GLOBAL+ No. 63 | Printemps 2017

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NumÉro 63  |   PRINTEMPS 2017

Globalisation et politique Nord-Sud

Swissaid  |   Action de Carême  |   Pain pour le prochain  |   Helvetas  |   Caritas  |   Eper  |   www.alliancesud.ch

Mondialisation :  Faire machine arrière ? Agenda 2030 :  Ce que la Suisse doit faire

EAR : les pays   pauvres exclus

Entreprises et droits   humains : PAN sur la sellette


News Better Business, Better World lm. Une année après son lancement à Davos, la Business & Sustainable Development Commission, dirigée par Lord Mark Malloch-Brown et composée d’un imposant aréopage de CEOs, a publié en janvier 2017 son rapport « Better Business, Better World », dans lequel elle estime que les Objectifs de développement durable ( ODD ) offrent aux entreprises une « formidable » nouvelle stratégie de croissance qui permettrait de rétablir la confiance avec la société. Le rapport analyse comment la poursuite des ODD pourrait lever des billions en termes de nouvelles opportunités commerciales d’une manière permettant « d’élargir la prospérité à tous ». Il rappelle que les entreprises doivent démontrer qu’elles paient leurs impôts là où les revenus sont gagnés et que la « pleine » mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains « n’est pas négociable ». http://report.businesscommission.org Étude de l’OECD : politique publique, migration et développement dh. Il existe de nombreuses interactions entre politique publique, migration et développement. Bien que la migration contribue de manière significative au développement des pays d’origine et de destination, son po-

Agenda 2030 : le tourisme comme moyen, pas comme but en soi dh. Des organisations de la société civile et quelques petites agences de voyage demandent une profonde réorientation du tourisme, afin de permettre la mise en œuvre de l’ Agenda 2030 dans le domaine du tourisme durable. Au travers d’une minutieuse analyse publiée en ligne et d’une déclaration commune « Transforming Tourism », présentée à la foire internationale du tou-

risme ( ITB ) à Berlin, ces acteurs invitent à une réflexion et des actions concrètes. Une participation effective des touristes dans les pays de destination, l’accès à la sécurité sociale, des salaires décents, des modes de production et de consommation durables, ainsi que l’abandon de l’idolâtrie de la croissance font partie des « instruments de réglage » identifiés. www.transforming-tourism.org Californie : un autre comté interdit les semences génétiquement modifiées dh. Le comté californien de Sonoma, dans ­lequel se trouve la fameuse Napa Valley ­productrice de vins, une votation populaire a décidé d’interdire l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés ( OGM ). Il s’agit déjà du sixième comté californien qui va dans cette direction. L’interdiction des OGM à Sonoma est mise en œuvre immédiatement, les producteurs qui ont utilisés des semences transgéniques auront une phase de transition pour assurer leur conversion. En Suisse, où le moratoire sur l’usage d’OGM dans l’agriculture a été prolongé, 84 communes se sont déjà déclarées « libres d’OGM ». Les semences OGM exigent le recours aux pesticides qui dégradent les sols naturels. bit.ly/2lWnE4k et bit.ly/2m0FCTe

Impressum

Alliance Sud en un clin d’œil

GLOBAL + paraît quatre fois par an.

Présidente Caroline Morel, directrice de Swissaid

Editeur : Alliance Sud, Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper E-Mail : globalplus@alliancesud.ch Site Internet : www.alliancesud.ch Médias sociaux politique : www.facebook.com/alliancesud, www.twitter.com/AllianceSud Médias sociaux InfoDoc : www.facebook.com/AllianceSudDok, www.twitter.com/dok_alliancesud Rédaction : Laurent Matile ( l m ) , Tél. + 4 1 21 612 00 98 Iconographie : Nicole Aeby Graphisme : Clerici Partner AG, Zurich Impression : s+z : gutzumdruck, Brig Tirage : 1500 Prix au numéro : Fr. 7.50 Abonnement annuel : Fr. 30.– Abonnement de soutien : min. Fr. 50.– Prix publicité /  e ncartage : voir site internet Photo de couverture : Mur en construction dans l’état d’Arizona à la frontière États-Unis/Mexique. © Keystone/Laif/ Stefan Falke Le prochain numéro paraîtra début juin 2017.

