GLOBAL+ No. 49 | Automne 2013

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NUMERO 49 | AUTOMNE 2013

Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch

L’impératif de justice sous toutes les coutures OMC : fin du multilatéralisme ?

Climat : qui paie et combien ?

Commerce équitable : crédit à risque du Seco


News Birmanie : droits humains et libre marché Comment garantir que les investissements suisses au Myanmar respectent les droits humains et l’environnement ? Comment éviter que des entreprises helvétiques ne risquent de nuire à la réputation de notre pays, à l’instar de la société d’ingénierie AF Consult impliquée dans la construction d’un barrage qui a déjà provoqué le déplacement forcé de plus de 8000 personnes, sans véritable compensation ? A ces questions de parlementaires (Seydoux, Fiala, Sommaruga) lors de la session d’automne, le ministre de l’économie Schneider-Ammann a répondu par une apologie de la responsabilité sociale volontaire des entreprises et du libre marché : « Il n’y aura ni pilotage ni prise d’influence de l’Etat. » Concernant la présentation par les firmes de rapports sur les mécanismes de diligence en matière de droits humains et d’environnement – à l’exemple des obligations de transparence introduites par les Etats-Unis sur les investissements américains au Myanmar – le Conseil fédéral renvoie à l’étude de droit comparé en cours, exigée par le Conseil national en réponse à la pétition « Droit sans frontières ». me

Inquiétudes sur l’Afrique du Sud En septembre, le conseiller fédéral Schneider-Amman a visité l’Afrique du Sud

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Impressum GLOBAL+ paraît quatre fois par an. Editeur: Alliance Sud Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper Monbijoustr. 31, Postfach 6735, 3001 Berne, Tel. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31 E-Mail: globalplus@alliancesud.ch Internet: www.alliancesud.ch Rédaction: Michel Egger (me), Isolda Agazzi (ia), Tel. 021 612 00 95 Concept graphique: Clerici Partner AG Mise en page: Frédéric Russbach Impression: s+z: gutzumdruck, Brig. Tirage: 1500 Prix au numéro: Fr. 7.50 Abonnement annuel: Fr. 30.– Abonnement de soutien: min. Fr. 50.– Prix publicité / encartage: sur demande Photos: couverture: Joerg Boethling ; dernière page : Thomas Kern Prochain numéro: décembre 2013.

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avec un groupe d’entreprises. La délégation a critiqué, entre autres, la décision de Pretoria de faire reposer à l’avenir la protection des investissements sur ses propres lois plutôt que sur des accords bilatéraux. Selon Economiesuisse, « si les interlocuteurs sud-africains ont affirmé comprendre » la critique, « ils n’ont, malheureusement, pas levé les incertitudes » sur le futur. A l’instar d’un nombre croissant de pays, l’Afrique du Sud entend ne plus conclure de traités de protection des investissements, qui accordent aux investisseurs un droit de plainte contre l’Etat d’accueil. Pour Economiesuisse, « des défis sont aussi à relever dans le domaine de la protection des brevets, considérablement affaiblie » selon un projet de consultation récent. Les deux cas expriment la volonté saine de pays en développement de se libérer des règles qui privilégient unilatéralement les nations économiques les plus fortes. Ecopop : patate chaude Les initiatives populaires ne sont valables que si l’unité de la matière est respectée. Bien que l’initiative Ecopop demande de limiter l’immigration via une affectation de l’aide au développement, le Conseil fédéral a accepté de la traiter. Son message est attendu pour le 2 novembre. Etant donné le grand écart thématique, on ne sait pas endh

core quelle commission parlementaire va s’en saisir. L’initiative sera débattue d’abord au Conseil national, vraisemblablement au printemps. Les débats parlementaires devront être terminés jusqu’au 2 mai 2015. La votation aura lieu au maximum 10 mois plus tard. Les élections fédérales se dérouleront en automne 2015. Ecopop est donc une patate chaude. Caritas a publié un argumentaire contre l’initiative : Fausse route pour la politique démographique. Communes zurichoises altruistes Il ne faut pas cracher dans la soupe. Les communes zurichoises, qui bénéficient de la péréquation financière cantonale, veulent verser à des ONG une partie de la manne inattendue reçue après l’entrée en bourse de Glencore. Le 22 septembre, 52,8 pour cent des citoyens d’Hedigen ont dit oui à l’initiative « Millions des matières premières – Hedigen agit solidairement ». 110’000 francs – environ 10 pour cent des rentrées fiscales obtenues de Glencore – financeront des projets de l’EPER, du Groupe de travail SuisseColombie et d’Helvetas au Congo, en Colombie et en Bolivie. Des propositions analogues seront traitées les prochaines semaines par plusieurs autres assemblées communales. Glencore mène une offensive de relations publiques dans la région. dh

Alliance Sud en un clin d’œil Président Hugo Fasel, directeur de Caritas. Direction Peter Niggli (directeur), Kathrin Spichiger, Rosa Amelia Fierro, case postale 6735, 3001 Berne, Tél. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31, E-mail: mail@alliancesud.ch www.facebook.com/alliancesud https://twitter.com/AllianceSud Politique de développement

– Relations publiques Daniel Hitzig, Tél. 031 390 93 34, daniel.hitzig@alliancesud.ch – Développement durable / Climat Nicole Werner, Tél. 031 390 93 32, nicole.werner@alliancesud.ch Documentation Berne Jris Bertschi/Emanuela Tognola/ Renate Zimmermann, Tél. 031 390 93 37, dokumentation@alliancesud.ch

– Coopération au développement Nina Schneider, Tél. 031 390 93 40, nina.schneider@alliancesud.ch

Bureau de Lausanne Michel Egger/ Isolda Agazzi/Frédéric Russbach, Tél. 021 612 00 95/ Fax 021 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch

– Commerce / OMC Michel Egger/Isolda Agazzi, Tél. 021 612 00 95, lausanne@alliancesud.ch

Documentation Lausanne Pierre Flatt / Amélie Vallotton Preisig / Nicolas Bugnon, Tél. 021 612 00 86, doc@alliancesud.ch

– Finance internationale /Fiscalité Mark Herkenrath, Tél. 031 390 93 35, mark.herkenrath@alliancesud.ch

Bureau de Lugano Silvia Carton / Lavinia Sommaruga Tél. 091 967 33 66/Fax 091 966 02 46, lugano@alliancesud.ch


Daniel Rihs

Points forts

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Protection du climat Le défi des indicateurs de justice

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Conférence de l’OMC à Bali L’enjeu de la sécurité alimentaire

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Commerce équitable Engagement risqué du Seco

Qui surveillera l’accord avec la Chine ? Les accords bilatéraux de libre-échange prévoient un comité mixte des Etats parties pour veiller à leur respect et traiter des plaintes éventuelles. C’est également le cas dans le traité entre la Suisse et la Chine. Lorsqu’un litige ne peut être résolu d’un commun accord, il peut être soumis à un tribunal arbitral. Si celui-ci devait statuer en faveur de la Suisse et la Chine refuser de prendre les mesures correctives nécessaires, la Suisse aurait le droit de retirer à la Chine des avantages commerciaux équivalents. Toutefois, seules les dispositions commerciales de l’accord sont soumises à la procédure d’arbitrage. Celles sur l’environnement et la durabilité en sont exclues. L’accord parallèle sur les droits du travail ne prévoit qu’un processus de consultation dialogique. Autrement dit, le traité avec la Chine inclut du hard law pour le commerce et du soft law pour l’environnement, les normes de travail et les droits humains. La Suisse n’a pas le pouvoir de dicter des dispositions contraignantes à la Chine. La question se pose néanmoins de savoir à quoi peut servir le droit mou dans l’accord. S’agit-il d’adoucir l’opposition ou le Conseil fédéral veut-il encourager des améliorations en Chine ? Pour promouvoir les droits humains, la coopération au développement recourt souvent à une combinaison de « dialogue politique », de renforcement des mouvements de base et de sensibilisation de l’opinion publique. Le principe de réalité sous-jacent est que le respect des droits humains n’interviendra au mieux qu’au terme d’un long processus de confrontations. Le Conseil fédéral entend-il démarrer un tel processus ? En mai 2011, la ministre des affaires étrangères de l’époque Micheline Calmy-Rey affirmait devant la Commission des affaires extérieures du Conseil national que les dialogues sur les droits humains – dont celui avec la Chine – n’avaient que peu ou rien apporté. Il convenait à l’avenir de thématiser cette question à tous les niveaux et, si possible, dans tous les contacts bilatéraux. Le dernier dialogue insatisfaisant sur les droits humains avec la Chine a eu lieu en mars 2011. Il doit être réanimé cet automne à cause de l’accord avec la Chine. On ne sait pas comment le Conseil fédéral entend éviter cette fois-ci que le dialogue se résume à une causerie polie. Il serait mieux que la Suisse promeuve activement les droits humains et du travail dans les organes du traité de libre-échange. Pour cela, la Suisse devrait pouvoir surveiller l’application du traité. Pour la partie commerciale, c’est facile : les entreprises des deux bords peuvent prendre connaissance de violations et saisir les organes d’arbitrage. J’ai demandé à notre sous-négociateur en chef comment le Conseil fédéral envisageait de contrôler le respect des dispositions sur l’environnement, les droits humains et du travail. Sa première réponse : d’aucune manière, car la Confédération n’a pas les ressources. Sa seconde : c’est aux ONG de s’en occuper. Cela ne va pas ! Si le Parlement ne veut pas se contenter d’un tigre de papier, la question du contrôle de l’accord doit être réglée. Les organes de l’Etat ne doivent pas se contenter du laisser-faire et les ONG et syndicats doivent être associés d’une manière appropriée. Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud

Argent des potentats 10 A qui restituer les fonds volés ?

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Principes directeurs de l’OCDE pour les multinationales

Plus qu’un exercice-alibi ? Le Beirat chargé d’accompagner le Point de contact national dans la mise en œuvre en Suisse des Principes directeurs de l’OCDE pour les multinationales, a commencé à siéger en août. ONG et syndicats ont conditionné leur participation à une amélioration effective du système. Premiers enjeux : la transparence et le traitement des plaintes.

Les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) sont des recommandations volontaires de responsabilité sociale et environnementale pour les entreprises. 43 Etats les ont adoptés. Chacun les met en œuvre à travers un Point de contact national (PCN) qu’il organise à sa guise et auprès duquel des plaintes peuvent être déposées en cas de non-respect des Principes par des entreprises. En Suisse, le PCN est ancré au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Depuis des années, ONG, syndicats et parlementaires ont critiqué cette proximité du PCN avec l’économie, qui pose un problème de conflit d’intérêts et ne répond pas complètement au critère d’impartialité inscrit dans les Principes. Longtemps sans succès, ainsi qu’en témoigne cette réponse de 2010 à un postulat (10.3458) du conseiller national Carlo Sommaruga : « Le Conseil fédéral ne voit aucun besoin de réorganiser le PCN suisse. » Parmi les motifs invoqués figure le « petit nombre de cas à traiter ». Or ce facteur exprime moins le soi-disant comportement irréprochable des entreprises suisses que le découragement croissant des ONG face aux faibles performances du PCN. Compétences réduites Les choses ont cependant fini par bouger un peu avec la mise en œuvre de la révision des Principes (2011). Le Conseil fédéral a décidé de flanquer le PCN d’une commission multi-parties (Beirat) de quatorze membres issus des associations économiques, des syndicats (Travail suisse, IndustriALL), des ONG (Alliance Sud, Groupe de travail Suisse-Colombie), des milieux scientifiques et de l’administration. L’objectif du Seco est que « les activités du PCN soient davantage soutenues par les groupes d’intérêts ». Cet organe consultatif aux compétences limitées ne répond cependant pas aux attentes des ONG et syndicats. Ceux-ci souhaitaient un PCN vraiment indépendant – à l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas, en Norvège et au Danemark – ou du moins doté d’un pouvoir de supervision et de recours comme le comité de pilotage multi-parties créé par la Grande-Bretagne. Le Beirat sera-t-il plus qu’un « exercice-alibi » ? Il est trop tôt pour le dire. Le Seco promet qu’il s’engagera pour en faire un instrument probant. D’où la co-présidence de sa cheffe, Marie-Gabrielle Ineichen. D’où également l’intégration – réclamée par

