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4. Bénédiction du cierge sacré. Abbé Valery. 5. Les autres cierges sont allumés avec le cierge bénit. 6. Tous les cierges sont bénis avant de regagner l’église. 7. Les cierges restent allumés durant la première partie de la messe.

Annonciade Castelli nous rapporte une anecdote qui s’est déroulée à la Candilara à Lama : C’était une fête à part. Dans les temps, les moines confessaient les femmes et ils leur prenaient de l’argent. Leurs maris n’étaient pas contents et ils sont allés demander aux moines de rembourser l’argent, ce qu’ils ont fait. Le père supérieur (u padre guardianu) lui, n’a pas voulu rembourser, ils l’ont suspendu par les pieds et ils lui ont enfoncé une chandelle bénite dans le derrière. Les autres moines l’ont décroché et le lendemain dans l’église, pendant la messe, les moines ont chanté : Guardate a signora Lucia (elle se confessait le plus souvent et elle s’était acheté un vêtement avec l’argent qui avait été remboursé), Réponse des fidèles : Amen A si saperà la to borsa hè a meia Réponse : Amen Le padre guardianu a répondu : Eiu, patre guardià, per ùn avè danaru, u miò culu serviti di candilaru. Réponse en chœur : Amen

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A Ciriola à Cambia À Còrsoli (commune de Cambia), les habitants célèbrent toujours la Chandeleur, Ciriola, Candilora, Pasqua Candilora. Cette cérémonie, explique le vicaire général Ange Michel Valery, clôture, quarante jours après, les festivités de Noël. Pour la célébration d’a Ciriola, avant le début de la messe, les enfants distribuent des cierges aux croyants venus des villages voisins. Puis, le curé invite tous les fidèles à sortir et à se rassembler devant l’église pour procéder à l’allumage et à la bénédiction des cierges.

Un cierge est béni par le curé (fig. 4), il va servir à allumer tous les autres cierges (fig. 5). Après la bénédiction, le curé demande aux fidèles de regagner l’église en tenant un cierge allumé dans la main (fig. 6). « C’est la lumière de Jésus, u cegnu di u lume, qui éclaire l’Église et les fidèles », rappelle Ange Michel Valery. Les cierges allumés symbolisent le Christ qui s’est révélé à sa naissance comme étant la « lumière du monde » (fig. 7 et 8). Dans les temps, pendant l’office, les cierges étaient éteints. « Il fallait qu’ils se consument le moins possible car on les ramenait pour les conserver précieusement à la maison », précise Maria Laura Valery.

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9 9. Les cierges bénits protègent l’âme et le corps. Ils étaient allumés pour se préserver des orages.

avant tout avoir été liée au pastoralisme car, en Irlande, on célébrait alors le retour en lactation des brebis ; Brigit, grande déesse du panthéon celtique, était également célébrée à cette date, sainte Brigitte lui succédera.

évitaient de prendre la mer ce jour-là, car ils risquaient de rencontrer un bateau fantôme. Dans les croyances européennes, on retrouve ce thème où divers personnages circulent ce jour-là. La « Manekine » notamment, que l’on retrouvera dans les rites du carnaval, est mise dans une barque sans gouvernail, commençant ainsi son voyage mythique. On peut remarquer que ce thème se retrouve dans la légende de santa Divota, célébrée quatre jours avant. La mer, en ce jour hors du temps, appartient aux Autres, aux morts, aux revenants, aux divinités ; y circuler, c’est prendre le risque de faire d’étranges et dangereuses rencontres. La fête de la Chandeleur est l’héritière d’antiques fêtes célébrant la lumière et les morts à cette date. Elle se situe quarante jours après Noël, dans un découpage calendaire très ancien, sur lequel le

christianisme est venu se superposer. Les réinterprétations chrétiennes sont pourtant toujours riches en symboles anciens et nous restituent les rites et croyances qui les ont précédées. Certaines fêtes, qui avaient lieu durant le mois de février à Rome, passent pour être à l’origine de la Chandeleur. La fête de Proserpine, épouse de Pluton, fille de Déméter, était accompagnée d’une course aux flambeaux. Les Lupercales, et les Parentalia, étaient des fêtes en l’honneur des morts où l’on veillait à l’aide de cierges ou de torches et où l’on honorait Pluton et les dieux infernaux. Les Celtes célébraient Imbolc, ce terme signifie « purification ». Des repas collectifs et des rites de purification par de l’eau lustrale marquaient cette fête sur laquelle on a peu de renseignements mais qui semble

