dans sa ville où il devient vite un notable apprécié des habitants et de ses coreligionnaires. Vers 1805, secondé par ses fils maîtres Tchelebi et Josef, il étend son activité au prêt d’argent et achète la ferme des impôts à Sofia. À Istanbul, il se lie d’affaires et d’amitié avec Bohor Karmona, le banquier de la Sultane-mère.

Advertisement

En este anyo de 5566, la Bulisa Amado, mujer de Hr. Josef pario a un ijo ke fue muy dezeyado a razon sigun ke ya eskrivi mas antes ke en el primer ijo ke pario non le bivyo i le izieron sigun el uzo la kama alta kon todos los brozlados i todos la vijitaron sigun de las otras paridas, i le mandaron todos los prezentes, i en el dia de Chabad, se izieron todas las formaledades, seya kon el Sefer Tora komo tambien i kon la hevra, de mizmo i en el dia de el Berit todo lo mizmo sin nada mankar, i le mitieron el nombre Mihael i tambien aviya un uzo por kuando akontesia ke los ijos de mas antes si non le biviyan, los yamavan Yachar, kere dizir, va bivir, i los Djidios los yamavan, Merkado, ke es ke salia uno de los parientes, lo merkava en darle unas kuantas paras en sinial ke este ijo es agora de el merkador, i kon esto lo teniyan ke el Dio, ya lo guadrava i non se moria i esta merkida era valavle fin ke kazava, i por esto los yaman a estos vendidos, el Merkado, los uzos sovre esta merkansia ke merkava a las personas son muntchas i en alguna otra okasion puede ser ke eskrivire, en mas largo, i kon este ijo tambien lo izieron esto de venderlo, i lo yamaron H. Merkadutcho, el Yachar, i todos los Djidios ke los yaman seya Merkado o seya Yachar, es solo por esto ke fue vendido por ansi razon.

El sinyor Abraam I su dezeyo era ke sus ijos fueran muy enbezados en los estudios de muestra ley, i ansi era ke los detiniya en el Midrach, ke fueran estudiando, i el mizmo los vijitava muntchas vezes en el Midrach, i sigun antes ditcho ke kaji, kada notche los egzamenava i estudiavan djuntos, ke el ijo grande el Hr. Tchelebi, le dicho ke ya abastaria por si estudiar porke la familia se estava engrandesiendo, i ya seria el tiempo de i el tambien vinirle en alguna ayuda, i el sinyor Abraam I su padre le dicho va bien una ves ke la lo keres esto lo aremos para el anyo muevo, sovre esta propozision del Hr. Tchelebi, el sinyor Abraam I tuvo de pensar, i sin nada avlar se fue ande el Mehmed Emin AA. I se lo konto todo esto ke le paso kon su ijo i el sinyor del AA, le dicho ke ya tiene muy buena razon su ijo i ke non deve de

Année 5566 [1805/1806]

En 5566 [1805/1806], Madame Amado, la femme de Maître Josef mit au monde un fils très désiré, car comme je l’ai écrit auparavant le premier fils dont elle accoucha ne survécut pas. Comme il était d’usage, on lui prépara le lit surélevé orné de borderies et tous vinrent lui rendre visite comme lors des autres naissances et lui adressèrent tous leurs cadeaux. Le shabbat eut lieu la cérémonie officielle avec le Sefer Torah et l’assemblée rituelle. Le jour de la circoncision tout se déroula de même sans rien omettre et ils lui donnèrent pour nom Michael. Si l’enfant précédent n’avait pas survécu, on avait pour coutume d’appeler le nouveau-né « Yachar » ce qui signifie [en turc] : « il va vivre », et chez les Juifs on l’appelait: « Merkado ». L’un des parents se manifestait et l’achetait en donnant une somme d’argent pour signifier que l’enfant lui appartenait désormais et ainsi ils considéraient que Dieu l’avait pris en garde et qu’il ne mourrait pas. Ce marché était valable jusqu’à son mariage et pour cette raison on appelait « Merkado » ces enfants vendus. Les rites attachés à la vente de cette « marchandise » sont nombreux et en une autre occasion j’en dirai peut-être plus long. Pour cet enfant aussi, ils procédèrent à la vente et ils l’appelèrent Maître Merkadutcho, le Yachar et tous les Juifs l’appelaient soit Merkado soit Yachar. Ce n’est que pour cette raison qu’il fut vendu.

Le désir de M. Abraam I était que ses fils soient très instruits dans l’étude de notre Loi et c’est pour cela qu’il les gardait à la maison d’études à étudier. Lui-même leur rendait très souvent visite à la maison d’études, et, comme je l’ai écrit auparavant, presque chaque soir, il les interrogeait et ils étudiaient ensemble. Maître Tchelebi lui dit qu’il lui paraissait avoir suffisamment étudié, car la famille s’agrandissait et qu’il serait temps que lui aussi lui vienne en aide. Son père, M. Abraam I lui dit : « C’est bon, puisque tu le veux, c’est quelque chose que nous ferons l’année prochaine. » Cette proposition de Maître Tchelebi fit réfléchir M. Abraam I et, sans rien dire, il se rendit chez l’Agha Mehmet Emin et lui raconta tout ce qui lui était arrivé avec son fils. L’Agha lui répondit que son fils avait bien raison, qu’il ne fallait pas remettre à plus tard et qu’il n’y avait

1. Du turc ottoman, yatak: personne qui donne asile aux voleurs et cache les objets volés.

2. Gouverneur d’une province ottomane du XVIe au début du XIXe siècle. Jouissant d’une certaine autonomie par rapport à la Porte, il pouvait s’agir de riches marchands, d’officiers de cavalerie appartenant à l’élite des janissaires (les Sipahis), de chefs de corporations assurant les fonctions de fermiers généraux. tadrar i nada de mal non se puede pensar solo ke el tambien deve de kudiar, i ke sovre esto ke deve de gustarse, denpues ke ya platikaron sus linguaje de siempre se vino a su butika, i estuvo longo tiempo pensando si es ke seria la ideya de avrirle otra butika para los 2 sus ijos los mas grande ma non lo topo de bueno, i se enpeso a prontarse para irse de muevo a Kostan, i en poko tiempo estuvo pronto i partio, i en muy poko tiempo izo todos sus empleos ke fueron muntcho mas grandes de las otras vezes i tambien en este viaje le merko i para la su nuera la sigunda, la Bulisa Amado, un maso de perla sigun este ke le tiene merkado para la Bulisa Lea, su nuera la grande, sovre esto la Bulisa Buhuru, su esfuegra sovre todo se gusto muy muntcho, por esto ke non van a ver selos de las unas a las otras.

Denpues ke ya arivo de Kostan, i se resento sus ropas, muevas ke trucho i izo las primeras venditas ke agora fueron muy grandes porke uvieron muntchas bodas de los turkos, i se le rekojeron suma grande de moneda, ke ya se kere entendido sovre todo en akeyos tiempos non kere ditcho ke era muy grande espanto kuando, saviyan ke alguno tiene mas muntcha moneda en kacha non era solo el espanto de las masa de el puevlo, aviya tambien i de los grandiozos los Beguis, ke teniyan sus personas ladrones, i los mandavan por los kaminos i las sivdades porke les rovaran sus bienes i los matavan, i eyos eran los yatakes 1, porke sigun eskrito mas antes kuando un turko matava a un djidio o un kristiano, non keriya dizir nada, i el sinyor Abraam, ke esto ya lo saviya muy bien, ke lo mas de las rikezas de los Beguis eran solo de los ladronesios, ke los aziyan de esta forma. Pensando todo esto se fue ande el Ser. de Mehmed Emin AA, a rogarle por ke le diera una rekomendasion para el Aayan 2 (Ispai) de Sofia, sea ke le dicho por kualo la teniya menester, i en Sofia, non komo Samokov, la sivdad entera en Ispaelik, otro ke era la una partida de los kazales, i mas adelantre ya vo a eskrivir puede ser si es ke verna la okasion, i el Mehmed Emin AA, komo non le refuzava en nada de todo esto ke le demandava fue ke le dio una karta siya i avrir

aucun mal à cela ; simplement que lui aussi devait s’en occuper et qu’il devait s’en réjouir. Après s’être entretenus comme ils en avaient l’habitude, il rentra à sa boutique et réfléchit longtemps à l’idée d’ouvrir une autre boutique pour ses deux premiers fils, mais il ne trouva pas l’idée bonne. Il entreprit des préparatifs pour se rendre de nouveau à Constantinople et peu de temps après, il fut prêt et partit. Il mit très peu de temps à réaliser tous ses achats qui furent bien plus considérables que les autres fois. Lors de ce voyage, il acheta aussi pour sa seconde belle-fille, Madame Amado, un ensemble de perles comme celui qu’il avait acheté pour Madame Léa, sa première belle-fille. Leur belle-mère, Madame Buhuru s’en réjouit beaucoup, car ainsi elles ne seraient pas jalouses l’une de l’autre.