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les ONG, mais dans un premier temps refusée par le Seco – d’expert-e-s du monde académique, susceptibles d’aider à sortir des éventuelles guerres de tranchées entre la société civile et l’économie. Le Beirat sera en ce sens également co-présidé par Christine Kaufmann, professeur de droit à l’Université de Zurich et responsable du domaine thématique « Droits humains et économie » au Centre suisse de compétence pour les droits humains.

« Cet organe consultatif aux compétences limitées ne répond pas aux attentes des ONG et syndicats. » Beaucoup, de facto, dépendra de l’attitude des représentants de l’économie. A l’inverse des ONG et des syndicats, ils s’accommodent bien de la « passivité » du PCN, louée au Parlement par le conseiller fédéral Schneider-Ammann (question 11.5095). Ils étaient davantage pour une mise à jour légère des Principes directeurs que pour une vraie révision et ils se seraient volontiers passés d’un Beirat. Revoir le guide de procédures Une question importante pour les ONG et syndicats est la transparence. Les délibérations du Beirat ne sont pas publiques, mais un compte-rendu – en principe « substantiel » – sera mis sur le site web du PCN après chaque séance. Les plaintes en cours n’étant pas de sa compétence, le Beirat travaillera sur le fonctionnement du PCN. Un point essentiel est la révision de son Guide de procédures. Il a été publié en automne 2011, sans consultation préalable de la société civile. S’il contient certaines améliorations (le recours à des médiateurs externes), il pose de nombreux problèmes en termes de neutralité, transparence, participation des victimes du Sud et rôle du PCN en cas d’échec de la médiation. Des faiblesses qui contredisent en partie l’exigence des nouveaux Principes enjoignant les PCN à « susciter la confiance des partenaires sociaux et des autres parties prenantes ». Michel Egger


Conférence de l’ONU sur le climat à Varsovie

La justice climatique, un impératif Du 11 au 22 novembre se tiendra à Varsovie la 19e conférence annuelle de l’ONU sur le climat. La question déterminante – toujours sans réponse – est la répartition équitable des charges entre les pays. A cette fin, le réseau international d’ONG Climate Action Network a élaboré un « cadre de référence pour la justice climatique ». Une contribution essentielle pour le nouveau

Des milliers de délégués du monde entier vont voler en novembre vers Varsovie. Ils partent tous du principe que leur avion ne va pas s’écraser en route. Personne en effet ne monterait dans un engin avec une probabilité de chute de 50 pour cent. C’est pourtant ce qui se passe dans la politique internationale du climat. Si rien ne change, il y plus de 50 pour cent de chance que l’objectif initial de la convention sur le climat ne sera pas atteint : avoir réduit les émissions globales de CO2 de 50 pour cent en 2050 par rapport à 1990, pour maintenir le réchauffement terrestre en dessous de 2°C et donc prévenir un crash climatique. Les Etats de l’ONU ont décidé il y a deux ans à Durban de négocier jusqu’en 2015 un nouveau régime climatique qui fixera des objectifs contraignants pour tous les pays. Cet accord devrait entrer en vigueur en 2020. L’une des conditions pour qu’il aboutisse est que tous les pays soient disposés à assumer une part équitable dans la lutte contre les changements climatiques. On en est malheureusement encore loin. Indicateurs de justice mesurables C’est pourquoi le Climate Action Network (CAN), un réseau international d’ONG dont fait partie Alliance Sud, demande un « cadre de référence pour la justice climatique ». Il reposerait sur trois piliers : 1. Le principe de précaution et d’action appropriée : tous les Etats ont le devoir commun de prendre des dispositions appropriées pour prévenir des changements climatiques dangereux et mettre en œuvre des mesures rendant possible une adaptation aux conséquences incontournables du réchauffement global. 2. La responsabilité commune, mais différenciée. Le degré d’obligation d’un Etat d’agir, son devoir d’apporter un soutien financier mais aussi son droit de recevoir un appui, dépendent de ses émissions passées et présentes. 3. Le droit à un développement durable. Il englobe le droit de tous les pays non seulement de libérer leurs habitants de la pauvreté, mais aussi de leur offrir un style de vie durable et universel. Durable signifie que les générations futures pourront également en profiter, universel que tous les êtres de la terre y ont accès. CAN exige l’introduction d’indicateurs de justice mesurables, qui reflètent ces principes et

Photo: Keystone/AP/Felipe Dana

régime du climat à négocier par les Etats jusqu’en 2015.

rendent comparables les efforts et les besoins de tous les pays. Il conviendrait donc de prendre en compte le chiffre de population, le produit intérieur brut et les quantités d’émissions – y compris par habitant pour ces deux dernières valeurs – dans la détermination des ambitions en matière de climat. La répartition du revenu et des émissions au sein des Etats devrait également être considérée dans l’évaluation des besoins de développement.

