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Un génie particulier…
L
’injure est un mode d ’expression aussi vieux que le verbe. Signe d’intentions belliqueuses franchement avouées, point culminant de la crise a vant que les baffes ne le c oncluent éventuellement, les hommes ont certainement, et de t ous t emps, pratiqué c e spor t complexe qui consiste à trouver le mot just e au plus f ort de la colère. En effet, quoi de plus désespérant que de rester bouche bée face à son adversaire, quoi de plus primitif et barbare que d’en venir tout de suite aux mains et quoi de plus valorisant que de lancer le mot qui tue, si possible au milieu d’une assemblée attentive, à celui que l ’on désire dominer, écraser, renvoyer à son ignoble grotte. Mais, qui dit sport, dit art de la balle et peu à peu, la civilisation aidant, ce qui n ’était que grossièreté et déballage indigne, s’est affiné, poli, diversifié, étendu. L’homme a mis tout son génie créateur à multiplier, à créer, à imaginer un vocabulaire si riche qu’il s’étend à toutes les situations, à tous 5
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les genres, à toutes les catégories d’individus que la vie lui met complaisamment en travers de son chemin. I l s’est même permis le luxe de développer une branche à part, les jurons, qui, ne s’adressent même plus à des objets , des animaux ou des personnes , mais consistent en une sor te d’abstraction où Dieu et ses saints viennent à sa rescousse et l’aident à se libérer de la contrariété, telle une catharsis, une thérapeutique personnelle. L’injure est donc un art à part entière et l’on révérera celui qui saura, pour chacun et chacune trouver celle qui lui sied au moment qui convient, ce mot qui saura exprimer avec brio cette tension créatrice unique qui gît au cœur de tout conflit. Celui qui fera rire ou sourire quand tout pousse à la c onfusion et à l ’obscurcissement des sens , c elui-là deviendra le maître de la situation en l’éclairant de sa saillie, mais à la seule condition bien sûr qu’il réussisse cela magistralement et dans un t emps très court, en sachant doser exactement le poids des mots qui sortiront de sa bouche… parce que dans le cas c ontraire, cela arrive malheureusement, il pourrait bien avoir à les ravaler ! Les enfants qui pourraient avoir à lire ces lignes objecteront sans doute que dans ce cas, ils ne voient pas pourquoi on leur interdit avec une telle constance de dire des gros mots. Eh bien, c ’est justement parce qu’il s’agit d’un art et qu’il faut le prendre au sérieux. C ’est l’apprentissage de toute une vie, et ils le mesureront le jour venu de leur entrée dans le monde des adult es, ce jour béni où ils pourr ont enfin lancer leurs premières invectives fleuries sans encourir le courroux de leurs pr oches – bien au contraire. D’ailleurs, c’est bien pour c e lent apprentissage que les adult es en 6
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profèrent allègrement devant eux des chapelets, prenant bien soin de les varier et parfois même de s’en approprier les plus juteux. Ah ! ce tonton auquel resta collé pour l’éternité cet anathème inouï lancé un jour de grande colère et répété à l’envi des années durant aux oreilles attentives de la marmaille… Quel tonton, ce tonton ! Les civilisations, même les plus polic ées, surtout les plus policées, ont de tous temps aidé les tontons dans leur haute tâche éducative. Nous pourrions même aller jusqu ’à les classer selon un or dre qui privilég ierait c elles qui fournissent non seulement un v ocabulaire large et une variété des plus vastes, mais qui savent aussi inculquer l’art et la manière de s’en servir et d’en inventer. Au rang de c elles-ci, indubitablement se tr ouve la civilisation corse qui recèle des trésors insoupçonnés et un mode bien à elle d ’user de la dérision dans les situations les plus graves. Fleuri, bucolique, inventif et renouvelé, chaque région de l’île possède son répertoire fixé auquel vient s’ajouter un sel particulier. Et nous n’avons pas eu à chercher bien longtemps les injures et leurs dériv és, que nous avons réunis dans ces pages. À vrai dire, nous n’avons interrogé que quelques personnes aut our de nous, dans la région qui nous vit naîtr e, le sud de l ’île. Que ceux qui trouveront le procédé peu partageux nous lancent l’anathème – nous leur répondrons ! Nous avons privilégié ici les injures les plus représentatives et éliminé quelques-unes d’entre elles qui nous semblaient frappée de lourdeur – selon la philosophie de l’art décrite plus haut – et celles qui empruntaient par trop au français. 7
