Global+ No. 61 / Automne 2016

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NumÉro 61  |   AUTOMNE 2016

Globalisation et politique Nord-Sud

Swissaid  |   Action de Carême  |   Pain pour le prochain  |   Helvetas  |   Caritas  |   Eper  |   www.alliancesud.ch

Multinationales sous observation CbCR : pas sans les pays du Sud

Finances fédérales : encore un tour de vis

Climat : l’épineuse ­question du financement


News OMC : L’Inde attaque le programme américain d’énergie solaire ia. C’est la réponse du berger à la bergère. En février, l’OMC a donné raison aux EtatsUnis, jugeant que l’Inde accordait des sub­ ventions discriminatoires à ses entreprises de production d’énergie solaire – la condition étant qu’elles achètent des composants fabriqués en Inde. Début septembre, après avoir longtemps hésité, Delhi a porté plainte contre Washington pour des mesures tout à fait similaires. L’inde conteste le fait que huit Etats américains – Washington, Californie, Montana, Massachusetts, Connecticut, Michigan, Delaware et Minnesota – ­offrent des crédits pour chaque megawatt d’électricité produit par un système d’énergie renouvelable, construit avec des équipements fabriqués dans lesdits Etats. Ils exigent aussi que soient employés des travailleurs locaux. L’Inde invoque la violation du traitement national et demande aux Etats-Unis d’entamer une procédure de consultation. Washington a 30 jours pour répondre. Si un règlement à l’amiable ne peut être trouvé, l’Inde peut demander la mise sur pied d’un panel de règlement des différends.

Agenda 2030 – Ou trouver les milliards ? es. Des investissements de l’ordre de 5000 à 7000 milliards USD seront nécessaires au financement des objectifs de développement durable. Chaque année ! Afin de mesurer les flux financiers effectués en dehors des fonds publics au développement, l’OCDE veut introduire un nouvel instrument de monitoring: le Total official support for sustainable development ( TOSSD ). Un premier projet a été mis en consultation cet été. Eurodad, le réseau regroupant 47 organisations européennes de développement, dont Alliance Sud, a publié un papier de discussion. Ce document formule dix conditions qui précisent les circonstances dans lesquelles l’introduction de cette nouvelle méthode de mesure pourrait effectivement contribuer à plus de transparence et d’obligation de rendre des comptes. Lien pour télécharger le document : bit.ly/2civNGE

Impressum

Alliance Sud en un clin d’œil

GLOBAL + paraît quatre fois par an.

Président Melchior Lengsfeld, directeur d’Helvetas Swiss Intercooperation

Editeur : Alliance Sud, Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper E-Mail : globalplus@alliancesud.ch Site Internet : www.alliancesud.ch Médias sociaux politique : www.facebook.com/alliancesud, www.twitter.com/AllianceSud Médias sociaux InfoDoc : www.facebook.com/AllianceSudDok, www.twitter.com/dok_alliancesud Rédaction : Laurent Matile ( l m ) , Tél. + 4 1 21 612 00 98 Iconographie : Nicole Aeby Graphisme : Clerici Partner AG, Zurich Impression : s+z : gutzumdruck, Brig Tirage : 1500 Prix au numéro : Fr. 7.50 Abonnement annuel : Fr. 30.– Abonnement de soutien : min. Fr. 50.– Prix publicité /  e ncartage : sur demande Photo de couverture : Halle d’entrée du bâtiment Virchow 6 de l’architecte Alvaro Siza sur le Campus Novartis à Bâle. © Fernando Guerra /  V iew /  Keystone Le prochain numéro paraîtra début décembre.

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Assistance administrative fiscale :   la pêche est ouverte dgr. Les obstacles que rencontrent les autorités fiscales étrangères dans le cadre d’une demande d’assistance en matière fiscale adressée à la Suisse sont encore nombreux. Dans le passé, une demande devait démontrer un soupçon concret à l’encontre de personnes physiques. La Suisse refusait des expéditions de « fishing », soit des demandes groupées sans indication des noms des personnes concernées. Ceci, jusqu’en octobre 2015 : l’Administration fédérale des finances ( AFF ) est alors entrée en matière sur une demande d’assistance des Pays-bas, qui concernait des clients hollandais de l’UBS. L’un d’eux a recouru contre la décision de l’AFF auprès du Tribunal administratif fé­ déral à Saint-Gall et a obtenu gain de cause. Mais le Tribunal Fédéral voit la situation ­différemment. Il estime que la Convention de double imposition avec les Pays-bas, qui ­correspond aux nouveaux standards de l’OCDE, prime sur la loi fédérale. Une nouvelle tranche du secret bancaire passe ainsi à la trappe. On peut dès lors s’attendre à de nouvelles demandes de « fishing » en provenance du reste du monde.

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Direction Mark Herkenrath ( d irecteur  ) Kathrin Spichiger, Andrea Rotzetter Monbijoustr. 31, Case postale, 3001 Berne Tél. + 4 1 31 390 93 30 Fax + 4 1 31 390 93 31 E-Mail : mail@alliancesud.ch Politique de développement – C oopération au développement Eva Schmassmann, Tél. + 4 1 31 390 93 40 eva.schmassmann@alliancesud.ch – Politique financière et fiscale Dominik Gross, Tél. + 4 1 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch – Environnement et climat Jürg Staudenmann, Tél. + 4 1 31 390 93 32 juerg.staudenmann@alliancesud.ch – Commerce et investissements Isolda Agazzi, Tél. + 4 1 21 612 00 97 isolda.agazzi@alliancesud.ch

– Multinationales et droits humains Laurent Matile, Tél. + 4 1 21 612 00 98 laurent.matile@alliancesud.ch – Médias et communication Daniel Hitzig, Tél. + 4 1 31 390 93 34 daniel.hitzig@alliancesud.ch InfoDoc Berne Dagmar Aközel-Bussmann /  E manuela Tognola / Emanuel Zeiter Tél. + 4 1 31 390 93 37 dokumentation@alliancesud.ch Bureau de Lausanne Isolda Agazzi / Laurent Matile /  Katia Vivas Tél. + 4 1 21 612 00 95 /  Fax + 4 1 21 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch InfoDoc Lausanne Pierre Flatt /  A mélie Vallotton Preisig /  Nicolas Bugnon Tél. + 4 1 21 612 00 86, doc@alliancesud.ch Bureau de Lugano Lavinia Sommaruga Tél. + 4 1 91 967 33 66 /  Fax + 4 1 91 966 02 46 lugano@alliancesud.ch


Photo : © Daniel Rihs

L’échec de la politique de l’autruche

Points forts 4

Entretien avec Markus Mugglin Les multinationales sous observation

Photo : © N emø /  C artoonStock Ltd

L’évasion fiscale selon Apple

Official logo

Official taxes

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Country-by-Country-Reporting La transparence : c’est pour quand ?

