L'ame Damnée et autres récits fantastiques Corses

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Revenants, sorcières, vaisseaux fantômes, diables, monstres et animaux fantastiques, rêves prémonitoires et morts annoncées… l’imaginaire insulaire déploie ses ailes de corbeau sur les esprits apeurés : Lorenzi de Bradi excelle ici à conter les abominables histoires de naguère, celles qui planaient dans la pénombre, au cours des longues veillées hivernales, autour de l’âtre… et faisaient frissonner petits et grands. Publié en 1929, Veillées corses fut distingué par un prix décerné par l’Académie française.

Lorenzi de Bradi – Paul Filippi

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Illustrations Paul Filippi

L’âme damnée

13/06/2007

10 € ISBN : 978-2-84698-204-7

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AVERTISSEMENT

Dans tout village corse, il y a une maison où, pendant les veillées d’hiver, on se réunit pour raconter des histoires. Dans le mien, c’est celle du vieux Francè, un brave homme que l’on croit sorcier, mais qui s’en défend. – On m’accuse à tort, me disait-il, un soir que je l’avais rencontré, courbé sous un fagot, dans une sente, au milieu des rocs et des maquis, non ! non ! je ne suis pas sorcier ! Il protestait avec force. Nous étions assis sur des pierres, à l’ombre des lentisques, devant un grand paysage de pentes, de rochers, de mer et de montagnes, au loin, couronnées de neiges éternelles. – Je suis un conteur de veillées. Chaque soir, la réunion est toujours nombreuse autour de mon foyer. Si vous y veniez, vous y écouteriez avec intérêt des histoires bien mystérieuses. Comme le soleil disparaissait à l’horizon marin, il reprit son fagot et descendit vers le village que l’on voyait en relief sur le fond laiteux du golfe de Valincu. Je connais la maisonnette de Francè, la plus vieille et la plus bistre de toutes, près de la petite église. C’est ainsi que, durant tout un hiver, j’ai été, une fois la nuit tombée, chez le vieux Francè, où j’ai entendu les histoires les plus curieuses et les plus étranges du monde. J’ai recueilli celles qui me paraissaient typiques. J’ai pris plaisir à les écouter, à les écrire ; je souhaite que mes lecteurs aient autant de plaisir à les lire. LORENZI DE BRADI


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I L’AME DAMNÉE

Le premier soir que je me rendis chez le vieux Francè, il n’y avait pas de lune et il faisait très noir. Les portes étaient fermées. On pouvait heurter contre des pierres et tomber. Aussi les gens se guidaient-ils en agitant devant eux des tisons rouges. La petite maison du vieux Francè se trouve au fond du village. Je frappai, et, comme on cria d’entrer, je soulevai le loquet. La compagnie se serra pour me faire une place devant l’âtre où brûlaient des bûches. Les femmes étaient assises par terre, les hommes sur des escabeaux. Une antique lampe à huile, accrochée au mur enfumé, lustré, éclairait à peine. Dans l’unique pièce, il y avait une maie, un lit et des sacs de blé. Des pans de lard, un jambon pendaient aux solives noirâtres. Les hommes, aux figures rudes et mélancoliques, étaient les vigoureux compagnons d’une glèbe épineuse où il y a plus de pierres que d’herbes. Ils fumaient leur pipe. Les femmes, vêtues de noir presque toutes, étaient cueilleuses d’olives ; quelquesunes avaient une beauté singulière. Le soir, elles filaient la quenouille ou tricotaient des bas. Et tous, malgré la fatigue du jour, venaient là, pour écouter des histoires fantastiques. Cette réunion formait une

sorte de synagogue des croyances superstitieuses. Quelqu’un dit : – Le berger Tristi a entendu l’Âme damnée. – On l’entend, mais on ne la voit pas. – Erreur, dit le vieux Francè, on l’a vue plusieurs fois. Il cracha sa chique dans le foyer et continua : — Vous savez que le torrent de Tivella forme en un point de son cours un puits sans fond qui communique, affirme-t-on, avec la mer. Ce puits est la demeure de l’Âme damnée. Il est tellement ténébreux qu’aucun reflet ne le hante. L’Âme damnée apparaît soit à midi, soit la nuit, tantôt sur les rocs les plus élevés où elle vole de cime en cime, tantôt au fond de l’espace. C’est une femme, blanche comme la lune, et dont les longs cheveux d’or ont, par moments, des étincellements de flamme. Rapide comme l’éclair, elle crie comme si on l’écorchait toute vive. Elle plonge avec un bruit de fer rouge dans le puits d’où monte ensuite un vacarme d’enfer. On raconte qu’au Moyen Âge, Gloriosa était une châtelaine très noble et très puissante, douée de la plus grande perversité que l’on eût jamais connue. Quoique belle, elle était cruelle et elle se plaisait à persécuter les pauvres avec férocité.