Après être rentré de Constantinople, il rangea les nouvelles marchandises qu’il avait apportées et comme il y avait alors beaucoup de mariages chez les Turcs, les premières ventes qu’il fit furent très importantes. Il accumula une grande somme d’argent ; cela va sans dire et il est compris de tous, qu’à cette époque c’était une source de frayeur si l’on venait à savoir que quelqu’un avait beaucoup d’argent en caisse. Ce n’était pas seulement par peur des gens du peuple, mais aussi des grands Beys qui avaient leurs voleurs attitrés et les envoyaient par les routes et dans les villes pour qu’ils volent leurs biens et les tuent; ils leurs servaient de receleurs et de protecteurs, car comme je l’ai écrit auparavant, quand un Turc tuait un Juif ou un chrétien, on n’osait rien dire. Et M. Abraam savait bien que la plus grande part de la richesse des Beys provenait des voleurs qui agissaient ainsi. Considérant cela, il se rendit chez l’Agha Mehmet Emin et le pria de lui donner une recommandation pour le gouverneur de Sofia en lui disant certainement la raison pour laquelle il en avait besoin. Contrairement à Samokov, toute la ville de Sofia et les villages alentour étaient gouvernés par un officier de la Garde, un Spahi. J’écrirai peut-être là-dessus plus avant si en vient l’occasion. L’Agha Mehmet Emin qui ne lui refusait rien de ce qu’il demandait, lui donna une lettre scellée. Comme M. Abraam ne pouvait pas l’ouvrir et qu’il ne jugeait pas convenable de lui demander ce qu’il avait écrit, il le remercia et se retira.

komo no pudiya, i demandarle lo ke le eskrivio non le vino a bueno, le dio las grasias i se salio.

Ke en pasando unos kuantos dias, partio por Sofia, i le yevo la karta al sinyor Ispai, i se entiende ke al prinsipio le bezo los pies, sigun el uzo, i el Ispai ke meldo la karta, lo miro, en la kara, i le dicho ke se asentara ke esto para akel tiempo azer asentar delantre de un Ayan, a un djidio, era komo un pekado para los Turkos, i el sinyor Abraam I no se asento, i le dicho kuala demanda tienes de azer de mi de muevo le bezo los pies, i le dicho si era posible ke lo nominara por Kachero, en la kacha de el governo, el Ayan se riyo, i le dicho vernas 3 amaniana, i el sinyor Abraam I sin mas nada dezirle gustozo ke es esto ya era una buena sinial de atchetamiento, le bezo los pies i se salio, ma el sinyor Abraam I ke keriya muntcho saver lo ke le eskriviria, se detchizo kon grande libertad, por demandarle.

Sigun i ke ya le demando ke a la maniana kuando le fue, le dicho el Ayan, ke por esto iva a eskrivir a Kostan, i kuando verna la repuesta ya le va a eskrivir al Mehmed Emin AA, i esto pude pasar mas de 7-8 meses, i el sinyor Abraam I le dio las grasias, i le dicho, ke le roga si es posibile ke le dichera lo ke le eskrivio el Mehmed Amin AA, i el Ayan denpues ke penso un poko, i en este momento el sinyor Abraam I se espanto muy muntcho, i tomo la karta i se la meldo, sin nada dizirle, ke la karta konteniya de lo ke le meldo fue, el portador de esta karta es mi konfidente Bazirgyan, Abramatche, te rogo ke lo sientas por esto ke te va arogar, i el signor Abraam I le bezo los pies, i le dicho ke iva a partir por Samokov, i le dio tambien una karta para el AA, de Samokov, i arivando a Samokov, le yevo la karta i le konto de todo lo ke les paso, i le dicho ke ya es bueno esto komo te lo konfiara, i el sinyor Abraam I se fue a su etcho de su butika.

5567

En este anyo de 5567, entre los Djidios de Samokov, les salio pleito, lo todo por el etcho de la Areha ke es las taksas ke se les kargava a todo el

Quelques jours plus tard, il partit pour Sofia et porta la lettre au gouverneur. Il va sans dire qu’il commença par lui baiser les pieds comme le voulait l’usage. Le gouverneur en lisant la lettre, le regarda dans les yeux et lui dit de s’asseoir – à cette époque faire asseoir un Juif devant un gouverneur était considéré comme un pêché par les Turcs et M. Abraam I s'en abstint. Le gouverneur lui demanda quelle requête il avait à lui faire. M. Abraam de nouveau lui baisa les pieds et lui demanda s’il était possible qu’il le nomme comme trésorier du gouvernorat. Le gouverneur rit et lui dit de revenir le lendemain matin. M. Abraam I sans rien lui dire de plus se réjouit, car il s’agissait d’un signe d’approbation. Il lui baisa les pieds et sortit. Mais M. Abraam I qui voulait absolument savoir ce que [l’Agha] lui avait écrit se décida de façon très intrépide à le lui demander.

Comme prévu, il s’en alla trouver le gouverneur le lendemain matin et celui-ci lui dit qu’il allait écrire à ce propos à Constantinople et que quand viendrait la réponse, ce qui pouvait prendre plus de sept à huit mois, il écrirait à l’Agha Mehmet Emin. M. Abraam I le remercia et le pria de lui dire si cela était possible ce que lui avait écrit l’Agha Mehmet Emin. Le gouverneur, après avoir un peu réfléchi – et pendant ce temps M. Abraam I était saisi de terreur – prit la lettre et se la lut sans rien dire de son contenu. La seule chose qu’il lui lut disait: « Le porteur de cette lettre est mon confident et fournisseur attitré Abramatche. Je te prie d’écouter sa requête. » M. Abraam I lui baisa les pieds et lui dit qu’il allait partir pour Samokov. Le gouverneur lui donna également une lettre pour l’Agha. À son arrivée, il lui porta la lettre et lui raconta tout ce qui s’était passé. L’Agha lui dit qu’il semblait que sa requête allait être satisfaite, puis M. Abraam I retourna vaquer à ses affaires dans sa boutique.

Année 5567 [1806/1807]

En l’an 5567, un conflit surgit parmi les Juifs de Samokov à propos de l’areha, la taxe que supportait le peuple pour l’entretien de la communauté. Les uns s’exclamaient que c’était trop lourd et les autres insistaient. M. Abraam I voyant tout cela, réunit toute la

3. Forme dialectale du futur du verbe vinir.

4. Du verbe primir ou premir: être absolument nécessaire, être désiré. [J. Nehama]

5. De l’hébreu biblique םיתִׁ֜רְשָמְ: préposé.

6. De l’hébreu mazon ןוֹזמָ: subsistance.

7. De l’hébreu yehudim: Juifs. Les Juifs rattachés à une communauté, à une même synagogue.

8. De l’hébreu: administrateurs.

9. Au sens de pourboires, gratifications.

10. L’aspre est une menue monnaie. Le fait de compter les dons en aspres permettait de magnifier la générosité des fidèles lors de la mise aux enchères des misvoth.

