Corse jeune bonaparte

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L EST CLASSIQUE DE RAPPELER que Napoléon Bonaparte eut une enfance corse et une jeunesse française… Ses goûts personnels le portaient dans ses jeunes années vers l’histoire, les sciences et les lettres, au-delà des arts de la guerre qui lui furent enseignés dans les écoles militaires qu’il fréquenta. Le regard tourné vers son île natale, la Corse, il désira longtemps que sa destinée lui fut mêlée. Les textes réunis ici, de sa plume, révèlent ces facettes souvent ignorées de la personnalité du futur empereur . On peut y lire les premières lignes d’un roman personnel, aux forts élans épiques, unique en son genre.

Antoine Casanova est docteur d’État. Il a longtemps enseigné l’histoire à l’université de Franche-Comté. Directeur de la revue La Pensée, il est l’auteur de Napoléon et la pensée de son temps (Albiana/La Boutique de l’histoire, 2008).

12 €

ISBN : 978-2-84698-324-2 En couverture : Portrait de Napoléon Bonaparte, vers 1792. J. B. Greuze. Coll. particulière.

La Corse du jeune Bonaparte

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La Corse du jeune Bonaparte Manuscrits de jeunesse

Présenté par Antoine Casanova


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Note de l’éditeur

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BONAPARTE à sa Corse natale, les ef fusions sentimentales, parfois lyriques, aux dimensions complexes, qui parcourent les écrits présentés ici, les transformations qui ne manqueront pas de se développer à partir de 1793, puis les récurrentes réminiscences teintées de nostalgie des années d’exil à Sainte-Hélène, ne peuvent se comprendre et s’apprécier que replacés dans les contextes historiques et personnels inédits et mouvants de leur auteur. C’est là ce que permet, en partie, de situer la petite chronologie des années qui précèdent l’ascension bien mieux connue du jeune lieutenant-colonel des volontaires corses présentée dans les premières pages de ce recueil. Cependant, celle-ci ne saurait se substituer à l’analyse qui se doit de replacer, au-delà de l’événementiel, la véritable profondeur , l’impact, la puissance de l’ensemble des facteurs personnels, familiaux et culturels qui furent à l’œuvre dans l’élaboration de l’homme Napoléon Bonaparte et que laissent entrevoir ses premiers écrits. C’est Antoine Casanova, auteur d’un remarquable Napoléon et la pensée de son temps , qui a bien voulu proposer une lecture fine de l’univers des expériences sociales et intellectuelles qui semble avoir enveloppé la rédaction de ceux-ci : un univers fait de passions juvéniles souvent contradictoires, propres aux spécifiques fractures adolescentes de ce temps-là, mais enchâssé entre la période post-paolienne, pour la Corse vaincue, et pré-révolutionnaire pour la monarchie française d’Ancien Régime vivant ses dernières années. ES RAPPORTS DU JEUNE

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C’est ainsi dans une effervescence croissante, intense, mouvante et sur lui réellement incidente que ce jeune Corse est alors pensionnaire des écoles militaires royales continentales, celle de Brienne, puis celle de Paris. Nous avons par ailleurs choisi de reproduire les textes proposés par Masson et Biagi dans l’édition de 1927 des Manuscrits inédits – 1786-1791 en les expurgeant des notes archivistiques qui les accompagnent et des variantes qu’ils ont répertoriées avec précision. Certains écrits qui ne concernent pas la Corse se trouvent par ailleurs dans l’original ; nous les avons aussi ôtés. Le lecteur pourra se référer avec profit à l’édition en question. Certains, lorsqu’ils ne portent pas de titre donné par le jeune Bonaparte, sont intitulés simplement par leur phrase d’entame. Enfin, nous n’avons pas inséré la correspondance connue qui émaille ces années de jeunesse (lettres à sa mère, son oncle, ses frères,…), laissant la part belle à ces textes qui, à vrai dire, manifestent une nette unité dans leur diversité même : celle qui se lit dans l’intérêt réel que porta Napoléon à son île natale, passionnellement, et dans l’énergie qu’il développa à sa défense… avant de poursuivre le cours de sa vie en des espaces immensément élargis et dans le contexte des années 1789 à 1815, soit – pour reprendre les mots de Chateaubriand – « un quart de siècle équivalent à plusieurs siècles ».