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Finances fédérales Coupez, là où il n’y a pas d’électeurs

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Accords de protection des investissements Protéger la santé publique

Politique climatique après Paris 10 Des paroles aux actes ?

« Personne ne quitte sa patrie et sa famille juste comme ça. Tu dois être tellement désespéré que cela t’est égal de te noyer en Méditerranée. L’essentiel est d’avoir essayé de trouver une existence digne d’être vécue quelque part ailleurs. » C’est par ces mots qu’une connaissance m’a expliqué, il y a une année, les raisons qui l’avaient poussé à quitter sa patrie en Afrique du Nord pour venir en Suisse. Il y a quelques mois, il a été expulsé. Depuis, plusieurs centaines de réfugiés, dont de nombreux enfants mineurs non accompagnés, tentent presque chaque jour de traverser la frontière suisse à Come, dans l’espoir de trouver refuge en Suisse ou de poursuivre leur voyage vers l’Allemagne ou les pays scandinaves. Comme nous le savons tous, rares sont ceux qui parviennent à traverser la frontière. A la mi-2016, 33 000 requérants d’asile se trouvaient en Suisse. Auxquels viennent s’ajouter un peu plus de 73 000 personnes ayant obtenu le statut de réfugiés et les personnes admises à titre provisoire. Ces personnes représentent actuellement un pourcentage de quelque 0,9 pour cent de la population résidente en Suisse. Malgré cela, la « crise des réfugiés » échauffe les esprits. Le rappel de quelques chiffres devrait permettre de calmer cette discussion. Premièrement : Selon les données de l’ONU, il y aurait aujourd‘hui dans le monde plus de 65 millions de personnes qui fuient la guerre, la persécution politique ou une absence de perspectives économiques. De ce chiffre, 40 millions sont des « déplacés internes » qui sont restés dans leur pays. Pour les régions des pays qui ont été jusqu’à présent épargnées par les conflits, cela représente un défi énorme. Sans soutien extérieur, l’instabilité et la pauvreté menacent également ces régions. Deuxièmement : De l’ensemble des plus de 20 millions de réfugiés qui ont quitté leur pays, moins d’un cinquième a fui dans les pays développés. Plus de 80 pour cent ont trouvé refuge dans d’autres pays en développement, un quart même dans des pays qui sont parmi les plus pauvres de la planète. A titre d’exemple, plus de 350 000 réfugiés vivent actuellement au Tchad, ce qui représente quelque 2,6 pour cent de la population de ce pays. Au Liban, les 4,7 millions de réfugiés représentent 18,3 pour cent de la population résidente, soit 18 fois plus qu’en Suisse. Troisièmement : Des pays en développement semblent avoir moins de difficultés que nous à intégrer les réfugiés étrangers. Par exemple, l’Ouganda abrite actuellement environ un demi-million de personnes réfugiées. Derrière l’Ethiopie et le Kenya, c’est le troisième pays d’accueil en Afrique. Les personnes au bénéfice du statut de réfugiés obtiennent un lopin de terre agricole, le même accès aux services publics que la population locale, un permis de travail et le droit de créer leur propre entreprise. Ici aussi, le pays a besoin du soutien de la communauté internationale pour faire face à la pression que représente l’immigration sur l’infrastructure publique. Il est difficilement compréhensible qu’une grande partie du Parlement suisse souhaite financer les dépenses croissantes pour les requérants d’asile dans notre pays par le biais de réductions de la coopération au développement. Il devrait au contraire être clair que des pays pauvres qui accueillent sensiblement plus de réfugiés que nous, auraient plus besoin que jamais de notre aide. Mark Herkenrath, directeur d’Alliance Sud

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« M ultinationales sous observation » – L’entretien de GLOBAL +

« L’administration fédérale se comporte, dans le dossier ‹ entreprises et droits humains › comme s’il s’agissait d’un sujet tabou. » Daniel Hitzig et Laurent Matile

Faire des bénéfices tout en respectant les droits humains.

Cela peut aller de pair, mais n’est pas toujours le cas. Mais cela devrait l’être. Dans tous les cas, selon l’Initiative pour des multinationales respon­ sables. L’économiste et journaliste indépendant Markus Mugglin vise à fournir, dans son ouvrage, les bases nécessaires à un débat qui devrait – ­ enfin – être lancé. En toute transparence. Vous décrivez la relation entre Nestlé et les ONGs, qui a évolué au cours des dernières décennies. A la confrontation est venue s’ajouter la collaboration ponctuelle. Cela ne mène-t-il pas à la confusion au sein des ONGs ? Ce n’est pas mon impression. Les ONGs ont appris que le conflit et le dialogue ne s’excluent pas mutuellement. Aussi bien les ONGs que les entreprises ont dû passer par un processus d’apprentissage avant de réaliser que confrontation et collaboration étaient possibles. J’ai observé ce processus au travers de l’exemple du travail des enfants dans les plantations de cacao. C’est, à mes yeux, un cas d’école. La pression sur Nestlé est

208 pages, CHF 29.00 ISBN 978-3-85869-706-6 Markus Mugglin présentera son livre dans le cadre du dépôt de l’Initiative pour des multinationales responsables, lundi 10 octobre, 19 heures, au Res­ taurant Kapitel (Bollwerk 41) à Berne.

