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6. En particulier Yad Vashem, le Musée de l’Holocauste à Washington, le Mémorial de la Shoah à Paris.

7. Également coordonnateur avec Nadja Danova d’un recueil en deux volumes portant sur la déportation des Juifs des territoires occupés par la Bulgarie.

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8. International Holocaust Rememberance Alliance, IHRA, organisme issu de la déclaration de Stockholm en janvier 2000.

9. Rappelons que Dimităr Pešev est alerté par l’un de ses amis juifs, Jakob Baruch. élaboré sous le socialisme. La notion de « sauvetage » est préservée et seule la distribution des mérites et des responsabilités évolue. La nature fasciste du régime du roi Boris III fait désormais débat, les communistes n’ont plus le monopole de l’opposition aux déportations, des acteurs-clés sont réhabilités. Comme l'observe, Nadège Ragaru, le débat sur la Shoah est toujours l’occasion de parler d’autre chose. En Bulgarie, il nourrit des débats passionnés autour de la relecture du passé par les acteurs politiques. Un clivage persiste autour de la figure du roi Boris III alors que celle du « sauveur » Dimităr Pešev est devenue consensuelle. À ces controverses internes, s’ajoutent des enjeux à l’échelle internationale. Trois séries d’acteurs sont concernées en Israël, aux États-Unis, en Europe. Progressivement, sous l’impulsion des curateurs de musées 6 et des associations de déportés, un discours simplificateur perd de son crédit. En Macédoine, la déportation des Juifs par les troupes d’occupation bulgare est devenue l’un des marqueurs de l’identité nationale, la souffrance juive subsumant celle du peuple macédonien. Elle s’incarne dans divers projets soutenus par l’État, dont un film et un centre mémorial.

En Bulgarie, un subtil glissement s’est opéré permettant d’ouvrir le champ du débat. Une nouvelle génération d’historiens se saisit d’une profusion d’archives désormais accessibles. De nouveaux champs d’études sont investis comme l’expropriation des biens juifs par l’économiste et historien Roumen Avramov 7. Surtout la question des persécutions passées s’inscrit désormais dans la lutte contre les résurgences de l’antisémitisme dont la Bulgarie n’est pas exempte. Elle se voit accompagnée par des organismes internationaux comme le Congrès juif mondial, l’Anti-Defamation League ou l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste 8 qui en contrepartie demandent l’ouverture des Archives publiques et un examen critique du passé. Sans mettre fin aux divergences, ces avancées resserrent le champ des interprétations possibles, notamment quant aux questions cruciales de la responsabilité dans les déportations ou de la marge dont disposait le gouvernement bulgare face aux représentants allemands. On ne manquera pas d’y trouver un écho dans l’historiographie française traitant de Vichy.

En conclusion, nous reprendrons une interrogation posée dès les premières pages du livre. Le terme de « sauvetage » est-il le plus approprié pour rendre compte de la situation des Juifs de Bulgarie pendant la guerre? Ne vaudrait-il pas mieux parler de « survie » pour traduire à la fois la rigueur des persécutions et le fait que les Juifs se mobilisèrent face à la montée des périls 9. Cette question nous a accompagnés tout au long du livre, car elle pouvait sous-entendre que l’exceptionnalité bulgare n’en était pas une. Or la conclusion de l’auteure va dans un sens tout à fait différent et mérite d’être citée presque intégralement : « La stupéfaction s’accroît à mesure que s’expose dans les Archives d’État bulgares, la variété des protestations individuelles et collectives qui s’élevèrent à l’automne 1940 contre l’adoption de la première loi anti-juive. […] Puis vient cette seconde vague de protestations, celle du mois de mars 1943, en opposition à la déportation des Juifs du « vieux » royaume. Quoique les canaux en soient resserrés […] la constellation d’initiatives n’en demeure pas moins saisissante. Son succès plus encore : les ordres de déportation sont annulés et les Juifs bulgares qui avaient été arrêtés sont libérés. Les tentatives ultérieures de déportation promues par le Commissariat aux affaires juives échoueront à obtenir l’assentiment du pouvoir exécutif et du roi. » C’est bien de cette exceptionnalité-là que toute enquête doit partir « ni contre ni sans, tout en se déprenant de la fascination qu’elle exerce. »

