NUMERO 50 | HIVER 2013
Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch
Où voulons-nous aller ? 2014 : gros défis en perspective
Post-2015 : pistes de financement douteuses
Climat : la Suisse peut davantage
News DDC : partenariats douteux ? Dans son message 2013-16, la Direction pour le développement et la coopération (DDC) promet d’intensifier sa coopération avec le secteur privé à travers des partenariats public-privé de développement (PPPD). Au plan international, tous les pays occidentaux veulent investir des fonds du développement dans de tels partenariats, bien qu’ils soient très controversés. C’est pourquoi Alliance Sud a exhorté la DDC à établir de nouvelles lignes directrices et à évaluer les partenariats réalisés jusqu’ici. La DDC a fait procéder à un examen externe, mais n’était guère contente des résultats. Selon nos informations, le rapport était plus critique qu’espéré. Il aurait provoqué d’intenses discussions internes sur l’efficacité des PPPD en matière de développement. Après trois mois de débat, l’étude sera enfin publiée début décembre sur le site de la DDC, accompagnée d’un rapport explicatif de la direction. Espérons qu’au terme de cette longue valse-hésitation, il restera encore des faits « non embellis ». ns
PPPD allemand sous la critique Des ONG allemandes exigent du Ministère fédéral pour la coopération économique (BMZ) de mettre un terme à son German Food
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Impressum GLOBAL+ paraît quatre fois par an. Editeur: Alliance Sud Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper Monbijoustr. 31, Postfach 6735, 3001 Berne, Tel. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31 E-Mail: globalplus@alliancesud.ch Internet: www.alliancesud.ch Rédaction: Michel Egger (me), Isolda Agazzi (ia), Tel. 021 612 00 95 Concept graphique: Clerici Partner AG Iconographie: Nicole Aeby Mise en page: Frédéric Russbach Impression: s+z: gutzumdruck, Brig. Tirage: 1500 ex. Prix au numéro: Fr. 7.50 Abonnement annuel: Fr. 30.– Abonnement de soutien: min. Fr. 50.– Prix publicité / encartage: sur demande Photos: couverture: Meinrad Schade ; dernière page : Denis Kormann. Prochain numéro: mars 2014.
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Partnership (GFP). Au lieu de réduire la pauvreté et la faim, ce partenariat servirait à mettre « la politique de développement au service des firmes allemandes ». Il soumettrait les petits paysans aux intérêts économiques des multinationales de l’agro-industrie. Selon les critiques des ONG, les solutions proposées n’ont bénéficié qu’à une poignée de petites entreprises agricoles mieux loties. Au lieu de promouvoir les variétés locales et la biodiversité, elles encouragent les cultures commerciales pour l’exportation. De plus, les personnes concernées sont insuffisamment intégrées dans la planification. Le GFP est un partenariat public-privé de développement avec BASF, Bayer, Syngenta et d’autres. Son objectif est notamment d’accroître la création de valeur ajoutée de la production agricole dans les pays émergents et en développement. France : loi sur le devoir de vigilance Deux députés socialistes de l’Hexagone ont déposé le 7 novembre une proposition de loi sur le devoir de vigilance des grandes entreprises françaises vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants à l’étranger. Sont concernées les sociétés de plus de 500 salariés ou de plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le texte prévoit l’inscription dans me
le Code du commerce d’une obligation légale de prévention des dommages sanitaires, sociaux, environnementaux et liés aux droits humains. S’il est adopté, il créera une responsabilité civile et pénale – assortie de sanctions – pour les maisons mères établies en France, sauf si elles apportent la preuve qu’elles ont mis en place les mesures de diligence requises. Concoctée depuis plus d’un an avec des ONG spécialisées comme Sherpa, cette démarche se veut un juste milieu entre le « tout volontaire » et le « trop coercitif ». Nouvelle direction pour STEP STEP, le label créé en 1995 pour des tapis produits de manière équitable, passe en de nouvelles mains. Membres fondateurs de STEP, Pain pour le prochain et Action de Carême prennent la direction de la nouvelle association « Label STEP – pour des tapis équitables ». La fondation Max Havelaar, qui était jusqu’ici responsable de STEP, entend se concentrer sur le secteur de l’agriculture. Dès 2014, l’association STEP continuera à effectuer le contrôle des conditions de travail dans l’industrie du tapis selon les mêmes standards. Tous les engagements envers les preneurs de licence et les partenaires de projets seront maintenus. dh
Alliance Sud en un clin d’œil Président Hugo Fasel, directeur de Caritas. Direction Peter Niggli (directeur), Kathrin Spichiger, Rosa Amelia Fierro, case postale 6735, 3001 Berne, Tél. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31, E-mail: mail@alliancesud.ch www.facebook.com/alliancesud https://twitter.com/AllianceSud Politique de développement
– Relations publiques Daniel Hitzig, Tél. 031 390 93 34, daniel.hitzig@alliancesud.ch – Développement durable / Climat Nicole Werner, Tél. 031 390 93 32, nicole.werner@alliancesud.ch Documentation Berne Jris Bertschi/Emanuela Tognola/ Renate Zimmermann, Tél. 031 390 93 37, dokumentation@alliancesud.ch
– Coopération au développement Nina Schneider, Tél. 031 390 93 40, nina.schneider@alliancesud.ch
Bureau de Lausanne Michel Egger/ Isolda Agazzi/Frédéric Russbach, Tél. 021 612 00 95/ Fax 021 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch
– Commerce / OMC Michel Egger/Isolda Agazzi, Tél. 021 612 00 95, lausanne@alliancesud.ch
Documentation Lausanne Pierre Flatt / Amélie Vallotton Preisig / Nicolas Bugnon, Tél. 021 612 00 86, doc@alliancesud.ch
– Finance internationale /Fiscalité Mark Herkenrath, Tél. 031 390 93 35, mark.herkenrath@alliancesud.ch
Bureau de Lugano Silvia Carton / Lavinia Sommaruga Tél. 091 967 33 66/Fax 091 966 02 46, lugano@alliancesud.ch