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Dans le monde indo-européen, cette date est en rapport avec des rites de purification célébrant la sortie de l’hiver. L’hommage aux morts et aux divinités chtoniennes est particulièrement significatif aussi. Février, mois souvent froid mais où le printemps se prépare, semble appartenir aux divinités des morts qui dans toutes ces civilisations sont aussi les détentrices des germinations, des fertilités et fécondités humaines ou animales. Les rites agraires faisaient ainsi appel aux gardiens des vies à venir, qui tenaient en leur pouvoir la destinée des hommes. Le christianisme par le biais de la Chandeleur, de sainte Brigitte ou de saint Blaise va récupérer et réinterpréter ces rites anciens. Une trame rituelle commune se dégage de ces diverses traditions, on y retrouve l’eau purificatrice, les feux sacrés, les flambeaux ou les cierges, les processions vers des grottes où demeurent des divinités chtoniennes. Il semblerait, qu’en ce début février, dans diverses civilisations, une divinité féminine, symbolisant le printemps à venir et les germinations futures, était particulièrement honorée. Elle était la compagne, la mère, ou la fille, d’un dieu des morts ou des enfers que l’on retrouvera au centre des célébrations du carnaval. La Chandeleur et la Saint-Blaise sont indissociables du carnaval. Quarante jours après le solstice, en ce début de février, s’ouvre un nouveau cycle, jusqu’à l’équinoxe de printemps.

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3 février 1

San Biasgiu est célébré le lendemain de la Chandeleur, le 3 février. Cet évêque martyr, originaire d’Arménie, décapité en l’an 316, était devenu très populaire en Occident (fig. 1). Il aurait sauvé un enfant qui avait une arête coincée dans la gorge en tenant croisés deux cierges bénis la veille.

1. L’église de Calenzana est dédiée à san Biasgiu. 1a. Église de Campile. 1b. Église de Carpinetu. 2. San Biasgiu a un rôle important dans l’imaginaire corse. Église de Calenzana.

San Biasgiu

3. San Biasgiu a le pouvoir de guérir les maux de gorge. Église de Ghjuncaghju.

Ce saint est particulièrement invoqué pour guérir les maux de gorge. La gorge renvoie au souffle et donc à la vie, il s’agit d’un saint qui connaît les secrets des franchissements que symbolise l’arête coincée ; il rétablit le souffle et donc les circulations, les échanges. De plus, saint Blaise vit dans une grotte et sait parler aux animaux. Son nom renvoie au breton bleizh, signifiant loup, et le place dans la catégorie des saints héritiers d’anciennes croyances de type chamanique. De nombreuses études ont démontré qu’il s’est substitué à une divinité du temps et de la lumière autrefois célébrée à cette date. Claude Gaignebet a ainsi évoqué les liens existants entre saint Blaise et Gargantua censé naître ce jour-là. Gargantua, rendu célèbre par Rabelais, est l’héritier d’une très ancienne divinité, Gargant ou Gargano, connu dans toute la Méditerranée et dont on retrouve aussi des traces en Corse. L’orcu corse (fig. 1a et 1b)s’inscrit lui aussi dans cet ensemble de mythes communs et

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est une des figures, un des noms, de cette ancienne divinité. Un conte, U Tilaghju di i fati, rapporté par Martinu Appinzapalu (1924) vient attester de l’importance de san Biasgiu dans l’imaginaire corse et de son lien avec des mythes anciens. Près de la chapelle San Biasgiu, à Vulpaghjola, des fées avaient caché un métier à tisser en or, u tilaghju di i fati. Elles avaient déclenché un terrible tremblement de terre pour se venger de villageois qui les avaient insultées, ensevelissant ainsi un hameau entier. Elles y habitent depuis et dansent au clair de lune au milieu des ruines. A fata maestra se tient au centre de leur ronde et joue une musique magique sur les cordes d’un métier à tisser en or, comme sur une harpe. Ce métier à tisser en or et son voyage sous terre s’apparentent au soleil qui, dans les croyances, va circuler sous terre, dans l’Autre Monde, avant de renaître au matin. Il est l’astre qui rythme le temps et ici, ce sont les fées qui l’aident dans sa course nocturne.

