La pierre Matière à construire contemporaine
PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013
LA PIERRE MATIÈRE À CONSTRUIRE CONTEMPORAINE Quels freins, quelles limites, et quel potentiel ? Étude sur la filière
Alice ROUX MÉMOIRE DE RECHERCHE MASTER 2 ENSAPVS - FÉVRIER 2020 ENCADRANT : Mathieu-Ho SIMONPOLI
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s’adressent à tous ceux qui, directement ou indirectement, m’ont aidée et soutenue dans la réalisation de ce travail. Je souhaite remercier en particulier Mathieu-Ho Simonpoli qui m’a accompagnée dans l’orientation et la réflexion de mes recherches, ainsi que tous ceux qui ont répondu à mes interrogations lors de leur participation aux entretiens.
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SOMMAIRE
AVANT-PROPOS INTRODUCTION PARTIE I LA PIERRE, UN MATÉRIAU DÉLAISSÉ DE LA CONSTRUCTION A. Matériau caractéristique d’une architecture passée B. L’altération d’un savoir-faire ancestral C. L’extraction de la ressource, un marché en difficulté
PARTIE II UN MATÉRIAU INCOMPATIBLE AVEC LE SYSTÈME ACTUEL A. Un matériau non-industrialisé B. Son inadaptation aux règlementations actuelles C. Le coût de la pierre, une conséquence du système global
PARTIE III LA CONSTRUCTION EN PIERRE, UN ENGAGEMENT ÉTHIQUE DE L’ARCHITECTE A. L’architecte, maître de l’intégralité du processus de conception B. Un engagement de la part de l’architecte C. La pierre, matière à construire contemporaine
CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXES Annexe 1 : Entretiens, salon Rocalia Annexe 2 : Entretien, Jean-Manuel Perraudin Annexe 3 : Visite d’usines et carrières de pierrre Annexe 4 : Journée de colloque
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AVANT-PROPOS
Originaire de Gap (fig.1), ville située au cœur des montagnes des HautesAlpes, j’ai eu la chance de grandir dans un environnement naturel qui m’a permis d’entretenir un profond rapport avec la végétation et les paysages qu’elle créée. Vivre à Paris, dans le monde de la métropole, de la vitesse et de la communication a constitué une étape importante qui n’a fait que consolider cet intérêt pour la nature. Je remarque aujourd’hui que l’environnement et son contexte ont toujours constitué des enjeux essentiels dans mes travaux et projets architecturaux. En effet, la recherche sur le développement des villes moyennes en France, effectuée lors de la réalisation du rapport de licence, a fait naître en moi de nombreuses interrogations. L’évolution de l’urbanisation des villes soulève effectivement des problèmes face aux enjeux paysagers et environnementaux actuels. Comment peut-on développer les territoires tout en préservant leurs ressources ? Quelle architecture adopter dans les espaces naturels ? C’est cette relation entre l’architecture et le contexte dans laquelle elle s’insère qui me semble fondamentale dans le travail de l’architecte.
Mon année d’échange universitaire au Mexique et les voyages qui l’ont accompagnée, constituent également des événements marquants dans mon apprentissage puisqu’ils n’ont fait que multiplier mes questionnements. La découverte d’une multitude de paysages naturels ainsi que d’une architecture ancrée dans la tradition, m’ont particulièrement touchées. Lors de la traversée du fleuve du Rio Dulce, au Guatemala (fig.2), l’observation des toits constitués en feuille de palmiers, de la structure en bois parfaitement intégrée à la nature du lieu, de l’omniprésence de l’eau à l’intérieur de la construction, m’a fascinée. J’ai pris conscience de la force, de l’énergie et de la beauté que possède l’architecture locale : une architecture où ressource, matérialité et environnement ne font qu’un.
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Figure 1. Vue de Gap avant 1938 [CAUE 05, consultable sur https://www. caue05.com/suivi-photo/gap]
Figure 2. Maison traditionnelle au bord du Rio Dulce, Guatemala [Internet,
consultable
sur
https://
tropicaldiscovery.com]
Figure 3. Festival Bellastock 2017 « La ville 1. des terres » avant 1938 Figure Vue de Gap [PIEL Thibaut, 2017, Paris, consultable sur
[CAUE 05, consultable sur https://www.caue05.com/suivi-photo/gap ]
https://www.bruzklyn-labz.com/]
Figure 2. Maison traditionnelle au bord du Rio Dulce, Guatemala [Internet, consultable sur https://tropicaldiscovery.com] Figure 3. Festival Bellastock 2017 « La ville des terres » [PIEL Thibaut, 2017, Paris, consultable sur https://www.bruzklyn-labz.com/]
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Enfin, j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage au sein de l’association Bellastock, qui propose de concevoir des lieux en présentant des alternatives à l’acte de construire.
Son action repose principalement sur le réemploi de
matériaux grâce à la mise en place d’une économie circulaire. L’association a également pour objectif de diffuser une nouvelle culture architecturale en organisant chaque année, un festival d’architecture expérimentale ouvert à tous (fig.3). Participer à l’organisation de cette ville éphémère a été très enrichissant et m’a permis de mettre en pratique les connaissances théoriques inculquées tout au long de mon cursus à l’école. L’expérimentation à échelle 1:1, l’utilisation de déchets comme matériaux pour construire et la recherche de solutions techniques en équipe, m’ont appris à penser l’architecture différemment. J’ai compris que la ressource matérielle pouvait constituer le fondement du projet architectural et permettait, grâce à une mise en œuvre adaptée, de fabriquer de véritables lieux.
Ces multiples expériences ont façonné mon regard jusqu’aujourd’hui et me poussent désormais, à questionner le rôle de la matière dans la conception architecturale. Profondément liée à son territoire, elle semble constituer une ressource de qualité pour l’architecte car elle lui permet de produire une architecture raisonnée et contextualisée, répondant aux enjeux économiques, mais également sociaux et écologiques actuels. En effet, la crise écologique que connaît notre planète, traduite par la diminution de la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles, la pollution et les changements climatiques, est devenue un sujet majeur qui touche tous les niveaux de notre société. L’impact environnemental du secteur de la construction étant considérable, il semble nécessaire d’initier une évolution dans nos modes de penser en essayant de construire durablement, de manière à intégrer les contraintes liées à l’environnement et au fonctionnement de la société contemporaine.
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Si cet avant-propos était une manière d’exprimer mes motivations sur ce sujet, il permet aussi d’introduire l’élément principal de cette recherche, la pierre. Matériau naturel présent depuis toujours dans nos paysages, elle est une ressource encore disponible sur le territoire. Paris est une empreinte conséquente de son utilisation dans l’architecture : en effet, la pierre est ancrée dans l’histoire de la ville puisqu’elle a permis de construire la plupart de ses bâtiments. Sa présence dans le sol de la capitale et ses alentours, en font, un sujet de recherche idéal, à l’heure où la métropole ne fait que s’agrandir. C’est à partir de l’étude de ce matériau et de la filière pierre en France que j’ai articulé ce mémoire et avec pour objectif de découvrir sa mise en œuvre, son potentiel et ses limites dans la construction de nos futurs territoires.
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INTRODUCTION Si la pierre demeure un matériau ancestral, cette ressource naturelle présente sous nos pieds, se trouve aujourd’hui, au cœur du débat architectural. Plusieurs évènements à ce propos se sont effectivement déroulés en France, au cours de ces dernières années et m’ont permis d’entrer progressivement dans le sujet. Le Pavillon de l’Arsenal, centre d'information, de documentation et d'exposition d'Urbanisme et d'Architecture de Paris et de la métropole parisienne, a mis en avant le matériau pierre en 2018, lors d’une exposition « Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau ». L’équipe du Pavillon de l’Arsenal et l’agence d’architecture Barrault Pressacco, commissaire scientifique de la recherche, souhaitaient promouvoir le matériau et son utilisation afin de rappeler qu’elle constitue « la matière première de Paris : son sol de craie et son histoire calcaire »1. En démontrant son caractère vertueux face aux enjeux climatiques actuels, l’exposition proposait de présenter tout d’abord la ressource ainsi que ses fondements. Comme se plaît à le dire Gilles Perraudin, « La Terre est pierre »2. En effet, la pierre fait partie des ressources naturelles de notre planète puisqu’elle constitue la totalité du socle terrestre. Par définition, on nomme « pierre », la « matière minérale solide plus ou moins dure que l’on rencontre en masses compactes à la surface et à l’intérieur du sol »3. On la retrouve donc sur tous nos territoires et elle représente une ressource illimitée pour l’homme puisque sa production se réitère constamment : les processus de formation des roches sont en effet continus quel que soit le type de matière. Celles dites « sédimentaires », par exemple, proviennent de l’accumulation de sédiments formés dans les fonds marins.
Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018, p.1 2 L’Architecture d’aujourd’hui. 2017, n°417 p. 40 3 Définition de « pierre », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/pierre> 1
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On y retrouve le calcaire, le sable, le grès, l’argile, le gypse, la marne, etc., tandis que les roches magmatiques résultent quant à elles, de la cristallisation d’un magma fondu dans les profondeurs de la Terre telles que les granites, les diorites et les gabbros, ou à la surface de la Terre lors des éruptions, comme les basaltes, les trachytes ou encore les andésites. Enfin, les roches métamorphiques sont issues de la transformation des précédentes sous l’action d’une augmentation plus ou moins importante des températures et pressions auxquelles elles ont été soumises. Dans les trois cas, la roche est véritablement transformée et se renouvelle au cours du temps. Elle possède « un cycle de vie très lent et très long en comparaison à celui de l’homme »4, qui s’exprime à l’échelle de dizaines de millions d’années. En effet, la pierre, que nous connaissons aujourd’hui pour ses qualités dans l’architecture, est un matériau ancestral, qui a parcouru des millénaires et qui garde en lui, la trace du temps. Déjà présente à la Préhistoire, elle n’a cessé d’évoluer et de se diversifier à travers les époques. Les premiers témoignages de son utilisation datent de l’âge de pierre. Constitués à base de silex, « une roche siliceuse dure »5, les premiers outils apparaissent en pierre taillée puis polie. Se dressent ensuite, un peu partout dans le monde, les menhirs et dolmens. Développées durant la période néolithique, ces structures en pierre montrent l’évolution des populations et témoignent des premières formes d’architecture de notre ère. Puis, c’est en Egypte antique, que le premier édifice en pierre est construit. Edifiée vers -2 600 avant J-C à Saqqarah par Imhotep, architecte du roi, cette pyramide est précurseur des différentes constructions destinées aux sépultures des pharaons qui se construiront par la suite. Le développement progressif des civilisations génère peu à peu des évolutions dans la construction et c’est au cours de l’antiquité grecque et romaine que son usage se développe avec l’apparition des « temples, basiliques, théâtres, cirques, hippodromes, ouvrages d’art »6.
BIGAS, Jean-Philippe, MARTINET, Gilles, Pierre et patrimoine : Connaissance et conservation, Préface de PERROT, Alain-Charles, Ed. Actes Sud, 2009, p.9 5 Définition de « silex », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/silex> 6 BIGAS, Jean-Philippe, MARTINET, Gilles, Pierre et patrimoine : Connaissance et conservation, Préface de PERROT, Alain-Charles, Ed. Actes Sud, 2009, p. 39 4
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Le Moyen-Age et l’édification de nombreuses abbayes, comme celle du Thoronet dont parle Fernand Pouillon dans Les pierres sauvages7, représente également une période importante dans l’histoire de la pierre puisqu’elle exprime admirablement la force et la beauté du matériau. A la suite du renouvellement de la société médiévale, durant la Renaissance, les monarques utilisent l’architecture pour montrer leur puissance : la pierre devient un moyen et une preuve de pouvoir grâce à l’essor de l’ornementation. En France, le métier de tailleur de pierre naît afin de créer des structures complexes comme les voûtes, et permet ainsi l’édification des cathédrales monumentales. Il montre l’évolution des techniques et donne à la pierre son caractère noble et sophistiqué. C’est ensuite durant l’époque classique que son utilisation s’accroît de nouveau : l’ouverture de plusieurs carrières autour de Paris favorise son essor dans le monde du bâtiment et elle devient un symbole des constructions de cette période, notamment grâce aux travaux d’Haussmann. Grâce à son titre de Préfet de la Seine8, il définit de nouvelles règles urbaines pour la ville de Paris, afin d’y apporter hygiène et modernité. L’immeuble haussmannien en pierre, au style unifié, clair et rectiligne, en est l’expression architecturale et sera décliné dans toute la ville par les architectes de l’époque. Majoritaire jusqu’en 1945, la pierre va être progressivement concurrencée par d’autres matériaux notamment à cause de la modernisation des transports et du développement des nouvelles techniques industrielles. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec l’essor de l’industrialisation, qu’elle va disparaître du paysage architectural. Fernand Pouillon, attaché à une vision classique de l’urbanisme, est un des seuls architectes à choisir ce matériau pour la construction d’ensembles de logements. En rationalisant le processus de fabrication et la mise en œuvre de la pierre, il assemble des blocs prétaillés aux dimensions répétitives et optimisées et prouve qu’elle peut être un matériau économique, local et moderne dans l’architecture de la reconstruction.
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POUILLON, Fernand, Les pierres sauvages, Paris : Ed. du Seuil, 2006, 285 p. Actuellement, Préfet de Paris
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Carrière Violet, Nogent-sur-Oise, Oise
Figure 4. La matière pierre Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, Figure2018 4.
[Photo personnelle]
photo : Giaime Meloni
Il la considère surtout comme un matériau vivant et la personnifie : « Elle est pour moi comme un loup mâle, noble et courageux, aux flancs creux, couvert de blessures, de morsures et de coups. Elle sera toujours ainsi, même bien rangée sur ses assises horizontales, domestiquée dans les efforts des voûtes […] convertie à l’ordre, elle restera aussi belle qu’une bête sauvage au poil hérissé »9, écrit-il. Marquée par les différentes phases de l’histoire, l’utilisation de la pierre est passée de la simple transformation en outil, à une mise en œuvre précise au sein d’édifices monumentaux. Son évolution n’est donc pas achevée puisque, comme le dit l’architecte Alain-Charles Perrot, « loin d’être un élément inerte, la pierre renferme en elle force, énergie et vibration. Elle présente de multiples caractéristiques que nous définissons aujourd’hui par une approche scientifique, et en possède certainement beaucoup d’autres qui restent à découvrir »10.
POUILLON, Fernand, Les pierres sauvages, Paris : Ed. du Seuil, 2006, p.235 BIGAS, Jean-Philippe, MARTINET, Gilles, Pierre et patrimoine : Connaissance et conservation, Préface de PERROT, Alain-Charles, Ed. Actes Sud, 2009, p.9
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Sa représentation dans l’exposition au Pavillon de l’Arsenal a d’ailleurs permis d’explorer ses différentes utilisations à travers l’analyse de projets contemporains et a choisi de mettre en avant le travail d’un architecte français qui depuis déjà de nombreuses années, est considéré comme l’ambassadeur de la pierre. En effet, Gilles Perraudin défend ce matériau et vante son utilisation dans la construction contemporaine. Cet architecte engagé cherche à exprimer les qualités du matériau à travers ses différents projets. Il souhaite mettre en avant les « vertus environnementales »11 incroyables de cette ressource qui ne cesse de se renouveler. A l’heure où les enjeux du climat dominent, la construction en pierre semble « offrir une réponse locale, naturelle, fondée et éprouvée »12. Effectivement, elle se démarque nettement des autres matériaux car possède une qualité première : celle de ne nécessiter aucune transformation lors de sa mise en œuvre dans la construction. La découpe représente sa seule modification et lui permet d’être une alternative pertinente pour la construction à faible empreinte carbone13. En plus de sa performance au niveau des émissions de gaz à effet de serre, la pierre se trouve être un matériau recyclable. Rigide et pérenne, elle ne se détériore que très peu au cours du temps et peut être utilisée plusieurs fois dans différentes situations. Ses capacités techniques représentent également des atouts primordiaux pour son utilisation. En effet, sa bonne inertie thermique permet d’éviter les surchauffes des espaces en été et participe au confort global du bâtiment alors que sa résistance à la compression lui permet de se propulser presque au même rang que le béton. Enfin, à travers sa mise en œuvre, cette matière réussit à produire une architecture puissante et sensible, qui nous remplit d’émotions lorsqu’elle est en harmonie avec l’identité du lieu.
PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.15
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12 Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018, p.1 13 « L’empreinte carbone représente la quantité de gaz à effet de serre induite par la consommation des ménages, les administrations publiques, les organismes à but non lucratifs, les investissements », définition de « empreinte carbone », site de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, consultable sur <https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/>
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Pour toutes les raisons évoquées, la pierre semble ainsi constituer le matériau idéal de l’architecture de demain. Gilles Perraudin l’exprime d’ailleurs très justement : « A l’heure où les ressources énergétiques se raréfient et alors que la pierre a fait ses preuves pendant des millénaires, on comprend mal pourquoi elle ne serait pas LE matériau du futur »14. Cependant, la réalité est toute autre et la pierre ne fait plus vraiment partie de la culture architecturale actuelle. A la différence du bois, de l’acier ou du béton, la pierre est absente des programmes d’enseignement des écoles d’architecture. Le manque de communication à son sujet et son absence dans le paysage architectural contemporain sont ainsi à l’origine de mon questionnement. Par conséquent, je souhaiterais comprendre pourquoi la pierre, matériau aux qualités prouvées, prend-elle une place si faible dans les projets actuels ?
L’idée de ce mémoire sera de montrer les éléments responsables de l’absence de ce matériau du contexte contemporain et ainsi comprendre sa disparition du paysage architectural. L’étude de la pierre est marquée par de nombreux travaux orientés principalement sur son aspect écologique et ses qualités pour l’architecture de demain. L’analyse des éléments qui prouvent son inutilisation actuelle demeure encore peu inexplorée. Ainsi ce mémoire tente de retracer le parcours de pierre dans les différentes phases de l’histoire de l’architecture mais également le parcours de la matière au matériau en explorant son processus d’extraction et de transformation. Ce travail est également l’occasion d’étudier les évolutions des modes de construction suite aux évènements historiques importants qui ont transformé la société.
PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.16
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La démarche suivie pour ce travail est divisible en plusieurs étapes. L’enjeu fut d’abord d’évaluer l’intérêt de la recherche et sa possibilité de réalisation. Pour ce faire, la lecture de différents ouvrages, en lien avec le sujet, a permis de délimiter un axe de réflexion à l’étude. Cette première étape a permis de maîtriser les éléments clés afin de définir une problématique et d’entamer la construction d’un plan provisoire. Ensuite, la visite en décembre au salon Rocalia, salon de la pierre naturelle à Lyon, a constitué une source de réponses directes à mes questionnements. En effet, les entretiens effectués avec les différents acteurs de la filière, ainsi que la participation à de nombreuses conférences sur le sujet m’ont permis d’obtenir des avis divergents ou contradictoires sur la manière d’appréhender le matériau et d’en distinguer les divers freins. A la suite de ce salon, l’opportunité d’interroger Jean-Manuel Perraudin, directeur de l’Atelier Perraudin, agence majeure en France dans la construction en pierre, a permis de conforter ma réflexion mais a également permis d’aborder de nouvelles problématiques par rapport au sujet de la recherche.
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Figure 5. La pierre, matériau peu utilisé dans l’architecture contemporaine Figure 5. La pierre, matériau peu utilisé dans l’architecture contemporaine [Reproduction personnelle] [Reproduction personnelle]
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Par ailleurs, la participation au colloque « Construire en pierre naturelle » organisé en janvier à l’école d’architecture de Paris Belleville a constitué un événement marquant dans mon travail puisqu’il m’a permis d’assister à une conférence de Gilles Perraudin, riche en informations sur les difficultés actuelles liées à l’utilisation de la pierre massive en architecture. Enfin, la journée de visite de carrières et d’usines de transformation réalisée grâce à l’entreprise Pierres de Paris, m’a permis d’appréhender l’essence-même du matériau et de mieux comprendre le fonctionnement global du marché de l’extraction de la matière. Cette immersion au cœur de la filière a été nécessaire afin de comprendre le fonctionnement global du marché de la construction en pierre. En effet, les différentes prises de contact avec les acteurs de la filière ont fait naître une réflexion globale et précise sur les éléments impactant l’utilisation de ce matériau dans l’architecture contemporaine. Faire le lien entre recherches documentaires, littéraires, conférences, entretiens et visites, a été une démarche importante pour la réalisation de ce mémoire, qui a confirmé et je l’espère, de manière convaincante, l’intérêt de cette étude.
De ces nombreuses étapes préliminaires, résulte cette problématique : face à quelles limites, l’architecture en pierre massive se heurte-elle aujourd’hui en France ? Pour y répondre, il convient de procéder en trois temps. En premier lieu, l’étude de la place de la pierre dans la construction, dans l’enseignement mais également dans la réflexion commune permettra de mieux comprendre son absence du paysage architectural actuel. A cette première partie succèdera une analyse de l’évolution du marché de la construction en France ainsi que des éléments caractéristiques du matériau qui le rendent incompatible avec le système actuel. Enfin, la dernière partie de ce mémoire sera consacrer à l’étude du métier d’architecte, son évolution au fil du temps, ainsi que le rôle particulier qu’il tient dans la construction en pierre naturelle.
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PARTIE I
LA PIERRE, UN MATÉRIAU DÉLAISSÉ DE LA CONSTRUCTION « La pierre n'a point d'espoir d'être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s'assemble et devient temple. » Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, Ed. Gallimard, 1948, 568 p.
La pierre est une ressource naturelle peu connue du monde de la construction contemporaine car trop souvent considérée comme un matériau du passé. Plus que tout autre matériau de construction, elle est sans doute celui qui incarne le mieux la notion de patrimoine monumental. Constituant privilégié des édifices des siècles passés, elle s’est vu dépasser progressivement par les matériaux apparus au cours des cinquante dernières années. En effet, le savoir-faire millénaire lié à son utilisation tend à disparaître progressivement et la filière pierre ne constitue désormais plus qu’une petite part du marché de la construction contemporaine. Ainsi, cette partie analysera avant tout la façon dont les éléments caractéristiques propres au matériau et l’art de sa mise en œuvre ont constitué une architecture singulière et monumentale au cours du temps. L’analyse des formations liées au travail de la pierre permettra ensuite de mettre en avant l’absence de main d’œuvre compétente et la faiblesse de l’enseignement lié à l’emploi de ce matériau dans l’architecture contemporaine. Enfin, l’étude approfondie de son processus d’extraction, à l’origine de sa production, permettra de prendre conscience de sa situation difficile au sein du marché de la construction contemporaine.
