GLOBAL+ No. 65 | Automne 2017

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NumÉro 65  |   AUTOMNE 2017

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Globalisation et politique Nord-Sud

Swissaid  |   Action de Carême  |   Pain pour le prochain  |   Helvetas  |   Caritas  |   Eper  |   www.alliancesud.ch

Qui paiera l’addition ? Protection des inves­ tissements : Il faut adapter les règles

Droits de l’ homme : PCN clairement ­ insuffisant

BAII : bilan ­intermédiaire


News Libre-échange : succès d’étape pour Alliance Sud et Public Eye ia. Début 2015, les Commissions de gestion des Chambres fédérales ont chargé l’administration d’évaluer les effets des accords de libre-échange ( ALE ). Le rapport qui en est ressorti contient quatre recommandations, dont deux sont directement inspirées des revendications d’Alliance Sud et de Public Eye ; 1 ) réaliser des études d’impact sur le ­développement durable et ; 2) améliorer la transparence des comités mixtes chargés de superviser la mise en œuvre des accords ( notamment le chapitre sur le développement durable ), en publiant un rapport annuel ou consolidé. Dans sa réponse du 22 septembre dernier, le Conseil fédéral a malheureusement rejeté ces recommandations en alléguant des difficultés méthodologiques. Il propose néanmoins d’effectuer « des examens environnementaux ciblés au cas par cas » et se dit prêt à étoffer ses rapports sur les comités mixtes. Affaire à suivre ! La Suisse au bas du classement dh. Le think tank Center for Global Development a publié son Commitment to Development Index 2017 sous forme de graphiques interactifs en ligne. L’index répertorie les 27 pays les plus riches et analyse dans

Étude sur la fin du travail forcé dh. Le Business and Human Rights Resource Centre ( BHRRC ), basé à Londres, a publié sur mandat de la Confédération syndicale internationale ( ITUC ) une étude sur l’esclavage moderne dans les entreprises et les chaînes de valeur ( Modern Slavery in Company Operations and Supply Chains ). Se fondant sur les nobles intentions exprimées par les chefs d’États et de gouvernements lors du dernier Sommet du G-20, selon lesquelles le travail des enfants, la traîte des humains et toutes les formes d’esclavage moderne doivent être abolies d’ici à 2025, l’étude donne un aper-

çu des mesures régulatoires dans le monde, dont l’obligation de diligence des entreprises discutée en Suisse. Selon les estimations de l’Organisation internationale du travail ( OIT ), la valeur tirée du travail forcé se monte à 150 milliards USD. www.ituc-csi.org Agenda 2030 : Les ONG suisses s’associent dh. Deux ans après le lancement de l’Agenda 2030 de l’ONU par les Chefs d’États et de gouvernements à New York, quelque 40 ONG suisses se sont dotées de structures pour inciter à la mise en œuvre d’une véritable durabilité dans tous les domaines politiques de la Suisse. La Plateforme Agenda 2030 de la société civile, créée sous forme d’association, veut renforcer le dialogue et l’échange au-delà des limites sectorielles entre État, économie et société civile et porter un regard critique et constructif sur la mise en œuvre de l’Agenda 2030 en Suisse. Elle veut en outre encourager l’intégration de perspectives diverses et sensibiliser un large public aux enjeux et au potentiel de véritables changements que comporte l’Agenda 2030. La plateforme a été lancée par KOFF, la plateforme suisse de promotion de la paix, l’Alliance-Environnement, l’Union syndicale suisse et Alliance sud.

Impressum

Alliance Sud en un clin d’œil

GLOBAL + paraît quatre fois par an.

Présidente Caroline Morel, directrice de Swissaid

Éditeur : Alliance Sud, Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper E-Mail : globalplus@alliancesud.ch Site Internet : www.alliancesud.ch Médias sociaux politique : www.facebook.com/alliancesud, www.twitter.com/AllianceSud Médias sociaux InfoDoc : www.facebook.com/AllianceSudDok www.twitter.com/dok_alliancesud Rédaction : Laurent Matile ( l m ) , Tél. + 4 1 21 612 00 98 Traduction : Daniel Hitzig Iconographie : Nicole Aeby Graphisme : Clerici Partner AG, Zurich Impression : s+z : gutzumdruck, Brig Tirage : 1500 Prix au numéro : Fr. 7.50 Abonnement annuel : Fr. 30.– Abonnement de soutien : min. Fr. 50.– Prix publicité /  e ncartage : voir site internet Photo de couverture : Destruction causée par le cyclone Evan en décembre 2012 à Volivoli Beach, Fidji. © A tu Rasea /  E PA /  Keystone Le prochain numéro paraîtra début décembre 2017.

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quelle mesure leur influence politique bénéficie aux populations dans les pays pauvres. Outre les montants d’aide au développement, les domaines de la finance, de la technologie, de l’environnement, la politique ­migratoire et de sécurité sont analysés. En tête du classement figurent le Danemark, la Suède et la Finlande, la Suisse, ayant gagné une place, se retrouve en 24e position, devant la Grèce, le Japon et la Corée du sud, qui ferment la marche. Une mine d’or pour les fans de données, même si la composition de l’index soulève, comme toujours, des discussions entre experts. www.cgdev.org

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Direction Mark Herkenrath ( d irecteur  ) Kathrin Spichiger, Matthias Wüthrich Monbijoustr. 31, Case postale, 3001 Berne Tél. + 4 1 31 390 93 30 Fax + 4 1 31 390 93 31 E-Mail : mail@alliancesud.ch Politique de développement – Agenda 2030 Sara Frey, Tel. + 4 1 76 388 93 31 sara.frey@alliancesud.ch – C oopération au développement Eva Schmassmann, Tél. + 4 1 31 390 93 40 eva.schmassmann@alliancesud.ch – Politique financière et fiscale Dominik Gross, Tél. + 4 1 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch – Environnement et climat Jürg Staudenmann, Tél. + 4 1 31 390 93 32 juerg.staudenmann@alliancesud.ch – Commerce et investissements Isolda Agazzi, Tél. + 4 1 21 612 00 97 isolda.agazzi@alliancesud.ch

– Entreprises et droits humains Laurent Matile, Tél. + 4 1 21 612 00 98 laurent.matile@alliancesud.ch – Médias et communication Daniel Hitzig, Tél. + 4 1 31 390 93 34 daniel.hitzig@alliancesud.ch Bureau de Lausanne Isolda Agazzi /  L aurent Matile /  Mireille Clavien Tél. + 4 1 21 612 00 95 /  Fax + 4 1 21 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch Bureau de Lugano Lavinia Sommaruga Tél. + 4 1 91 967 33 66 /  Fax + 4 1 91 966 02 46 lugano@alliancesud.ch InfoDoc Berne Dagmar Aközel-Bussmann /  Simone Decorvet /  E manuel Zeiter Tél. + 4 1 31 390 93 37 dokumentation@alliancesud.ch Lausanne Pierre Flatt /  N icolas Bugnon /  C écile Mégard /  Amélie Vallotton Preisig ( e n congé ) Tél. + 4 1 21 612 00 86 documentation@alliancesud.ch