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tentiel n’est pas encore bien utilisé par les pays partenaires objets d’une récente étude de l’OCDE. Un agenda politique cohérent pourrait contribuer à mieux intégrer la migration dans les stratégies de développement. L’étude de l’OCDE « Interrelations between Public Policies, Migration and Development » démontre comment la migration influence certains secteurs – tels le marché du travail, la formation, l’investissement, les services financiers, ainsi que la protection sociale et la santé – et quelle influence ces politiques sectorielles peuvent avoir sur la migration. L’Arménie, le Burkina Faso, le Cambodge, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, la république dominicaine, la Géorgie, Haïti, le Maroc et les Philippines sont les pays analysés dans cette étude. bit.ly/2kH7Eh3

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Direction Mark Herkenrath ( d irecteur  ) Kathrin Spichiger, Andrea Rotzetter Monbijoustr. 31, Case postale, 3001 Berne Tél. + 4 1 31 390 93 30 Fax + 4 1 31 390 93 31 E-Mail : mail@alliancesud.ch Politique de développement – Agenda 2030 Sara Frey, Tel. + 4 1 76 388 93 31 sara.frey@alliancesud.ch – C oopération au développement Eva Schmassmann, Tél. + 4 1 31 390 93 40 eva.schmassmann@alliancesud.ch – Politique financière et fiscale Dominik Gross, Tél. + 4 1 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch – Environnement et climat Jürg Staudenmann, Tél. + 4 1 31 390 93 32 juerg.staudenmann@alliancesud.ch – Commerce et investissements Isolda Agazzi, Tél. + 4 1 21 612 00 97 isolda.agazzi@alliancesud.ch

– Entreprises et droits humains Laurent Matile, Tél. + 4 1 21 612 00 98 laurent.matile@alliancesud.ch – Médias et communication Daniel Hitzig, Tél. + 4 1 31 390 93 34 daniel.hitzig@alliancesud.ch Bureau de Lausanne Isolda Agazzi / Laurent Matile /  Katia Vivas Tél. + 4 1 21 612 00 95 /  Fax + 4 1 21 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch Bureau de Lugano Lavinia Sommaruga Tél. + 4 1 91 967 33 66 /  Fax + 4 1 91 966 02 46 lugano@alliancesud.ch InfoDoc Berne Dagmar Aközel-Bussmann /  E manuela Tognola / Emanuel Zeiter Tél. + 4 1 31 390 93 37 dokumentation@alliancesud.ch Lausanne Pierre Flatt/Nicolas Bugnon/ Amélie Vallotton Preisig Tél. + 4 1 21 612 00 86, documentation@alliancesud.ch


Photo : © D aniel Rihs

La mondialisation de la responsabilité

Points forts La fin de la mondialisation ? Peu de raisons de se réjouir

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La loi chocolatière obsolète Replâtrage cosmétique

© ONU

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Agenda 2030 Les chantiers qui attendent la Suisse

Échange automatique de renseignements ( E AR ) 10 Bientôt avec la Chine et la Russie ? Entreprises et droits humains 12 Le mantra du volontaire

Les associations économiques suisses sont en pleine déprime. Elles ne voulaient à aucun prix l’initiative « contre l’immigration de masse », elles se sont par contre engagées avec d’autant plus d’énergie en faveur de la réforme de l’imposition des entreprises III ( RIE III ). Dans les deux cas, la volonté du peuple leur a été contraire. « Ce qui est bon pour l’économie est bon pour la Suisse. » La population ne croît plus à ce mantra. Ou, elle n’accorde plus sa confiance aux organisations économiques pour différencier ce qui est bon pour la Suisse et pour l’économie. Le rejet de la RIE III doit être salué d’un point de vue de la politique de développement. Cette réforme aurait créer de nouvelles failles fiscales et de nouvelles incitations pour les multinationales à transférer leurs bénéfices des pays en développement vers la Suisse. Mais cela n’a toutefois pas été la raison principale du rejet de la RIE III dans les urnes. L’échec du projet fiscal a une autre raison: la prétendue « réforme », sous le prétexte de la compétitivité internationale, visait avant tout à maintenir les privilèges fiscaux des entreprises multinationales. La majorité de la population en a assez d’une politique qui cherche, à tout prix, à favoriser les multinationales très mobiles. Les entreprises qui, de manière répétée, menacent de se délocaliser vers des destinations aux taux d’imposition plus favorables, aux règles environnementales et aux standards sociaux plus laxistes ne se rendent pas populaires. Des politiques au service des élites économiques mondialisées ouvrent la voie à un nivellement des standards vers le bas, ce qui, à long terme, sera néfaste également à la Suisse. Les apologistes de la mondialisation néo-libérale dominante qui subordonne toute politique à l’économie ont, depuis les années quatrevingt, promis avec ferveur au monde entier plus de croissance pour tous. Mais la réalité est différente et la déception découlant des résultats très inégalitaires de la mondialisation néo-libérale prend des formes inconfortables. Aux États-Unis, elle a favorisé l’élection du populiste Trump qui veut imposer unilatéralement la défense des intérêts américains dans l’économie mondiale, au lieu de contribuer à l’amélioration des règles du jeu convenues sur une base multilatérale. Lorsque de puissants pays industrialisés comme les États-Unis poursuivent un mélange de protectionnisme sélectif et d’unilatéralisme, cela nuit non seulement à la Suisse, mais également aux pays en développement. Ce qui est nécessaire, c’est une mondialisation qui s’oriente vers l’ Agenda 2030 du développement durable, l’Accord de Paris sur le climat et, bien entendu, les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Leur mise en œuvre piètine. Le Conseil fédéral a récemment adopté un Plan d’action national sur les entreprises et les droits de l’homme sans mordant. En même temps, il a décidé de rejeter l’initiative pour des multinationales responsables, soutenue par une large coalition de la société civile, qui exige des mesures plus incisives, sans contre-projet. À l’inverse de la France, où l’Assemblée nationale a reconnu les signes du temps et adopté une législation qui contraint les grandes entreprises à mettre en place une procédure de diligence raisonnable relative aux droits humains. Mark Herkenrath, directeur d’Alliance Sud