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A. Matériau caractéristique d’une architecture passée
La pierre, matière naturelle extraite du sol se transforme en matériau lorsqu’elle « entre dans la construction d’un objet fabriqué »15. Cette matière, définie selon les Beaux-Arts comme « ce que l’artiste façonne pour réaliser son œuvre »16, devient ainsi matériau et acquiert des propriétés singulières qui expliquent sa mise en œuvre spécifique dans l’architecture. En effet, étudier les caractéristiques mécaniques et physiques de la pierre permet de mieux comprendre son utilisation mais également son lien avec le patrimoine architectural français. Depuis son origine, la pierre est réputée pour résister aux épreuves du temps. Elle est souvent ce qui reste des édifices anciens. L’histoire récente de NotreDame, a prouvé une fois de plus sa solidité et sa constance face aux évènements imprévisibles de la vie. Sa massivité constitue ainsi sa première caractéristique puisque l’on utilise le terme de « pierre massive » afin d’exprimer sa disposition en blocs d’épaisseur supérieure à 60 cm17. Effectivement, un élément « massif » correspond par définition, à ce « qui est fait de pleine matière, sans parties creuses et sans parties rapportées ou plaquées ; qui est lourd, pesant, solide »18. L’assemblage d’éléments massifs en pierre se pratique depuis l’édification des premières habitations et tient une place importante dans l’architecture puisqu’il lui a permis de créer des bâtiments résistants. Cet art, permettant la mise en œuvre de la pierre dans la construction, est celui de la maçonnerie : « on désigne sous le nom de maçonnerie, un ouvrage quelconque composé de pierres naturelles ou artificielles plus ou moins grosses, reliées ensemble par du mortier
Définition de « matériau », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/matériau> 16 Définition de « matière », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/matière> 17 BASILE Antoine, Recomposer avec la pierre : Symboles, intérêt et potentialités de la pierre massive dans l'architecture contemporaine, Mémoire de recherche Master, Paris : Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val-de-Seine, 2018, 103 p. 18 Définition de « massif », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/massif> 15
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de chaux, du de la terre, etc.moins ou simplement poséesensemble à sec en liaison unes naturelles ouplâtre, artificielles plus ou grosses, reliées par dules mortier de chaux, deDifférentes la terre, etc.techniques ou simplement posées à secexistent en liaison unes aux autresdu»19plâtre, (fig.6). de construction enles effet et auxnécessitent autres »19 (fig.6). Différentes techniques effet et ne pas toujours de mortier. Pourde la construction construction existent en pierreenmassive, les éléments en doivent être Pour entièrement préfabriqués, c’est-à-dire ne nécessitent paspierre toujours de mortier. la construction en pierre massive, préalablement être taillés les ateliers des carriers.c’est-à-dire Ce dessin les éléments dessinés en pierrepour doivent être dans entièrement préfabriqués, préalablement dessinés pour être taillés dans les ateliers carriers. Ce dessin de préfabrication appelé « calepin d’appareil » oudesplus généralement préfabrication « calepin d’appareil » du ou module plus de généralement «decalepinage » (fig.7), appelé est élaboré par l’architecte à partir pierre initial « calepinage estétape élaboré l’architecte à partir du module de pierre initial et constitue la» (fig.7), première dupar processus de construction du mur. et constitue la première étape du processus de construction du mur.
Figure 6. Deux types de maçonnerie [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paristypes : Les presses du Réel, 2013] Figure 6. Deux de maçonnerie [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
Figure 6. Deux types de maçonnerie
Figure 7. Exemple de calepinage [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui,
Figure 7. Exemple depresses calepinage Paris : Les du Réel, 2013]
Figure 7. Exemple de calepinage [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui,
[PERRAUDIN, Gilles, Construire en
Paris : Les presses du Réel, 2013]
pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
CLAUDEL, J., LAROQUE, L., Pratique de l’art de construire, Troisième édition, revue et considérablement augmentée, Paris : Ed. Dunod, 1865, p.15 19
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Figure 8. Principe de maçonnerie [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
1. Humidification de la pierre 2. Pose sur lit de mortier 3. Guidage pour mise en place 4. Premiers réglages 5. Usages de cales en bois 6. Ajustage vertical de la pierre 7. Ajustage avec les cales en bois 8. Garnissage des joints extérieurs 9. Remplissage des joints verticaux
Figure 9. Capacité portante d’un mur en pierre en fonction de son épaisseur et de sa hauteur [LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011]
Figure 8. Principe de maçonnerie [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
Figure 9. Capacité portante d’un mur en pierre en fonction de son épaisseur et de sa hauteur [LAURENT,
Jean-Paul,
Construire
en
pierre massive, guide technique, 2011]
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La pierre est ensuite délicatement posée sur un fin lit de mortier de chaux et stabilisée en veillant à respecter les alignements de celle-ci sur l’ensemble du mur. Afin d’ajuster le positionnement de la pierre, des cales en bois sont mises en place jusqu’au garnissage des joints.
Ce remplissage s’effectue de deux
manières : soit par l’ajout d’une couche de mortier collée sur la face verticale à la pose, soit en remplissant la jointure entre les pierres à l’aide de coulis de mortier (fig.8). Le respect de ce processus assure une mise en œuvre correct de la pierre. Le mortier de pose ne joue ici aucun rôle dans la stabilité de l’édifice et assure simplement l’étanchéité à l’air et à l’eau de la structure. Un mur peut également être monté à sec afin de réduire le temps de construction, mais dans tous les cas de figure, le croisement des joints verticaux et le poids propre des pierres permettront de garantir sa stabilité. Afin d’en assurer la cohésion, il est ainsi nécessaire de décaler les pierres à chaque rang de pose. Ce processus d’empilement qui fonctionne par gravité exprime une des principales spécificités structurelles du matériau : son importante résistance aux forces de compression. En effet, la construction en pierre massive se rapporte souvent à des proportions trapues, qui assurent force et robustesse aux structures car, plus un mur en pierre est bas et épais, plus il sera résistant, et inversement, plus il est haut et fin, plus il sera susceptible de faiblir face aux charges (fig. 9). Jusqu’à l’introduction récente de méthodes de simulations informatiques pour les structures en maçonnerie, l’emploi des matériaux en compression était considéré comme la seule manière pertinente de construire. Ainsi, pendant plus de 10 000 ans, l’utilisation des matériaux en compression a été si importante qu’elle a déterminé la forme des constructions. Les mégalithes de Stonehenge (fig.10), les pyramides de Gizeh (fig.11) ou encore le Parthénon à Athènes (fig.12) constituent, par exemple, des expressions fortes de cette syntaxe constructive. La pierre représente ainsi un composant essentiel des grandes catégories d’édifices qui ont marqué l’histoire de l’architecture. La régularité générée par son travail géométrique rigoureux a en effet permis de concevoir une architecture rationnelle caractéristique des édifices antiques, médiévaux et classiques. Son expression souvent stricte et parfois austère évoluera ensuite grâce à l’apparition progressive de la stéréotomie. 27
Figure 10. Les mégalithes de Stonehenge [Internet, consultable sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Stonehenge ] Figure 10. Les mégalithes de Stonehenge [Internet, consultable sur https:// fr.wikipedia.org/wiki/Stonehenge ]
Figure 11. Les pyramides de Gizeh [Internet, consultable sur https:// fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_de_Gizeh]
Figure 12. Le Parthénon à Athènes [Internet, consultable sur https://www.
Figure 11. Les editorchoice.com/iconic-buildings/]
pyramides de Gizeh [Internet, consultable sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_de_Gizeh ]
Figure 13. Exemple d’une planche de dessin technique [Internet,
consultable
sur
http://www.atelier-st-thomas.com/
Figure 12. Le Parthénon à Athènes [Internet, consultable sur competences-taille.html]
https://www.editorchoice.com/iconic-buildings/]
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Ce terme, qui correspond à la « science de la taille et de la coupe des matériaux de construction, en particulier la pierre »20, provient du grec stereos, qui signifie solide et tomia, couper. On comprend littéralement qu’il s’agit de « couper dans la masse ». Pratiquée depuis le XIIe siècle, la stéréotomie se développe grâce au travail du mathématicien français Gaspard Monge. Il invente en effet la géométrie descriptive, une méthode graphique permettant de résoudre les problèmes d’angle, de positions, d’ombres et d’intersections entre les volumes et les surfaces aux trois dimensions. Il réunit ainsi les différentes règles de la stéréotomie dans un traité qui permettra ensuite aux tailleurs de pierre de projeter leurs réalisations et développer des structures plus complexes telles que les voûtes, les encorbellements, les escaliers ou les sculptures (fig. 13). Ces nouveaux éléments favoriseront la réalisation de franchissements plus importants, auparavant impossible avec la maçonnerie, et apporteront ainsi légèreté à la pierre dans l’édifice. Le recours au dessin technique donnera un nouvel élan à l’architecture de l’époque en introduisant une nouvelle manière de construire : celle d’une conception architecturale basée sur la réflexion et le dessin de l’assemblage des éléments avant même le commencement du chantier. L’importante rigueur nécessaire au travail d’appareillage, de calepinage mais également nécessaire aux calculs des structures, au dessin des détails et à la découpe précise de la pierre, permettra l’édification de bâtiments monumentaux.
Figure 13. Exemple d’une planche de dessin technique [Internet, consultable sur http://www.atelier-st-thomas.com/competences-taille.html]
Définition de « stéréotomie », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/stéréotomie> 20
29
Figure 14. Abbaye du Thoronet [Internet, consultable sur http://www.le-thoronet.fr/en/] Figure 15. Cathédrale Notre-Dame de Paris [Internet, consultable sur
Figure 14.https://www.panoramadelart.com/notre-dame-de-paris] Abbaye du Thoronet [Internet, consultable sur http://www.le-thoronet.fr/en/]
Figure 16. Immeuble Haussmannien [Internet, consultable sur Figure 15. Cathédrale Notre-Dame de Paris https://www.travauxlib.com/architecture/styles-architecturaux/] [Internet, consultable sur https://www.panoramadelart.com/notre-dame-de-paris]
Figure 16. Immeuble Haussmannien [Internet, consultable sur https://www.travauxlib.com/architecture/styles-architecturaux/]
En effet, la pureté et la simplicité de l’Abbaye du Thoronet (fig. 14) est un exemple du pouvoir spirituel de ce matériau et traduit honnêtement l’exercice des moines cisterciens, voués à l’isolement, la pauvreté et le travail manuel. La pierre exprime sa spiritualité d’une autre manière dans la cathédrale de Notre-Dame (fig. 15), où le détail et l’ornementation sont omniprésents. Son utilisation dans la construction des immeubles haussmanniens (fig. 16) mêle quant à elle, clarté, rigueur et ornement, et constitue une représentation plus rationnelle de son travail. Que ce soit dans la construction d’édifices religieux, militaires ou même de logements, la pierre a montré ses nombreuses qualités au fil du temps. Désormais protégés pour la plupart par l’appellation de monuments historiques, ces bâtiments constituent des preuves évidentes de l’importance, de la noblesse et de la permanence de la pierre dans l’histoire de l’architecture. Trop souvent rattachée à sa valeur patrimoniale, le savoir-faire ancestral lié à son utilisation tend d’ailleurs à disparaître des pratiques de la construction. Ce manque de connaissance du travail de la pierre, qui se distingue particulièrement dans l’analyse de la formation de la filière, constitue « un réel frein à son utilisation »21.
COMBERNOUX, Bruno, responsable de l’Institut Supérieur de Recherche et de Formation aux Métiers de la Pierre, Les compagnons du devoir, entretien, 03 décembre 2019
21
30
B. L’altération d’un savoir-faire ancestral
« La construction en pierre se caractérise par une organisation et des règles de l’art exigeantes »22. Il est vrai que pour mener à bien des projets en pierre, chaque technique et chaque corps de métier est précieux. Le savoir-faire, défini par la « pratique aisée d’un art, d’une discipline, d’une profession, d’une activité suivie ; habileté manuelle et/ou intellectuelle acquise par l’expérience, par l’apprentissage »23, constitue un élément essentiel du travail de la pierre. Il se transmet de génération en génération depuis des millénaires et se rattache à une longue tradition et des spécificités diverses suivant ses origines. Si les techniques et les outils évoluent progressivement, les savoir-faire eux, restent inchangés et sont nécessaires à la mise en œuvre correcte du matériau. Le tailleur de pierre par exemple, doit comprendre la pierre et s’en imprégner afin d’adapter ses méthodes de travail à chaque projet. Mais de tout temps, il devra dessiner les formes de l’élément à tailler dans une épure et devra suivre ces tracés en contrôlant précisément la force de chaque impact lors de la réalisation des « défoncés » et de la taille de la pierre.
Une formation limitée au patrimoine Les organismes de la filière pierre tentent de développer un large choix de formations afin de faire perdurer au mieux ces techniques héritées de nos ancêtres. En effet, elle regroupe aujourd’hui les métiers de la pierre et de la restauration du patrimoine bâti à travers les professions de tailleur de pierre, de marbrier du bâtiment et de la décoration, de graveur, sculpteur, maçon, murailler, émailleur sur lave ou encore géologue. Cette offre de formation assez diversifiée, ne représente en fait que 4 organismes, à l’origine de seulement 42 formations au total en France (fig. 17).
Fédération Française du Bâtiment, Matériaux naturels, Redécouvrir la pierre [en ligne], Paris, consultable sur <https://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-dubatiment/laffb/mediatheque/batimetiers.html?ID_ARTICLE=789> 23 Définition de « savoir-faire », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/savoir-faire> 22
31
Figure 17. Offre de formation suivant les partenaires [Reproduction personnelle, Pierre Actual, n°987, novembre 2019] Figure 17. Offre
de formation suivant les partenaires [Reproduction personnelle, Pierre Actual, n°987, novembre 2019]
+ TABLEAU
Figure 18. Evolution des effectifs dans
Figure 18. Evolution des effectifs dans les formations [Reproduction personnelle, Pierre les formations [Reproduction personnelle, Actual, n°987, novembre 2019] Pierre Actual, n°987, novembre 2019]
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De plus, les effectifs tendent à diminuer d’années en années dans la majorité des branches de la filière. En 2012, 1 048 élèves ont été recensés dans les formations aux métiers de la pierre, contre seulement 748 en 2018 (fig. 18). Malgré tout, de nouveaux cursus se développent depuis 2017 tels que l’intervention sur patrimoine bâti ou la géologie appliquée, et permettent de maintenir l’intérêt pour la filière. Si la filière pierre regroupe une importante diversité de professions, elle ne semble pas vraiment formée à sa base. Tout semble désormais concentré sur l’aspect patrimonial de la pierre (fig. 17). Les différents acteurs de la filière l’affirment également : « la restauration/rénovation est l’activité la plus dynamique aujourd’hui »24. Cependant, dans toutes les branches de la filière, trouver de la main d’œuvre compétente est désormais devenu complexe. L’incendie qui a touché NotreDame l’année dernière, constitue une preuve parfaite de la nécessité de continuer à former des ouvriers qualifiés pour les métiers de la pierre. Le manque de main d’œuvre que constate le responsable de l’entreprise des carrières du Sud, se généralise malheureusement dans la totalité de la filière où nombreux acteurs affirment qu’il existe « peu de personnel qualifié sur le marché » et un « manque de candidats »25 évident. Didier Esselin, inspecteur de l’Education Nationale, confirme d’ailleurs la baisse considérable des salariés expérimentés26 ainsi que le réel besoin en compétences des entreprises de la filière. Bruno Combernoux, responsable de l’Institut Supérieur de Recherche et de Formation aux Métiers de la Pierre, ajoute enfin : « la compétence existe toujours, mais forcément, si on construit moins, un jour elle va se perdre… En même temps, aujourd’hui les entreprises ont besoin de main d’œuvre compétente sur des sujets spécifiques »27. Ce paradoxe exprime parfaitement la difficulté que rencontre la filière pierre actuellement. Les projets liés à son utilisation se font tellement rares, que la main d’œuvre disponible et compétente n’existe plus.
CARGI, Claude, « La filière pierre en plein boom ! », dans Pierre Actual, n°987, novembre 2019, p.16 Ibid. p.26 26 ESSELIN Didier, La valorisation de la pierre naturelle, conférence, 04 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle 27 COMBERNOUX, Bruno, responsable de l’Institut Supérieur de Recherche et de Formation aux Métiers de la Pierre, Les compagnons du devoir, entretien, 03 décembre 2019 24 25
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Son absence des écoles d’architecture et d’ingénieurs Cette diminution des projets architecturaux en pierre relève sans doute de problèmes plus généraux, qu’il faut analyser par le travail et la formation des autres acteurs de la construction tels que les architectes et les ingénieurs. En effet, leur manque de connaissance au sujet de ce matériau est significatif pour la filière car il constitue une des causes de l’absence de constructions contemporaines en pierre. Dans les écoles d’ingénieurs par exemple, les étudiants ne sont plus habilités à calculer une paroi thermique pour la pierre. Elisabeth Polzella, architecte et ancienne chef de projet de l’agence de Gilles Perraudin, raconte que lorsqu’elle enseignait aux ingénieurs de cinquième année, ils assuraient n’avoir jamais eu de cours sur le matériau : « on ne nous a jamais parlé de pierre et on ne nous a jamais appris à calculer des constructions autres qu’en béton »28. Il en est de même pour nous, élèves en architecture, qui n’avons jamais étudié spécifiquement ce matériau. Ce manque de formation équivoque s’explique « finalement parce que peu d’architectes travaillent la pierre, tout simplement »29. L’absence d’acteurs compétents dans le domaine représente ainsi un réel problème pour sa démocratisation. Cette réalité de l’enseignement du travail de la pierre ne trouve aujourd’hui que peu d’issues et témoigne d’une réelle ignorance des étudiants face aux questions constructives, notamment en école d’architecture. Lors d’une discussion avec Jean-Manuel Perraudin, actuel enseignement en architecture, il confirme la difficulté d’aborder la construction dans les écoles et explique que la pierre révèle certaines failles : « on ne peut pas construire en pierre si on ne sait pas construire »30. En effet, l’utilisation de ce matériau implique inévitablement une connaissance précise du projet et de sa mise en œuvre. Cette « phase d’étude, de façonnage et de mise en œuvre »31 concrète du matériau à travers le dessin de
28 POLZELLA Elisabeth, Construire en pierre : plus de matière grise pour moins d’énergie grise, conférence, 03 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle 29 PERRAUDIN Jean-Manuel, directeur général Atelier Architecture Perraudin, entretien, 07 janvier 2020 30 Ibid. 31 Fédération Française du Bâtiment, Matériaux naturels, Redécouvrir la pierre [en ligne], Paris, consultable sur <https://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-dubatiment/laffb/mediatheque/batimetiers.html?ID_ARTICLE=789>
34
détails de chaque pierre, de son appareillage et du calepinage des parois est essentielle à l’élaboration de bons projets, mais malheureusement que très peu enseignée aujourd’hui. Selon Gilles Perraudin, l’éloignement du dessin et la sophistication des outils informatiques génèrent un réel éloignement des savoirs constructifs qu’il essaie de limiter en organisant des workshop tous les ans, encadrés par des professionnels de la pierre (fig.19). L’objectif de ces ateliers est d’expérimenter le matériau en étudiant les calepinages de projets, en visitant des carrières et des opérations en pierre mais également en s’exerçant à la construction à échelle 1. En effet, l’idée de cet apprentissage expérentiel est de concilier l’acte de concevoir avec celui de construire en
n’imaginant plus
seuleument les bâtiments en plans et en coupes, mais en construisant des prototypes à taille réelle. Si cette pédagogie s’est développée au milieu des années 1960 aux Etats-Unis comme en Europe32, elle ne fait pas vraiment partie du quotidien des étudiants en école d’architecture. Pourtant, cette initation à l’expérience pratique permet aux élèves de manipuler les matériaux, de penser les détails d’assemblage des éléments, d’expérimenter les structures, ainsi que « d’expérimenter différents niveaux de réalité allant de la prise de conscience de la matérialité jusqu’à l’appréhension sensorielle de l’espace et des structures »33. Durant la période moderne, certains architectes s’inquiétaient déjà de la distance du concepteur vis-à-vis de la matière. En effet, Adolf Loos soulignait ce danger en 1910 dans son texte Architecture, où il déplorait la perte d’un savoir-faire manuel, le savoir-faire de l’artisan et la matérialité de l’architecture. Le Corbusier, exprimait lui aussi, la responsabilité de l’abstraction du dessin dans cet éloignement de la construction et de l’expérience physique de l’espace : « Maintenant que j’ai fait appel à ton esprit de vérité, je voudrais te donner, à toi étudiant d’architecture, la haine du dessin. Car le dessin, ce n’est que couvrir de choses séduisantes une feuille de papier… L’architecture est dans l’espace, en étendue, en profondeur, en hauteur : c’est volume et c’est circulation »34.
MANIAQUE Caroline, Peut-on innover en apprenant ? Le design/build et l’apprentissage expérientiel - Se former en construisant : l’expérience à l’échelle 1, dans D’Architectures, n°250, décembre 2016, p.47 33 Ibid. 34 LE CORBUSIER, Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, Paris : Ed. G.Crès, 1930, 268 p. 32
35
Figure 19. Workshop 2016 organisé par l’Académie de la Pierre [Internet, consultable sur https://www.facebook.com/academiedelapierre/]
Figure 19. Workshop 2016 organisé par l’Académie de la Pierre [Internet, consultable sur https://www.facebook.com/academiedelapierre/]
36
Le manque de formation, responsable d’un manque de compétence, constitue une difficulté majeure pour la filière en recherche de main d’œuvre. Les organismes tels que le CTMNC35 ou le SNROC36 par exemple, ont pour objectif d’adapter l’apprentissage de ce matériau au cadre actuel de la construction. Ils tentent en effet de rapprocher théorie et pratique en organisant des formations ou en mettant en contact apprentis et entreprises. Mais pour que la pierre retrouve une place au sein du système contemporain, il faut avant tout que les professionnels mettent en avant leurs entreprises de façon pertinante et séduisante. Même si les 90% d’artisans et de petites entreprises de la filière ne connaissent pas forcément les leviers de communication et de formation, il semble nécessaire de les faire évoluer : « plus on sera transparents sur nos activités, nos métiers, nos réalisations en général, plus on donnera envie de s’y intéresser »37. Ces organismes, en essayant de développer les formations, permettent de faire perdurer les savoir-faire à travers le temps. Le travail de la pierre constitue en effet un élément majeur du patrimoine français. Depuis toujours productrice d’une diversité de roches considérable, la France poursuit encore aujourd’hui l’exploitation de cette ressource, malgré des difficultés de plus en plus présentes.
CTMNC : « Centre Technique de Matériaux Naturels de Construction » SNROC : « Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction » 37 BELLANGER Jean-Claude, DRESTO Philippe, La réforme de la formation professionnelle, conférence, 03 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle 35 36
37
C. L’extraction de la ressource, un marché en difficulté
La France constitue depuis toujours, un important producteur de pierre car son territoire présente une extraordinaire variété de sous-sols. Les divers phénomènes naturels qui l’ont touchées tout au long de son histoire, sa position à la croisée d’une multitude d’évènements tectoniques et sédimentaires mais également les épisodes d’érosion intenses, lui ont permis de constituer un panel très élargi de roches, aux natures, aspects, caractéristiques et propriétés diverses. Parmi les ensembles géologiques majeurs, on retrouve des massifs montagneux anciens comme le massif armoricain, le massif central et les Vosges datant de 300 millions d’années, qui constituent une ressource considérable en granit et roches métamorphiques. Les massifs montagneux plutôt jeunes des Pyrénées et des Alpes, contiennent quant à eux tous les types de roches. Enfin, une large partie du territoire se compose de grands domaines sédimentaires comme le Bassin Parisien, le Bassin Aquitain et le sillon Saône, Rhône et Provence. Ces derniers, essentiellement constitués de calcaire et de grès, intéressent particulièrement les acteurs de la construction puisqu’ils constituent les principales régions de production des roches utilisées dans le bâtiment. Celles-ci appartiennent à une industrie à part entière appelée « roches ornementales et de construction »38. Elles correspondent en fait aux « roches naturelles utilisées en structures, architecture et décoration, pour la construction et l’aménagement des bâtiments et des ouvrages d’art, pour la voirie, le funéraire, les aménagements intérieurs et paysagers, pour la restauration des monuments historiques et la sculpture »39.
Industrie Française ROC Définition de « roches ornementales et de construction », site du Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction, consultable sur <http://www.snroc.fr/fr/rochesornementales-et-de-construction_44.html>
38 39
38
Les carrières, à l’origine de la production
Le « terrain d’où l’on extrait les pierres […] nécessaires à la construction »40 est une carrière. En effet, tout commence dans leurs enceintes. Il y a plus de 5 000 ans, sont apparues naturellement les premières exploitations par simple ramassage des pierres à la surface du sol. Progressivement, la recherche de pierres plus en profondeur a conduit à la création des carrières à ciel ouvert et souterraines. De nos jours, l’exploitation se fait essentiellement en carrières à ciel ouvert, où les différents bancs se situent « à des profondeurs variant de 2-3 mètres à 20-30 mètres »41, les galeries souterraines présentant souvent des risques importants pour le sol. En effet, « les fontis, les affaissements et les effondrements généralisés »42 sont différents types d’écroulement pouvant causer de graves problèmes à la surface des carrières. Paris en est la preuve puisqu’entre 1774 et 1776, à la suite de l’exploitation intense du sous-sol durant l’Antiquité, une série d’effondrements est survenue autour des voies publiques et a permis de mieux mesurer aujourd’hui, les risques liés à la présence de vides importants sous la ville. Même si un service d’Inspection des carrières a été créé, l’établissement de carrières souterraines ne semble plus vraiment d’actualité. Seulement une minorité existe encore, le plus souvent des anciennes carrières situées sous des exploitations agricoles ou des sols inoccupés comme celle du Vassens, exploitée par une entreprise familiale depuis 1889. Les carrières actuelles, majoritairement établies à ciel ouvert, comme celle visitée à Bonneuilen-Valois, ne présentent quant à elles, que peu de risques43.