11. Dramas: mesure de poids qui vaut 3,205 grammes. [J. Nehama] puevlo por el sostenimiento de el kolel, ke los unos gritavan ke les era muntcho i los otros ensistavan, i el sinyor Abraam I viendo a todo esto los rekojo a el kolel entero en el Midrach, ke era el salon de las adjuntas ke se aziyan por los reglamientos de los etchos de el kolel, i les dicho, todos vozotros muy bien ya lo savech ke este kolel es solo mozotros ke lo vamos a sostener mos eskriviremos kada uno de su buena veluntad la suma ke puede pagar, i denpues veremos komo lo vamos a resentar, i lo izieron ansi, ke se eskrivieron todos, i el sinyor Abraam I iva tomando notas ke kuando ya se eskrivieron todos rekojo la suma i topo ke salio serka 400 aspros, i para 600 aspros ke se keriyan a la semana de gasto les dicho el sinyor Abraam I ke ya los iva a dar el, i kon esto se resento la kestion, i todos se kedaron kayados, i se kontinuo el andar de el kolel, i sinyor Abraam I se okupava muy muntcho, a enkamenar lo sigun primia 4, sovre todo en el etcho de el Talmud Tora, i pedria oras enteras en egzamenando a los elevos, i los enbezava tambien a los Hahamim, la manera de konportarsen, enfrente los elevos, i las metodas de el enbezamiento de akel tiempo son enteramente diferentes a las de agora, las pagas ke pagavan a los Mechartim5, en akel tiempo eran de a 60-70 aspros a la semana, i esto los van a rekojer de kada Yahid, la suma ke se le tiene fiksado por pagar a la semana, i aparte les davan a 7 mazones6 , ke es 7 panes tambien espartidos entre los Yehidim7 , ken a kual mechared le iva a dar, i esto tambien los rekojiyan de las kazas ke los mimonim 8, le amostravan, i denpues teniyan mas i otras entradas9 komo estas ke ya son i en este tiempo, la mizeria era muy grande, i kon muy grande abatision era sus bivir, i la metoda de las venditas de las Misvod, ke se venden agora, por 3 o 5000 el avrir las puertas de el Ehal, o el yevar el Sefer Tora, o la Aftara es a la kuenta de los aspros10 , i en kada sivdad lo nombraron los 1000 kuala por 5 groches i kuala por 7 ½ otras por 2 frankos, i ansi ay tambien i ainda ke etchamos 10 dramas11 de plata para la hevra keducha, tambien kere dizir 10 aspros porke un aspro pezava 1 drama, ansi uzos son kedados de akel tiempo, i esto solo entre los Djidios

communauté à la maison d’études, là où se tenaient les assemblées pour régler les affaires communautaires. Il leur dit : « Vous savez tous très bien que nous serons les seuls à subvenir aux besoins de cette communauté. Chacun va écrire de sa meilleure volonté la somme qu’il peut payer et ensuite nous verrons bien comment nous en arranger. » Ils en firent ainsi : tous s’inscrivirent tandis que M. Abraam I prenait des notes. Quand tous se furent inscrits, il collecta la somme et trouva qu’il y avait environ 400 aspres alors qu’ils en avaient besoin de 600 par semaine pour couvrir les dépenses. M. Abraam I leur dit qu’il donnerait la différence et c’est ainsi que la question fut résolue et que tous restèrent cois. La communauté poursuivit son activité et M. Abraam I se souciait beaucoup de faire avancer les choses les plus pressantes surtout en ce qui concerne le Talmud Torah. Il perdait des heures entières à examiner les élèves. Il apprenait aussi aux rabbins la façon dont ils devaient se comporter devant leurs élèves. Les méthodes d’enseignement de ce temps étaient complètement différentes de celles d’aujourd’hui. Les salaires qu’ils versaient aux enseignants en ce temps-là étaient de 60 à 70 aspres à la semaine et l’on percevait de chaque Juif la somme qu’il devait payer par semaine. On leur accordait en outre sept rations de nourriture c’est-à-dire sept pains également répartis entre les Juifs qu’un tel donnait à tel enseignant. Ils recevaient aussi cela des maisons que leur désignaient les administrateurs de la communauté. Ils touchaient également d’autres gratifications comme celles-là. La misère était très grande à cette époque et leurs vies se passaient dans la détresse.

La vente des misvoth se faisait en aspres [en menue monnaie] comme maintenant où l’on vend pour trois à cinq mille [aspres] l’ouverture des portes de l’Ehral, ou le port du Sefer Torah ou la lecture de la Haftarah. Dans chaque ville, on proclamait 1 000 ce qui représentait 5 groches et 7½ pour une autre qui valait 2 francs. Encore aujourd’hui l’on donne 10 dramas d’argent à la confrérie funéraire soit 10 aspres, car un aspre pesait un drama. Ces usages sont restés en vigueur depuis ce temps et seulement parmi nous autres Juifs, les Sépharades espagnols. De nombreuses coutumes de ce type n’ont pas encore changé.

de muestras partes, en los Sefaradim, Ichpanioles, i ansi uzos, son muntchos, ke ainda non trokaron.

En este anyo el sinyor Abraam I se lo tomo a su ijo el grande a su butika, i Hr. Tchelebi I ke ya era grande i muy entelijente kon grande atansion lavorava en la butika, i sintiya a todos los komandos de su sinyor Padre, ansi iva kontinuando, i lo mandava kon ropas tambien a los konakes, sigun ditcho mas antes ke las Hanumes, non saliyan al tcharchi, por azer sus empleos, ke esto ya turo fin a el tiempo ke fue la guera Turka-Russa, en el anyo de 5638, i en muestras kazas tambien traivan los merkaderes ropas para eskojersen las mujeres, mizmo i para los ombres, ke era komo una verguensa el ir a las butikas de los merkaderes para merkar.

I ansi era ke la butika ya estava siempre avierta, i sus venditas fueron kada dia muntcho mas grandes, mas tadre enpeso i a enbezarlo tambien i el etcho de las drogas, i de los Maadjunes12, ke esto le era lo mas enportante, i Hr. Tchelebi I. muy presto supo dezmenuzar 13 las drogas meskladas en la almires 14, i kuando ya estuvo en la butika komo 6 mezes mas ya non tuvo el menester su sinyor, Padre de enbezarlo ke ya lo viya ke sovre todos los puntos ya estava de lo mas muntcho al kuriente, i ansi, era ke el sinyor Abraam I lo dechava solo en la butika i se iva el ande el sinyor de Mehmed Emin AA, i a los konakes de los otros Begis i Tchorbadjis de Samokov, ke de todos estos se enbezava muntchas kozas ke le enteresavan para su etcho, i tambien ke era los tiempos mustesna 15, sin dinguna razon muy presto lo depedrian a la persona i non aviya ni ande kon i yorarse, ni menos ke le boltavan kara 16, i esto, ya akontesiya siempre, lo mas muntcho en las personas enfluentes, era por esto tambien ke se ivan todos de temprano a sus kazas i se seravan sus todas puertas kon fuertes seraduras.

El sinyor Abraam I de esto ke deva moneda kon interes siempre lo kontinuava, i de entonses ke kedo el nombre para la familia muestra, fin al tiempo de oy ke en Samokov mos yaman Sarafite 17, i esto solo a los vinientes de el linaje de

Cette année-là, M. Abraam I prit avec lui son fils aîné à la boutique et Maître Tchelebi I qui était déjà mûr et très intelligent y travaillait avec grand soin et écoutait tous les ordres de monsieur son père. Ainsi il progressait et [M. Abraam I] l’envoyait aussi avec des marchandises dans les riches demeures, car comme je l’ai dit auparavant, les femmes turques ne se rendaient pas au marché pour faire leurs achats. Il en fut ainsi jusqu’à la guerre russo-turque, en l’an 5638 [1877/1878]. Dans nos maisons aussi, les commerçants apportaient des marchandises pour que les femmes les choisissent. Il en allait de même pour les hommes. Aller acheter dans les boutiques des marchands était considéré comme quelque chose de honteux.