Nouveau site internet d’Alliance Sud 15 Une mine d’or d’informations

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Pour un commerce mondial porteur de développement

Oui à la mondialisation, mais équitable Isolda Agazzi

L’élection de Donald Trump à la ­présidence des États-Unis a confirmé

un ­phénomène qui prend de l’ampleur : le r­ ejet de la mondialisation par une partie croissante de l’opinion publique occidentale. Le mouvement altermondialiste a-t-il gagné ? Analyse.

Une mondialisation qui profite surtout aux multinationales Cette ouverture très sélective des marchés profite surtout aux multinationales. Elle laisse beaucoup de monde de côté, aussi bien dans les pays en développement que dans ceux industrialisés, tout en creusant les inégalités – les huit personnes les plus riches possèdent autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Les multinationales organisent leur production dans des chaînes globales de valeur selon le critère de l’avantage du lieu d’implantation ( salaires, fiscalité, etc. ), des ma­

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tières premières et ressources disponibles et des possibilités de commercialisation. Ces chaînes de valeur sont dominées par les entreprises des pays industrialisés et, plus récemment, par celles de quelques pays émergents. Les pays pauvres se retrouvent tout en bas de la chaîne de production. Le commerce international est un facteur de développement économique indiscutable. Mais les règles des traités de commerce et d’investissement mettent virtuellement en compétition les travailleurs du monde entier, entraînant une course vers le bas ( race to the bottom ) qui détruit les emplois et les communautés. Certes, les entreprises américaines qui ont délocalisé au Mexique y ont créé des emplois, mais ceux-ci sont souvent mal rémunérés et précaires. Des communautés ont été déplacées pour laisser la place à de grands projets industriels ; l’agriculture vivrière a été décimée au profit de l’agro-industrie d’exportation ; les petits paysans ont été éjectés du marché par la concurrence du maïs américain hautement sub­ ventionné.

Photo : © Keystone/Epa/Phill Magakoe

Depuis la crise financière et économique globale de 2008, l’opinion publique des pays dits industrialisée se montre de plus en plus sceptique par rapport au modèle de développement néo-libéral poursuivi depuis trente ans. Une critique lancée par les acteurs du mouvement altermondialiste qui a culminé à la protestation contre la conférence ministérielle de l’Orga­ nisation Mondial du Commerce ( OMC ) à Seattle en 1999, sous le slogan « un autre monde est possible ». Ce phénomène, auparavant alternatif, semble être en passe de devenir main­ stream. Et depuis que le nouveau président américain s’est aussi prononcé en faveur du protectionnisme, les observateurs se tournent vers les organisations non-gouvernementales ( ONG ) qui, comme Alliance Sud, critiquent les dérives de la mondia­ lisation dans sa version néolibérale depuis trente ans : avezvous gagné ? La réponse est ambivalente : oui et non. Oui parce que la remise en question de la mondialisation poursuivie à ce jour est salutaire. Non parce que le protectionnisme par lequel certains dirigeants occidentaux veulent remplacer le dogme du libre-échange ne va pas être porteur d’un monde plus juste. Alliance Sud ne s’oppose pas à la mondialisation en tant que telle, mais à la façon dont celle-ci a été gérée à ce jour. Depuis la création de l’OMC en 1995, les pays industrialisés ont imposé la libre circulation des biens, services ( de pointe ), capitaux et technologies dans lesquels ils avaient un avantage comparatif. Mais ils se sont bien gardés d’ouvrir grand les frontières à l’agriculture, aux services peu qualifiés et à la main d’œuvre qui auraient profité aux pays en développement. Quant à la libéralisation des produits industriels, elle les a pris de court : ils n’avaient pas anticipé l’énorme avancée de la Chine et d’autres pays émergents.