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venue des ONGs aux Etats-Unis, en 2001. L’entreprise a alors promis des améliorations, mais sa réponse fut hésitante. Un tournant a eu lieu lors de la sortie d’un film en 2012 dans lequel un représentant de Nestlé a loué le réalisateur danois pour sa présentation très critique de la situation dans les plantations de cacao en Afrique de l’Ouest. Depuis lors, certains progrès ont été réalisés dans la lutte contre le travail des enfants. Au sein des multinationales suisses, Novartis a joué pendant plusieurs années, grâce à sa fondation présidée par Klaus M. Leisinger, un rôle de premier plan dans la discussion sur la responsabilité des entreprises ... Leisinger a réussi – au-delà de Novartis  – à faire bouger les choses dans le débat suisse relatif aux entreprises et aux droits humains. On est dès lors très surpris de ne pas trouver mention des droits humains dans les récents rapports d’activités de Novartis. La « durabilité » y est abordée sans lien avec les droits ­humains. Cet exemple ne démontre-t-il pas la fragilité de l’argumentation des entreprises, qui consiste à vouloir nous faire croire que la Responsabilité sociétale des entreprises ( RSE ) suffit amplement ? La RSE est un concept très flexible, mais peu fiable. Cette conclusion est désormais également partagée par des théoriciens du management. La RSE permet aux entreprises de ne prendre au sérieux que les postulats qui sont facilement

réalisables. Si l’on place les droits humains au centre, cela n’est plus possible. Il faut dorénavant apporter des preuves que les droits humains sont respectés et protégés et que des instruments de réparation des violations éventuelles des droits humains sont accessibles. Ce sont les exigences des Principes directeurs de l’ONU. Il est vrai qu’ils ne sont pas juridiquement contraignants. Mais le pick and choose que permet le UN Global Compact – que les entreprises apprécient tant – devient plus difficile. Le Conseil fédéral a adopté en 2015 un document qui définit sa position en matière de RSE. Vous ne semblez pas en avoir tiré grand chose de positif ? La lecture de ce document est frustrante. Il prête à confusion et ne contient ni ligne rouge, ni message reconnaissable. Le Professeur pour les questions ban­ caires Urs Birchler a résumé cela en une phrase dans la NZZ : « La Confédération n’intervient pas dans le débat en tant qu’Etat qui définit des règles claires et contraignantes et en assure la mise en œuvre, mais en tant qu’expéditeur d’attentes diffuses. » L’Etat devrait établir de la clarté au lieu de semer la confusion au travers d’une liste de recommandations peu claires. Il devrait établir des règles précises et le moins bureaucratiques possible afin de garantir le respect des droits humains par les entreprises. Les banques ont fait – dans la douleur  – l’expérience que des affaires peu scrupuleuses comportent des risques élevés, principalement pour leur


Les banques mettent beaucoup en avant la finance durable ( sustainable finance ) : lorsqu’on regarde les chiffres de près, la réalité est décevante. Cela est confirmé dans les rapports d’activité. Les montants qui sont gérés par les deux grandes banques sous forme d’« avoirs gérés selon le principe de la durabilité » ont augmenté ces dernières années de manière significative. La lecture des rapports d’activités révèle par contre que seule une infime proportion de cette fortune est investie sur la base de critères sociaux et environnementaux. Les Etats dans lesquels les multinatio­ nales ont leur siège peuvent également subir un dommage réputationnel. En ce qui concerne le commerce de l’or, le Secrétariat d’Etat à l’économie ( Seco ) tente de palier à ce risque par le biais de la « Better Gold Initiative ». Cette initiative ne concerne actuel­ lement que 700 kg, alors qu’environ 3000 tonnes d’or transitent par la Suisse, soit 70 pour cent du commerce mondial. N’est-ce pas une initiative ridiculement timide ? Cette différence est en effet flagrante. Cela, d’autant plus à la lumière du fait que la Suisse a consciemment passé sous silence – et ce pendant des décennies – son rôle sur le marché de l’or. Aujourd’hui encore, la provenance d’une grande partie de l’or qui est importé et raffiné en Suisse reste une véritable boîte noire. La traçabilité, soit la question de savoir d’où provient et dans quelles conditions est extrait l’or suisse reste en grande partie opaque. La « Better Gold Initiative » le démontre en outre bien : une certification n’a de valeur que dans la mesure où l’ensemble de la chaîne de valeur est transparente.

Comment expliquez-vous la grande retenue de l’administration fédérale à l’égard de la problématique des droits humains ? Mon impression est que le « politiquement correct » est largement répandu. J’ai également eu ce sentiment dans le cadre du débat concernant la spécu­ lation sur les denrées alimentaires. On ne semble pas vouloir précisément connaître la réalité. Il y a des sujets tabous, comme la question des entreprises et des droits humains, auxquels l’on ne se confronte pas ouvertement. A quoi vient s’ajouter la tendance à l’adaptation. On attend que les autres – en règle générale l’UE – aient défini leur politique. Peut-être espère-t-on, par ce biais, pouvoir se soustraire à certaines discussions dans le domaine concernant l’économie et la société. Les entreprises ont les moyens de s’assurer les services d’une multitude de lobbyistes pour influencer le processus relatif aux comportements des entreprises à l’égard des droits humains. Les ONGs ont-elles une quelconque chance de succès, malgré leurs moyens limités ? Parfaitement. Je ne peux que vous rappeler le débat sur la justice fiscale. Ce ­débat fut lancé en 2003 par une poignée d’experts qui ont alors créé le Tax Justice Network. Aujourd’hui, leurs propositions sont reprises au plus haut niveau par l’OCDE (voir page 6). Il y a de très nombreuses compétences techniques au sein du monde des ONGs. Je pense notamment à BankTrack, à SOMO, aux Pays-bas, à Oxfam ou à de nombreuses ONGs suisses. Ma question est plutôt de savoir si la société civile est à même de divulguer les nombreuses recherches et rapports auprès du public. Bien sûr que ce travail d’information devrait aussi être celui de la presse. Mais c’est une autre histoire, que je n’ai pas abordée, faute de temps. Markus Mugglin, merci beaucoup de cet entretien.

Markus Mugglin, qui a longtemps collaboré à l’« Echo der Zeit » à la radio RTS /SRF, est aujourd’hui journaliste indépendant. Il se définit comme un « observateur des observateurs ».

Photos : © D aniel Rihs /  A lliance Sud

réputation. Quelle importance les ­multinationales attachent-elles à la question de la réputation ? J’ai été surpris par la clarté d’une déclaration faite dans un rapport d’activités de l’UBS. Il serait en effet difficile de réparer un préjudice effectivement subi à sa réputation. Le processus de guérison serait lent et les procès de ces dernières années auraient gravement nuit à la renommée et aux résultats financiers de la banque. Les entreprises multinationales semblent avoir réalisé le bien précieux que représente leur réputation.