Au Sommet de Rio+20, un monument fait de bouteilles de plastique a rappelé l’urgent besoin de protéger l’environnement et le climat.

Contrôle de sécurité Au moyen d’une série d’indicateurs de justice parlants, tous les Etats devraient présenter de manière transparente les objectifs qu’ils entendent poursuivre dans un nouveau régime climatique. En effet, on ne parviendra à réduire de 50 pour cent les émissions de CO2 jusqu’en 2050 que si les objectifs de tous les pays sont suffisamment ambitieux. Et la chance que tous les Etats adhèrent au nouveau traité sur le climat ne pourra se concrétiser que si les efforts sont répartis de manière équitable. La Suisse devrait donc soutenir l’adoption de tels indicateurs. Si elle entend contribuer à réduire le risque d’un crash climatique mondial, elle doit par ailleurs procéder encore avant 2015 à un « contrôle de sécurité ». Elle constatera alors qu’elle doit accroître son objectif de réduction des émissions de 20 à 40 pour cent et injecter davantage de ressources financières dans le Fonds vert international pour le climat. C’est seulement ainsi qu’elle parviendra à garantir une descente contrôlée pour un atterrissage sûr sous la barre des deux degrés. Nicole Werner

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Conférence ministérielle de l’OMC à Bali

Sécurité alimentaire contre facilitation des échanges Isolda Agazzi

La 9e conférence ministérielle de l’OMC aura lieu du 3 au 6 décembre à Bali. Pour ten-

ter de sauver le multilatéralisme – et ce qui peut encore l’être du cycle de Doha –, les membres négocient un « paquet » sur lequel il reste encore beaucoup de divergences.

C’est avec force détermination, mais sans trop d’illusions, que les 159 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’envoleront pour Bali. En effet, les chances de succès de la 9e conférence ministérielle et surtout de l’aboutissement d’au moins une partie du cycle de Doha, sont minces. Les pays en développement poussent pour des avancées dans l’agriculture et la situation des pays les moins avancés (PMA). Les pays industrialisés veulent avant tout conclure un accord sur la facilitation des échanges. Concilier des intérêts si divergents va constituer un exercice d’équilibrisme. Offensive agricole des pays du Sud Un premier paquet concerne l’agriculture. Il prévoit d’abord une proposition sur la sécurité alimentaire qui émane du G33, un groupe de 46 pays en développement emmenés par l’Inde. Il s’agirait de revoir certaines règles sur les subventions pour permettre aux pays en développement de constituer des réserves alimentaires en achetant des produits agricoles à leurs

Paquet menacé pour les plus pauvres ia Les pays les moins avancés (PMA) ont proposé un ensemble de mesures. Il comprend l’accès hors contingent et sans droits de douane pour 97% de leurs produits, une simplification des règles d’origine, une solution au problème du coton (élimination des subventions à l’exportation et accès au marché libéralisé à 100%) ainsi que la mise en œuvre de l’exception sur les services adoptée à la ministérielle de 2011. Ces propositions ne posent pas de problème à la Suisse, déclare-ton à Berne. La Suisse accorde en effet déjà un accès hors contingent et sans droits de douane à 100% des produits des PMA et applique des règles d’origine très proches de celles visées par la proposition. Bien qu’il soit soutenu par les ONG et les pays en développement, le paquet n’aurait « presque aucune chance de succès », selon un diplomate des PMA. Motifs : l’opposition des Etats-Unis et des divisions internes au groupe des PMA. Certains pays – notamment le Lesotho et Haïti – craignent la concurrence des textiles du Bangladesh et du Cambodge.

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paysans, pour les revendre ensuite à des prix subventionnés. Une question cruciale pour l’Inde, qui va adopter une loi prévoyant la distribution de 5 kg de céréales par mois à toute personne nécessiteuse – deux tiers de la population ! Un tel programme violerait probablement les règles actuelles de l’OMC, exposant Delhi à des sanctions commerciales. La proposition est soutenue par Alliance Sud, Our World is Not for Sale (OWINFS) – un réseau international d’ONG dont nous sommes membres – et les pays du Sud, même si certains objectent que seuls les grands pays émergents pourraient se permettre de financer de tels stocks. Les Etats-Unis, en revanche, s’y opposent, car ils craignent que ces stocks ne soient bradés sur les marchés internationaux, provoquant une grave distorsion des prix. L’Union européenne et la Suisse se montrent sceptiques, mais prêts à discuter. « Nous n’avons pas d’intérêt direct dans cette affaire, déclare Didier Chambovey, chef du commerce mondial auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Il y a effectivement un problème de sécurité alimentaire, mais il faut trouver une formule qui permette de le résoudre sans porter atteinte aux règles sur le soutien agricole interne. » Une autre proposition émane du Brésil, au nom du G20, le groupe des agro-exportateurs de l’OMC. Elle demande que les pays industrialisés diminuent de moitié les subventions et les crédits aux exportations agricoles d’ici la fin de 2013. Une manière d’accomplir un pas vers leur suppression totale, décidée à Hong Kong en 2005. Celle-ci est loin d’être réalisée : dans sa Politique agricole commune 2014-2020, l’Union Européenne prévoit encore et toujours 20 milliards d’euros de subventions aux exportations. Didier Chambovey affirme que la Suisse ne subventionne plus les produits agricoles de base, mais qu’elle est directement concernée par cette proposition à cause de la « loi chocolatière », qui sert à subventionner l’exportation de produits agricoles transformés (chocolat, produits de confiserie). Les « surcoûts » qui découlent de l’usage de lait et de céréales d’origine indigène – dont les prix sont plus élevés que ceux du marché mondial – sont compensés par des subventions à l’exportation. 115 millions de francs sont budgétés par an, même si un tel montant n’a jamais été entièrement dépensé. « La proposition brésilienne est à l’étude, mais elle est boiteuse, car elle ne couvre pas les deux autres piliers du soutien aux exportations que sont l’aide aux entreprises d’Etat et l’aide alimen-