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à la messe avant de se rendre en classe. « Ainsi en avaient décidé tous les instituteurs et institutrices que j’ai connus, qui se sont succédé dans l’école du village, ajoute Maria Laura Valery. Ils considéraient que cette célébration était importante et que c’était une obligation de se placer sous la protection du saint patron du village. » Avant le début de la messe, le curé rallumait un grand cierge béni la veille, jour de la Chandeleur. Dans les temps les plus anciens, nous raconte un vieux du village, le curé laissait un grand cierge de la Chandeleur allumé toute la nuit dans l’église. Il servait à rallumer les deux cierges utilisés pour le rite d’a gola (de la gorge) (fig. 4). La messe commence par le Gloria chanté par les chœurs (fig. 5). À la fin de l’office, pour rappeler le miracle accompli par saint Blaise (la légende lui attribue la guérison d’un enfant étouffé par une arête de poisson), le curé allume et croise deux cierges qu’il place sous la gorge des fidèles qui s’avancent vers l’autel (fig. 6 et 7). Ce rituel est bien ancré dans les croyances de cette région puisque les plus croyants pensent qu’ils seront épargnés pour une année de tous les maux qui peuvent atteindre la gorge (fig. 8).

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À Zevacu, on distribue pour la SaintBlaise des petits pains bénits. Les villages de Cuzzà et de Zèvacu revendiquaient la propriété de la chapelle qui était en limite communale. Pour régler le litige, le prêtre décida que la chapelle serait sur le territoire du village qui confectionnerait les pains qui se conserveraient le plus longtemps. Les habitants de Cuzzà confectionnèrent des pains riches à base d’œufs et d’huile. Ceux de Zevacu n’utilisèrent que de la farine, du sel et de l’eau. Ce sont ces derniers qui se conservèrent le mieux et ainsi la chapelle revint au village. Renseignements et enquête de Dominique Colonna.

4. Deux cierges croisés sont allumés pour la cérémonie. 5. Le Gloria est chanté au début de la messe. 6. Rite di a gola. 7. Un vieux rite en voie de disparition. 8. Ce rite préserve des maux de gorge.

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9 9. San Biasgiu de Quercitellu. Depuis les années 1950, il n’y avait plus de procession.

San Biasgiu in Poghju Marinacciu Avant la Deuxième Guerre mondiale, san Biasgiu était célébré le 3 février, mais ce conflit a bouleversé l’ordre des choses : « quand j’étais enfant, se souvient la doyenne du village Hélène Pancrazi, cette fête attirait beaucoup de monde. Les fidèles venaient souvent pieds nus des villages voisins, Crucichja, Ortiporiu, Penta Acquatella ou encore A Porta. Puis les hommes sont partis à la guerre et beaucoup ne sont pas revenus. Après la guerre, san Biasgiu a été célébré épisodiquement mais il n’y avait plus de procession, les hommes valides n’étaient plus assez nombreux pour porter la statue » (fig. 9). Dans les années 1960 la fête a été décalée au 8 août à cause du dépeuplement du village.

“ci impunia e candelle benedette”. Il nous disait que c’était un vieux rite destiné à nous préserver des maladies respiratoires. Il récitait une prière mais je ne me souviens que du début : Padre nostri di i celi, Santa Maria ora prò nobis… À la fin de la messe, les gens déjeunaient autour de la chapelle (a merendella). Les fidèles des villages voisins étaient invités à déguster des scaccie, des tourtes à base d’herbes ou de fromage frais.

10. Faute de prêtre, le rite de l’imposition des cierges n’est plus pratiqué. C’est un laïc, Iviu Pasquali, qui a célébré la messe. 11. Procession de San Biasgiu.