Daniel Rihs
Remous au DFAE : « réforme » sans stratégie
Points forts 5
Agenda post-2015 Maigre contenu, bel emballage
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Regard prospectif sur la Suisse Nuages noirs à l’horizon
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Chaînes de valeur mondiales Une arme à double tranchant
La Direction pour le développement et la coopération (DDC) cet automne : exode de la direction, insécurité du personnel, communication confuse. Petite explication en trois points. Premièrement, la réorganisation de la DDC, obtenue en 2008 par Micheline Calmy-Rey. Elle a conduit à des améliorations internes. Un point cependant est resté controversé : le transfert des services du personnel, des finances et de la communication à la Direction des ressources (DR). Des évaluations externes ont constaté cette année qu’il n’en avait résulté quasi pas d’économies, mais que la direction de la DDC avait été dépouillée de ses instruments centraux de gestion. Deuxièmement, l’introduction précipitée sous Didier Burkhalter du « nouveau modèle de gestion de l’administration fédérale ». Dès le 1er janvier 2014, le Département des affaires étrangères (DFAE) devra fonctionner comme un seul office fédéral, avec une seule comptabilité et neuf groupes de prestations gérés selon des mandats et des budgets globaux. Burkhalter a rejeté les oppositions de la direction de la DDC en janvier 2013. Il n’existe pas de stratégie pour ces changements à large spectre. Selon le secrétaire général Benno Bättig, un choix intentionnel, afin que la « réforme » ne butte pas sur une résistance interne. Troisièmement, l’établissement de 50 ambassades intégrées. A cette fin, les bureaux de coordination (BuCo) de la DDC seront fondus dans les ambassades ou – là où n’existent que des BuCo – transformés en ambassades. Selon Burkhalter, les ambassades intégrées « ne disposeraient plus à l’avenir que d’un seul budget et d’une seule structure, que ce soit pour les activités diplomatiques, la promotion des relations économiques ou la coopération au développement ». Il en découle plusieurs points problématiques. Ainsi, les responsables des BuCo sont sous les ordres à la fois de l’ambassadeur et de la tête du service compétent de la DDC. Ensuite, la DDC cofinance les ambassades intégrées, alors que la clé de financement est fixée par la DR. Enfin, les ambassadeurs doivent défendre les intérêts de la Suisse, alors que la DDC doit se caler sur les plans de développement de ses partenaires. Ces processus m’inspirent plusieurs remarques. La DDC ne peut accomplir son mandat défini par la loi sur le développement et les crédits-cadres – en l’occurrence la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement – qu’en tant office fédéral indépendant. Cette indépendance est particulièrement importante dans les conflits d’objectifs de politique de développement entre les politiques extérieures des différents départements, où la DDC doit pouvoir défendre les intérêts des pays en développement. La direction de la DDC doit disposer des instruments de gestion nécessaires. Une entreprise avec un budget de deux milliards a besoin de compétences propres en matière financière, de personnel et de communication. La nouvelle tête de la DDC devrait exiger cela, plutôt que de se laisser utiliser comme « liquidateur » de la DDC. La volonté de renforcer sur place la fonction coordinatrice des ambassades pour toutes les politiques extérieures de la Confédération est à saluer. Les problèmes cependant sont la confusion des compétences et le financement à partir du budget du développement. Le cahier des charges des responsables des ambassades intégrées devrait établir la primauté de la politique de développement. Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud
Futur sommet spécial sur le climat 10 Politique suisse trop frileuse
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Feuille de route pour un agenda post-2015
Un bel emballage pour un maigre contenu Nina Schneider
Les jalons pour un agenda futur du développement ont été posés lors de
l’assemblée générale de l’ONU en automne. L’horaire a été présenté ainsi que des premiers éléments sur la destination du voyage global après 2015. Le train vers une durabilité authentique risque cependant un déraillement précoce. Le cœur de l’agenda post-2015 est de lier la durabilité à la lutte contre la pauvreté et la faim dans un accord-cadre unique et contraignant pour tous les Etats. En comparaison avec les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les Objectifs de développement durable (ODD) vont aussi intégrer la paix et la sécurité, la participation démocratique, l’Etat de droit, l’égalité et les droits de l’homme. Sur la question des principes également, comme par exemple la « responsabilité commune, mais différenciée », le consensus de l’ONU rejoint les exigences de la société civile internationale. Jusque-là donc, rien à dire. Le « mais » arrive cependant très vite. Car on cherche en vain des propositions concrètes pour la résolution des crises globales. Il manque la nécessaire transformation des relations financières, commerciales et économiques en faveur des pays pauvres et d’une réduction des inégalités flagrantes. Après quatre rapports de l’ONU, deux ans de conseil et des centaines de consultations avec l’économie, la science et la société civile, seules quelques pistes grossièrement esquissées existent pour
Deux groupes de travail L’ONU a planifié les consultations sur les nouveaux objectifs de développement jusqu’à la fin de l’été 2014. Deux instances vont se réunir, issues du processus Rio+20. D’une part, le Groupe de travail ouvert sur les objectifs de développement durable (OWG), composé de 30 représentant-e-s de gouvernement. Son mandat est d’élaborer un ensemble d’objectifs futurs ainsi que de définir de meilleures conditions financières et de politique économique pour un développement durable. De nombreux pays se partagent un siège, à l’instar de la Suisse avec la France et l’Allemagne.
