Nera

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Albiana, éditeur corse, du noir au Sud Un dossier réalisé par Joël Jégouzo

Les romans du roman, entretien avec Bernard Biancarelli

NCP : Au terme de quelle trajectoire en vient-on à fonder une maison d’édition ? Et du reste, depuis quand existe Albiana, et pourquoi ? Je ne suis pas le fondateur de la maison d'édition, mais je sais que son existence tient à la fois de la nécessité, d'une situation tout à coup favorable et bien sûr d'une passion. Une passion double d'ailleurs, envers le livre et envers la culture corse, à laquelle il faut bien sûr ajouter un zeste de goût pour l'aventure. Rien que du très banal et pourtant rien de plus essentiel ! Albiana existe depuis plus de vingt ans, c'est dire qu'elle est née en plein cœur du mouvement culturel appelé en Corse U Riacquistu (la ré-appropriation). Elle a d'ailleurs signé son entrée dans le monde éditorial par un monumental dictionnaire Corse/français en quatre volumes (suivi par de la poésie en langue corse !). Cette participation proclamée et assumée à un fort mouvement culturel - caractérisé dans les esprits par l'éclat soudain mondial des fameuses polyphonies - a procédé en quelque sorte de la même approche : inventorier le patrimoine, ré-étayer les fondements et puis enfin ouvrir les champs de la création. Dans un cadre où la langue par exemple avait été très peu écrite jusqu'à présent - pour des raisons historiques et politiques que tout le monde désormais connaît - c'était une vraie gageure que de se mettre soudainement à écrire, à créer et, évidemment, à publier en corse. En ce sens, les éditeurs historiques dont font partie les éditions Albiana, ont grandement aidé à l'expression telle qu'on la connaît aujourd'hui. Ils ont fait non seulement œuvre utile mais aussi, et surtout, œuvre nécessaire et dans des conditions politiques qui ne furent pas les meilleures. Je le dis d'autant plus librement qu'à l'époque je n'étais pas concerné, sauf en tant que lecteur. Il est évident que les conditions ont évolué et que nous serions bien en peine de dire si celles d'aujourd'hui sont vraiment meilleures. Albiana, au bout d'un parcours de vingt ans, c'est une quarantaine de livres par an, un catalogue de plus de trois cent titres. C'est dire que le pourquoi de son existence aujourd'hui est devenu beaucoup plus simple à définir : une présence essentielle dans le panorama culturel insulaire à la fois comme médiateur de culture, passeur si l'on préfère, espace de création et d'invention, lieu de soutien à l'expression (notamment en langue corse). Tout cela adossé bien sûr à une structure d'entreprise importante à l'échelle insulaire (un secteur distribution, un secteur commercial, un atelier graphique et maintenant la grande librairie La Marge, forment un ensemble dont le secteur édition est le noyau de départ). NCP : Editeur régionaliste, ou éditeur en région ? La question est récurrente et fleure le piège dans la mesure où ce qui est régionaliste est suspecté dans notre monde de flirter avec le folklore - c'est dire s'il porte une charge péjorative. Tandis que « en région » renvoie peut-être à ces choix opérés par quelques éditeurs désormais fort connus - installés en Arles notamment décidés à démontrer que Paris n'était pas forcément leur centre du monde. Région is beautiful en quelque sorte. Nous nous trouvons dans une histoire et des choix qui à mon sens n'entrent pas dans ces tentatives de définition. Nous sommes nés en région, c'est un fait et nous nous occupons de ce qui s'y produit en matière de connaissances et de création : ainsi, comme je le disais, nous ne prétendons qu'à assumer notre rôle de médiateur. Dans un monde à notre dimension. C'est d'ailleurs pourquoi nous sommes si proche de l'universel ! En définitive, pour nous, et qu’elles que soient les étiquettes auxquelles nous devrions nous soumettre, entre «régionaliste » ou « en région », ce qui importe c'est plutôt « éditeur » ! Il me semble que c'est Christian Laborde qui cite dans un de ses ouvrages un éditeur dont la devise était à peu près : « Ne pas être un éditeur d'ici, mais être ici un éditeur ». C'est pour moi effectivement une partie de la réponse. NCP : Parlons de vos collections polar et noir, en particulier de Nera , série noire made in Corsica. Pourquoi créer une telle collection ? La collection noire, j'en rêvais depuis mon arrivée aux éditions Albiana (en 1998). Mais il existait déjà un éditeur à Ajaccio quasiment spécialisé dans le noir (Méditorial) et plutôt bon dans ses choix (il fut l'éditeur de Thomazeau par exemple, qui a ensuite fondé « L'écaillers du Sud », une petite maison du Noir qui monte, qui monte,…). Sa collection était bien implantée et puis on ne marche pas sur les plates-bandes de quelqu'un que l'on connaît et que l'on respecte. Bref, nous étions restés en retrait. Son arrêt et notre envie toujours présente ont permis d'ouvrir le chantier. La collection Nera permettait aussi de dynamiser notre ligne éditoriale, de signaler au public que nous étions toujours en évolution et prêts pour les aventures. Nous avions au cours des années précédentes pris des risques éditoriaux chaque année, en publiant notamment pas mal de premiers romans ou des recueils de nouvelles, en dépit des préventions largement répandues dans la profession à ce sujet. Nombreux sont assez durs et violents, sans concession souvent pour le petit monde dans lequel nous vivons, mais ce qui selon moi les caractérise, c'est qu'ils ont laissé de côté le victimisme et le désir de justification, le pamphlet ou l'explication de texte, notamment du « problème corse » qui sont autant de pertes de temps et qui éloignent fatalement de la littérature. Il s'agit d'un vrai mouvement qui est la mutation du «Riacquistu » dont je parlais précédemment. Une attention soudaine pour la Corse d'aujourd'hui (ni celle d'hier,