La procession se déroulait l’après-midi (fig. 11). Les confrères portaient une aube blanche (u càmisgiu) et une cape blanche (a cappa). Ma grand-mère me disait que la procession était très longue et elle visitait 11

La veille de la célébration, un feu (a fucaraccia) était allumé devant la chapelle par les habitants de Poghju qui veillaient une partie de la nuit. Le lendemain « pendant la messe, raconte Hélène Pancrazi, le curé nous faisait l’imposition des cierges (fig. 10). Il croisait deux cierges allumés qu’il nous mettait sous la gorge,

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16. Gisant. Muru.

dans de nombreuses mythologies sous cet aspect, elles sont très présentes dans les contes corses par le biais des fées, e fate, leurs héritières. Dans la Gravona, le Vendredi saint, les chasseurs avaient pour coutume d’organiser une battue au sanglier, pourtant hors de saison. Cette tradition, dans un pays où les croyances sur les mazzeri ont été très fortes, n’est pas anodine. Les mazzeri chassent en esprit le double d’un individu. Ce double, u corpu à spiritu, prend une forme animale, la plus commune étant celle du sanglier. Organiser une chasse au sanglier le jour de la mort du Christ devient ainsi très significatif et nous renvoie aussi aux nombreuses divinités de la végétation tuées par un sanglier que l’on retrouve en Méditerranée, mais aussi une fois de plus dans les contes corses (U Conti pazzu, Urnucciu…). Ces divinités ont toutes en commun de mourir et de ressusciter établissant ainsi un parallèle avec la mort et la résurrection du Christ au printemps (fig. 17). Le cierge du Miserere est celui placé au sommet du chandelier triangulaire de l’office des Ténèbres. Il était

particulièrement convoité par les fidèles car il passait pour préserver des dangers et de la foudre. Beaucoup en gardaient un petit morceau dans un petit sachet de drap cousu (breve ou razione). Selon J.-B. Natali, les bergers mettaient a cera santa dans leur baretta misgia pour se préserver de la foudre. Dans le Sud, on recueillait aussi des morceaux de la baguette de frêne qui avait servi à faire du bruit à l’église pendant l’office des Ténèbres. Elle avait la vertu d’éloigner les couleuvres des habitations, sans doute, car elle a servi à chasser les démons et les forces du mal. Les couleuvres, si elles entraient dans une maison, ne devaient pas être tuées, car selon la croyance, il s’agissait des morts de la famille venus rendre visite à leurs descendants. Mais un phénomène plus étrange nous est rapporté par Simon Vinciguerra (1966), à Petra di Verde. Sur la colline d’Erbarellu, on pouvait voir danser le soleil, un jour de la Semaine sainte. Il nous dit que Marc Xavier Giorgi a assisté à la danse du soleil qui, à ce moment de l’année, se lève près de l’île de Monte-Cristo « avant de monter droit dans

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17. Crist sur la Croix. Église de Quenza. 18. L’Eucharistie. Calice recouvert de la pale, burettes avec l’eau et le vin...

le ciel, le globe rutilant semble se rouler, par brève secousse sur la mer, comme s’il s’ébrouait, en jetant de courtes flammes ». Il précise que cette illusion d’optique se retrouve en Alsace, Poitou, Irlande, et dans les pays slaves. La proximité de l’équinoxe, et sans doute un angle particulier, dû à l’altitude de cette colline, permet de voir un phénomène optique rare, mais avéré par ailleurs. Ce type de phénomène a donné lieu à de nombreuses croyances que l’on retrouve le plus souvent autour de la Saint-JeanBaptiste, au solstice d’été. Il ne nous donne pas plus de précision, mais l’on peut supposer qu’anciennement le lien avec la Semaine sainte et la passion du Christ avait dû être relevé (fig. 18).