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Quelques dates

1769 8 mai : Ponte Novu, les troupes de Pascal Paoli sont défaites par les armées du roi de France. Paoli s’embarque quelques semaines plus tard pour son premier exil en Angleterre. La Corse passe sous la domination de la France monarchique, absolutiste et aristocratique. 15 août : Naissance de Nabulione au foyer de Charles Buonaparte et Letizia Ramolino. 1771 13 septembre : La famille Bonaparte obtient sa reconnaissance de noblesse. 1777 8 juin : Charles Bonaparte est élu député de la noblesse, représentant de la Corse à Versailles. 1778 15 décembre : Charles le père, Joseph et Napoléon les fils et Joseph Fesch le jeune beau-frère embarquent à Bastia pour le continent : Charles rejoint Versailles, les deux frères doivent aller dans les collèges pour lesquels des bourses ont été demandées. Fesch entrera au séminaire d’Aix.

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1779 15 mai : Après un passage par le collègeAutun, puis celui de Tiron, le jeune Napoléon entre à l’École militaire de Brienne, en classe de septième. Il n’a pas encore dix ans. Il y restera jusqu’en 1784. 1784 Octobre : Napoléon arrive à l’École militaire de Paris. 1785 24 février : Décès de Charles Bonaparte. 28 septembre : Après les examens de sortie (42e sur 58 promus), Napoléon est affecté au régiment d’artillerie de La Fère à Valence. 1786 26 avril : Premier écrit connu du jeune Bonaparte « C’est aujourd’hui que Paoli … » (I). 3 mai : « Toujours seul au milieu des hommes…» (II). 9 mai : Il rédige une réfutation de Roustan, en défense de Rousseau (III). 15 septembre : Retour en Corse où il s’occupe des affaires de famille. 1787 12 septembre : Napoléon repart de Corse pour Paris. 22 novembre : Rédaction de la relation avec une personne « du sexe ». 1788 1er janvier : Prolongation de congé obtenue pour six mois ; Napoléon revient en Corse.

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QUELQUES DATES

Mai : Retour à Auxonne où son régiment est cantonné. Octobre : Dissertation sur l’autorité royale. 1789 Mars : – « Je n’ai d’autre ressource que le travail » (lettre à son oncle Lucien). – Mémoire militaire sur l’artillerie. 12 juin : Il écrit à Pasquale Paoli « Je naquis quand la patrie périssait… » Septembre : Il quitte Auxonne pour un nouveau séjour en Corse (nouveaux congés). 31 octobre : Adresse à la Constituante pour «rétablir les Corses dans les droits que la nature leur a donnés dans le pays ». 7 novembre : Le jeune officier d’artillerie se trouve à Bastia lors de l’insurrection populaire. 30 novembre : Saisie de l’adresse d’Ajaccio et informée de l’insurrection bastiaise contre le commandant militaire qui veut maintenir l’Ancien Régime dans l’île, la Constituante, sur motion de Saliceti, vote le décret qui proclame la Corse « partie intégrante de l’empire français ». Elle décrète aussi, sur proposition de Mirabeau, l’amnistie pour Pascal Paoli et pour tous ceux qui ont défendu l’indépendance de la Corse à ses côtés. Décrets annoncés à Bastia le 18 décembre. 1790 Janvier-mars : Il participe à la campagne électorale. 12 avril : Il est présent avec Joseph à l’assemblée d’Orezza.

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16 avril : Demande de prolongation de congés. 25 juin : Il rédige le mémoire justificatif de la mairie à l’occasion de troubles. 17 juillet : Retour d’exil de Pasquale Paoli, amnistié par la Constituante. Le jeune Napoléon participe à son accueil. Septembre : Il est présent à Orezza pour l’élection des autorités insulaires. 1791 Janvier : Il participe au club Globo opposé à Buttafuoco, adversaire de Paoli. 23 janvier : Il rédige sa « Lettre à Buttafuoco » (X). Février : Il rejoint Valence alors que son congé est expiré depuis trois mois. 8 février : Le jeune homme rédige ses « réflexions sur l’amour ». Fin février : Il fait imprimer sa « Buttafuoco ».

Lettre à

14 mars : Le lieutenant écrit à Pascal Paoli pour lui adresser cette lettre et lui demander des documents pour rédiger une « Histoire de la Corse » : « L’histoire ne s’écrit pas dans les années de jeunesse » lui répondra Paoli… Septembre : Nouveau retour en Corse (pour les élections à l’Assemblée législative ?) 16 octobre : Décès de l’oncle Luciano, l’archidiacre, qui laisse un héritage important. 30 octobre : Il ef fectue une demande pour obtenir le grade d’adjudant-major au sein d’un bataillon de volontaires corses.