Photo: Keystone/DPA/Roberto Pera

Les moissonneuses du Mato Grosso, qui évoquent l’agro-industrie des vastes plaines américaines, symbolisent la puissance du Brésil comme leader du groupe des agro-exportateurs à l’OMC.

taire. Nous sommes très sceptiques, tout comme les Etats-Unis et l’Union Européenne. » Pour Alliance Sud, il convient d’accepter cette proposition du Brésil. Les subventions aux exportations sont en effet l’instrument commercial le plus néfaste pour les pays du Sud, car elles créent un effet de dumping qui nuit sévèrement à leur agriculture. Pays industrialisés favorables à la facilitation des échanges Les pays du Nord veulent conclure un accord sur la facilitation des échanges, qui vise à simplifier et accélérer les procédures douanières. Les pays en développement rechignent, car ils considèrent qu’un tel accord bénéficierait surtout aux exportations des pays du Nord. Il les obligerait à adopter des mesures compliquées et onéreuses, pour lesquelles l’aide technique et financière n’est pas garantie. De plus, il leur ferait perdre d’importantes recettes. Alioune Nang, d’Enda Tiers-Monde (Dakar), relève que l’accord contraint les membres à adopter des procédures bien avant l’arrivée de la marchandise aux douanes : « Il sera fortement déséquilibré, car il offrira la possibilité aux entreprises et aux exportateurs d’attaquer les décisions, les mesures ou les lois nationales qui violeraient ledit accord1. » La réciproque n’est pas assurée, car on voit mal comment une entreprise d’un pays en développement aurait les capacités de demander à la Cour européenne de justice de contrôler la conformité d’un règlement de l’Union européenne avec le traité de l’OMC. L’accord prévoit également l’obligation pour les Etats membres d’informer en permanence les négociants qui désirent connaître à l’avance les procédures, où qu’ils se trouvent dans le monde. Là aussi, les pays qui ne le feraient pas risqueraient des sanctions. En revanche, les obstacles rencontrés par les pays en développement dans les pays du Nord subsisteront : règles d’origine compliquées, normes sanitaires et phytosanitaires excessives... Cela dit, la résistance des pays en développement pourrait fléchir suite aux dernières propositions prévoyant un traitement spécial et différencié pour tous les pays en développement ainsi qu’un renforcement des mesures d’aide. Ils semblent prêts à un effort si les pays développés acceptent la

proposition sur la sécurité alimentaire. Didier Chambovey affirme que la facilitation des échanges est pour la Suisse « le principal dossier de Bali. Il est difficile, même si une assistance technique très importante a déjà été fournie aux pays en développement et si l’accord accepte le principe que le pays qui n’a pas la capacité de le mettre en œuvre ne sera pas obligé de le faire s’il n’obtient pas l’aide nécessaire ». Alliance Sud et OWINFS estiment qu’il faut stopper les négociations sur cet accord ou, tout au plus, le rendre volontaire pour les pays en développement.

1. Alioune Niang, « L’accord sur la facilitation des échanges : A qui bénéficierait-il ? », http://ictsd.org/i/news/passerelles/173061/

pour en savoir plus... « Le point sur les PMA à l’horizon de Bali », Passerelles, vol. 14, no3, août 2013 - http://goo.gl/NDzxUD « A l’OMC, sous l’orage, nous étions meilleurs en défense qu’en attaque », interview de Pascal Lamy, Le Temps, 13 avril 2013 - http://goo.gl/PPLzIE « L’Accord sur l’agriculture de l’OMC invalide les programmes de sécurité alimentaire », Collectif Stratégies alimentaires (Bruxelles), juin 2013 - http://goo.gl/LURyDk Afrique, la filière coton à nouveau menacée, Agence belge de développement, 2013 - http://goo.gl/pZySgz Dossier Faim : http://alliancesud.ch/fr/documentation/ dossiers/faim A l’avenue de Cour 1, vous trouverez dix ans d’archives de presse librement consultables : OMC, Suisse-OMC, OMC agriculture, OMC-Pays du Sud et bien d’autres sujets.

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Partenariat public-privé du Seco avec une fondation hollandaise

Durabilité pour les marchés de masse Le 1er mai 2013, le Conseil fédéral a avalisé un crédit de 30 millions de francs sur quatre ans pour un partenariat stratégique entre le Seco et une fondation hollandaise pour le commerce durable (IDH). Le but est d’inciter des multinationales comme Nestlé, Adidas, Ikea, Cargill ou Unilever à recourir davantage à des matières premières produites de manière écologique et sociale. Une initiative non sans risques.

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) soutient depuis longtemps la mise sur pied de filières commerciales de coton, café, cacao, bois ou soja produits de manière équitable et biologique. Il s’engage aussi dans le développement de normes de certification. Il n’a cependant jamais mis autant la main à la poche dans la collaboration avec des organisations non gouvernementales (ONG) suisses et le commerce de détail. IDH1 encourage au plan mondial des multinationales à se fixer de manière volontaire des objectifs de développement durable, comme la réduction de l’usage de pesticides et d’engrais ou la protection des nappes phréatiques par des méthodes d’irrigation douces. De tels programmes vont être financés jusqu’à 50 pour cent par des fonds d’aide au développement. Le but est de conquérir les marchés de masse avec des produits « durables », de promouvoir à grande échelle dans les pays en développement des méthodes de production qui ménagent les ressources, contribuant ainsi à lutter contre l’extrême pauvreté des petits paysans.