Cette recension ne rend sans doute pas assez justice au travail accompli par Nadège Ragaru qui se meut avec une déconcertante facilité au sein d’une vertigineuse collection d’archives, leur confère lisibilité et intelligibilité, joue des échelles temporelles et spatiales, déploie différentes grilles

d’analyse sans jamais perdre de vue son sujet ni égarer son lecteur. Assurément, le livre fera date.

FA

Balat a Galata – Vidas Djudias de los anyos 1950

Betti Öziel & Roz Kohen

Libra. Istanbul. 2020. ISBN 978-625-7900-25-6.

Résultat de la collaboration de deux locutrices du judéo-espagnol, Betty Öziel et Roz Kohen, dont les propos sont également traduits en anglais, cet ouvrage est un recueil de souvenirs remontant à plus d’un demi-siècle. Ces soixantedix années écoulées ont totalement modifié le monde dans lequel elles ont vécu au point de le rendre méconnaissable et uniquement accessible au travers de semblables travaux qui, même si les « souvenirs sont une reformulation de nos expériences », n’en restent pas moins de précieux témoignages culturels, cultuels et linguistiques.

Betti Öziel a vécu son enfance à Balat, un quartier d’Istanbul chargé d’histoire qui se développe à compter de 1492 avec l’afflux des Juifs d’Espagne accueillis par le Sultan. Ils lui donneront son caractère propre durant cinq siècles, et à l’instar du Fener proche, autrefois grec orthodoxe, il va, à compter des années 1950 se modifier progressivement et perdre sa spécificité pour devenir un quartier restauré et « branché » après s’être vidé de ses habitants juifs. L’auteure appartenait à une famille de notables qui a fini, comme nombre d’autres, par quitter Balat, mais non pas Istanbul. Elle nous parle de cette période charnière entre un passé de plusieurs siècles et le moment de l’appropriation par la société dominante.

Elle évoque l’enfance d’une fillette confrontée à l’univers des adultes et retranscrit avec une certaine spontanéité les multiples impressions qu’elle a conservées de toute cette période. Elle nous décrit ces maisons typiques qui, restaurées, servent aujourd’hui au tournage de séries télévisées, mais qui, à l’époque, dans tout leur inconfort, abritaient des familles entières. D’ailleurs tout le quartier n’était-il pas une grande famille? Le lecteur ne peut qu’être marqué par le poids de la solidarité intracommunautaire et par le rôle prédominant des femmes au sein d’une communauté où l’on partage responsabilités, deuils et joies. Les enfants n’appellent-ils pas les voisines, indistinctement, « tantes »? Car dans ces sociétés où c’est encore l’homme qui seul travaille à l’extérieur, la femme constitue assurément l’épine dorsale du système : outre les charges ménagères multiples − nettoyages, lessives, couture, cuisine, préparation des fêtes selon un rythme bien déterminé et quasiment sacralisé − c’est la femme qui est chargée de la protection et de la formation des enfants, de l’initiation pourrait-on dire à l’âge adulte dans une société traditionnellement structurée. M. Molho en parlant de la société salonicienne dont la femme est un élément de dynamisme, confirme le rôle que lui attribue Betti Öziel dans la société stambouliote juive : « Les femmes, pleines de vie, véritables animatrices des fêtes, rieuses, avec leur bavardage effronté, leur art de dire des bagatelles et même des grivoiseries, leur habileté dans les commérages, semaient réellement la joie autour d’elles. »