Définition de « carrière », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/carrière> 41 Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction, Extraction en carrière [en ligne], Paris : SNROC, consultable sur <http://www.snroc.fr/fr/extraction-encarriere_54.html/> 42 Ville de Paris, Inspection Générale des Carrières [en ligne], Paris, consultable sur <https://www.paris.fr/pages/tout-savoir-sur-les-sous-sols-2317/> 43 Cf. Annexes 3, p.119 40
39
En général, leurs principes d’exploitations sont identiques, l’objectif étant tout d’abord, d’enlever les couches de terrains inexploitables. Cette épaisseur, qui peut aller de quelques centimètres à plusieurs dizaines de mètres, prépare la vraie phase d’extraction de la pierre où des blocs, les plus grands et plus réguliers possibles, sont retirés. Suivant la nature du gisement et les caractéristiques du matériau, plusieurs systèmes d’extraction sont possibles. Il existe « trois principales techniques en France »44 : le sciage au câble diamanté, l’exploitation à l’explosif et la coupe à la haveuse, la plus couramment utilisée actuellement. En effet, après avoir quadriller la surface exploitée en réalisant les découpes verticales, la haveuse effectue la découpe horizontale permettant de détacher le bloc du carreau. D’autres techniques plus rares, telles que la découpe au jet d’eau ou à l’aide de coins hydrauliques, sont également utilisées dans certains sites. Enfin, chaque méthode permet de former des blocs de pierre pouvant peser jusqu’à quinze tonnes, qui sont ensuite transformés dans des ateliers sur place ou à l’extérieur de la carrière. La transformation, qui consiste à réaliser un débitage du bloc brut, lui donne les dimensions et la précision nécessaire à la construction. Souvent assimilées dans la conscience collective aux grandes extractions de granulats, de sables ou de graviers nécessaires à la fabrication du béton, les carrières de pierre ne sont pas toujours bienvenues sur les territoires car perçues, pour les défenseurs de l’environnement comme vecteurs de nuisance. Cette « bagarre que les écologistes mènent contre les carrières »45 limite donc, indirectement, le marché de l’extraction de la pierre et alimente le conflit avec les acteurs de la filière. Jean-Luc Bertrand, président d’une entreprise d’extraction et de transformation de la pierre, confirme que les associations écologistes sont parvenues à mettre des freins à l’établissement des carrières et affirme que « ce sont souvent des gens qui manquent de réalisme. Parce que si on veut un monde avec de la construction en matériaux naturels, il faut bien pouvoir les prendre dans la nature »46. En effet, l’engagement des écologistes a fait évoluer les règlementations au fil du temps en essayant de limiter et maitriser les nuisances liées à cette exploitation.
Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction, Extraction en carrière [en ligne], Paris : SNROC, consultable sur <http://www.snroc.fr/fr/extraction-en-carriere_54.html/> 45 PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.15 46 BERTRAND Jean-Luc, président Occitanie Pierres, entretien, 04 décembre 2019 44
40
Carrière des Chariots Saint-Maximin, Oise
Figure 20. Carrières de pierre [Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018
Figure 20. Carrières de pierre du Bassin Parisien [Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018
41
Une exploitation lourdement contrainte par la règlementation La mise en place de règles débute en 1810 avec l’instauration d’un régime de déclaration à la mairie afin que l’Administration surveille les exploitations de carrières. En 1956, ce régime très libéral est intégré au Code minier, code qui rassemble les textes essentiels relatifs à l’exploitation des gîtes minéraux. Il s’interrompt finalement en 1970 afin de soumettre l’ouverture des carrières à autorisation préfectorale préalable. C’est en 1993 que la base juridique des autorisations
d’ouverture
de
carrières
et
de
leur
exploitation
évolue
considérablement. Effectivement, elles intègrent à ce moment les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) régies par le Code de l’environnement. Ces établissements se définissent selon l’article L 511-1, comme « les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique »47. Les carrières, alors considérées comme des installations industrielles complètes, sont soumises aux études d’impact, enquêtes publiques, constitutions de
garanties
départementale,
financières, permis
examens
d’exploitation,
des etc.
demandes Dans
en
l’idée
commission d’intégrer
les
préoccupations environnementales dans sa démarche, l’état ajoutera par la suite, plusieurs décrets au dispositif règlementaire. Les schémas départementaux des carrières définiront notamment les conditions générales de leur implantation et une « stratégie nationale pour la gestion durable des granulats terrestres et marins et des matériaux et substances de carrières »48 sera mise en place. Cette stratégie, ayant pour but de fournir un cadre à l’exploitation des gisements, a aussi
47 ENCEM, Union Nationale des Producteurs de Granulats (UNPG), Elaboration des études d’impact de carrières. Guide recommandations, Paris, Ed. UNICEM, 06/11/2016, p.22 48 Ibid. p.2
42
pour objectif de répondre à l’ensemble des enjeux d’aménagement du territoire dans une logique de développement durable. Dans le même objectif, la fédération UNICEM49 et l’UNPG50 ont mis en place la Charte Environnement des industries de carrières afin d’allier respect de l’environnement, développement économique et écoute des acteurs locaux. Ces multiples démarches sont à l’origine de réglementations permettant d’inscrire aujourd’hui le projet industriel de carrière dans un cadre environnemental où « chaque gisement de pierre correspond à un volume limité de matériau géologique, répondant à des critères d’’exploitabilité, de productivité et d’aptitude aux utilisations pour la construction »51. La demande d’autorisation d’extraire, désormais obligatoire, rassemble une multitude de documents, dont celui de l’élaboration d’une étude d’impact, soit une « synthèse des travaux et des études générales et techniques réalisées pendant quelques années pour concevoir le projet le moins impactant possible pour l’environnement »52. De l’analyse précise des critères de cette étude, apparaissent les éléments de l’exploitation impactant directement l’écologie du site. Par exemple, l’utilisation d’outils polluants tels que les machines et camions nécessaires au bon fonctionnement des carrières représente un premier impact conséquent sur l’environnement. En effet, l’importante quantité de poussières soulevée lors de l’extraction ou pendant le transport des matériaux sur les pistes ainsi que la pollution directement générée par les moteurs altèrent la qualité de l’air. L’étude d’impact exige donc le contrôle précis de ces rejets ainsi que la création d’un réseau approprié de mesures des retombées de poussières. Quelle soit souterraine ou à ciel ouvert, l’exploitation d’une carrière a également un impact sur l’eau. En effet, le pompage d’eaux, effectué lors de l’excavation d’un gisement peut avoir des effets néfastes sur les écoulements et la qualité des eaux souterraines. Il est cette fois-ci suggéré par l’étude, d’évaluer l’impact de la carrière sur l’alimentation des nappes phréatiques, sur les éventuels rejets d’eau en relation avec ces nappes et sur les perturbations possibles des écoulements UNICEM : « Union Nationale des Industries de Carrières Et Matériaux de construction » UNPG : « Union Nationale des Producteurs de Granulats » 51 « La pierre de taille, ressource épuisable, accessibilité et conflits d’usage », La pierre dans l’architecture : conservation, restauration, création, Monumental. Sem.1, 2019 52 ENCEM, Union Nationale des Producteurs de Granulats (UNPG), Elaboration des études d’impact de carrières. Guide recommandations, Paris, Ed. UNICEM, 06/11/2016, p.69 49 50
43
souterrains. Certaines déviations d’eaux souterraines peuvent aussi poser des problèmes au niveau des captages d’eau publics ou privés destinés à la consommation. Il est alors impératif de vérifier de manière répétée la qualité des eaux et leurs propriétés car les ruissellements des eaux de pluie sur les pierres stockées ou sur les pistes ont des répercussions directes sur la faune et la flore présentes aux alentours. Cet impact sur l’éco-système est malheureusement inévitable puisque raser la végétation existante est nécessaire à l’établissement d’une carrière. Effectivement, cette destruction globale du paysage et de l’écosystème a des répercussions directes sur les espèces et leur habitat et peut, suivant sa situation, avoir un impact sur un site Natura 2 00053 proche. Par ailleurs, les poussières, le bruit, les vibrations, la circulation, les déchets ou encore les lumières nocturnes générées par l’exploitation affectent fortement le voisinage d’une carrière. Ainsi, l’analyse précise de ces éléments avant l’ouverture du site constitue une étape primordiale pour les entreprises car elle permet de limiter au maximum l’impact de l’industrie sur le paysage, sa biodiversité mais également sur la vie de l’homme. Enfin, afin d’obtenir l’autorisation préfectorale, le carrier doit garantir la remise en état complète du terrain après exploitation. Le responsable des Carrières de Provence explique effectivement que les entreprises ont obligation de reboucher le trou fait par l’extraction de la roche : « on garde toutes nos chutes dans un coin, si on n’en a pas assez, on prend de la terre »
. L’idée est de réaménager le terrain
54
avec harmonie et réintégrer la végétation présente au départ sur le site. Un « système de caution financière »55 permet de garantir cette remise en état et constitue un investissement considérable pour les entreprises, que peu parviennent à dépasser. L’ouverture et l’exploitation d’une carrière requièrent ainsi d’importants moyens matériels, financiers et humains afin de préparer le site, l’exploiter, l’entretenir et le remettre en état en fin d’exploitation et constituent un véritable engagement pour les entreprises. Site Natura 2 000 : « sites naturels ou semi-naturels de l'Union européenne ayant une grande valeur patrimoniale, par la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent » 54 Responsable Carrières de Provence, entretien, 03 décembre 2019 55 Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction, Extraction en carrière [en ligne], Paris : SNROC, consultable sur <http://www.snroc.fr/fr/extraction-encarriere_54.html> 53
44
Figure 21. Chronogramme de conduite d’un projet d’ouverture de carrière [ENCEM, Union Nationale des Producteurs de Granulats (UNPG), Elaboration des études d’impact de carrières. Guide recommandations, Paris, Ed. UNICEM, 06/11/2016] Figure 21. Chronogramme de conduite d’un projet d’ouverture de carrière [Reproduction personnelle, Source : ENCEM, Elaboration des études d’impact de carrières.]
« C’est un dossier à préparer au moins 1 an en amont avec un organisme spécialisé qui nous assiste, car c’est extrêmement complexe. On doit expliquer toute notre démarche de production, de sécurité, de nuisances pour les villageois, etc., qui est ensuite soumise en commission préfectorale avec des écologistes, des habitants, les préfets. Si notre demande est acceptée, on a une autorisation de 30 ans d’exploitation où l’on est néanmoins limité en profondeur. »56
explique encore une fois le responsable des Carrières de Provence (fig. 21). Cette règlementation très stricte ayant pour but de contrôler les exploitations abusives du territoire, limite considérablement l’ouverture de carrières de pierres et constitue un facteur important du ralentissement actuel du marché de la filière.
56
Responsable Carrières de Provence, entretien, 03 décembre 2019
45
Les chiffres-clés de l’extraction, témoins d’une situation délicate Afin de faire une synthèse de la structuration de la filière, de ses acteurs et de son économie, un état des lieux général de la filière des roches ornementales et de construction est publié chaque année par le BRGM57, le CTMNC et le SNROC. Ainsi, l’étude de ces données permet de rendre compte de la situation actuelle de la filière et de son évolution au cours des dernières années. En 2014, la filière française des roches ornementales et de construction constituait seulement « 4 % du marché du bâtiment »58. L’extraction représentait en 2015 « 479 000 m3 de pierre »59 et correspondait à seulement 10% de la production totale des carrières. En effet, sur 4 700 carrières actives en France, 90% des roches extraites sert à la production de granulats (fig.22). Ces faibles pourcentages traduisent une absence évidente de la pierre massive dans la construction. L’analyse de l’utilisation des produits extraits confirme cette tendance car en 2017, le funéraire représentait 47% du chiffre d’affaires généré par la filière, tandis que le secteur du bâtiment ne représentait que 43,6% (fig.21). La crise du marché de la construction depuis 2009 n’ayant pas aidé à son redressement, la filière a accusé un repli global de près de 14,7% sur la période de 2001 à 2012, générant des effets significatifs sur les entreprises. L’entreprise d’extraction Les Pierres de Paris l’a confirmé lors du salon : « le monument historique s’est beaucoup développé sous les années Mitterrand et a fait vivre de nombreuses entreprises de la filière. On s’est ensuite détournés de la construction en pierre et beaucoup se sont effondrés vers 2010 »60. Cette chute considérable du chiffre d’affaires des établissements n’a fait que fragiliser le marché global de la pierre (fig.23). Depuis quelques années, les effectifs du secteur ont baissé de 30%, et en 2014, 78% des entreprises comptaient moins de 10 salariés alors que moins de 1,5% d’entre-elles regroupaient plus de 50 collaborateurs.
BRGM : « Bureau de Recherches Géologiques et Minières » DESSANDIER, D. avec la collaboration de BENHARROUS J., MICHEL F., PALLIX D., 2014, Mémento sur l’industrie française des roches ornementales et de construction. Rapport final, p.4 59 Ibid. p.70 60 LEBLOND Quentin, responsable bureau d’études et chargé de prescriptions, Les Pierres de Paris, entretien, 03 décembre 2019 57 58
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Figure 22. Situation des carrières en France [Reproduction personnelle]
Figure 22. Situation des carrières en France [Reproduction personnelle]
Figure 23. Utilisation des produits extraits [Reproduction personnelle] Figure 23. Utilisation des produits extraits [Reproduction personnelle]
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Figure 24. Evolution des entreprises de la filière [Reproduction personnelle]
Figure 24. Evolution des entreprises de la filière [Reproduction personnelle]
48
La fragilité croissante de cette filière constituée en majorité de petites, voire de très petites entreprises, n’a fait qu’augmenter la concurrence des pays étrangers. De 2001 à 2012, les importations de pierres ont progressé de 38,3% car extraire la pierre en France devient plus cher que de l’extraire en Chine, au Portugal ou d’en d’autres pays. Ce chiffre, qui ne cesse de croître, encourage la filière à lutter contre ces importations de pierres de qualité incertaine et à bas prix. En effet, le SNROC tente de défendre les intérêts des entreprises et valoriser les produits français en alertant les élus sur leur responsabilité dans l’attribution des marchés publics. Il milite également contre les tentatives d’usurpation des produits en mettant en place un Indicateur Géographique61, signe officiel d’origine et de qualité délivré par l’état. Cette concurrence étrangère a été ressentie par « 63% des professionnels »62 en 2019, comme la plus importante pour leur activité. Cependant, encore « 52% des professionnels »63 du secteur se montrent optimistes pour leur avenir. Même si la filière connaît des difficultés depuis plusieurs années, elle tient toujours son rôle de pôle national et se redresse progressivement avec l’arrivée notamment, des chantiers du Grand Paris : « depuis un an, le travail revient de manière importante, notamment en pierre tendre dans le bassin parisien pour la construction en pierre »64. Malgré son importante capacité de production sur tout son territoire, la France ne se place malheureusement qu’au 16e au rang mondial des utilisateurs de pierre. Avec une consommation annuelle par habitat de l’ordre de 0,5 m² de matériau, la France fait partie des consommateurs les plus faibles des pays industrialisés. En effet, la pierre, peu représentée dans la société contemporaine et fortement concurrencée par d’autres matériaux de construction, semble aujourd’hui incompatible avec le système économique et règlementaire de la société.
SNROC, Brochure de présentation CARGI, Claude, « La filière pierre en plein boom ! », dans Pierre Actual, n°987, novembre 2019, p.22 63 Ibid. p.22 64 LEBLOND Quentin, responsable bureau d’études et chargé de prescriptions, Les Pierres de Paris, entretien, 03 décembre 2019 61 62
49
PARTIE II LA PIERRE, UN MATÉRIAU INCOMPATIBLE AVEC LE SYSTÈME ACTUEL « Il est évident que nous changeons d'époque. Il faut faire notre bilan. Nous avons un héritage, laissé par la nature et par nos ancêtres. […] une histoire est restée inscrite dans les pierres des monuments ; le passé ne peut pas être entièrement aboli sans assécher de façon inhumaine tout avenir. Les choses se transforment sous nos yeux avec une extraordinaire vitesse. Et on ne peut pas toujours prétendre que cette transformation soit un progrès ». GIONO, Jean, La Chasse au bonheur, Ed. Gallimard, 1988, p.83
A la différence des matériaux fabriqués, la pierre est un matériau naturel possédant des caractéristiques propres, impossibles à transformer ni adapter. Par conséquent, l’industrialisation l’a fait disparaître peu à peu du paysage. Si toutefois, l’image de ce matériau noble perdure à travers les parements et décorations des édifices, les « proportions trapues des bâtiments en pierre »65 et son inadaptation aux contraintes actuelles, représentent souvent des obstacles à son utilisation structurelle dans l’architecture contemporaine. Ainsi, cette partie analysera avant tout, les éléments constitutifs du marché de la construction actuelle afin de mettre en avant le rôle des industriels dans l’élaboration et la construction des projets contemporains. L’étude des limites exprimées par la pierre face aux évolutions de l’architecture, et notamment l’étude des règlementations, permettra par la suite, de mieux comprendre son incompatibilité avec le marché de la construction. Enfin, l’analyse approfondie des paramètres responsables de son prix permettra de d’identifier une des principales causes de son éloignement de l’architecture contemporaine.
PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.15
65
51
A. Un matériau non-industrialisé
L’architecture n’a cessé d’évoluer à la suite des nombreux évènements historiques marquants de notre société. En effet, la manière de concevoir les édifices s’est transformée au fil du temps, tout comme l’utilisation des matériaux de construction.
Son absence des processus d’industrialisation La pierre, omniprésente du monde de la construction jusqu’au 19e siècle, s’est effacée progressivement du paysage architectural. La transformation historique qu’a constitué ce que l’on appelle la « révolution industrielle », tirée par le boom ferroviaire des années 1840, a fait basculer des sociétés à dominante agraire et artisanale vers des sociétés basées sur le commerce et l’industrie. Ce phénomène qui se développe en Europe puis aux Etats-Unis, constitue un processus permettant « d’appliquer à un secteur, à une branche de l’économie, des techniques et des procédés industriels qui apportent rationalisation et hausse de productivité »66. En effet, l’industrialisation, affirmée par l’accélération de la croissance économique, affecte peu à peu « les consommations, les organisations productives puis les techniques »67. En débutant par l’augmentation de la production de charbon, elle se développe ensuite dans les domaines de la sidérurgie, de l’automobile et de la chimie pour enfin conquérir tous les secteurs productifs. L’utilisation de techniques modernes permet l’apparition de nouvelles routes qui facilitent considérablement les échanges commerciaux et les relations internationales.
Définition de « industrialisation », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/industrialisation> 67 VERLEY, Patrick, La première révolution industrielle (1750-1880), 2008, Ed. Armand Collin, p.21 66
52
Durant cette période, la croissance de la production et le développement de la consommation modifient sensiblement les organisations du travail. Les entreprises spécialisées sur une activité se regroupent afin de développer des établissements industriels plus importants et constituer ainsi une chaîne de production plus étendue allant de l’extraction des matières premières aux distributeurs. Le fonctionnement profond de l’entreprise se réorganise en fonction du capitalisme, un « système économique et social caractérisé par la propriété privée des moyens de production et d’échange et par la recherche du profit »68. Par conséquent, on commence à donner un aspect scientifique au travail dans l’idée d’améliorer au maximum la productivité de la main d’œuvre. Apparaissent ainsi le travail à la chaîne, la mécanisation des tâches, la parcellisation et surtout la standardisation. A l’époque où le développement intense de l’économie et du profit est de mise, la pierre ne représente en aucun cas le matériau idéal pour la construction. Effectivement, ce matériau naturel, relevant d’une lente maturation à l’échelle géologique, est bien trop instable pour la production industrielle. Son hétérogénéité ainsi que ses fluctuations dues à sa provenance et sa composition constituent un réel obstacle à sa standardisation. Par ailleurs, caractérisée par sa faible consommation d’énergie et sa facilité de mise en œuvre, la pierre n’intéresse pas l’industrie, qui recherche plus une logique de production qu’une économie de moyens. Souhaitant ainsi augmenter la vitesse de production et réduire au maximum les disparités finales des matériaux, l’industrie met en place des procédures de fabrication industrielle du béton, un concurrent de taille pour la pierre car exigent en énergie, en main d’œuvre et en transformation. L’important dispositif que sa production implique, permettra de participer vivement à la croissance économique du domaine de la construction et de répondre ainsi aux exigences de la période.
Définition de « capitalisme », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/capitalisme>
68
53
Béton
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0.300
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16.61
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50
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0.100
100 Couche
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0.36
0.36
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Béton
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0.001
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39.12
42.41
Fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) : 1 Lassures en phase solvant — evea 2 mur extérieur de 18 cm d’épaisseur en béton armé c25/30xc4/xf1 cemii/a-l ou ll 1
Fabrication
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17/10/2018 11:28
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Bilan carbone des éléments structurels d'un mètre carré de facade Fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) : 1 Valeur FDESun bardage bois INIES phase du cycle demoyenne vie, pour cycle de vie de 50 ans
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2 Pare-pluie polypropylène — donnée environnementale par défaut 3 Mur ossature bois [...] Non isolé, fabriqué en france
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L’influence des entreprises industrielles L’hégémonie des grands groupes de construction depuis l’industrialisation, comme celui du béton, continue d’influencer les pratiques architecturales actuelles et le marché de la construction dans sa globalité. En effet, la pensée industrielle, qui repose sur les principes de « rapidité, densité des acteurs et des échanges, reproduction, démultiplication des tâches, création de la demande pour écouler la production, assurabilité, sécurité, homogénéité, interchangeabilité »69, a forgé les esprits de toute une génération. Aujourd’hui, ce mode de pensée est largement répandu dans la sphère commerciale et le pouvoir économique détenu par les grandes entreprises, influence considérablement les institutions publiques. Cette pression exercée sur certains organismes correspond au « lobbying » et consiste « à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics »70. Ces actions, menées par un groupe d’intérêt, un groupe de pression ou un groupe d’influence appelé lobby, cherchent à modifier les décisions prises par le pouvoir. Ces groupes peuvent être d’une part, des acteurs économiques tels que industriels ou les financiers, les grandes entreprises ou les organisations professionnelles, les syndicats, les fédérations, ou d’autre part, des organisations non gouvernementales et des associations. Dans le domaine de la construction comme dans d’autres secteurs, ils sont souvent considérés comme des instances perturbatrices de l’intervention publique et génératrices de conflit. Or, la Commission Européenne, organe exécutif de l’Union Européenne, admet cette activité et essaie de construire un rapport avec les acteurs de la vie économique dans une logique de coopération et d’intégration, et non de confrontation : « organisations professionnelles, associations, élus, fonctionnaires sont engagés dans un champ commun, où se nouent des alliances entre les représentants des intérêts privés et de l’ordre
LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011, p.9 MERCIER, Charles, PELTAN, Stéphane, « Les lobbies vus par les sciences sociales », La Vie des idées, 14 mai 2019, consultable sur <http://www.laviedesidees.fr/Les-lobbies-vus-par-lessciences-sociales.html> 69 70
55
public »71. La commission reconnait en effet ces groupes d’intérêts, qu’elle intègre à son processus de décision puisqu’ils fournissent eux-mêmes, l’expertise et l’information indispensables à la préparation des textes. Ainsi, les lobbies, en essayant de favoriser leur propre intérêt face aux autres, ont une influence sur la rédaction des règles générales mises en place par l’Etat. En modifiant les subventions, les normes et même parfois le prix de certains produits, ils affaiblissent considérablement la concurrence et facilitent leur croissance. Gilles Perraudin affirme leur pouvoir dans l’architecture : « depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la construction est dominée par les lobbies »72. Effectivement, le lobby du béton exprime aujourd’hui encore son influence à travers la modification des fondements de la règlementation de la construction : « [les lobbies] ne cessent d‘inventer des outils servants à démontrer qu’il faut utiliser leurs produits, servis par des inventeurs et des applicateurs de règlement »73.