Conseil fédéral : maintenir l’opacité pour les multinationales

La fin des pommes acidulées ! Dominik Gross  Le

scandale de l’évasion fiscale d’Apple et le projet de loi

du Conseil fédéral pour une déclaration pays par pays en Suisse

le ­démontrent bien : il n’y aura pas d’échappatoire à une présentation

des comptes des entreprises multinationales accessible au public. Les transferts de bénéfices des entreprises multinationales vers des paradis fiscaux ont des conséquences dévastatrices pour les pays en développement. Pour maximiser les revenus tirés de l’extraction et de la vente de matières premières provenant de mines en Afrique, les multinationales transfèrent les bénéfices de leurs filiales dans les pays du Sud dans des succursales ou des maisons mères dans des pays à faible imposition. Cet artifice leur permet de ne s’acquitter que d’une fraction des impôts qu’elles auraient dû payer dans les pays dans lesquels la majeure partie de leurs activités économiques ont lieu. Cette situation est rendue possible par des manipulations de prix de transfert : lorsque deux filiales du même groupe s’échangent des produits ou des services, la direction de la multinationale doit fixer des prix pour ces transactions qui devraient refléter les prix du marché. Lorsqu’il n’existe pas de référence pour déterminer ces prix du marché, les managers fixent des prix de transfert abusivement élevés et trans­ fèrent ainsi les revenus provenant d’un pays à « haute imposition » vers un pays à faible imposition. Les pays de l’OCDE veulent rester entre eux Le dernier exemple en date d’évasion fiscale à grand échelle nous est fourni par Apple ( voir boîte ). Afin d’éviter à l’avenir ce type d’évasion fiscale agressive, la coalition pour une justice fiscale se bat depuis 2002 pour que soit introduite une obligation de fournir une « déclaration pays par pays » des entreprises multinationales ( Public Country-by-Country-Reporting/CbCR ). Cet instrument devrait permettre, à l’avenir, de démasquer les montages d’évasion fiscale similaires à celui d’Apple. L’introduction du CbCR est un des piliers du projet présenté il y a une année par l’OCDE pour combattre l’évasion fiscale pratiquée par les entreprises multinationales, projet

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connu sous le nom de BEPS ( « Base Erosion and Profit Shifting» ). Le problème est que les pays membres de l’OCDE ne veulent pas d’une publication ( accessible au public ) des déclarations pays par pays, mais préfèrent se limiter à un échange automatique d’informations entre autorités fiscales. Les pays en ­développement ne bénéficieraient pas d’un tel système. Et ce, malgré le fait que selon un rapport du Fonds monétaire international ( FMI ) de 20141, plus de 200 milliards de dollars USD sont soustraits aux pays du Sud via l’évasion fiscale des multinationales. Le Conseil fédéral ne prend pas ses responsabilités La Suisse est autant appréciée par les multinationales comme paradis fiscal que l’Irlande, dont Apple a pu bénéficier du régime fiscal privilégié. Le Conseil ­fédéral ne semble pas encore avoir pris conscience de la responsabilité particulière qui incombe – de par son attrait – à la Suisse à la mise sur pied d’un système fiscal global durable. Le projet présenté ce printemps de Loi fédérale sur l’échange automatique des déclarations pays par pays des groupes d’entreprises multinationales ( LEDPP ), qui vise à mettre en œuvre les exigences de l’OCDE, reste en effet en-deçà des standards proposés par l’OCDE. En effet, bien que le Conseil fédéral fixe le seuil à l’obligation de fournir des déclarations pays par pays à 900 millions CHF de chiffre d’affaires, soit au niveau exigé par l’OCDE, il libère ainsi les « petites multinationales » de l’obligation de remettre une telle déclaration à l’Administration fédérale des contributions ( AFC ). Or, ce sont justement les impôts des « petites multinationales » qui sont très importants pour les pays en développement : Au vu du fait que les pays pauvres ne disposent, en comparaison, que d’une fraction du substrat fiscal de la Suisse, le seuil devrait être fixé à un niveau d’environ

quinze fois inférieur, pour permettre de limiter efficacement les pertes infligées au fisc des pays en développement. Le Conseil fédéral ne veut, en outre, pas exiger des entreprises multinationales basées en Suisse une déclaration fichier principal, fichier local ( Master et Local files ). Bien qu’il respecte les exigences minimales de l’OCDE, la pertinence de la documentation relative aux prix de transferts des multinationales établies en Suisse s’en trouvera par contre sensiblement réduite. Même si la Suisse procédait à l’échange automatique de ces données avec les autorités fiscales de certains pays en développement, ces pays ne bénéficierait pas de la nécessaire vue d’ensemble devant leur permettre d’évaluer les risques induits par les prix de transfert fixés par une multinationale suisse qui gère une filiale dans leur pays. La réciprocité aux frais des pays en développement Le Conseil fédéral veut décider, au cas par cas, si la Suisse accorde l’échange ­automatique des déclarations pays par pays aux Etats signataires de l’Accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange automatique des déclarations pays par pays ( EDPP ) de l’OCDE. Si le Conseil fédéral se base sur l’échange automatique de renseignements ( EAR ) en matière fiscale qui entrera en vigueur en 2018, cela signifiera qu’en matière de déclaration pays par pays, la plupart des pays en développement seront exclus ; y compris, très vraisemblablement, le Sénégal et le Nigeria qui ont déjà signé l’AEDPP. Il sera dès lors d’autant plus important que le Parlement – qui devrait traiter de cette question lors de sa session d’hiver – s’engage en faveur d’une mise en œuvre multilatérale de l’AEDPP par la Suisse. Cela permettrait de faire bénéficier les quelque – à ce jour – 30 pays signataires de l’Accord des informations ­transmises par les multinationales basées en Suisse. Même cela resterait un patchwork insuffisant. Les forces de la société civile qui s’engagent dans le monde entier pour plus de justice fiscale ne se verraient renforcées dans leurs efforts que si et dans la mesure où la Suisse exigeait des multinationales dont le siège est en Suisse qu’elles publient leurs déclarations pays par pays. La Suisse ne serait pas la seule à procéder


de la sorte ; le gouvernement conser­ vateur du Royaume-Uni a récemment annoncé un CbCR accessible au public. Pour le secteur des services financiers, cela est déjà une réalité dans l’ensemble de l’UE. 1 IMF Working Paper, Base Erosion, Profit Shifting and Developing Countries,   bit.ly/1GMlAi8