Des employés licenciés manifestent en février 2017 à Pretoria ( Afrique du Sud ) ­devant l’ambassade de l’UE, contre des ­importations de volaille subventionnées en provenance de l’Union ­européenne.


Quant aux travailleurs américains qui ont perdu leur emploi, dans l’industrie automobile par exemple, ils n’ont pas pu se reconvertir dans les nouveaux emplois hautement qualifiés créés dans la Silicon Valley. Cette mise en compétition ­globale d’économies et de travailleurs aux conditions sociales et salariales très différentes crée des tensions trop longtemps ignorées par les politiques. Aujourd’hui, elles explosent et font le lit du populisme. Pourtant, un retour au protectionnisme tel que préconisé par Donald Trump – qui veut taxer les importations, promouvoir les exportations et relocaliser la production aux États-Unis  – serait catastrophique aussi bien pour l’économie américaine que pour les pays en développement, qui perdraient un marché important. À moins qu’un pays comme le Mexique n’adopte rapidement une politique économique moins dépendante des exportations et qu’il mise davantage sur la consommation interne en augmentant les investissements nationaux et le pouvoir d’achat. C’est ce qu’est en train de faire la Chine. Car, avec la libre circulation des capitaux prévue par les traités commerciaux, dès qu’un pays essaie d’augmenter le salaire minimum, comme la Chine, les investisseurs étrangers retirent leurs capitaux pour les investir ailleurs. Insuffisance des politiques publiques distributives En 2005, Joseph Stiglitz affirmait déjà que « la libéralisation du commerce n’a pas tenu ses promesses » 1�. Trois ans avant la crise financière, le Prix Nobel d’Économie s’empressait d’ajouter que, malgré cela, « la logique de base du commerce – à savoir son potentiel d’améliorer les conditions de vie de la plupart des gens, si ce n’est de tout le monde – reste intacte ». Mais pour cela il faut tout d’abord reconnaître que la libéralisation du commerce n’entraîne pas automatiquement la croissance – comme on a voulu nous le faire croire – et surtout que les avantages de celle-ci ne bénéficient pas automatiquement à tout le monde, selon l’effet survendu du trickle down. 1 Joseph Stiglitz, Making Globalization Work, 2005

Ce que dit la recherche Mark Herkenrath La sociologie économique et

du développement s’est penchée sur les conséquences de la globalisation du commerce mondial. En voici, en résumé, les principaux constats.

Plusieurs pays – particulièrement en Asie et tout spécialement la Chine, mais aussi la Malaisie ou le Vietnam – ont largement bénéficié d’une croissance économique basée sur les exportations ces deux dernières décennies. Par contre, en moyenne, les pays en développement et les économies émergentes n’ont pas rencontré un plus grand succès économique depuis l’an 2000 que pendant les années soixante et septante, soit avant le début de la dernière vague de globalisation des échanges commerciaux et des investissements. En outre, les pays largement tributaires des exportations ont particulièrement souffert des conséquences de la crise financière et économique déclenchée en 2008. Ces pays sont particulièrement vulnérables aux problèmes causés par des facteurs externes. De plus, ils ne présentaient, en règle générale, pas des taux de croissance supérieurs aux pays moins tributaires des exportations. Le type de mondialisation néolibérale dominant à ce jour n’a, dès lors, pas apporté d’avantages aux pays pauvres en termes de croissance. Par contre, l’inégalité au sein de ces pays s’est encore aggravée depuis l’apogée du néolibéralisme au tournant du millénaire, bien que présentant d’importantes divergences régionales. Dans de nombreux pays en dé­ veloppement, seules les élites ont tiré profit de la mondialisation ; dans d’autres pays, les élites en ont plus largement profité que le reste de la population. À cet égard, il faut relever qu’on peine à trouver dans la littérature scientifique une étude qui atteste que le commerce inter­ national a réduit les inégalités de revenus dans les pays en développement. Plusieurs ­études ne démontrent, au mieux, aucune corrélation entre commerce et inégalités, d’autres établissent un effet favorisant les inégalités. Une étude qui différencie le commerce Sud-Sud du commerce NordSud est d’un intérêt particulier : elle arrive, en effet, à la conclusion frappante que le commerce entre pays en développement réduit les inégalités, alors que le commerce avec les pays industrialisés augmente les inégalités dans les pays en développement. Cette étude recommande en conséquence aux pays pauvres de renforcer les échanges régionaux entre pays en développement.