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ni celle que désire l'Autre - ou que nous croyons qu'il désire - ni celle des cartes postales, ni celle des chromos) s'est manifestée et il nous a juste fallu aider à l'éclosion. La collection noire est évidemment pour nous un des outils qui nous manquaient pour aider à cet avènement. Et je peux certifier que son apparition a donné un coup de fouet qui s'est traduit par l'arrivée d'un grand nombre de manuscrits. Non seulement la collection Nera était profondément désirée chez nous, mais elle était probablement attendue par les auteurs - et certainement aussi par les lecteurs qui lui ont réservé un très bon accueil. NCP : On veut bien croire que la Corse soit une terre de prédilection pour ce « mauvais » genre. Mais n’y a-t-il pas un « danger » à jouer de ces clichés ? Les clichés sur la Corse sont simplement en premier lieu un effet récurrent d'une certaine paresse intellectuelle. Celle qui permet de ne pas trop se fatiguer à connaître vraiment l'autre. Cela vaut pour tous les clichés, d'ici ou d'ailleurs. Mais c'est aussi paradoxalement la première chose que l'on évoque dans une conversation avec un « inconnu » afin de l'évacuer au plus tôt - et passer à autre chose : c'est une clé qui peut aussi ouvrir la porte. C'est évidemment la manière dont on l'utilise qui fait qu'elle ouvre ou qu'elle ferme : on peut blesser avec un cliché mais aussi, pourquoi pas, susciter une connivence. C'est dans ce dernier sens que le Made in Corsica est un clin d'œil, un appel effectif à réagir au cliché. Ce qui fait la différence, c'est que les textes publiés, eux, ne trempent pas dans les clichés éculés: ici pas de Dumè, pas de figatellu, pas de brun ténébreux et ombrageux, pas de fromage avec des vers. Il est hors de question de s'auto-folkloriser pour complaire à qui voudrait. Donc pas d' « Enquête Corse » ici (le film - qui ne rase pas que les pâquerettes - pas la BD qui était d'un très bon niveau). Ce qui ne veut pas dire qu'il faille évacuer la question de la violence, du rapport à la loi, d'un sens dramatisé de la vie, etc., qui sont réellement connues et vécues sur l'île. Ce n'est pas jouer avec les clichés que d'avoir à en parler. Quand à la responsabilité « politique » de publier des ouvrages qui parfois montrent l'envers du décor, elle est évidemment assumée, sinon nous ne serions pas éditeur. Mais il ne faut pas non plus trop prendre cela au sérieux : les clichés sont forcément dépassés lorsque la littérature est bonne (c'est même un signe caractéristique !) et que le lecteur continue d'exercer son libre arbitre. Nous faisons évidemment le pari de ce lecteur sensible, intelligent, capable de «secondariser » . NCP : A l’heure où le polar, de « mauvais genre », devient un genre commercial, vous semblez accorder une grande attention à la qualité des textes que vous publiez. Je pense tout particulièrement au très beau Isula blues de Jean-Pierre Santini. Tout en les contenant dans des proportions commercialement perspicaces (un format poche, moins de 120 pages). Solution d’un compromis idéal qui ne vous soumettrait pas trop aux contraintes du marché ? Le compromis commercial est un des éléments auquel nous sommes évidemment soumis. Le format, la robe, le prix sont étudiés pour que l'ouvrage ait quelque chance d'atteindre son lecteur. Le fait qu'ils soient en majorité courts est un problème de calibrage en fonction des histoires elles-mêmes. Certaines ont besoin d'être nerveuses et sont de ce fait réduites, mais si le sujet le requiert, s'il fallait quelques dizaines de pages de plus, nous ferions en sorte de publier, tout en gardant la fourchette de prix au plus bas. Il m'est d'ailleurs arrivé de demander quelques pages de plus à un auteur, mais toujours dans le souci de l'équilibre du bouquin. Ce qui compte, c'est bien sûr la qualité de l'écrit, son impact. Nous n'échappons pas aux contraintes commerciales, mais notre liberté reste suffisamment grande pour que nous n'essayions pas d'éditer des sous-produits à forte plus-value touristico-décérébrée. NCP : Alors que le polar joue volontiers la futilité, le maniérisme stylistique, vous semblez attentif à ce qu’il soit porteur de sens. Isula blues encore, travaille au corps une société en perdition. Les Fossoyeurs ouvre un champ troublant d’interrogation du politique. Deux romans qui ré-inscrivent dans le champ romanesque une ambition sociale, intellectuelle, culturelle, etc., à savoir des visions du monde qui désertent au contraire l’exercice littéraire. Quand on lit votre « manifeste » présentant la collection, on se rend compte qu’il s’agit d’une volonté délibérée. Croyez-vous vraiment encore en cette force du roman ? On ne peut que croire en cette force sublime portée par le roman. L'histoire culturelle le démontre et il n'a pas été détrôné sur la question de la subtilité du sens, par aucune autre «média» (journalisme, cinéma, Internet, etc.). Le roman parle au conscient et à l'inconscient (Freud disait lui-même que pour comprendre ce dont il parlait, un roman vaudrait toujours mieux qu'un ouvrage de théorie !). Il crée du lien et du sens dans une société qui se définit souvent en retour en fonction de ses productions littéraires. Il est éminemment politique, au sens noble du terme. Si l'on comprend certaines choses profondes sur la Corse en lisant Isula Blues, c'est qu'il est un vrai roman (le bel oxymore !). Le roman policier et la série noire sont en un certain sens - au contraire de la mauvaise réputation de sous-littérature de gare - les romans du roman : les contraintes littéraires sont telles qu'il faut être très fort pour les dominer et, lorsque c'est le cas, la puissance et l'impact en sont encore plus importants. Pensons deux minutes à ce que le noir méditerranéen a fait pour que l'on reconnaisse enfin une originalité vraie aux littératures du Sud. On savait avant Fois, avant Camilleri et Sciascia, avant Montalban, avant Izzo, que le noir seyait bien aux suds, mais on ignorait combien et comment il était issu à la fois d'une réalité et d'un rapport étroit entre société et manière de voir le monde. C'est d'ailleurs ce qui explique aussi leur succès. Ils fonctionnent comme de bonnes introductions aux microsociétés dont ils parlent, tout en laissant le lecteur libre de choisir sa vérité (le roman naît avec Don Quichotte, ne l'oublions pas). NCP : Croyez-vous vraiment que le genre, polar et littérature noire, ait des leçons de vie à nous donner ? Leçons de vie, je ne sais pas. Je n'aime pas que ce que je lis en tant que simple lecteur ait un sens qui excède ce que j'ai moi-même envie de recevoir au moment où justement je cherche un peu de détente. Et puis, je n'aime pas les leçons, ni reçues, ni données. Mais il est certain que le genre est sans doute celui qui porte en lui le plus de potentialité à l'heure actuelle. Je dirais qu'il est pour moi l'expression de la littérature dans la meilleure acception du terme. Je pense aussi qu'il fonctionne comme un courant de résistance à une certaine