Renforcement de la surveillance Alliance Sud salue la volonté du Seco de déléguer une représentation d’ONG suisses dans l’Impact Committee d’IDH, une forme de comité de contrôle de qualité. Cela devrait permettre d’injecter dans le partenariat avec IDH l’expérience acquise avec des labels de haute qualité. Une manière également d’éviter le greenwashing et l’arrivée sur le marché suisse de produits estampillés avec des labels au rabais et pseudo-durables. L’enjeu est de garantir que ce partenariat ne mettra pas en question le savoir-faire développé au Sud avec des communautés de production ni la sensibilisation des consommateurs pour des relations commerciales équitables. De plus, en collaboration étroite avec l’opinion publique critique en Europe et les groupes directement concernés dans les pays fournisseurs de matières premières, les ONG entendent surveiller les programmes d’IDH et contribuer à acquérir de nouvelles connaissances pour le renforcement et la diffusion de relations commerciales solidaires et équitables.

Photo: Keystone/MAXPPP/ChinaPhotoPress/Wang Yishu

Chaîne de production dans une succursale de Foxconn à Shenzen (Chine). Réputée pour ses conditions de travail inhumaines, la société taïwanaise a été accueillie par la fondation hollandaise pour le commerce durable IDH, cofinancée par le Seco.

biens produits de manière équitable et respectueuse de l’environnement. C’est à elles de décider des standards auxquels elles entendent obéir ensemble. Il n’y a pas de critères minimaux pour participer à l’initiative. Selon IDH, plutôt que de placer la barre trop haut, il importe aujourd’hui d’offrir l’accès à des vertes prairies aussi aux moutons noirs. A cause de cela, IDH a eu une mauvaise presse à plusieurs reprises déjà. En 2012, des ONG hollandaises ont dénoncé les activités d’entreprises au Congo qui, malgré la participation au programme d’IDH, étaient impliquées dans l’exploitation illégale de bois. Cette année, l’indignation est montée d’un cran lorsque le groupe électronique d’IDH a annoncé qu’il accueillait Foxconn. En tant que fournisseur d’Apple, Dell et HP, la société taïwanaise a fait les gros titres par des conditions de travail inhumaines en Chine, des salaires bas et des suicides dans ses fabriques. IDH prend donc de gros risques avec le choix de ses partenaires. Des risques qui peuvent éclabousser l’image des Etats bailleurs de fonds et des ONG impliquées, quand des dérapages sont découverts trop tard ou quand ils ne sont pas corrigés assez tôt.

Risques de dérapage Selon Joost Oorthuizen, directeur d’IDH, le concept de « durabilité » n’a à dessein pas été défini de manière précise. IDH se contente d’offrir une plateforme aux entreprises qui désirent répondre à la demande croissante de

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Nina Schneider

1. IDH est le sigle de l’Initiatef Duurzame Handel, www.idhsustainabletrade.com.


Evasion fiscale en provenance du Sud

Oui à l’échange automatique d’informations, non à la réciprocité L’échange automatique d’informations fiscales va devenir bientôt un standard international. La Suisse cependant exige des conditions très restrictives dans la mise en œuvre. Au détriment des pays en développement.

Risque d’exclusion Si la Suisse devait faire passer cette revendication d’une réciprocité stricte, cela reviendrait de facto à exclure les pays en développement de l’échange automatique d’informations. Pour avoir accès à des données bancaires venant de l’étranger, ils devraient en effet être en mesure de fournir également eux-mêmes des données de cette nature. Le coûteux appareil administratif dont ils devraient se doter pour cela, serait dans de nombreux cas simplement trop onéreux. Les coûts pourraient rapidement excéder l’utilité de l’échange automatique d’informations. On peut donc se demander si le principe de la réciprocité fait vraiment sens dans les relations avec les pays en développement. A l’inverse de la

Suisse, la plupart de ces pays n’abritent quasiment pas de comptes étrangers non déclarés. Pourquoi dès lors devraient-ils être obligés de transmettre leurs données bancaires à l’étranger ? Il serait plus judicieux que les paradis fiscaux véritables offrent un transfert unilatéral d’informations aux pays en développement. Protection des données Concernant l’exigence d’une protection des données rigoureuse, il existe dans la plupart des pays un secret fiscal. Il n’y a donc pas de raison de partir du principe que des données bancaires étrangères ne seraient pas traitées de manière confidentielle. De plus, l’OCDE a, l’année dernière déjà, publié un rapport sur les principales mesures de protection. Elle est en train d’appuyer les pays en développement qui ont besoin d’un soutien pour introduire de telles dispositions. La Suisse devrait s’associer d’urgence à ces efforts. Mark Herkenrath Photo: Keystone/Gaetan Bally

Au Sommet du G20 qui s’est tenu début septembre à Saint-Pétersbourg, les pays industrialisés et émergents de premier plan se sont une fois de plus prononcés clairement pour l’échange automatique d’informations. Ils entendent l’avoir mis en pratique au plus tard à fin 2015. A cette fin, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a reçu le mandat d’élaborer un accord-cadre jusqu’en février 2014 et de terminer rapidement les travaux sur l’infrastructure technique requise. En outre, les chefs d’Etat du G20 ont promis dans leur déclaration finale d’accorder l’accès à l’échange automatique d’informations aussi aux pays en développement. Ils se sont engagés d’appuyer au besoin les pays à faible revenu dans le développement des capacités nécessaires. L’argument selon lequel les pays pauvres n’auraient pas les ressources techniques et en personnel pour traiter les données bancaires venant de l’étranger, devrait donc être bientôt invalidé. Une série de questions de principe doivent toutefois encore être clarifiées jusqu’à ce que l’échange automatique d’informations devienne réalité. La Suisse, qui participe déjà activement aux négociations en cours à l’OCDE, freine des quatre fers et, une fois de plus, défend les intérêts de sa place financière avec une position extrêmement conservatrice. Concernant l’introduction de l’échange automatique d’informations, elle s’accroche non seulement à des conditions très restrictives en matière de protection des données, mais aussi au principe de la réciprocité.