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Les Rameaux 1

Mentionné dès le IVe siècle, le dimanche des Rameaux (fig. 1) était alors un rite propre à l’église de Jérusalem. Il était célébré avec des processions où les fidèles brandissaient des palmes et des rameaux d’olivier. Il n’est introduit que vers le VIIIe ou le IXe siècle en Europe. Seuls les pays méditerranéens ont conservé l’emploi de l’olivier et des palmes (fig. 2). On célèbre, en ce jour, l’entrée de Jésus dans Jérusalem. Monté sur un âne, pour accomplir la prophétie messianique, il entre dans la ville où l’attend une foule qui l’acclame et agite des rameaux et des palmes. Les gens, en le voyant, étendent leurs vêtements par terre et jettent des branchages sous les pas de son âne ; il s’agit d’un ancien rituel de reconnaissance des rois qui ne doivent pas fouler le sol comme le commun des mortels. 1. Les Rameaux à Saint Florent au début du de la Corse.

a Dumenica di l’Alivu

XXe

siècle. Musée

2. Palmes et rameaux d’olivier. Casamàcciule. 3. Christ en croix. Casamàcciule. 4. Rite d’Attollite portas toujours à Casamàcciule.

Jean XII, 12-19 La grande foule venue pour la fête apprit que Jésus venait à Jérusalem ; ils prirent les rameaux des palmiers et sortirent à sa rencontre. Ils criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël ! »

Cependant, le passage où Jean décrit l’entrée de Jésus semble faire référence à la fête des Soukkoth, célébrée à l’automne. On y retrouve la trame exacte de la célébration des Rameaux : des processions identiques avaient lieu. Même la parole « Hosanna » se retrouve, elle est issue d’un psaume qu’ils récitaient à cette occasion et qui signifie : « Sauve-nous, je t’en prie ». Dans les Évangiles, rien ne précise cette date, on peut penser que lors des premières célébrations pascales, les premiers chrétiens ont sans doute voulu résumer l’ensemble de la Passion en plaçant sept

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jours avant la Résurrection l’entrée du Christ dans Jérusalem. Sept étant le nombre de la Création et de l’accomplissement. Dans les religions, la symbolique prime sur la réalité historique.

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Le jour des Rameaux semble être, dans la Semaine sainte, la cérémonie la plus lourde en réminiscences païennes, tandis que les célébrations et les « mises en scène » de la Passion sont, sans doute, plus proches du message évangélique originel. Son introduction tardive en Europe vient mettre l’accent d’ailleurs sur ce fait. L’importance donnée au végétal, brandi, promené, béni, tressé, conservé, chargé de vertus et de pouvoir, en dit long. La croix ornée d’olivier et de palme évoque l’Arbre de Vie présent dans de nombreuses religions. La croix du Christ est ici l’Arbre de Vie, l’Axis Mundi. Ces croix surchargées de végétaux assimilent le Christ et le rameau, la bouture nouvelle. L’olivier, arbre de lumière, semble être le prolongement du Crucifié (fig. 3). Au printemps, la nature s’épanouit en milliards de promesses, la vie jaillit, partout on célèbre la renaissance de la nature.

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Prete Filippi : « U ghjornu di l’olivu, ongn’acellu face un nidu ». Ce jour-là, les enfants avaient l’habitude d’aller visiter les nids des cardelline (chardonnerets). Ils repéraient les œufs, puis ils attendaient l’éclosion pour prendre un oisillon qui était mis en cage puis relâché dans le courant de l’année. 4

À cette époque de l’année, en Europe et en Méditerranée, divers rites célébraient le Renouveau : divinités feuillues, tronc d’arbre érigé comme le Mai (u maghju), etc. De nombreuses croyances liées au printemps, aux jeunes pousses à peine sorties de terre, évoquaient les cycles de la vie. D’anciennes divinités de la végétation, dont le souvenir se perpétue à l’insu des croyants, continuent d’apparaître sous d’autres traits mais porteuses toujours du même message : la vie est un cycle sans fin, de morts en renaissances. On retrouve ainsi la même façon de représenter et de croire. Le christianisme s’inscrit dans la suite de croyances et de pratiques très anciennes auxquelles il redonne une interprétation conforme aux Évangiles. On parle alors de résurrection plutôt que de renaissance,

mais c’est bien une divinité de la Végétation que l’on porte en procession, que l’on ensevelit dans le noir sépulcre, pour la voir resurgir lumineuse et renouvelée, transfigurée.