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D’autre part, le Comité d’experts sur le financement du développement durable (ICE). Il regroupe trente spécialistes réputés en matière de finance, de développement et d’environnement, qui représentent les cinq groupes régionaux de l’ONU chargés de garantir le financement des ODD. L’ICE a pour tâche, en collaboration avec des institu-
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mettre en œuvre les grands objectifs d’ordre moral et éthique. Cela témoigne d’un manque de volonté politique de prendre le taureau par les cornes et d’oser un réel changement. Douteuses pistes de financement Si un agenda du développement durable et global n’est pas bon marché, il coûte cependant moins cher que les crises financières ou les catastrophes climatiques que l’on n’a pas su prévenir. Il est donc décisif que le financement soit harmonisé avec les objectifs. Pour le moment, les pays riches essaient d’éviter des obligations financières sous le prétexte que leurs caisses sont « vides » après cinq ans de crise ou de stagnation économique. Cela ne les empêche pas, bien sûr, de dépenser des milliards pour leurs propres objectifs. Ils entendent trouver d’autres sources de financement. Trois pistes sont privilégiées. Primo, le secteur privé. Jusqu’ici, les multinationales et les banques ne sont pas apparues à l’avant-garde du développement ou d’une transformation écologique. La capacité des entreprises à jouer un rôle meilleur dépend des conditions poli-
tions financières régionales et internationales, d’évaluer les instruments de financement existants et de procéder à des analyses de besoins régionales et thématiques. Il a aussi pour mission d’élaborer des recommandations pour la régulation du commerce, de la finance et du désendettement ainsi que pour l’endiguement de l’évasion fiscale et de capitaux. La Suisse ici n’a pas de siège, alors qu’en matière de justice fiscale globale, elle pourrait contribuer à la régulation des flux financiers. Les réunions d’experts devaient se dérouler loin de l’opinion publique. Suite à une protestation internationale, les ONG ont obtenu finalement de pouvoir être entendues pendant une demi-journée aux cinq séances de l’ICE. Début septembre 2014, un comité de l’ONU va intégrer tous les rapports des processus post-OMD et ODD, les propositions nationales et les résultats des consultations dans un texte de négociation pour l’assemblée générale de l’ONU 2014. Ce document constituera la base des tractations gouvernementales jusqu’en 2015.
Photo: Meinrad Schade
Chantier à Dubaï où l’on trime jour et nuit. Les trois quarts des deux millions d’habitants de l’émirat sont des travailleurs du sous-continent indien. Pour échapper à leurs obligations financières, les pays industrialisés envisagent de considérer comme aide au développement l’argent que les immigrés renvoient dans leurs pays d’origine.
tiques valables pour tous. Or, les gouvernements occidentaux se défilent depuis des années sur cette question. Ils aimeraient en revanche pouvoir comptabiliser à l’avenir les investissements étrangers de leurs entreprises comme contribution à la répartition des charges internationales, voire leur procurer un meilleur accès au marché avec des aides étatiques, financées notamment par le budget du développement. Secundo, les pays en développement eux-mêmes. Ils doivent réformer leur système fiscal pour mobiliser davantage de ressources propres. Il n’y a rien à redire. Les pays en développement ont déjà bien amélioré les choses durant la décennie écoulée. Il manque cependant, comme par le passé, des mesures tangibles contre les sorties légales et illégales de capitaux hors des pays en développement – ces flux sont encouragés par le réseau des places financières occidentales offshore et les constructions comptables des multinationales pour échapper au fisc. Fonds des migrants plus élevés que l’aide Tertio, les fonds rapatriés. Les gouvernements du Nord veulent pouvoir considérer l’argent que les 232 millions de travailleurs et travailleuses émigrés renvoient dans leur pays d’origine, comme leur contribution au développement. Afin de faciliter ces flux d’argent, ils promettent depuis longtemps une diminution des coûts de transaction à 5 pour cent. La baisse, en réalité, n’a été que de 1 pour cent ces huit dernières années. Cela, alors même que de nombreuses banques au Sud ont introduit une nouvelle taxe de 5 pour cent sur les versements, laquelle s’ajoute aux coûts de transaction qui s’élèvent aujourd’hui en moyenne à 9 pour cent. En d’autres termes, sur 100 francs rapatriés, 14 francs sont prélevés qui réduisent d’autant la valeur monétaire des fonds rapatriés. Malgré tout, avec plus de 400 milliards de dollars par an, les migrant-e-s transfèrent quatre fois plus de fonds dans leurs pays pauvres d’origine que tous les donateurs de l’OCDE. Il s’agit le plus souvent de très petites portions de salaire imposées – rarement plus que 100 dollars par mois –, gagnées difficilement et pour lesquelles les gens se sont saignés. Au Sud, ces versements constituent un apport important pour l’appro-
visionnement de base. Ils permettent souvent d’aller pour la première fois à l’école ou chez le médecin. Ainsi, les migrant-e-s font en réalité plus pour la réduction de la pauvreté que bien des programmes de l’agenda des OMD. Telles sont les trois sources de financement des tâches globales, auxquelles les gouvernements occidentaux donnent la priorité. En fait, elles ne pourront pas financer l’agenda prévu du développement durable. Les pays du Nord cherchent seulement à vendre comme contribution propre des transferts financiers déjà existants. Ils feraient mieux d’avancer avec les instruments innovants pour le financement, qui sont déjà en discussion depuis longtemps. Des pistes intéressantes existent, comme l’impôt sur les transactions financières ou la taxe sur l’usage des ressources.