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Dans les pays industrialisés, il faut distribuer plus équitablement les coûts et les bénéfices, en taxant le revenu de façon progressive. Il faut des amortisseurs sociaux plus efficaces pour permettre à la personne qui perd son emploi dans un secteur devenu non compétitif d’en retrouver un autre. Il faut des politiques pour augmenter les salaires – surtout le salaire minimum, qui aux États-Unis n’a pas bougé depuis des années. La mondialisation ne pourra jamais réussir si les travailleurs sont obligés d’accepter des réductions de salaire pour conserver leur emploi. Et les salaires ne peuvent augmenter que si la productivité augmente, mais pour cela il faut plus d’investissements dans l’instruction et la technologie. Malheureusement, affirme Stiglitz, dans beaucoup de pays industrialisés, et surtout aux USA, il se passe exactement le contraire : les impôts sont devenus plus régressifs, le filet social de sécurité a été affaibli et les investissements dans le domaine scientifique et technologique ont diminué par rapport au produit brut intérieur. « Ces politiques font en sorte que même aux États-Unis et dans les pays industrialisés, qui sont les gagnants potentiels de la mondialisation, toujours plus de gens estiment qu’ils se portent moins bien à cause de celle-ci », conclut-il. Fair Trade and not Free Trade Alliance Sud, comme les ONG qui prônent un changement radical de paradigme, réclame un système commercial qui donne la priorité aux droits humains et à l’environnement. Il faut protéger les droits économiques, sociaux et culturels, menacés par un régime commercial libéral et agressif : par exemple, la protection de la propriété intellectuelle prévue dans les accords commerciaux menace le droit à l’alimentation en limitant l’accès des petits paysans aux semences ; et le droit à la santé, en limitant la production de médicaments génériques. La libéra­ lisation des services peut entraîner une privatisation des services publics tels que la santé et l’éducation et menacer les droits humains de ceux qui ne peuvent pas se payer des services devenus plus chers. Il faut que les pays en développement aient plus de « policy space », c’est-à-dire de marge de manœuvre pour leurs politiques économiques nationales. Or, c’est tout le contraire qui est visé par l’OMC et surtout les accords de libre-échange et les mega accords commerciaux TISA, TTIP, TPP et CETA : ils visent à baisser les droits de douane sur les produits agricoles et industriels, ce qui expose la production nationale à la concurrence étrangère sans aucune forme de protection, notamment pour les secteurs sensibles et les secteurs industriels qui ne sont pas ( encore ) compétitifs. Ils donnent aux investisseurs étrangers plus de droits qu’aux investisseurs nationaux, notamment par le tant décrié mécanisme de règlement des différends investisseurs – État. Ils libéralisent les services par la « simplification » de règles considérées comme des obstacles inutiles au com­ merce, ce qui menace les services publics, la santé, l’environ­ nement et la protection des consommateurs. Ils ouvrent à la concurrence étrangère les entreprises publiques, utilisées par les États pour garder la main sur certains secteurs stratégiques et porteurs de développement. Dès lors, il n’est pas étonnant que les opinions publiques n’arrivent plus à faire la différence entre commerce et accords commerciaux ( injustes ) et qu’elles rejettent les deux en vrac. Pourtant, un commerce juste et une mondialisation équitable pourraient bénéficier à tout le monde.

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Suppression de la loi chocolatière : de la poudre aux yeux ia. Lors de la dernière conférence ministérielle de l’OMC ( Nairobi, décembre 2015 ), les membres ont décidé de supprimer les subventions aux exportations des produits agricoles. Cette décision touche trois pays : la Norvège, le Canada et la Suisse, qui doit supprimer la « Loi chocolatière ». Le Conseil fédéral propose de remplacer les 67,9 millions de francs par an prévus par cette loi par des ­paiements liés aux produits, versés dans les mêmes montants aux producteurs de lait et de céréales panifiables. Ces paiements seront classés dans la « boîte orange » de l’OMC, qui contient les soutiens internes ayant un effet de distorsion sur les échanges et pour lesquels seul un montant minime est autorisé. La Suisse va donc être en règle avec ses engagements à l’OMC – pour l’instant du moins, car lors de la prochaine conférence ministérielle ( Buenos Aires, décembre 2017 ) ces soutiens pourraient être réduits... Mais comme ce type de paiements est malgré tout même néfaste pour l’agriculture des pays en développement, Alliance Sud estime que la Suisse aurait dû supprimer la loi chocolatière, au lieu de la remplacer par un « box shifting ».