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Le lecteur en trouvera ici plus de tr ois cent cinquante, ce qui devrait suffire à son bonheur. Que les femmes nous pardonnent aussi, mais rares sont les injures qui les concernent directement, on pourra éventuellement habilement transformer en féminin quelques-unes d’entre elles en plaçant un «a » à la place du « u » final, mais cela ne comblera pas vraiment la lacune. Dans une infinie sagesse confortée par des siècles de cohabitation heureuse, plutôt que l’injure, on utilisera à leur endr oit un ar t plus subtil encore, celui de l’explication et du raisonnement… Un avertissement tout de même : en Corse, les injures sont à utiliser avec à propos, dans des situations où l ’on a pu déjà évaluer toutes les répercussions possibles, car ici plus qu’ailleurs il s ’agit aussi d ’un ar t mar tial et les jeux de mains remplacent souvent, plus tôt que l’on imagine, les jeux de mots. Araziolu
1. Pour la prononciation exacte, on se rapportera aux manuels ou aux conseils des proches… la linguistique, la phonétique, les cours particuliers… très peu pour nous ! 2. Le nombre d’injures est bien ent endu, beaucoup plus étendu que celui présenté ici… pas de prétention – vaine bien sûr – à l’exhaustivité pour ce petit recueil… qui attendra sagement un petit frère. 3. Certaines injures sont très crues… les explications aussi parfois ! Mais c’est la loi du genre, non ?
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4. Certaines épithètes acceptent un degré moindre (en u) et un degré élevé (en ò), leur choix dépend donc de la situation. Attention cependant, le degré « élevé » peut cacher une vraie affection, tandis que le «moindre » sera vraiment injurieux (tout est affaire de ton et de situation !). On pourra donc traiter de baulu quelqu’un d’indifférent et de baulò quelqu’un auquel on porte une affection certaine. Ultimes précisions : il y a deux sorte d’injures, les directes qui n’ont de sens que lorsqu’elles sont envoyées à la figure et celles qui se disent loin des pr emières oreilles intéressées (ce sont plutôt des épithètes). Il faudra aussi veiller à ne pas confondre injure et insulte… Le distinguo n’est pas toujours aisé et seule la pratique assidue de l’exercice permettra de s’y retrouver et ne pas tomber à plat ou… tomber de haut. Nota : L’auteur et l ’éditeur déclinent toute responsabilité quant aux éventuelles mésaventures qui pourraient vous arriver du fait d’un usage vraiment intensif ou incontrôlé des injures contenues dans ce recueil.
Remerciements les plus sincères à ceux qui nous ont aimablement aidés dans notre tâche : France Sampieri, Philippe Antonetti, Marcu Biancarelli, Bernard Biancarelli, Yves Goulm –, avec un plaisir souvent non dissimulé et à Martial Menard, auteur d’un ouvrage similaire sur les injures bretonnes, qui nous a donné le goût et l’envie de réaliser celui-ci.
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Abbambanatu
« Qui a perdu ses sens, qui bat la campagne » Quelqu’un dont la raison est tout à coup devenue vacillante, comme s’il avait reçu un coup sur la tête. Une sorte d’idiot soudain, hébété, dont l’histoire récente explique les faiblesses de raisonnement, la douce folie.
Abrutitu
« Abruti » Une des multiples sortes de cons…
Acciaccatu « Frappé violemment » Et donc devenu mentalement déficient. Essa acciacatu c’est être aussi atteint de cette folie parfois violente et avoir un comportement de fou dangereux.
Adurtonu « Avorton »
Le pauvre est mal fini ou de petite taille. 11
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Afunatu à a longa « Lié par une longe laissée lâche » Encore un doux dingue, littéralement fou à lier, auquel il semblerait que l’on ait malgré tout laissé un peu de liberté car inoffensif.
Aguzzinu « Argousin »
Homme de peu de valeur, vil et vicieux et surtout âpre au gain : prêt à tout !
Andacianu « Vagabond » « qui va par monts
et par vaux » Il s’agit de l’un de ces pauvres malheureux qui arpentent à pied (!) nos routes et nos chemins un énorme sac sur le dos. Par extension, un pauvre type ou celui qui ne connaît pas l’art de bien s’habiller ou se comporter. Il est aussi celui « qui n’a pas de maison », un importun qui s’incruste, qui n’apporte rien et profite des situations.
Antecristu « Antéchrist » Satan, l’antéchrist ne respecte rien, ne croit en rien. Il est celui qui fait le mal pour son plaisir. 12
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L’injure est peu usitée car un peu précieuse et savante – elle tombe facilement à plat !
Arichjò « Grandes oreilles »
C’est pas beau de se moquer des erreurs de la nature ! Peut aussi bien convenir à celui qui s’intéresse à ce qui ne le regarde pas.
Asinacciu
« Sale âne » C’est évidemment quelqu’un qui ne comprend rien à rien, un gros bêta. Un puits sans fond, une enclume. Il peut même avoir mis… de la malice à rester bête !
Asinu imbastatu « Âne bâté » Le même que le précédent, ultime remarque en moins… il n’a aucune excuse !
Assassinu « Assassin »
Quelqu’un qui aura mis toute son intelligence à faire du mal, à profiter d’une situation, d’un avantage sur un faible. Souvent employé, a contrario, avec une certaine tendresse. 13
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Baldracca « Gourgandine »
Une femme à hommes… moralement sans grandes limites.
Ballalò « Idiot »
Débile léger mais sympathique. Un naïf qui prête à sourire.
Bambulu « Branlant, gâteux »
Qui a perdu la tête, tel un vieillard qui ne reconnaît plus les siens…
Banda di… « Bande de… »
S’accorde avec presque tous les épithètes lorsque l’on a affaire à un groupe.
Banditu « Bandit »
Comme pour l’assassinu, on a en Corse une sympathie marquée pour le banditu.
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Bambulu
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Se dira donc avec affection à un gamin qui vient de se faire remarquer. À l’origine, banditu est synonyme de banni. Quelqu’un qui donc est exclu du groupe social pour des raisons qui peuvent être bonnes.
Barnabaccu « Imbécile » Un gentil crétin, plutôt risible.
Barnacàle
« Imbécile » Du même genre exactement que le précédent…
Basgiculu « Lèche-cul »
De cette sorte de gens qui ne recule devant aucune compromission avec l’ennemi. Un dédain profond accompagne l’injure, à moins que… secrètement, on envie son art consommé d’arriver à ses fins.
Bastardu « Bâtard »
Mal-né parce que mal conçu, l’injure est grave parce qu’elle retentit sur les géniteurs. À employer avec une extrême modération, même pour rire !
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Batachjò « Bavard »
C’est un bavard qui gesticule et ne fait rien. Une crécelle ! Celui que le désir de faire tout en même temps rend malhabile. Il est aussi celui dont on redoute les catastrophes… (Batachju)
Batalò « Bateleur » Celui qui parle tout le temps pour ne rien dire. Le bavard intégral, saoulant, qui voudrait bien vous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Baulò « Grosse malle »
L’imbécile dans toute sa splendeur. Il est le balourd de service, celui qui met vingt ans à comprendre. (Baulu)
Bavacciulò « Qui bave » Tel le débile léger dont la bouche laisse toujours couler un filet de bave. Il peut baver à raison (devant une belle fille qui lui échappe) ou non (par nature). 17