Des plans contradictoires pour et avec l’Afrique Photo : © D aniel Rihs

Le Ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis connaît la problématique de l’immigration de par sa propre expérience. Il est en effet le premier Secondo à accéder au gouvernement fédéral et est un représentant d’un canton frontalier. Il devra maintenant se battre avec le mandat peu réfléchi du Parlement, selon lequel la co­ opération internationale doit être liée stratégiquement à la politique de migration. En Allemagne également et dans d’autres pays européens, la co­ opération au développement est de plus en plus détournée à des fins de politique de lutte contre la migration. Avec son « Plan Marshall avec l’Afrique », l’Allemagne veut lancer une forte impulsion pour le développement du continent africain. Jusque-là, tout va bien. Il est piquant de rappeler que le plan s’appelait à l’origine « Plan Marshall pour l’Afrique » et avait été conçu en excluant les gouvernements et les parlements africains. De nombreuses mesures – comme le soutien des familles paysannes, des programmes pour la bonne gestion des affaires publiques ou la promotion de meilleures législations sociales et environnementales – font depuis longtemps partie du répertoire de la coopération au développement, y compris de celle de la Suisse. Mais, parallèlement, l’Allemagne veut promouvoir les investissements privés en Afrique. Les accords de libre-échange – que l’UE négocie avec les pays africains sous le titre d’Accords de partenariat économique ( APE ) – visent finalement aussi à promouvoir les investissements. Ce qui est nouveau est que les pays africains devraient pouvoir protéger leurs marchés intérieurs de la concurrence internationale effrénée, pendant une période transitoire, par le biais de droits de douane. Le « Plan Marshall avec l’Afrique » va dès lors, dans une certaine mesure, à l’encontre des causes made in Europe de la migration, comme les relations commerciales inéquitables et des opportunités d’investissement inégales. Il est en outre judicieux que la coopération au développement allemande donne à l’avenir la priorité à des pays qui s’engagent par eux même à renforcer l’État de droit et à combattre la corruption. Par contre : lorsqu’il s’agit de réduire la migration de manière immédiate, les bonnes idées redeviennent lettre morte. C’est ainsi que l’Allemagne et l’UE – dans le cadre du Processus de Khartoum – lient leur aide à la volonté des gouvernements africains d’introduire des contrôles plus strictes aux frontières. On voit alors des dignitaires de régimes autoritaires courtisés et soutenus par exemple dans la construction de ­centres de formation pour la police. En d’autres termes, ce sont les appareils de répression qui sont renforcés dans les mêmes dictatures que les femmes et hommes fuient. Il est dès lors d’autant plus préoccupant que la Suisse soit devenue membre à part entière dudit Processus de Khartoum. Elle contribue en effet au fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique qui, au nom de la politique étrangère européenne de migration, finance, par exemple en Érythrée ou au Soudan, les forces de sécurité et les contrôles aux frontières qui sont subordonnés aux services secrets. Est-ce à cela que doit ressembler, dans la pratique, le lien entre co­ opération internationale et intérêts de politique migratoire, tel qu’exigé par le Parlement ? Il reste à souhaiter que le Conseiller fédéral Cassis reconnaisse à quel point une telle politique en Afrique est incohérente.

Points forts 4

COP 23 à Bonn Pertes et préjudices au centre des débats

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Accords de protection des investissements ( A PI ) Les États négocient – les multi­nationales déposent plaintes

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Entreprises et droits humains Des bonnes notes pour le PCN suisse : vraiment ?

Asian Infrastructure Investment Bank 10 Garder la Chine à l’œil

Photo : © FAIRMED

Marchés publics 12 Opportunité à ne pas manquer

Défis du DFAE 15 Ce que le Sud est en droit d’attendre

Mark Herkenrath, directeur d’Alliance Sud

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C’est à Bonn que les Fidji invitent à prendre part à la « COP 23 du Pacifique »

Un avant-goût de ­migration climatique Jürg Staudenmann

Rien d’étonnant à ce que la COP 23 doive se centrer sur le thème des

pertes et préjudices. Pour l’État insulaire pacifique des Fidji en charge de la présidence cette année, les changements climatiques sont depuis longtemps une question de survie. Les pertes, les déplacements et l’émigration y sont déjà une amère réalité.

Les phénomènes météorologiques extrêmes renforcés par les changements climatiques ont fait les grands titres à la veille de la 23e Conférence des parties ( COP 23 ) convoquée du 6 au 17 novembre. Des jours durant, de fortes tempêtes dans les Caraïbes et aux États-Unis ont fait entrer des images dramatiques dans nos foyers alors que la mousson extrême, tout aussi dramatique, dans le golfe du Bengale et à Mumbai, faisait l’objet d’une simple évocation. À la dévastatrice sécheresse de cette année en Italie ont fait suite des pluies diluviennes, des événements qui, dans nos médias nationaux, ont toutefois été éclipsés par des éboulements et des effondrements glaciaires.

Photo : © A bir Abdullah /  E PA /  Keystone

Dhaka, capitale du Bangladesh, qui se situe à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, lors de la mousson le 26 juillet 2017.

Tous ces phénomènes ont en commun la question des modalités de la prise en compte des pertes et préjudices ( loss and damage ) causés ou renforcés par les changements climatiques : où trouver les ressources nécessaires à la reconstruction ? Comment remplacer les moyens de subsistance irrémédiablement détruits de personnes qui vivaient précédemment déjà à la limite de la pauvreté ? Ou, comme le disait laconiquement en titre un article sur les crues dévastatrices en Asie du Sud qui ont coûté la vie à des milliers de personnes et ruiné des millions et des millions d’autres : que faire avec tous les migrants climatiques du Bangladesh ? L’élévation progressive d’un mètre du niveau de la mer chassera en effet 30 millions de Bangladais de leurs terres en l’espace de quelques décennies. Ils seront des « réfugiés climatiques » même si ce terme n’existe pas ( encore ) officiellement ;

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les gens déplacés suite à des désastres et aux changements climatiques ne sont à ce jour pas considérés comme de « vrais » réfugiés. Même si l’Initiative Nansen ( à laquelle participe la Suisse ) débat de cette question depuis 2010 déjà. Tous les regards braqués sur « Frank from Fidji » Vu ces questions de plus en plus graves, les regards se braquent sur le sommet climatique de cette année, dont les Fidji assurent la présidence. Mais la COP 23 n’a pas lieu dans le Pacifique : elle a été transférée à Bonn. On est presque tenté de voir dans la délocalisation de la conférence dans une Rhénanie climatiquement plus résiliente une espèce de symbolique pré-apocalyptique. Josaia Voreqe Bainimarama, premier ministre des Fidji, a dit son intention de faire avancer le thème loss and damage lors de sa présidence de la COP 23. Il sait de quoi il parle : aux îles Fidji composées de 332 atolls dépassant le plus souvent de quelques mètres seulement le niveau de la mer, le cyclone Winston a provoqué 1,4 milliard de dollars de dégâts en 2016, l’équivalent du tiers du PIB. – Déjà lors de sa première intervention comme président de la COP 23 au Sommet du G-20 de cette année, Frank from Fidji, comme il aime à se présenter, a assuré à tous les habitants des Kiribati et Tuvalu le droit de résidence permanent sur les Fidji. Dans la foulée, il a réclamé des États-Unis une prolongation analogue, pour une durée indéterminée, du droit de résidence expirant en 2023 pour tous les habitants des Îles Marshall, un droit qui leur a été octroyé voilà des décennies au titre d’indemnisation pour la destruction et l’irradiation de plusieurs de leurs atolls. Premier pays à avoir ratifié l’Accord de Paris sur le climat, l’archipel des Fidji s’était déjà fermement engagé, avant « Paris 2015 », au sein du groupe de nations du Forum des États vulnérables ( Climate Vulnerable Forum ), en faveur de la question des pertes et préjudices liés au climat. Non sans succès : l’Accord de Paris sur le climat a consacré un chapitre distinct à ce thème. Malgré cette percée diplomatique remontant à deux ans, les questions connexes de la responsabilité et des droits à une compensation des nations industrialisées – premiers respon­ sables des changements climatiques – restent taboues. Dans ce contexte, deux points concrets au moins de­ meurent en haut de l’agenda climatique mondial : d’abord, le chapitre mentionné loss and damage de l’Accord de Paris a enfin posé officiellement la question des modalités de traitement des personnes migrantes ou déplacées ayant perdu leurs moyens de subsistance suite aux changements climatiques. Ensuite, le comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie ( Warsaw Implementation Mechanism, WIM ) a été chargé depuis quatre ans déjà de l’évaluation de la signification et de la portée des pertes et préjudices. Il y a désormais lieu de mettre aussi – enfin – sur le tapis les questions de la réparation des dommages ou de la compensation des pertes. À cet effet, un plan de financement doit être établi de toute urgence dans l’hémisphère sud pour la population la plus pauvre et généralement en rien responsable des dom­ mages qu’elle a subis. Contrairement au financement climatique et aux 100 milliards de dollars par an pour l’atténuation et l’adaptation, aucun soutien financier n’a en effet été inscrit dans l’Accord de Paris sur le climat pour les dommages et les pertes encourus. La question taboue des responsabilités se pose en amont de cette lacune.