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Son château se dressait sur une croupe rocheuse, en face de la mer. Il était imprenable, gardé par des hommes terribles et sûrs. Aujourd’hui, les couleuvres et les lézards sont les seuls hôtes des ruines de cette demeure où l’on mena somptueuse et crapuleuse vie. On disait que Gloriosa était au service de Gênes en échange de largesses magnifiques. Quand elle paraissait à cheval dans les campagnes, les humbles se cachaient. Jamais une aumône ne tombait de sa main toujours armée d’une cravache. Une fois, un vagabond, mourant de faim, lui demanda du pain ; elle le fit battre par ses domestiques. On remarqua que son sang avait taché le seuil. On voulut effacer en vain cette tache. Et la croyance populaire est que, si l’on fouillait les ruines de ce château, on exhumerait son seuil aussi sanglant qu’au premier jour. Gloriosa recevait de nombreuses cavalcades et ce n’étaient que plaisirs de toutes sortes. Une nuit qu’il faisait une violente tempête pendant que la fête était plus effrénée que jamais, on vit soudain, au milieu de la salle éblouissante, le mendiant que la châtelaine avait fait bâtonner. Celle-ci, parée du plus riche brocart de Gênes, se dressa comme une furie. – Qui a permis à ce misérable de venir jusqu’ici ? cria-t-elle. Les domestiques tremblaient. L’un d’eux dit : – Comment a-t-il pu entrer puisque tout est fermé ! Le mendiant, hâve, couvert de loques, pieds nus, était d’une forte stature, et ses yeux rayonnaient. – J’ai faim, dit-il, j’ai froid… Ayez pitié de ma misère… Donnez-moi un peu de pain, laissez-moi dormir dans un coin…

– Non ! non ! tu n’auras pas une miette ! Qu’on le jette dehors ! Les domestiques s’élancèrent… Mais le mendiant se recula et dit d’une voix qui les fit tressaillir : – Ne me touchez pas ! Il s’éleva comme une vision et on le vit s’évanouir lentement en prenant la forme de Jésus crucifié. Gloriosa n’en continua pas moins ses orgies et ses cruautés. Le plus assidu auprès d’elle était un jeune homme d’une beauté sans égale, svelte, élégant, et portant l’épée avec une nonchalance hautaine. Mais ses yeux regardaient, parfois, si étrangement, qu’on en éprouvait de l’épouvante et de la répulsion. Il avait une grande autorité sur Gloriosa qui, pour lui plaire, était entrée dans une église, sur un âne, vêtue de rouge et tournant le dos à l’autel. Un jour, ils sortirent ensemble à cheval. Ils allèrent d’abord à l’aventure ; puis, le jeune homme s’engagea dans une sente, à travers les maquis du vallon où roule le torrent de Tivella. Ils se trouvèrent tout à coup au bord du puits noir. Alors, il lui dit : – Gloriosa, chère âme, je t’ai donné toutes les jouissances que tu désirais, tu as satisfait tes passions, ta cruauté, ton impiété, il est temps que tu paies ! Et, la prenant par les cheveux, il la souleva comme un fétu de paille et la jeta dans le puits… Du fond de l’abîme un cri monta, un long cri qui retentit dans les environs ; et c’est ce cri que l’on entend encore la nuit et que l’on entendra éternellement.

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II LA COULEUVRE

Ce soir-là, comme nous étions éclairés seulement par la lueur du foyer, un petit lézard vert parut, attiré sans doute par la chaleur. Quelqu’un voulait le jeter dans le feu. – Dieu t’en préserve ! s’écria le vieux Francè. L’un d’entre nous succomberait sûrement. Il ne faut jamais tuer les bêtes qui logent dans nos maisons ou qui dorment à la campagne sur nos vêtements. Ce sont nos esprits !… – Que nous contez-vous là ! fis-je. – Cela est pourtant vrai, dit Santavica. J’étais incrédule à ce sujet, mais depuis que j’ai vu et touché, je crois. Et il nous fit le récit suivant : – C’était au mois de juillet. L’air rutilait dans le silence. Nous étions six moissonneurs courbés sur les épis que nous