L’initiative Fair Food promeut les Objectifs de développement durable ia. Alliance Sud n’a pas pris de position officielle sur l’initiative agricole des Verts, mais considère que cette initiative va dans la bonne direction, car elle s’inscrit dans l’ Agenda 2030 de l’ONU : elle est susceptible de réduire la pauvreté et les inégalités et de protéger le climat. Elle peut être mise en œuvre conformément à l’OMC, à la condition de respecter quelques principes fondamentaux du droit inter­ national, tel que celui de non-discrimination. De fait, son impact sur le développement est marginal, car seules 20 pour cent des importations agricoles suisses proviennent des pays du Sud, dont 1 pour cent des pays les moins avancés. De surcroît, ces exportations ne représentent que 0,1 pour cent du PIB de ces pays. Des standards sociaux et environnementaux plus stricts ne poseraient pas de problème pour le café, les bananes et le cacao, pour lesquels il existe déjà des labels qui ont fait leur preuve. Par contre, les petites exploitations qui ne produisent pas encore de façon durable auraient ­besoin de plus de temps et de soutien pour se conformer aux critères de l’initiative. Or, celle-ci ne prévoit pas ce genre de mesures, mais ne les ­interdit pas non plus.


Agenda 2030: Objectifs de développement durable ( O DD )

Pour que le tigre de papier sorte ses griffes Eva Schmassmann

Alliance Sud s’engage pour la mise en œuvre de l’ambitieux cadre

de ­référence global que représente l’ Agenda 2030. Les principaux enjeux, du point de vue de la politique de développement, sont les suivants.

Photo : © Panos/Petterik Wiggers

Bien que peu suivi par la presse et le grand public, la communauté internationale a adopté en septembre 2015 l’Agenda 2030 pour le développement durable. Document qui, pour Alliance Sud a le potentiel de contribuer de manière significative à un monde ( plus ) juste. L’ODD 17 représente un point d’ancrage central entre nos activités traditionnelles et l’ Agenda 2030. Il y est en effet question des ressources financières et non-financières nécessaires à sa mise en œuvre. Les questions fiscales et l’aide publique au développement figurent au premier plan de la question de la mobilisation des ressources financières. L’établissement d’un régime commercial équitable est, quant à lui, au centre des ­objectifs relatifs aux ressources non financières. Il faut souligner que le sous-objectif 17.14 établit que le renforcement de la cohérence politique est une condition préalable au développement durable. C’est la première fois que cet objectif figure explicitement dans un cadre de référence global. Les États se déclarent ainsi prêts à définir leurs politiques commerciale et fiscale en vue de parvenir à un développement durable. Ils s’engagent à analyser les répercussions de leurs politiques sur d’autres domaines et à prendre les mesures nécessaires pour permettre à d’autres acteurs un développement durable.

Malgré des taux de croissance élevés, l‘Éthiopie fait toujours ­partie des pays les plus pauvres du monde. Photo : Hibiset Kassaye, 27 ans, dans son magasin de Nazreth, ouvert grâce à un micro-crédit.

Analyse des cinq champs d’activités d’Alliance Sud à la lumière de l’ Agenda 2030 1. Politique fiscale et financière – Deux questions principales se ­posent en termes de politique fiscale et financière internationale : celle de la répartition des richesses et celle du financement de la mise en œuvre de l’ Agenda 2030. L’objectif 10 vise à réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre, alors que le sous-objectif 10.4 aborde explicitement la politique fiscale. Avec plus de 3000 milliards de francs suisses de fonds étrangers sous gestion, la place financière suisse reste le plus grand centre off-shore du monde et un des territoires fiscaux préférés par les multinationales, au vu de ses taux bas. Ce « ­modèle d’affaires » renforce non seulement les inégalités en termes de richesses au sein du pays, il représente également un des vecteurs principaux des inégalités globales. La réalisation des divers ODD requiert, selon les estimations de l’ONU, des investissements de l’ordre de 5000 à 7000 milliards USD par année. Ces ressources doivent être mobilisées en grande partie dans les pays eux-mêmes ( ODD 17.1 ). Les pays en développement doivent en conséquence être à même