Bien des choses dépendent des intérêts diamétralement opposés en présence, à commencer par la différenciation des loss and damage de l’adaptation. Les propositions des premiers responsables, au premier rang desquels figurent des nations industrialisées comme la Suisse, sont à des lieues des besoins des concernés, essentiellement des petits États insulaires en développement comme les Fidji. La COP 23 doit enfin mettre un terme à cette indigne valse-hésitation sur le dos des plus faibles. Des jalons concrets sont à fixer à Bonn sur la toile de fond des catastrophes des semaines et mois passés. Car l’urgence avec laquelle il y a lieu de traiter équitablement les pertes et préjudices occasionnés par la crise climatique a depuis longtemps trouvé un écho dans l’opinion publique.

Ce que la COP 23 doit ­atteindre sur le front des pertes et préjudices js. Malgré l’obstruction américaine de Trump, la communauté climatique mondiale œuvre dans une douzaine de « workstreams », avec une cohésion quasi démonstrative, à un ensemble de dispositions visant à mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat. La COP 23 doit en tirer un premier projet global. – Selon Alliance Sud, la COP 23 ne pourra être considérée comme une réussite qu’à condition que des progrès concrets soient accomplis sur le front des loss and damage : • Pilier tout aussi important que les autres de l’Accord de Paris, les pertes et préjudices sont à traiter avec le même degré de priorité. Il inclut la formulation de critères ( « liste positive » ) pour des pertes et préjudices à rembourser et une évaluation scientifique rigoureuse des coûts à attendre et des options d’un financement respectant le principe de causalité. • Il faudrait préparer un « mécanisme de Fidji pour les pertes et préjudices » et le doter selon le principe du pollueur-payeur de 50 milliards de dollars par an dès 2020 et de 200 à 300 milliards jusqu’en 2030. Il doit aussi rendre possible une assurance en faveur des îles du Pacifique menacées par les changements climatiques. • Le comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie doit recevoir davantage de ressources, formuler des conditions d’assurance climatique en faveur des plus démunis et aider directement les populations les plus vulnérables. • Le thème de la migration, du déplacement et de la réinstallation climatiques doit trouver davantage de place dans les négociations dès 2018. Dans ce contexte, il faut activer, outre des solutions d’assurances, d’autres options de gestion ( locale ) des risques.

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Le système de règlement des différends investisseurs – États ( I SDS ) de plus en plus sollicité

Un système au bord de l’implosion Isolda Agazzi

L’édifice juridique de la protection des investissements craque de toutes parts :

au cours des trois dernières années, quatre pays en développement ont dénoncé leurs accords d’investissement avec la Suisse. L’année passée, pour la première fois, une « contreplainte » d’un pays contre un investisseur pour violation des droits humains a été ­acceptée par un tribunal arbitral. Dans la diplomatie multilatérale, une cour interna­ tionale d’arbitrage pourrait voir le jour. Le système de règlement des différends investisseurs – États ( Investor – State Dispute Settlement, ISDS ) explose : depuis le 1er janvier 2016, selon la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement ( CNUCED ), 104 nouvelles plaintes ont été déposées par des investisseurs étrangers contre des États hôtes, portant le nombre de plaintes connues depuis 1987 à 817. Les multinationales ont obtenu gain de cause dans 60 pour cent des cas. Les dommages et intérêts réclamés par les plaignants vont de 10 millions USD à 16,5 milliards USD réclamés à la Colombie par la multinationale américaine Cosigo Resources.1 Les entreprises suisses ne sont pas en reste, les dernières plaintes connues étant celle de Glencore contre la Colombie et la menace de plainte de Novartis contre ce même pays.2 La Suisse occupe même la 11e place en termes de plaintes basées sur ses accords de protection des investissements ( API ) : 26 plaintes connues depuis 1987, la Confédération elle-même n’ayant fait l’objet d’aucune plainte 3. Pas étonnant, dès lors, que de plus en plus de pays en développement dénoncent leurs API et veuillent en renégocier de plus équilibrés, comme l’ont fait au cours des trois dernières

Pays siège des multi­ nationales qui ont porté plainte 1. USA

152 plaintes

3. Grande-Bretagne

69 plaintes

2. Pays-Bas 11. Suisse

96 plaintes 26 plaintes

Les premiers pays de l’hémisphère Sud sont les Émirats arabes unis ( 27e place avec 8 plaintes ) et le Chili ( 28e place, 7 plaintes ).

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années l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Indonésie et l’Équateur avec la Suisse. L’Inde a toutes les raisons de se faire du souci : jusqu’en 2010 elle n’avait jamais été condamnée par un tribunal arbitral, mais elle fait depuis l’objet d’un nombre croissant de plaintes ( 22 à ce jour ), pour la plupart en cours. L’ Afrique du Sud est beaucoup plus prudente : bien qu’elle n’ait fait l’objet que d’une seule plainte, par ailleurs retirée, elle a dénoncé tous ses API. Pareil pour l’Indonésie ( 7 plaintes en tout, dont 2 en cours ).

Commission citoyenne en Équateur L’Équateur est un cas emblématique : il a fait l’objet de 23 plaintes au moins, dont beaucoup sont encore en cours ( aucune plainte d’entreprise suisse ). La plupart ont été déposées ces dix dernières années, suite à des expropriations et autres mesures similaires décidées par l’ancien président Rafael Correa dans le secteur des hydrocarbures. L’année passée, Quito a dû payer 980 millions USD au pétrolier américain Occidental Petroleum pour l’annulation d’un contrat pétrolier. Un autre panel arbitral lui a ordonné de payer 380 millions USD au pétrolier ConocoPhillips. La dénonciation des API fait suite à la recommandation de CAITISA, une commission citoyenne qui, dans un rapport de 668 pages, souligne à quel point les API ont fait plus de mal que de bien à l’Équateur : bien que ce soit l’un des Quels pays pays de la région qui en ait signé le ont été attaqués ? plus, il n’a reçu que 0,79 pour cent des investissements directs étrangers de la région entre 2001 et 2011. 4 De surcroît, les principaux investisseurs étaient is1. Argentine 60 plaintes sus de pays – le Brésil, le Mexique et 2. Vénézuela 42 plaintes le Panama – avec lesquels il n’a pas 3. Éspagne 36 plaintes d’accords d’investissement. L’Équateur 9. Équateur 23 plaintes doit encore payer des dommages et in11. Inde 22 plaintes térêts qui représentent 52 pour cent 19. Indonésie 7 plaintes de son budget 2017 ( ! ). 24. Afrique du Sud 1 plainte Dès lors, la commission citoyenne préconise d’exclure entièrement l’ISDS, l’expropriation indirecte, le traitement