tranchions avec nos faucilles qui grinçaient. Derrière, trois femmes essayaient de nous suivre. Elles portaient de larges chapeaux de paille. Maria était la plus vigoureuse et la plus belle. La vie pour elle n’était qu’une chanson. Il fallait l’entendre rire et chanter. Elle nous relevait le cœur dans nos moments d’abattement. Un de ces colporteurs d’Italie, qui portent leur caisse sur le dos, ahanant par les chemins, l’avait abandonnée, toute petite encore, sur la place du village, une nuit d’été. La vieille Tatona l’avait recueillie. Parmi les moissonneurs, Pasquà avait une grande tendresse pour elle. Mais elle en riait. Elle ne pensait qu’à travailler constamment pour que la vieille Tatona eût ses aises, maintenant qu’elle ne pouvait plus rien faire. Et Pasquà était devenu triste. Il avait été toujours un peu mélancolique, vivant isolé dans la nature, où le moindre insecte lui était cher. Il était de ceux qui croient que certaines bêtes ont des correspondances mystérieuses avec nos âmes. Si une coccinelle se posait sur sa main, il soufflait doucement dessus pour la faire fuir, craignant de l’écraser. Il respectait le crapaud qui, disaitil, était un visionnaire en extase dans les ténèbres. Il écoutait avec émotion la note liturgique du hibou, mystique et béat au fond de son trou. Il protégeait les chauves-souris que

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les enfants poursuivent à coups de gaule dans le crépuscule où elles tournent, tournent, comme sous une épouvante éternelle. Mais son favori était le lézard émeraude qui court sur les pierres des murs et dans la poussière des routes, où, parfois, il sommeille comme un fakir. Pasquà s’était sauvé d’une barque napolitaine où on le rouait de coups. Le curé l’avait pris chez lui. Il servait la messe, balayait l’église et menait l’âne et la chèvre aux champs. Comme les autres enfants le battaient, il se réfugiait au milieu des myrtes, dans les vallons où il y a des sources et des fleurs, sous les chênes chargés de vignes sauvages. Il allait vers les cabanes dont il connaissait les chiens, vers les brebis, les blés, les rochers ombreux. Il chantait tant qu’il pouvait à la saison des moissons et des fruits, il chantait le long des haies vives ou sous les figuiers, mêlant les airs d’église et les romances d’amour, et jamais l’on n’avait entendu voix aussi pure. Aujourd’hui, le curé n’était plus, et Pasquà était plein de tristesse, à cause de cette tendresse, venue un soir qu’il avait longuement regardé Maria qui revenait de la fontaine, la cruche posée sur ses cheveux noirs. Et la belle fille riait, chantait, nullement superstitieuse, et détruisant les bêtes sur son chemin. À l’heure du repos, elle prit les devants pour arriver plus tôt sous le lentisque, courbé à la longue par les vents, à l’ombre duquel nous avions laissé nos besaces et nos vestes. Soudain, Pasquà jeta un cri en chancelant. Nous accourûmes… – Qu’as-tu ? – On dirait que j’ai reçu un coup de poignard dans le dos.

Il ne pouvait se tenir debout. – C’est comme si je perdais tout mon sang… Nous le transportâmes sous le lentisque… Là, deux tronçons de couleuvre se tordaient, sautelaient, semblaient se nouer et dénouer dans une torture perpétuelle… – Oh ! s’écria-t-il, regardez, je suis perdu… Qui a fait cela ? – C’est moi, dit Maria… Cette vilaine bête était lovée sur ta besace. J’ai crié pour la faire fuir, mais elle n’a pas bougé. Alors, d’un coup de faucille, je l’ai coupée en deux… – Malheureuse ! en la tuant, ne sais-tu pas que tu m’as tué !?… Nous l’avions allongé à l’ombre. – As-tu faim, Pasquà ? – Non, je vais mourir… Les yeux fermés, il frissonnait parfois, avec des soubresauts. Il demanda sa gourde… Il but longuement, comme un bœuf altéré. – Il faut le transporter au village, dit Maria. – Non, dit Pasquà qui avait entendu, c’est inutile. Rien ne peut me guérir. Je mourrai au pied de ce lentisque, à la place où tu as frappé la couleuvre. Et, le soir, quand nous revînmes, le pauvre Pasquà ne vivait plus… Je le vois encore, étendu sur la terre, avec une figure pâle et sereine, comme s’il dormait paisiblement. Maria pleurait. Depuis, elle ne chante plus et elle respecte les bêtes.