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Alliance Sud et l’ Agenda 2030 es. Dans la discussion concernant la mise en œuvre del’ Agenda 2030 de l’ONU en et par la Suisse, Alliance Sud se concentre sur les aspects de politique de dé­ veloppement. Le « développement durable » est un concept qui offre un nouveau cadre de référence. La principale nouveauté de l’ Agenda 2030 est son universalité et la mise en commun de divers processus au plan global. Il concerne, au-delà de la coopération au développement classique, également la politique nationale dans ses dimensions sociales, de protection de l’environnement, d’utilisation des ­ressources ou de répartition des richesses et des revenus. Par la réunion du processus de Rio ( 1992 ) et de l’agenda des Objectifs du Millénaire pour le développement ( OMD, 2000 ), l’ Agenda 2030 met fin au travail en silos et aux processus parallèles. Alliance Sud s’engage afin que cela ne reste pas uniquement de la théorie, mais que cela soit traduit au niveau pratique. Les 17 objectifs de développement durable ( Sustainable Development Goals, SDG ) établissent un réseau interdépendant, intégrant de nombreux liens. La condition préalable à sa mise en œuvre est une compréhension systémique qui prend en compte les interactions entre domaines économiques, sociaux et environnementaux. Cela présuppose le renforcement du réseau avec les autres acteurs de la société civile qui travaillent dans divers domaines thématiques. L’échange permet de sortir des sentiers battus et de développer une vision d’ensemble.

de financer l’infrastructure nécessaire et les services de base par le biais des impôts et d’autres recettes étatiques. Un prérequis pour ce faire n’est pas seulement le knowhow technique des administrations fiscales et la définition des législations fiscales ; il s’agit aussi d’éviter les pertes colossales de recettes fiscales par le biais des transferts de bénéfices à l’étranger et l’utilisation – légale ou non – des instruments d’évasion fiscale. Avec sa politique fiscale agressive visant à ­favoriser les fortunes privées et les multinationales, la Suisse reste un puissant aimant pour de tels flux financiers illicites. Au travers de l’ODD 16.4, l’ Agenda 2030 définit également pour la Suisse un objectif clair visant à choisir, de manière résolue, de nouvelles voies. 2. Politique commerciale et investissements – La politique commerciale peut sensiblement limiter la marge de manœuvre des États dans la définition et la mise en œuvre de leur développement durable. À cet égard, l’ODD 17.5 exige de respecter la marge de manœuvre de chaque pays. Les accords de libreéchange et de protection des investissements déjà conclus ou prévus doivent dès lors être mesurés à l’aune de ce principe. Ces accords doivent intégrer – comme précondition – un chapitre contraignant relatif à la durabilité qui exige le respect des droits humains et du travail, ainsi que des standards environnementaux.

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Dans d’autres dossiers de la politique commerciale de la Suisse il y a également une nécessité d’agir. En effet, l’ODD 2.2 b. exige l’élimination de toutes les formes de subventions aux exportations agricoles et de toutes les mesures relatives aux exportations aux effets similaire. En Suisse, la « loi chocolatière » est concernée ( voir p. 6 ). 3. Entreprises et droits humains – De grandes attentes ont été formulées à l’égard du secteur privé quant à la réalisation de l’ Agenda 2030. De nombreux gouvernements voient – en termes d’investissements, de recettes fiscales, d’emploi et de moteur pour le progrès technologique – un rôle central à jouer par le secteur privé dans la mise en œuvre de l’ Agenda 2030. Par contre, les entreprises transnationales ne sont mention­ nées expressément qu’à une seule occasion dans les 17 ODD, soit à l’ODD 12.6 qui a trait aux modes de consommation et de production durables. Aucune exigence n’est formulée à l’égard des entreprises, ces dernières étant uniquement encouragées « à adopter des pratiques viables et à intégrer dans les rapports qu’elles établissent des informations sur la viabilité ». ­Aucun critère, ni système de monitoring y relatif n’a pourtant été p ­ révu. Alliance Sud se concentre dans ce domaine, d’une part sur la nécessaire réglementation par l’État et, d’autre part, sur le dialogue avec les représentant-e-s du secteur privé. Nous avons, à ce titre, deux exigences centrales : premièrement, les entreprises doivent être des contribuables substantiels et contribuer à permettre aux États de disposer des moyens financiers nécessaires pour définir de manière indépendante leur développement durable et le réaliser. Cela présuppose que les entreprises paient leurs impôts dans les pays dans lesquels la création de valeur a lieu. Deuxièmement, les entreprises doivent respecter l’universalité et les interconnexions de l’ Agenda 2030. Les entreprises sont donc appelées non seulement à démontrer leur contribution positive à tel ou tel ODD, mais également à faire une analyse exhaustive de l’impact de leurs activités. Par exemple, il ne saurait être acceptable que l’augmentation de la