Photo : © L uca Zanetti

Le système de santé colombien connaît de nombreux problèmes. Le prix élevé des médicaments brevetés en est un, la ­corruption, un autre. Photo : clinique de Santa Cruz del Islote, où le médecin de ­Carthagène ne passe qu’une fois tous les quelques mois.

juste et équitable et la clause parapluie. Des revendications qu’Alliance Sud formule aussi vis-à-vis des API suisses, mais qui, jusqu’à présent, sont restées lettre morte, le Seco s’étant limité à quelques modifications cosmétiques dans son nouveau modèle d’accord de mars 2016.

reste du seul ressort de l’investisseur : des victimes de violation du droit à l’eau, à la santé, des droits syndicaux ne peuvent pas porter plainte contre des multinationales étrangères sur la base des API. Ils ne pourraient, dans le meilleur des cas, que répondre aux plaintes des multinationales.

Droits humains et « contre-plainte » Traditionnellement les API ne protègent que les droits des investisseurs et pas les droits humains des populations. « Le modèle d’accord alternatif que nous voulons mettre en place ­prévoit que les investisseurs aient aussi des obligations contraignantes et pas seulement des droits », souligne Cecilia Olivet, de Transnational Institute, qui a présidé les travaux de ­CAITISA. Une première brèche en faveur du droit à la santé a été ouverte par la sentence de Philip Morris contre l’Uruguay ( juillet 2016 ), où le fabricant suisse de cigarettes a été débouté sur toute la ligne. Une deuxième lueur d’espoir a jailli fin 2016, ­lorsqu’un tribunal arbitral a débouté Urbaser, une entreprise espagnole gérant la fourniture d’eau et les eaux usées à ­Buenos Aires et qui avait fait faillite après la crise financière de 2001 – 2002. Les arbitres ont affirmé qu’un investisseur doit aussi respecter les droits humains. Pour la première fois, ils ont aussi accepté le principe d’une « contre-plainte » de l’Argentine contre Urbaser pour violation du droit à l’eau de la population. Bien que les arbitres ont fini par statuer que, sur le fond, Urbaser n’avait pas violé le droit à l’eau, ils ont considéré que la contre-plainte était recevable, l’API Argentine – Éspagne permettant aux « deux parties » de porter plainte en cas de ­différend. Ce n’est malheureusement pas le cas des API suisses, qui permettent seulement à l’investisseur de porter plainte et non aux deux parties. 5 La mise à jour des accords en cours serait l’occasion d’introduire cette modification. Un tel aménagement resterait cependant modeste puisque la plainte initiale

Cour internationale d’arbitrage : une fausse bonne idée ? Pour faire taire les critiques contre l’ISDS – qui ont presque fait capoter le CETA – la Commission européenne propose de créer une cour permanente d’arbitrage. Certes, une telle cour, avec des juges choisis à l’avance et une possibilité d’appel, représenterait une amélioration par rapport au système actuel. Mais les ONG, dont Alliance Sud, suivent cette évolution avec scepticisme car une telle cour ne remettrait pas en cause le principe même d’une justice privée au service des multinationales étrangères. Pour Gus Van Harten, si la dite court ne donne pas de garanties suffisantes en matière d’indépendance, d’équité, d’équilibre et de respect des institutions nationales, il vaut mieux supprimer l’ISDS tout court. 6 « Nous sommes absolument contre l’ISDS. À la rigueur, tant que la protection des investisseurs est en place, nous pourrions soutenir une cour internationale d’investissement selon la proposition du professeur Gus Van Harten », lâche Cecilia Olivet, « mais la proposition de la Commission européenne ne donne pas assez de garanties d’indépendance et d’impartialité. » 1 UNCTAD, International Investment Agreement Issue Note, May 2017. 2 Cette dernière n’est pas officielle, mais elle a été révélée par le site d’investigation IAReporter. 3 http://investmentpolicyhub.unctad.org/ISDS/CountryCases/203?partyRole=1 4 http://caitisa.org/index.php/home/enlaces-de-interes 5 Cf. par exemple l’art. 10.2 de l’API avec la Géorgie, le plus récent API 6 https://www.cigionline.org/articles/it-time-redesign-or-terminate-investor-state-arbitration

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Analyse : Point de contact national des Principes directeurs de l’OCDE ( P CN )

Les limites du dialogue Laurent Matile

Les associations économiques s’opposent à l’introduction d’une

­responsa­bilité civile pour violations des droits de l’homme et de l’environnement par les ­entreprises, telle que proposée par l’Initiative pour des multinationales r­ esponsables, en mettant en exergue les bienfaits du Point de contact national de la Suisse.

Quand les humains sont tout petits face aux machines. Photo : Dans la mine de cuivre de Mopani, propriété de Glencore, en Zambie, 4000 tonnes de ­minerai de cuivre sont extraites chaque jour du sous-sol.

Pour rappel, les gouvernements qui ont adhéré aux Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE, dont la Suisse, se sont engagés à mettre sur pied un Point de contact national ( PCN ), soit un mécanisme de recours non judiciaire ( non-judicial grievance mechanism ), dont la structure et l’organisation varient d’un pays à l’autre. La fonction première des PCN est d’assurer la promotion des Principes directeurs de l’OCDE et de recevoir des « réclamations » ( complaints ) concernant le non-respect des Principes directeurs par des entreprises.

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Photo : © Meinrad Schade

En Suisse, les compétences du Point de contact national sont définies par une Ordonnance du Conseil fédéral qui lui attribue, notamment, la tâche de « traiter les demandes d’examen de violations présumées des Principes directeurs de l’OCDE par des entreprises et agir comme médiateur entre les parties ». Les « demandes d’examen» peuvent être déposées par une personne ou un groupe auprès du PCN suisse qui est notamment compétent pour traiter les demandes relatives aux