Il serait temps que les paradis fiscaux comme la Suisse offrent un transfert unilatéral d’informations aux pays en développement.

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Argent sale des potentats sur des comptes en Suisse

A qui restituer les fonds volés ? La Suisse veut que la restitution des avoirs volés soutienne des projets utiles de développement plutôt qu’ils ne finissent dans les budgets généraux de l’Etat. Elle se rend ainsi impopulaire auprès des gouvernements des pays bénéficiaires. Les organisations de la société civile, en revanche, soutiennent son approche.

conduire à la confiscation et à la restitution des avoirs dérobés. Il manque cependant une base juridique claire pour une telle pratique progressiste. Pour le gel préventif des comptes tunisiens et égyptiens, le Conseil fédéral a dû faire appel à une disposition de crise de la Constitution fédérale. Et il n’existe pas de mandat légal explicite pour les mesures de soutien en cours visant une accélération de la procédure d’entraide judiciaire. Une nouvelle loi fédérale est donc nécessaire pour combler enfin ces lacunes. A cet égard, le Département fédéral des affaires étrangères a présenté en mai un projet qui ne fixe pas seulement la pratique actuelle, mais propose également des avancées supplémentaires. La procédure de consultation sur ce projet de loi s’est achevée mi-septembre. Photo: Keystone/AP/Manish Swarup

La Suisse garde la réputation, dans le reste du monde, d’être un havre sûr pour les fortunes volées des kleptocrates étrangers et de leurs clans. La pression internationale croissante sur la place financière helvétique et la critique persistante des organisations non gouvernementales (ONG) suisses et étrangères portent cependant peu à peu leurs fruits. De fait, le Conseil fédéral suit depuis quelques années une politique assez progressiste en matière de gel et de restitution de l’argent des potentats. Lorsque le printemps arabe a, début 2011, déboulonné les présidents Ben Ali et Moubarak en Tunisie et en Egypte, la Suisse a été le premier pays au monde à bloquer à titre préventif les comptes douteux des deux dictateurs et de leurs proches. Depuis lors, elle soutient activement les pays d’origine dans les procédures d’assistance judiciaire compliquées devant

S’ils sont restitués sans la condition qu’ils contribuent à des projets de développement, les 700 millions de dollars du clan de l’ex-dictateur égyptien Hosni Mubarak actuellement gelés sur des comptes suisse, pourraient disparaître sans laisser de trace dans le budget de l’Etat.

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Retentissement international Le projet de loi suisse a suscité un vif intérêt à l’étranger. Il a fait l’objet, entre autres, d’une consultation d’experts de l’ONU à Genève. Il a également occupé les esprits lors d’une conférence internationale à Londres sur le traitement des avoirs volés d’Afrique du Nord, réunissant des représentants des gouvernements et des organisations de la société civile : s’il n’était pas officiellement à l’ordre du jour, il s’est invité comme thème central à toutes les pauses café. Le projet suisse est salué tant par les gouvernements que par les ONG des pays concernés. Ils louent en particulier la volonté du Conseil fédéral de fournir à l’avenir spontanément aux Etats des informations sur les avoirs douteux qui en proviennent. La Suisse leur permettrait ainsi de déposer plus facilement des demandes d’entraide judiciaire complètes et d’avancer dans la poursuite pénale des dictateurs déchus. Les banques suisses et les partis bourgeois alliés ont cependant opposé une résistance véhémente à ce transfert préventif d’informations. On ne sait pas encore si cette innovation importante va survivre jusqu’à la fin à la moulinette parlementaire. Où l’argent doit-il aller ? Dans les pays d’origine des fonds des potentats, une autre question échauffe les esprits : à qui doit profiter la restitution des fortunes en jeu ? La pratique politique actuelle de la Suisse est qu’elle a son mot à dire sur l’utilisation des avoirs restitués. Dans les négociations, elle réclame que l’argent aille dans des projets dotés d’une utilité de développement à long terme pour la population. Cette pratique doit également être coulée dans le marbre de la nouvelle loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite. Les gouvernements des pays d’origine critiquent cependant cette disposition qu’ils considèrent comme une ingérence intolérable dans leurs affaires intérieures. Un


délégué tunisien à l’ONU met le doigt sur le point où le bât blesse : dans la mesure où la Suisse a, des décennies durant, profité de la gestion des avoirs de dictateurs étrangers, elle n’a aucun droit moral à conditionner la restitution de ces fonds. Le mieux serait donc que cet argent aille directement dans le budget des Etats d’origine, servant ainsi à la promotion économique générale et à la réduction de la dette. Vision de la société civile Les organisations de la société civile des pays d’origine défendent une position radicalement opposée. Osama Diab, de l’Egyptian Initiative for Personal Rights au Caire, souligne que les quelque 700 millions de dollars du clan Moubarak actuellement gelés sur des comptes suisses, disparaîtraient sans laisser de trace dans le budget égyptien : « Ils seraient dépensés en quelques semaines ou mois sans que la population en tire une quelconque utilité tangible. Dans le pire des cas, ils pourraient même être investis pour éponger les dettes illégitimes de l’ancien régime. » Selon lui, la Suisse devrait donc tenir dur comme fer à ce que les fonds restitués servent un objectif intéressant en termes de politique de développement. La Suisse aurait à cet égard une responsabilité d’autant plus grande que son droit moral n’est que partiel. Pour Diab, il est important que les avoirs des dictateurs ne finissent pas à nouveau dans le cercle vicieux de la corruption ou dans l’édification de nouvelles structures répressives : « Les

fonds restitués serviront le plus à nos populations si la Suisse s’efforce avec détermination à ce qu’ils alimentent des projets de développement contrôlés de manière indépendante. » Un autre élément central est que les ONG indigènes soient inté-