Evasion fiscale selon Apple: mode d’emploi dgr. Apple Inc., maison mère de la multinationale IT dont le siège est en Californie, gérait jusqu’à sa restructuration en 2015 deux filiales en Europe: Apple Sales International ( ASI ) et Apple Operations Europe ( AOE ). ASI achetait les produits finis de la marque dans des usines à travers le monde pour les revendre en Europe, en Afrique et en Inde. Lorsqu’un consommateur achetait un i-phone dans un Apple-store à la rue de Rive à Genève, le bénéfice se retrouvait en Irlande, auprès d’ASI. Apple payait ainsi déjà moins d’impôt sur cette vente que si elle avait été imposée de manière régulière en Suisse. Comme si cela ne suffisait pas, la plupart des revenus qu’ASI aurait dû déclarer en Irlande étaient transférés par Apple à un soi-disant « Head office », qui n’était enregistré dans aucun pays, n’avait aucun bureau, aucun employé et donc aucune activité commerciale réelle. La seule activité à son actif étaient quelques occasionnelles séances du conseil d’administration. Par cet artifice, Apple ne versait pas un seul centime d’impôt sur la plupart de ses reve­ nus en Europe, en Afrique et en Inde. Apple a ainsi réussi à abaisser son taux d’imposition effectif en Irlande à quelque 0,005 pour cent. Ceci, il faut le rappeler, avec l’accord des autorités irlandaises avec lesquelles Apple avait conclu en 2007 un «  ruling » à ce sujet. Mais cette pratique était contraire au droit européen. C’est pourquoi la Commission européenne exige maintenant de l’Irlande qu’elle réclame à Apple un montant de 13 milliards d’euro d’impôts impayés. Décision que le CEO d’Apple Tim Cook a qualifié de « merde politique ».

Finances fédérales : Les programmes de stabilisation   s’enchaînent

Quand les riches s’éver­ tuent à économiser Eva Schmassmann  Le

Département fédéral des finances

annonce régulièrement des excédents budgétaires,

mais la coopération au développement doit à nouveau se serrer la ceinture. Ceci, en passant sous silence

le fait que la Suisse présente des taux d’endettement et d’imposition fiscale parmi les plus bas en compa­ raison internationale.

En mai 2016, le Conseil fédéral ( CF ) a approuvé le programme de stabilisation 2017 – 2019, programme qui sera discuté cet automne au Conseil des Etats. Les mesures d’économie affectent la coopération internationale ( CI ) de manière disproportionnée. Cette dernière devrait en effet supporter quelque 25 pour cent des économies. Concrètement, cela implique des réductions de 590 millions CHF. En outre, la CI fait partie des rares domaines dans lesquels des économies non seulement relatives sont prévues par rapport au plan financier provisoire, mais dans lequel des réductions absolues doivent avoir lieu. Par rapport à la planification antérieure, le programme de stabilisation réduit les dépenses de la Confédération d’un montant global de 2,7 milliards CHF. Pour faire face au renforcement du franc suisse et au ralentissement de la croissance économique, des adaptations seraient nécessaires afin de respecter les exigences du frein à l’endettement. En termes de recettes, la Confédération entend renoncer à des mesures telles que de nouveaux impôts ou redevances. L’argument principal avancé pour justifier la répartition asymétrique des mesures d’économie au détriment de la CI est que cette dernière a bénéficié ces dernières années d’une croissance disproportionnée. Cette croissance était cependant la conséquence d’une décision stratégique des deux chambres du Parlement qui allouait un pourcentage de 0,5 pour cent du revenu national brut à la CI. En bref, la justification purement comptable des coupes draconiennes dans la CI méconnait l’intérêt à long terme de la Suisse à un monde socialement, environnementalement et économiquement durable. Dans son message sur le programme de stabilisation, le Conseil fédéral affirme que « la CI continuera à être l’un des domaines de la Confédération où la croissance est la plus forte » ( Feuille Fédérale 2016 : 4545 ). Au vu des coupes massives dans le budget 2016, cette croissance ne représente en fait qu’un relèvement au niveau des dépenses de 2015. Alors que la CI représentait encore en 2015 un montant de 5,5 pour cent du budget général, ce montant se réduira jusqu’en 2019 à 4,9 pour cent. Les pertes de recettes fiscales de la RIE III augmentent la pression aux économies Le CF exclut d’introduire de nouveaux impôts ou d’augmenter les impôts existants. Avec la troisième réforme de l’imposition des entreprises ( RIE III ), les recettes fiscales diminueront de

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Photo : © L ukas Lehmann /  Keystone

Le Conseiller fédéral Ueli Maurer, entouré du Directeur de l’administration fédérale des finances et du porte-parole du Conseil fédéral, présente en mai 2016 le Programme de stabilisation 2017 – 2019.

manière sévère à partir de 2019. Le CF prévoit dans son projet de RIE III que la Confédération subira une perte de recettes fiscales de 1,3 milliard CHF. Malgré cela, le CF renonce à une compensation, comme pourrait le permettre un impôt sur les transactions financières. Le Parlement a encore renforcé la RIE III en faveur des entreprises. Les conséquences sont diffi­ ciles à chiffrer, mais il devrait en résulter des pertes de recettes fiscales supplémentaires considérables pour la Confédération, les Cantons et les communes. L’attention particulière qui est portée aux incitatifs fiscaux relatifs à l’attractivité de la place économique est déconcertante. Dans son Rapport sur la politique économique extérieure de 2015, le CF reconnaissait pourtant lui-même que la charge fiscale ne représente qu’un facteur parmi beaucoup d’autres en termes de choix d’implantation des entreprises. Les facteurs tels que l’infrastructure, le niveau de formation, la recherche, l’accès aux marchés internationaux et la stabilité ­politique seraient tout aussi importants. Redistribution au détriment des plus pauvres En juillet 2016, le Ministre des finances Ueli Maurer a cependant déjà annoncé un deuxième paquet d’économies pour 2018 – 2020. Le budget fédéral devrait à nouveau être allégé de CHF 3 milliards additionnels. En plus de la RIE III, le maintien du plafond des dépenses pour l’armée renforce les appels aux économies dans d’autres domaines. Afin de rééquilibrer le budget, il est en effet difficile d’échapper au réflexe consistant à puiser dans les dépenses « non liées », qui, à l’inverse des dépenses liées, ne découlent pas directement de dispositions légales. La CI se retrouve à nouveau directement concernée, étant donné que ses défenseurs dans la Berne fédérale sont relativement peu nombreux. Et que l’impact des coupes ne se fera ressentir que loin du regard des potentiels électeurs et électrices. Il est néanmoins à craindre que les conséquences de ces exercices d’économies sur le dos des plus pauvres nous rattrapent en Suisse. En effet, les moyens nécessaires à combattre les