L’Attollite portas La cérémonie des Rameaux comportait un rite que l’Église actuelle n’effectue plus : celui de l’Attollite portas, « Ouvrez les portes », et qui représentait Jésus frappant à la porte de Jérusalem. Ce rituel ancien et très symbolique continue cependant d’être perpétré dans certains villages de Corse (fig. 4). Après avoir fait le tour de l’église, le prêtre s’arrêtait devant la porte fermée. Il tapait

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trois fois avec la croix contre la porte, et ce, trois fois de suite. À l’intérieur, trois hommes enfermés, faisaient une sorte de chjami è rispondi avec le prêtre, selon Simon Vinciguerra. Dans d’autres villages, seul un homme répondait au curé, il symbolisait les juifs de Jérusalem. Le prêtre disait : « Apri la porta ! Hosanna Pia ! (Ouvre la porte Hosanna Saint !) » La troisième fois, ceux qui sont enfermés dans l’église ouvrent les portes et laissent entrer la procession. Pour prete Filippi, lorsqu’il frappe la porte de l’église avec la croix, le prêtre dit : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». L’abbé Valery récite le psaume XXIII. Dans les temps, on chantait le Gloria laus et la porte de l’église s’ouvrait.

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5. Agathe Acquaviva se souvient des Rameaux d’antan à Casamàcciule. 6. Les bergers amenaient les branches d’oliviers de Balagne. 7. Jacquot Luciani. Certains bergers revenaient de la plaine pour assister au dimanche des Rameaux à Casamàcciule. 8. Palmes tressées et rameaux d’olivier.

À Rusiu, une poésie de Natalellu Sarocchi rappelle l’Attollite portas où le curé chante le Gloria laus pour faire ouvrir la porte. On la disait pour ironiser lorsque l’on tapait à la porte si celle-ci mettait du temps à s’ouvrir ou si elle ne s’ouvrait pas : Benedettu ghjunse à l’usciu Ma a porta era serrata Pichjava è chjamava forte U fratellu è a cunghjata È cantò u Gloria laus Tutta a mezza ghjornata. Un proverbe de Valle Rustie fait lui aussi référence à ce psaume. On disait aux enfants qui jouaient et qui ne voulaient pas rentrer à la maison : « T’aghju da accasà ancu senza u Gloria laus » (je vais te faire rentrer à la maison de gré ou de force).

Les Rameaux à Lozzi À Lozzi (fig. 5), dans le Niolu, on a toujours célébré le dimanche des Rameaux (l’Olivu). « Les bergers étaient à la plaine, nous explique Agathe Acquaviva, mais il y avait du monde dans le village. Il y avait surtout beaucoup d’enfants. » Les cérémonies religieuses commençaient une semaine avant par le dimanche de la Passion. Au couvent de Calacuccia, il y avait des moines qui venaient tous les après-midi à 16 heures célébrer e vèspere. Les hommes se trouvaient face à face devant l’autel pour réciter et chanter des psaumes, i psalmi, en chjama è rispondi. Ils chantaient en latin. « Quand nous étions enfants, nos parents nous obligeaient à aller aux vèspere, explique Agathe Acquaviva. On ne comprenait rien, on ne connaissait pas

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le latin, alors on avait inventé une version à nous des psaumes : “A casa mea, a casa toia, ci hè una bella cullatella, a casa mea, a casa toia, ci hè una bella falatella.” « On avait très peu de palmes pour le tressage. Il fallait aller à la plaine. C’était la même chose pour les oliviers, mais c’était plus facile car il y avait de très nombreux bergers qui impieghjavanu dans cette région riche en oliviers. Avec les mules ils ramenaient au village des sacs pleins de branches d’oliviers (e tràmule). » (fig. 6). Les fidèles commençaient par décorer l’autel (era paratu). Ils ajoutaient des palmes quand ils en avaient. « Les hommes qui étaient restés au village, se rappelle Jacquot Luciani (fig. 7), aidaient les femmes à transporter et à préparer les branches d’olivier pour la décoration de l’église. » Les palmes étaient tressées en croix (e crucette) et en forme de quenouille (e rocche). Les gens arrivaient avec leurs gerbes de rameaux d’olivier et de « crucette » (fig. 8), ou alors ils les prenaient dans l’église. Elles étaient offertes. Le curé dit quelques mots, puis il invite tout le monde à se rassembler devant la porte

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