activités d’une entreprise suisse établie dans un pays non membre de l’OCDE, principalement les pays en développement. Institutionnellement, le PCN suisse est rattaché au Secrétariat d’État à l’économie ( Seco ) et, est assisté depuis 2013 par une Commission fédérale consultative composée de 14 membres, comprenant des représentants de l’administration, des employeurs et associations économiques, des syndicats, des ONG et des milieux scientifiques. Le Guide de procédure du PCN précise que le PCN offre une plate-forme de dialogue et d’échange entre les parties impliquées, en vue de les aider à résoudre le conflit qui les oppose. Le PCN peut mener lui-même le dialogue ou faire appel à un intermédiaire ou à un médiateur externe, mais, fait marquant, la participation à ce dialogue n’est pas obligatoire. Manques et faiblesses du PCN Le PCN a pour ( seule ) mission d’encourager le dialogue entre les parties et non d’établir si les Principes directeurs de l’OCDE ont été violés. Le PCN ne peut se prononcer sur une éventuelle violation des principes directeurs par une entreprise multinationale. Dans sa forme actuelle, le PCN suisse se limite à offrir une plate-forme de dialogue et d’échange entre les parties impliquées à un conflit. En outre, la participation à ce dialogue n’est pas obligatoire et le PCN ne dispose d’aucun moyen pour inciter, respectivement contraindre les entreprises à y participer. Il s’agit donc d’une procédure de médiation, volontaire qui est, dès lors, tributaire de la bonne volonté et de la bonne foi des entreprises pour s’y soumettre. En effet, une médiation est, par nature, consensuelle et se limite à offrir l’opportunité aux parties – mais n’exige pas d’elles – de s’engager dans un processus de dialogue facilité pour résoudre un litige. Les principales faiblesses, en termes d’efficacité et ­d’efficience du PCN suisse, dans sa structure et son fonctionnement actuels sont, principalement : • son manque d’indépendance institutionnelle – étant ­rattaché au Seco – à l’inverse d’autres PCN qui fonctionnent comme entité indépendante de l’administration, comme celui de la Norvège, qui comprend quatre ­experts indépendants ; • les exigences élevées en termes de confidentialité, respectivement de non-accès du public à la procédure ; 1 • le manque de moyens mis à disposition pour permettre aux populations des pays ( principalement ) en développement, notamment les plus pauvres, qui sont lésées par les activités des entreprises multinationales dont le siège est en Suisse, de participer pleinement à la procédure de médiation mise sur pied par le PCN ( notamment la couverture des frais de traduction et de voyages permettant aux communautés de participer à la médiation ) ; • l’absence de conclusions, dans les « déclarations finales » des procédures de circonstance spécifique ( Specific ­instances ) quant à la violation des Principes directeurs de l’OCDE par les entreprises multinationales et ­l’absence de recommandations claires quant aux ­mesures attendues des entreprises pour assurer le plein respect desdits Principes directeurs ;

• l’absence d’un organe de supervision ( organe indépendant disposant d’un pouvoir décisionnel ), la Commission consultative, au mandat vague, ne remplissant pas ces conditions ; • l’absence de toute sanction ( material consequences ) à l’égard des entreprises en cas de non-participation ou de mauvaise foi dans la procédure, à l’inverse de ce que prévoit le PCN du Canada, qui peut retirer tout soutien commercial à l’étranger aux entreprises concernées, respectivement qui prend en compte l’attitude des entreprises dans le cadre de l’accès aux crédits/soutien à l’exportation. Complémentarité entre PCN et accès à la justice civile Une « plate-forme de dialogue et d’échange», ne saurait garantir, à elle seule, l’«Accès à des voies de recours», tel que requis par le 3e pilier des Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme. En effet, ces derniers statuent que « les États devraient fournir des mécanismes de réclamation non judiciaires ( … ), en plus des mécanismes judiciaires, dans le cadre d’un système étatique complet de réparation des atteintes aux droits de l’homme commises par les entreprises». ( UNGP, 27 ) C’est également cette complémentarité que vise la Recommandation CM/Rec ( 2016 ) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres, qui stipule, dans son chapitre sur la responsabilité civile pour les violations de droits de l’homme par les entreprises, que les États membres devraient appliquer les mesures nécessaires pour s’assurer que les violations des droits de l’homme causées par des entreprises relevant de leur juridiction donnent lieu à une responsabilité civile en vertu de leurs lois respectives » ( § 32 ) et que les tribunaux internes devraient être compétents pour les actions civiles liées à des violations de droits de l’homme par des entreprises visant, quel que soit l’endroit où elles sont implantées, des filiales d’entreprises relevant de leur juridiction, lorsque ces requêtes sont étroitement liées à des litiges civils concernant ces entreprises ( § 35 ). À cet égard, le Conseil fédéral rappelle lui-même, dans son Plan d’action national sur la mise en œuvre desdits Principes directeurs de l’ONU adopté en décembre 2016, l’importance de mécanismes judiciaires nationaux efficaces pour la sanction et la réparation dans le traitement de violation des droits de l’homme par des entreprises. Le mécanisme de « demandes d’examen » prévu par le PCN suisse – qui se limite à une procédure de médiation, volontaire, ne disposant pas de la compétence de statuer sur la violation des Principes directeurs de l’OCDE et ne prévoyant aucune sanction – ne saurait dès lors remplacer l’accès à un recours effectif devant une instance judiciaire, compétente pour juger de l’existence d’une violation des droits de l’homme par les entreprises et imposer une réparation du dommage adéquate, comme le demande l’Initiative pour des multinationales responsables. 1 Durant la procédure de médiation, les activités du PCN restent confidentielles. Les parties concernées doivent observer ce principe de confidentialité et ne doivent rendre publique aucune information relative à la procédure en cours ( P CN Guide de procédures, p. 3.5 ) . La Norvège, au contraire, donne accès au public à toutes les informations relatives à une procédure en cours, en application du Norwegian Freedom of Information Act.

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Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures ( BAII )

Examen à la loupe du nouvel acteur mondial Korinna Horta1

« La BAII peut apporter une contribu-

tion essentielle pour ( … ) ­promouvoir un ­développement économique durable en Asie » : c’est en ces termes que le Conseil fédéral justifiait en automne 2015 l’engagement de la Suisse dans la BAII. Le moment

1. Quel est le rôle des États membres non-régionaux ? Les États européens justifient leur adhésion à la BAII en affichant leur volonté d’exercer dès le départ une influence positive sur l’institution et de s’engager en faveur de meilleures normes environnementales et sociales. Il conviendra d’exa­ miner s’ils y parviendront à moyenne et longue échéances. À court terme, on constate une ouverture de la BAII au dialogue avec la société civile internationale comme les gou­ vernements occidentaux l’attendaient. Chargée de soigner l’image de la BAII, la société internationale de relations pu­ bliques Saatchi & Saatchi appréciera. L’adhésion de pays européens a certainement contribué à l’octroi à la BAII de la convoitée notation AAA de la dette par les trois grandes agences de notation internationales durant l’été 2017. Cela confère à la BAII le niveau de solvabilité le plus élevé, ce qui lui permet d’emprunter des fonds à des conditions avantageuses sur les marchés internationaux des capitaux et d’élargir son futur volume de crédits. C’est d’autant plus remarquable que les finances publiques des trois principaux États membres ( Chine, Inde et Russie ) ne bénéficient pas d’une notation AAA. Mais qu’en est-il des autres types de risques, comme la gouvernance et les incidences environnementales et sociales, que les agences de notation doivent aussi prendre en compte ? Ces dernières se trouvent à ce titre sur un terrain glissant car la BAII n’est pas dans les affaires depuis suffisamment longtemps pour fournir une image à ce propos. À ce jour, la BAII a essentiellement participé à des cofinancements de projets pour lesquels les normes de l’institution financière leader s’appliquent. Les risques de la BAII seront exposés au grand jour seulement lorsqu’elle disposera de son propre portefeuille. 2. Que signifie la devise « Lean, Green & Clean » de la BAII ? La BAII se présente comme une banque d’un nouveau genre pour le XXIe siècle finançant des projets écologiques ( green ), générant des frais de personnel limités ( lean ), et ne tolérant

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Photo : © E d Wray /  A P /  Keystone

est venu d’établir un bilan intermédiaire.

