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20 21 19. Granìtula à Pè di Partinu. 20. Granìtula en l’honneur d’un confrère décédé à Pè d’Orezza. 21. Repas à Pè di Partinu.
Une granìtula est toujours effectuée devant la maison d’un confrère décédé dans l’année (fig. 20). Chaque confrérie s’arrête toujours au même endroit pour manger (Pè d’Orezza mange à Carchetu). « Avant, se souvient Pierrot Ucciani, les confrères mangeaient dans l’église. Aujourd’hui, chacun amène ce qu’il peut à manger et tout le monde partage, riches et pauvres confondus » (fig. 21, 22 et 23).
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12 13 12. Le pénitent chute une première fois dans la rue Sainte-Anne à côté de l’ancienne chapelle. 13. Piazza à a Porta, après la deuxième chute du Catinacciu, c’est le pénitent blanc qui prend la croix.
proximité de laquelle il va effectuer la première de ses chutes (fig. 12), celles-ci se faisant systématiquement près d’un espace consacré. Il remonte par les escaliers qui débouchent dans les ruelles d’a Manichedda, la vieille ville, où il rejoint a piazza à a Porta en passant sous le porche qui était l’ancienne porte de la ville fortifiée du Moyen Âge. Là, aura lieu la seconde chute, au pied de l’église Sainte-Marie. Lorsqu’il se relève, c’est le pénitent blanc, Simon de Cyrène, qui prend la croix (fig. 13), et va la porter tout au long de la rue di u Borgu, cette montée symbolise la montée au Golgotha. Arrivé devant la chapelle San Bastianu, le Catinacciu reprend la croix. À l’intérieur, il y a un sépulcre très réaliste, ou un Christ articulé gît sur son lit de deuil, veillé par sa mère en habit de deuil. Les confrères entonnent avant de repartir le Crocifisso, mio Signore, chant spécifique de la Semaine sainte à Sartene.
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14. Les pénitents noirs entourent le Christ mort, symbolisant la mise au tombeau. 15. Le Catinacciu chute une troisième fois devant l’emplacement de l’ancienne chapelle Santa Lucia. 16. Le prédicateur bénit la foule en tenant le Christ mort à bout de bras. 17. Après la bénédiction, les fidèles touchent ou embrassent la croix.
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Dumè Colonna nous explique que « San Bastianu est le lieu de la mort virtuelle du Christ. Pour la symboliser, les pénitents noirs posent au pied de la statue de la Vierge, qui se trouve à l’intérieur de la chapelle, la statue du Christ mort. La Vierge est en deuil, vêtue de longs voiles noirs. Les huit pénitents noirs se penchent alors au-dessus du Christ et, collés les uns aux autres, ils le cachent quelques instants à la vue de la foule (fig. 14), marquant ainsi l’ensevelissement et la mise au tombeau. Pendant ce temps, le Catinacciu et Simon de Cyrène, agenouillés sur les marches de l’autel, se recueillent tandis que la confrérie emplit la chapelle de ses chants lancinants. »
de la troisième chute (fig. 15), légèrement décalée depuis plusieurs années, pour des raisons de sécurité. La procession revient ensuite vers l’église Santa Maria Assunta. Les pénitents s’agenouillent et un prédicateur, venu pour l’occasion, va faire un sermon et bénir la foule assemblée en tenant, à bout de bras, la statue du « Christ mort » (fig. 16). Puis, les pénitents rentrent dans l’église où ils restent prosternés pendant que la foule défile, touchant au passage la croix (fig. 17).
Quittant San Bastianu, le Catinacciu descend par la rue Croce. L’emplacement de l’ancienne chapelle Santa Lucia était le lieu
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19 18. « Parfois les enfants pleuraient en voyant l’homme sans visage. » 19. « Le plus dur, c’est les trois jours passés à méditer au couvent. » 20. « Quand on m’a mis l’habit, j’ai pensé à ceux qui étaient passés avant moi. » Cellule du pénitent au couvent San Damianu.
pendant 20 ans, je me suis identifié à lui. Ce qui est terrible, c’est quand tu l’apprends, que l’on te dit que ça va être toi, u sangui ti fali à i pedi, on est terrifié et heureux à la fois.