Dans cet univers très féminin, superstition et religion se rejoignent souvent, en dépit des multiples interdictions bibliques. Quoique pour la mère de Mme Öziel la lecture du marc de café équivaille à echar mintiras, les « tantes » qui connaissaient cette science ne s’en privaient pas lorsqu’elles prenaient un kafiko, un café turc, puis retournaient le contenu de la tasse dans la soucoupe. La croyance dans le mauvais œil, l’aynara, universellement répandue dans la société sépharade, et assurément dans la société non juive environnante, sévissait aussi bien à Istanbul qu’à Salonique. À Balat, la femme qui

levait le mauvais sort utilisait du plomb qu’elle faisait fondre. Généralement musulmane, on l’appelait la Kurshundjiya, Kurşuncu Kadın en turc. Elle interprétait les différentes formes que prenait le métal préalablement chauffé dans une cuillère puis plongé dans un récipient d’eau froide. Les Saloniciens écartaient le mauvais œil en faisant kapara d’une façon beaucoup plus radicale, par le sacrifice d’une poule ou d’un coq, en fonction du sexe de la personne.

Il va sans dire que dans cet univers éminemment féminin, la mère joue un rôle fondamental. Elle est d’ailleurs un personnage important des récits de Betty Öziel, mais aussi de ceux de Roz Kohen qui consistent tant en souvenirs personnels qu’en anecdotes, souvent pleines d’humour, qu’elle tient de sa mère pour quelques-unes d’entre elles. Et même si Mme Kohen conclut son propre recueil sur la vie de Rachel Elkenave, jeune femme « émancipée » puisque, apparemment indépendante, elle gagne sa vie à un âge où la tradition aurait voulu qu’elle soit mariée et mère de famille, c’est-à-dire, en employant un gallicisme, bien komilfoz, le lecteur sait que cette émancipation qui se traduit par une élégance dont sont envieuses ses contemporaines, connaît tout de même ses limites. Rachel continue à vivre dans le même appartement que ses parents, son frère marié et ses neveux et si à l’âge de quarante ans elle finit par trouver un époux, c’est après nombre de rencontres organisées par la famille et en famille dont l’une mémorable dans les salons de l’hôtel Hilton nouvellement inauguré.

Betty Öziel se plait à des évocations plus personnelles de moments de son enfance, d’instants qui l’ont particulièrement marquée, dans la grande maison familiale de trois étages, plutôt inconfortable en hiver, mais si propice aux jeux et aux réunions de voisins puisque ces demeures communiquaient entre elles, ce qui élargissait assurément le cercle familial. Elle nous décrit le cadre de vie d’une famille juive sépharade de Turquie, le rituel du bain turc, les petites professions alors pratiquées et qui ont disparu, le rôle important de la couture puisque seuls les hommes se faisaient habiller par des tailleurs. En règle générale, les femmes taillaient et montaient elles-mêmes leur garde-robe avec l’aide des voisines, toujours, mais aussi de couturières professionnelles qui se déplaçaient à l’occasion, le tout donnant lieu en quelque sorte à des rituels festifs agrémentés de cafés turcs et de gâteaux, rituels qui culminaient dans la préparation du trousseau. Le Manuel du judéo-espagnol de Marie-Christine Varol fournit une iconographie intéressante et complémentaire de celle produite dans le présent ouvrage.

Balat possédait deux grandes synagogues, el Kal de Ahrida et el Kal de Selaniko aujourd’hui en ruine et un hôpital Or-Ahayim dont, il faut le souligner, les médecins réputés accueillaient tous les patients sans distinction de confession. C’est dans ce dernier, nous apprend Betty Öziel, que le professeur Abraham Galante (1873-1961) sur la fin de sa vie avait une chambre réservée pour l’hiver. Il est émouvant de voir cette figure qu’A. Elmaleh décrit dans la biographie qu’il lui a consacré, comme un cerveau encyclopédique, quelque peu désincarné et totalement absorbé dans le monde de l’esprit et de l’intellect, prendre vie, même fugitivement, sous nos yeux au travers du regard timide de la fillette.