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III LE TRÉSOR

Ces veillées étaient comme un envoûtement pour moi. Une volupté singulière émanait de ces réunions où dans une épouvante secrète se dressaient les figures énigmatiques des vieilles superstitions. Une fois le crépuscule tombé, une sorte de fièvre me prenait et j’allais dans cette pauvre maison comme au guignol du Fantastique dont le vieux Francè tenait les fils à la lueur du foyer. Nous étions au mois de décembre. La nuit, il gelait à pierre fendre. Nous sortions tard de la veillée. Le village obscur dormait. Nous accompagnions les plus peureux jusqu’à leur porte. On se retournait au moindre gémissement du vent dans le noir. D’aucuns, dans l’immense bruit de la mer, croyaient démêler d’autres voix que celle des flots. Moi, je rentrais seul ; car, malgré toutes ces histoires, je ne craignais ni la nuit ni les esprits qu’elle peut abriter. Un soir, nous trouvâmes le vieux Francè dans la désolation. Son ami le berger Cerro s’était alité à la suite d’une mystérieuse excursion nocturne, et il délirait, hurlant, gesticulant, les yeux en feu. Il était revenu à sa chaumière, avant le jour, tout grelottant, sans chapeau, les cheveux dressés et ne pouvant pas parler. Il revenait sans la pioche et la pelle qu’il avait emportées. On les trouva à l’entrée d’une caverne où il y avait une excavation profonde.

– La vérité, dit Francè, est que mon ami était allé à la recherche d’un trésor ; mais, ce trésor étant gardé, il prit peur devant les formes diaboliques qui surgirent tout à coup… Il en mourra. – Qu’appelez-vous un trésor gardé ? demandai-je. – Un trésor enfoui anciennement, sous la protection de Satan, au moyen de terribles incantations. – Il paraît, dit quelqu’un, que le berger de San Miele, lui, n’eut pas peur et qu’il devint riche du soir au lendemain… L’avez-vous connu, Francè ? – Si je l’ai connu !… Il y a bien des années de cela. Le berger de San Miele était un rude gaillard, n’ayant pas froid aux yeux. À l’époque dont je vous parle, il gardait les chèvres. Il avait entendu dire souvent qu’il y avait de nombreux trésors cachés et il n’en fermait pas l’œil de la nuit. Le jour, il faisait sonner avec son bâton noueux les rochers, le sol des cavernes. Il n’avait qu’une idée dans la tête : trouver un trésor. Une fois, il apprit par un petit marchand de châtaignes qu’au village de Monaccia, on pouvait consulter un vieux manuscrit sur les lieux où l’on avait enterré des urnes pleines de monnaie d’or et d’argent. Il y alla sans tarder. Là il sut que, non loin de San Miele, à cent mètres environ d’une aire, ombragée vers le sud d’un arbousier, on avait enfoui, depuis

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plus de trois siècles, un trésor sous la garde d’esprits diaboliques. À son retour, il chercha l’aire. Il y poussait des asphodèles, et, à la place de l’arbousier, il n’y avait plus qu’un vieux tronc logeant des abeilles vagabondes. Il revint pendant la nuit, mais il eut beau creuser de-ci de-là, rien, rien… Le manuscrit ne disait pas de quel côté on avait caché le trésor. Après plusieurs nuits de vaines recherches, le berger se découragea. Un jour, il vit passer sur la route un colporteur italien. – Hé ! arrête-toi ! lui cria-t-il. Il ne tarda pas à le rejoindre. Le Lucquois essuyait son front en sueur avec un mouchoir à carreaux. – As-tu des guimbardes ? Il en avait et il ouvrit sa caisse. C’était un petit bazar. Tout en faisant vibrer avec un doigt la languette d’une guimbarde entre ses dents, le berger vit parmi des couteaux une balle d’acier. – À quoi sert-elle ? demanda-t-il. – Elle est précieuse. Si tu la fais rouler, elle s’arrête, même sur la pente la plus inclinée, là où il y a un métal quelconque sous terre. – Je te l’achète… Combien en veux-tu ? – Je ne la vends pas. – Je t’en donne cinq francs. – Non. – Dix ! – Inutile d’insister. Alors, vivement, le berger prit la balle, et, se reculant, il braqua un pistolet sur le colporteur qui s’élançait contre lui. – Un pas de plus et tu es un homme mort ! La route était déserte. L’Italien se répandit en invectives, mais il dut s’en aller.