pour en savoir plus... Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement - http://goo.gl/hm4Vl1 « Quel financement du développement dans l’agenda post-2015 ? », Jean-Michel Sévérino, ID4D, 4 septembre 2013 - http://goo.gl/RAiQGB « Taxe Chirac » sur les billets d’avion : elle augmente mais reste contestée », Rue89, 31 juillet 2013 - http://goo.gl/ZLwBbi « Aides liées, secteur privé et développement », Romain Gelin, Gresea, 31 décembre 2012 - http://www.gresea.be/spip. php?article1093 « Comment financer le développement après la crise économique et financière », Bruno Gurtner, Revue internationale de politique de développement, mai 2011 - http://poldev.revues. org/709 Dossier « Financement du développement », DDC, Un seul monde, no 4, décembre 2008, pp. 7-15 - http://goo.gl/pHEddv
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Regard prospectif sur la politique économique
Nuages noirs à l’horizon Peter Niggli
Rentrées fiscales en baisse menaçant l’aide au développement, initiatives populistes
contre l’immigration mettant en péril les relations avec l’Union européenne, accouchement laborieux d’accords internationaux sur le climat et le développement durable… N’en jetez plus ! Des années difficiles attendent la Suisse en matière de politique de développement. Pas vraiment de quoi se réjouir ! Le menu de politique de développement pour les années à venir est pour le moins costaud. Sur tous les plans, intérieur et extérieur. Sans des efforts accrus de la Suisse et de la communauté internationale, les morceaux annoncés seront difficiles à digérer.
Photo: Simon Tanner
Recettes fiscales en diminution Le premier défi à relever concerne la politique fiscale. Le Département fédéral des finances compte pour les prochaines années avec des recettes en diminution de « plusieurs » milliards de francs – le résultat de projets de baisse des impôts, en particulier de la réforme de l’imposition des entreprises III. Alors que l’Union européenne ne veut plus accepter les régimes fiscaux particuliers grâce auxquels les cantons ont attiré les maisons mères des multinationales étrangères, on discute maintenant d’une réduction générale de l’imposition des sociétés. Du coup, étant donné d’autres allègements fiscaux prévus, la Confédération, les cantons et les communes devraient faire face à des chutes massives de recettes, tout en devant assumer les charges d’un budget militaire accru et des nouveaux avions de chasse. Les partisans d’un Etat « aminci » considèrent évidemment cette évolution comme une chance. Le président de la Commission des finances du Conseil national Pirmin Schwander (UDC)
Si elle n’arrive pas à relever les gros défis qui l’attendent comme la politique fiscale et l’immigration, la petite Suisse propre en ordre et bien protégée pourrait être secouée par de méchantes tempêtes économiques et sociales.
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demande des économies dans les services sociaux, l’éducation, les transports publics et éventuellement l’agriculture, au cas où « d’autres partis bourgeois procéderaient à des coupes affectant leur clientèle – comme dans l’aide au développement ou l’éducation » (NZZ, 9 octobre 2013). Le concerto à cordes de la politique fiscale va cependant se heurter à une forte résistance. Décidée seulement en 2012, l’augmentation de l’aide au développement à 0,5 pour cent du revenu national brut est la plus menacée par les coupes à venir. Quand on exige d’eux des sacrifices sociaux, les citoyennes et citoyens sont moins disposés à la solidarité internationale. Lutte contre l’immigration et relations avec l’Europe Le deuxième défi touche la politique extérieure. La Suisse va décider en 2014-15 sur deux initiatives qui touchent fortement sa position en Europe et donc dans le monde. Les initiatives contre l’immigration de masse et Ecopop pourraient, si elles étaient acceptées, conduire à l’annulation des contrats bilatéraux avec l’Union européenne. Combiné avec le programme d’austérité prévu en matière de politique fiscale, ce scénario entraînerait la Suisse dans la crise économique dont elle a été épargnée jusqu’ici. Les chances de succès des deux initiatives ne sont pas mauvaises. Elles seront encore renforcées par l’état pitoyable
de la zone euro. Les promoteurs d’une politique risquée envers l’Union européenne réaniment les idées fantaisistes anciennes que Christoph Blocher avait avancées déjà en 1989 : la Suisse pourrait se libérer de sa dépendance envers l’Union européenne grâce à des relations économiques particulièrement intenses avec des puissances lointaines (Etats-Unis, Chine, etc.), auxquelles la Suisse pourrait du même coup servir de tremplin pour l’accès à l’Union européenne. De fait, si la Suisse entend vraiment jouer ce rôle, elle ne devrait pas mettre en péril ses accords bilatéraux. Les initiants vont malheureusement profiter de deux démarches du conseiller fédéral Didier Burkhalter : la négociation d’un accord-cadre qu’il entend mener rapidement avec l’Union européenne et le choix de la Cour de justice européenne pour l’interprétation des accords bilatéraux avec la Suisse – ce même tribunal a depuis des années fait sauter les droits des travailleurs en faveur de la « libre » circulation des forces de travail sur le marché intérieur. Le mélange de ces processus et des initiatives contre l’immigration constituent un cocktail qui pose déjà, au milieu de la législature en cours, les bases de la bataille électorale de 2015. L’UDC se réjouit d’un remake de 1992 (votation sur l’Espace économique européen), alors que les autres partis ne disent pas comment ils entendent ou peuvent éviter cela. Accord sur le climat et objectifs post-2015 Le troisième défi relève de la politique intérieure mondiale. Ces deux prochaines années, les gouvernements espèrent trouver des solutions aux problèmes sur lesquels ils n’ont pas su s’accorder durant la dernière décennie. Un accord international contraignant sur le climat devrait être prêt en 2015. La même année, un agenda de développement durable ambitieux devrait être adopté, avec des objectifs concrets pour tous les Etats. Le premier accord devrait tenir à cœur à tous ceux qui ont des enfants et petits-enfants. Ceux-ci devraient