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causes du terrorisme, des conflits et de la pauvreté viennent à manquer. Les possibilités de fournir, au travers de la coopération au développement, une contribution visant à combattre la fuite et la migration sont limitées à un moment inopportun. La question de la nécessité de telles mesures d’économies drastiques dans le budget fédéral n’est pas soulevée et encore moins débattue. Il faut en effet rappeler que le CF a présenté ces dernières années des excédents record. L’extrapolation de juin 2016 du DFF prévoit à nouveau un excédent de 1,7 milliard CHF. Il est vrai que ce résultat est dû principalement à des circonstances particulières, notamment aux taux d’intérêts négatifs. Comme les entreprises s’acquittent de manière accrue de leurs impôts à l’avance, les recettes dépassent largement celles prévues au budget. Le résultat financier, après déduction de ces facteurs exceptionnels, se monte à CHF – 0,1 milliard, soit largement inférieur au déficit budgété de CHF 0,5 milliard. En comparaison internationale, l’état des finances publiques suisses est nettement meilleur que la moyenne. C’est ainsi que le ratio d’endettement de l’Etat se situait en 2015 à un niveau de 34,4 pour cent, soit nettement inférieur à la moyenne des pays de la zone euro ( 94,1 pour cent du BIP ). La Suisse présente également des taux très bas en termes de charge fiscale, étant donné que la quote-part fiscale de 27 pour cent est sensiblement inférieure à la moyenne de l’OCDE de 34,4 pour cent. Compte tenu de ces facteurs, la conclusion semble s’imposer que le CF cherche sciemment, au moyen de sombres prévisions, à créer l’apparence d’une pression aux économies. Il est vrai que les prévisions de croissance globale et nationale se sont dernièrement détériorées. Selon les prévisions du groupe d’experts de la Confédération, l’économie suisse devrait néanmoins croître de 1,8 pour cent en termes réels en 2017. C’est dès lors un terrible aveu d’impuissance pour une Suisse riche et, en comparaison avec ses pays voisins, en très bonne santé économique que de procéder à des coupes dans l’aide aux populations défavorisées des pays en développement.


Accords de protection des investissements

Philip Morris contre l’Uruguay : une victoire d’étape, mais la bataille continue Isolda Agazzi  Le

8 juillet 2016, un tribunal arbitral a donné raison à l’Uruguay,

attaqué par Philip Morris pour sa politique anti-tabac, sur la base

de ­l’accord de protection des investissements ( API ) conclu avec la Suisse. Cependant, la sentence aurait pu être complètement différente.

Les API suisses doivent être rééquilibrés en faveur des pays d’accueil. Philip Morris avait porté plainte en 2010 devant le CIRDI, un tribunal arbitral de la Banque mondiale. La multinationale du tabac, dont le siège des opérations internationales est en Suisse, contestait l’introduction par l’Uruguay du paquet unique, qui interdit de vendre plus d’une sorte de cigarettes par marque ( p. ex. Marlboro rouge, vert, gold ), obligeant Philip Morris à retirer sept de ses douze produits, ainsi que l’obligation d’allouer 80 pour cent de la surface du paquet à la mise en garde sur les dangers de la fumée. La plainte avait suscité l’indignation des ONG du monde entier, dont Alliance Sud, qui s’était mobilisée avec l’ONG Amis de la Terre Uruguay1. Fait important: les secrétariats de l’Organisation mondiale de la santé et de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac avaient soumis un « amicus curiae » – une lettre de tiers amenant un nouvel éclairage sur le cas – expliquant que les mesures adoptées par l’Uruguay étaient conformes à ladite convention. Les arbitres ont donné raison à ­l’Uruguay sur toute la ligne et obligé Philip Morris à payer les frais de fonctionnement du tribunal et une partie des frais de justice de l’Uruguay, à hauteur de 7 millions USD. Plus spécifiquement, ils ont statué que : 1. L’Uruguay n’avait violé aucune de ses obligations découlant de l’API avec la Suisse. 2. Les mesures réglementaires adoptées par l’Uruguay n’expropriaient pas Philip Morris, mais représentaient des mesures « bona fide » visant à protéger la santé publique. 3. Elles ne violaient pas le « traitement juste et équitable » de Philip Morris parce qu’elles n’étaient pas arbi-

traires. Au contraire, il s’agissait de mesures raisonnables étayées par la science et appuyées par la communauté internationale. 4. Elles n’empêchaient pas de façon « déraisonnable et discriminatoire » Philip Morris de bénéficier de ses brevets, car elles poursuivaient des intérêts légitimes et ne visaient pas à priver la multinationale de la valeur de son investissement. Implications de la sentence Que signifie cette cuisante défaite de l’un des principaux fabricants de ciga­ rettes du monde pour l’avenir de la lutte anti-tabac et le processus de règlement des différends investisseurs – Etat en général ? Cette sentence signifie-t-elle que le système fonctionne, comme le prétendent ses défenseurs, et qu’il n’y aura pas d’autres plaintes contre des mesures de protection de la santé publique à l’avenir ? Rien n’est moins sûr. La plupart des analystes reconnaissent que les plaintes de Philip Morris ont eu un effet de dissuasion ( « chilling effect » ) sur des mesures anti-tabac prévues par d’autres pays – Costa Rica, Paraguay, Nouvelle-Zélande, notamment – qui ont hésité ou renoncé à réguler par peur de se faire attaquer. Par ailleurs, les géants du tabac ne vont probablement pas hésiter à porter plainte contre les pays les plus pauvres, notamment en Afrique, qui constituent leurs principaux marchés d’avenir. Il faut aussi souligner que cette sentence ne constitue pas un précédent en droit international que les arbitres seraient obligés de suivre à l’avenir dans des cas similaires, car dans l’arbitrage il n’y a pas de jurisprudence. L’arbitrage est par définition imprévisible et aléatoire en raison de la diversité des fors ( dans ce

cas c’était le CIRDI, mais il y en a beaucoup d’autres ), des arbitres et du caractère vague des standards juridiques ( cf. encadré ci-dessous ). Par ailleurs, dans ce cas spécifique, il ne faut pas oublier que l’un des trois arbitres ( celui choisi par Philip Morris ) n’était pas d’accord avec la sentence et a publié une opinion dissidente. Les traités de protection des investissements doivent donc être rééquilibrés en faveur des pays d’accueil. A commencer par les traités suisses. 1 www.alliancesud.ch/fr/politique/commerce ( à droite )