Malheureusement, dans cet élan capitaliste, l’hégémonie des grands groupes industriels et de leurs moyens de productions a des conséquences sur les petites entreprises : « Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, […] tombent dans le prolétariat ; d’une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettent pas d’employer les procédés de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes ; d’autre part parce que leur habileté technique est dépréciée par les méthodes nouvelles de production »74.
MERCIER, Charles, PELTAN, Stéphane, « Les lobbies vus par les sciences sociales », La Vie des idées, 14 mai 2019, consultable sur <http://www.laviedesidees.fr/Les-lobbies-vus-par-lessciences-sociales.html> 71
POUSSE, Jean-François, « A Cornebarrieu, des logements sociaux », dans Archiscopie, Ed. Cité de l’architecture et du patrimoine, n°107, 2011, p.17 73 Ibid. p.17 74 ENGELS, Friedrich, MARX, Karl, Manifeste du Parti Communiste, Ed. Presses Electroniques de France, 2013, p.35 72
56
Constituée en majorité de petites, voire très petites entreprises 75, la filière pierre est pleinement touchée par le phénomène puisque ces sociétés subissent pour la plupart, un déficit économique important. Par conséquent, un syndicat patronal représentant l’artisanat du bâtiment est créé en 1946 afin de défendre et représenter ces petites entreprises. La Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment, CAPEB76 explique qu’en « donnant les pleins pouvoirs aux grandes entreprises, le danger pour l’artisanat du bâtiment, c’est que les spécificités de nos métiers et de nos artisans, nos valeurs, nos savoir-faire disparaissent »77. En effet, le développement d’une main d’œuvre peu qualifiée nécessaire à la mécanisation du travail a favorisé la disparition des métiers traditionnels de l’artisanat. L’artisan, défini comme une « personne exerçant, pour son propre compte, un art mécanique ou un métier manuel qui exige une certaine qualification professionnelle »78, s’écarte ainsi peu à peu du système économique.
Ainsi, le travail artisanal lié à l’emploi de la pierre dans la construction constitue un frein essentiel pour les industriels qui n’acceptent pas le tâtonnement, l’inexactitude et le travail sur-mesure. Aujourd’hui, « le danger pour nos artisans, c’est qu’ils soient définitivement les grands oubliés des politiques publiques et que leurs contraintes et leurs besoins ne soient plus pris en compte »79.
Cf. Les chiffres-clés de l’extraction, témoins d’une situation délicate, p.33 CAPEB : « Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment » 77 CAPEB, Brochure de présentation 78 Définition de « artisan », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/artisan> 79 CAPEB, Brochure de présentation 75 76
57
B. Son inadaptation aux règlementations actuelles
A la différence du béton, matériau industrialisé qui peut être utilisé dans de multiples directions, la pierre limite son emploi à une gamme de situation relativement précise. Si l’impossible variation de sa formule ne lui permet pas de s’adapter à toutes les configurations et à répondre à tous les types de programme, elle lui permet de conserver sa raison d’être et son sens profond dans un édifice, contrairement au béton qui sert souvent à l’économie et la facilité des projets. Ce caractère identitaire fort de la pierre, qui révèle parfois ses limites dans l’élaboration de projets contemporains, représente un obstacle pour le maître d’œuvre. En effet, afin de l’utiliser dans les meilleures conditions possibles, « il faut s’adapter au matériau plus qu’il ne s’adapte à notre construction »80, explique la chef de projet pierre du Centre Technique des Matériaux Naturels de Construction (CTMNC). Par ailleurs, cette adaptation au matériau, nécessaire à sa mise en œuvre actuelle dans le bâtiment, s’accompagne inévitablement d’une adaptation aux multiples exigences de l’architecture contemporaine. Ainsi, il s’avère souvent difficile de construire en pierre car, comme l’explique Gilles Perraudin, ainsi que d’autres acteurs de la construction, « la règlementation appliquée à la pierre est aujourd’hui un frein à son utilisation »81.
DENECKER Mélanie, chef de projet roches ornementales et de construction, CTMNC, entretien, 04 décembre 2019 81 PERRAUDIN, Gilles, La pierre, ce matériau du futur, [en ligne], consultable sur <https://www.lemoniteur.fr/article/la-pierre-ce-materiau-du-futur-par-gilles-perraudinarchitecte.659199/> 80
58
Le poids de la règlementation dans la construction Si la pierre est employée dans l’architecture depuis des millénaires, il est aujourd’hui
nécessaire
de
l’adapter
aux
critères
de
la
construction
contemporaine. Les décisions prises lors du Grenelle de l’environnement de 2007 en France, constituent un tournant dans la règlementation de la construction. En effet, les engagements pris à cet instant en matière d’environnement et de développement durable, ont alourdi le poids des normes et contraintes règlementaires. Bien que souvent vécues comme contraignantes, les règles de construction sont avant tout définies pour garantir un niveau de qualité correct aux bâtiments. En effet, elles offrent une qualité en termes de sécurité, de performances thermique et acoustique, d’accessibilité aux personnes handicapés et d’hygiène, mais servent également à prévenir les pathologies et les désordres. Ces règlementations visent à mettre en sécurité les occupants, offrir les meilleures conditions de santé et de confort aux utilisateurs, rendre les bâtiments accessibles à tous et réduire les consommations énergétiques. Que ce soit le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre, les entrepreneurs, les contrôleurs techniques ou encore les industriels, tous les acteurs de la construction sont responsables de la qualité du bâtiment et s’engagent à respecter ses règles générales lors de la conception des projets. Plusieurs types de règles de construction existent actuellement. La règlementation obligatoire instituée par les pouvoirs publics, comprend tout d’abord les textes législatifs et règlementaires applicables à tous, tels que les lois, les décrets, les arrêtés et les circulaires. Ces écrits, regroupés dans le code de la construction et de l’habitation (CCH), concernent l’incendie, la thermique, l’acoustique, la sismique, l’accessibilité et le marquage CE 82. D’autres règles techniques existent ensuite et diffèrent des précédentes par leur application.
Marquage Conformité Européenne : « Le marquage CE a été créé dans le cadre de la législation d'harmonisation technique européenne. Il est obligatoire pour tous les produits couverts par un ou plusieurs textes réglementaires européens (directives ou règlements) qui le prévoient explicitement. Il confère aux produits concernés le droit de libre circulation sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. », consultable sur <https://www.entreprises.gouv.fr/libre-circulationmarchandises/marquage-CE/>
82
59
Les normes, documents de références approuvés cette fois-ci par un institut de normalisation reconnu, regroupent « les normes fondamentales, les normes produits, les normes de spécifications, les normes de mise en œuvre, les normes d’essais et les normes de conception, de calcul et de dimensionnement »83. Elles sont parfois définies un peu trop rapidement comme des règles à suivre et on a tendance à percevoir d’abord leur aspect contraignant. Pourtant, à la différence de la règlementation obligatoire, les normes ne sont pas imposées, mais simplement proposées et sont avant tout un outil venant servir les acteurs de la construction. Selon le décret du 26 janvier 1984, « la normalisation a pour objet de fournir des documents de référence comportant des solutions à des problèmes techniques et commerciaux concernant les produits, biens et services qui se posent de façon répétée dans les relations entre partenaires économiques, scientifiques, techniques et sociaux »84. Ainsi, elle vise à simplifier les échanges commerciaux, appuyer la diffusion de bonnes pratiques, accélérer l’innovation ou encore, simplement faciliter la vie quotidienne. En fait, elle permet de définir un langage commun, de clarifier et d’harmoniser les pratiques. L’Association française de normalisation (Afnor), placée sous tutelle du ministère chargé de l’Industrie depuis 1926, se charge d’en coordonner l’élaboration, de les homologuer, de promouvoir et faciliter leurs utilisations ainsi que de développer la certification des produits et services auprès d’organisations plus importantes telles que l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et le Comité européen de normalisation (CEN). Ces normes, d’application volontaire, deviennent obligatoires lorsqu’elles sont citées dans les règlements. En effet, la normalisation a depuis longtemps été utilisée par l’Etat en complémentarité de la règlementation.
83 84
CTMNC, UNTEC, Guide pratique de la pierre naturelle, UNTEC, 2016, p.9 France, Décret fixant le statut de la normalisation, 26 janvier 1984, n°84-74, Article 1
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Le cas de la construction en pierre Aujourd’hui, le fait qu’un maître d’ouvrage doive nécessairement garantir sa construction, entraîne une référence obligatoire à des règles constructives agrées. En effet, ces règles et normes sont désormais indispensables afin de permettre l’utilisation de matériaux ou procédés constructifs au sein de l’édifice. Les principales références techniques actuelles relatives à l’utilisation de la pierre massive dans le gros œuvre sont regroupées dans différents documents. L’Eurocode85 686 reprend tout d’abord les règles générales et calculs pour les ouvrages en maçonnerie armée et non armée. L’Eurocode 887 précise ensuite les règles générales et calculs des structures dans le cas de séismes. Enfin, la partie 6 de la norme NF EN 771-6 ainsi que la norme NF DTU 20.188, traitent respectivement, les éléments de maçonnerie en pierre naturelle et les travaux de bâtiments et ouvrages en maçonnerie de petits éléments. Cette dernière, qui concerne la construction utilisant des blocs de petites dimensions, soit des blocs en béton ou en terre cuite creux par exemple, est utilisée par défaut pour l’emploi de la pierre massive en appareillage mais semble « en totale contradiction avec les règles de l’art propres à la pierre »89. Le chainage90 courant des murs en pierre massive souvent imposé par les ingénieurs pour respecter la règlementation est un parfait exemple de la transposition erronée des calculs du béton à la pierre. En effet, Gilles Perraudin affirme, dans son manuel de construction, que les chainages verticaux en béton armé dans les murs en pierre sont à bannir car ont des conséquences dramatiques sur les structures. 85 Eurocode : « Les Eurocodes sont des codes européens de conception et de calcul des ouvrages, se substituant aux codes nationaux et permettant aux entreprises de travaux ou bureaux d’études, d’accéder aux marchés des autres pays membres ». 86 NF EN 1996-1-1 Eurocode 6 : calcul des ouvrages en maçonnerie - Partie 1-1 : règles générales Règles pour maçonnerie armée et non armée 87 NF EN 1998-1 Eurocode 8 - Calcul des structures pour leur résistance aux séismes - Partie 1 : règles générales, actions sismiques et règles pour les bâtiments 88 NF DTU : « Document Technique Unifié : document contenant les spécifications techniques relatives à l’exécution des travaux de bâtiments, reconnus et approuvés par les professionnels de la construction » 89 PERRAUDIN, Gilles, La pierre, ce matériau du futur, [en ligne], consultable sur <https://www.lemoniteur.fr/article/la-pierre-ce-materiau-du-futur-par-gilles-perraudinarchitecte.659199> 90 Chainage : « consolidation d'un mur au moyen de longrines ou de fer à crampons placés dans l'épaisseur du mur », définition de « chainage », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/chainage>
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Figure 26. Les différentes typologies de maçonnerie [LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011]
Figure 26. Les différentes typologies de maçonnerie [LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011]
Figure 27. Les chainages verticaux à éviter
Figure 27. LesConstruire chainages verticaux à aujourd’hui, éviter [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille [PERRAUDIN, Gilles, en pierre de taille Paris : Les presses du Réel, 2013] aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
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La construction en pierre, d’une grande souplesse, est à l’exact opposé de la construction en béton armé, d’une grande rigidité : « les deux sont incompatibles »91. Ainsi, en cherchant à rigidifier une construction en pierre, on aboutit à des contre-sens. Faire traverser la pierre par des éléments de raidissement va à l’encontre de l’exigence de souplesse du matériau. En effet, ces chainages diminuent le poids de la structure et introduisent des matériaux dont les réactions et dilatations diffèrent, très souvent causes de sinistre pour l’édifice (fig.27). Le problème, existant également pour la mise en place de joints de dilatations équivalents à ceux du béton armé pour l’appareillage des pierres, résume bien la situation actuelle. Le peu de règlementations adaptées à la construction en pierre massive incite la plupart des ingénieurs à transposer les calculs appris sur le béton armé. L’industrie, qui s’est montrée très performante pour démocratiser le béton dans la construction, a réussi à introduire un concept de renforcement systématique des structures. Cette conception, qui se décline pour chaque produit par un « renforcement structurel des armatures, renforcement d’étanchéité par des produits complémentaires, etc. »92 , a tendance à figer le bâtiment. Idéal pour le béton, ce concept s’oppose toutefois à la structure « respirante » caractéristique de la pierre. Effectivement, cette souplesse reste à ce jour la meilleure solution pour composer une structure. Aujourd’hui, toutes les pierres sont carottées afin d’y intégrer des raidisseurs et ceinturées les structures. Elizabeth Polzella explique d’ailleurs la nécessité de « revenir à des calculs qui permettent de prendre en compte la souplesse de la construction en pierre »93. Il faut donc élargir l’influence de la pierre et faire évoluer les normes même si « tout le monde n’a pas l’envie de comprendre cela, car c’est plus de travail au niveau des calculs ».94
91 PERRAUDIN, Gilles, La pierre, ce matériau du futur, [en ligne], consultable sur <https://www.lemoniteur.fr/article/la-pierre-ce-materiau-du-futur-par-gilles-perraudinarchitecte.659199/> 92 LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011, p.35 93 POLZELLA Elisabeth, Construire en pierre : plus de matière grise pour moins d’énergie grise, conférence, 03 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle 94 PERRAUDIN Jean-Manuel, directeur général Atelier Architecture Perraudin, entretien, 07 janvier 2020
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Afin de remédier à ces inadaptations, en 2007 a été créé le pôle Roches Ornementales et de Construction du Centre Technique de Matériaux Naturels de Construction (CTMNC). Il assure des activités d’intérêt collectif pour le compte des professions de la pierre et représente l’outil technique de référence de l’ensemble de la filière Pierre Naturelle. Ce pôle, qui compte seulement 5 membres contre 60 pour celui de la terre cuite, est financée à 70 % par une taxe payée par les carriers et les transformateurs de pierre. La chef de projet ROC explique que le pôle : « participe, ainsi que d’autres industriels, à tout ce qui est essais, essais produits, mises en œuvre de la pierre pour les différents types d’usages […] afin qu’elle soit conforme à son usage »95. Son objectif est de développer la filière et susciter le progrès technique en travaillant notamment sur la partie normalisation et en favorisant la diffusion de l’information auprès des professionnels, des prescripteurs et des utilisateurs, souvent peu informés. Ainsi, le rajout de matière engendré par ces règlementations et particulièrement par l’utilisation des chainages, entraine, de fait, des conséquences notables sur la construction. Il est d’abord responsable d’un impact plus important sur l’environnement, mais il favorise également une augmentation du coût global du bâtiment. En ce sens, la règlementation lourde constitue souvent une limite majeure à l’utilisation de la pierre massive.
DENECKER Mélanie, chef de projet roches ornementales et de construction, CTMNC, entretien, 04 décembre 95
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C. Le coût de la pierre, une conséquence du système global
Au fil des années, la pierre a acquis auprès du public une image de produit cher qui a abouti à sa marginalisation. Effectivement, elle reste un matériau prestigieux pour la plupart, qui la considère comme exclusivement réservée à la restauration des monuments historiques. La pierre a subi un tel oubli de la part des grands constructeurs monopolisant le marché, qu’elle semble aujourd’hui inaccessible : « le cliché des cathédrales la plaçait dans un ailleurs inatteignable. Elle appartenait au passé ou, dans le meilleur des cas, était synonyme uniquement de richesse et de prestige »96. Cette image ancrée dans ses caractéristiques, est probablement issue de sa comparaison avec les autres matériaux comme le béton, produit économique désormais largement répandu dans la construction. Toutefois, l’analyse du coût de revient du matériau plutôt que de celui de la structure dans sa globalité fausse souvent les calculs. Dans la construction en béton, le matériau n’est pas souvent laissé tel quel, et dans la plupart des cas, un bardage ou une peinture s’y ajoutent. A l’inverse, la simple utilisation de blocs de matière suffit à la construction en pierre massive. Ainsi, la prise en compte de ces ajouts est nécessaire à la comparaison des résultats et il est important d’étudier ces données de manière précise et locale. En effet, le coût de la construction en pierre varie considérablement suivant les situations, les enjeux et les critères de la mise en œuvre du matériau qu’il est préférable de l’analyser au cas par cas.
SIMON-PARNEIX, Anne-Marie, Pierre des volcans, carnets 2. Entretien avec un tailleur de pierre, Dominique Gouze. Thiézac : Ferme de Trielle, 2010, p.70 96
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Figure 28. Figure Paramètres modifiant le modifiant prix de la pierre 28. Paramètres le prixnaturelle de la pierre naturelle [MARPILLAT, Jean-Louis, Le [MARPILLAT, Jean-Louis, Le vrai prix de la pierre naturelle, compte-rendu
vrai prix de la pierre naturelle, compte-rendu conférence, 03 avril 2019, Paris : 12e journée
conférence, 03 avril 2019, Paris : 12e journée technique du CTMNC]
technique du CTMNC]
La variation du prix de la matière Jean-Louis Marpillat, président du directoire de Rocamat97, premier producteur de pierre naturelle en France, casse le mythe connu qui dit : « la pierre, c’est le luxe »98. Lors de son intervention dans les débats du CTMNC, il souhaite mettre en avant les paramètres responsables du coût du matériau. Les caractéristiques intrinsèques de la pierre sont les premiers critères influençant son prix : en effet, chaque pierre, chaque carrière et chaque banc géologique diffèrent. Plus la fourniture est homogène en nuance et en couleur, plus son coût sera élevé. Il en est de même avec sa dureté et sa rareté : plus une pierre est dure, plus son prix sera important, et plus elle est rare, plus elle sera chère. La disparité du matériau n’implique ainsi aucune règle générale permettant d’établir un coût fixe. Toutefois, la recherche constante de l’élément parfait renchérit considérablement sur le prix de la fourniture.
Rocamat : « acteur majeur de la production de pierre de construction au niveau international et le premier producteur de pierre naturelle en France. (30 carrières de calcaires en France, 4 usines de transformation, 250 personnes) » 98 MARPILLAT, Jean-Louis, Le vrai prix de la pierre naturelle, compte-rendu conférence, 03 avril 2019, Paris : 12e journée technique du CTMNC 97
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L’optimisation du système de production A cette liste s’ajoutent des facteurs qui dépendent uniquement du producteur et correspondent au rendement de la carrière en général ainsi qu’aux moyens techniques et humains mis en œuvre pour sa production (fig.28). Les discussions entretenues avec des carriers lors du salon ont permis de mieux saisir les paramètres pris en compte lors de cette première étape de l’exploitation. Tous liés aux frais de l’entreprise liés à l’extraction, ils regroupent « les heures passées pour l’extraire [la pierre], le matériel, les engins, les machines, les tarifs horaires des salariés, etc. »99. L’objectif des entreprises étant de réduire le prix de leur produit, elles essayent de limiter au maximum son temps d’extraction. Par conséquent, l’automatisation des carrières constitue un progrès considérable puisqu’elle leur permet d’obtenir des blocs mieux découpés, plus rapidement et ainsi optimiser leur rendement : « on renouvelle afin d’automatiser, pour que le débit soit plus propre au niveau des dimensions, et afin de produire mieux »100. Cette optimisation du temps de production permise grâce à l’achat d’outils techniques performants, représente cependant un coût élevé pour les carriers. Comme expliqué par l’entreprise des Pierres de Paris, il faut renouveler progressivement les engins : acheter une machine par an permet de bien développer l’entreprise, mais constitue un achat important, pouvant aller jusqu’à 400 000 euros pour une haveuse par exemple. De fait, l’investissement d’un tel outillage engendre des frais supplémentaires pour le produit final, au moins pendant les premières années. Toutefois, il permet la réduction du coût de la main d’œuvre, car plus la carrière se remplie de « robots », moins la main d’œuvre sera nécessaire. Cette transition, presque inévitable aujourd’hui pour les entreprises, est également la conséquence d’une main d’œuvre devenue rare et chère. La plupart des carriers préfèrent désormais s’assurer du rendement par la modernisation de leur exploitation et ne comptent plus sur la recherche de salariés compétents.
99 LEBLOND Quentin, responsable bureau d’études et chargé de prescriptions, Les Pierres de Paris, entretien, 03 décembre 2019 100 Ibid.
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Au-delà du rendement productif de la carrière, la fluctuation du prix de la pierre naturelle est également le résultat d’un manque d’exploitation global de la ressource. La raréfaction des carrières de pierres engendrée par les pressions des règlementations et du coût d’investissement101, joue effectivement un rôle majeur dans les calculs de revient du matériau. Très peu de carrières sont capables aujourd’hui de produire une commande de quantité importante, sur un temps restreint. Même si la pierre ne manque pas sur le territoire, les carriers, souvent découragés d’extraire des blocs massifs pour la construction du fait du peu de commandes, préfèrent opter pour l’extraction de gros volumes de granulats ou de pierre pour la décoration. Le manque de modernisation de leurs infrastructures n’aide pas non plus à régler ce problème fondamental : « pour sortir un cubage important rapidement, les carrières doivent s’équiper »102. Les quelques exploitations capables d’effectuer la commande dans les temps, imposent des prix souvent élevés. Malheureusement, leur raréfaction a également des conséquences sur l’augmentation du coût du produit à la sortie de la carrière. Les carrières françaises et leurs ateliers de transformation ne pouvant s’établir sur tous les territoires, se trouvent souvent éloignés des chantiers. Ainsi, la distance importante entre le lieu de production et le chantier devient un problème difficile à régler. En effet, le « sous-développement des moyens de transport »103 actuel a tendance à condamner le transport de matériaux lourds en général. Le coût du fret par camion sur une autoroute est énorme et impacte la plupart des matériaux naturels. Le transport, auparavant effectué principalement par voie fluviale, permettait de parcourir d’importantes distances. Aujourd’hui, s’appuyer uniquement sur des ressources locales pour construire évite certes, un surcoût financier et un plus faible impact environnemental, mais constitue une solution inadaptée dans un monde où les échanges et transports de marchandises s’intensifient de plus en plus.
Cf. Une exploitation lourdement contrainte par la règlementation, p. 42 PERRAUDIN Jean-Manuel, directeur général Atelier Architecture Perraudin, entretien, 07 janvier 2020 103 PERRAUDIN, Gilles, La pierre, ce matériau du futur, [en ligne], consultable sur <https://www.lemoniteur.fr/article/la-pierre-ce-materiau-du-futur-par-gilles-perraudinarchitecte.659199/> 101 102
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Figure 29. Exemple de découpage de modules de pierre [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
Figure 29. Exemple de découpage de modules de pierre [PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013]
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Dans la plupart des cas, il est ainsi essentiel de se rapprocher au maximum du producteur afin de mieux comprendre les règles qu’il impose et pouvoir s’y adapter lors de la conception. En effet, la connaissance précise du mode d’extraction et de transformation de la carrière est nécessaire au début de chaque projet afin d’obtenir le meilleur rapport entre prix et quantité de matière. Le calepinage, qui permet d’organiser les dimensions et ouvertures du bâtiment en fonction du module initial, constitue une source incontournable d’économies. Par conséquent, l’architecte doit commander des éléments adaptés au gisement et aux outils de l’exploitation car les entreprises « imposent un module pour avoir le moins de perte possible dans le bloc » 104. Afin d’optimiser la ressource, Gilles Perraudin affirme qu’il faut élaborer « des modules de construction adaptés à leur outil d’extraction et de débit »105. Actuellement, le module standard mesure 210*90*50106. Ainsi, plus la transformation et la découpe seront simples et répétitives, meilleure sera l’optimisation économique de l’ouvrage construit. Si la fabrication de ce module est la plus courante, certains blocs nécessitent néanmoins des travaux spéciaux tels que les rainures, les percements, les découpages et sont réalisés en amont par le carrier ou par le transformateur. Evidemment, ce découpage de bloc sur mesure implique une augmentation du prix : « si on nous demande d’autres modules, on fera une plus-value sur le prix car on perd de la matière »107.