Le respect de normes sociales et environ­ nementales conséquentes et des droits de l’homme doit accompagner tout projet ­d’investissement dans les infrastructures. ­Photo : chantier à Jakarta, Indonésie.


aucune corruption ( clean ). Une partie de cette minceur ( lean ) réside dans l’absence d’un conseil d’administration avec un siège permanent, visant à limiter la bureaucratie mais qui par ailleurs tient toute surveillance à distance. Deux représentants européens siègent dans le conseil de 12 personnes mais les pouvoirs de cet organe ne sont pas clairement définis à ce jour. Le flou règne ainsi sur la marge d’autonomie dont jouit le président de la BAII pour approuver des crédits et des lignes politiques. La BAII entend limiter son personnel et approuver les projets plus rapidement que d’autres banques de développement. Mais ce sont en premier lieu les investissements dans les infrastructures qui provoquent souvent des déplacements forcés et présentent des risques environnementaux et sociaux mul­ tiples. Reste encore à déterminer comment un nombre réduit de collaborateurs – contraints d’être efficaces – seront en mesure d’évaluer et de surveiller la qualité des projets. 3. Qu’est-ce qui a conduit à la fondation de la BAII ? Fondée à l’initiative de la Chine en janvier 2016 et dotée d’un capital initial de 100 milliards de dollars, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures ( BAII ) dispose d’une puissance financière nettement inférieure à celle des institutions financières chinoises propres. La Banque d’exportation et d’importation de Chine accorde par exemple chaque année un volume largement supérieur de prêts. La valeur symbolique et géostratégique de la BAII importe davantage car Pékin se trouve, avec elle, pour la première fois à la tête d’une institution financière multilatérale. La Chine peut donc dès à présent promouvoir un multilatéralisme dont elle définit elle-même les règles du jeu. La représentation insuffisante de l’empire du Milieu dans les institutions de Bretton Woods ( Fonds monétaire interna­ tional et Banque mondiale ) dominées par les États occidentaux, ainsi dans la Banque asiatique de développement, dominée par le Japon, pourrait avoir incité Pékin à fonder la BAII. Il est aussi vraisemblable que Pékin considère une propre banque de ­développement plus appropriée pour exercer son influence qu’une approche unilatérale reposant sur une puissance purement économique. La fondation de la BAII a été une victoire diplomatique de Pékin. Les États-Unis du président Obama avaient demandé avec insistance aux nations européennes et au Japon de ne pas adhérer à la BAII. Mais le partenaire le plus proche de Washington, le Royaume-Uni, a été la première nation européenne à rejoindre la BAII en mars 2015. Peu après, l’Allemagne, la Suisse et d’autres pays européens lui ont emboîté le pas. L’espoir d’une position commune des États du G7 a donc volé en éclats. Dans l’intervalle, la BAII compte 56 pays membres et d’autres nations sont candidates à l’adhésion. 4. Comment évaluer les normes climatiques et les critères écologiques généraux de la BAII ? La BAII a publié sa stratégie climatique en juin 2017. Cette dernière se réfère à l’Accord de Paris, à l’Agenda 2030 de développement durable de l’ONU ainsi qu’à l’initiative « Une énergie durable pour tous ( Sustainable Energy for All ). Autant il convient de saluer ces références et l’exclusion, pour le moins provisoire, de l’énergie nucléaire, autant le fait de ne pas bannir le financement de projets pétroliers et liés au charbon, ainsi

que de grands barrages, s’avère problématique. La BAII souligne à cet égard qu’elle tiendra compte des besoins de ses emprunteurs. Les normes écologiques et sociales de la BAII sont définies dans le cadre environnemental et social ( Environmental & Social Framework, ESF ). Il est flexible et présente des failles importantes. Les emprunteurs doivent par exemple remplir les conditions de la banque «d’une manière et dans un délai jugés acceptables par la banque ». Ce que la BAII entend par acceptable n’est pas énoncé clairement. À cela s’ajoute que ce cadre peut être remplacé par les normes des clients – donc par les normes écologiques et sociales souvent très peu exigeantes des pays souhaitant obtenir un prêt. À ce jour, deux piliers centraux devant faire partie de la stratégie climatique et de la politique environnementale font défaut : des lignes directrices pour un accès public aux informations sur les projets et celles relatives à un mécanisme de recours. Ces deux éléments seraient en cours d’élaboration. Or, l’accès public à l’information ainsi que la liberté d’association et d’expression sont politiquement sensibles en Chine et dans de nombreux pays emprunteurs où les activités des ONG sont souvent réprimées et criminalisées. La BAII ne peut pas être comprise comme une entité séparée des intérêts économiques et géopolitiques de la Chine. Un suivi étroit de ses activités par les États membres et la société civile s’avère nécessaire. 1 L’auteure Korinna Horta est en charge du dossier des institutions financières internationales auprès de l’ONG allemande « urgewald e.V. »

La Suisse et la BAII mh. La Suisse a constitué à la BAII un groupe de vote avec le Royaume-Uni, la Pologne, la Suède, la Norvège, le Danemark et l’Islande et détient actuellement la vice-présidence. Les contributions de la Suisse à la BAII ont été, à ce jour, financées par le budget de la coopération au développement. Cette utilisation contestable des fonds au développement a provoqué de vives réactions au Parlement fédéral. Plusieurs parlementaires ont en effet considéré que l’adhésion de la Suisse à la BAII n’était utile qu’aux relations économiques extérieures avec la Chine. Le Conseil fédéral a rétorqué que la BAII contribuerait au développement durable en Asie, dans laquelle le plus grand nombre de pauvres et de très pauvres vivent. En outre, elle représenterait un complément utile aux banques de développement multilatérales existantes. Ces affirmations ne sont pas confirmées à ce jour. La plus grande partie des crédits accordés par la BAII l’a été à des projets en Égypte et à Oman. Les pays ­asiatiques présentant un haut niveau de pauvreté ne jouent qu’un rôle marginal dans le portefeuille de la banque. En outre, la BAII collabore à cet égard principalement avec le Groupe de la Banque ­mondiale, donc justement pas en complément avec d’autres banques.

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Marchés publics

Les services publics doivent faire leurs achats de ­manière responsable ! Sara Frey

Chaque année, la Confédération, les cantons et les communes achètent des

biens et des services pour près de 40 milliards de francs. Le droit des marchés publics précise les critères selon lesquels ces acquisitions sont effectuées. La révision totale du droit en question fournit une belle opportunité d’utiliser ces ­montants de manière plus responsable à l’avenir. Ces quelque 40 milliards de francs correspondent à 6 pour cent du produit intérieur brut ( PIB )1 selon l’Office fédéral de l’environnement ( OFEV ), un volume substantiel pour l’économie suisse. Il va de soi que les entités publiques devraient, comme acheteurs, montrer l’exemple en matière de développement durable. Consommateurs de taille, elles exercent une incidence sur les conditions de production des entreprises et, partant, sur l’environnement et sur les conditions de travail de nombreuses personnes. Le droit des marchés publics précise les critères de consommation des services publics. À l’enseigne de l’objectif d’une consommation et d’une production responsables, l’Agenda 2030 de développement durable de l’ONU signé par la Suisse comprend un sous-objectif explicite ( 12.7 ) en matière de marchés publics : « Promouvoir des pratiques durables dans le cadre de la passation des marchés publics, conformément aux politiques et priorités nationales. » Et la Stratégie pour le développement durable de la Suisse précise : « La Confédération

Achats publics : de quoi s’agit-il ? Par achats publics, on entend tous les marchés passés par des entités publiques. Il peut par exemple s’agir d’achats de biens matériels comme du mobilier de bureau ou de services. En Suisse, les dépenses dans ce domaine se répartissent entre la Confédération ( environ 20 pour cent ), les cantons et les communes ( à peu près 40 pour cent dans chaque cas ). Le volume total des achats publics se chiffre à près de 40 milliards de francs, ce qui équivaut, selon l’OFEV, à environ 6 pour cent du PIB de la Suisse.