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QUELQUES DATES

1792 15 février : Il rencontre Volney à Corte. 22 février : Sa demande acceptée, Bonaparte doit être versé dans le bataillon de la Garde nationale volontaire. Mais un décret l’oblige en réalité à rejoindre son unité dans l’armée avant le 1er avril. Début mars : Il décide de se présenter au poste de lieutenant-colonel du 2e bataillon de volontaires corses dit « d’Ajaccio et de Tallano », notamment pour éviter d’avoir à réintégrer son unité (les lieutenants-colonels en sont dispensés). 15 mars : Napoléon défie Jean Peraldi, son rival au poste, en duel. 31 mars : Napoléon fait enlever le commissaire du département, chargé de la tenue des élections, et le séquestre chez lui. 1er avril : Napoléon est élu lieutenant-colonel en second. 8 avril : Ajaccio est le théâtre d’échauffourées. Les volontaires paysans veulent investir la citadelle, ce que leur refuse le commandant de la place. 16 avril : Napoléon rédige un mémoire justificatif sur les événements. Il se rend ensuite à Corte où son bataillon est désormais cantonné. Joseph lui conseille de rentrer en France. Début mai : Départ de Corse pour tenter de se faire réintégrer dans son arme, l’artillerie, et dans son régiment. 10 juillet : Il est réintégré avec le grade de capitaine. Fin août : Il décide de revenir en Corse pousser à la candidature de Joseph à la Convention. 15 octobre : Arrivée à Ajaccio en compagnie de sa sœur Marianne. Il retrouve son bataillon à Corte.

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1793 18 février : Début de la catastrophique expédition de Sardaigne. 28 février : Retour à Bonifacio Début mars : Tentative d’assassinat sur Napoléon par des marins de l’expédition. Napoléon s’oppose à Paoli sur la question de la séparation de la Corse d’avec la France révolutionnaire. 2 avril : Paoli est déclaré hors la loi par la Convention. 27 avril : Nouveau complot pour tuer Napoléon. 3 mai : Il est prévenu qu’il risque d’être arrêté s’il se rend à Corte comme il en a l’intention. Une lettre dans laquelle Lucien son frère se vante d’être à l’origine du décret contre Paoli a en effet été interceptée. 5 mai : Il retourne à Bocognano ; arrêté, il réussit à s’échapper avec l’aide de Santu Ricci (Bonelli). 6 mai : Il se cache à Ajaccio. 9 mai : Il part clandestinement pour Bastia rejoindre les commissaires de la Convention. Mai-juin : Tentative (infructueuse) pour reprendre Ajaccio par la force, avec Saliceti, Lacombe SaintMichel et Joseph. 23 mai : Départ de Letizia et mise à sac de la maison Bonaparte. 11 juin : Départ de Napoléon et des siens pour Toulon.


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Rêveries, romances, raison et Révolution dans les textes de Napoléon Bonaparte


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« Lorsque j’entrais au service 1, je m’ennuyai dans mes garnisons ; je me mis à lire des romans, et cette lecture m’intéressa, vivement. J’essayai d’en écrire quelques-uns, cette occupation mit du vague dans mon imagination, elle se mêla aux connaissances positives que j’avais acquises, et souvent je m’amusais à rêver , pour mesurer ensuite mes rêveries au compas de mon raisonnement. Je me jetais par la pensée dans un monde idéal, et je cherchais en quoi il différait précisément du monde où je me trouvais. J’ai toujours aimé l’analyse, et, si je devenais sérieusement amoureux, je décomposerais mon amour pièce à pièce. Pourquoi et comment sont des questions si utiles, qu’on ne saurait trop se les faire2 ». Ces paroles sont prononcées par Napoléon Bonaparte au début du Consulat, à l’époque du camp de Boulogne, devant Claire de Rémusat au cours

1. À la fin du mois d’octobre 1785, Napoléon Bonaparte âgé d’un peu plus de seize ans reçoit son brevet de lieutenant en second d’artillerie. Il quitte alors l’École militaire de Paris où (venant du collège militaire de Brienne) il était arrivé le 19 octobre 1784. Il « entre alors au service » en des garnisons ; à Valence d’abord. 2. Mémoires de Madame de Rémusat 1802-1808. Paris, 1880 (3 volumes), vol. I, p. 267-268. Claire de Rémusat, jeune femme de la noblesse ralliée avec son mari à la France nouvelle, fait alors partie de l’entourage de Joséphine et du Premier Consul.