Le rôle essentiel de la conception préalable Dans le cas de la pierre, mais également dans tout autre système constructif, le concepteur doit parfaitement maîtriser ces données préalablement au projet. Le choix du système constructif après la réalisation de l’esquisse, entrainera inévitablement un surcoût de l’opération par la complexité introduite ou par la révision de la totalité des études qu’il entraîne. En effet, nombreux acteurs le confirment, notamment Jean-Louis Marpillat lorsqu’il explique que « l’étude préalable précise d’un projet est la clé de la réussite, tant techniquement que MARIOTTA Paul, responsable Carrières de Provence, entretien, 03 décembre 2019 PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.29 106 LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011, p.27 107 MARIOTTA Paul, responsable Carrières de Provence, entretien, 03 décembre 2019 104 105
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financièrement »108, ou encore quand Elisabeth Polzella explique que la pierre n’est pas plus chère qu’un autre matériau si elle est bien pensée et anticipée lors de la conception. Grâce à l’optimisation de la matière faite en collaboration avec le producteur et l’architecte, la pierre naturelle peut même devenir concurrentielle des autres matériaux. L’utilisation qu’en a fait Gilles Perraudin dans les logements sociaux de Cornebarrieu, près de Toulouse, en est une démonstration. Son agence a en effet livré deux immeubles de dix logements, en pierre massive à 1 250 euros par m² habitable, en intégrant parking, loggia, toitures végétalisées et panneaux photovoltaïques. Dans ce cas, l’utilisation basique de la pierre adaptée aux carrières avoisinantes impose une écriture architecturale simple et efficace permettant une importante économie. La question financière ne freine pas vraiment l’agence Perraudin qui affirme qu’il faut « enlever tout ce qui est inutile à la construction afin de rentrer dans les prix ». En effet, limiter les gestes architecturaux ne constitue pas un problème pour ces architectes engagés dans le processus d’économie et d’écologie. Même s’il n’est pas toujours évident de mesurer précisément les paramètres influant sur le coût de la pierre naturelle, il est essentiel de s’y intéresser, de les connaître et de s’y adapter. Etroitement lié aux caractéristiques propres du produit, à son processus d’extraction, à sa rareté mais aussi à sa mise en œuvre dans le bâtiment, l’aspect économique représente un élément primordial pour la filière pierre. Le prix de la pierre, au cœur des principaux débats du marché de la construction, représente pour beaucoup un frein à son utilisation et participe ainsi à son absence dans le paysage architectural français. Toutefois, différents architectes de l’histoire en ont fait leur matériau de prédilection et ont prouvé son efficacité dans l’architecture en s’adaptant, ou bien en faisant face aux contraintes de leur temps.
MARPILLAT, Jean-Louis, Le vrai prix de la pierre naturelle, compte-rendu conférence, 03 avril 2019, Paris : 12e journée technique du CTMNC 108
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PARTIE III LA CONSTRUCTION EN PIERRE, UN ENGAGEMENT ÉTHIQUE DE L’ARCHITECTE « La vie d’un architecte, c’est d’être sur le chantier, c’est même d’être en rapport direct avec les ouvriers, c’est même d’être soi-même entrepreneur, c’est ça la vraie vie d’un architecte. […] La mort de l’architecture, c’est le maître d’œuvre qui livre ses plans exécutés par des manœuvres, par des gens qui ne pensent plus ; c’est fini. Le chantier, c’est le moyen de faire penser tout le monde ensemble, c’est le moyen de faire participer tout le monde à la valeur du bâtiment » POUILLON, Fernand, Mon ambition, Editions du Linteau, 2011, p.121-122
Le constat de l’absence de la pierre dans le paysage architectural mise en avant dans la première partie de cette recherche, ainsi que l’attestation de son incompatibilité avec le système actuel de la construction analysée dans la suite de ce mémoire, ont permis d’éclairer la situation générale de ce matériau dans le contexte architectural contemporain. En effet, la disparition progressive de compétence chez les architectes, les ingénieurs, les ouvriers, mais également l’inadaptation des règles de construction pour la pierre ont des conséquences directes sur son utilisation dans l’architecture. Nombreux acteurs de la construction développent aujourd’hui une crainte de plus en plus forte face à ce matériau peu démocratisé. Les maîtres d’ouvrages à l’origine du projet sont souvent incapables de construire en pierre : ils refusent de prendre la responsabilité d’édifier un bâtiment qui ne peut être conçu par un bureau d’études ni même validé par un bureau de contrôle. Si leur inquiétude est compréhensible, elle ne résout pas pour autant le problème de son utilisation. Ainsi, afin d’affronter les pouvoirs politiques et industriels de notre ère et réapparaître au sein de la construction, la pierre a profondément besoin de l’engagement des architectes.
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L’étude de l’évolution du rôle de l’architecte au fil du temps permettra tout d’abord, de mettre en avant les transformations qu’il a subi et de montrer son importance dans le processus de construction en pierre. Dans un second temps, l’analyse des carrières de deux architectes majeurs de la pierre, Fernand Pouillon et Gilles Perraudin, mettra en évidence la notion d’engagement dans la profession. Enfin, l’étude de la relation entre l’architecture et la matière exprimée à travers la construction en pierre, permettra de questionner la philosophie de l’architecte contemporain face aux nouveaux enjeux de la société.
Figure 30. Le rôle de l’architecte dans la construction en pierre
Figure 30.[Reproduction Le rôle de l’architecte personnelle] dans la construction en pierre [Reproduction personnelle]
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A. L’architecte, maître de l’intégralité du processus de construction
Pour les architectes contemporains, la pierre constitue « une approche différente de la maîtrise d’œuvre sur le plan de la conception générale de l’opération »111. Nécessitant des techniques de mises en œuvre spécifiques souvent oubliées ou dépassées, son utilisation bouleverse en effet les pratiques de la conception actuelle. Ainsi, semblant accentuer toujours plus son opposition face au monde contemporain, la pierre réinterroge finalement la définition du métier d’architecte, son rôle et ses responsabilités dans le processus de construction d’un projet.
Le statut contemporain de l’architecte Quelles soient urbaines, architecturales, règlementaires, environnementales ou bien économiques, les contraintes constituent des obstacles essentiels mais surtout inévitables et courants à la pratique du projet. La complexité croissante des constructions traduite par la recherche permanente de performance, de qualité énergétique ou acoustique, d’optimisation budgétaire, de multiplication des usages, etc., n’a fait qu’augmenter le nombre de règles liées au bâtiment. Les normes de construction par exemple, chaque année plus nombreuses depuis l’industrialisation, exercent une pression considérable sur la conception architecturale. Selon Alain Maugard, ancien président du Centre Scientifique et Technique du Batiment (CSTB), si « chacune d’elle [la norme] a […] son utilité, plus ou moins fondamentale d’ailleurs, […] l’empilement sans hiérarchisation n’a pas de sens, pas de lisibilité et peut devenir contre-productif »112.
La pierre dans l’architecture : conservation, restauration, création, Monumental. Sem.1, 2019 MAUGARD, Alain, « Normes et réglementations : fortifiants ou poisons ? », La France peut-elle se réformer ? Constructif, novembre 2014, n°39, consultable sur <http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-11/normes-et-reglementations-fortifiants-oupoisons.html?item_id=3441> 111 112
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Effectivement, l’overdose de ces contraintes tend progressivement à réduire la création et l’innovation architecturale. En accentuant la standardisation du projet, elle enferme peu à peu les architectes dans une recherche superficielle. La contrainte de dimensions par exemple, souvent imposée dans des contextes urbains denses et complexes, incite l’architecte à se démarquer en travaillant uniquement l’enveloppe du bâtiment. Dans un monde où la concurrence des commandes est considérable, la recherche de l’originalité à tout prix constitue un enjeu majeur de la construction. Souvent confondue avec invention et créativité, cette forme de nouveauté éloigne les architectes des préoccupations essentielles et de la recherche concrète et profonde de l’acte de construire. Françoise Choay le résume parfaitement lorsqu’elle explique que « l’architecte devient un producteur d’images, un agent de marketing ou de communication, qui ne travaille plus qu’en trois dimensions fictives »113. L’intérêt pour la forme du projet contemporain, accentué par l’utilisation de l’outil informatique, semble avoir transformé l’architecture. Les fondements du métier d’architecte, autrefois basés sur les réalités constructives, ont considérablement évolué avec le temps.
La perte progressive des savoirs constructifs A l’origine, l’architecte est une « personne qui construit quelque chose »114, c’est un bâtisseur. En effet, le terme « architecte » vient du grec architekton et se compose de arche, qui signifie « chef de » et de tekton, qui signifie « charpentier ». L’évolution de la société puis des lois a véritablement transformé son statut au cours du temps. L’architecte se distingue progressivement des artisans pour devenir, à l’aube de la Renaissance, un intellectuel. L’image de l’architecte constructeur commence à laisser place à celle de l’architecte concepteur : « l'architecte [...] n'est plus ce praticien qui, cent ans plus tôt, participait encore manuellement à l'œuvre sur les chantiers. [...] Il ne fait plus que dessiner les plans, les élévations, et établir les devis »115.
CHOAY, Françoise, L’allégorie du patrimoine, Ed. Le Seuil, Paris, 1992, p.156 Définition de « architecte », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/architecte> 115 CHAMPY, Florent, HEITZ, Carol, MARTIN, Roland, MOULIN, Raymonde, RABREAUX, Architecte et architecture, Les grands articles d’Universalis, Ed. Encyclopædia Universalis, 2015, p.42 113 114
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Son éloignement du chantier, sa participation à des constructions de plus en plus nobles et sa formation à l’école des Beaux-Arts, constituent des éléments évidents de la théorisation de la profession. L’architecte se rapproche peu à peu du statut d’artiste. Cette nouvelle image, couplée avec l’essor de la technique, entraîne une apparition inévitable des ingénieurs dans la construction. En effet, la croissance de la complexité des bâtiments accentuée par l’industrialisation notamment, impose à l’architecte le recours à des acteurs formés spécifiquement pour trouver des solutions techniques : plus le niveau des exigences extérieures est élevé, moins l’architecte généraliste est en mesure de répondre aux attentes spécifiques et plus il est contraint de s’entourer de spécialistes auxquels il doit déléguer. Cette séparation des tâches constitue une nouvelle manière de concevoir l’architecture et permet d’utiliser au mieux les connaissances de chacun. La construction devient alors le résultat d’un travail d’équipe entre les divers domaines de compétences et les différents acteurs. La loi du 3 janvier 1977 renforce cet aspect pluri-disciplinaire du processus de conception en énonçant : « quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire doit faire appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l’objet de la demande de permis de construire, sans préjudice du recours à d’autres personnes participant soit individuellement, soit en équipe, à la conception »116. L’architecte, qui garde un rôle structurant dans le processus, puisqu’il est responsable de la conception du projet, n’est plus l’unique concerné par le suivi de la construction de l’ouvrage. Par ailleurs, la loi fixe un seuil à partir duquel le recours à ses services est obligatoire117. Ainsi, en dessous de ce seuil, il est possible d’échapper à l’intervention d’un architecte. La séparation des tâches de conception et construction mais aussi la réalisation possible d’habitat individuel sans recours à l’architecte semblent avoir affaibli son rôle de dans la
France, Loi sur l’architecture, 3 janvier 1977, n°77-2, Article 3 « Le recours à l'architecte n'est pas non plus obligatoire pour les travaux soumis au permis de construire ou à l'autorisation, qui concernent exclusivement l'aménagement et l'équipement des espaces intérieurs des constructions et des vitrines commerciales ou qui sont limités à des reprises n'entraînant pas de modifications visibles de l'extérieur. Pour les constructions édifiées ou modifiées par les personnes physiques, à l'exception des constructions à usage agricole, la surface maximale de plancher déterminée par ce décret ne peut être supérieure à 150 mètres carrés. », France, Loi sur l’architecture, 3 janvier 1977, n°77-2, Article 4 116 117
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société. Cette tendance générale de la profession, qui l’éloigne peu à peu de l’acte de construire, tend malheureusement à diminuer son champ d’action et inévitablement ses connaissances et ses savoir-faire.
Un retour aux origines du métier Si le métier, les outils mais aussi les techniques de l’architecte ont beaucoup évolué, la matière, elle, n’a pas bougé. La pierre, toujours présente sous nos pieds, n’a guère changé et appelle à des savoir-faire semblables à ceux de nos ancêtres. A l’instar de l’architecte du Moyen-Age, celui qui construit en pierre possède une culture technique importante, proche de celle de l’ingénieur. L’architecte, en sélectionnant la pierre et en définissant ses caractéristiques dimensionnelles, conçoit et assemble le projet du début jusqu’à la fin. Comme dans la conception traditionnelle de la profession, l’architecte possède un rôle englobant : il assure la bonne mise en œuvre du matériau tout au long des étapes de la construction. Cette maîtrise de l’ensemble du processus permet de reprendre le pas sur le dessin technique de l’assemblage des pierres, sur le savoir constructif global et enfin sur la mise en place du chantier, perdus au fil des années. En renforçant son lien avec le chantier, l’architecte ne peut qu’améliorer son projet. Elément indispensable à l’édification d’un bâtiment respectable, le suivi de cette phase favorise également les relations entre les différents acteurs de la construction. En effet, le dialogue avec les carriers, les artisans, les ingénieurs nécessaires au choix, à l’assemblage puis à la mise en œuvre du matériau, revalorise le travail de l’architecte. Jean-Manuel Perraudin affirme d’ailleurs : « on ne peut pas construire en pierre si on ne sait pas construire »118, car les responsabilités que retrouvent l’architecte à travers ce processus, valorisent considérablement son importance. Il retrouve alors une connaissance précise du matériau, des acteurs du chantier et de son projet. Dans ce sens, la construction en pierre reprend les fondements de la profession d’architecte.
PERRAUDIN Jean-Manuel, directeur général Atelier Architecture Perraudin, entretien, 07 janvier 2020 118
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B. Un engagement de la part de l’architecte
Malgré l’incompatibilité de ce matériau avec les systèmes de construction de ces derniers siècles, la pierre n’a tout de même pas été abandonnée de tous. En affrontant les codes de l’architecture de leur temps, certains architectes sont parvenus à illustrer le potentiel de ce matériau. Leur conviction personnelle ainsi que leur engagement leur ont permis d’atteindre leurs objectifs : construire en pierre et faire valoir leurs croyances architecturales.
Fernand Pouillon, l’architecte combattant Grâce à ses nombreuses réalisations en France et en Algérie, Fernand Pouillon demeure un des grands bâtisseurs du 20e siècle. Afin de comprendre son travail, il est essentiel de le situer par rapport au contexte de reconstruction que subit la France à la suite de la Seconde Guerre Mondiale. La grande affaire de l’époque est celle de la construction de logements pour le plus grand nombre. L’Etat s’engage fortement dans cette crise du logement en finançant d’importantes opérations. Même si la commande est conséquente, les architectes ne peuvent assurer leur légitimité face à la maîtrise d’ouvrage qui les met en concurrence avec les ingénieurs. Dans cette agitation généralisée, le béton se démocratise et permet de réduire les coûts des constructions.
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Figure 31. Logements, Algérie, Fernand Pouillon [FABRIZIO, Léo, Photography, consultable sur Figure 31. Logements, Algérie, Fernand Pouillon https://www.leofabrizio.com/research/rediscovering-fernand-pouillon/] [FABRIZIO, Léo, Photography, consultable sur https://www.leofabrizio.com/research/ rediscovering-fernand-pouillon/]
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Ainsi, Fernand Pouillon, conscient de la problématique du logement de masse, développe une identité architecturale ayant pour objectif de construire dans des délais de réalisation extrêmement courts et à des prix incroyablement bas. Par conséquent, il essaie de mettre en valeur des matériaux nobles, de les assembler dans une juste combinaison et de mettre à jour des procédés de construction ancestraux. Si l’époque rend difficile l’affrontement du mouvement moderne et de l’industrie de béton, Pouillon choisit cependant de construire en pierre. Ce matériau lui permet alors d’échapper à ce que l’Etat et les grandes entreprises imposent et de contrôler le projet du début jusqu’à la fin, de la carrière à la livraison. En effet, afin d’achever par ses propres moyens le projet social, ambitieux et généreux qu’il s’est lancé, il lui faut contrôler toute la chaîne de production. Il développe ainsi un grand sens du détail en faisait appel aux talents des céramistes, des sculpteurs, des ébénistes, etc. et participe à la transmission des savoir-faire de l’artisanat. Néanmoins bridé par le système de l’époque, il crée ses propres espaces juridiques et économiques. En 1955, il fonde le CNL, Comptoir National du Logement, une structure commerciale et juridique qui va lui permettre de bâtir des milliers de logements à Paris, pas seulement comme architecte mais aussi comme promoteur119. Il contourne la législation de l’époque qui interdit, depuis la guerre, aux architectes d’approcher le domaine de la promotion immobilière ou de l’entreprenariat. Ses premiers projets de grands ensembles à Montrouge et Pantin par exemple, se dérouleront particulièrement bien et mettront en évidence les qualités de son architecture face aux enjeux de l’époque. Un scandale éclatera peu de temps après, lors de la réalisation de l’opération du Point du Jour à Boulogne-Billancourt. L’impossibilité de payer les entreprises sur l’opération mais aussi la gestion frauduleuse du CNL seront les causes de sa radiation de l’Ordre des Architectes et de son départ en prison. Comme l’explique Bernard Marrey 120, tout semble orchestré pour le désigner coupable. En effet, la nouvelle politique gouvernementale de l’époque en faveur de la promotion immobilière privée n’incite pas l’Etat à mener une réelle enquête sur l’origine des dérives du CNL.
119
MARREY, Bernard, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Ed. du Linteau, Paris, 2010, p. 43
120
Ibid.
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En se vantant de construire moins cher, mieux, plus vite que les autres et en pierre, Fernand Pouillon représente « l’homme à abattre »121. Malgré que ses pratiques aient contrarié le monde de la construction, il emporte de nombreuses opérations et ses grands projets se réalisent grâce à l’appui de « ministres, hautsfonctionnaires, ou maires confrontés au gigantesque problème du logement et de la reconstruction de la France »122 qui ont confiance en son travail. Toutefois, il se met progressivement à dos les architectes, les entrepreneurs et les promoteurs qui voient en lui un concurrent gênant. Par ailleurs, son choix de la pierre, matériau naturel en parfaite contradiction avec l’industrie de l’époque ainsi que sa personnalité souvent peu soucieuse des hiérarchies est parvenu à « chatouiller aussi la nervosité de l’Ordre des architectes »123. Dans une volonté de produire des opérations de construction pour tous, Fernand Pouillon a su concevoir des logements sociaux de qualité en utilisant et défendant l’usage de la pierre. La reconstruction du Vieux-Port de Marseille, la résidence Climat de France à Alger, celles du Point du Jour à Boulogne-Billancourt ou encore du parc à Meudon constituent aujourd’hui des repères majeurs dans l’histoire de l’habitat. Ces réalisations et son parcours mettent en valeur les contradictions d’un modèle de société non adapté où les prises de décisions, les manœuvres politiques, les divergences d’intérêts déconnectent progressivement l’architecture de son temps et de ses enjeux réels. Malgré le mépris de ses confrères, des politiques ou de la presse, Pouillon a essayé de répondre aux enjeux de son temps en consacrant sa vie à l’architecture. En s’engageant à démontrer la modernité de la pierre de taille, il a également renouvelé le rapport entre tradition et innovation architecturale.
121 122
MARREY, Bernard, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Ed. du Linteau, Paris, 2010, p. 43 Ibid. p. 71
BATAILLON, Nicolas, DUPOUYX, Guilhem, DUPLANITER, Martin, TRICOT, Clément, sous la direction de RATOUIS, Olivier, Mémoires d’un architecte, Fernand Pouillon, dans Théories et doctrine du projet d’urbanisme, Master 2, Institut d’Urbanisme de Bordeaux, 2012, p.19 123
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Figure 32. L’ensemble de la Tourette, Marseille, Fernand Pouillon [FABRIZIO, Léo, Photography, consultable sur https://www.leofabrizio.com/research/rediscovering-fernandFigure 32. L’ensemble de la Tourette, Marseille, Fernand Pouillon pouillon/] [FABRIZIO, Léo, Photography, consultable sur https://www.leofabrizio.com/research/rediscovering-fernandpouillon/]
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Gilles Perraudin, l’ambassadeur de la pierre
Depuis les réalisations de Fernand Pouillon, l’architecture en pierre massive n’a connu que de rares références manifestes. En effet, Gilles Perraudin est un des premiers architectes contemporains français à l’avoir utilisée dans ses projets. Fervent défenseur de ce matériau, il représente également un exemple du pouvoir de la conviction architecturale et combat à son tour un système contraignant, qui a gardé les traits de l’époque de son prédécesseur. Il critique évidemment l’industrialisation et la période moderne, mais également les puissances financières contemporaines. Dans le contexte actuel, où les grands groupes multinationaux s’imposent sur les filières technologiques, il se désole de la transformation profonde de l’architecture en une « discipline purement formelle et picturale »124 et de l’architecte en un « faire-valoir de la spéculation »125. Considérant erronée pour une grande part, l’approche environnementale actuelle de la construction, il essaie, comme Pouillon, de prendre le contre-pied des réalisations de son temps. Il se tourne ainsi vers l’architecture vernaculaire qui a apporté dans l’histoire des réponses architecturales à des problèmes d’économie d’énergie notamment. Selon lui, « les meilleurs exemples d’architecture et de construction se trouvent dans les sociétés dont les ressources en matériaux et en énergie sont limitées »126. Il poursuit dans son agence, depuis maintenant 40 ans, une recherche architecturale basée sur l’amélioration et la conservation des conditions de vie sur terre. En développant une attention plus importante aux émissions de CO² dégagées tout au long de la production d’un bâtiment, l’agence se concentre aujourd’hui en particulier sur les matériaux naturels de construction. Pour toutes ces raisons, Gilles Perraudin utilise aujourd’hui la pierre massive, matériau qu’il considère révolutionnaire même si étonnant dans l’architecture contemporaine.
124 PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.55 125 Ibid. p.55 126 Ibid. p.55
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Carrière Violet, Nogent-sur-Oise, Oise
Figure 33. Maison individuelle, Lyon, Perraudin [Internet, consultable sur http://www.perraudinarchitectes.com/]
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Figure 34. Chai viticole, Nizas, Perraudin[Internet, consultable sur http://www.perraudinarchitectes.com/]
Figure 34. Chai viticole, Nizas, Perraudin [Internet, consultable sur http://www.perraudinarchitectes.com/]
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A l’heure où les architectures cherchent à briller par le spectaculaire, utilisant des matériaux inédits « haute performance », il mène un réel combat afin de faire évoluer les mentalités et prouver que la pierre est le matériau idéal de nos constructions futures. S’il a parfois dû se heurter à une culture d’entreprise et un pouvoir politique dominés par le béton, il a néanmoins réalisé de nombreux édifices aux qualités architecturales souvent récompensées. Que ce soit dans la construction de chais viticoles dans le sud de la France, de maisons individuelles, d’équipements culturels ou encore dans des logements sociaux, l’agence Perraudin démontre le pouvoir de la conviction face aux contraintes règlementaires, architecturales, politiques et même économiques. Son travail de la pierre lui permet également de se détourner des approches souvent très formelles de notre époque. En refusant tout formalisme, il laisse le matériau dicter les choix architecturaux : « plutôt que de proposer un bâtiment à la forme décidée, par un concept abstrait, le créateur a écouté »127. Le matériau a en fait révélé les convictions profondes de l’architecte. « J’ai trouvé avec la pierre quelque chose que j’avais en moi dès le début de mon activité : la possibilité de maîtriser entièrement le processus de projet »128, explique-t-il. L’esprit d’ouverture de cet expérimentateur, qui puise ses références dans une architecture à la fois classique, avant-gardiste et vernaculaire, donne finalement un sens nouveau à la construction durable de notre époque.