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prend en considération lors de ses achats publics des biens ( produits, services ou ouvrages ) qui répondent tout au long de leur durée de vie à des exigences économiques, écologiques et sociales élevées. Elle montre l’exemple par son mode de consommation. » Effectuer des achats dans un souci d’écologie ! L’hypothèse passablement répandue selon laquelle effectuer des achats écologiques coûte plus cher en soi n’est de loin pas toujours correcte. Une étude mandatée par l’organisation Pusch ( Praktischer Umweltschutz ) montre que des achats préservant mieux le climat se justifieraient en termes économiques également, par exemple s’agissant des produits alimentaires, de l’éclairage ou des véhicules.2 Comme la Directive de l’UE de 2014, la révision totale de la loi fédérale sur les marchés publics ( LMP ) présentée par le Conseil fédéral en février 2017 permet aussi un mode de penser en cycles de vie ou l’intégration de coûts environnementaux externes. C’est un pas dans la bonne direction que les délibérations parlementaires ( au plus tôt lors la session d’hiver 2017 ) ne doivent tout au moins pas ralentir et qui devrait être compléter par des exigences contraignantes. Acheter des biens et des services respectant l’équité ! Les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail ( OIT ) sont inscrites dans la proposition du Conseil fédéral. Elles étaient déjà intégrées dans la pratique de passation des marchés publics en cours. Elles interdisent notamment le travail des enfants, le travail forcé et la discrimination en matière d’emploi et de profession et exigent le respect de la liberté d’association et le droit de négociation collective. Mais ces conventions ne suffisent pas à garantir des conditions de travail décentes. Certains pays maintiennent par exemple leur salaire minimum à un bas niveau afin d’attirer des producteurs et des ordres d’achat. Cela conduit à des salaires insuffisants pour vivre.3


Photo : © C hristian Beutler /  Keystone

La coalition d’ONG pour les achats publics ( Pain pour le Prochain, Action de Carême, Helvetas, Fondation Max Havelaar Suisse, Public Eye, Solidar Suisse et Swiss Fair Trade ) exige la possibilité de prendre en compte le droit à des conditions de travail décentes et sûres, à des horaires de travail réglementés et non abusifs, le droit à une relation de travail formelle et le droit à un salaire couvrant les besoins vitaux. La loi en vigueur impose aujourd’hui des limites très strictes en matière d’achats socialement responsables aux entités adjudicatrices de la Confédération, des cantons et des communes. La révision totale du droit des marchés publics étant imminente, il faudrait intégrer dans une base légale solide les engagements pris en termes de développement durable. 1 Cette valeur est encore nettement supérieure en moyenne dans l’OCDE ( 1 2,1  pour cent en 2013 ) . 2 Myriam Steinemann et al., «Potenzial einer ökologischen öffentlichen Beschaffung in der Schweiz», Berne 2016. 3 Un exemple à ce sujet – relaté l’automne dernier dans les médias – concerne l’achat de bottes destinées à l’armée suisse, cousues en Roumanie pour un salaire horaire de 2 francs. Une rétribution qui même dans ce pays ne permet pas une vie décente mais qui correspond au salaire minimal légal prescrit.

Les sous-vêtements que les soldats de l’armée suisse portent sous leurs tenues de combat proviennent d’Inde, de Bulgarie et de Hongrie. ­ Photo : Caserne d’Isone TI

Cadre juridique délimitant les conditions de travail L’ Accord de l’OMC sur les marchés publics de 1996 ( révisé en 2012 ) délimite le cadre juridique international également applicable à la Suisse. Il laisse une marge de manœuvre pour la prise en compte de critères pas uniquement axés sur le prix, comme par exemple la santé au travail ou des salaires garantissant des conditions d’existence convenables. Dans une Directive de 2014, l’UE a précisé que des critères écologiques et sociaux pouvaient être pris en compte dans la passation de marchés. Cela signifie notamment que le prix ne doit pas être seul déterminant. La Loi fédérale sur les marchés publics de 1994 est en cours de révision ; la proposition de loi révisée intègre désormais les huit conventions fondamentales de l’OIT, lesquelles étaient déjà incluses dans la pratique actuelle d’adjudication. Tous les adjudicataires doivent les respecter : Liberté syndicale et droit de négociation ­ collective • Liberté syndicale et protection du droit syndical ( 1948 ) • Droit d’organisation et de négociation collective ( 1949 ) Abolition du travail forcé • Travail forcé ( 1930 ) et Protocole de 2014 à la Convention sur le travail forcé • Abolition du travail forcé ( 1957 ) Interdiction de la discrimination en matière d’emploi et de profession • Égalité de rémunération ( 1951 )

• Discrimination en matière d’emploi et de profession ( 1958 ) Abolition du travail des enfants • Âge minimum d’admission à l’emploi ( 1973 ) • Interdiction des pires formes de travail des enfants et action immédiate en vue de leur élimination ( 1999 ) Les 4 conventions suivantes de l’OIT notamment ne sont pas comprises dans les ­normes fondamentales : • Droit à des conditions de travail décentes et sûres ( Convention 155 de l’OIT ) • Droit à des temps de travail réglementés non abusifs ( Convention 1 de l’OIT ) • Droit à une relation de travail formelle ( ­Recommandation 198 de l’OIT ) • Droit à un salaire garantissant des conditions d’existence convenables ( Conventions 26 et 131 de l’OIT et article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ) Ces éléments devraient également être intégrés dans la loi et leur respect contrôlé. Il serait en principe très utile d’y inscrire de façon contraignante une conception forte de la durabilité, dont les aspects sociaux par exemple iraient plus loin que les normes fondamentales de l’OIT. Pour Alliance Sud, il y a lieu d’intégrer au moins dans la loi révisée, outre le prix, ces critères ainsi que d’autres critères de responsabilité sociale et écologique pour la passation de marchés.

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Tourisme durable

Le voyage r­ eprend, embarquez avec nous ! Pierre Flatt  Le

programme d’événements sur le tourisme se poursuit

et passe à la vitesse supérieure cet automne avec le nouveau

cycle du collectif Autrement ça va ? intitulé « Voyage, voyages ». L’automne s’annonce chaud à Lausanne. Après avoir débuté son programme au mois de mars avec une conférence de notre collègue Eva Schmassmann sur les liens contradictoires entre tourisme et agenda 2030, InfoDoc prépare son double événement du 12 octobre : une conférence-débat avec Morgane Roux et Seraina Hürlemann, chercheuses à l’Université de Lausanne, et Roland Schmid de la Fédération suisse du voyage sur le thème « Un tourisme durable pour tous, est-ce possible ? » et, simultanément, le vernissage de l’exposition « Touriste ! je t’aime… moi non plus », composée d’affiches réalisées par des étudiants de l’École cantonale d’art du Valais ( ECAV ). Accompagnées d’un texte explicatif et d’articles de presse, elles interrogent les impacts du tourisme sur le dévelop­ pement. Le vernissage sera accompagné d’une performance artistique d’une étudiante. Nous ne vous en ­disons pas plus et vous attendons le 12 octobre ! Cet automne marque également le lancement du deuxième programme du collectif Autrement ça va ? fondé en 2015. Le collectif, formé de quatre espaces de débats lausannois – Pôle Sud, la Maison de quartier sous-gare, l’Espace Dickens et Alliance Sud InfoDoc – inaugure le 21 septembre son programme sur le thème du voyage et de la mobilité. La conférence inaugurale aborde de manière comparative la question de « l’Uber-économie » à Lausanne et à Barcelone, avec la participation de deux municipaux lausannois ainsi que d’un représentant de la ville de ­Barcelone. Avec plus de vingt événements en trois mois – films, ­tables rondes, conférences, exposition –, le ­public aura l’occasion de s’interroger sur différentes alternatives au tourisme et à la mobilité : être touriste ­autrement, construire la mobilité autrement ou encore concevoir la migration autrement. Le cycle 2017 ­se conclura le 21 décembre par une balade à travers Lausanne – de Pôle Sud à Alliance Sud InfoDoc – avec le géographe et écrivain vaudois Pierre Corajoud. Nous partageons l’idée que « l’évasion est souvent au coin de la rue ». Le programme d’animation mis en place depuis trois ans accompagne et met en valeur le travail et les services développés par les documentalistes pour le public.