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littérature centrée sur elle-même, auto-satisfaite, très individualiste, où l'histoire n'est souvent que la trame édulcorée d'une névrose élevée au rang d'événement majeur, où seule la variation de style tient lieu de génie littéraire. Le pire qui pourrait arriver au Noir serait que ce maniérisme dont vous parliez débarque vraiment et s'impose. Mais rassurons-nous : c'est toujours dans les marges que l'on progresse ! Et il y aura toujours des sous-genres, des petits lieux, des oubliés des grands courants pour nous rappeler que c'est aux limites que tout se joue. Et en cela, le Noir garde toutes ses chances pour un bon moment ! Et le Sud, pardi !

Jean-Pierre Santini : un blues magistral Jean-Pierre Santini Isula blues Un blues magistral Barettali, un petit village corse accroché sur le toit d’un monde dérobé, ficelé dans une géographie de l’enfouissement, de la disparition. Une poignée de personnages vont s’y croiser, de loin, dans la solitude de leurs existences bancales. Ainsi Julien, l’ancien militant désabusé, Florence, la mangeuse d’hommes, Madeleine, la femme sans lèvres, ou encore Dominique qui voudrait prendre un nouveau départ - mais le peut-il, dans cet arrièrepays perclus de cette ultime défaite qu’éclaire le job de Julien, chargé d’imaginer un développement possible au maquis corse, vendu déjà à l’industrie du tourisme qui ne voit là qu’un paysage à terrasser, un monde à raser ? La Corse en soins palliatifs donc, secrète, mutique, où le silence trouve son origine dans l’agonie d’un monde expulsé de lui-même. Peut-on vivre sérieusement ici, dans cette inhumanité qui gagne chaque jour un peu plus de terrain ? Dans cet univers minuscule où l’on chemine sans plus aucun but car il n’y a plus personne, où il vaut mieux faire le choix de ne plus aimer, car il n’y a plus personne, où, dans cette solitude écrasante, ne reste que la rumeur de son propre corps pour inquiétante compagnie ? Tours, détours, la beauté du paysage corse ne fait plus ici l’objet que d’observations dérisoires notées avec un zèle absurde par ce veilleur chimérique, l’excommissaire Santucci, greffier d’une pitoyable mission, consignant les trois ou quatre faits et gestes de ses semblables pour se faire l’espion d’une société impossible. Un monde minuscule en surgit, celui du voisin dont on a oublié de se venger, celui d’une femme que l’on n’a pas courtisée. Et dans cette société qui s’est organisée pour s’éviter, il ne reste que ces écarts entre les corps, auxquels nul ne sait plus donner sens,