NUSSAUME Yann, Gilles Perraudin - Dialogue sous une palme, propos recueillis par Valéry Didelon, Ed. Les Presses du Réel, juillet 2012, Dijon, p.17 128 Ibid. p.33 127
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De nouvelles interprétations Même si elles appartiennent à deux époques distinctes, l’architecture de Fernand Pouillon et celle de Gilles Perraudin constituent des références importantes de l’histoire de la construction en pierre. De l’étude du travail de ces architectes, nait un réel engagement pour la mise en avenir des matériaux naturels. En effet, elles inspirent aujourd’hui les plus jeunes générations d’architectes qui explorent de nouvelles techniques afin de répondre notamment, aux enjeux environnementaux actuels. Ainsi, des assemblages divers de matériaux voient le jour comme par exemple des mises en œuvre combinant pierre et béton ou des ossatures en bois assemblées à une façade en pierre. Les réalisations contemporaines en pierre porteuse ou semi-porteuse, présentées lors de l’exposition pierre au Pavillon de l’Arsenal, sont une preuve qu’il est encore possible d’exploiter et d’expérimenter cette ressource. « La mise en œuvre de la pierre et l’architecture qu’elle appelle révèlent, avant tout, de la conviction puisqu’il s’agit en premier lieu, d’affronter un système qui veut toujours tirer profit ». Cette conviction, primordiale dans le travail de l’architecte, permet de dépasser les limites construites par notre société au fil du temps. Bâtir aujourd’hui, n’est pas seulement répondre à une équation technique, programmatique ou énergétique, mais cela requiert une éthique constructive, au service des usagers et du site. L’architecture doit prendre en compte les lieux, les climats et les cultures. Fort de son besoin de transmettre, Gilles Perraudin affirme qu’il faut montrer « aux jeunes qu’ils ne doivent pas désespérer d’un métier sublime et exaltant : en utilisant des matériaux naturels ils échapperont aux dictats des filières spéculatives »129.
PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.55 129
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Figure 35. Réalisations contemporaines en pierre [Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018]
Figure 35. Réalisations contemporaines en pierre [Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018]
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C. La pierre, matière à construire contemporaine
Au-delà de faire appel aux convictions et à l’engagement de l’architecte, l’emploi de matériaux naturels de construction manifeste une architecture respectueuse de l’environnement et de la société. Cette conception, qui ne relève plus seulement de l’engagement, implique un raisonnement éthique et moral de la part de l’architecte.
L’architecture, lien entre l’homme et la nature Depuis la révolution industrielle, l’artificialisation massive de l’environnement participe à la perte progressive de la nature du monde ainsi que de notre degré de conscience de cette dernière. A l’heure où les démarches mises en œuvre pour l’écologie de nos milieux, restent insuffisantes pour inverser la tendance écologique, il est nécessaire et urgent de porter une réflexion critique, élargie et surtout éthique sur nos interventions. Conformément « aux principes, à l’idéal de la conduite »130, l’architecte, comme tout autre acteur de notre monde, doit réinventer sa manière de penser, élaborer de nouvelles méthodes, adapter ses outils afin d’entamer la mutation indispensable de notre civilisation. La séparation entre la matière et l’esprit, aujourd’hui solidement ancrée dans la société, a éloigné peu à peu les occidentaux de la nature depuis la modernité. Ainsi, il est nécessaire de revenir aux fondements de notre histoire et comprendre que l’architecture constitue l’« art d’habiter la terre »131 et fait le lien entre l’homme et la matière depuis des millénaires. En effet, elle existe pour que la vie ait lieu. Selon Philippe Madec, elle correspond à « une installation de la vie des hommes
Définition de « morale », site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultable sur <https://www.cnrtl.fr/definition/morale> 131 Repris in Catalogue de l’exposition « Ré-enchanter le monde », sous la direction de Marie-Hélène CONTAL. Éd. Gallimard, 2014 130
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par une matière disposée avec bienveillance »132. Cette définition, qui peut paraître surannée, constitue certes, une vision utopique de l’architecture, mais une vision véritablement en accord avec la terre. Elle semble en effet réunir réalité naturelle et humaine.
La matière comme lien physique En rétablissant un rapport plus fondamental et plus responsable avec notre environnement naturel, l’architecte conçoit des bâtiments producteurs de vie plus que destructeurs. Retrouver ce rapport physique et émotionnel à l’espace et au temps permet en effet de redéfinir notre architecture. Par la matière, il est possible de renouer avec les réalités concrètes du monde matériel et de réactiver notre attachement à la nature en lui accordant une valeur plus importante. Pour certains architectes, notamment Joly&Loiret, la problématique environnementale doit avoir des « réponses spécifiques et locales »133. Selon eux, l’objectif de l’architecture contemporaine est de mettre en œuvre des solutions adaptées à des environnements qui possèdent leurs spécificités géographiques, climatiques, sociales et culturelles. Le temps où le matériau s’adaptait à toutes les situations n’existe plus. Il faut favoriser le matériau conçu et pensé dans le cadre d’interventions localisées et ciblées. En effet, le juste produit est celui qui, dans le contexte du projet répond précisément aux contraintes définies et n’a plus de valeur intrinsèque sorti de son contexte. Souvent le matériau le plus sophistiqué est le plus éloigné des réalités du projet. Ainsi, il est nécessaire de repositionner notre pensée de la conception et de la production. Dans un nouveau système de contraintes où il est nécessaire de considérer la ressource et la disponibilité d’énergie pour sa mise en œuvre, le choix de la matière est en effet primordial. Ce n’est plus une décision prise à posteriori d’une définition conceptuelle mais une réalité simultanée et constitutive du projet.
MADEC, Philippe, Oser l’altérité, le spécifique, la bienveillance, les cultures, repris in Catalogue de l’exposition « Ré-enchanter le monde », sous la direction de Marie-Hélène CONTAL. Éd. Gallimard, 2014 133 JOLY, Serge, LOIRET, Paul-Emmanuel, La voie des milieux, exposition La voie des milieux, M’A Grenoble, septembre 2015, p.6 132
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Transformer une matière disponible en source de conception interroge ainsi les modes opératoires du processus de construction. Les architectes doivent apprendre à mieux comprendre et mieux respecter nos ressources, à collaborer avec le matériau et être à l’écoute de la matière. Ils doivent rechercher le produit juste, celui qui correspond précisément à l’emploi pour lequel il est destiné. Louis Kahn mentionnait déjà ce respect pour le matériau au 20e siècle : « If you think of Brick, you say to Brick, “What do you want, Brick ?” And Brick says to you, “I like an Arch”. And if you say to Brick, “Look, arches are expensive, and I can use a concrete lintel over you. What do you think of that, Brick ?” Brick says, “I like an Arch”. And it’s important, you see, that you honor the material that you use. […] You can only do it if you honor the brick and glorify the brick instead of shortchanging it.»134.
La décence que retrouve la construction dans l’utilisation des matériaux naturels tels que la pierre, la terre, le bois ou les fibres végétales, permet de retrouver également une harmonie dans l’acte de construire. En effet, la matière comme source de conception, se transforme et réunit tous les ingrédients d’une architecture intégrée à son temps : « en utilisant la pierre et la terre disponibles sous nos pieds, nous pouvons réaliser des architectures de bon sens respectueuses de l’environnement »135. Elle invite également à situer l’architecture dans une histoire, une culture, un territoire, une société qui lui appartient. Nadia Hoyet l’affirme d’ailleurs : « la mise en œuvre des matériaux dans l’architecture inscrit physiquement le bâtiment dans son contexte social et culturel »136. Commune à tous, la matière semble en effet avoir le pouvoir de nous identifier mais également de nous réunir.
« Quand vous pensez à la Brique, vous lui demandez : “Que veux-tu Brique ?” Et la Brique répond : “J’aime l’arc.” Et si tu dis à la Brique : “Écoute, les arches sont chères, et je peux utiliser un linteau en béton sur une baie. Que penses-tu de cela, Brique ?” Et la Brique dit : “J’aime l’arc.” Et c’est important, voyez-vous, que vous honoriez le matériau que vous utilisez […] Vous ne pouvez le faire que si vous honorez la Brique et que vous la glorifiez plutôt que ne pas lui rendre ce qui lui est dû », traduction personnelle, KHAN, Louis, « Even a brick wants to be something » in LOBELL, John, Between silence and light, Shambhala, 1985, p. 40. 135 PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, p.55 136 HOYET, Nadia, Matériaux et architecture durable, Ed. Dunod, p.4 134
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L’évolution contemporaine des modes de pensée L’évolution de la prise en compte du matériau dans notre environnement, des rejets, des gâchis, des recyclages, des produits trop transformés et trop performants amène finalement à repenser l’importance du matériau dans l’architecture. Sa configuration primaire et naturelle redevient un recours envisageable. Ainsi, la pierre, comme les autres matériaux naturels, revient peu à peu sur le devant de la scène architecturale. Les matières, qui nous permettent de penser différemment l’architecture de demain avec les ressources ancestrales et leurs techniques traditionnelles, sont finalement capables de retrouver « une contemporanéité par le biais de processus de conception inédits » 137. Effectivement, les systèmes techniques actuellement disponibles sur nos territoires permettent de faire évoluer ces matières trop souvent considérées comme dépassées. Les Global Awards For Sustainable Architecture138, qui distinguent chaque année cinq architectes du monde entier, mettent d’ailleurs en avant des démarches architecturales responsables. Ce prix récompense les architectes qui travaillent à une « éthique architecturale durable et favorise la recherche, l’expérimentation et la transmission dans les domaines de l’architecture durable, du renouveau urbain et de la responsabilité sociale »139. Ainsi, les modes de construire évoluent progressivement. En France, l’Etat essaie par exemple, de développer une nouvelle pensée de la construction en mettant en place de nouvelles démarches environnementales. Même si par le passé leur tendance a été de contraindre les architectes, elles visent aujourd’hui à intégrer plus de morale dans la conception. En effet, la nouvelle réglementation environnementale (RE 2020140) a pour objectif de « diminuer l’impact carbone des
CONTAL, Marie-Hélène, REVEDIN, Jana, Sustainable design 6 : vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, Ed. Alternatives, 2018, p.7 138 Global Awards for Sustainable Architecture : « Prix Mondial pour l’architecture durable », traduction personnelle. Le Global Award a été créé en 2006 par l'architecte et chercheuse Jana Revedin, en partenariat avec la Cité de l'Architecture & du Patrimoine et les institutions membres de son comité scientifique international. En 2010, il a été placé sous le patronage de l'UNESCO. 139 CONTAL, Marie-Hélène, REVEDIN, Jana, Sustainable design 6 : vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, Ed. Alternatives, 2018, p.7 140 RE 2020 : entrera en vigueur le 1er Janvier 2021 137
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bâtiments, poursuivre l’amélioration de leur performance énergétique et en garantir la fraicheur pendant les étés caniculaires » 141. La prise en compte du bilan carbone du bâtiment avant même le début des travaux ainsi que du cycle de vie du matériau de la construction à la déconstruction, constitue un réel atout pour les matériaux à faible empreinte carbone. Désormais contraints de penser à long terme, les constructeurs essaieront, il faut l’espérer, de concevoir des bâtiments, parfois plus chers, mais de qualité pour les usagers et pour l’environnement. Si cette recherche s’achève en mettant en valeur les évolutions actuelles en faveur de la pierre et plus généralement des matériaux naturels, elle invite également à les questionner. L’étude approfondie du système de la construction contemporaine en pierre, qui a prouvé la responsabilité formelle des instances politiques et économiques dans la disparition progressive de ce matériau depuis l’industrialisation, a toutefois ignoré les aspects positifs de ce phénomène dans l’histoire plus générale de l’architecture. Grâce à la croissance économique, la révolution industrielle a permis le progrès technique, scientifique, sanitaire, alimentaire, architectural et sociétal, désormais fondamental quel que soit son domaine d’intervention. Se concentrer uniquement sur les effets négatifs de l’industrialisation est une erreur. « Diviser nettement les choses en secteur moderne, d’une part, et en secteur traditionnel, d’autre part »142, c’est ignorer les forces productives qu’a créé l’industrie, c’est ignorer également l’ère d’amélioration dans laquelle nous sommes. « La subjugation des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la canalisation des rivières, des populations entières sortant de terre comme par enchantement, quel siècle antérieur a soupçonné que de pareilles forces productives dormaient dans le travail social ? »143. Ministère de la Transition écologique et solidaire, « RE2020 : Une nouvelle étape vers une future règlementation environnementale des bâtiments neufs plus ambitieuse contre le changement climatique », consultable sur <https://www.ecologiquesolidaire.gouv.fr/re2020-nouvelle-etape-vers-future-reglementation-environnementaledes-batiments-neufs-plus/>
141
COURLET, Claude, JUDET, Pierre, « Industrialisation et développement : la crise des paradigmes » In: Tiers-Monde, tome 27, n°107, 1986. La nouvelle industrialisation du Tiers Monde, sous la direction de Moïses Ikonicoff. pp. 519-536. 143 ENGELS, Friedrich, MARX, Karl, Manifeste du Parti Communiste, Ed. Presses Electroniques de France, 2013, p.51 142
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Par conséquent, la reconnaissance et l’acceptation du contexte contemporain conduisent à réviser les critères et les conditions de développement. Même si la tendance est souvent d’opposer le monde de l’artisanat et celui de l’industrie, il est nécessaire d’imaginer leur pouvoir de complémentarité. L’artisanat, fondé sur une activité utilisant le savoir-faire manuel, n’existe pas sans l’outil et la machine. L’industrie, qui correspond à une activité de fabrication de produits mais aussi de production de systèmes et de services, n’existe pas non plus sans la main de l’homme. Ainsi, pourquoi ne pas les associer comme cela se pratique déjà en Italie ? En effet, afin de résoudre un problème de fabrication, de réaliser des prototypes ou même de fabriquer en petites séries, l’industrie sollicite le travail de l’artisan et fonctionne de manière plus raisonnée. En ce sens, il est toujours possible de créer une forme d’innovation qui permette le développement rationnel de notre société. Il s’agira ainsi de privilégier la recherche d’un équilibre dans la prise de décision de l’art de concevoir et de construire un : « équilibre entre l’arkhê et la tecknê ; Équilibre entre le quantitatif et le qualitatif, l’objectif et le subjectif ; Équilibre entre l’esprit de projection et de décision et l’esprit de concertation et de participation ; Équilibre entre la construction de la pensée et la pensée de la construction ; Équilibre entre le corps et l’esprit ; Équilibre entre les connaissances liées aux environnements et celles liées aux mondes humains ; Équilibre entre une identité locale et un positionnement mondial : s’ancrer dans un territoire et ses spécificités et être capable de projeter dans un monde globalisé (apprendre du monde pour faire le monde) ; Équilibre entre les outils contemporains ou à venir et ceux du passé ; Équilibre entre l’héritage et l’invention »144.
144 JOLY, Serge, LOIRET, Paul-Emmanuel, La voie des milieux, exposition La voie des milieux, M’A Grenoble, septembre 2015, p.12
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Le potentiel de la filière pierre au regard des besoins et ressources de demain
10 000
ard des besoins et ressources de demain kilotonnes
8 000
12 000
10 000
6 000
8 000
4 000
Importation nécessaire de matériaux de construction 6 000
2 000
4 000
0 1993 Importation nécessaire de matériaux de construction
2 000
0 1993
2020
Production de granulats alluvionnaires en Île-de-France Équivalent en granulats du nombre de logements autorisés Pierre : production moyenne dans l’Oise et l’Aisne Importations hors Île-de-France Production de bois d’œuvre en Île-de-France Production de granulats alluvionnaires en Île-de-France Équivalent en granulats du nombre de logements autorisés Pierre : production moyenne dans l’Oise et l’Aisne
Sources : DRIEE, IAU Île-de-France. 2017. Granulats en île-de-France. Panorama régional ADEME ; DRIEE, IAU ILE-DE-FRANCE. 2017. Granulats en Île-de-France. Panorama régional Les arrêtés préfectoraux des neuf carrières étudiées dans le cadre de l’enquête. IGN. 2017. La feuille de l’inventaire forestier, 39
Importations hors Île-de-France Production de bois d’œuvre en Île-de-France
2020
2035
Figure 36. Le potentiel de la filière pierre au regard des besoins et ressources de demain [Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT,
en Île-de-France
Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource,
ogements autorisés
explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018]
e et l’Aisne
France
2035
Sources : DRIEE, IAU Île-de-France. 2017. Granulats en île-de-France. Panorama régional ADEME ; DRIEE, IAU ILE-DE-FRANCE. 2017. Granulats en Île-de-France. Panorama régional Les arrêtés préfectoraux des neuf carrières étudiées dans le cadre de l’enquête. IGN. 2017. La feuille de l’inventaire forestier, 39
Sources : DRIEE, IA ADEME ; Les arrêté IGN. 2017
CONCLUSION
Dans un monde où le progrès domine et l’architecture se complexifie, les matériaux naturels de construction connaissent un recul important dans les pays développés, souvent entretenu par les politiques publiques et l’influence des grands groupes financiers. La pierre, caractéristique d’une architecture historique, est ainsi souvent remplacée par des matériaux fabriqués et industrialisés. Ce mémoire résulte de l’hypothèse que l’utilisation de ce matériau, favorable aux enjeux de l’architecture durable, est devenu toutefois incompatible avec le marché de la construction actuel. La problématique principale de l’étude a été la détermination des contraintes liées à l’emploi de ce matériau, autrement dit des difficultés actuelles qui ne lui permettent pas d’intégrer l’architecture contemporaine. L’immersion au sein de la filière pierre en France depuis l’extraction de la ressource jusqu’à son passage dans les mains de l’architecte, a apporté des éléments de réponse concret au questionnement qui guide ce travail. S’intéresser à la pierre, c’est s’intéresser à un matériau respectueux de l’environnement, un matériau idéal pour l’architecture de demain, mais c’est aussi s’intéresser à un matériau de construction aujourd’hui oublié de la société. La pierre, employée par l’homme depuis des millénaires, ne représente désormais que « 4 % du marché du bâtiment »145. Après avoir étudié les caractéristiques qui l’ont fait rayonner dans l’histoire de l’architecture, il était nécessaire de montrer l’affaiblissement considérable de la connaissance liée à l’emploi de ce matériau aujourd’hui. Plus intéressées par les questions formelles et innovantes, les écoles d’architecture et d’ingénieurs l’ont progressivement éliminé de leurs programmes au profit de matériaux plus performants. Disparue de l’architecture, de l’enseignement mais également de la pensée commune, la pierre accuse une situation difficile révélée par l’étude de l’activité de la filière dans son ensemble.
DESSANDIER, D. avec la collaboration de BENHARROUS J., MICHEL F., PALLIX D., 2014, Mémento sur l’industrie française des roches ornementales et de construction. Rapport final, p.4 145
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Composée principalement d’artisans, la filière pierre peine à combattre les règlementations liées à son exploitation, le manque de main d’œuvre compétente ainsi que l’offre concurrentielle omniprésente de la part des pays étrangers. Le récit de son histoire depuis l’industrialisation a ensuite démontré, au travers de plusieurs exemples concrets, son incompatibilité face au système de construction contemporain. L’impossible variation de sa formule ne lui permettant pas d’intégrer les codes de l’industrie du 20e siècle, elle s’est progressivement effacée des édifices au profit de son premier concurrent, le béton. Aujourd’hui, son inadaptation perdure au travers des règlementations très souvent dictées par les grandes entreprises industrielles régissant la construction contemporaine. L’analyse approfondie des paramètres influençant son coût de revient, autrement dit de ses caractéristiques, de sa production et de sa mise en œuvre a permis par la suite, de reconsidérer les contraintes de son utilisation. Considéré comme une limite majeure au début de la recherche, le prix de la pierre s’avère finalement le moins contraignant et son étude a permis de redéfinir le rôle de l’architecte lors de l’emploi d’un tel matériau. En gérant les différentes variations de son prix, en prenant le contrôle de la construction, du dessin et de la maîtrise de l’ensemble des acteurs du projet, l’architecte reprend la maîtrise de la totalité du processus de construction en pierre et retrouve en effet les fondements d’une profession transformée au fil des années. L’étude du travail de Fernand Pouillon et de Gilles Perraudin, deux architectes majeurs de la construction en pierre, a ensuite permis d’introduire la notion d’engagement éthique du maître d’œuvre. Afin de produire une architecture intégrée à son temps et adaptable aux enjeux de demain, l’architecte doit à la fois initier une évolution des modes de pensée ; lutter contre des discours politiques et économiques parfois contradictoires ; revenir à une conception raisonnée ; et repenser le matériau en y apportant une vision contemporaine.
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L’ambition de ce mémoire est donc de défendre une conception nouvelle de l’architecture, qui concernerait moins les principes de formalisme, d’originalité et d’innovation que la recherche d’intégration à un lieu, une culture, une époque par l’utilisation d’une matière appartenant à la nature. En reprenant le contrôle du projet, en utilisant la matière naturelle et en contextualisant sa conception, l’architecte s’engage comme un acteur conscient des urgences sociales et environnementales de son temps. A partir de la recherche d’un équilibre entre l’architecture et la nature, entre la tradition et l’invention, la pierre, comme les autres matériaux naturels de construction, redevient un recours envisageable pour l’avenir et réapparaît sur le devant de la scène architecturale. Ce travail ne cherche cependant pas à idéaliser l’architecture en pierre massive ou l’emploi des matériaux naturels en imaginant une architecture utopiste. Il s’appuie sur le travail concret de quelques architectes qui ont réussi à atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés. Il est toutefois important de rappeler que si leur travail est assez connu, ils demeurent des figures rares du paysage architectural français. En effet, si l’étude de la filière pierre française a permis de comprendre en détail son fonctionnement, l’immersion dans ce secteur assez réduit a restreint la recherche à une approche locale, difficile à transposer à d’autres configurations. Ainsi, il est nécessaire de poser un regard critique sur ce travail en comprenant qu’il constitue simplement le moyen d’aborder des questions plus générales touchant d’autres matériaux et d’autres pays. La rédaction de ce mémoire m’a également fait prendre conscience de l’importance de la maîtrise complète du processus de construction, par l’architecte lui-même ainsi que l’importance de la connaissance et des relations entre les différents acteurs et domaines directement ou indirectement amenés à intervenir sur le projet. Si la considération que je porte pour l’architecture durable m’a poussée à choisir la thématique de la pierre comme sujet de mémoire, elle me dirige aujourd’hui vers un apprentissage plus physique et concret du sujet, que j’aimerais poursuivre lors de projets, workshops ou construction à échelle 1, dans le but d’une éventuelle poursuite professionnelle.
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Si l’étude approfondie de la filière pierre a prouvé les possibilités et capacités de ce matériau dans le système de la construction contemporaine, elle a toutefois montré que l’architecture en pierre est aussi complexe à mettre en œuvre. Dans un monde où le pouvoir des instances politiques et économiques dominent face à des logiques plus éthiques et centrées sur nos ressources, il est nécessaire de réviser les critères et les conditions de développement de notre société. En reconnaissant les progrès engendrés par l’industrialisation, en acceptant le fonctionnement de la société actuelle et en considérant les enjeux futurs de la construction, l’architecte a l’opportunité de produire une architecture optimale du point de vue architectural, économique et énergétique. En approchant la sphère financière, comme Fernand Pouillon l’a fait à l’époque et l’agence d’architecture, d’ingénierie et de promotion Eliet&Lehmann aujourd’hui, l’architecte raisonne de manière opérationnelle et optimise son édifice à tous les niveaux. En ce sens, la construction en pierre offre une leçon à ceux qui veulent construire avec des matériaux ancestraux, des architectures de demain.