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des soirées où parfois, ils dînent en tête-à-tête 3. Les remémorations du Premier Consul renvoient aux années 1785 à 1789. « Rêveries » qui projettent le jeune homme dans un « monde idéal » et hors de l’ordre social «féodal » dominant, analyses critiques, confrontation de ces « rêveries » au « compas » du raisonnement, et par ailleurs essais d’écriture romanesque s’entrelacent en un mouvement complexe. Ces processus vont, de manières diversifiées, se manifester dans les textes qu’écrit le jeune of ficier dans cette deuxième moitié de décennie 1780 puis dans le contexte de l’émergence et du cours de la Révolution. Il en va ainsi sur le terrain des types de construction et, par ailleurs, des modes d’écriture de notre personnage. Ils sont visibles (j’y reviendrai) de toute autre façon, dans ses paroles. Les premiers de ces textes de jeunesse de dimensions littéraires, ethno historiques, philosophiques ou politiques ont été écrits par le lieutenant en second entre 1786 et 1791. D’autres sont de 1793 ( Le Souper de Beaucaire), de 1794 (la célèbre Note sur la position politique de nos armées) ou de 1795 (l’ébauche romanesque Clisson et Eugénie). Ces manuscrits ont été retrouvés et publiés par Frédéric Masson 4 à la fin du XIXe siècle. Parmi les dix

3. Au camp de Boulogne, écrit-elle «à six heures Bonaparte entrait et alors il me faisait appeler . Quelquefois il donnait à dîner à quelques-uns des militaires de sa maison ou au directeur des ponts et chaussées qui l’avaient accompagné. D’autres fois nous dînions en tête-à-tête et alors il causait d’une multitude de choses ». 4. Frédéric Masson et Guido Biagi, Napoléon inconnu, Papiers inédits (1786-1793). Accompagnés de notes sur la jeunesse de Napoléon (1769-1793) par Frédéric Masson. Paris, 1895 tomeI

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textes présentés ici au lecteur, huit5 ont été rédigés entre le printemps 1786 et 1789. Les deux autres6 sont écrits dans un contexte de plus en plus profondément marqué par le développement et l’accentuation multiforme et complexe des contradictions et conflits entre Révolution et Contre-Révolution. (510 pages) ; tome II (535 pages). Le tome I présente les manuscrits I à XXVI ; le tome II, les manuscrits XXVII à LX. Clisson et Eugénie, essai romanesque rédigé en 1795, n’a pas été publié par Masson. On le trouvera notamment in J. Tulard, Œuvres littéraires et écrits militaires de Napoléon. Paris, 1968, tome II. Cf. aussi les analyses de Nadia Tomiche, Napoléon écrivain. Paris, 1952, p. 96-98. Une première édition de cet essai romanesque avait été publiée en 1929 et une seconde en 1955 (dans le Nouveau Femina). En 1979, A. Coelho in Napoléon Bonaparte. Œuvres littéraires (Clisson et Eugénie, Dialogue sur l’Amour, Le Souper de Beaucair e, Nouvelles et autr es textes). Éd. Le Temps Singulier, présente aussi en annexe le texte de Clisson et Eugénie avec les ratures de Bonaparte. Réédition en 2007 par Émile Berthet et Peter Hicks. Paris. Éd. Fayard. 5. Citons ces manuscrits avec les titres sous lesquels ils ont été publiés par F. Masson. Soit ici le manuscrit I (Sur la Corse, 30avril 1786) ; II (Sur le suicide, 3 mai 1786) ; III (Réfutation de la « Défense du christianisme » par M. Roustan, le 9 mai 1786); V (Sur l’histoire de la Corse, novembre 1787) ; VI (Parallèle entre l’Amour de la Gloire et l’Amour de la Patrie, novembre 1787) ; VII (Théodore à MilordWalpole ; Milord Théodore, fin 1787 ou année 1788) ; XXXV (Nouvelle Corse, 1789). Le texte XXXVI est de nature différente. Il s’agit d’une véritable lettre adressée par Bonaparte à Giubega (greffier en chef des états de Corse) en juin 1789. Espérance (face aux développements inattendus qui surviennent avec les États généraux) et colère (avec la crainte de ne voir rien changer en Corse) s’y mêlent. Cf. Napoléon Bonaparte, Correspondance générale publiée par la Fondation Napoléon, tome I «Les apprentissages 1784-1797 ». Paris, 2004 (1460 pages), lettre n° 28. 6. Soit le manuscrit XXXVII (Lettre sur la Corse à l’abbé Raynal. Deuxième moitié de l’année 1789-1790) et le manuscrit XXXVIII (Lettre à Buttafuoco, janvier 1789).