La clause du « traitement juste et équitable » ia. Philip Morris avait invoqué notamment une violation du « traitement juste et ­équitable », une notion extrêmement floue, invoquée le plus souvent devant les tribunaux arbitraux. Elle inclut le concept d’« ­attente légitime » de l’investisseur, non seulement par rapport à l’investissement, mais aussi au droit de continuer ses ­opérations. Il existe des interprétations très différentes de la marge de manœuvre qu’un gouver­nement doit pouvoir conserver pour réguler en matière de santé publique. Dans l’affaire Duke Energy and Al versus Equateur (2008), le tribunal avait souligné que les attentes de l’investisseur quant à la prévisibi­lité de l’environnement légal et des affaires ­devaient être raisonnables. Mais il avait quand même donné raison à l’en­treprise plaignante, jugeant que l’Equateur ne lui avait pas accordé une garantie de paiement prévue dans le contrat d’investissement. L’Equateur avait été condamné au versement d’une indemnisation de 5,5 millions USD, avec intérêts. Certes, il ne s’agit pas d’une plainte basée sur des traités suisses, mais cela pourrait arriver à tout moment. Pour Alliance Sud, le modèle suisse devrait s’inspirer des modèles d’accord des Etats-Unis et du Canada. Le modèle canadien adopte une interprétation très restrictive : le traitement juste et équitable accordé aux investissements ne devrait pas outrepasser les principes généraux du droit international coutumier sur le standard minimum de traitement des étrangers.

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Financement climatique : Des paroles aux actes ?

Prochain arrêt : Marrakech

Jürg Staudenmann  « Action

et mise en œuvre » : telle est la devise du premier sommet sur le climat après Paris.

Après la percée diplomatique, voici l’heure du travail ardu sur les points d’achoppement qui avaient

été ­remis à plus tard. Le thème récurrent du « financement climatique » continue à diviser riches et pauvres ;

la « très ambitieuse » Suisse fait partie des pays qui mettent le pied sur le frein. L’Accord de Paris sur le climat pourrait entrer en vigueur bien plus tôt que prévu. Le nombre nécessaire de pays ( 55 ) ayant ­ratifié l’accord et qui couvrent les 55 pour cent des émissions ­globales requis pourrait déjà être atteint cette année. Après que les Etats-Unis et la Chine ont déposé leurs instruments de ratification auprès de l’ONU, le Brésil et le Panama en ont fait de même, juste avant la clôture de rédaction. Le monde économique semble également maintenir le cap : 120 entreprises globales, qui gèrent ensemble un volume d’investissements de 13 000 milliards USD, appellent les gouvernements suite au Sommet du G-20 à Hangzhou à ratifier cette année encore l’Accord de Paris et à définir des directives contraignantes afin de permettre d’identifier les risques financiers liés au climat et de les minimiser. La probable entrée en vigueur de l’Accord cette année encore déclenche une effervescence certaine dans le cadre des préparatifs de la première conférence sur le climat ( COP22 ) après la signature du nouvel accord sur le climat. Alors que l’on s’attendait à pouvoir bénéficier de plusieurs années pour s’atteler aux questions de mise en œuvre laissées ouvertes à Paris, le Sommet sur le climat des 7 au 18 novembre prochains à Marrakech s’inscrit déjà sous le signe de la mise en œuvre de l’accord de Paris. Laurence Tubiana ( ambassadrice spéciale de la France pour le climat ) et Hakima El Haité ( ministre marocaine chargée de l’environnement ) – Présidentes sommet sortante et entrante  – devraient soumettre, en tant que « High-level Champions », une analyse de la situation et des propositions concrètes pour contribuer à la mise en œuvre de l’Accord de Paris d’ici à 2020. Le financement climatique reste le nœud gordien Les pays membres de l’OCDE ont entrepris cet été les travaux en vue d’établir une « feuille de route » pour assurer le financement de la lutte contre les changements climatiques. A Marrakech, ces pays veulent démontrer de quelle manière ils pensent être à même de remplir leurs engagements pris à l’égard des pays les plus pauvres et les plus exposés. La promesse des pays riches de mobiliser, dès 2020, 100 milliards USD par année est sur la table depuis la COP16 à Cancún, en 2010. A Paris, cet engagement a été réitéré. Le premier échange informel en juin avec les pays bénéficiaires a failli provoquer – sans grande surprise - une esclandre. La méthodologie définie il y a un an déjà par l’OCDE ( nota bene, sous la présidence des Etats-Unis et de la Suisse ) en a été le déclencheur. Cette méthodologie est hautement controversée, au vu du fait qu’elle prévoit que, outre les flux effectifs, des « flux financiers virtuels » et des prêts remboursables devraient pouvoir être comptabilisés dans les 100 milliards de USD ; y compris des projets déjà financés par les budgets du dévelop-

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pement existants qui ne sont pas destinés à des mesures de protection du climat ( voir, à ce sujet, Global+ Nr. 52, été 2014 ). Les pays en développement dénoncent à juste titre le fait que les pays riches se concentrent encore et toujours sur des artifices comptables au lieu de mobiliser – comme cela est prévu par l’Accord sur le climat – de nouveaux moyens financiers appropriés et exigent que la notion de « financement climatique » soit enfin définie de manière claire et non équivoque. L’ONG internationale Climate Action Network ( CAN ), avec qui Alliance Sud collabore activement, a soumis à l’ONU les éléments essentiels d’une méthodologie qui serait conforme aux exigences de l’Accord sur le climat.1 Ou en est la Suisse ? La position du Conseil fédéral lors de l’ouverture de la consultation sur la politique climatique après 2020 – qui comprend la révision de la loi sur le CO2 et la ratification de l’Accord de Paris – se lit comme une brochure d’une librairie ancienne. Les objectifs de réduction au niveau national de – 30 pour cent ( par rapport au niveau de 1990 ) jusqu’en 2030 sont les mêmes que ceux déjà communiqués avant la COP 21 à Paris. Ils se trouvent à un niveau ridiculement supérieur de 4 pour cent par rapport aux prévisions « business as usual ». Pour atteindre les objectifs fixés à Paris, ils devraient être deux fois supérieurs. Le Conseil fédéral concède lui-même dans le texte explicatif que l’Accord de Paris ne sera ainsi pas entièrement mis en oeuvre. Le CF veut simplement voir la Suisse figurer « parmi les soixante premiers pays » qui ont ratifié l’Accord de Paris. Une position qui est en contradiction frappante avec celle défendue à Paris, où la Suisse avait rejoint la « coalition à haute ambition ». Le risque est que la Suisse se retrouve à Marrakech sur le banc des observateurs et soit réduite à assister à la négociation de la mise en œuvre de l’Accord sur le climat entre les parties à l’accord. A cet égard, le projet de loi sur le CO2 n’aborde même pas la question de savoir comment la Suisse assurera ses contributions au financement du climat, contributions que le CF a entretemps définies comme se situant entre 450 et 1100 millions CHF par an. Il reste à espérer que la Conseillère fédérale Doris Leuthard se laissait inspirer – mieux vaut tard que jamais – par sa dernière visite de travail en septembre en Suède, pays qui veut se libérer totalement des énergies fossiles d’ici à 2030.