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TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS
p.9
INTRODUCTION
p.13
PARTIE I. LA PIERRE, UN MATÉRIAU DÉLAISSÉ DE LA CONSTRUCTION
p.23
A. Matériau caractéristique d’une architecture passée
p.24
B. L’altération d’un savoir-faire ancestral Une formation limitée au patrimoine Son absence des écoles d’architecture et d’ingénieurs
p.31 p.31 p.34
C. L’extraction de la ressource, un marché en difficulté Les carrières, à l’origine de la production Une exploitation lourdement contrainte par la règlementation Les chiffres-clés de l’extraction, témoins d’une situation délicate
p.38 p.39 p.42 p.46
PARTIE II. UN MATÉRIAU INCOMPATIBLE AVEC LE SYSTÈME ACTUEL
p.51
A. Un matériau non-industrialisé Son absence des processus d’industrialisation L’influence des entreprises industrielles
p.52 p.52 p.55
B. Son inadaptation aux règlementations actuelles Le poids de la règlementation dans la construction Le cas de la construction en pierre
p.58 p.59 p.61
C. Le coût de la pierre, une conséquence du système global La variation du prix de la matière L’optimisation du système de production Le rôle essentiel de la conception préalable
p.65 p.66 p.67 p.70
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PARTIE III. LA CONSTRUCTION EN PIERRE, UN ENGAGEMENT ÉTHIQUE DE L’ARCHITECTE p.73
A. L’architecte, maître de l’intégralité du processus de conception Le statut contemporain de l’architecte La perte progressive des savoirs constructifs Un retour aux origines du métier
p.75 p.75 p.76 p.78
B. Un engagement de la part de l’architecte Fernand Pouillon, l’architecte combattant Gilles Perraudin, l’ambassadeur de la pierre De nouvelles interprétations
p.79 p.79 p.84 p.88
C. La pierre, matière à construire contemporaine L’architecture, lien entre l’homme et la nature La matière comme lien physique L’évolution contemporaine des modes de pensée
p.90 p.90 p.91 p.93
CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE
p.97 p.103
ANNEXES Annexe 1 : Entretiens, salon Rocalia Annexe 2 : Entretien, Jean-Manuel Perraudin Annexe 3 : Visite d’usines et carrières de pierre Annexe 4 : Journée de colloque
p.107 p.119 p.123 p.126
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BIBLIOGRAPHIE Ouvrages BASILE, Antoine, Recomposer avec la pierre : Symboles, intérêt et potentialités de la pierre massive dans l'architecture contemporaine, Mémoire de recherche Master, Paris : ENSAPVS, 2018, 103 pages. BATAILLON, Nicolas, DUPOUYX, Guilhem, DUPLANITER, Martin, TRICOT, Clément, sous la direction de RATOUIS, Olivier, Mémoires d’un architecte, Fernand Pouillon, dans Théories et doctrine du projet d’urbanisme, Master 2, Institut d’Urbanisme de Bordeaux, 2012, 46 pages. BIGAS, Jean-Philippe, MARTINET, Gilles, Pierre et patrimoine : Connaissance et conservation, Préface de PERROT, Alain-Charles, Ed. Actes Sud, 2009, 213 pages. CHAMPY, Florent, HEITZ, Carol, MARTIN, Roland, MOULIN, Raymonde, RABREAUX, Architecte et architecture, Les grands articles d’Universalis, Ed. Encyclopædia Universalis, 2015, 68 pages. CHOAY, Françoise, L’allégorie du patrimoine, Ed. Le Seuil, Paris, 1992, 276 pages. CLAUDEL, J., LAROQUE, L., Pratique de l’art de construire, Troisième édition, revue et considérablement augmentée, Paris : Ed. Dunod, 1865, 678 pages. CONTAL, Marie-Hélène, REVEDIN, Jana, Sustainable design 6 : vers une nouvelle éthique pour l’architecture et la ville, Ed. Alternatives, 2018, 160 pages. CRETIN, Guillaume, La pierre massive, Grenoble : ENSA Grenoble, 2016, 96 pages. DESSANDIER, D. avec la collaboration de BENHARROUS J., MICHEL F., PALLIX D., 2014, Mémento sur l’industrie française des roches ornementales et de construction. Rapport final, 90 pages. ENCEM, Union Nationale des Producteurs de Granulats (UNPG), Elaboration des études d’impact de carrières. Guide recommandations, Paris, Ed. UNICEM, 06/11/2016, 294 pages. ENGELS, Friedrich, MARX, Karl, Manifeste du Parti Communiste, Ed. Presses Electroniques de France, 2013, 40 pages. HOYET, Nadia, Matériaux et architecture durable, Ed. Dunod, 240 pages. JOLY, Serge, LOIRET, Paul-Emmanuel, La voie des milieux, exposition La voie des milieux, M’A Grenoble, septembre 2015, 13 pages. L’Architecture d’aujourd’hui. 2017, n°417
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LAURENT, Jean-Paul, Construire en pierre massive, guide technique, 2011, 105 pages. MARPILLAT, Jean-Louis, Le vrai prix de la pierre naturelle, compte-rendu conférence, 03 avril 2019, Paris : 12e journée technique du CTMNC, 14 pages. MARREY, Bernard, Fernand Pouillon, l’homme à abattre, Ed. du Linteau, Paris, 2010, 115 pages. Monumental. Sem.1, 2019 (1168-4534) (La pierre dans l’architecture : conservation, restauration, création) NAU, Joévin, Dans l'ère du bâtir durable et écologique contemporaine, la pierre naturelle représente-t-elle une alternative viable au béton dans la construction en France ?, Paris : ENSAPVS, 2019, 54 pages. NUSSAUME Yann, Gilles Perraudin - Dialogue sous une palme, propos recueillis par Valéry Didelon, Ed. Les Presses du Réel, juillet 2012, Dijon, 144 pages. Pavillon de l’Arsenal, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, In [Pierre, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2018], BARRAULT, Thibault, PRESSACCO, Cyril Pressacco, Pierre, révéler la ressource, explorer le matériau, Ed. du Pavillon de l’Arsenal, 2018, 56 pages. PERRAUDIN, Gilles, Construire en pierre de taille aujourd’hui, Paris : Les presses du Réel, 2013, 64 pages. POUILLON, Fernand, Les pierres sauvages, Paris : Ed. du Seuil, 2006, 285 pages.
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MANIAQUE Caroline, « Peut-on innover en apprenant ? Le design/build et l’apprentissage expérientiel - Se former en construisant : l’expérience à l’échelle 1 », dans D’Architectures, n°250, décembre 2016, p.47 MAUGARD, Alain, « Normes et réglementations : fortifiants ou poisons ? », La France peut-elle se réformer ? Constructif, novembre 2014, n°39 MERCIER, Charles, PELTAN, Stéphane, « Les lobbies vus par les sciences sociales », La Vie des idées, 14 mai 2019 PERRAUDIN, Gilles, « La pierre, ce matériau du futur », Le Moniteur, 2008 POUSSE, Jean-François, « A Cornebarrieu, des logements sociaux », dans Archiscopie, Ed. Cité de l’architecture et du patrimoine, n°107, 2011, p.17
Conférences BELLANGER Jean-Claude, DRESTO Philippe, La réforme de la formation professionnelle, conférence, 03 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle ESSELIN Didier, La valorisation de la pierre naturelle, conférence, 04 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle LEHMANN Laurent, Pierre taillée, pierre dressée, pierre vendue, conférence, 24 janvier 2020, Paris : Colloque « Construire en pierre aujourd’hui », ENSA Paris Belleville PERRAUDIN Gilles, Vision globale et réalisations récentes, conférence, 24 janvier 2020, Paris : Colloque « Construire en pierre aujourd’hui », ENSA Paris Belleville POLZELLA Elisabeth, Construire en pierre : plus de matière grise pour moins d’énergie grise, conférence, 03 décembre 2019, Lyon : Rocalia, salon de la pierre naturelle
Sites internet <https://www.cnrtl.fr/definition/> <https://www.ffbatiment.fr/> <http://www.snroc.fr/l> <https://www.paris.fr/> <http://www.ctmnc.fr/> <https://www.entreprises.gouv.fr/>
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ANNEXE 1
ENTRETIENS AU SALON ROCALIA
GUIDE POUR ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF Présentation -
-
Présenter ma formation : étudiante en Master 2 à l’ENSAPVS Expliquer que cet entretien entre dans le cadre de mon mémoire sur la construction en pierre, et notamment les freins à la construction en pierre aujourd’hui en France Désir d’interroger différents acteurs de la filière pierre (demande d’autorisation pour enregistrer) : dans le but de comprendre le point de vue et la vision de chacun
Identité de l’enquêté Nom, Prénom : Titre et fonction : Présentation de l’entreprise et de son rôle dans la filière pierre :
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Le carrier et l’extraction de la pierre massive - Que pouvez-vous dire de l’évolution du marché de l’extraction de la pierre massive en France ? Notamment sur la situation des entreprises ? Sur les importations et exportations de pierre massive ? L’évolution du nombre de carrières et exploitation des gisements ? - Quel est l’impact environnemental des carrières ? - Quelles sont les conditions d’établissement des concessions de carrières ? - Quels sont les délais de mise au point des études ? - Quel investissement doit-être fait ? - Quelle est la durée d’exploitation d’une carrière ? - De quoi dépend le coût de la pierre ? Son volume ? Sa localisation ? Sa découpe ? - Quelles sont vos relations avec les différents acteurs de la filière pierre ? Accords avec architectes ? - Que pensez-vous de l’automatisation des outils d’extraction ?
La méconnaissance du matériau et du savoir-faire technique - Selon vous, comment la pierre est-elle considérée aujourd’hui, chez les architectes, les ingénieurs, les artisans, les ouvriers, etc. ? Connue et utilisée chez les acteurs de la construction ? - Que pensez-vous de la transmission actuelle du savoir constructif lié à l’utilisation de la pierre ? Bon enseignement ? - Quels interlocuteurs en fonction de chaque acteur (architecte, carriers, ingénieurs, BTP) ? - Quel est votre lieu de formation ? - Quel est votre type de formation ? - Que pensez-vous de la sophistication des outils informatiques par rapport à l’apprentissage du savoir technique sur la pierre ?
Le marché public de la construction - Quelles sont les normes et règlementations actuelles sur l’utilisation de la pierre massive dans la construction ? - Comment les règlementations évoluent-elles au fil du temps ? - Quel rôle l’architecte doit-il prendre dans le processus de conception d’une construction en pierre massive ? Est-il différent d’une construction dans un autre matériau ? - Quel est le rôle du fournisseur, du maçon, du poseur dans le processus de conception d’une construction en pierre massive ?
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BERTRAND Jean-Luc, Président OCCITANIE PIERRES Occitanie Pierres vend les pierres calcaires extraites de ses carrières issues de la Nouvelle Aquitaine et de la région Occitanie. Elles sont par la suite transformées dans nos usines à Cahors : Dallages, pavés, dalles, parements et taille de pierres. Depuis 1 an, l’entreprise propose aussi une nouvelle gamme de produits en marbres, granits et composites pour cuisine et salle de bains. Occitanie Pierres se positionne également dans le domaine de la construction bioclimatique où elle détient plusieurs brevets concernant d’une part des blocs de construction en pierre calcaire combinant inertie thermique et isolation naturelle.
« J’ai démarré mon entreprise artisanale à 18 ans et demi, après avoir fait un apprentissage de deux ans. Au départ, en 1977, je faisais de la petite taille de pierre. On faisait des cheminées, on achetait la pierre tendre en Dordogne, en Charente, dans le Gard, etc. Mais finalement, on voyait déjà ça chez les marchands de cheminées. On faisait des cheminées simples et ouvragées, car en tant que tailleur de pierre on aime bien faire de l’ouvrager. Aujourd’hui, la cheminée a quasiment disparu du marché. Il y avait aussi la taille de pierre locale dans la rénovation de maisons, la transformation de granges en maisons, ce qui demande des pierres d’angles, d’encadrement, des sols aussi sont venus petit à petit. Les clients commençaient à remettre de la pierre dans leurs maisons, car elles étaient souvent anciennes. Ensuite, on a fait un peu de rénovations pour les monuments historiques, notamment pour des églises et des châteaux. Finalement, la taille de pierre un peu courante, ce que l’on peut trouver un peu partout dans les régions en France, car on peut trouver du calcaire et du grès un peu partout. Après dans les années 90, un de mes frères est venu travailler avec moi et on s’est intéressés à l’ouverture de carrière. Lui travaillait dans la mécanique, il a donc pris cette partie en charge : première ouverture en 94, une deuxième en 96. Était-il difficile d’ouvrir une carrière il y a plus de 20 ans ? C’était peut-être un peu plus facile mais déjà il y avait beaucoup de freins. Notamment et paradoxalement, les associations écologistes en ont mi. Ce sont souvent des gens qui manquent de réalisme. Parce que si on veut un monde avec de la construction en matériaux naturels, il faut bien pouvoir les prendre dans la nature. Ensuite, on a eu de la chance. Je pense que j’ai un bon œil pour l’application des matériaux. En voyant un matériau, je me dis qu’on peut faire telle ou telle chose rapidement. Nous avions une carrière où la matière était à peu près égale partout à Borrèzes. Or à Auberoche, il y a une dizaine de bancs qui sont différents. Il faut donc trouver des marchés pour utiliser la pierre dans sa globalité, sinon les gens ont tendance à commander toujours sur le même banc et le reste est inutilisable. Moi j’ai beaucoup bossé sur cette recherche-là : utiliser le maximum de la ressource. Au niveau design : si on utilise cela d’une certaine façon ça ne donne pas grand-chose, mais si on l’utilise comme ça c’est pas mal, etc. Par exemple, on a certains bancs pour des sols on va les couper à passe, dans
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le sens unique, mais pour des parements muraux notamment les panneaux assez grands que je colle sur nid d’abeille, je mets la pierre à contre passe et ça donne une nouvelle vision de la pierre. Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux solutions techniques innovantes de la pierre ? Cela fait 5 ans que je m’y intéresse. Voyant qu’il y avait des entreprises du sud faisant de la pierre massive avec la pierre du Pont du Gard, j’ai voulu assister à des conférences. Notamment une, d’une jeune architecte qui a fait construire sa maison en pierre sans isolation. Elle disait que c’était moyen : pendant l’hiver, il faisait froid, elle devait s’habiller dans la maison. Donc, je me suis dit que pour vendre plus de pierre en construction, car c’est un beau matériau, il faut peut-être pousser la chose plus loin et étudier une technique où la thermique soit prise en compte. C’est ce que j’ai fait avec le système sandwich (bloc sandwich pierre et liège). Avec le système alvéolaire (bloc pierre alvéolée par usinage) j’ai fait 12 lames d’air, qui donne un R qui s’approche de 2, ce qui est pas mal. On pourrait le mettre plutôt en façade sud et avec l’autre technique, le liège, plutôt en façade nord. En poussant la réflexion, pour un R qui fait à peine 2, est-ce qu’il ne faut pas tout simplement utiliser la lame d’air coté extérieur, l’élargir un petit peu et faire circuler de l’air qui transite par le puit canadien ? Et avec cela, on peut tempérer le bâtiment sur sa peau extérieure. Le puit canadien apporte les calories qu’il y a dans le sol, qui varient entre 11 et 14°. Si on vient corriger une température inférieure, on met les murs à 10°, pas plus. J’ai investigué les systèmes un peu plus et avec les puits canadiens on peut faire du stockage thermique. Si on compartimente, si on isole, si on crée comme des thermos dans le sol, on va pouvoir refroidir l’espace l’été. Ce refroidissement va générer des calories, que l’on peut stocker dans le sol pour les récupérer l’hiver. Au lieu de les mettre dans la rainure côté extérieur du bâtiment, on les balance dans la rainure, coté intérieur. Et là on fait du chauffage. On s’en fout qu’il y est des déperditions sur un nonisolé, c’est le soleil qui chauffe. Ce système est-il utilisé aujourd’hui ? Nous, on est en phase de faire connaître le système. Chez moi, on a un showroom avec plein de mises en scène d’escaliers, de cuisines, de cheminées et maintenant, il y a un showroom pour le design, un magasin de cuisine, et la structure du bâtiment est faite avec les murs dont on parle. Ce qui fait qu’on peut les éprouver. Thermiquement, j’ai concrétisé mon système de stockage : j’ai des panneaux solaires thermiques sur le toit qui nourrissent une masse de 90 m3 de béton, qui stocke la chaleur de l’été et suffit à chauffer le bâtiment l’hiver. J’estime aussi que pour activer la machine, il faut aller plus loin encore. J’ai constitué avec des entreprises, un groupement d’entrepreneurs, promoteurs et architectes. On va faire construire un écohameau avec de la pierre, du bois, de la terre. On investit nous-mêmes, le bien on en devient propriétaire ou on le vend, et on n’attend après personne. Des projets comme ça sont assez bienvenus auprès des communautés de communes qui cherchent des solutions. En dehors même
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des zones PLU, pour un hameau c’est justifié. Les carrières de Provence ont également un projet de lotissement en pierre. Donc c’est bien, c’est un peu la même démarche. Moi j’aime bien, dans ce type de projet, intégrer d’autres matériaux, comme le bois et la terre. Il y a l’aspect sociologique qui m’intéresse aussi : le fait de croiser dans un même projet une mixité intergénérationnelle. On va mélanger agriculteurs, retraités, enfants, etc. Sortir des automatismes et du phénomène de suivre le mouvement. Il faut que chacun se positionne et s’implique : il y a plus de suiveurs que d’innovateurs. Et je trouve qu’il manque une représentation de ce matériau auprès de l’enseignement. La pierre s’adapte facilement à tous ce que l’on veut : on n’a pas beaucoup de standards comme pour le béton par exemple. Nous, on décale nos épaisseurs de sciage à volonté, on a une souplesse dans la pierre. Les blocs innovants coûtent 500-700 euros hors taxe du m2 posé (2 à 3 fois plus chers que le mur traditionnel en brique crépis avec isolant synthétique). La pierre est chère au début mais moins cher à long terme puisque les maisons faites avec ces trucs-là durent 50 ans max. Après on casse tout et on refait tout. Dans le changement de la société par rapport à l’écologie, il faut prendre en compte les prêts bancaires qui pourraient envisager d’être faits sur 30 ans, et pourquoi pas même sur deux générations. Les industries s’implantent dans des créneaux qu’elles ont intérêt à standardiser. Elles s’adaptent au marché. Mais aujourd’hui elles traînent la patte : avec la pierre il faut du tâtonnement, donc ça ne les intéresse pas. Revenir à moins d’industrie c’est peut-être la vision qu’il faut peut-être avoir pour engendrer la transition. Et après on pourra peut-être repasser sur l’industrie en prenant en compte les matériaux naturels, des nouvelles bases ».
COMBERNOUX Bruno, Responsable de l'Institut Supérieur de Recherche et de Formation aux Métiers de la Pierre
« La compétence existe toujours, mais forcément si on construit moins, un jour elle va se perdre. En même temps, aujourd’hui les entreprises ont des besoins en main d’œuvre compétente, sur des sujets bien spécifiques et on n’en trouve pas. On a du mal à trouver des jeunes qui veulent se former. C’est une filière composée à 90% d’artisans, de petites entreprises et n’ont pas forcément le temps ou ne connaissent pas forcément les leviers de la formation. La réforme va aider les branches professionnelles à maîtriser les formations, leur développement et leur financement. On va vraiment mettre en avant les compétences des formations en fonction des besoins des entreprises. Pour les salariés d’entreprises, mise en place d’un compte CPF (compte personnel de
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formation). Chacun a à sa disposition toute l’offre de formation disponible pour lui. Le GMH, Groupement des Monuments Historiques, avait fait une tribune il y a 2 ans dans le Monde, sur le fait que la sauvegarde des savoirs faire n’était pas assurée. La génération des baby-boomers est vieillissante : elle part à la retraite et il y a vraiment un besoin de renouvellement et de transmission des savoirs. Sur la taille de pierre, on a des savoir-faire millénaires, le métier évolue, il y a des nouveaux outils, des nouvelles techniques de mise en œuvre, etc. Cependant, il y a une base de savoir-faire qui elle n’a pas bougé et qui fonctionne. Dans la construction contemporaine, le côté normatif a un peu bloqué la pierre, notamment le parasismique et la thermique. La pierre possède certaines bonnes propriétés techniques, mais ce n’est pas un matériau isolant donc à nous d’adapter notre travail. C’est à nous d’adapter la formation et notre profession aux cadres actuels de la société. Il faudrait savoir calculer une paroi thermique, poser des chaînages en béton, afin de sortir du côté patrimoine et rentrer dans la construction neuve avec la législation qui va avec.
Les freins sont principalement le coût du matériau. Le coût de la construction qui peut paraître un peu cher et la main d’œuvre qui peut coûter chère. Mais parce que l’on fonctionne aujourd’hui avec des coûts calculés sur 10 ans alors que le bâtiment va durer bien plus que ça. A long terme, ce n’est pas la construction qui va coûter le plus cher. (RE 2020 : on va prendre en compte le cycle de vie du matériau de la construction à la déconstruction).
Le manque de connaissance du travail de la pierre est un réel frein à son utilisation, notamment son extraction parce qu’on ne conçoit pas un bâtiment avec un matériau préfabriqué. Suivant les carrières, il va falloir concevoir différentes choses : que ce soit en épaisseur, propriétés thermiques, mécaniques ou en hauteur d’assise, car chaque carrière a des hauteurs de blocs max différents. Si on veut construire en matériaux locaux, il faut adapter la conception au projet. Perraudin dit, on fait des gros modules cependant cela marche que dans les pierres du Sud. Si l’architecte veut faire un projet avec des gros modules, ce n’est pas forcément plus rentable s’il ne le fait pas dans le Sud.
Aujourd’hui, au niveau des carrières, il y a une concurrence énorme du fait de la législation. Extraire la pierre en France devient bien plus cher que d’extraire en Chine, au Portugal ou d’en d’autres pays et faire venir la pierre jusqu’en France. Et forcément, cela fait qu’on n’a plus vraiment besoin de carrières en France. Il y a quand même aujourd’hui des campagnes d’extraction : des entreprises avec des équipes de carriers avec un savoir-faire important, qui se baladent de carrières en carrières ».
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DENECKER Mélanie, Chef de projet/roches ornementales et de construction au CTMNC Centre Technique de Matériaux Naturels de Construction : Il est dorénavant l’outil technique de référence de l’ensemble de la filière Pierre Naturelle. Son objectif est de susciter le progrès technique et de favoriser la diffusion de l’information auprès des professionnels, des prescripteurs et des utilisateurs.
« Le CTMNC existe depuis 10 ans, grâce au SNROC. Ils ont monté tous ensemble un centre technique. Cela existait à la base, déjà en terre cuite et nous on est venus par la suite. On est un tout petit pôle au sein du CTMNC, nous sommes seulement 5 alors que la terre cuite, 60. La partie pierre est financée à 70% par une taxe payée par les carriers et les transformateurs de pierre. Cet argent reversé nous permet de travailler sur des projets institutionnels, sur la partie normalisation. Néanmoins, le même type d’essai est appliqué aux deux matériaux. On utilise les mêmes machines, outils, même si les normes sont différentes. On participe, ainsi que d’autres industriels, sur tout ce qui est essais, essais produits, mises en œuvre de la pierre pour les différents types d’usages. Ce sont tous les essais préconisés pour valider la pierre, pour qu’elle soit conforme à son usage. Il y a la norme NFB 601, qui est la norme des prescriptions d’usage de la pierre pour maçonnerie, mural attaché, revêtement de sol, etc. Il y a eu une période où le coût de la pierre a chuté et cela a fait plus de mal au niveau des fournisseurs de pierre mais là cela repart. Cela reste un matériau noble qui ne demande, contrairement à du bois, du béton ou autres, pas de transformations. Au niveau de l’écologie on est plus gagnants. Avec l’histoire des derniers séismes, et la pierre qui est tombée cela fait une mauvaise pub. La pierre est un matériau rustique, traditionnel mais qui revient à la mode en revêtement de façade et plus forcément en pierre massive. La pierre ne tient pas ! C’est un matériau rigide. La pierre étant un matériau naturel, on ne peut pas adapter sa recette afin d’améliorer certains aspects. Il faut s’adapter au matériau plus qu’il ne s’adapte à notre construction, de manière à pouvoir l’utiliser dans les meilleures conditions possibles. Le CTMNC fait des formations intra et inter-entreprises. On essaie aussi de faire de la pub auprès des architectes mais cela reste quelque chose de très fermé. Il y a des formations où on ne fait pas spécialement appel à nous parce que la pierre n’est pas encore sur le devant de la scène. Les écoles ou formations ne nous contactent jamais ou alors simplement dans un master patrimoine, c’est encore différent. Les architectes vont avoir tendances à se lancer dans la pose de revêtement en pierre avec des structures atypiques mais sans connaître réellement la règlementation liée, qui peut parfois être compliquée. Au niveau des normes, elles évoluent constamment car on n’a pas forcément le recul au départ. Et après on essaie de faire évoluer les choses ».