parce que tout ce monde a perdu déjà beaucoup de sens, comme on le dit d’un corps blessé à mort et presque entièrement vidé de son sang. C’est là, sur les bords de cet univers négligeable, que la violence va surgir. Dans une sorte de minuscule fin du monde, faite des absences d’un peuple latent désormais. Car s’il y a bien mort, finalement, cette mort, pourtant brutale, a pris l’allure d’un malentendu. D’un mauvais concours de circonstances où s’entremêlent les fils de tous ces destins que l’on vient de croiser. Quelle beauté dans ce roman et quelle construction ! Jean-Pierre Santini, avec une maîtrise incroyable, relève l’une après l’autre les solitudes de ses personnages pour leur donner leur juste poids de chair et nous dire, en fin observateur d’un monde désabusé, nos propres détresses. Mais s’il sait rendre universel le drame corse, il n’oublie pas d’en restituer la singularité, en nous offrant des pages d’une analyse incroyablement fine sur la réalité de ce drame, des pages exigeantes, inattendues. Nous sommes ici, à des années lumière des préjugés qui ont formé notre image de la Corse. Des années lumière traversées à la nage dans ce fulgurant roman. Ed. Albiana, coll. Nera, 98p. juin 2005 ISBN : 2846981337

Entretien avec Jean-Pierre Santini NCP : Je suis très impressionné par votre roman, écrit avec une finesse de construction magistrale et une exigence littéraire sans concession. Mais plus encore par l’ambition du projet : non seulement décrire des trajectoires humaines, dépeindre des vies, rendre sensible un paysage, mais aussi rendre compte d’une situation historique, d’un héritage, témoigner d’un monde en proie à son malaise, etc. Il y a tellement de pistes à explorer, qu’on hésite comme devant un gros pavé. Or votre roman ne compte pas cent pages… c’est dire sa densité, bien qu’écrit avec une sorte d’évidence du récit, si limpide à suivre… Il n’est par exemple pas impossible de lire ce roman noir comme un roman du terroir, évoquant la fin douloureuse des campagnes, que la modernité a délaissées. Ni de voir dans ces vies bancales de vos personnages, une projection de l’histoire corse contemporaine. Alors puisqu’il faut bien commencer et que votre roman excède toute tentative de le circonscrire, commençons par n’importe quel bout… Pourquoi choisir ce village, Barrettali ? Barrettali est mon village natal. J’y suis revenu après 30 ans passés en Tunisie, à Marseille, à Paris et en Seine Saint Denis. En quelque sorte un retour au «douar» d’origine… Mais Barrettali est un village mourant. Il