C’est ainsi que la boutique restait toujours ouverte et que les ventes étaient chaque jour plus grandes. Plus tard, M. Abraam I entrepris aussi d’apprendre à son fils aîné le métier de droguiste et les différents remèdes ce qui revêtait la plus grande importance pour lui. Maître Tchelebi I sut très vite piler les potions mélangées dans les mortiers. Quand il eut passé six mois dans la boutique, monsieur son père n’eut plus besoin de rien lui enseigner. Il voyait qu’il était déjà parfaitement au courant à tout point de vue. C’est ainsi que M. Abraam I le laissait seul dans la boutique et allait chez l’Agha Mehmet Emin et dans les villas des autres beys et notables de Samokov. De tous ceux-là, il apprenait beaucoup de choses qui l’intéressaient pour la conduite de ses affaires. C’était aussi une période exceptionnelle. D’un coup, sans aucune raison, une personne disparaissait et il n’y avait personne chez qui on puisse aller pleurer, ni même qui vous prenne en considération. Et c’est une chose qui arrivait surtout aux personnes influentes. C’est pour cela que tous rentraient tôt chez eux et condamnaient toutes leurs portes avec de solides serrures.

M. Abraam I poursuivait ses prêts à intérêts et depuis lors jusqu’à aujourd’hui à Samokov notre famille porte le titre de Sarafite « changeurs ». Cela ne vaut que pour les descendants de Maître Tchelebi Moche A. Arié I qui ont tous, de génération en génération, poursuivi jusqu’à aujourd’hui l’activité de banquier.

N’ayant eu aucune nouvelle du courrier transmettant sa requête pour être nommé trésorier à Sofia,

12. Remèdes, onguents.

13. Emietter, analyser.

14. Mortier à piler.

15. Du turc müstesna: exceptionnel.

16. Boltar kara: prendre en considération. [J. Nehama]

17. Du turc saraf: changeur (de monnaie), banquier.

18. Du turc yavaş: lentement, petit à petit, peu à peu.

19. Du turc ottoman èdjnas pluriel de djin: genres, espèces, sortes.

20. Les yuzlukes sont des pièces en argent valant 100 paras frappées sous le règne d’Abdul Hamid I vers 1789.

21. Sans doute un talent d’argent de la république de Raguse.

22. Sans doute l’une des monnaies d’or de l’impératrice d’Autriche Marie-Louise frappées vers 1815.

23. Esedi Kurush Aslanes (lions). Parmi les écus étrangers celui qui paraît être le premier adopté et le plus en faveur est l’écu au lion de Hollande connu en Turquie sous le nom de Esedi guruş (en abregé Esedi) ou arslani guruş (arslanî aslani asselani que les occidentaux appellent ausis abouquel de l’arabe abu’l kelb). [note MCBV] Hr. Tchelebi Moche A. Arie I ke estos djerenansios, kontinuaron fin agora las operasiones de el bankerlik tambien, todos eyos.

El sinyor Abraam I visto ke non uvo dingun avizo sovre esto ke tengo eskrito ke demando por ser kachero en Sofia, se fue el mizmo a Sofia, i fue ande el Sekretar de el Ayan de Sofia, por demandarle si vernia alguna repuesta de Kostan sovre la demanda suya, i el sekretar le dicho ke ansi karta ya avia ma ainda non se la avia dado al Pacha, sigun los etchos de los Turkos ke ya es i agora todo yavach yavach 18, i el sinyor Abraam I ke ya se aseguro izo ke se fue al kabineto de el Pacha, i kon bezarle los pies le dicho na ke yo ya vine i el Firman ke ya vino te rogo ke me komandes para enpesar en el lavoro, i el Pacha riendose le dicho ya vo a dar agora el orden por maniana ke te entregan la kacha i tu vernas a resivirla, i le se bezo los pies i se salio i a la maniana resivio la kacha, i enpeso en el lavoro, la paga era de 400 aspros al mez ke por la paga non lo izo otro ke era solo por el Saraflik ke aviya grande ke muntchos non lo saviyan, i era ke a la kacha kaivan todo modo de monedas seya de oro komo tambien i de plata ke aviya la ejna 19 ke eran los Yuzlukes 20, Ragozas 21, Mariaches 22, Aslanles 23, i muntchas otras ansi, i la kuenta era todo en aspros, el rubie era la valor de 300 aspros ke es 100 paras, i esto todo ke kaiva a la kacha, el sinyor Abraam I lo apartava, i la trokava de su moneda de aspros, i el oro kon la ejna la mandava al presipio a Kostan a la banka de Tchelebi Bohor Karmona, i la negosiava en Kostan, ke teniya una ganansia de 10 a 12 % de esta forma fue kontinuando, i esto de ser kacheros en las kachas de el governo lo kontinuaron fin a el anyo de 5618, ke fueron en Samokov tambien i denpues se lo pasaron a Hadji Yovan Yadji Toneoglu, uno de los Tchorbadjis de Samokov, kon ke trokavan torna eyos el oro kon la plata i la mezada ke resiviyan de la kacha de Samokov era 170 groches al mez, i mas tadre eyos mandavan estas valutas a Salonique, ke ganavan a 12 i 14 % era el sinyor Abraam I ke estava en Sofia i Hr. Tchelebi en Samokov en la butika, i mas tadre se ivan trokando, el padre kon el ijo, el sinyor Abraam

M. Abraam I se rendit lui-même là-bas et alla trouver le secrétaire du gouverneur pour lui demander s’il était venu quelque réponse de Constantinople à sa demande. Le secrétaire lui répondit qu’il y avait bien une lettre à ce propos, mais qu’il ne l’avait pas encore donnée au Pacha, selon l’habitude qu’ont les Turcs de dire encore maintenant : « doucement, doucement ». Une fois rassuré, M. Abraam I se rendit au cabinet du Pacha et après lui avoir baisé les pieds, il lui dit : « Puisque je suis venu et que le firman [le décret] est arrivé, je te prie de m’ordonner de me mettre au travail. » Le Pacha en riant lui dit : « Je vais donner maintenant l’ordre pour qu’on te remette demain la caisse et tu viendras la recevoir. » M. Abraam I lui baisa les pieds et se retira. Le lendemain, il reçut la caisse et se mit au travail. Le salaire était de 400 aspres par mois, mais il ne le faisait pas pour le revenu mais seulement pour l’intérêt du change qui était grand, ce que beaucoup ignoraient. La caisse recevait toutes sortes de monnaies d’or et d’argent comme des yuzlukes [pièce d’argent valant 100 paras], des talents de Raguse, des MarieLouise, des écus de Hollande et beaucoup d’autres pièces encore. Tous les comptes se faisaient en aspres. La pièce d’un rubiye en or valait 300 aspres ou encore 100 paras. M. Abraam I mettait de côté tout ce qui entrait en caisse et le changeait en aspres. Au début, il envoyait l’or avec les autres pièces à la banque de Monsieur Bohor Karmona à Constantinople. Il procédait au change là-bas ce qui permettait de réaliser un gain de 10 à 12 %. Les affaires se poursuivirent ainsi ; les Ariés exercèrent la fonction de trésorier du gouvernorat jusqu’en l’an 5618 [1857-1858]. Ils avaient la même fonction à Samokov et ensuite ils transférèrent le poste à Hadji Yovan Yadji Toneoglu, l’un des notables de Samokov. Ils changeaient les pièces d’or en argent et recevaient du trésor de Samokov un salaire de 170 groches par mois. Plus tard, ils envoyèrent ces valeurs à Salonique en gagnant de 12 à 14 %. M. Abraam I résidait à Sofia et Maître Tchelebi à la boutique de Samokov et ensuite le fils et le père échangèrent leurs positions. Avant d’aller à Sofia, M. Abraam I conduisit Maître Tchelebi chez l’Agha Mehmet Emin pour le lui recommander, en le priant de le protéger comme il l’avait fait pour lui-même. L’Agha lui répondit qu’il

I antes de irse a Sofia, lo yevo a Hr. Tchelebi ande el Mehmed Emin AA, i se lo rekomando, en rogandole porke lo protejara i a el sigun ke lo proteja a el mizmo i el AA. le dicho ke el los kere bien i non se tiene de ulvidar de eyos, ke sovre eyo le bezaron todos los dos los pies i denpues en el tiempo ke el sinyor Abraam I non estava en Samokov, le iva siempre Hr. Tchelebi, i lo resiviya kon muntcha onor, ke en Hr. Tchelebi tambien aviya bona avla, i konosiya tambien bueno la lingua turka, i savido i Haham ke ya era sovre los estudios de el Talmud, kuando le iva le kontava algunos pasos ke le plazian al AA, de estos de el Talmud, kon ke se los prontava de mas antes, i le plaziyan muy muntcho, i siempre lo resiviya kon kara riente, ke ansi era ke todos los dos seya el padre komo tambien i el ijo eran yenos de la alegria, i biviyan kontentes i gustozos seya en kaza komo tambien i en la plasa.