« La Suisse devrait tenir dur comme fer à ce que les fonds restitués servent un objectif intéressant en termes de politique de développement. » grées dans ces projets dès la phase de planification. C’est seulement ainsi que la restitution des avoirs volés pourra contribuer à la construction d’une société civile forte et indépendante. L’intégration de la société civile locale dans les modalités des processus de restitution ne figure cependant pas encore de manière explicite dans la nouvelle loi suisse sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite. C’est pourquoi Alliance Sud a – dans sa réponse à la procédure de consultation – instamment exigé du Conseil fédéral qu’il procède sur ce point aux améliorations requises. Mark Herkenrath

Les bons tuyaux de la doc Migrations : sortir de la confusion Le 4 septembre dernier, le Conseil fédéral a donné son aval pour la prise en charge d’un contingent de 500 réfugiés en provenance de Syrie, renouant ainsi avec une ancienne pratique humanitaire, abandonnée en 1995. Depuis cette date – à une exception en 2005, pour un groupe de dix personnes en provenance d’Ouzbékistan –, la Suisse n’avait plus accueilli de contingents importants, mais seulement et ponctuellement des petits groupes ou des familles. Dans le même temps, l’Association écologie et population (Ecopop) milite dans la direction opposée. Elle a déposée en novembre 2012 une initiative « Halte à la surpopulation », munie de 120’700 signatures. Elle demande notamment la réduction du nombre d’immigrants en Suisse pour la préservation de l’environnement. De plus, la coopération suisse au développe-

ment devrait affecter 10 pour cent au moins de ses moyens pour encourager la planification familiale volontaire. La mise en relation fréquente de ces deux thèmes d’actualité, en réalité très différents, est caractéristique du débat sur la migration, qui manque souvent de clarté. Les discussions, polarisées et émotionnelles, portent sur des situations aussi diverses que celles des réfugiés, des demandeurs d’asile, des travailleurs-migrants et des migrants économiques, mais sans toujours les différencier. Dans ce contexte où la confusion règne et les arguments pleuvent, un gymnase vaudois a eu le courage de choisir la migration comme thème commun d’études pour le français. Alliance Sud documentation soutient cette démarche. Elle a mis à jour ses ressources disponibles en ligne pour mieux servir les enseignants et les élèves.

Les tuyaux • Les migrations : un thème d’études, Alliance Sud documentation, 5 septembre 2013, http://goo.gl/2C2MMr • « Entre tradition d’accueil et réflexe de rejet » [dossier], Swissinfo, http:// goo.gl/oTkRhh • Valérie de Graffenried, « Le poids des contingents de réfugiés », Le Temps, 6 septembre 2013, http://goo. gl/koVn4u • Ecopop : le retour de Malthus ?, Alliance Sud documentation, 20 novembre 2012, http://goo.gl/5mZH9D • « Glossaire de la migration », Droit international de la Migration, n°9, Organisation internationale pour les migrations, 2007, http://goo.gl/ HtCVP

Pour plus d’informations: Centre de documentation d’Alliance Sud Avenue de Cour 1, 1007 Lausanne, doc@alliancesud.ch ou 021 612 00 86 www.alliancesud.ch/documentation.

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58 pour cent

La protection du climat et l’adaptation aux changements climatiques coûtent annuellement au moins 200 milliards de dollars aux seuls pays en développement.

Au 20e siècle, 58 pour cent des émissions de CO2 provenaient des Etats-Unis et d’Europe.

2020

200 milliards

Faits et chiffres Réchauffement climatique

Il faut que les émissions de CO2 se mettent à baisser pour la première fois avant 2020, si l’on veut éviter une augmentation des températures de plus de 2 degrés.

Soirée « Reconstruction d’Haïti et aide internationale »

Haïti : où est passé l’argent ? Jeudi 31 octobre 2013, dès 18h00, Centre de documentation d’Alliance Sud, Lausanne Raoul Peck, cinéaste et ancien ministre de la culture en Haïti, a réalisé le film Assistance mortelle. Il y dénonce la faillite de l’aide d’urgence, suite au séisme qui a laissé 1,5 million de sans-abri en janvier 2010. La situation n’aurait fait qu’empirer en trois ans. Le cinéaste accuse les ONG et les gouvernements étrangers d’être seuls responsables de cet échec, en raison d’une organisation calamiteuse de l’aide et de l’avidité des bailleurs de fonds. Le film témoigne d’une réalité dramatique et des difficultés effectives que les acteurs de l’aide rencontrent sur tous les terrains, non seulement en Haïti. Son discours est cependant tellement unilatéral qu’il convient d’offrir d’autres sources d’information et d’autres témoignages, afin d’équilibrer le propos et de poser correctement les enjeux du débat. Alliance Sud vous invite à une soirée projection et table ronde, où des extraits du film seront diffusés et une discussion menée en présence de Charles Ridoré, ancien responsable romand d’Action de Carême et président de Solidarité Fribourg-Haïti, David Dandrès, responsable des programmes Terre des hommes en Haïti et Danielle Mincio, présidente de l’Arche du bouclier bleu pour la sauvegarde du patrimoine haïtien.

Programme 18h - Accueil / apéritif 18h30 - Présentation des intervenants 18h50 - Trois extraits du film Assistance mortelle 19h10 - Table ronde « Reconstruction d’Haïti et aide internationale » 20h - Apéritif dinatoire.

Infos et inscription : http://alliancesud.ch/fr/documentation/zoom/debat-haiti-31oct ou par téléphone au 021 612 00 86.

Sources : WWF, UNEP, Alliance Sud.

www.alliancesud.ch

GLOBAL + Avenue de Cour 1 | 1007 Lausanne | Téléphone 021 612 00 95 E-Mail: globalplus@alliancesud.ch


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