faire la dure expérience des changements climatiques devenus incontrôlables, aussi dans la riche Suisse. Le deuxième accord est crucial pour réduire les inégalités flagrantes ainsi que pour éviter des conflits internes et externes durs autour des ressources naturelles limitées. La difficulté est que les deux accords exigent une répartition internationale équitable des charges, les pays riches devant donner un coup de main aux pays pauvres. A cela s’opposent les problèmes économiques mondiaux non résolus. L’Europe, avant tout la zone euro, ainsi que les Etats-Unis ne présentent pas véritablement d’amélioration économique et sociale. Les banques centrales luttent contre les tendances déflationnistes avec des taux d’intérêt bas et en créant massivement de la monnaie. Elles préparent ainsi les éventuelles prochaines bulles spéculatives. En même temps, le chômage s’envole à des niveaux record, les entreprises accumulent les bénéfices et rechignent à investir dans l’économie réelle. Selon une prise de position récente de l’organisation de développement britannique Oxfam, la politique d’austérité actuelle conduirait l’Europe à la situation que l’Afrique et l’Amérique latine ont connue dans les années 1980 et 1990 avec la même politique : une pauvreté croissante alliée à une économie stagnante.
Manque de régulation globale Contrairement à ce que beaucoup espéraient, les pays émergents et en développement n’ont pas pu se découpler de l’évolution conjoncturelle des pays industrialisés. Certes, ils ont été nettement moins affectés par la dépression depuis 2008 que par les autres récessions globales. Cette année cependant, la conjoncture s’est effondrée dans d’importants pays émergents comme l’Inde et le Brésil. Motif : la faible demande, depuis des années, des pays industrialisés en crise se répercute négativement sur les exportations des pays émergents. Parallèlement, les pays pauvres doivent faire face à un recul de la demande de matières premières de la Chine et de l’Inde. Le changement de cours prévu de la politique économique chinoise – plus de demande intérieure et moins d’exportations ; plus de consommation et moins d’investissements – devrait accentuer cette tendance. La tentative du G20 d’éviter une dépression durable par une action internationale coordonnée, s’est engourdie depuis 2010. Le projet de Green New Deal proposé à l’époque, a été enterré. Quant aux nouvelles régulations économiques globales dans les domaines du commerce et des mouvements de capitaux transfrontaliers, elles avancent au millimètre, pour autant qu’elles existent. Du coup, ces thèmes ne figurent pas dans la préparation de l’agenda pour un développement durable. Tant que les pays soumettront leur politique économique au principe du « chacun se sauve comme il peut », la collaboration internationale dans les autres domaines reposera sur des pieds d’argile.
pour en savoir plus... La démographie, Alliance Sud documentation, octobre 2013 (mise à jour) - http://goo.gl/OBdRnj Ecopop : le retour de Malthus ?, Alliance Sud documentation, octobre 2013 (mise à jour) - http://goo.gl/70FzU4 Les migrations, Alliance Sud documentation, septembre 2013 - http://goo.gl/2C2MMr « Démographie et migration », Terra cognita, no 23, automne 2013 - http://goo.gl/bhVmhL Migration et démographie : éléments essentiels de gestion des migrations à l’attention des décideurs et des praticiens, (ppt, 175 Ko), Organisation internationale pour les migrations http://goo.gl/D2xZTx Démographie et environnement, INED - http://goo.gl/I4VHc « L’environnement est-il menacé par la démographie ou le consumérisme ? », George Monbiot, ContreInfo.info, 5 février 2008 - http://goo.gl/cihHBC A l’avenue de Cour 1 : 10 ans d’archives de presse librement consultables.
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Chaînes de valeur mondiales
Une arme à double tranchant pour les pays pauvres Isolda Agazzi
Aujourd’hui, aucun produit n’est fabriqué de A à Z dans un seul pays. Ses composantes
proviennent des quatre coins de la planète. Une étude cofinancée par Alliance Sud montre comment aider les pays les moins avancés à s’insérer et progresser dans ces chaînes globales de production.
« Made in the world ». C’est par ce slogan que Pascal Lamy, l’exdirecteur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a attiré l’attention sur le fait que les composantes de la plupart des produits sont désormais fabriquées dans des pays différents. Comme les biens manufacturés franchissent les frontières un nombre incalculable de fois, les étiquettes « made in China » ou « made in Bangladesh » sont trompeuses : elles ne désignent plus que le dernier stade de fabrication – souvent l’assemblage. Au point que les intrants intermédiaires représentent plus de deux tiers des échanges de marchandises et 70 pour cent des échanges de services à l’échelle mondiale. Quelle que soit notre opinion sur ces chaînes de valeur mondiales (CVG), qui contribuent fortement au réchauffement de la planète, elles sont devenues inéluctables. La question reste
cependant entière de savoir comment aider les pays pauvres à s’y insérer et à progresser vers des activités à plus forte valeur ajoutée. PMA globalement perdants Une étude mandatée par le Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD), Alliance Sud et l’Overseas Development Institute1 s’est penchée sur cette problématique. En commençant par la question fondamentale : ces CVG sont-elles bonnes ou mauvaises pour le développement des pays les moins avancés (PMA) ? La réponse est loin d’être univoque : pour certains auteurs, la fragmentation de la production a poussé les PMA tout en bas des chaînes globales de production, où ils sont relégués aux tâches les plus simples et le
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07.11.2013 17:02:21
Photo: Panos/Mikkel Ostergaard
Si l’industrie textile du Lesotho, grâce aux investisseurs sud-africains, a su profiter de son insertion dans les chaînes de valeur mondiales, il n’en va pas de même du Cambodge. A l’instar de cette usine de Pnom Penh, où plus de 2000 jeunes femmes travaillent jusqu’à l’épuisement pour Gap, le Cambodge est resté confiné dans des activités de coupe et de couture où il subit le joug des acheteurs.