1 www.climatenetwork.org/publication/can-submission-elaborating-modalities-accounting-climate-finance-july-2016


Bienvenue chez Alliance Sud Mark Herkenrath  Deux

nouvelles collaboratrices et un

nouveau collaborateur ont rejoint l’équipe d’Alliance Sud ces derniers mois. Nous leur souhaitons une

cordiale ­bienvenue et les présentons à nos lecteurs. Laurent Matile a succédé à Michel Egger le 1er août auprès de notre bureau régional de Lausanne. Il est le nouveau responsable du dossier « entreprises et droits humains » et joue, à ce titre, un rôle important dans le cadre de la coordination de l’initiative pour des multina­tionales responsables. Laurent Matile, 51 ans, avocat de formation, est au bénéfice d’une vaste expérience dans le domaine des relations économiques extérieures, en particulier en ­matière de commerce et de dé­veloppement. Il a collaboré au sein de l’administration fédérale ( Seco, DFAE / ­Bureau de ­l’intégratio­n ), à la Banque asiatique de développement à Manille, chez IDEAS Centre et au Centre du commerce inter­national ( CNUCED /OMC), à Genève. Avant son arrivée chez ­Alliance sud, Laurent Matile travaillait dans le dossier des ­matières premières chez Swissaid et collaborait déjà aux ­groupes de travail de l’initiative pour des multinationales responsables. Il poursuit en parallèle son activité d’enseignement à la Haute école de gestion ( HEG ) à Genève.

Photos : © D aniel Rihs /  A lliance Sud

Dagmar Aközel-Bussmann a pris la succession chez ­InfoDoc à Berne de Jris Bertschi, qui a quitté Alliance Sud à la fin mars après cinq ans de colla­boration. Dagmar Aközel-Bussmann, 35 ans, a fait des études de ­langues ­slaves et allemandes à l’Université de Berne et a obtenu un Master en allemand comme deuxième langue, à ­l’Université de Fribourg. Après divers emplois en cours et après ses études, elle a été pendant deux ans assistante dans le ­domaine de la formation chez Comundo. Elle a travaillé dernièrement à la bibliothèque municipale de Zofingue. Depuis cet automne, elle suit une ­formation en cours d’emploi ( MAS Sciences de l’information ) à la HTW de Coire. Sara Frey a rejoint au 1er septembre l’équipe d’Alliance Sud en tant que Junior Programme Officer. Sa fonction principale est de colla­borer à la mise sur pied d’une large plateforme de la société civile qui accompagnera la mise en œuvre de l’Agenda 2030 dans les ­politiques extérieures et internes de la Suisse et assurera un suivi critique de cette mise en œuvre par la Suisse. Sara Frey, 30 ans, qui a ­étudié la sociologie à Zurich et à Fri­ bourg a poursuivi sa formation à Genève où elle a obtenu un Master in Development Studies. Après un stage dans la division Analyse et politique à la DDC, elle a collaboré au sein de l’ATE ( ­Section de Saint-Gall ) à la campagne – couronnée de succès – contre l’initiative « vache à lait ».

Exposition et conférence

Les matières premières en images

Dans le sillage de la campagne « Multinationales responsables », Alliance Sud InfoDoc propose

durant l’année 2016 des animations autour du thème « multinationales et développement

­durable ». Une exposition d’affiches dessinées par les jeunes graphistes de l’Ecole canto­

nale d’art du Valais ( ECAV ) démarre le 6 octobre. Les matières premières sont directement liées à nos modes de consommation. Toute la chaîne, de l’extraction à la vente du produit, est entre les mains des multinationales. Elec­ tronique, armement, aéronautique, automobile ou encore panneaux solaires et éoliennes, notre vie quotidienne est inondée d’objets qui nous relient aux mineurs des pays du Sud et aux cycles de fabrication. Or, dans les pays détenteurs de matières premières s’observent un accroissement de la pauvreté, le non-respect des droits humains et la destruction de l’environnement. Dans le cadre de son mandat de sensibilisation et d’information du grand public sur les grands enjeux mondiaux, Alliance Sud InfoDoc a organisé un concours d’affiches sur ce thème. Des élèves de l’ECAV ont traduit cette problématique en images. L’exposition « Ta main dans la mine » se tiendra dans les locaux du centre de documentation, à Lausanne, du 6 octobre au 2 décembre 2016. Elle est encadrée de panneaux d’information et d’une sélection d’articles de presse que chaque visiteur peut emporter avec soi. Vernissage-Conférence 6 octobre à 18 h 30 L’or, une route de l’enfer au paradis ? avec Chantal Peyer, Pain pour le Prochain et Adrian Höninger, Max Havelaar. L’affiche du haut ( 2ème prix ) a été réalisée par Thibaud Bourqui ; celle du bas ( 3ème prix ) par Sirena Chong. Le gagnant est Louis Roh, dont l’image figure en dernière page de ce magazine et constitue l’affiche de l’expo­sition « Ta main dans la mine ».

Plus d’informations sur l’exposition, le vernissage et la thématique : www.alliancesud.ch/fr/infodoc

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« Ta main dans la mine » Exposition

6.10. – 2.12.2016  lu– ve 8 h 30 – 17 h 30 Alliance Sud InfoDoc, Av. de Cour 1, Lausanne

Faits et chiffres Concernant les multinationales suisses Source : SwissHoldings, UNCTAD

10 000

1138

1,460

multinationales basées en Suisse.

milliards d’USD d’investissements à l’étranger par des ­entreprises suisses en 2015.

millions de personnes ­travaillent à l’étranger pour des entreprises suisses.

GLOBAL +   Avenue de Cour 1  |   1007 Lausanne  |   Téléphone + 41 21 612 00 95 E-Mail : globalplus@alliancesud.ch  |   www.facebook.com/alliancesud

www.alliancesud.ch


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