5568

En este anyo de 5568, el sinyor Abraam I. se vino a Samokov i Hr. Tchelebi era en Sofia, en el etcho de la kacha, i siendo ke el sinyor Abraam I ya se aviya dezuzado de los etchos de la butika i non estava pudiendo mas lavorar solo, i sus dos ijos los mas tchikos ke son Hr. Josef, kon H. Refael, ke estavan estudiando en el Midrach, se lo tomo a Hr. Josef a la butika, para ke enpesara tambien a enbezarse la merkansia, i Hr. Josef tambien ke non le mankava el saverisio menos de Hr. Tchelebi, teniya una demazia ke era muy entelijente mas de los otros todos sus ermanos, el en muy poko tiempo supo guiyar la butika, i respondia a lo todo i el sinyor Abraam I se okupava en otros etchos, ke muntchos dias se iva al Midrach, por djuzgar al puevlo, i reglar los etchos de el kolel, porke en el tiempo ke sinyor Abraam I non estava en Samokov, non se okupava otro dinguno, i tambien se iva a estudiar sovre el Talmud, ke esto non lo dechava nunka, i mas kalya ke vijitara en todos los konakes todos sovre todo ande el Mehmed Emin AA, a la butika iva mas raro, solo por ver sigun lo iva enkamenando

les aimait bien et qu’il ne les oublierait pas. Sur ces paroles, ils lui baisèrent tous deux les pieds. Pendant tout le temps où M. Abraam ne résidait pas à Samokov, Maître Tchelebi se rendait régulièrement chez l’Agha ; il y était reçu avec beaucoup d’égards. Il avait lui aussi une conversation agréable, connaissait bien la langue turque et était sage et instruit en matière d’études talmudiques. Avant de s’y rendre, il préparait à l’avance quelques passages du Talmud à raconter à l’Agha et qui lui plaisaient beaucoup. On lui faisait toujours bon accueil et c’est ainsi que tant le père que le fils se réjouissaient, vivaient heureux et satisfaits chez eux comme en ville.

5568 [1807/1808]

En 5568, M. Abraam I vint résider à Samokov et Maître Tchelebi se rendit à Sofia pour y exercer comme trésorier. M. Abraam I avait perdu l’habitude des affaires de la boutique et il ne pouvait plus travailler seul. Ses deux fils cadets, Maître Joseph et Maître Refael étudiaient au midrash. Il prit à la boutique Maître Joseph afin qu’il commence à apprendre le commerce. Pour l’instruction, Maître Joseph n’était pas en reste sur Maître Tchelebi et, plus que tous ses autres frères, il avait de l’intelligence à revendre. En très peu de temps, il sut comment diriger la boutique et répondre de tout. M. Abraam I s’occupa alors d’autres affaires ; il passait beaucoup de jours au midrash pour juger le peuple ou traiter des affaires de la communauté, car durant tout le temps où M. Abraam I n’avait pas résidé à Samokov, personne d’autre ne s’en était soucié. Il allait aussi étudier le Talmud, une chose qu’il ne cessa jamais de faire. Il devait aussi aller en visite chez les notables et surtout chez l’Agha Mehmet Emin. Il allait plus rarement à la boutique et seulement pour voir comment Maître Joseph menait l’affaire. Ce dernier était un homme mince, de haute stature et se tenant droit. Il avait le teint plutôt brun et des yeux très noirs au point qu’il paraissait loucher. Par rapport à lui, ses frères paraissaient petits et corpulents. Ils avaient des traits réguliers, tous étaient sains et bien portants, de caractère agréable. Ils écoutaient tous ceux qui leur parlaient. Ils prenaient beaucoup de soin de leur père

24. De šašut mot d’origine turque: louche, bigle, affecté de strabisme. [J. Nehama]

25. Régulière, normale, habituelle. [J. Nehama]

26. Du turc haraç, tribut , impôt foncier acquitté par les minorités. La charge de fermier, chargé de la collecte fiscale.

27. Les non-musulmans ou gyaours, mot francisé en « guèbre ».

28. Les nations reconnues dans l’Empire ottoman sont au nombre de trois: les Grecs (Roum), les Arméniens (Ermèni), et les Israélites (Yahoudi).

29. Du turc ottoman: rèsm ou rèsim: impôt.

30. Le vakf ou vakouf en français (au pluriel èvakf), fondation pieuse, bien inaliénable consacré aux établissements religieux. Il s’oppose au mulk, propriété de franc-alleu qui n’est affectée d’aucune redevance.

31. Du turc: mosquée.

32. Du turc hazinè ou plus familier haznè: trésor, trésorerie. el etcho Hr. Josef, este ultimo era un ombre alto i muy deretcho, era flako, su vista era sovre morena, los ojos teniya muy pretos, fin al grado ke paresiya ke mirava chachi 24, lo kual por enfrentante sus ermanos eran bachikos, i godros, sus vista regoler25 , todos eran muy sanos i rezios, sus karakteres bonatchos, i sintiyan a todos kuando les avlavan a sus padre lo katavan muy muntcho eyos tambien de los unos a los otros se katavan muy muntcho, ansi era i las mujeres en kaza, i por esto kale dizir ke biviyan buenos i siempre estavan gustozos.

Kuando ya estava el sinyor Abraam I komo 2 mezes en Samokov, se iva a Sofia, i lo mandava a Hr. Tchelebi a Samokov, i eran los 2 ermanos ke governavan la butika, i el sinyor Abraam era en la kacha en Sofia, ke en este tiempo ke estuvo en Sofia merko la haratcheria 26, de Sofia, ke es el kovramiento de los dasios, ke los kargavan el puevlo, ke es solo a los In Gairi Muslim27, o Rayas28 kere dizir a los ke non son Turkos ya abastava solo lo ke eran Askeres i mas teniyan muntchas entradas de el Resem29, i taksas de los Djuzgos i de las venditas i merkadas ke se aziyan, i mas muntcho de los Vakofes 30 ke esto aviya muntcho en los Turkos ke enprezentavan seya para las Djames 31, komo tambien i para la Hazne 32, i esto kual de lo ke podiya seya en moneda seya en mulkes, ke aki vo a eskrivir algo sovre algunos de los Vakofes Mulkie, de Samokov, ya saven i konosen los Balkanes de la Rila ke enpesan de Samokov i se eskapan en Seres, ande existe la Musalla 33, Tcham 34 Koru 35, todos los Balkanes i Charas36 en los kazales de los Iskeris, i los Balkanes ke los empatronan agora los Djerenansios de Tchelebi Yeuda i de Tchelebi Gavriel, de el linaje de Hr. Tchelebi Moche A. Arie, I ke son Dupnitsa, i Vrichnik, i ansi muntchos otros ke estos Balkanes son etchos Vakuf de el Gazi Mustafa Pacha, i en los dokumentos ke davan era el nombre del Gazi Mustafa Pacha Vakfindan estos Balkanes, oy tienen una valor la mas tchika de 100 miliones de liras turkas, i ansi en otras sivdades es lo mizmo en Kostan los tres kuartos es Vakuf, i todas estas entradas eran para la Hazne, kuanto a los dasios

ainsi que les uns des autres. Il en allait de même des femmes à la maison et pour cela on doit dire qu’ils vivaient heureux et toujours satisfaits.