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La gamme des lectures, des pôles d’intérêt, des thèmes et des contenus auxquels renvoie l’ensemble des manuscrits de ces années est très vaste. De dimensions conceptuelles multiples, cet ensemble est marqué par les apports des dif férentes facettes de la philosophie des Lumières. L ’influence de Rousseau y est longtemps prépondérante, non exclusive et inséparable de réélaborations personnelles7. Cette très nette prédilection pour Rousseau n’est cependant pas exclusive, soulignons-le encore, de la lecture d’autres auteurs (Montesquieu notamment) et du travail sur d’autres chantiers. Les cahiers du lieutenant en second le montrent 8 : l’histoire ancienne de l’Orient, de la Grèce, de Rome, celle des peuples d’Europe (ceux de France,Angleterre, de Florence, de Corse) au MoyenÂge et aux XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle ; l’histoire aussi des peuples et des civilisations du monde arabomusulman, d’Asie, d’Amérique, des deux Indes 9. Ses chantiers de lectures, de réflexion, de notes, sont alors aussi ceux de la biologie (particulièrement autour du problème du vivant), de la balistique, sans oublier , les questions d’économie, de politique ou de philosophie10. 7. Sur ces aspects et ces attitudes, cf.A. Casanova, Napoléon et la pensée de son temps. Une histoir e intellectuelle singulièr e. Réédition Paris Ajaccio, 2008. Éd. Albiana-La Boutique de l’Histoire (324 pages). Cf. aussi A. Casanova, « Un adolescent corse et J.-J. Rousseau : Napoléon Bonaparte dans les années 1780 » in Actes du colloque de Bastia « Rousseau, la Corse et la Pologne (5 et 6 octobr e 2007) », Études corses, n° 66, juin 2008, p. 197-211. 8. Cf. A. Casanova, Napoléon et la pensée de son temps, op. cit., première partie, chapitres I, II, III et IV. 9. Ibidem, chapitres II et III. 10. Ibidem.

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Ces manuscrits des années 1785 à 1789 mêlent et associent, sur des modes très inégalement accentués d’un texte à l’autre et dans le même texte, un complexe éventail de thèmes et références. Il en va ainsi des écrits qui sont présentés ici : rêveries et méditations personnalisées (tels les manuscrits I et II), analyses et démonstration de dimensions philosophiques et politiques conduites avec précision, rigueur et ampleur de vue (le manuscrit II est ici éclairant), références diversifiées, et aux traits mouvants, à la Corse (cf. les manuscrits I, II, V, VI, VII, XXXV). Une place notoire revient aux pages de prises de notes qui se prolongent en réflexions critiques du système social, politique et idéologique « féodal » (cf. le manuscrit VI). De manière plus large, on voit cheminer et s’amplifier, au long des feuilles et des années, la mise en cause des systèmes politiques, des hiérarchies sociales, des idéologies théologiques, matrices et supports de l’inégalité des droits dans les mondes de l’Antiquité, des « deux Indes » (Asie et Amérique), des sociétés et des civilisations araboislamiques, de l’Europe et de la France médiévale et moderne. Réflexions, « rêveries », lectures et prises de notes peuvent aussi se prolonger en se transformant en esquisse11, ou en véritable essai, de construction romanesque12. 11. C’est ainsi que le manuscrit VI écrit en novembre 1787, développe une comparaison critique entre l’amour de la gloire féodale, aristocratique et l’attitude héroïco-civique (dans l’Antiquité, pendant ka Révolution anglaise ou dans la Corse de Paoli) inspirée par l’amour désintéressé de la patrie. Il y a en même temps dans le texte une esquisse de roman par lettres à l’instar de la Nouvelle Héloïse. 12. Il en va ainsi dans le manuscrit XIXLe ( comte d’Essex. Nouvelle anglaise) écrit en liaison avec les prises de notes (du livre de J. Barow, Histoire d’Angleterr e nouvelle et impartiale .

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De 1789 (et plus nettement, on le verra, à partir du mois de juin) à 1791, ces entrelacements de thèmes et de références ne disparaissent pas. Ils sont cependant marqués d’inflexions neuves. Elles s’ancrent dans les interrogations, les renouvellements de perspectives liées à l’intensification des processus de la Révolution, notamment en 1791. Puis aussi à l’amplification considérable de leurs enjeux et dimensions de 1792 à 1795, et, dans les années ultérieures, à l’échelle de la France, de l’Europe et de la Méditerranée.

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Il ne s’agit guère dans les pages qui suivent de résumer ou de paraphraser les thèmes et les contenus des dix textes du jeune Napoléon Bonaparte présentés ici. Chacun pourra en prendre connaissance. Je voudrais plutôt essayer de permettre aux lecteurs de mieux cerner et percevoir les racines et les cheminements des niveaux et des types d’expériences inséparablement biographiques et historiques qui se condensent et s’entrecroisent dans les manuscrits qu’écrit cet adolescent corse, devenu lieutenant en second d’artillerie, dans le contexte irréductiblement spécifique des années 1785 à 1791. La recherche sur ce chantier et l’étude même des documents évoqués plus haut doivent, autant que faire se peut, éviter le piège d’une lecture des textes, des mots et des traits même de la vie des sujets humains de ce temps, qui soit inconsciemment habitée par des Traduction française, Paris, 1772 (12 vol.), objet du manuscrit XVIII. Ou encore, sur d’autres modes, des nouvelles, « Le masque prophète » ou « Nouvelle Corse » (manuscrit XXXV).