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symbolise l’intérieur de la Corse, la Corse elle-même. Voir mourir son village natal ! Vous comprendrez que l’écriture devient obligation de témoignage. Et de survie. Pour soi et puis aussi pour les autres. NCP : Vous décrivez une terre de désolation, de solitude, d’abandon. Une terre inhumaine, désormais. Est-ce là le vrai visage de la Corse, sa vérité intime ? Ici les hivers sont blancs de solitude. Ils passent dans les têtes. On ne s’entend même plus vivre. Ou mourir. Dans ce désert humain on aurait tendance à marcher à reculons pour que la trace de nos pas - ou de nos écritures - nous donne l’illusion que quelqu’un chemine encore devant nous et que quelqu’un peut-être nous suivra. NCP : L’histoire millénaire de l’île toucherait-elle à sa fin ? Paul Valery, grand poète français de père corse et de mère italienne, nous a appris que « les civilisations étaient mortelles ». Les cultures et les langues peuvent donc disparaître – et il en disparaît chaque année. Le peuple corse millénaire résiste encore mais déjà la moitié des habitants de l’île ne sont pas d’origine corse et ne peuvent pas, même s’ils le souhaitaient, s’intégrer à une entité qui se désintègre. NCP : Une île bientôt sans identité? L’île est-elle vraiment déjà ce pays où désormais « les images, comme la vie, ne tiennent qu’à un fil » ? L’île ne sera pas sans identité. De partout où il y de l’humain, il y a identité ou du moins une quête permanente de l’identité. C’est en cela que le microcosme insulaire peut toucher aujourd’hui à l’universel. La question de l’identité se pose partout dans le monde. Et malheureusement on a tendance à la rechercher au ciel plutôt que sur la terre. NCP : L’omerta corse ne serait alors que l’expression de cette agonie ? « les luttes pour la liberté n’ont pas forcément d’avenir », écrivez-vous. Pas d’avenir parce que plus de peuple corse bientôt ? L’agonie est la dernière lutte. Celle qui se livre clairement contre la mort. Mais la vie, toute la vie est l’expression même de cette lutte. Si les luttes pour la liberté n’ont pas forcément d’avenir, cela n’est pas seulement lié aux phénomènes historiques, à l’histoire que font les hommes, mais plus fondamentalement peut être à leur condition même que l’on peut qualifier, en reprenant le titre d’un célèbre polar, de « mortelle randonnée ». Quant à l’omerta corse – et plus généralement méditerranéenne – elle n’est peut-être que l’expression d’une fatalité. Elle oppose le silence au silence inéluctable. Il n’est peut-être pas nécessaire de condamner ceux qui le sont déjà. L’omerta, c’est une forme de complicité dans le sentiment tragique de la vie. Même si elle peut-être très utile aux basses œuvres. NCP : Que dire alors de la fatalité de cette mémoire cicatricielle, où la violence plongerait ses racines, quand il ne reste que des individus broyés et non un peuple constitué pour se soulever, et où chacun, renvoyé à sa propre solitude, n’aurait plus alors le loisir que de défendre bec et ongle ce qu’il est ? Cette violence, que l’on a voulu voir comme « tribale », recouvrerait en fait une dimension plus sociale ? Ou plutôt, comme perte du social ? La forme violente qu’a toujours pris la résistance en Corse résulte évidemment d’une histoire non écrite, non vécue, inaccomplie. La violence est certes dirigée contre les oppresseurs, mais elle témoigne aussi de l’impuissance même d’un peuple à s’organiser, à se constituer en Nation. D’où une violence terrible que l’on retourne contre soi et dont a témoignée tragiquement la « guerre entre nationalistes » dans les années 90. NCP : L’île serait en quelque sorte en soins palliatifs ? L’île est en soins palliatifs et, lorsque j’ai publié mon premier roman en 2001 après longtemps de militantisme très engagé, j’ai noté en exergue : « Les romans naissent des faillites de l’histoire. ». Peut-être ne nous reste-t-il que des histoires à raconter pour accompagner bientôt un trop long sommeil. NCP : Ou bien s’agit-il encore, et aussi, d’autre chose : « la communauté de rêve », comme l’écrivez encore, se serait dissipée dans cet éparpillement, cette fin des terroirs, les échecs successifs des luttes d’émancipation. Vous produisez ailleurs une remarquable et troublante analyse de cette latence dans laquelle semble être tombée l’histoire corse : « on ne comble pas les absences de l’histoire, ces trous de mémoire que les peuples latents, jamais constitués, légiférés, étatisés et sommes justifiés, portent en eux comme un pays étrange où tout ce qui est à venir est sans espoir. » Comme s’il y avait eu un tournant raté, un rendez-vous raté avec l’Histoire, un jour. La Corse serait à ce point « égarée » qu’il ne lui serait plus permis de « faire peuple » ? Votre expression de « faire peuple » est très juste. J’ai été l’initiateur du projet très ambitieux de Cunsulta Naziunale (Assemblée Nationale Provisoire) et malgré les dérives actuelles du mouvement national, je continue à promouvoir ce projet qui permettra de passer de « l’ombre à la lumière », de « faire peuple « effectivement ». Vous voyez c’est un peu ça l’esprit de résistance chevillé au corps. On a ici la foi du charbonnier. Nous entreprenons toujours, même dans les situations les plus désespérées. NCP : Du devoir de mémoire, on a pu dire qu’il surgissait en France au moment où la France s’inquiétait de son identité, voire la perdait. En va-t-il de même pour la Corse? Le devoir de mémoire suppose que ceux qui croient encore à l’avenir du peuple corse ne se conduisent pas en partisans avides de pouvoir, mais en « passeurs ». Il s’agit de transmettre, si cela est encore possible, des « valeurs » qui ont permis à notre communauté de traverser les millénaires. Encore faut-il que ces valeurs soient explicites, qu’elles soient « dites », écrites, clarifiées. Et qu’elles deviennent opérationnelles pour les luttes et les projets de société à imaginer.

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NCP : Vous avez des mots très durs contre le mouvement national, qui aurait sombré dans l’affairisme, le clientélisme… Le mouvement national n’en finit pas de dériver. Je le connais en profondeur. J’ai été à l’initiative, avec une poignée de patriotes, de la création du FLNC. J’ai relaté tout cela dans un livre paru en 2000 chez l’Harmattan (Front de Libération Nationale de la Corse, de l’ombre à la lumière). Nous sommes toujours dans l’ombre. NCP : Vous allez même très loin, en évoquant une sorte de dérive à l’algérienne : les attentats seraient perpétrés avec la bienveillance des autorités, pour maintenir le pays dans une déstabilisation de nature à justifier l’absence d’une politique corse efficiente et cela, avec la complicité d’acteurs locaux décidés à se maintenir coûte que coûte au pouvoir… J’évoque la complicité objective entre l’Etat et certaines fractions nationalistes car le seul souci de ces fractions est de « dialoguer » avec le pouvoir. Le fameux processus de Matignon en a été le plus bel exemple. Il n’en est rien sorti qu’un affaiblissement supplémentaire du mouvement national. Je n’ai pas beaucoup forcé le trait dans mon bouquin concernant des complicités plus évidentes puisque le rassemblement « clandestin » de Tralonca avait été convenu avec le ministre de l’intérieur de l’époque. NCP : Je n’oublie pas qu’il s’agit d’un roman. Mais, alors que le roman noir et le roman policier s’embarrassent de plus en plus de maniérisme littéraire, vous semblez encore vouloir lui donner un sens, j’allais dire : tout son sens, en en faisant aussi le témoin critique de son temps. Vous signez même là votre second roman noir, après Corsica Clandestina (Albiana, 2004), après avoir publié pas mal d’essais sur des thèmes voisins. Le roman noir serait-il ouvrerait-il, au-delà du plaisir du texte, de vrais espaces de réflexion et de vie ? Toute l’histoire du roman noir correspond à des époques où se fait sentir le besoin d’exprimer autrement les malaises ou les malheurs de la société. Mais cela bien entendu demeure au stade du constat. Le maniérisme littéraire que vous évoquez, ou encore une certaine désinvolture, un certain humour qui par ailleurs donnent souvent de très bons textes d’un point de vue littéraire, sont peut-être la conséquence d’une attitude purement descriptive. On est spectateur. On joue et on se joue de ce spectacle. Mais si le spectacle est fondamentalement cynique, ne le devient-on pas aussi ? C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je ne pourrais pas écrire sur ce peuple qui est le mien en me désengageant de sa lutte pour la survie. Il ne s’agit pas d’être un écrivain « engagé » comme on a pu le concevoir autrefois et moins encore un « intellectuel organique », mais tout simplement un militant parmi les autres.