Après environ deux mois passés à Samokov, il se rendit à Sofia et envoya Maître Tchelebi chez lui ; les deux frères se trouvèrent ainsi à s’occuper de la boutique. M. Abraam se chargeait de la trésorerie à Sofia. C’est lors de ce voyage à Sofia qu’il acquit la ferme des impôts de Sofia, c’est-à-dire le recouvrement des impositions dont était redevable le peuple. Cela ne concernait que les non-musulmans, les rayas [nations] autrement dit ceux qui ne sont pas Turcs. Le fait que ces derniers s’acquittent du service militaire était considéré comme [une charge] suffisante. Ils tiraient en outre beaucoup de recettes des impositions, des taxes sur les jeux, sur le commerce et encore plus des fondations pieuses. Il y avait beaucoup de Turcs qui se présentaient soit au titre des mosquées, soit au titre du trésor et auprès desquels on s’acquittait soit en monnaie, soit en biens fonciers. Je vais dire ici quelques mots à propos des fondations pieuses de Samokov. Vous connaissez déjà le massif montagneux de la Rila qui commence à Samokov et qui s’achève à Serres et où se trouvent le pic de la Musala, les forêts de pins, les montagnes, les bois, les villages balkaniques de Dupnitsa et Vrichnik qui sont aujourd’hui administrés par la génération de Tchelebi Yeouda et de Tchelebi Gabriel, descendants de Maître Tchelebi Moche A. Arié. Comme beaucoup d’autres villages des Balkans ils dépendent de la fondation pieuse du Gazi Mustapha Pacha comme l’attestent les documents. Aujourd’hui ils valent au moins cent millions de livres turques. Il en va de même dans les autres villes. À Constantinople, les trois-quarts des biens fonciers appartiennent aux fondations pieuses et tous leurs revenus allaient au Trésor. Les autres nations devaient s’acquitter des contributions que l’on désigne sous le terme de haratch, car elles vivaient sur leurs terres agricoles et n’effectuaient pas de service militaire.

Par exemple, le gouverneur assignait le paiement de 1000 groches à tous les Juifs de Sofia et ils devaient en répartir la charge entre eux selon leurs capacités ; ces répartitions étaient la source de très grandes disputes. Il en allait de même pour les chrétiens, les Tziganes et toutes les autres nations. Toutes les sentences à ce

de los otros puevlos ke es el Haratch, deviyan de pagar por ke estan biviendo en sus zieras 37, i ke non van a el Askerlik 38, era ke el Aayan, les nombrava komo por enchemplo, a todos los Djidios de Sofia, 1 000 groches i esta suma se la deven de espartir entre eyos ken kuanto merese, i era pleitos muy grandes en estas espartisiones, i ansi por los Kristianos, Zinganos, i todos los otros puevlos i todos los djuzgos sovre esto los djuzgava el Haratchero, i teniya el poder de enserarlos i harvarlos i kondenarlos en moneda, la paga era 5 % de las sumas ke kovrava ma teniya el etcho de el Saraflik le era muntcho.

A los presipios era el sinyor Abraam I ke ya iva estando solo en Sofia, i alkansava para mirar el etcho de la kacha i de la Haratcheria, ma mas tadre ke non pudo azerlo solo se traiyava a el un ijo a Sofia, i eran los 2 en Sofia i el uno de eyos restava en Samokov, i en kada 2 mezes se ivan trokando, i en el tiempo kuando eran solos los 2 ermanos en Sofia, el uno de eyos en kada dia se ivan a el Midrach de el kolel ande djuzgavan a los Djidios, por enbezarsen Ley, sigun ke ya lo tengo eskrito ke los djuzgos de los Djidios era solo el rabino de la sivdad ke los djuzgava, sigun la Ley de Moche Rabeno, era para esto ke se ivan por enbezarsen Ley.

En este anyo el sinyor Abraam se pronto para ir a Kostan i se lo yevo a su ijo el grande Hr. Tchelebi I kon si a Kostan, por amostrarle i enbezarlo las merkidas i azerlo konoser kon los merkaderes i los bankeres, de Kostan, i la butika de Samokov la seraron, i Hr. Josef esto en Sofia en el etcho de la kacha i este de la Haratcheria, ke ya lo aviyan resentado kon meter en kada Mahale (birnikes) Muhtares 39 por ke rekojeron los dasios ke se les fikso a kada uno, i era el Birnik ke las rekojiya i le traiva la moneda a el Haratchero, eyos ke estuvieron en Kostan poko tiempo izieron presto sus empleos, i se vinieron a Samokov, i a la maniana partio Hr. Tchelebi I por Sofia i el sinyor Abraam I ke resto en Samokov fue ke resento las ropas i aziya las venditas.

En esta ves ke estuvieron en Kostan el Tchelebi Bohor Karmona los konbedo en su kaza una

propos étaient rendues par le percepteur qui avait le pouvoir de les faire emprisonner, de les faire bastonner et de les condamner à des amendes. Il touchait comme rétribution 5 % des sommes collectés, mais il exerçait en plus la fonction de changeur ce qui était beaucoup.

Au début, M. Abraam I résidait seul à Sofia et il parvenait à exercer à la fois la fonction de trésorier et celle de percepteur. Quand plus tard, il ne put y parvenir seul, il prit avec lui l’un de ses fils à Sofia. Ils étaient ainsi deux à résider à Sofia tandis qu’un seul restait à Samokov. Tous les deux mois, ils permutaient leurs postes. Avec le temps, quand les deux frères se retrouvaient seuls à Sofia, l’un d’entre eux se rendait chaque jour à la salle d’études de la communauté où était rendue la justice pour les Juifs, pour étudier la Loi. Car comme je l’ai déjà écrit, le rabbin de la ville était le seul compétent pour rendre les jugements concernant les Juifs selon la Loi de Moïse notre maître. C’est la raison pour laquelle ils apprenaient la Loi.

Cette année-là, M. Abraam se prépara à aller à Constantinople et il prit avec lui son fils aîné, Maître Tchelebi pour lui montrer et lui apprendre comment acheter, le présenter aux négociants et banquiers de Constantinople. Ils fermèrent la boutique de Samokov, car Maître Josef était à Sofia et s’occupait de la trésorerie et de la perception. Ils avaient placé dans chaque quartier, un délégué chargé de collecter les taxes assignées à chacun ; c’était ce préposé qui percevait l’argent et l’apportait ensuite au percepteur. Ils achevèrent au plus vite leurs achats à Constantinople et rentrèrent à Samokov. Le lendemain matin, Maître Tchelebi I partit pour Sofia et M. Abraam I resta à Samokov ranger ses marchandises et procéder aux ventes.

Lors de leur dernier séjour à Constantinople, M. Bohor Karmona les invita à dîner un soir chez lui et ils y restèrent à dormir. M. Karmona prit grand plaisir à converser avec eux, car il était également quelqu’un de très sage et d’instruit. Il leur dit que la prochaine fois que lui ou ses fils viendraient à Constantinople qu’ils viennent directement chez lui, plutôt que de descendre dans l’un des hôtels de commerce. Ils le remercièrent de l’honneur qu’il leur faisait et quand ils quittèrent sa maison, M. Abraam I offrit aux domestiques de

33. Plus haut sommet (2925 m) de la chaîne montagneuse de la Rila.

34. Du turc, sapin.

35. Du turc, korou, forêt, bosquet.

36. Forêt, bois.

37. Du turc, zèr’ champs, terres agricoles.

38. Service militaire.

39. Préposé d’un quartier, d’un village.

40. Les rubies ou yeni rubiyes sont des pièces en or frappées vers 1808 sous le règne de Mahmoud II.

41. Châle ou étole servant de ceinture.

42. « à force de chercher, tout ce que tu as trouvé c’est d[’aller] te plaindre chez ce Kezzapçi oğlu?! » (turc familier). Il semble que des familles juives aient porté ce surnom ou titre de Kezzapçi Oglu. Kezzap (vitriol), kezzapçi chimiste fabriquant du vitriol. On en trouve plusieurs exemples dans des documents de la fin du XIXe s. [note MCBV]

43. Ahmet Şefik Midhat Pasha (1822-1883), Grand vizir pro-occidental, réformateur et moderniste, il est connu principalement pour avoir mené le mouvement constitutionnel de 1876, mais a été aussi l’une des figures principales de la réforme ottomane en matière d’éducation et d’administration des provinces.