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Témoignage d’un ancien Catinacciu « À l’époque, il y avait beaucoup de candidats, mon père était monté s’inscrire. Il devait faire le pénitent le 3 ou 4 avril 1962, mais il est mort en mars, quelques semaines avant, à quarante ans. Donc, moi, à 21 ans, je suis monté pour m’inscrire. Lorsque le curé m’en a demandé les raisons, je lui ai dit que je voulais remplacer mon père, faire ce que mon
père n’avait pas pu faire. Le curé m’a inscrit. Puis chaque année, on attend, je me suis dit peut-être qu’il m’appellera. Puis les années ont passé, et il ne m’appelait toujours pas. Puis un jour, près de 20 ans après, alors que je ne m’y attendais plus, le curé m’a appelé, en janvier, et m’a dit : “Tu seras le pénitent cette année”. Lorsque je l’ai fait, j’avais 40 ans. Pile. L’âge de mon père lorsqu’il aurait dû le faire. On est pénitent déjà quand on monte faire la démarche (fig. 19), moi j’ai attendu 20 ans, et
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Ça a changé beaucoup de chose, il y a un avant et un après, on n’est plus le même, c’est comme une petite lumière derrière, qui fait relativiser les choses, qui nous recadre. Le Catinacciu, ça te marque au fer, je ne crois pas que quelqu’un puisse rester indifférent après l’avoir fait. Le plus dur, ce n’est pas la procession, aussi bizarre que cela puisse paraître, les plus durs, c’est les trois jours au couvent, parce que tu descends toucher ton âme, pratiquement, c’est terrible, tu as peur, tu te dédoubles quelque part, et tu te vois… La procession c’est différent, je n’ai pas vraiment senti la croix, seulement au début, à la fin j’aurais pu continuer encore… et pourtant c’est très dur. En plus, je n’ai pas mangé pendant trois jours, je n’arrivais à rien avaler… Le mercredi, on t’amène des livres saints, et au milieu un petit livre : La Passion selon le chirurgien ; c’est un chirurgien qui a expliqué tous les stigmates et tous les os qui ont été cassés avec la croix… ça met dans l’ambiance ! C’est là, le vendredi, à huit heures du soir, je me suis demandé ce que je faisais là, je tremblais, j’étais complètement ébranlé, j’étais prêt à renoncer. L’élément déclencheur, c’est lorsque dans l’après-midi, on t’amène l’habit rouge, ça fait un choc. L’habit, en fait, c’est tout ce qu’il y a derrière, la vie des hommes qui sont passés là-dessous (fig. 20), tu penses à tous ceux qui l’ont fait avant toi. C’est très impressionnant. Certains pénitents sont très impressionnés lorsqu’on leur met les chaînes aux pieds. Moi,
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Samedi Sa ed saint sa t 1
Sabatu santu Tintamarre et coups de feu
Jusqu’aux années cinquante, les cloches, muettes depuis le mercredi après-midi, recommençaient à sonner le samedi à partir de 11 heures. Dans le Niolu, selon Catherine Pioli, on embrassait alors la terre en disant : « Basgiate a terra, u cristu hè resuscitatu ». Des salves de coups de feu saluaient le retour des cloches et la résurrection du Christ. C’était la fin du Carême, dès midi on mangeait un bon repas, de la viande, des gâteaux. Les jeunes gens partaient faire des merendelle. L’abbé Casanova, en 1931, écrit : « Le samedi matin, au chant du Gloria, [les villageois] tirent des salves de mousqueterie en l’honneur de la Résurrection ». Ce rite est encore pratiqué, mais le dimanche à midi. Dans certains villages, les plus âgés continuent de tirer en l’air le samedi midi. À Ajaccio, les enfants parcouraient les rues à la recherche de caisses qu’ils détruisaient ensuite à coups de bâton, lors du Gloria (fig. 1) en faisant le plus de bruit possible. S. Vinciguerra, nous décrit un rite identique en Castagniccia.
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Dans les maisons, les femmes, après avoir nettoyé toute la maison, tapaient sur les meubles pour chasser les mauvais esprits. Charles Bartoli, à San Gavinu di Fium’Orbu (2009), se souvient : « Quand les cloches sonnaient à midi, la maîtresse de maison faisait le tour des pièces en tapant avec un bâton en disant “vai fora uttalacciu”. Il ne fallait pas prononcer le nom du diable, car on était privé “di grazie per una ghjurnata” ». Taper sur les meubles, donner des coups de bâton sur des caisses ou tirer des coups de feu en l’air, a pour but de faire le plus de bruit possible pour éloigner les mauvais esprits (fig. 2). Faire du bruit pour chasser les démons et les esprits jaloux est une pratique attestée dans l’Antiquité. On retrouve ici cette pratique lors de la résurrection du Christ, mais elle est effectuée également le 25 décembre pour célébrer sa naissance. On la retrouve aussi lors des mariages. La naissance, la mort, les mariages sont des moments de franchissement où l’être humain est vulnérable, selon des croyances bien antérieures au christianisme.
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1. Le Gloria à Aiacciu au début du XXe siècle. Collection Guy Savelli. 2. Charivari de Pâques à Bunifaziu. Collection Terry Campana.
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3. U focu novu di Sartè. 4. Les crucette de l’année précédente sont brûlées. 5. Des cierges sont distribués aux fidèles.
U focu novu En Castagniccia, le samedi matin, on faisait un petit feu devant l’église avec la lampe de la veilleuse de l’église qui restait toujours allumée, selon Simon Vinciguerra. Prete Filippi se souvient qu’à Tòcchisu un petit feu était allumé à midi en utilisant comme briquet du silex (u petràculu) et de l’amadou. Le curé sortait de l’église, il bénissait le feu puis il enflammait une branchette pour allumer le cierge pascal. L’encens était aussi allumé avec une braise (a calisgina) du feu bénit. Quand le feu est allumé, l’église est plongée dans l’obscurité. Pour illuminer l’église, les fidèles allument leurs cierges au cierge pascal porté par le curé. Ce rite, qui se pratique toujours, a été reporté au samedi soir.
