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Hommage à Annette Cabelli
1. Elle a été interviewée en 2012 par Bella Lustyk et Enrico Isacco en judéoespagnol et son témoignage a été recueilli par Pandelis Mavrogiannis à l’occasion du projet de Muestros Dezaparesidos.
Annette Cabelli, l’une des dernières déportées survivantes de Salonique, nous a quittés le 16 janvier dernier. Elle était née le 25 avril 1925 de Jacques Florentin et Ida Taboh. Son père travaillait avec ses frères dans l’import-export à la gare de Salonique. Il mourut alors qu’elle avait seulement quatre ans. Sa mère travailla alors dans la confection, puis comme employée de maison pour subvenir aux besoins de ses trois enfants. Alors que ses deux frères, Albert (Abraham) et Dino (Daniel) fréquentaient l’école de l’Alliance, elle effectua sa scolarité à l’école hébraïque jusqu’à l’âge de seize ans.
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Les troupes allemandes occupèrent Salonique en avril 1941. La famine ne tarda pas à sévir. Annette ravitailla régulièrement sa famille en allant s’approvisionner chez des paysans. En 1942, l’un de ses frères fut astreint au travail forcé dans une carrière de chaux et elle put obtenir sa libération contre une rançon.
En avril 1943, Annette, sa mère, sa tante et ses deux frères furent internés dans le ghetto du Baron Hirsch. Là, elle vit pour la dernière fois son frère Dino, emporté avec d’autres jeunes par un SS. Au terme de huit jours de voyage dans des conditions tragiques, Annette arriva au camp d’Auschwitz Birkenau. Sa mère fut gazée dès son arrivée. Sauvée par une cousine, Annette fut affectée à un dispensaire réservé à des détenues polonaises chrétiennes. Elle y resta jusqu’en avril 1944 avant d’être transférée dans une usine de munitions, l’Union Werke. Sa connaissance des langues, notamment de l’allemand, lui servit de sauf-conduit tout au long de son séjour au camp. Elle put ainsi aider son frère Albert à échapper aux expériences médicales et lui permettre de rejoindre l’usine où elle travaillait.
Après l’évacuation du camp, elle participa à l’une des « marches de la mort » jusqu’au camp de Ravensbrück. Elle rejoint ensuite le camp de Malchow avant que ses gardes désorientés finissent par l’abandonner au terme d’une nuit en forêt avec ses camarades déportées. Non sans mal, elle réussit à rejoindre la zone américaine. Décidée à ne pas retourner en Grèce où elle avait fait l’expérience de l’antisémitisme, elle choisit de se rendre en France. Elle rencontra en zone d’occupation française un ancien déporté, condisciple de son frère à Salonique, qui allait devenir son mari, Harry Cabelli. Tous deux arrivèrent à Paris le 20 mai 1945 et furent hébergés à l’hôtel Lutétia.
Au terme d’une vie marquée par les épreuves, Annette a consacré beaucoup de temps et d’énergie à transmettre la mémoire de sa communauté et à faire connaître son sort funeste durant la guerre 1 . Des milliers d’enfants, d’adolescents, d’adultes, de professeurs, d’associations, ont assisté à ces rencontres émouvantes. Elle put nouer ainsi des amitiés durables qui éclaireront les dernières années de sa vie. L’une de ses amies de Nice, Linda Calvo Sixou, la présenta au Centro Sefarad-Israël de Madrid. Des voyages de la mémoire qu’elles firent ensemble en Espagne naquit le désir d’acquérir la nationalité espagnole. En 2017, elle fut l’une des premières à bénéficier des dispositions de la loi sur la nationalité pour les Sépharades. Le 28 janvier 2019, le roi d’Espagne la reçut au palais de la Zarzuela à l’occasion de la journée de la commémoration de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité.
Annette a eu deux filles, Denise et Jacqueline, et un garçon prématurément disparu. Nous présentons à sa famille et à tous ses proches nos très vives condoléances. En pas ke deskanse.
De gauche à droite: Daniel Florentin, Annette, Ida Florentin (née Taboh), Albert Florentin. Salonique, 1933. Daniel et Ida sont morts en déportation.
Collection Cabelli. Photothèque Enrico Isacco.
Annette Cabelli accueillie par le roi d'Espagne Felipe VI au Palais de la Zarzuela à Madrid le 28 janvier 2019.