Chroniques corses

Jean-Pierre Larminier Les Fossoyeurs Etrange roman d’espionnage, qui en raconte moins qu’il n’en bombe explose. Le grand Jacques est tué ! Et bien sait, et n’en cache moins qu’il n’en révèle… naturellement, « Bob » a laissé assez de traces pour C’est dans les alpages, quelque part au-dessus de compromettre Sarko. Grenoble, que s’ouvre l’action. On apprend, au Sa mission accomplie, il regagne sa bergerie. Il sait milieu des brebis, qu’un agent de la CIA veut qu’il va avoir bientôt toutes les polices de France à déstabiliser l’Etat français ! Le ses basques. Elles ne tardent pas : un commando complot ? La CIA a payé au prix de chasse tente de l’alpaguer, mais tombe dans le fort la réquisition de tout ce que piège qu’il lui a tendu. Bob disparaît enfin. En Corse. la France compte de parias, en Où il retrouve Leïla, sa protagoniste. Leïla à qui il ne particulier les bandes des veut plus cacher les mobiles de son acte : tout a banlieues appelées, à la même commencé par l’histoire de son meilleur pote, un nuit et à la même heure, à journaliste qui s’intéressait de trop près aux suicides mettre à sac tous les magasins des ministres de la République. Le Grand Jacques d’une grande chaîne avait fini par commanditer son assassinat… commerciale, ainsi que de Un livre décidément troublant, qui donne nombreux commissariats. l’impression d’être écrit par un homme qui en sait Partout en France, des émeutes long sur les secrets de la République. Les allusions parfaitement orchestrées sont donc allumées. Tout sont trop nombreuses, trop fines, trop précises pour cela doit pouvoir ressembler à une guerre civile, et ne pas le donner à penser. S’agit-il toujours de y ressemble bien vite, tant ce pays a accumulé de fiction ? Oui, sans doute, mais comme par dépit, ou frustrations. plutôt, offrant en contrebande un supplément « Bob », qui coordonne l’opération, exige alors de dérangeant, témoin du cul-de-sac dans lequel s’est rencontrer en privé le Président de la République. Il engagée la société française, qui n’offre plus donne suffisamment de garanties pour que les d’autres moyens que ceux du romanesque pour dire services secrets réalisent qu’il est en mesure de leur une révolte dont les médias eux-mêmes ne veulent en apprendre beaucoup sur les origines et les buts rien savoir. Une grande consolation enfin, de cette action : un complot ourdi par le Ministre de prémonitoire, espère-t-on : Sarko, dans ce roman, l’Intérieur, l’impétueux Sarko le Momo, imagine-tne sera pas Président… on sans difficulté, pour ravir le pouvoir au grand Ed. Albiana, coll. Nera, 98p, juin 2005 Jacques… L’information paraît crédible dans ISBN : 2846981329 l’entourage du Président – on en est donc là ? ? ? Oui mais, voilà : au sortir de l’entrevue secrète, une

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Alexandre Dominati Le Loup Un petit village. Trois enfants pour enchanter le décor somptueux du paysage corse, marqué à chaque détour d’une inspiration épique. Trois enfants : deux frères et une fillette, que l’on aimerait à jamais réunis dans cette amitié malicieuse. Une élision plus tard la vie les a séparés, tandis qu’une agonie terrible scelle leur destin : la vieille Anna Dominica se confesse au curé de la paroisse et meurt. Une confession terrible, que le curé voudrait ne pas avoir entendue. Une confession qu’il faudrait taire à tout jamais, tant elle est grosse d’une vendetta sinistre. Mais voilà que cette mort veut conjuguer son temps à celui du retour du fils prodigue, Pierre, l’un des enfants du début, longtemps exilé au Canada. Retour inopportun ? A moins que… Car l’horrible s’avance déjà, déjà la