Il appartient à Roz Kohen qui, elle, vit aux ÉtatsUnis, d’affirmer dès la préface qu’elle a rédigée, le dessein qui l’anime : « Je cherche continuellement à retrouver l’essence (umor) de la langue et de la culture juive d’Istanbul pour conserver vivant le judéo-espagnol dans mes récits », un judéo-espagnol assurément marqué par la culture d’accueil, ce qu’atteste l’abondance des termes turcs dans les récits de Betty Öziel. L’intérêt de ces souvenirs est également de ressusciter un monde auquel le djudezmo donne encore plus de relief, un univers que nous pouvons, par extrapolation, imaginer ailleurs dans les Balkans, avant la Shoah. Car si la communauté juive de Balat (ne) se délite (que) dans les années 1950, sans doute en raison de la modernisation de la vie dans la

capitale turque, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’univers sépharade des Balkans n’est plus que l’ombre de lui-même. Et pourtant, les quartiers populaires juifs de Salonique, de Sarajevo, de Sofia, de Roustchouk ou de Varna, dont est originaire la grand-mère paternelle de Roz Kohen, devaient ressembler à ceux d’Istanbul, d’autant plus que ces villes avaient connu durant quelques siècles l’administration ottomane. En souhaitant ainsi maintenir vivante la langue vernaculaire dans ses konsejas rédigées à la mémoire de Haïm Vidal Sephiha, Roz Kohen nous force à nous interroger sur la survivance d’une langue et l’extinction du milieu qui lui insufflait sa vie. La question que nous sommes en droit de nous poser est celle que l’auteur de L’agonie des Judéo-Espagnols a soulevée avec la pénétration qui était sienne : « le judéo-espagnol sans le ferment de la vie quotidienne peut-il survivre? La “thésaurisation” des produits culturels dont la langue est un joyau, n’est-elle pas le signe avant-coureur de sa disparition dans le temps? » Telle est la mise en garde que contient l’essai de Haïm Vidal Sephiha que Marie Lafranque qualifia de « bien vivant, savant et dramatique petit livre ».

Mais pour tempérer tant de pessimisme, il y a des ouvrages tels que Balat a Galata. Écrits dans une langue qui colle incroyablement à la vie et en exprime toute la spontanéité et l’énergie protéiforme au travers d’expressions et de tournures savoureuses qui réjouissent et surprennent toujours l’amoureux des mots, ils sont là pour nous convaincre de la nécessité, si ce n’est de lui concevoir l’avenir d’une langue vernaculaire, ce qu’il était quasiment dans le cadre de la Salonique macédonienne du début du XXe siècle, du moins de pérenniser à tout prix le judéo-espagnol.

Bernard Pierron Une saga séfarade

Alexandre Mostrel

Z4 Editions ISBN: 978-2-490595-25-9 novembre 2018

« Il vaut mieux écrire ses mémoires avant de ne plus en avoir » selon Tristan Bernard. Cette mise en exergue montre l’intention de l’auteur confronté aux nombreuses questions de ses petits-enfants : il lui faut écrire l’histoire de sa vie avant qu’il ne soit trop tard. Avec cette « saga séfarade », il livre ainsi un récit de transmission comme nous en connaissons beaucoup, mais qui se veut surtout une leçon de courage: rien en effet ne prédisposait l’auteur à une telle réussite professionnelle, sociale, familiale après une enfance pauvre en terres étrangères…

Né en 1925 à Marseille de parents immigrés en France en 1924, Alexandre Mostrel (Mistriel de naissance, mais patronyme mal traduit en France par le service de l’Immigration) est issu de Juifs séfarades nés en Turquie dont les ancêtres conservèrent, comme on le sait, la langue et les coutumes à travers les siècles passés dans l’Empire ottoman. Le père d’Alexandre, Moïse Mistriel, est né en 1905 à Bergama (anciennement Pergame) où furent assassinés ses parents lors d’un pogrom en 1915. La mère, Mathilda Mazalto est née en 1900 à Izmir (Smyrne), non loin de là.

Les parents se sont mariés très jeunes. Ayant fréquenté en Turquie les écoles de l’Alliance israélite universelle, et parlant donc le français, ils s’expatrient en France après l’instauration de la république par le général Mustafa Kemal Atatürk, et afin d’échapper pour Moïse à un service militaire de trois ans s’apparentant à des travaux forcés pour les minorités et les Juifs en particulier. Puis, en 1929, la famille Mostrel quitte Marseille avec leurs deux jeunes enfants, Alexandre et Anna née en 1927. Deux garçons naîtront plus tard à

Tunis, lieu de leur nouvelle destination après cinq années passées en France dont l’auteur garde peu de souvenirs.