moins bien rémunérées. Le haut de l’échelle, où se concentrent les activités de marketing et de commercialisation, est dominé par les multinationales et les investisseurs, en raison de la relation hiérarchique existant à l’intérieur de ces chaînes. Pour d’autres auteurs, au contraire, la fragmentation de la production crée de nouvelles opportunités pour les PMA, car elle leur permet de s’insérer dans des secteurs d’exportation modernes. Cela, en se spécialisant dans un nombre limité de tâches, sans devoir maîtriser les processus de production de A à Z. Au bout du compte, cependant, les PMA sont surtout perdants : leur production reste concentrée dans des secteurs à faible valeur ajoutée ; les produits de base dans lesquels ils se spécialisent sont achetés par un petit nombre d’acteurs, ce qui affaiblit leur pouvoir dans les chaînes de production ; leur capacité à répondre à de grandes demandes est limitée ; ils n’ont pas les bases logistiques pour attirer les investisseurs, ni la capacité de négocier des règles commerciales internationales à leur avantage ; finalement, le commerce et l’aide au développement sont souvent liés aux mêmes bailleurs, ce qui risque de pérenniser des relations commerciales inégales. Fleurs coupées et textiles Cela dit, certains exemples montrent toutefois que les PMA peuvent sortir gagnants de ces processus. En Ethiopie, à partir de la moitié des années 1990, la production de fleurs coupées a été entièrement mise sur pied par les investisseurs et la coopération internationale des Pays-Bas. Bien qu’entièrement dépendante d’un seul acteur, elle a fait de l’Ethiopie le deuxième exportateur non européen sur le marché de l’Union européenne, après le Kenya. Les bailleurs et le gouvernement ont surtout aidé à créer les capacités de production par la formation et favorisé l’adhésion à des normes de qualité. En matière de textiles, au Cambodge, les agences multilatérales ont concentré leurs efforts sur le respect des normes fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT). En visant ce secteur de niche, le pays a réussi à garder sa place dans les chaînes mondialisées de production, malgré la concurrence d’autres pays asiatiques. Cela n’a cependant pas suffi à lui permettre de passer à des activités à plus forte valeur ajoutée. Trop dépendant des investisseurs étrangers – essentiellement asiatiques – et manquant de relais locaux, le Cambodge reste coin-
cé dans des chaînes très hiérarchiques et largement dominées par les acheteurs, où il est relégué à des activités de coupe et de couture. Il en va autrement au Lesotho, où la différence est nette entre les investisseurs asiatiques (surtout taïwanais) et sudafricains. Les deux s’y sont installés pour bénéficier de l’accès préférentiel au marché américain, mais leur profil est différent. A l’inverse des Asiatiques, les Sud-Africains possèdent habituellement des usines uniquement au Lesotho. En plus des tâches habituelles de coupe et de couture, ils y installent aussi des activités de gestion à forte valeur ajoutée, pour échapper aux coûts plus élevés et à une législation sur le travail plus rigide en Afrique du Sud. Comme ils n’investissent pas dans plusieurs pays, ils ne peuvent pas délocaliser la production au premier durcissement de la législation au Lesotho. Tant que ce dernier ne diversifiera pas sa production, il restera très vulnérable à la concurrence de pays comme la Chine, le Vietnam, le Cambodge et le Bangladesh. Améliorer les conditions-cadres Le tourisme est un autre secteur d’excellence pour les PMA. En Tanzanie, environ 40 pour cent du paquet touristique vendu en Europe (y compris les vols) revient à l’économie locale pour le circuit du mont Kilimandjaro et 55 pour cent pour un safari dans le Nord. « Certes, on peut objecter que le pays ne gagne que la moitié de ce qui est vendu en Europe, mais en comparaison avec d’autres produits, comme le café, c’est substantiel : chaque dollar dépensé pour un package tour en Tanzanie génère trois fois plus de bénéfices pour le pays qu’un dollar dépensé pour un sac de café en Europe », font remarquer les auteurs de l’étude On le voit. Les chaînes de production mondialisées présentent un potentiel de développement pour les PMA. Pour qu’ils puissent en profiter, plusieurs mesures cependant sont nécessaires : améliorer les capacités de production par le savoirfaire et le transfert de technologie, renforcer la logistique et le transport, faciliter et harmoniser les procédures douanières. Dans tous ces domaines, l’aide technique et financière des pays industrialisés est requise. 1. Jodie Keane and Sheila Page, Global Value Chains and Aid for Trade in the Least Developed Countries, juillet 2013, 60 p.