44. Du turc: qui appartient en commun.

45. Plana, montagne et village proches de Samokov. notche a komer i durmieron tambien en su kaza ke al sinyor Karmona le plazio muy muntcho sus platikas, porke i Tchelebi Bohor Karmona tambien era muy Haham, i les dicho por kuando vienen a Kostan seya el komo tambien i sus ijos ke non se abachen por los Hanes otro deretcho ke se vaigan a su kaza i se lo rengrasiaron por la onor ke les izo, i kuando se fueron de su kaza el sinyor Abraam I les decho para los mosos de kaza 10 rubies 40 de prezente ke esto fue grande onor para el sinyor Karmona, el kual sinyor, Karmona, mas denpues ke devino a ser al Grande Saraf de la Valide Sultan en el tiempo de Sultan Mahmud, i de kuala manera ke fue matado kon su proprio Chal Laur41 ke estava enkochakado en una de las tadres de viernes denpues ke se troko los vestidos para resivir el Chabad, i toda su fortuna ke fue rekojida para la Hazne, i en el tiempo de Hr. Josef, la konversasion ke tuvieron kon Tchelebi Bohor Karmona, por Usref Pacha, ke se akecho sovre ke los kargo a los Djidios de Samokov kon 400 groches de Dasio por todos los Djidios ke antes les kovrava solo 200 groches, i de la amenaza ke le dicho el Usref Pacha a Hr. Josef Vara, Vara, Kezaptchi Oglunda Mi Buldun Aglinmaya 42, i de el espanto ke tuvo ke mas non seya ke non lo iva a resivir kayo hazino i se murio de este espanto, i sovre la korespondensia ke tuvo mi Sinyor padre Tchelebi Abraam M. Arie, II kon el Grand Vizir Midhad Pacha 43, ke le era muy konosido ke kuando veniya a Samokov se abachava en la vigna de mi sinyora Madre ke era en Dragochin esta suya kampania, i yo Tchelebi Moche A. Arie II le dava los vestidos de su uniforma ke se vestiera para entrar en la sivdad, ke era en los anyos de 5634-5 lo todo viya Tchelebi Davidtchon Karmona, por un djuzgo ke tuvimos por una Muchia44 la Plana45 , ke esto todo en kada partida de kada uno ya lo vo a eskrivir en mas largo sigun de lo ke paso fin a un grado, i denpues ke el Sinyor Abraam I ya resento en Samokov, kontinuavan sigun antes trokandosen los unos en Samokov i los otros en Sofia, i non se enfastiavan longo tiempo de kontinuarlo.

la maisonnée dix pièces d’or de pourboire pour faire honneur à M. Karmona. C’est ce même M. Karmona qui devint bien plus tard le Trésorier de la sultane mère au temps du sultan Mahmoud et qui fut tué avec sa propre ceinture qu’il avait accrochée un vendredi soir après avoir changé de vêtements pour accueillir le shabbat. Toute sa fortune fut reversée au Trésor du sultan.

En son temps, Maître Josef se plaignit à M. Bohor Karmona des charges imposées par Usref Pacha aux Juifs de Samokov qui s’élevaient à 400 groches alors qu’auparavant on leur demandait seulement 200 groches. À la façon dont Usref Pacha menaça Maître Josef: « à force de chercher, tout ce que tu as trouvé c'est d'[aller] te plaindre auprès de ce Kezzapçi oğlu ?! » et de la crainte qu'il éprouva que le pacha ne le reçoive plus, il tomba malade et en mourut.

Monsieur mon père, M. Tchelebi Abraam M. Arié II fut en correspondance avec le grand vizir Midhad Pacha. Il était de notoriété publique que lorsqu’il venait à Samokov, il s’arrêtait parmi les vignes de Madame ma Mère, dans ses terres à la campagne à Dragochin. Moi-même, M. Moche A. Arié II, je lui apportais les pièces de son uniforme pour qu’il les mette avant d’entrer en ville. Cela avait lieu dans les années 5634-5635 [année civile 1874]. Nous vîmes tous M. Davidtchon Karmona à l’occasion d’une audience judiciaire à propos de Muchia la Plana. Tout cela, je l’écrirai plus en détail lorsqu’on arrivera au chapitre concerné. Ensuite M. Abraam I s’installa à Samokov et ils poursuivirent comme avant en se relayant les uns à Sofia les autres à Samokov pendant longtemps et sans en éprouver d’ennui.

Nous remercions vivement Marie-Christine Bornes Varol, professeure à l'Inalco qui a bien voulu éclairer le sens de certains passages et ajouter plusieurs notes.

Para Meldar

« Et les Juifs bulgares furent sauvés… » Une histoire des savoirs sur la Shoah en Bulgarie

Nadège Ragaru

ISBN: 978-7-2462-6506-6 SciencesPo Les presses. Paris. 2020.

C’est à un maître livre que nous convie Nadège Ragaru, directrice de recherche à Sciences Po. Les travaux dont il est issu lui ont valu l’habilitation à diriger des recherches. La singularité du sort des Juifs bulgares durant la Seconde Guerre mondiale a été très tôt reconnue et soulignée notamment par Hannah Arendt, Léon Poliakov et Raul Hillberg. Une abondante littérature, mais aussi des films, des expositions, des commémorations se sont emparées de ce fait exceptionnel. En France, on connaît surtout le livre du philosophe Tzvetan Todorov, La fragilité du bien. Le sauvetage des Juifs bulgares1. C’est cette dernière notion constituée en récit que Nadège Ragaru a choisi d’interroger. Elle explore sa genèse, en suit les méandres à travers les instances judiciaires, diplomatiques, parlementaires, académiques, muséales, au gré des interprétations et des instrumentalisations. Comme elle le rappelle en introduction, on y découvre que si les faits n’existent qu’au travers d’un récit, celui-ci est aussi producteur de faits. Rappelons que Nadège Ragaru s’inscrit dans une tradition historiographique déjà ancienne. Que l’on songe au Dimanche de Bouvines de Georges Duby, où les récits successifs constituent la bataille comme fait historique ou plus proche de nous et de notre sujet Le Syndrome de Vichy 2 d’Henry Rousso ou L’Enfant juif de Varsovie. Histoire d’une photographie 3 de Frédéric Rousseau. Le récit historique, souligne-telle, n’appartient pas en propre aux historiens. Il résulte des interactions entre de nombreux acteurs : juristes, hommes politiques, diplomates, témoins, artistes, chercheurs dont l’implication varie d’un champ à l’autre. Aucun récit ne rendra pleinement compte du passé, mais la concurrence des récits tend à réduire le champ du possible et du plausible.

L’auteure a découpé son analyse en cinq séquences. La première se déroule dans l’immédiat après-guerre et est tributaire de l’historiographie communiste. C’est aussi la plus déterminante puisqu’elle constitue le socle à partir duquel tous les autres récits vont devoir se situer. Elle a pour cadre le palais de justice de Sofia en mars 1945. La Bulgarie a en effet créé dès l’automne 1944, une juridiction exclusivement dédiée aux crimes antijuifs ce qui constitue un effort pionnier de « mise en procès » de la Shoah. Le tribunal populaire constitué pour l’occasion est évidemment une justice d’exception étroitement dépendante du pouvoir communiste. Il n’en est pas moins traversé d’enjeux au moment où s’affirme un nouveau pouvoir. La cause judiciaire est promue par des Juifs communistes bulgares. Ceux-ci sont conscients de l’attraction qu’exercent les idées sionistes sur une majorité de leurs coreligionnaires. Ils ont donc à cœur de démontrer que les persécutions ne sont pas le fait du peuple bulgare, mais d’une « clique fasciste » aux ordres des nazis. Alors que se tient la conférence de Yalta, le procès s’inscrit aussi dans un processus diplomatique est-ouest où le traitement des crimes anti-juifs est susceptible de conférer des avantages politiques.