Pierre Lepidi Dilemme La Cursità, ou la Saudade corse. Le narrateur est corse, et dévoré d’ambition. Quand il reçoit un courrier de la prestigieuse rédaction de Grands Reporters l’acceptant en stage, il ne peut résister. Paris l’appelle. Sa grisaille, son fric, son arrogance, Paris qui règne sur tout et humilie tout, l’attend. Soit : s’il est vrai qu’il n’y a pas de salut hors Paris, alors Paris lui appartiendra. Moitié Lucien de Rubembré, moitié Rastignac, il s’y colle avec fougue, calcule au mieux son champ d’action, pousse les portes, provoque les relations, se démène pour dénicher l’«Affaire » qui lui mettra le pied à l’étrier. Intégré dans le service des enquêtes nationales, le voici aux aguets. Et l’affaire vient à lui, qui lui vaut de signer un magnifique papier sur une sombre histoire de fillette abusée dans un commissariat. Exit la fillette sitôt l’article paru. Qu’est-ce qu’on en aurait à fiche, au fond ?… Il lui faut à présent un plus gros poisson pour faire carrière, maintenant qu’il est pris en CDD dans l’entreprise. Le voici donc qui se jette dans la vie nocturne parisienne, sociabilité oblige, pour en apprendre les codes, avec bientôt à son bras l’incontournable « coupe-file », la machine à intégration dans le divin milieu des journaleux parisiens : Nathalie, féline à souhait, sexy plus qu’il n’en faut et tournant les têtes sur son passage. Qu’on la remarque donc : il vogue dans son sillage. Le bel objet branchouille CSP++, exhibe déjà sa réussite. Enfin… une certaine idée parisienne de la réussite, à mille lieu de sa culture corse, qui d’un coup lui paraît bien pâlichonne, archaïque, rétrograde. Une culture de l’échec en somme, dont Nathalie veut le convaincre de se débarrasser, car elle est un sérieux handicap, dirait-on, pour réussir dans le monde parisien. Mais bientôt cela ne va pas sans heurts, à l’occasion de ses retours sur l’île notamment. Il peut chaque fois mesurer ce qui l’arrache à ses origines. Pourtant, alors que son

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vendetta tant redoutée couche les victimes les unes sur les autres. La haine paraît sourdre sous les pas de Pierre et de son clan. On en suit la ligne nauséabonde au détour des regards qui s’épient sans aménité. Elle rôde aux abords du village, sillonne les rues, renverse les demeures. Les meurtres deviennent sauvages, tandis que la gendarmerie, trop étrangère au lieu, ne sait par quel bout prendre l’affaire. Débordée, elle ne fait que soupçonner Pierre, au retour si intrigant. Jeté en prison, aucune charge ne peut être retenue contre lui. La mort, pourtant, tel un furet sordide, n’en conte pas moins sa ritournelle odieuse. Sur la toile de fonds grandiose du paysage corse, grandiose mais inutile désormais, l’amour du pays et l’amour passionnel traversent le récit comme par désespoir. Et c’est peut-être cette nudité des âmes qui est la clef de tout, leur vérité, leur salut. Ed. Albiana, coll Nera, juin 2005, 100p ISBN: 2846981310

père décède, notre héros fait de nouveau le choix de vivre « pour » Paris. La grosse affaire s’annonce. Une affaire de fausses factures dans laquelle il découvre que l’ancien meilleur ami de son père a trempé. Un corse, du même village que lui. Dilemme. Crise de conscience… Faut-il jeter tout cela en pâture aux médias ? Mais un dilemme esquivé au fond, car lui le vit comme celui du choix entre solidarité ou trahison, quand il n’est au fond que celui entre vérité et dissimulation. Au fond, le vrai dilemme de notre homme est celui de réussir contre la Corse ou d’être corse dans l’invention d’une trajectoire plus « humaine ». Il se fera finalement virer de son journal dans un moment de colère, pour avoir choisi son camp : la Corse, plutôt que la raillerie parigote. Roman d’apprentissage plutôt que roman noir, se tenant sur les frontières du genre, refusant d’y entrer, comme si, au fond, le genre lui-même s’était dégradé pour relever désormais de ce que le roman dénonce : le cynisme parisien. Pierre Lepidi signe ici un récit de vie émaillé des résonances souterraines du patrimoine culturel corse, nous donnant par exemple à découvrir la fantastique chjam’è rispondi, joutes oratoires codifiées avec un rare raffinement, pour nous ouvrir à la Cursità, cette saudade corse dont on aimerait mieux connaître les formes, tissée en français dans une langue de l’amertume et de l’amour pour le paysage corse. Ed. Albiana, coll Nera, juin 2005, 134p ISBN: 2846981345

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Entretien avec Pierre Lepidi