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Sommet spécial sur le climat en vue
Politique suisse du climat trop frileuse Nicole Werner
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon va inviter les chefs d’Etat et de gouverne-
ment à un sommet extraordinaire sur le climat en automne 2014. Il attend jusque-là des objectifs plus ambitieux, à inscrire dans un nouvel accord sur le climat en 2015. La Suisse reste hésitante. Le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) l’a montré sans équivoque : la responsabilité humaine dans les changements climatiques est de mieux en mieux établie. Il nous incombe donc de prendre les mesures nécessaires pour que le réchauffement planétaire n’excède pas le niveau de dangerosité fatal de 2oC par rapport au début de l’ère industrielle. Concrètement, cela signifie que les émissions de gaz à effet de serre ne devront pas dépasser 750 milliards de tonnes d’équivalents CO2 de 2010 à 2050. Or, au rythme actuel, ce budget sera épuisé dans 30 ans. En même temps, une répartition équitable des quotas d’émissions de CO2 par habitant est incontournable, si l’on entend permettre aux pays les plus pauvres de se développer et diminuer quelque peu les inégalités au plan global. Loin du compte Pour satisfaire cette double exigence de limite et d’équité, la Suisse devra revoir sérieusement à la hausse ses objectifs climatiques. Elle devra réduire ses émissions d’au moins 60 pour cent jusqu’en 2030 par rapport à 1990. Or, elle s’agrippe actuellement au modeste objectif de réduction
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de 20 pour cent jusqu’en 2020 ! C’était sa position à la conférence de l’ONU sur le climat, qui s’est tenue en novembre à Varsovie. Elle la justifie avec l’argument – usé jusqu’à la corde – qu’elle s’aligne ainsi sur l’Union européenne (UE). Elle occulte cependant le fait que l’objectif européen est le fruit d’une répartition des charges au sein d’un ensemble de pays très disparate. Dans le cadre de l’UE, l’Allemagne et le Danemark se sont déjà engagés à réduire d’environ 30 pour cent leurs émissions de CO2, et même de 40 pour cent en tant qu’Etats individuels. A l’échelle européenne, la Suisse n’est donc de loin pas parmi les Etats les plus ambitieux. Attitude stérile La Suisse est également frileuse quant au financement des mesures climatiques dans les pays émergents et en développement. Lors des conférences de Copenhague (2009) et de Cancún (2010), les pays industrialisés leur ont promis en moyenne 10 milliards de dollars par an pour la période de 2010 à 2012. Dès 2020, la somme devrait s’élever à 100 milliards par an. Les versements devraient donc augmenter de 11,25 milliards par an dans les huit années à venir.
A Varsovie, la Suisse a campé sur sa position de seulement maintenir le niveau actuel des contributions. Elle lie d’éventuelles augmentations à des objectifs climatiques accrus des pays émergents. Elle adopte ainsi l’attitude stérile des pays industrialisés : « Nous ne faisons rien, à vous de jouer ! » Depuis vingt ans, ceux-ci abreuvent les pays en développement de promesses, dont ils lient après coup la réalisation à des exigences nouvelles. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la méfiance grandisse. Crédibilité en jeu Depuis le Sommet de la Terre de 1992 à Rio, les pays industrialisés promettent d’assumer davantage de responsabilité et d’offrir un soutien financier et technologique aux pays pauvres. Depuis lors, le monde a beaucoup changé. Les pays industrialisés ont délocalisé une grande partie de leurs émissions à l’étranger, notamment en Chine et dans d’autres pays asiatiques, où la maind’œuvre est bon marché et les normes environnementales moins sévères. Ils exigent maintenant des engagements des pays émergents, mais sans avoir honoré les leurs. S‘ils veulent que les pays émergents adoptent des objectifs climatiques contraignants, ils doivent également accroître leurs contributions financières. Les Etats continuent donc à se refiler la patate chaude et les changements climatiques s’aggravent de plus belle. A la grande joie de tous ceux qui profitent de l’exploitation et du commerce des énergies fossiles. En Septembre 2014, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon va inviter les chefs d’Etat à New York pour un sommet spécial sur le climat. L’espoir est que tous les Etats adoptent des objectifs climatiques à la mesure des enjeux. Si la Suisse n’augmente pas d’ici là ses ambitions, plus personne ne prendra au sérieux l’image progressiste qu’elle essaie de se donner.