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Conférence « Un tourisme durable pour tous, est-ce possible ? » et vernissage de l’exposition « Touriste, je t’aime … moi non plus » : www.alliancesud.ch/fr/infodoc/programme Collectif Autrement ça va ? : www.autrementcava.ch

Av. de Cour 1, 1007 Lausanne Horaires d’ouverture : Lu – Ve 8 h 30 – 12 h, 13 h 30 – 17 h 30 www.alliancesud.ch, documentation@alliancesud.ch


Le défi de la politique ­intérieure mondiale Mark Herkenrath  De

nombreux médias estiment

que la politique extérieure se limite à la

­politique européenne. Il est bon de rappeler

que le nouveau ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis est également responsable

de la politique de développement. À cet égard, des défis majeurs l’attendent.

Le Conseiller fédéral nouvellement élu Ignazio Cassis est notre nouveau ministre des affaires étrangères. Dans les semaines précédant l’élection partielle, les médias ont débattu et écrit sur à peu près tout, sauf sur la future orientation de la coopération au développement de la Suisse. On ne connaît guère la position de Cassis sur ce thème. Le politicien radical tessinois n’a pas répondu à une lettre ouverte d’Alliance sud contenant plusieurs questions. La coopération au développement se trouve toutefois face à des choix stratégiques majeurs. Le développement, ce n’est pas gratuit Le nouveau ministre des affaires étrangères aura à peine le temps de définir sa propre vision du rôle de la Suisse dans un monde instable, étant donné qu’il devra, sur-le-champ, s’engager avec vigueur pour défendre le budget de son département. Les forces au Parlement et au gouvernement qui se définissent comme « hardliners » en matière budgétaire souhaitent dépenser plus pour la défense et l’agriculture, mais proposent que, dans le domaine de la coopération internationale de la Suisse – qui ne dispose notoirement que de peu de lobby au Parlement –, on économise de manière permanente et drastique. Si Ignazio Cassis prend au sérieux le mandat constitutionnel de la Confédération dans le domaine de la coopération internationale ( Art. 54 Cst. ) – soulager les populations dans le besoin et lutter contre la pauvreté –, alors devra-t-il se battre dès le premier jour contre les revendications politiques qui demandent que la coopération internationale finance également la protection internationale du climat, la promotion des relations diplomatiques commerciales avec la Chine et qu’elle endigue la crise mondiale des réfugiés. Cohérence politique pour le développement durable Il est également important que notre nouveau ministre des ­affaires étrangères s’engage en faveur d’une politique suisse cohérente dans le sens du développement durable. Son prédécesseur ne l’avait que partiellement compris. Il a été largement démontré que le développement des pays pauvres est rendu beaucoup plus difficile lorsque des entreprises multinationales y violent les droits de l’homme, nuisent à l’environnement et transfèrent leurs bénéfices vers des paradis fiscaux comme la Suisse. De même, des accords

commerciaux et de protection des investissements iniques, qui accordent plus de poids aux intérêts économiques qu’aux droits de l’homme, à l’environnement et à la protection du climat, nuisent au développement durable, au Sud comme au Nord. Cassis devra se battre pour que, dans l’ensemble du Conseil fédéral, chaque domaine politique de la Suisse – particulièrement la politique économique extérieure et celle de la place financière – soit analysé en termes d’implications pour le développement durable global. Cette exigence est également posée par l’Agenda 2030, adopté à l’ONU il y a deux ans, au travers de ses 17 objectifs de développement durable ( ODD ). La diplomatie suisse s’est fortement impliquée dans le développement de cet agenda. La Suisse devra, à cet égard, présenter les progrès effectués dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030, à la mi-2018. À ce jour, les progrès de la Confédération restent plutôt maigres. Cela peut et doit être changé par Cassis. Intégration du secteur privé : prudence ! Il y a en outre lieu de prendre quelques précautions dans les cas où l’Agenda 2030 promeut les partenariats public-privés pour le développement durable. Des joint-ventures entre entités publiques et grandes entreprises privées peuvent faire sens dans les cas où une privatisation des biens publics, tels la formation, la santé ou l’approvisionnement en eau n’est pas appropriée. Ces partenariats ne sauraient par contre remplacer une coopération au développement qui ne vise pas à dégager des profits et qui, souvent, repose sur un renforcement de l’influence politique des groupes défavorisés de la population. Il y a également lieu de mettre en doute l’affirmation selon laquelle la tendance internationale visant à détourner les fonds publics alloués au développement pour réduire les risques des investisseurs privés est propice au développement. Cette tendance présente en effet des dangers qui n’ont pas été suffisamment analysés et qui mériterait, dès lors, des lignes directrices claires. Buon lavoro, Signor Cassis!

Visions locales : il y a trois ans, Ignazio Cassis a accompagné l’organisation de développement FAIRMED au Cameroun. Jusqu’à son élection au Conseil fédéral, il était membre du conseil de fondation de FAIRMED.

Photo : © FAIRMED

Changement à la tête du DFAE

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Photo : © G oran Basic

Regards suisses sur le Sud. La photo montre des jeunes burkinabés protestant au Rond-point des Nations Unies, au centre de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. En janvier 2014, des ­dizaines de milliers de jeunes et d’étudiants sont descendus dans la rue pour ­protester contre le Président de l’époque Blaise Compaoré, qui avait accédé au ­pouvoir en 1987 par un putsch militaire contre le « Che Guevara africain » Thomas Sankara et qui, après 27 ans de fonction, s’accrochait au pouvoir. D’autres manifestations massives ont mené à la « 2e révolution burkinabé » et forcé Compaoré à s’exiler.

Faits et chiffres sur les pertes et ­dom­mages dus aux catastrophes naturelles Sources : Banque mondiale, MunichRe

Goran Basic, né en 1983, travaille depuis 2014 comme ­photographe de presse à la NZZ. Après sa formation de polygraphe, il a étudié la photographie et l’art à Zurich et Marseille et a ­travaillé comme photographe indé­ pendant. Il s’intéresse entre autres au développement ­socio-politique et culturel, en particulier dans les Balkans et en Afrique. www.goranbasic.ch

26  millions

520 milliards USD

3  pour cent

de personnes tombent chaque année dans ­l’extrême pauvreté à cause de catastrophes ­naturelles.

de pertes et dommages annuels dus aux c­ atastrophes naturelles.

des dommages liés aux catastrophes naturelles ont été couverts par des assu­ rances ces dernières 36 années dans les pays pauvres.

GLOBAL +   1, Avenue de Cour  |   1007 Lausanne  |   Téléphone + 41 21 612 00 86 E-Mail : globalplus@alliancesud.ch  |   www.facebook.com/alliancesud

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