Le voyage en bateau de Marseille à Tunis fut à l’image de l’expérience de tous les expatriés déracinés: les nuits sur les chaises longues inconfortables, le pont mouillé par les embruns, le ronronnement lancinant des moteurs, une traversée longue et éprouvante, mais l’espoir d’un avenir meilleur avec une partie de la famille déjà installée à Tunis. Heureuse décision, souligne l’auteur, qui les préservera de la déportation et de la mort qui décimèrent les Juifs sépharades arrivés dans les années 1920 en France. Dès leur arrivée, les Mostrel emménagent dans un petit deux-pièces dans La hara, le ghetto pauvre de Tunis, quartier jouxtant la Médina arabe. Aucun confort, des malles venues de Turquie comme meubles, w.c. et salle d’eau à l’extérieur, mais l’appartement restera pour l’auteur « le domaine enchanté » de son enfance. Installation qui devait être provisoire, mais qui durera jusqu’en 1951, date de la « montée » des siens en Israël. De laborantin en Turquie, son père, va se reconvertir à Tunis en photographe ambulant après avoir pratiqué divers petits métiers dont celui de figurant au Théâtre de l’opéra local, ce qui procurera des billets gratuits au jeune Alexandre et à sa mère pour leur plus grande joie ! Enfance heureuse où le petit garçon malgré des conditions de vie misérables (le père rapporte peu à la maison) ne souffre pas de la pauvreté, baignant dans une « ambiance chaleureuse et pleine de gaîté malgré les privations », dans un foyer où la mère prend une importance primordiale par l’éducation morale qu’elle donne à ses enfants, et par sa cuisine savoureuse et odorante qui marque l’auteur à jamais.

L’entrée à l’école fut une épreuve « désastreuse et traumatisante » pour le jeune Alexandre avec son entrée au keteb. Mal accueilli par le rabbin et les élèves qui ne comprennent pas pourquoi il parle espagnol avec ses parents au lieu de s’exprimer comme tous, bel ârbi, en arabe, il découvre l’ostracisme des Juifs tunisiens qui vont jusqu’à douter de la judéité de la famille Mostrel. Plusieurs communautés juives cohabitent dans le Tunis de l’époque qui n’est pas plus grand que deux ou trois arrondissements parisiens. L’enfant passe deux ans au keteb, y apprend l’hébreu et reçoit une éducation religieuse traditionnelle. Plus tard il entre à l’AIU où il trouve le goût de l’étude qui ne le quittera plus. L’ostracisme du début est remplacé par l’antisémitisme virulent des « gosses » arabes du quartier. S’ensuivent insultes et bagarres rangées où l’enfant développe un sentiment d’injustice qui forgera son caractère d’adulte et qui ne se démentira pas tout au long de sa vie. Il en fera son combat d’homme, ce livre en constituant un témoignage sans concession.

Septembre 1939 : la guerre éclate, Moïse est mobilisé, mais retrouve rapidement son foyer étant père de quatre enfants. Pourtant les nouvelles sont mauvaises. En 1942, les soldats allemands occupent toute la Tunisie alors sous protectorat français. Le statut des Juifs entre en vigueur. La peur, la faim, les rafles, les bombardements alliés, les exactions contre les Juifs, le travail obligatoire sont le quotidien. Les Allemands commencent à construire à Djebel Djeloud des fours crématoires. En novembre 1943, Alexandre Mostrel reçoit l’ordre d’appel sous les drapeaux où il subira pendant 24 mois nombre de vexations. C’est le début d’un périple à travers l’Allemagne et l’Autriche jusqu’au camp de Dachau qu’il va découvrir – horrifié – avec les Américains. Il n’oubliera jamais le kaddish que lui demande un jeune déporté à bout de forces à la mémoire des morts du camp. De retour à Tunis en 1946, il lui faut réapprendre la vie civile. Il va y développer un fort désir d’instruction, se rapprocher du sionisme et du socialisme, envisager sérieusement son alyah − difficile et toujours retardée −, puis s’engager par les liens du mariage avant de partir en France en 1960.