Entreprises et droits humains
Les mesures concrètes se font attendre Michel Egger
Elaborés par John Ruggie, les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme doivent maintenant être mis en œuvre par les Etats. L’accouchement est lent et laborieux. Les Principes directeurs établissent l’obligation des États de protéger lorsque des entreprises violent les droits humains. Suite à leur adoption par le Conseil des droits de l’homme en juin 2011, l’Union européenne avait annoncé pour fin 2012 un rapport sur ses priorités concernant leur application. Rien cependant ne se profile à l’horizon. Les Pays-Bas et l’Espagne devraient publier leur plan d’action fin 2013. Des consultations nationales sont en cours en France, au Danemark, en Suède et en Norvège. Le seul pays à avoir produit un plan d’action est la Grande-Bretagne. Publié début septembre, il a été accueilli fraîchement par les ONG. Il contient certes plusieurs éléments positifs comme l’intégration dans les accords d’investis-
sement de la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains, l’attente que les sociétés informent des risques et impacts de leurs activités, l’ouverture au principe de l’extraterritorialité dans certaines circonstances. Globalement, cependant, il ne va pas au-delà de l’autorégulation volontaire des firmes. Il reste vague, ne contient ni calendrier ni engagement concret. Surtout, il ne dit rien de l’accès aux voies de recours pour les victimes. Une révision est prévue en 2015. En décembre 2012, le Conseil national a mandaté le Conseil fédéral d’élaborer une stratégie Ruggie pour la Suisse. Le gouvernement est en train d’inventorier les instruments déjà existants pour une mise en œuvre des Principes direc-
teurs. Un consultant a été engagé pour mener des entretiens avec le secteur privé et les ONG. Les organisations de la société civile attendent de l’administration fédérale qu’elle procède également à une analyse des manques, ce qui n’est pas prévu pour l’instant. Une telle analyse figure parmi les douze recommandations de Swisspeace pour garantir des processus stratégiques « efficients et légitimes »1. Seule une vision claire des lacunes permettra en effet de formuler des propositions conduisant à des améliorations concrètes en matière d’entreprises et de droits humains. 1. Andreas Graf, Developing National Action Plans on Business and Human Rights, Essential 04/2013, www.swisspeace.ch
Les bons tuyaux de la doc Mais où sont les toilettes ? Cela peut paraître anecdotique et prêter à sourire, en particulier lorsque l’initiative de la « Journée mondiale des toilettes » (19 novembre) provient de Singapour, l’un des pays les plus « hygiénistes » de la planète. Et pourtant, l’enjeu est capital pour le développement et pour la vie de milliards de personnes. L’absence d’installations sanitaires de base concerne 2,5 milliards de personnes. Les conséquences de ce manque sont extrêmement graves : l’Unicef a estimé en 2008 que les maladies liées à l’eau contaminée sont responsables de plus de 1,8 million de morts, dont 90% d’enfants de moins de cinq ans. Outre l’aspect sanitaire, l’absence de toilettes a également des conséquences économiques qui sont une charge de plus pour les pays en développement. En effet, la Banque mondiale, dans un rapport publié en 2012, calculait que le temps consa-
cré à trouver le meilleur endroit et le meilleur moment pour faire ses besoins a un coût énorme. La difficulté d’appliquer les règles de base de l’hygiène au sein des populations les plus pauvres de la planète se paie donc au prix fort : forte désaffection scolaire chez les jeunes filles pubères, choléra et maladies diarrhéiques, sentiment d’indignité et pertes économiques. Tous ces maux n’ont rien de fatal et pourraient être évités. La Journée mondiale des toilettes poursuit cet objectif, en brisant le tabou qui règne autour de cette problématique et en encourageant la communauté internationale à prendre la mesure de cette question cruciale. Il s’agit d’obtenir des bailleurs de fonds qu’ils investissent sans tarder dans des projets d’assainissement, de responsabiliser les gouvernements concernés et, finalement, d’offrir aux populations une éducation à l’hygiène de base.
Les tuyaux
• Unicef, Eau, assainissement et hygiène - http://goo.gl/O33csI • PNUD, L’ampleur du déficit en assainissement - http://goo.gl/vGKVzX • Radio Okapi, Kinshasa : le manque de toilettes favorise le choléra au quartier Pakadjuma - http://goo.gl/ vdrtvU
• Youphil, Journée mondiale des toilettes : le manque de WC tue encore http://goo.gl/Lgs8fT • Alliance Sud documentation, Où sont les toilettes ? - http://goo.gl/Vy3ThZ Pour plus d’informations: Centre de documentation d’Alliance Sud Avenue de Cour 1, 1007 Lausanne, doc@alliancesud.ch ou 021 612 00 86 www.alliancesud.ch/documentation.
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414 milliards
Un tiers des fonds rapatriés dans les pays en développement sont gagnés en Inde et en Chine.
48 pour cent
Les 232 millions de migrant-e-s dans le monde envoient chaque année plus de 400 milliards de dollars dans les pays en développement.
Un tiers
Faits et chiffres Migration
Les fonds rapatriés représentent presque la moitié du revenu national du Tadjikistan. La contribution de l’aide publique au développement y est de 5,5 pour cent.
Leçon d’espérance
La part du colibri Une légende amérindienne raconte qu’un jour, un grand incendie éclata dans une forêt. Tous les animaux regardaient cette catastrophe avec effroi et impuissance. Tous, sauf un petit colibri qui, prenant son courage à deux ailes, commença à aller chercher de l’eau dans le fleuve voisin pour en jeter quelques gouttes sur les flammes. Un gros tatou observait ce manège avec agacement. Pour lui, ces allers-retours étaient simplement inutiles, pour ne pas dire ridicules et même absurdes. Au bout d’un moment, il s’écria : « Eh, colibri, ça va la tête ? Tu crois que tu vas pouvoir éteindre le feu avec tes petites gouttes d’eau ? » Et le colibri de répondre : « Bien sûr que non, mais moi, au moins, je fais ma part ! » Cette histoire est devenue le symbole de l’engagement de l’agroécologiste et écrivain français d’origine algérienne Pierre Rabhi. Le mouvement citoyen qu’il a inspiré a d’ailleurs pris le nom de Colibris. Une manière d’affirmer que chacun – là où il est, dans les conditions qui sont les siennes, avec ses limites et ses contraintes, mais aussi avec ses qualités et son potentiel – tient le fil d’un autre possible. Et en alliant ce fil avec d’autres, il peut contribuer à tisser la toile d’un altermonde, plus respectueux des êtres humains et de la nature. Les éditions Actes Sud Junior ont eu la riche idée de demander à l’illustrateur lausannois Denis Kormann de mettre en images La légende du colibri. Il en résulte un ouvrage enchanteur, complété par une postface de Pierre Rabhi et un CD avec des chansons de Zaz. « Rien ne dit qu’on ne peut rien changer parce qu’on est tout petit. » Michel Egger
Denis Kormann, La légende du colibri, éditions Actes Sud Junior/Colibris, 2013. Sources : ONU, Banque mondiale.
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