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modes anachroniques de compréhension. Il en va d’autant plus ainsi qu’au cours duXVIIIe siècle, et, plus intensément encore après 1789, s’opèrent des transformations historiques et anthropologiques profondes. La recherche dispose ici de trois ensembles dif férents de sources historiques. Soulignons d’emblée l’irremplaçabilité du premier ensemble. Il s’agit des cahiers évoqués plus haut et sur lesquels l’adolescent lieutenant en second, prend des notes (souvent assorties de commentaires) sur les textes qu’il lit. Il y présente parfois aussi, ses propres réflexions, ou même on l’a vu d’assez brèves productions romanesques. Le deuxième ensemble est constitué par les paroles des conversations de notre personnage : celles des années d’avant l’exil, puis celles 13 de Sainte-Hélène. Ces documents, sont les seuls 14 qui permettent (et il y 13. Sur la relation de ce type de conversations avant 1815, cf. notamment Claire de Rémusat Mémoires (publiés en 1880 par son petit-fils). Paris. Éd. Calman-Levy (3 vol.). Cf. aussiMémoires du général de Caulaincourt . Paris, 1933. Éd. Plon (3 vol.). Données parfois aussi éclairantes in Mémoires de Mar chand L’île d’Elbe et les Cent Jours (vol. I). Paris, 1952. Éd. Plon. Le volume II (publié en 1955) concerne les années de Sainte-Hélène. Sur les conversations et paroles de ces années de 1815 à 1821, nous renvoyons aux principaux mémorialistes qui ont été présents à Sainte-Hélène : Las Cases (Emmanuel), Mémorial de SainteHélène. Paris, 1983. Éd. Flammarion (ces textes vont de juillet 1815 à décembre 1816 –seulement). O’ Méara (Barry), Napoléon dans l’exil, nouvelle édition avec présentation de notes de Paul Ganière. Paris, 1993. Fondation Napoléon (2 vol.). Ce journal va d’août 1815 à la fin de juillet 1818. Gour gaud (Gaspard), Journal de Sainte-Hélène (1815-1818). Paris, 1847 (2 vol.). Général Montholon, Récits de la captivité de l’emper eur Napoléon à Sainte-Hélène . Paris, 1847 (2 vol.). Les récits

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a là une nette différence avec les textes dictés par l’empereur et destinés à la publication 15) de cerner et de comprendre les caractéristiques des positions de Napoléon Bonaparte au niveau philosophique, ou encore celles de ses réflexions en matière de compréhension de l’histoire des sociétés humaines. L’écoute attentive, la compréhension historique et critique de ces paroles rapportées par Las Cases, O’Meara, Gour gaud, Montholon, Marchand et (sur un mode de distanciation de Montholon sont plus lacunaires et incertains que ceux des autres mémorialistes. Bertrand (Henri-Gratien), Cahiers de Sainte-Hélène, vol. I (1815-1817). Manuscrit déchiffré et annoté comme ceux des autres volumes par Paul Fleuriot de Langle. Paris, 1951. Éd. Sulliver. Volume II (1818-1819) et volume III (janvier-mai 1821). Paris, 1959, Éd. Albin Michel. Ces cahiers du général Bertrand n’ont été déchiffrés qu’après 1945. Ils sont ceux qui relatent les paroles de Napoléon (qu’elles concernent des objets de portée philosophique ou politique ou des sujets d’apparence futile ou d’allure délirante) sans apprêts ni mise en scène littéraire et avec le plus de précision. Cela sur un mode où Bertrand (même lorsqu’il s’agit des fantasmes sexuels de l’Empereur, y compris ceux qui portent sur Madame Bertrand) note les paroles avec clarté… et distanciation. Ce que n’ose faire aucun des autres témoins lorsqu’ils relatent les paroles de Napoléon. Sur ces différents types de sources, cf.A. Casanova, Napoléon et la pensée…, op. cit. p. 7-20. 14. Nous citerons les mémorialistes de Sainte-Hélène avec les abréviations suivantes : Las Cases : LC I ou II; O’ Méara : OM I ou II ; Gourgaud : G I ou II ; Bertrand : B I, II ou III ; pour Montholon : Mo I ou II ; pour Marchand : Ma I ou II. 15. Cf. Mémoire pour servir à l’histoire de France sous Napoléon, écrits à Sainte-Hélène par les généraux qui ont partagé sa captivité et publiés sur les manuscrits entièr ement corrigés de sa main. Paris, 1823 &1824. Tome 1 à 6. Une grande partie des textes publiés dans ces Mémoires a été reprise dans les Œuvres de Napoléon I er à Sainte-Hélène in Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III. Imprimerie nationale, 1859, tomes XXIX, XXX, XXXI, XXXII.

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désintéressée et de précision dans l’enregistrement à nul autre comparable) par Bertrand, peuvent tout à la fois compléter, prolonger et éclairer les données que nous procurent le troisième et composite ensemble de sources. Entendons les notes de lectures, les écrits (historiques, stratégiques, politiques). Et enfin la correspondance16 qui se rattache à la jeunesse, puis aux autres époques de la vie de notre personnage.

Les « impressions de ma jeunesse me restent ancrées et fort tenaces » Les significations conscientes et inconscientes qui tout à la fois entrent en interactions et se cristallisent (au sens stendhalien du terme) dans les textes dès la décennie 1780 et (jusque fort tard) dans les paroles de Napoléon Bonaparte condensent trois types d’expériences personnelles, sociales et ethno-historiques. Premier niveau qui (infléchi, modifié) réapparaît sans cesse dans les références à la Corse : celui des années de l’enfance en Corse. N’en évoquons rapidement17 ici que quelques traits majeurs. Les séquences et les thèmes des paroles entendues dans l’enfance seront objet de réélaborations et par ailleurs d’une durable et multiforme prégnance dans le 16. Outre l’édition de la Correspondance du Second Empir e citée ci-dessus, cf. récemment Napoléon BonaparteCorrespondance générale, publiée par la Fondation Napoléon en plusieurs volumes à partir de 2004. Pour la période de l’enfance, de l’adolescence, de la Révolution, cf. tome I,Les apprentissages 17841797. Paris, 2004 (1460 pages).Tome II, La campagne d’Égypte et l’avènement 1798-1799. Paris, 2005 (1270 pages). 17. Pour une approche plus spécifique, cf. A. Casanova, « Un adolescent corse et J.-J. Rousseau », art. cit.

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cours des évolutions de Napoléon Bonaparte de 1779 à 1789, puis de 1789 à l’exil. « Les impressions que j’ai reçues dans ma jeunesse me restent ancrées et fort tenaces » observera l’empereur devant Bertrand 18 le 12 décembre 1818. En ses retours de réflexion et d’analyse vers les dif férents moments de son existence (ce qu’un jour de juin 1816, il appellera le « roman de sa vie19 »), Napoléon situe dans son enfance àAjaccio, dans les paroles alors entendues et dans l’expérience alors vécue, certaines des racines de ses ultérieures capacités à comprendre les réalités ethno-historiques les plus contrastées : « J’ai été très bien élevé par ma mère, dira Napoléon à Bertrand un jours de mars 1819, je lui doit beaucoup. Elle a sagement influé sur mon caractère […]. Elle me donnait l’orgueil et me prêchait la raison […]. La guerre civile de Corse et ensuite la française, au milieu de laquelle j’ai été élevé et dont j’ai tant entendu parler dans ma jeunesse m’ont donné beaucoup d’idées sur les peuples conquis. Cette île de Corse, si éloigné de la civilisation de l’Europe, si différente de la barbarie d’Afrique [c’est-à-dire au sens d’alors “la Berbérie”, l’Afrique du Nord], a ouvert des fenêtres dans mon intelligence et m’a fait entrevoir d’autres rapports20 ». C’est un autre versant de cette globale et tenace prégnance qui se trouve associée à la figure du grandoncle, le chanoine Luciano. Tard et longtemps, les paroles du chanoine remontent aux lèvres de Napoléon. À Sainte-Hélène, elles apparaissent maintes fois dans 18. B II, 12 XII 1818. 19. « Et Napoléon a gardé le silence quelques instants, la tête appuyée sur une de ses mains. Puis se réveillant “Quel roman pourtant ma vie !!” » a-t-il dit en se levant. L.C.I. 30 VI 1816, p. 893. 20. B II, 12 III 1819.

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les conversations que relatent Las Cases, Bertrand, Gourgaud « Mon grand-oncle chanoine, contrôlait notre fortune », dit-il à Gour gaud le 27 juin 1817. « Heureusement, ajoute-t-il, car mon père qui voulait faire le grand seigneur eût tout dépensé. Il faisait des voyages à Paris fort dispendieux ». Un net écart s’instaurera plus tard entre les manières de penser du chanoine et celles du jeune Napoléon, élève of ficier puis lieutenant en second, devenu témoin, observateur, acteur, qui participe en réflexion et en action aux processus immenses et intenses qui traversent le royaume dans ces années de crise rebondissante et prérévolutionnaire. Mais le grand-oncle Luciano a été aussi comme un père et grand-père, celui qui berçait l’enfant de contes et d’histoires à l’arrivée de la nuit. C’est cette figure que dans la pénombre de la tombée du jour, revoit l’adulte de Sainte-Hélène: « L’empereur, observe Bertrand, reste ordinairement sans lumière, une demi-heure ou une heure et quelquefois plus, après la chute du jour . Il continue ainsi la conversation. Il aime ce défaut de jour . Cela lui rappelle le temps de son enfance, où son vieil oncle, entre chien et loup, lui contait des histoires de soldat21 ». « Quel roman pourtant que ma vie ! » (Sainte-Hélène, 30 juin 1816) : Histoire sociale et roman familial Les traits, les étapes du mouvement historique d’ensemble et leurs rapports avec la Corse dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et le royaume de France ne peuvent être ici que très allusivement rappelés. C’est dans le contexte de ce mouvement tel qu’il s’est déroulé avant 1769 que Napoléon Bonaparte 21. B II, 1820, p. 453.

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vient au monde. Ce contexte22 devient par ailleurs celui du développement puis de l’intensification de la crise multiforme (et aux traits spécifiques en Corse) du système social et politique aristocratique et absolutiste. C’est dans le cadre de cette évolution que se déroulent l’enfance et l’adolescence de notre personnage. Dans ces vingt années il sera acteur , revenons-y, sujet et spectateur de trois types d’expériences. Le premier type d’expérience est celui de l’enfance à Ajaccio, avant le départ en décembre 1778 et notamment des rapports de ce gamin avec les séquences de paroles entendues dans l’environnement familial. À travers ce premier type d’expérience, l’enfant entre en l’un de ses premiers modes de connaissance et de participation aux mouvements des rapports sociaux (en Corse, dans le royaume), notamment, ceux qui ont précédé sa naissance et, par ailleurs ceux qui accompagnent son adolescence. Cette entrée en rapports se constitue jusqu’à neuf ans à travers les deux versants de la médiation familiale. Celui des paroles qui tout à la fois relatent, qualifient les personnes et/ou les actes, et infléchissent les données et les significations des processus ; celles aussi des traits des figures des personnes qui se dessinent dans l’écoute et la réception par l’enfant des mots, des propos, des récits d’actes, des scènes, relatés dans le cours de l’histoire familiale ; ou de son «roman familial », pour reprendre 22. Pour une approche d’ensemble cf. notamment A. Rovere et A. Casanova, Peuple corse, Révolution et Nation française (1789-1830). Paris, 1979. Éd. Messidor ; A. Casanova et A. Rovere, La Révolution française en Corse . Paris, 1989, Bibliothèque historique Privat (316 pages); A. Casanova, Identité corse, outillages et Révolution française . Paris, 1996. Éd. du CTHS (539 pages).

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une notion et des termes qui, originellement, nous viennent de Freud. Ils ont été l’objet plus tard des réflexions de Jacques Lacan23. Cette problématique est aujourd’hui de plus en plus envisagée hors des facilités et des illusions des projections anachroniques trop souvent en œuvre. Elle est mise en constantes relations avec la connaissance de l’ethnohistoire des rapports sociaux où se situent les sujets humains et leurs familles. Dans ce cadre, cette problématique peut s’avérer profondément éclairante. Les recherches de Marc Soriano 24 l’ont montré. Les études de ces dernières années le confirment25. L’importance des paroles entendues par Napoléon dans le cours de son enfance a été perçue avec finesse

23. Voir le texte de Sigmund Freud – à comprendre lui-même dans le contexte historique de son temps – « Le roman familial des névrosés », in Névrose, psychose et perversion. Paris, 1973. Éd. PUF, p. 157-160. Voir aussi les réflexions de Jacques Lacan, « Le mythe individuel du névrosé», conférence de 1953 publiée dans Ornicar, 1979, n° 17-18, p. 290-306. 24. Marc Soriano Les contes de Perrault. Culture savante et culture populaire. Paris, 1977. Éd. Gallimard. 25. Sur le renouvellement des recherches sur ce chantier cf. par exemple les études sur le cas de Freud lui-même en son temps (celui du système social, politique, idéologique dominant dans l’empire austro-hongrois), ses découvertes et, inséparablement, ses traumas ; et aussi des élaborations profondément éclairantes sur les processus inconscient de pensée de Freud lui-même dans le contexte de son temps, notamment ses lettres des années 1930 sur Napoléon (à Thomas Mann et à S. Zweig) ; ou encore dans ses rêves et dans les différents niveaux de ses interprétations de ses propres rêves, cf. ici notamment Carl E. Schorské «Politique et parricide dans l’interprétation des rêves de Freud» in Vienne fin de siècle . Paris. 1983. Éd. du Seuil (p. 177-197) ; Nicolas Rand et Maria Torok, Questions à Fr eud. Paris, 1998. Éd. Flammarion ; et Bernard Doray , « Un événement éthique

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