S A B AT U S A N T U
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Dans toute la Corse, on jette dans le feu bénit, ou dans celui de la maison, tous les objets pieux hors d’usages, les crucette et palmes tressées, les cheveux utilisés pour signer l’ochju. L’abbé Saravelli Retali précise qu’à Sartène (fig. 3), lorsque sonnaient les cloches de la Résurrection, le matin du Samedi saint, on brûlait dans chaque famille les palmes et les rameaux de l’année précédente (fig. 4) « et par trois fois on traçait du pied un cercle au-dessus des flammes, comme pour chasser le démon et conjurer le mauvais sort. » (fig. 5, 6, 7 et 8). Les cendres étaient en partie recueillies pour être utilisées pour le prochain mercredi des Cendres. Souvent les gens emportaient un morceau de charbon pour éloigner le mal et protéger les maisons.
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11 11. Messe à Corbara. 12. Bénédiction des œufs à Corbara. 13. À Corbara, san Corneliu è san Ciprianu sont portés en procession.
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U chjuccarù
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Avant d’aller déjeuner sur l’herbe, les adultes et les enfants pratiquaient le chjuccarù. Le jeu consiste à frotter deux œufs bénits tenus dans la main par deux personnes puis à les percuter d’un coup sec, côté pointu (fig. 14). Le premier qui casse l’œuf de l’autre gagne l’œuf qu’il a cassé (fig. 15 et 16). « Les plus adroits se retrouvaient avec plusieurs œufs qu’ils s’empressaient de manger même cassés, explique Antoine Salducci, certains trichaient, ils mettaient le doigt sur l’œuf pour éviter qu’il se brise, alors cela finissait en dispute. Le jeu consistait aussi à trouver une jeune fille pour casser les œufs qu’elle possédait, on en profitait pour lui caresser la main et lui faire un peu de charme. » 15
plein air devant les chapelles qui ne peuvent contenir tous les fidèles. Les statues sont également exposées de part et d’autre de l’autel. Joseph et Marie pour Aregnu, saint Corneille et saint Cyprien pour Corbara. « Avant il n’y avait pas de route, se souvient Noël Innocenti, les gens descendaient avec les ânes des villages alentour pour assister à la messe et faire bénir les œufs. » À la fin de la messe, le curé invite les fidèles à lever les paniers pleins d’œufs (fig. 12) pour les bénir. La procession avec les deux saints portés par les confréries se déroule autour de la chapelle (fig. 13).
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Une partie de ces œufs est consommée lors de la merendella. Quelques œufs sont ramenés à la maison. Ils seront précieusement conservés car ils ont le pouvoir de protéger les habitations. En cas
14. U chjuccarù : ce jeu est transmis depuis des générations par les familles de Balagne. 15. Le jeu consiste à casser l’œuf de l’autre en le percutant. La position de l’œuf (dessus ou dessous) est tirée au sort avec une piécette. 16. Toutes les générations pratiquent ce jeu le lundi de Pâques.
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Fête-Dieu 1
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La Fête-Dieu clôture la longue série de célébrations qui s’enchaînent depuis Pâques. Elle a lieu dix jours après la Pentecôte, soixante jours après Pâques. On célèbre la fête du Corps et du Sang du Seigneur, le Saint-Sacrement, nommée Corpus Domini avant la réforme liturgique de Vatican II (fig. 1).
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Corpu diCristu Comme pour la Pentecôte, il s’agissait d’une fête très gaie, très fleurie (fig. 2 et 3). Chaque famille, ou chaque quartier, dressait des altarini (dans le Sud), e capelle (dans le Nord). Il s’agissait de petits autels érigés sur les places, devant les maisons (fig. 4 et 5). Des tables recouvertes des plus belles étoffes, réservées à cette occasion, étaient décorées d’images pieuses, de statuettes de saints, couvertes de fleurs et de verdures. Le prêtre, suivi des fidèles, portait l’ostensoir contenant l’hostie et faisait le tour des altarini qu’il bénissait. Au passage de la procession, les villageois jetaient des fleurs et des pétales en récitant des prières.
Ce jour-là, on composait de petits colliers faits de calènduli ou calèndini, soucis, enfilées à l’aide d’une aiguille et d’un fil. Ces colliers, jaune d’or, étaient ensuite bénis et précieusement conservés. Ils protégeaient la famille et la maison. Ces mêmes colliers pouvaient être faits, selon les villages, pour la Saint-Antoine-de-Padoue.
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À Viscuvatu, on ornait les mangeoires (e manghjatoghje) pour les animaux avec des branches d’asperges sauvages (sparagi) et de fleurs. 5
1. Fête-Dieu Fête-D à l’église Saint-Charles de Bastia Basti en 1898. 2. Fête-Dieu Fête à Calenzana au début du XXe siè siècle. 3. Fêt Fête-Dieu à Arbellara. 4. Ca Capelle à Vizzani. 5. Capelle à Viscuvatu en 1954.
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