Le jour même, le berger fit rouler la balle autour de l’aire, dans tous les sens ; elle s’arrêta entre deux rochers, dressés comme des menhirs. Il marqua l’endroit, et ne se tenant pas de joie, il attendit la nuit. Quand la lune parut, il se mit à piocher en pleine solitude. Avec une pelle, il enlevait la terre au fur et à mesure. Il piocha longtemps; il ne sentait pas la fatigue. Le trou était déjà large, profond, et rien, toujours rien ; mais, cette fois, l’espoir d’aboutir le soutenait. Soudain, comme il creusait vers le second menhir, un coup de pioche rendit un son métallique qui parut résonner dans un antre d’airain. La joie le surexcita. Il frappa un autre coup. Aussitôt des hurlements lui répondirent. C’était un déchaînement de furies, de démons réveillés de leur sommeil séculaire. Le premier mouvement du berger fut de s’enfuir ; mais, se raidissant, il resta : Allait-il perdre une fortune par manque de courage ? Il s’irrita contre lui-même, et, le sang bouillonnant, les forces décuplées, tout en frappant comme un sourd, il se mit à crier, à hurler, à miauler. Il y eut tout à coup comme un écroulement de maison : devant lui, s’ouvrit un abîme ; un énorme serpent y apparut en se tortillant, la gueule ouverte, le dard enflammé, les yeux rouges, tandis que des voix tintaient aux oreilles du berger et que des ailes visqueuses, invisibles, frôlaient son visage et ses mains. Mais le berger, ruisselant de sueur, le regard aigu, ne bougea pas. – Va-t’en, malheureux, lui murmura-t-on, le serpent va te broyer dans ses nœuds. – Non ! je ne m’en irai pas. Qu’il vienne, je le trancherai comme un vermisseau ! Et il se mit à brandir sa pioche. Il se sentait en ce moment plus qu’un homme. Une sorte de délire

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deux mains, il fit dans l’air un grand signe de croix en hurlant : – Qui que tu sois, monstre ou fantôme, au nom du Christ, rentre dans le néant d’où tu es sorti ! Alors, un fracas éclata ; puis ce fut le silence dans la nuit noire, d’un noir opaque. La lune et les étoiles avaient sombré. Le berger ne voyait ni le ciel ni la terre. Était-il devenu aveugle tout à coup ? Il entendit un gémissement derrière lui. Il se retourna… Une forme blanche prit la figure de sa mère, morte il y avait quelques années. D’abord, il eut un élan de tendresse ; puis, une colère excitée par la cupidité le saisit : – Toi aussi, tu es contre moi ! s’écria-t-il… Vat’en ! Va-t’en ! Je ne te connais plus !… La forme blanche s’évanouit… Là-bas, la ligne des coteaux se dessina dans les premières lueurs de l’aurore. Et, devant le berger émerveillé, au fond du trou, autour d’une urne éventrée, de nombreuses pièces d’or étaient éparpillées…

annihilait en lui toute faiblesse humaine. Il traça sur la terre une croix et il cria : – Au nom du Christ, tu ne franchiras pas ce signe sacré ! Aussitôt le serpent disparut. Mais, plus loin, du fond des ténèbres, surgit une bête… Formidable, elle était immobile comme un roc. À la place des yeux, elle avait des cavernes béantes et son énorme tête épouvantait par le manque de gueule. Sur tout son corps des poils hérissés paraissaient des serpents figés. Dressée parmi des cadavres sur ses pattes de devant, dont les griffes se courbaient comme des faucilles pour géant, ses croupes reposaient dans une mare de sang. C’était le monstre du silence, de l’épouvante et de l’immobilité. Il était tellement terrifiant ainsi que le berger se sentit faiblir. Ni regard, ni voix ! Nul souffle ne passait dans la nuit qui pesait sur ses épaules comme un fardeau. L’homme, éperdu, se secoua comme un fauve percé d’un javelot, et, avec sa pioche qu’il tenait à

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Table des matières

I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII.

L’Âme damnée . . . . . . . . . . . . . . . . 1 La couleuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Le trésor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 La valléed es cavernes . . . . . . . . . . 9 La barque fantôme . . . . . . . . . . . . 12 L’idole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Le démoniaque . . . . . . . . . . . . . . . 17 Le bélier rouge . . . . . . . . . . . . . . 20 Le simulacre . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Le sanglier noir . . . . . . . . . . . . . . 25 La sorcière . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Les cloches ensevelies . . . . . . . . . 33 Les bruits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Le navire blanc . . . . . . . . . . . . . . . 38 La maison maudite . . . . . . . . . . . 41 Le sorcier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Le squelette amputé . . . . . . . . . . 50 La femme noire . . . . . . . . . . . . . . 53


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