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LEBLOND Quentin, Responsable prescriptions LES PIERRES DE PARIS
bureau
d’études/chargé
de
Les Pierres de Paris disposent de plusieurs carrières et de deux. Notre site dispose d'une équipe de spécialistes des pierres naturelles et d'un outil de production très performant (châssis multi-lames, débiteuses numériques, centres d'usinages, polissoirs, tours) ce qui nous permet de répondre à l'ensemble des demandes : éléments massifs, dallage, revêtement, balustrades, cheminée, marbrerie, moellons. Le Site est en activité depuis les années 1970 et a su suivre la modernisation du métier, étoffer largement sa gamme tout en conservant son savoir-faire.
« Nous sommes le groupe les pierres de Paris. C’est une association d’entreprises avec la même gérance. On a 3 carrières et 2 usines. Une carrière et une usine sur le site de Vassens de pierre tendre, dans l’Aisne. Une carrière de pierre dure à ciel ouvert à Bonneuil-en-Valois. Une carrière à ciel ouvert dans le Meuse et une usine à Saint-Pierre-Aigle. On a nos matières en interne que l’on transforme et on fait aussi venir d’autres blocs de l’extérieur, d’autres carrières de France, que l’on achète et que l’on transforme à Saint-Pierre-Aigle. On fait à la fois du massif et des revêtements, en dallage ou en vertical. On fait également de la taille en interne, on a des tailleurs de pierre et des machines pour transformer la pierre.
Quelles sont les conditions L’investissement ? Les délais ?
d’établissement
des
carrières ?
Pour permettre d’extraire : toutes les carrières sont sous régime des installations classées depuis 93. C’est un arrêté préfectoral qui nous permet d’extraire dans le sol, cela dure 20 à 30 ans. Ensuite, soit on est propriétaire du foncier, soit-on ne l’est pas, donc on est assujettis à un contrat de fortage également. Par exemple, notre carrière à ciel ouvert est à nous et la carrière souterraine est un contrat de fortage. Tous les ans on verse une certaine somme au propriétaire du terrain. Une étude d’impact sur l’environnement extérieur est réalisée : impact par rapport à l’eau, si on est proche du Natura 2000, si c’est une carrière souterraine si on a des chauves-souris, le nombre de chauve-souris, le type de chauve-souris, mesures d’empoussiérage, utilisation des véhicules au gazole, etc. C’est une procédure assez longue. Il y a une enquête publique qui est menée et au bout de toute cette procédure, on remet un dossier et ça passe à la commission des carrières. Il y a plusieurs strates avant d’obtenir son droit d’exploitation. Il y a un niveau en dessous qui est une autorisation d’extraction qui permet d’extraire mais uniquement 400m3/an. C’est la version light.
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Quelle est l’évolution du marché aujourd’hui en France ? Il y a peu d’ouverture de carrières aujourd’hui. En général, ce sont des anciens sites qui sont réouverts. Nous, notre dernière a été ouverte en 2010, c’était déjà un droit d’exploitation. Maintenant, en souterrain ça ne se fait quasiment plus. On a une de nos carrières actives depuis fin 19e. L’autre de 2010, mais il y avait déjà une ancienne carrière en forme de cavité. De quoi dépend le prix de la pierre ? Les frais de l’entreprise liés à l’extraction, le contrat de fortage, le temps passé à extraire. Vous avez souvent la carrière qui n’est pas forcément placée à côté de l’usine donc il y a des frais de déplacement, le coût du sciage également. Les machines : les haveuses que l’on utilise coûtent quasiment 400 000 euros, donc cela représente un coût. Pour optimiser les coûts, ça va être principalement le module de pierre que l’on va demander au chantier qui s’adapte bien au gisement. Par exemple, nos blocs bruts font 1m10x1m50x1m50. Donc on va essayer d’avoir des hauteurs de rangs de pierre dans la construction qui tombent bien par rapport à la hauteur du bloc afin d’optimiser le débit. Que pouvez-vous dire sur la modernisation des outils ? Le parc machine chez nous est très développé. On change une machine tous les ans. On renouvelle afin à la fois d’automatiser, pour que le débit soit plus propre au niveau des dimensions. Et que ça produise mieux et plus vite et de meilleure qualité. Comment évolue votre entreprise ? Il y a eu un creux pendant 5 ans et depuis 1 an, ça revient de manière importante, notamment en pierre tendre sur le bassin parisien pour la construction en pierre. A la fois en autoporté donc 8cm d’épaisseur avec un voile béton ou autres ou alors en pierre de taille, pierre massive. Mais c’est vrai que ça s’est vraiment intensifié depuis un an. Cela vient du fait que l’on reconsidère le matériau pierre notamment dans son aspect écologique (pas de transformation). Bien que ce soit une ressource présente en quantité limitée dans le sol, les gisements constituent encore plusieurs centaines d’hectares à extraire. Pas de traitement sur le matériau, pas de cuisson, la partie énergie fossile dans le cycle de transformation est moindre. Il existe dans la partie engin mais par exemple, les haveuses en sous-sol, travaillent à l’électricité, les débiteuses aussi. L’impact carbone de la transformation du matériau est moindre par rapport à d’autres, même par rapport au bois. Actuellement, il y a encore une grosse masse demandée en parement. Cela commence à s’équilibrer aujourd’hui avec la pierre massive. Mais la pierre en 8cm d’épaisseur est encore très demandée à Paris, notamment à Clamart (ZAC des panoramas) et à Saint-Ouen et en périphérie (Saint-Hilaire, Saint-Maur, Versailles). Dans les années 70, ces pierres massives étaient beaucoup employées : à Sarcelles par exemple.
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Que pouvez-vous dire de la formation aujourd’hui ? Moi je suis formé comme tailleur de pierre. Le problème que l’on voit dans la filière pierre c’est qu’en fait elle n’est pas constituée à sa base. On forme uniquement des tailleurs de pierre alors que la filière pierre regroupe beaucoup de choses. On n’a pas besoin que de tailleurs de pierre, on a besoin de débiteurs, de personnes qui savent extraire. L’offre de formation est uniquement accès sur la taille de pierre par rapport à l’image des monuments historiques. La pierre est un matériau patrimonial et encore très lié à cette image. Cela tend à se développer grâce aux machines numériques, après sinon on va chercher des mécaniciens si on cherche des débiteurs par exemple. Donc la formation est vraiment axée sur la taille de pierre alors que la filière regroupe bien d’autres éléments. Le monument historique s’est beaucoup développé sous les années Mitterrand et a fait vivre pas mal d’entreprises de la filière et on s’est détourné de la construction. Cela a pris beaucoup le dessus et comme ça s’est arrêté dans les années 2010, beaucoup se sont effondrés. La pierre tient encore beaucoup à sa valeur patrimoniale. Le lobby du béton n’a pas aidé non plus. Même dans les écoles, les ingénieurs sont plus habilités à faire des calculs pour le béton que pour la pierre. Ça revient petit à petit. La plupart néanmoins ne savent pas le faire aujourd’hui. Ça pose donc un problème. Que pouvez-vous dire des règlementations et normes actuelles ? Je fais parti de ceux qui pensent que les normes ne sont pas forcément des freins. Les métiers d’artisans, de tailleurs de pierre, de monuments historiques n’ont pas l’habitude des normes, on n’aime pas ça, parce que cela nous contraint. Alors qu’actuellement, si on veut construire en pierre dans le cadre légal du bâtiment, on a besoin de normes. Pour la pierre, c’est nécessaire. Le problème c’est que la pierre est un matériau naturel avec énormément de variantes qui font qu’il n’est pas toujours facile au niveau des normes. Le panel de normes est déjà assez complet. Pour les murs en maçonnerie, en pierre massive, il existe tous les cas ».
EMPLOYE CARRIERES DE PROVENCE, Exploitation de pierre de taille de Provence, dans les Bouches du Rhône, le Vaucluse, et le Gard. Depuis plus de 4 décennies, le groupe Figuière et sa filiale les "CARRIERES DE PROVENCE", signent de leur empreinte des réalisations de prestige en pierres de taille de Provence.
« Que pouvez-dire du marché de l’extraction en France ? Pour nous, cela se porte bien. Nous faisons beaucoup de bâtiments. Cela représente 80 % de notre activité. Des architectes sortent beaucoup de projets en
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construction en pierre massive. Pour le moment, l’année est bonne. Cela n’arrête pas de monter chaque année. On le voit bien avec le concours de Rocalia. Il y a deux ans, on était à 10 projets, cette année c’est plutôt 22. Quelles sont les conditions d’établissement des concessions de carrières ? Nous sommes soumis à une autorisation préfectorale. Il faut donc respecter un cahier des charges bien précis. Il y a une enquête écologique, une enquête faune/flore, ONF, c’est un dossier à préparer au moins un an en amont avec un organisme spécialisé qui nous assiste, car c’est extrêmement complexe : toute notre démarche de production, de sécurité, de nuisances pour les villageois, soumis en commission préfectorale avec écologistes, des habitants, les préfets et discutent. Ensuite, si c’est favorable, on a une autorisation de 30 ans d’exploitation où l’on est néanmoins limité en profondeur. On a 3 carrières dans le Sud. Toutes nos demandes ont été renouvelées il y a peu. Il faut anticiper la procédure sinon on est arrêtés. Le coût d’investissement est énorme. On a une obligation de reboucher le trou. On garde toutes nos chutes dans un coin afin de reboucher. Et si on n’a pas assez, on prendra de la terre. On doit mettre la végétation présente au départ sur le site. On nous l’impose dans les autorisations. De quoi dépend le coût de la pierre ? On quantifie les heures passées pour l’extraire, le matériel, les engins, les machines, les tarifs horaires des salariés. On obtient ensuite un prix de revient. Dans le principe de la construction en pierre massive, on impose un module pour avoir le moins de perte possible dans le bloc. Si on nous demande d’autres modules défavorables, on fera une plus-value sur le prix, car on perd de la matière. Que pouvez-dire de la modernisation des outils ? Petit à petit, on évolue. Ça devient de plus en plus mécanisé. Aujourd’hui, les ouvriers portent très peu de poids à bout de bras, il y a les engins, les élévateurs, les chargeurs, les pinces. Très peu de poids manuel. Que pouvez-dire de la formation ? Cela se perd. Au niveau des tailleurs de pierre, des compagnons, c’est en train de décliner. Justement on est dans la construction moderne mécanisée. Il faut reformer aujourd’hui : par exemple, pour Notre-Dame, il va manquer de mains d’œuvres. Nous en interne, on a 20 tailleurs de pierre qui travaillaient 7h par jour non-stop. Aujourd’hui, chez nous, c’est plutôt 7h par semaine en taille de pierre. Monsieur Perraudin a relancé la formation pierre à l’école d’architecture de Montpellier et heureusement ! Grâce à lui, des jeunes architectes ont été formé sur la pierre et on les a eus en clients. Les architectes que je suis depuis 15 ans font partis de la première promotion des élèves de Perraudin. Chaque année ils sortent 2-3 bâtiments qui nous permettent de marcher. A Marseille, on essaie de former un module pierre mais personne ne veut s’en occuper. Il faudrait trouver un architecte qui prenne du temps pour aller à l’école, former les jeunes. A Montpellier, il y a eu Perraudin qui a donné la main à Elisabeth Polzella, puis à Jean-Paul Laurent (bureau d’études) aujourd’hui. Chaque année, il m’amène les
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étudiants de première année, on leur fait visiter la carrière de A à Z : la carrière pour l’extraction, l’usine pour le débit. Et au moins, ils touchent à la matière. Mais il y a uniquement l’école de Montpellier. C’est dommage. Perraudin part sur un principe : on leur fournit des petits cubes de pierres. Ils font une maquette, un bâtiment, puis détruisent la maquette pour essayer de faire autre chose. Avec le même module standard, faire un bâtiment. Que pensez-vous des normes et règlementations actuelles ? Les normes deviennent de plus en plus compliquées aujourd’hui. Il y a surtout un frein sur le prix. En effet, cela surenchérit le prix : plus de carottage, plus d’évidement. Nous lorsque l’on a commencé en 2000, on avait des blocs 6 faces en mortier de chaux et c’est tout. Maintenant on en est au précontraint : toutes les pierres sont carottées pour faire des raidisseurs, elles sont toutes ceinturées au dernier rang. Les bâtiments sont complètement rigides aujourd’hui ».
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ANNEXE 2
ENTRETIEN AVEC JEAN-MANUEL PERRAUDIN GUIDE POUR ENTRETIEN Présentation Etudiante en Master 2 à l’ENSAPVS Cet entretien entre dans le cadre de mon mémoire sur la construction en pierre, et notamment les freins à la construction en pierre aujourd’hui en France Désir d’interroger différents acteurs de la filière pierre : dans le but de comprendre le point de vue et la vision des choses de chacun
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Questions - En tant qu’agence d’architecture utilisant la pierre massive dans la construction, j’aimerais savoir comment vous est venu l’intérêt pour ce matériau ? Qu’est-ce qui vous pousse aujourd’hui à construire en pierre ? - Comment abordez-vous un projet en pierre ? Comment le choix du matériau influence-t-il le projet ? - La pierre est-elle un choix judicieux pour chaque construction ? Est-elle adaptable à tous types de projet ? - Pensez-vous que les normes actuelles sur le parasismique et la thermique limitent son utilisation ? Comment, en tant que prescripteur, gérez-vous ces règlementations ? - Quelles sont vos relations avec les différents acteurs du projet ? L’architecte tient-il un rôle différent dans ce type de projet ? - Selon vous, le prix est-il réellement une contrainte ? Auriez-vous un ordre de grandeur du prix de la pierre à sa sortie de carrière ? - Que pensez-vous de la formation actuelle en école d’architecture ? Pourquoi la pierre est-elle si peu présente ?
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PERRAUDIN Jean-Manuel, Directeur général Atelier Architecture Perraudin « - Après avoir construit beaucoup de high tech, l’agence a construit notamment un projet de maison bioclimatique qui lui valût en 1980 le premier prix du concours européen d'énergies solaires passives et la première reconnaissance internationale. Depuis ce projet, l'agence a su développer une attention toujours plus importante aux problèmes environnementaux notamment en se préoccupant depuis longtemps des émissions de CO² sur la totalité du processus de production d'un bâtiment et des matériaux utilisés. Nous avons ensuite développé la pierre dans le cadre d’une auto-construction : le chai viticole de Vauvert. Gilles Perraudin cherchait un matériau plutôt local. Grâce à une visite architecturale autour du Pont du Gard, il est passé devant les carrières et l’idée lui est venu de construire en pierre. - Tout matériau se conçoit différemment que ce soit du bois, de la pierre, de la terre ou même du béton. Tout simplement parce qu’ils ont des propriétés physiques différentes. La pierre ne fonctionne qu’en compression, c’est un processus d’empilement qui fonctionne par gravité. Il y a donc des techniques de conception qui consistent à par exemple ne pas faire de porte-à-faux, cela ressemble beaucoup à la construction en terre d’ailleurs. Il y a des méthodes qui sont dues à la préfabrication des matériaux, des connaissances particulières liées à la matière notamment son processus d’extraction et de pose qui font qu’on conçoit d’une certaine manière, ce sont les deux facteurs importants de la construction en pierre. - On a toujours construit en pierre tout type de bâtiments : des tours, des ponts, des cathédrales, je ne vois pas pourquoi on n’arriverait pas à le faire demain. Actuellement, on est sur un projet en Suisse en zone sismique 3, en passif et tout en pierre massive sans acier à l’intérieur. On a également fait un projet de tour en Suisse, qui a été deuxième en prix et qui a été étudié de façon assez poussée d’un point de vue structurel et ça marche. Les règlementations, du point de vue thermique, à mettre de l’isolant parce que les calculs ne marchent pas sans isolant. Vous ne pouvez pas faire de processus d’inertie lourde et de phasage thermique avec des logiciels de thermodynamique. Les logiciels ne savent pas le calculer donc pour entrer dans les RT, on est obligés de mettre de l’isolant que ce soit même 1cm, 10cm ou 20cm. En général quand on fait sans isolation, soit on est hors la loi, soit on a des programmes qui nous le permettent, comme les chais viticoles ou une salle polyvalente par exemple. - Pour régler la thermique, il suffit de mettre de l’isolant. Il n’y a pas de rapport avec la pierre en soi. La parasismique peut l’avoir lui (Eurocode 8). Ce n’est certainement pas un frein mais plutôt des complexités techniques que tout matériau possède. La réponse facile c’est de mettre les chainages pour la règlementation parasismique et c’est celle qu’un ingénieur lambda vous donnera. Nous n’avons pas eu l’occasion en France de construire dans du sismique lourd car finalement, il n’y a pas tant de régions sujettes à cela, autour des Alpes et c’est 120
tout. En Suisse par contre, on applique la règlementation que l’on veut. On a fait des calculs de macrosismique, de la macro-maçonnerie avec l’EPFL. Chaque bloc est modélisé et on a étudié les déformations possibles d’un séisme sur le bâtiment. En fait, ce qu’il faut comprendre avec les pierres c’est que c’est une structure souple et pas rigide. Tout le monde n’a pas l’envie de comprendre cela, car c’est plus de travail au niveau des calculs. On a un projet en France qui devrait bientôt sortir où l’on étudiera des problématiques françaises. Mais pour l’instant c’est surtout des problèmes d’accroche de façade et de diaphragme, d’autres problématiques que l’on peut résoudre de différentes façons. On peut faire un noyau béton dans le bâtiment par exemple : le plancher fonctionne en diaphragme et cela fonctionne avec une structure pierre massive à l’extérieur. L’opération que l’on a fait à Voiron avec un soubassement pierre et une structure en bois de 25m de haut, ne rencontre pas de problème. Le noyau béton fait le contreventement de l’ensemble mais cela reste une structure en bois et en pierre. La conception architecturale règle généralement le problème, pas tellement les règlementations que l’on peut généralement détourner. - Cela dépend des situations. Maintenant, nous connaissons très bien les carriers et eux nous connaissent bien. Pour nos projets, on fait un appel d’offre et qui veut bien répond. On connait leur module d’extraction de base. Les méthodes d’extraction sont dues aux haveuses, ces grandes tronçonneuses qui sont standardisées, donc lorsque l’on connait les modules d’une carrière, on les connait pour toutes les carrières à part quelques petites déviances. Après le poseur, s’il sait poser un parpaing, il sait poser une pierre. Un bon maçon normalement sait le faire, il n’y a pas de soucis là-dessus. Dans la dernière maison que l’on a livré à Montélimar, le maçon n’avait quasiment jamais construit de sa vie, donc il y a parfois un peu de l’information auprès du maçon, on lui montre le manuel pour construire en pierre, mais c’est tout. - Il faut faire des vraies comparaisons c’est-à-dire que lorsque l’on met un mur béton, on le laisse très peu apparent. Donc il faut souvent rajouter un bardage ou une peinture donc il faut rajouter l’ensemble. Alors que lorsque l’on pose un mur en pierre, il est fini. Après sur la pierre, cela va surtout dépendre des carrières, d’où elle vient, de pleins d’éléments en fait. C’est entre 300 et 500 euros/m3 à la sortie de la carrière et on divise par 3 pour avoir des murs de 30 cm, non transporté, et ensuite on rajoute le prix de pose qui tourne autour des 180 euros/m² environ, cela dépend des régions après. Il faut être local pour avoir des prix exacts. On a réussi à construire des logements sociaux donc c’est la meilleure preuve. On doit par contre limiter les gestes architecturaux, tout ce qui est inutile à la construction on l’enlève, pour rentrer dans les prix. Mais de toute manière, ça ne nous intéresse pas de faire des gestes, donc le prix n’est pas vraiment une contrainte pour nous. Certaines contraintes peuvent être un peu plus lourdes mais dès qu’elles sont lourdes pour la pierre, elles sont lourdes pour les autres matériaux. Par exemple, le sismique peut être lourd d’un point de vue budget et si vous faites en béton vous allez aussi devoir rajouter des aciers, ou en bois, c’est pareil.
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Parfois il y a d’autres contraintes qui rentrent, les contraintes de fournitures sont assez fortes. C’est-à-dire, quelle carrière est capable de sortir le nombre de blocs demandé dans les temps donnés. Aujourd’hui, lorsque l’on doit construire un bâtiment en 12 mois, vous avez x m3 à sortir et à poser, quelle carrière est capable de vous sortir x m3 en 1 an ? Pour un gros projet, il y a peu de carrières qui peuvent sortir un cubage important rapidement. Il y a trois grosses carrières en France et ils les sortent après le problème est qu’il faut planifier. Donc on y arrive, le projet suisse cela représente près de 4 000 m3. Il faut que les carrières s’équipent pour que cela soit possible. Ce n’est surement pas la pierre qui manque en France, ni dans le monde. Beaucoup de carrière font beaucoup de volume d’extraction mais elles font du granulat. Cela peut poser des problèmes, parce qu’il n’y a pas souvent de si gros projet en pierre finalement. - On organise tous les ans des workshops pour la formation à la construction en pierre, à Vauvert. Cette année on va le faire dans les carrières de Pouillon. On organise ça sur notre temps à nous, et on ne se paye pas, donc ce n’est pas toujours facile pour les vacances. Sinon, j’enseigne à l’école de Lyon et je fais des formations à la construction en pierre à Bordeaux dans les organismes de formation. Le problème c’est que des gens compétents sur la pierre massive, il n’y en a pas tant que ça. Gilles Perraudin n’a plus le temps. Les conférences, ça ne fait pas de la formation. Pourquoi il y en a peu ? Finalement parce que peu d’architectes travaillent la pierre, tout simplement. Déjà parler de construction en école d’architecture c’est compliqué, alors de la pierre… Les étudiants ne savent même pas construire en béton. Tout le monde s’en plaint et c’est ça qui est très étonnant. On ne nous enseigne pas cela, ce n’est pas ce que veut le ministère de la culture. On se plaint de la ligne directrice générale donc ça n’a pas vraiment de sens. C’est malheureux… La pierre ça met en lumière ces problèmes : on ne peut pas construire en pierre si on ne sait pas construire. Alors que le béton c’est quand même plus simple, car il y a des gens qui le font pour vous. Ce qui est très important avec la pierre c’est que cela remet l’architecte au centre du métier, c’est-à-dire la construction, un élément qui a été perdu au cours du temps. Pour cela vous pouvez lire, Du maître d’œuvre au disagneur, de Bernard Marrey. Cela montre comment l’architecte est devenu plutôt un façadier et a perdu son rôle de maître d’œuvre. J’essaie de me battre à l’école mais aujourd’hui par exemple pour enseigner en école d’architecture, il faut avoir fait une thèse. Mais un professionnel libéral, enfin qui construit, n’a pas le temps de faire une thèse. Les gens compétents sont pas acceptés dans les écoles françaises mais par contre sont acceptés dans les écoles suisses où des grands noms qui construisent, donnent cours. Ils sont recrutés pour leurs activités professionnelles. Ils enseignent la construction et c’est pour cela qu’il y a des enseignements constructifs en Suisse. Dès que l’on connaît un peu le mécanisme, on comprend assez rapidement. Pour revenir à la pierre, ce qui est bien c’est que vous reprenez le pas sur la structure et un peu tout, du processus complet de la construction, de l’extraction à la construction et la durée de vie, un peu tout. Il y a une vraie revalorisation de notre métier, qui est compliquée car on reprend l’ensemble des responsabilités, mais qui est passionnante ».
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ANNEXE 3
VISITE D’USINES ET DE CARRIÈRES DE PIERRE
Journée de visite avec l’entreprise Les Pierres de Paris.
Carrière à ciel ouvert à Bonneuil-en Valois
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Carrière souterraine de Vassens
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Usine de transformation de Vassens Usine de transformation de Vassens
Usine de transformation de Vassens
Usine de transformation de Saint-Pierre d’Aigle Usine de transformation de Saint-Pierre d’Aigle
Usine de transformation de Saint-Pierre d’Aigle
[Photos personnelles, 31 janvier 2020] [Photos personnelles, 31 janvier 2020] 125 125
[Photos personnelles, 31 janvier 2020]
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ANNEXE 3
JOURNÉE DE COLLOQUE Conférences à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Belleville, 24 janvier 2020
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