Il n’est pas question ici de résumer le déroulement du procès, scrupuleusement analysé dans le livre. Nous n’en évoquerons que quelques grandes lignes. La documentation et les innombrables témoins appelés à la barre sont mis au service d’un même récit : l’héroïque résistance du peuple bulgare à la déportation des Juifs. La démonstration se fait en deux temps: 1) montrer qu’un pouvoir fasciste aux ordres des nazis a

1. Albin Michel. 1999.

2. Seuil, 1987.

3. Seuil, 2003.

La famille Panigel portant l'étoile. 1943. Plovdiv. Bulgarie.

Collection Panigel. Photothèque sépharade Enrico Isacco.

servilement décidé de la déportation des Juifs. 2) manifester que le peuple bulgare, étranger à tout antisémitisme, s’est victorieusement opposé à ces déportations.

La résistance aux mesures anti-juives est ainsi englobée dans la geste antifasciste. La spécificité de l’antisémitisme est niée. Les opposants aux déportations issus des rangs du pouvoir sont par ailleurs accusés d’antisémitisme et condamnés4 .

Cet aperçu à grands traits fait fi de subtiles divergences apparues à l’audience et de la part d’incohérence propre à chaque acteur. Ainsi du procureur Rahamimov qui pointe que les responsables bulgares ont préparé les déportations de leur propre initiative même s’il n’en tire pas les conclusions à l’heure des réquisitions.

En arrière-plan de ce procès se dessine le futur de la communauté juive divisée entre assimilationnistes et sionistes. L’appel sous les drapeaux des anciens travailleurs forcés juifs est extraordinairement impopulaire. La restitution des biens confisqués se fait attendre. Les petits commerçants et artisans juifs sont victimes de réquisitions. Des obstacles se dressent devant les candidats à l’émigration en Palestine. Au printemps 1945, les Juifs bulgares ont sans doute d’autres soucis en tête que le procès de leurs persécuteurs. Sabitaj Eshkenazi, un militant sioniste de gauche, cité par Nadège Ragaru résume le sentiment général lorsqu’il dit : « Nous ne voulons pas des lois qui nous protègent, nous voulons écrire ces lois nous-mêmes. »

Le 2 avril 1945, la cour rend son jugement qui est particulièrement indulgent. Il semble que le parti communiste ait cherché une forme d’apaisement après les verdicts sévères rendus à l’encontre des principaux responsables du régime. Pour les Juifs communistes, il s’agit là d’une manche perdue dans leur combat idéologique contre le sionisme. Mais le procès est aussi producteur d’un récit qui perdurera au moins jusqu’à la chute du régime communiste.

Les chapitres suivants en explorent deux facettes à travers l’analyse de la production d’un mélodrame tourné en 1959 et de rushes documentant la déportation des Juifs de Thrace sous occupation bulgare. Avec ces films, le thème du « sauvetage » entre de plain-pied sur la scène internationale.

Nadège Ragaru rappelle tout d’abord que le récit du « sauvetage des Juifs bulgares » n’a jamais occulté la déportation de 11 343 Juifs de Thrace occidentale et de la Macédoine du Vadar par les occupants bulgares assistés d’officiers SS. Dès le procès de 1945, elle sert en quelque sorte d’écrin pour mettre en relief l’essentiel : l’héroïque opposition du peuple bulgare à la déportation de « ses » Juifs. Sous-entendu : si les Juifs grecs et macédoniens ont pu être déportés, c’est qu’ils n’étaient pas entourés de Bulgares ou que la rapidité de la manœuvre voulue par les Allemands n’a pas permis de s’y opposer.

Le film de fiction Zvezti/Sterne (Étoiles) est une co-production de la RDA et de la Bulgarie. Le réalisateur Konrad Wolf est allemand et les moyens techniques proviennent des légendaires studios de l’UFA à Postdam. Le scénariste Angel Wagenstein est un Juif bulgare et le tournage se déroule en Bulgarie. Nadège Ragaru nous plonge au cœur des débats et des malentendus qui présidèrent à la conception de ce film éminemment politique. À travers l’amour impossible entre une jeune juive et un soldat du Reich, la production allemande entendait suggérer la promesse d’une autre Allemagne, là où les responsables bulgares projetaient un film anti-fasciste ne s’embarrassant pas de nuances. En prenant comme sujet d’étude la séquence-clé où les Juifs déportés de Thrace entrent en Bulgarie, Nadège Ragaru repère tous les subtils déplacements qui s’opèrent du scénario au story-board et du story-board au tournage.

La conception du film ne s’analyse pas seulement comme la résultante d’un dialogue heurté entre deux pays du bloc de l’Est. Elle manifeste une première manière de représenter le génocide comme l’avait tenté à l’Ouest le quasi-contemporain (1956) Nuit et Brouillard. L’auteure relève la passivité et la soumission des personnages juifs.

4. C’est notamment le cas du vice-président du parlement Dimităr Pešev dont le rôle crucial dans l’arrêt du processus des déportations a été amplement souligné.

Groupe de partisans bulgares. Samy Benoun est le troisième à partir de la droite et tient un fusil à baïonnette. Plovdiv. Bulgarie. 1944.

Collection Benoun. Photothèque sépharade Enrico Isacco.

5. Il s’agit du procès en RFA de l’ancien ministre plénipotentiaire du Reich en poste à Sofia, Adolf-Heinz Beckerle. Plus troublant encore venant de deux auteurs juifs communistes, le film multiplie les références chrétiennes pour évoquer la souffrance juive. S’agit-il d’en rendre la perception plus universelle ? La même symbolique se retrouve dans d’autres films contemporains tant à l’Est qu’à l’Ouest. Cela ne saurait ôter sa qualité à un film primé au festival de Cannes et qui, malgré les réticences initiales, fut convenablement distribué en Bulgarie. Par-delà les débats qui l’ont vu naître, Nadège Ragaru souligne la licence artistique des deux auteurs, le réalisateur Konrad Wolf et le scénariste Angel Wagenstein, deux Juifs communistes liés par une profonde amitié et marqués à vie par la Shoah.

Le deuxième film étudié a une valeur plus testamentaire puisqu’il s’agit de divers plans tournés en mars 1943 de la déportation des Juifs de Thrace occidentale et de leur transfert sur un port du Danube. Le film émerge en quelque sorte du néant dans les années 1960 à l’occasion du procès d’un dignitaire nazi 5 sans que l’on en connaisse avec certitude le commanditaire, l’opérateur et les lieux de tournage. L’enquête menée grâce à un réseau de collaborateurs permet de lever un voile sur les conditions de réalisation de celui-ci. Elle met en lumière les différents montages des rushes au service de plusieurs discours interprétatifs. Comme le note Nadège Ragaru, le document finit par faire écran à la compréhension des faits. Un paradoxe apparaît: le film qui montre des convois de déportés juifs escortés par des Bulgares sert, par effet de contraste, à illustrer le « sauvetage des Juifs bulgares ». Il devient dans les années 1970, un élément central de la patrimonialisation de la mémoire et de la « diplomatie du sauvetage » qui s’étend désormais jusqu’à Washington.

Les deux derniers chapitres évoquent le réemploi du thème du « sauvetage » dans la Bulgarie post-communiste puis à l’aune de l’intégration européenne.

De prime abord, la chute du communisme ne change pas radicalement le schéma narratif

Samy Benoun posant en uniforme de partisan. Plovdiv. Bulgarie. 1945.

Collection Benoun. Photothèque sépharade Enrico Isacco.

This article is from: