CentuâąMilla, la collection des courts lettragesâŠ
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« I l e st c et te C o rs e invisible, ce mensonge per manent q uâil voulait dĂ©truire. Une rumeur, un mythe en construction ».
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ReprĂ©sentation de lâĂ©crivain en schizophrĂšne
JâĂ©tais semblable Ă lui, ces Ă©paules fuyantes, cette gaucherie. Câest mon enfance qui prĂšs de moi se penche. Trop loin pour que ma main lâatteigne mĂȘme du bout des doigts. La mienne est loin et la sienne est secrĂšte comme nos yeux. Secrets silencieux, qui rĂšgnent rigides dans les palais sombres de nos deux cĆurs ; secrets las de leur tyrannie ; tyrans dĂ©sireux quâon les dĂ©trĂŽne. J. Joyce
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Photo
La photo est en noir et blanc, tirant sur le gris. Le grain flou fait se confondre la mer et la plage. Il doit y avoir un peu de vent. Les cheveux blonds tourbillonnent autour du visage. Le petit garçon est affublĂ© dâun lourd blouson. Il semble frĂȘle et solide Ă la fois. Sâil Ă©tait le petit prince : « Apprends-moi Ă ĂȘtre fort, Ă dĂ©cider, et plus jamais les rĂȘves nâempĂȘcheront les enfants de grandir. »
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Au bord du chemin Pensées
Dire⊠Posture, pour ne pas dire imposture. VĂ©ritĂ©, pour ne pas dire mensonge. Amour, pour ne pas aimer. Effleurer, pour ne pas toucher. Vivre, et ne pas oublier. Mourir, sâapaiser. Simuler. âŠ
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Au bord du chemin. Ă triturer un revolver. SchizophrĂ©nie : penser et ĂȘtre lĂ . PensĂ©e. Une paranoĂŻa aspirĂ©e dans une schizophrĂ©nie collective. Contagieuse. Ătre nĂ©, avoir Ă©tĂ© Ă©duquĂ©, ĂȘtre allĂ© Ă lâĂ©cole, avoir lu â dĂ©rision du langage â et se retrouver lĂ , au bord dâun chemin : Ă attendre pour tuer. Il nây a pas dâendroit oĂč lâon apprenne Ă tuer. Pas dâĂ©cole pratique du crime. Faire avec peu est excitant, le problĂšme est de faire avec rien, le pire est de ne rien apprendre â lâexpĂ©rience nâexiste pas. Et rien ne semble le prĂ©disposer Ă cette vocation. Pas de parents abusifs ou absents, pas de traumatisme ou de pathos enfoui en lui-mĂȘme. Il est simplement lucide. Peut-ĂȘtre, des bribes dâexplications, de causes le traversent-elles. Des sensations muĂ©es en pensĂ©es. La chasse. Un souvenir, poĂšme dâenfance : « Au fond de la vallĂ©e, inaccessible aux yeux paresseux, derriĂšre une saillie rocheuse, il y a un immense arbre accrochĂ© sur une pente caillouteuse. Jây vais pour tuer les pigeons qui y trouvent refuge. »
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Et encore : la mort de son grand-pĂšre. Une pensĂ©e lâobsĂ©dait : le goĂ»t repoussant du lait qui a tournĂ©. Ce pays. OĂč partout les symptĂŽmes surgissent. Un bref inventaire avant autodestruction. Habitudes â mauvaises habitudes â devenant : tradition, folklore â Simulacre. Il nây a que la mĂ©diocritĂ© pour sâinsinuer, et sây fixer, ainsi dans un peuple. Quâest-ce ? du mimĂ©tisme avec la France ? SymptĂŽmes. Ă Ă©carter : toutes idĂ©es de valeurs ; une course parallĂšle, personnalisĂ©e : une crise identitaire. On perd son identitĂ© Ă la chercher. Un peuple qui a produit si peu dâartistes, et toute une convergence actuelle â une invasion : chanteurs, comĂ©diens⊠Des « artistes » corses se mettent Ă pulluler. Quâest-ce ? un modĂšle quĂ©bĂ©cois ? La Corse se met au diapason. Et fleurissent les premiers Ă©crivains â de la violence Ă espĂ©rer. Une sociĂ©tĂ© largement schizophrĂšne, nulle part existe autant de mythomanes. â DensitĂ© de mythomanie. Il y a une rĂ©alitĂ© de la Corse propre Ă chaque Corse. Autant dire : aucune. Seul le mensonge est partageable, et partagĂ©, par tous. IdentifiĂ©, le mal du pays : la proximitĂ©. Prodige corse : accoupler mythomanie et proximitĂ©. Toute la sociĂ©tĂ© participe Ă la reprĂ©sentation dâelle-mĂȘme. Se souvenir : il nây a pas dâamour dans ce pays. Il y a : dĂ©sir, violence, sexe, possession. Mais pas dâamour. Ă bannir : toute pulsion de vĂ©ritĂ©.
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Les modĂšles. Les mĂ©diations internes lâemportent sur les mĂ©diations externes. Le dĂ©sir triangulaire comme suivant une mode toujours changeante, jamais diffĂ©rente. MĂȘmes armes, mĂȘmes voitures, mĂȘmes femmes. « Lâenvie, la jalousie et la haine impuissante ». Tous les dĂ©sirs, les instincts entrent en concurrence. Et aussi, profondĂ©ment, le respect de la force physique. Motif inavouĂ©, inavouable : la peur. Toute lâintelligence et la folie crĂ©atrice de ce pays â Ă©crasĂ©es dans la mĂ©diocritĂ© et la peur, dispersĂ©es au quotidien. Toujours le mal du pays, la proximitĂ©. Une mentalitĂ© de vallĂ©e. ProximitĂ© : cloisonnĂ©e, compartimentĂ©e. Et partout : amplifiĂ©e. DĂ©formĂ©e. DĂ©structurĂ©e. RetournĂ©e. Prox-inimitiĂ©. Un laboratoire de la dĂ©liquescence. Une urgence : dire et non plus raconter. Une ambition aussi. Ambition ? Ă attendre : notre DostoĂŻevski. Les Corses comme des Albanais catholiques, ou des Russes catholiques â en plus modernes. RĂ©vĂ©ler ce que lâon sâobstine Ă appeler : Ăąme. â La part de soi que lâon oublie toujours. Quelques individus dispersĂ©s dâune vallĂ©e Ă une autre : des Ă©crivains. Et lui, au bord du chemin. Une moto approche. Le poids du revolver se fait plus prĂ©sent. Le glisser entre la peau et le jean. Comme Pierre. PĂ©, sur la moto. Il enlĂšve son casque. Un Ă©clair : Ă Bogota, ou Medellin, le port du casque intĂ©gral est interdit. Une
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autre violence. Non plus gĂ©nĂ©tique, culturelle â une simple loi de nature, partout reproductible : tuer pour survivre. Ici, tuer â pourquoi ? PĂ© a lâair de tous les jours. Rien ne lâatteint. Un homme Ă sang froid. Aucune conscience. Une mĂ©canique superbe, propre Ă sâĂ©panouir uniquement en milieu hostile. Une nouvelle ombre tutĂ©laire de ce pays ; un mythe en construction comme les aime la Corse. Lâimage de son pĂšre : lâabsence. Un pĂšre en cavale. Une sorte de prestige insulaire pour les enfants dĂ©sĆuvrĂ©s. Gamin toujours livrĂ© Ă lui-mĂȘme. PĂ©. Un silence quâil a toujours pris pour une certitude. Un regard. La mort a deux yeux vert sombre. PĂ© ne toise ni ne juge. Attendant, comme une Ă©vidence, quâil grimpe derriĂšre lui. Il ne toise ni ne juge. Il le sait intelligent, plus intelligent que lui. Il a raison, et câest ce qui devrait le faire douter de lui. Pourtant, il nâa pas envie de fuir. Il agit seulement dans une profonde apathie. Comme si la Corse lâavait dĂ©pouillĂ© de lui-mĂȘme. « Câest elle que je vais flinguer. » Un murmure. Au bord du chemin. Ă triturer un revolver. Avoir un cerveau, et pourtant ĂȘtre lĂ . Il ne sait plus ce qui lâamĂšne ici, sinon le sentiment intime dâune NĂ©cessitĂ©. Il nâavait pas vu. Entre un arbousier et un lentisque, on aperçoit la mer. Lâhorizon, par une lucarne Ă©troite. GrillagĂ© par les branches. Un souffle dâair rend le paysage plus tolĂ©rable.
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Pays de lumiĂšres, pays dâaveugles. Il nâaime ce pays quâen hiver. OĂč la lumiĂšre se fait pure, le soleil doux. OĂč le relief se dĂ©coupe avec nettetĂ© â saillies acĂ©rĂ©es. Quand lâĂ©tĂ© tout vous agresse, tout se brouille, tout devient flou â les brumes de chaleur supprimant toute idĂ©e prĂ©cise dâhorizon. OĂč ne restent que les pulsions. Une Ă©ternitĂ© dĂ©solante de prĂ©sents. Excitation dâavant nausĂ©e. Et encore : des impressions dâenfance qui le submergent. Ne pas se laisser engloutir. Maintenir la tĂȘte hors de lâeau. Ne pas succomber Ă une envie dâeau salĂ©e. Depuis quand nâa-t-il pas pleurĂ© ? La foire du village. Au moment culminant de lâhystĂ©rie estivale. Avant que tout ne retombe. Sursaut ultime avant effondrement et retour Ă la torpeur hivernale. Lâanimation. Les baraques. Una baracca Ăš micca unâ baraccon⊠La voix et lâhomme chancellent au comptoir â parodie dâharmonie du corps et de lâesprit. Les gens montant et descendant la foire, comme on arpente le cours Ă Ajaccio. Un petit gosse et ses billets Ă dĂ©penser ; butin de la journĂ©e, contribution familiale Ă Ă©couler. Lâargent comme une tradition. Trois ballons qui sâagitent. Trois ballons Ă faire exploser. Une petite carabine Ă plomb. Trois ballons. TrophĂ©es misĂ©rables de lâenfance. Dans la baraque de son oncle. Grand enfant installĂ© Ă une table, et les trophĂ©es rĂ©pandus au hasard : pistolet Ă
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bille, ours en peluche, bouteille de champagne espagnol, petits ballons. Il est distrait de sa contemplation par une discussion qui enfle au comptoir. Un conciliabule qui anime la baraque. Bribes de paroles, le corse se mĂȘlant au français â dramatisation de la scĂšne. Il est question de vol de vaches, de boucher et de putain de problĂšme Ă rĂ©gler une bonne fois pour toutes. DĂ©placement oblique de la baraque au lieu du bal. Lui, tout gosse, suit le mouvement, magnĂ©tisĂ© par la tension qui Ă©mane du groupe. Au comptoir, face Ă ZĂ©, le boucher : « Une bouteille de champagne. » La bouteille est expĂ©diĂ©e en silence. « Une autre. » Une vision fugitive. Seul le souvenir dĂ©compose. La bouteille dans la main, violemment assĂ©nĂ©e sur la tĂȘte de ZĂ©. Celui-ci, la tĂȘte affaissĂ©e, recule de deux pas, puis titube vers le comptoir. Un deuxiĂšme grand coup. La bouteille explose. Une forme sanguinolente qui sâeffondre. « Et le champagne, câest pour toi ! » Son corps tremble. Ignorer la terreur qui grandit en lui ; ignorer le goĂ»t salĂ© au fond de sa gorge ; ignorer une irrĂ©pressible envie de hurler. Pourquoi ? pourquoi ? sortir. Sortir, aspirer, expirer. NausĂ©e devant le rĂ©cit fascinĂ© des enfants entre eux. NausĂ©e des images qui le hantent, des fulgurances qui le traversent.
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Et son pĂšre qui le rĂ©cupĂšre, plus tard, bien plus tard. « Tu tâes bien amusĂ© ? » Au bord du chemin. Ă triturer un revolver. La violence. Partout prĂ©sente, diffuse ou rugissante. DissimulĂ©e ou thĂ©ĂątralisĂ©e. Un son de lâenfance : Crooooc dâun nez brisĂ©. La nuit. Et ses ballets de violence sur le parking. La nuit. Et sa Sainte-TrinitĂ©, variable selon les groupes. Sex, drug et cazzuttata pour lâĂ©lite. Sex, alcool et cazzuttata pour le commun. Alcool, alcool et cazzuttata pour les plus traditionalistes. « Je vais te tuer ! » Contenir et non plus ignorer sa peur. Se concentrer sur le ballet des duellistes, retenus de part et dâautre par leurs groupes respectifs. Les deux ensembles avançant en rĂ©ciprocitĂ©. La tension ravivĂ©e quand lâun des duellistes se libĂšre/est libĂ©rĂ©. Affrontement. Sentiment exacerbĂ© du tragique. Cris dâhommes masquant leur peur, cris de femmes imitant la figure sĂ©culaire de Colomba⊠ComĂ©die de la violence. Ballet absurde. Simple montĂ©e dâhormones. Ăviter les coups, en donner. Faire comme si⊠on nâavait pas peur. Et le boum, boum, boum des basses de la boĂźte. Boum, boum, boum⊠ou ses veines sous ses tempes. Boum, boum, boum. Direct au plexus, crochet au menton, uppercut⊠Mesurer en une fulgurance la distance de la thĂ©orie Ă la
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pratique â Ă©lĂ©ment nĂ©gligĂ© : la peur. De donner autant que de recevoir. Le danger de la conscience. Lâalcool descend, la coke monte. Essayer⊠de stabiliser son cerveau, de se parler entre deux esquives. Petite voix dans son crĂąne â en lui, lâĂ©cho de sa mĂšre lâappelant : Antoine. Explosion de couleurs. Ătoiles. Ăa doit ĂȘtre fini. OĂč est-il ? oui, allongĂ© sur le gravier. Feux dâartifices instantanĂ©s. Coups de pieds dans le ventre, la tĂȘte, les jambes. Peu importe, les douleurs sont pour demain. Et la nuit, aussi : attitudes. Postures. Distribution des rĂŽles. Hommes au comptoir, femmes sur la piste. Rapprochement au fil des heures et du degrĂ© dâalcool. Et encore : alliance prĂ©tendue de lâarchaĂŻsme et de la modernitĂ©. Techno et paghjella. Scratch et mora. Câest tout sauf une conviction intime : simulacres participant Ă la ReprĂ©sentation. La nuit. Et toutes les pulsions de mort blotties en son sein. Au bord du chemin, il ne pense quâĂ une chose. Dans ce pays, tout le monde prĂ©tend, mais tout le monde a peur. Tout le monde connaĂźt tout le monde. Tout le monde est quelquâun : « et qui on est ! », comme une devise absurde. Une pose face au nĂ©ant de la certitude. On peut croire que partir permet de sâen rendre compte â quâon nâest personne. Oui, mais voilĂ , lĂ -bas on est des Corses. Regard des continentaux, identification : « Ce sont des Corses ».
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Comme si câĂ©tait une tare, ou pire : une qualitĂ©. Ils ont un mouvement de recul, ou dâarrĂȘt. Quâils nâauraient pas devant un Aquitain ou un Lorrain. Dans ce simple petit mouvement sâouvre un abĂźme vertigineux â altĂ©ration de la perception de lâautre. Ils ne savent pas, les pauvres pinzâ, que ce sont les plus faibles dâentre les Corses qui partent, ceux qui ressentent le plus cette pression que subit chaque Corse en Corse. Faiblesse physique, faiblesse psychique. Une pression qui nâa pas de nom. Des faibles qui jouent avec des faibles. Une pression qui sâĂ©vacue Ă lâextĂ©rieur. On nâest plus personne, mais lâon est un Corse. PrĂ©tendre et paraĂźtre. Ătre lucide, câest deviner la Nature mĂȘme des choses. Ni bien ni mal. Comme un antagonisme stĂ©rile, un paradoxe : ĂȘtre lucide et vivre. Il est consternant de nâavoir rien dâautre Ă faire que se suicider. Si on pouvait ressusciter, on passerait son temps Ă se suicider. Ătre lucide, câest pouvoir regarder au-delĂ des Ă©lĂ©ments du dĂ©sastre. Pouvoir survivre. Surtout, ne jamais surestimer la vie Ă la survie. Au bord⊠de la folie. Une pensĂ©e qui dĂ©roule et dĂ©verse. Une bile rageuse. Un mot en prĂ©cipite un autre. Une phrase en annihile une autre.
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Ne pas oublier : folie. Ennui. Ou : ennui. Folie. DĂ©truire quand on nâa rien Ă faire. PlutĂŽt que construire. Il ne fait quâerrer, et tout se bouscule, dans une grande accĂ©lĂ©ration dâimages. DâannĂ©es passĂ©es pour le conduire lĂ , tout au bord de lui-mĂȘme. Errances dans les mĂ©andres de la mĂ©moire. Au bord du chemin, il oublie ce quâil a Ă©tĂ©. Des annĂ©es passĂ©es Ă se dissoudre dans la mĂ©diocritĂ©. Ătudes. Fuir la vacuitĂ© universitaire pour lire. La facultĂ© comme une fuite allongĂ©e, une cavale grisĂ©e, une absence muĂ©e en victoire. Un lieu mythique masquĂ© par la buĂ©e. Ne pas lâapprocher, câest lui conserver le bĂ©nĂ©fice du doute. Haine du « il faut savoir », haine de tous les ismes dissĂ©minĂ©s dans le non-enseignement universitaire. Lutter, Ă©chapper au positivisme, au socialisme, au communisme, au psychanalisme, au structuralisme, au sociologuiliguilisme â le minimum nĂ©cessaire. RĂ©alitĂ© de la fiction. Et kilomĂštres dâĂ©critures besogneuses alignĂ©es et dĂ»ment classĂ©es des tristes universitaires et de leurs stupides Ă©lĂšves. Un monde aussi clos que ce nombril quâils ne cessent de tourmenter. DerniĂšre grandeur de la France : ce monde universitaire qui se suffit Ă lui-mĂȘme, qui sâauto-alimente, dans la perspective folle dâarriver un jour Ă pondre autre chose que sa propre vacuitĂ©. Un anachronisme superbe. Une mascarade qui sâĂ©bat dans lâĂšre des « pages de variĂ©tĂ©s ». La France est une raison qui pourrit. Qui nâen finit pas de pourrir. IndignĂ©e de
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voir le colossal marmot anglo-saxon venir chier sur sa culture. La puissance culturelle se reconnaĂźt Ă la qualitĂ© de sa merde. Les AmĂ©ricains sont souverains sur ce marchĂ©. Et sur les autres. Les Français produisent la merde la plus nausĂ©abonde : ils se retournent, extasiĂ©s, comme le premier homme qui a contemplĂ© sa merde. La France est le modĂšle de la Corse. Elle est aprĂšs tout son maĂźtre. Mon Dieu. Alcool. Grandeurs et dĂ©cadences. Tout un schĂ©ma thĂ©orique Ă reprendre, toutes sortes de contrĂ©es Ă explorer, quand la vague Ă©thylique le submerge. Fuir pour boire. Et boire pour oublier. Pour oublier quâon nâa rien Ă oublier. Reprendre Ă son compte les misĂ©rables vers verlainiens. Il nâa pas le verbe haut de lâalcoolique affabulateur, mais une endurance Ă lâalcool qui frise lâinconscience. Cette endurance est son titre de noblesse, et les bars de France son Cursus Honorum. Et drogue. Une vĂ©ritable irruption sur la scĂšne insulaire. Un enthousiasme juvĂ©nile pour la nouveautĂ©. Avec les ennemis dâhier devenus les dealers dâaujourdâhui. Un art archaĂŻque et insulaire de saisir les enjeux de la modernitĂ©, dâen comprendre les rouages, sans en avoir la moindre connaissance. LâarchaĂŻsme finit toujours par prendre possession de la modernitĂ©. Câest rassurant et stupĂ©fiant. Les petits cailloux noirs et mous entre les doigts. Leurs mutations en fumĂ©es, volutes agressives rongeant et dynamitant sa pensĂ©e. RĂ©alitĂ©s et rĂ©alitĂ©. La peur de ne
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plus pouvoir se dissocier. La nĂ©cessitĂ© de fuir tout contact humain. Ne voir en lâAutre quâun tentacule lui voulant du mal. La Peur. Et ces envies de hurler Ă comprimer. Des descentes interminables quâaucune montĂ©e ne peut plus rattraper. Tout arrĂȘter. Ne devrait fumer que celui qui sait fumer. Savoir la paranoĂŻa et la schizophrĂ©nie. Pour ne pas se suicider sans savoir pourquoi. Ses rires se sont arrĂȘtĂ©s si vite. Repli sur soi comme une connexion intime avec la NĂ©cessitĂ©. Il parle Ă luimĂȘme le langage de Dieu. â Folie. Lâespoir est de pouvoir parler Ă Dieu. â Folie crĂ©atrice. Une musique intĂ©rieure pour langage. Il pense : un criminel est plus souvent un artiste ratĂ© quâun grand artiste. La vague de meurtres minables Ă prĂ©voir sur cette terre livrĂ©e aux artistes ratĂ©s, aux politiques tordus, aux nationalistes stĂ©riles⊠à tous ces hommes dĂ©masquĂ©s, qui ont besoin dâune cagoule ; livrĂ©e Ă une reprĂ©sentation compulsive dâune parodie dâelle-mĂȘme. Ne pas oublier : ici, le plus dur câest pour les gens simplement honnĂȘtes avec eux-mĂȘmes. On doit Ă leur prĂ©sence que tout nâait pas encore implosĂ©. Que lâon ne soit pas encore retournĂ© au nĂ©ant. Exploser ou ne pas exploser ? Lecture frĂ©nĂ©tique et alcoolisme chronique, un modĂšle dâĂ©crivain. Longtemps, ses seules alternatives au vide. Il vacille, il vacille depuis longtemps.
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Mais il a maintenant un projet, contenu tout entier dans la bosse qui dĂ©forme le bas de son dos. Au bord du chemin. Ă triturer un revolver. Un soubresaut. Quelque part, en lui. SĂ»rement prĂšs du cĆur â sourire ironique. Une femme ne peut pas ĂȘtre une raison de mourir. Mais de vivre. Se souvenir, sans obstination, dâelle. Ce manque, cette sensation dâelle â divine incertitude. Une absence, qui le submerge sans cesse : elle. Un toi qui rĂ©sonne Ă©trangement en lui. Se souvenir. Se laisser aller Ă des manipulations â les souvenirs ne sont rien dâautre : visions de possibles, espaces qui se remodĂšlent Ă volontĂ© â inĂ©puisables. Elle est un sentiment dâabsolu â NĂ©cessitĂ©. La NĂ©cessitĂ© de lâAutre. Elle est le mystĂšre indĂ©chiffrable dont il a peur de dĂ©pendre. Elle est toute la beautĂ© de cette terre. Toute sa violence. Toute sa folie. Elle est ce quâil a cru chercher, ce quâil a cru trouver, ce quâil a cru perdre. Elle est tout ce qui peut le recueillir. Au bord du chemin, le soleil le fait cligner des yeux. Le mĂ©tal se fait illusion. Il y a une omniprĂ©sence de la mort dans ce monde de lumiĂšre. La mort. La mort est un dĂ©filĂ© dâombres noires ridĂ©es et Ă©maciĂ©es. Autant de visages inconnus qui approchent et embrassent. Il voit ces spectres sans
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les regarder. Ils prennent son envie de vomir pour une profonde affliction. Il comprend en eux les gestes de lâhabitude. La fascination de ce pays pour la mort. La communion la plus intime quâils puissent sâoffrir. La seule oĂč ils sâaccordent. Le lamentu se fait paghjella, la paghjella se fait simulacre. Ils aiment la mort comme ils aiment la maladie. Ces rĂ©alitĂ©s Ă part qui contentent leur misĂ©rable existence. Ils communient ensemble, dans un abandon obscĂšne, exhibitionniste : dĂ©lice de se croire des survivants. La mort et les femmes corses. Elles parcourent les journaux en deux frĂ©nĂ©sies instinctives : du carnet de dĂ©cĂšs Ă lâhoroscope. De la mort Ă un simulacre de vie. Gardiennes farouches du grand mensonge, elles en viennent Ă nier ce qui fait leur essence, leur diffĂ©rence : le don de la vie. Elles sont lĂ , Ă tous les stades de la ReprĂ©sentation, ces pasionarias. Et elles sont lĂ , ces inconnues, autour du trou bĂ©ant dans lequel descend le cercueil ; lĂ , au bord du chemin. La chaleur se fait Ă©touffante. Au-dessus de la fosse, la terre sĂšche et dure dans son poing, le son mat quand elle touche le bois verni. « Un peu de terre pour le mort. » Une reprĂ©sentation de deux mille cinq cents ans. Au bord du chemin, il mesure tout ce quâil a perdu. Sa folie, ses doutes, sa quĂȘte dâabsolu. Comment supporter de nâĂȘtre pas, le jour, la conviction de la nuit. La lumiĂšre Ă©crase son cri, quand la nuit lâaccom-
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pagne. Les rĂ©solutions sâestompent, il se fuit, se recroqueville dans le sommeil. Dans sa lĂąchetĂ©. Il ne prĂ©tend plus rien. Il ne voit et ne supporte la lumiĂšre que du fond des tĂ©nĂšbres. La lumiĂšre. Il lâa obscurcie dâun voile quâil ne cesse plus de garnir. FidĂšle Ă la condition humaine. Il ne reste plus que la guerre comme rĂ©alitĂ© brute. Et lâamour. Sans sĂ©rĂ©nitĂ©. DĂ©solĂ©s que nous sommes de ne plus pouvoir les supporter. Un sens. Trouver un sens Ă sa prĂ©sence, lĂ , au bord du chemin. Il nâa dâautre solution que celle qui lâa amenĂ© lĂ . Il ne trouve rien dâautre Ă faire que tuer. Une participation au chaos qui lâentoure, quel Corse nâen a pas rĂȘvĂ© ? Insinuer une nouvelle variable dans cet incroyable systĂšme alĂ©atoire quâest la vie au quotidien dans ce pays. Une variable irrationnelle dans ce systĂšme, câest la seule chose raisonnable Ă faire. Nâest-ce pas une dĂ©mesure immense que de se prendre pour un grain de sable ? Il doute de lui-mĂȘme ; de sa pensĂ©e qui lâentraĂźne sans cesse dans des impasses. De sa capacitĂ© Ă voir une diffĂ©rence entre une chose et son contraire. Agir pour se prouver quâon existe. Mourir pour tenter de saisir la rĂ©alitĂ©. Agir. Impasses, impasses. Quels mots a-t-il voulu griffonner sur sa tombe ? Il ne sait plus. Il nâa fait que mentir jusquâici. Ici mĂȘme, il ment. Tout nâest que ReprĂ©sentation. Simulacre. Distillation de ses
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mensonges au creux de la VĂ©ritĂ©. Câest lĂ quâon les cache le mieux. Le voile est si mince quâil est une nĂ©gation du voile lui-mĂȘme. Il court de lâun Ă lâautre, puisant en luimĂȘme la force de masquer les mots par des mots. Toujours les mĂȘmes mots. Ce pays a-t-il produit une Ćuvre dâart pour justifier sa folie ? Une pure fiction ? Voir le nĂ©ant pour pouvoir rebondir. Une moto sâĂ©loigne. Le corps est tournĂ© face contre terre, en contrebas du chemin. Le revolver, glissĂ© dans le dos entre la peau et le jean, luit au soleil. LâarriĂšre du crĂąne nâest quâun grand trou noirĂątre sur lequel butinent quelques mouches paresseuses. Ou : il Ă©crit une derniĂšre ligne. Ă triturer une RĂ©alitĂ©. Sa RĂ©alitĂ©.
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