On ne peut retracer ici tous les détails de cette saga foisonnante. Mais la narration que l’auteur fait de ses déboires avec l’État d’Israël – qu’il chérit pourtant de toute son âme – est instructive et

douloureuse. L’ayant en effet précédé dans leur alyah en 1951, ses parents subissent sur place un accueil désastreux: à peine débarqués du bateau, ils sont hébergés sous des tentes militaires sans rien autour. Aucune commodité, très peu de nourriture: « Les nouveaux immigrants d’Afrique du Nord étaient traités comme des bestiaux… La protectia, le piston, sévissait à grande échelle, en faveur des olim de l’Europe de l’Est pour l’attribution de l’emploi et du logement ». La mère d’Alexandre le supplie de la rapatrier à Tunis. L’ayant dissuadée dans l’attente de son propre départ, l’auteur travaille d’arrache-pied à les aider financièrement afin qu’ils aient des conditions de vie meilleure. Ce n’est qu’après 1967, qu’il pourra reprendre les démarches pour rejoindre ses parents avec les siens ; de la France où il s’est installé avec sa femme et ses enfants et après sa réussite professionnelle chez EDF au début de l’informatique auquel il contribue. Malgré l’appui de l’Agence Juive à Paris et ses compétences professionnelles reconnues, sa candidature est encore écartée au profit de nouveaux immigrants arrivant de l’Europe de l’Est accueillis à bras ouverts grâce à leurs diplômes – douteux – et qui bénéficient de bonnes conditions d’insertion. Malgré l’amélioration progressive de ces conditions d’accueil, il choisit après cette désillusion de mener sa vie en France. La famille s’est installée à Vanves et Alexandre Mostrel y animera la communauté juive où son engagement sera reconnu par les édiles du cru.

Le lecteur trouvera dans cet ouvrage nombre d’informations historiques et matière à étonnement et réflexion. Témoin des tempêtes du XXe siècle, autodidacte et érudit, s’élevant contre les faiblesses, les corruptions et l’antisémitisme, Alexandre Mostrel lègue en héritage un récit qui se veut pédagogique et sans complaisance. Il lègue aussi une certitude: l’accomplissement personnel exige foi en soi et maîtrise de son destin.

Ariane Ego-Chevassu Sur les ailes du passé. Des objets, j’ai rencontré…

Angèle Perla Saül

ISBN: 978-2-7543-08595 Le livre actualité éd. Paris. 2020.

Dan, 13 ans, un adolescent d’origine judéoespagnole vivant à Paris, a une étrange passion pour son âge. Les objets anciens le fascinent. Sa famille se demande pourquoi ? Nous le suivrons jusqu’à ses vingt ans. Son enthousiasme le conduira à entreprendre des études pour devenir antiquaire. Mais quelle force le pousse vraiment? Un jour, ce sera clair pour lui.

Il découvrira que les objets s’expriment si nous savons les écouter. Les questionner deviendra sa quête.

Ce récit initiatique chargé d’histoire raconte les exils forcés, l’existence d’êtres confrontés à la nostalgie du pays perdu. Pour la première génération, il s’agit de s’adapter à la nouvelle terre, tout en restant fidèle à ses racines, sa culture, aux objets reçus en héritage.

Mais qu’en est-il après plusieurs générations?

L’auteure Angèle Perla Saül a animé pendant plusieurs années des ateliers d’écriture « Au pays de nos souvenirs » avec le soutien des associations judéo-espagnoles. Elle collecte depuis dix ans les témoignages de cette minorité culturelle dont les familles, arrivées au début du siècle, vécurent la période de la guerre et la Shoah. Elle est l’auteure notamment de Djoha, Djohaya, nouveaux contes judéo-espagnols. Biblieurope 2009.

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