NCP : J'ai lu au fond votre roman comme un roman d'apprentissage plus que comme un roman noir. Est-ce parce que vous hésitiez à la frontière du genre ? Faut-il classer Dilemme dans la catégorie des romans noirs ? La question s'est longuement posée avec mon éditeur. S'il faut qu'un livre contienne au moins un meurtre et une enquête policière pour entrer dans le genre, alors Dilemme ne mérite pas son appellation. Si l'on considère en revanche qu'il faut une intrigue, quelques soubresauts (rebondissements ?) ainsi qu'une enquête journalistique (à défaut d'être policière) pour y figurer, alors le livre me semble se trouver à la bonne place. On ne peut nier que la noirceur imprègne le roman, notamment au niveau des sentiments. C'est d'ailleurs peut-être ce qui a fait pencher la balance. En l'écrivant, je traversais une profonde période de doutes et de remises en question. Très sincèrement, je ne me suis pas posé la question de savoir dans quel rayon de librairie il serait ensuite classé. NCP : Votre texte est traversé par les échos de la langue corse. Pourquoi n'écrivez-vous pas en corse? Mais je rêverais de pouvoir écrire en corse ! C'est une langue de poètes, immensément riche et faite d'innombrables subtilités. Cette langue est bien vivante et, n'en déplaise à certains, ne peut être considérée comme un vulgaire patois ! Pour des raisons liées à mon parcours, je ne maîtrise pas suffisamment bien le Corse aujourd'hui, et même loin de là. Comme je vis à Paris, je l'utilise rarement, mais toujours quand j'ai besoin de me motiver. Je n'ai jamais compris pourquoi ! Les quelques phrases ou répliques que l'on découvre en corse dans ce roman existent, parce je reste persuadé que le narrateur les auraient entendues ou prononcées dans tel ou tel contexte. Et pour ce qui est de mon attachement à la langue française, le point commun qu'elle possède avec le corse, c'est de vivre avec la menace de sa disparition. NCP : Cette question me préoccupe au fond beaucoup. Le corse traverse votre roman, l'enrichit de visions que l'on ne voit pas se traduire dans la langue française qui ne semble pas tout à fait faite pour elles. Je songe aux joutes oratoires que vous évoquez. Difficultés de traduction ou impossibilité de rendre dans une langue la matière de l’autre ? Je pense que l'on peut tout traduire, à l'exception probablement de la poésie. Dans ce cas précis, on peut évidemment conserver le sens d'un vers, d'une strophe, mais comment restituer fidèlement le choix délibéré d'un mot ? Se posent ensuite les questions de rythmes, de souffles. La musique intègre la poésie. Des amis ont essayé un jour de traduire à d'autres ces fameux Chjami e respondi ou joutes oratoires, en même temps qu'ils les entendaient. L'expérience dura deux minutes. La traduction gardait son sens mais perdait au passage sa subtilité, sa sensibilité. Pour ce qui est de « Dilemme », je rêverai qu'il sorte en langue corse. Noël approche, je vais en parler à l'éditeur. Les thèmes qui y sont abordés sont ceux de l'exil, de la passion amoureuse et des choix difficiles que nous impose parfois la vie. Ils sont donc universels. Si le livre pouvait un jour être également traduit en wolof, en allemand ou en arabe hassanya : je serai vraiment très fier ! NCP : Pourriez-vous préciser ce qu'est la cursità ? Pour la saudade portugaise, j'ai à l'esprit ses termes construits par Camoes, le grand poète portugais, quand il écrit « j'appartiens à une race, les portugais, qui après les grandes découvertes est restée sans emploi ». Elle exprime bien, me semblet-il, cette profondeur de la saudade. Que diriez-vous de la cursità, qui ne serait pas que nostalgie du pays ? La cursita est un sentiment teinté de mélancolie que l'on ressent invariablement quand on s'éloigne de l'île. Je ne connais aucun corse qui ne l'est jamais éprouvé, ni aucun autre exilé et c'est ce que j'essaie modestement d'expliquer. A l'âge de 20 ans, j'ai essayé de la contrer en me disant que j'allais vivre Ailleurs comme je l'aurais fait si j'habitais sur l'île. C'était idiot, absurde mais je l'assume ! Dans la notion de Cursita, on retrouve aussi l'envie d'œuvrer pour la Corse, une vraie volonté d'apporter sa pierre à l'édifice. On se jure même de tout tenter pour y parvenir. Jean-Jacques Rousseau a dit qu'un jour « la Corse étonnerait le monde ». S'il reste évidemment du chemin à faire, il faudrait commencer par faire confiance aux corses. NCP : Imagineriez-vous d'écrire un polar ou un roman noir sur un thème moins ancré dans ce vécu corse ? Personnellement, j'aurais beaucoup de mal à écrire un roman qui soit à des années lumière de ce que je vis, de ce que je ressens. Avec Dilemme, j'ai tenté de m'attaquer aux habituels clichés qui entourent les corses, que l'on persiste parfois à considérer comme fainéants, violents, incultes et surtout intolérants. Plutôt que l'idée de «message à faire passer», je mettrais en avant l'envie de montrer une autre facette de la culture insulaire, très loin de celle que l'on voit à la télé ou plus récemment au cinéma. Mais je ne suis pas dupe. Il faudra bien plus qu'un livre pour changer la perception des gens. Coordonnées Albiana Editions Albiana BP 83 4, rue Major Lambroschini 20176 Ajaccio Cedex 1 Tél. : (+33) 4 95 50 03 00 / Fax : (+33) 4 95 50 03 01 www.albiana.fr - Info@albiana.fr

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