Photo : © Panos/G.M.B. Akash

La montée du niveau des mers empêche progressivement la culture du riz au ­Bangladesh. En lieu et place, des élevages de crevettes voient le jour. Photo : prépa­ ration des crevettes pour l’exportation, ­Jilangja, Cox’s Bazar, Bangladesh.

production de denrées alimentaires visant à combattre la faim se fasse par le biais d’un accaparement des terres ou mette en danger la santé des communautés locales. La mise en œuvre de l’ Agenda 2030 nécessite également des règles étatiques. En Suisse, le gouvernement et l’administration sont extrêmement réticents à prendre les mesures nécessaires, comme l’a démontré la récente adoption du Plan d’action national concernant la mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ( voir p. 12 ) 4. Politique climatique et environnementale – Dans ce domaine, les décisions politiques et les activités de la Suisse qui ont un impact sur le bien public mondial que représente le climat et qui ont des effets directs ou indirects sur l’environnement et les écosystèmes à l’étranger sont au centre de l’attention d’Alliance Sud. C’est, par exemple, le cas de l’impact transfrontalier des émissions de CO2. Avec une empreinte écologique de 3,3 planètes, la Suisse se trouve bien loin d’une gestion durable des ressources naturelles, comme l’exige l’ODD 12.2. La mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat se trouve ­actuellement au centre des débats politiques ( ODD 13.2 ). En Suisse, cette mise en œuvre traîne en longueur et n’est pas à la hauteur des exigences. Pour réaliser l’objectif de Paris visant à stabiliser le réchauffement de la planète en dessous de 2 degrés Celsius, le Conseil fédéral devrait avoir pour objectif une réduction des émissions de CO2 en Suisse de 60 pour cent jusqu’en 2030 par rapport à 1990. Or, dans la révision de la loi sur le CO2, qui devrait être traitée à la session d’automne du Parlement, le Conseil fédéral ne propose qu’une réduction de 30 pour cent. À cela s’ajoute le fait que la Suisse ne dispose pas d’une stratégie climatique à long terme, ni d’un plan devant permettre de mobiliser les moyens financiers additionnels pour le financement des mesures de protection du climat et d’adaptation dans les pays en développement. L’ODD 13.a confirme l’engagement des pays de l’OCDE de financer à hauteur de 100 mil-

liards USD par année de telles mesures. Selon nos estimations, la Suisse devrait y contribuer à hauteur de 1  à  1,3 milliard de francs par année. Ces calculs se basent sur la puissance éco­ nomique de la Suisse qui correspond à 1 pour cent de la performance économique de l’OCDE et sur la responsabilité globale de la Suisse en termes d’émissions de CO2, soit quelque 15 tonnes de CO2 par habitant et par année. 5. Coopération au développement – Parmi les différents offices fédéraux, les acteurs étatiques de la coopération au développement suisse se sont le mieux familiarisés avec l’ Agenda 2030. La Direction du développement et de la coopération ( DDC ) s’est fortement engagée dans l’élaboration de l’ Agenda 2030 et l’orientation à un cadre de référence global à la suite des objectifs du millénaire n’est pas une nouveauté pour elle. Mais les programmes existants ne sauraient être poursuivis comme par le passé. La coopération au développement doit également intégrer les nouveautés centrales de l’ Agenda 2030, c’est-à-dire prendre garde des interconnections et collaborer à niveau égal avec les partenaires du Sud. Il est essentiel que les acteurs de la coopération au développement, dans le cadre du débat politique, exigent une cohérence des politiques pour le développement. L’ Agenda 2030 insiste sur le fait que l’aide publique au développement ( APD ) ne suffira pas à financer la mise en œuvre des ODD. Par contre, l’APD continuera de jouer un rôle important dans les pays les plus pauvres et dans le domaine des services publics, tels la formation et la santé. À cet égard, il est nécessaire d’augmenter la quote-part de l’APD. C’est pourquoi l’ Agenda 2030 réitère la promesse, datant de plusieurs dizaines d’années, d’augmenter la part de l’APD à 0,7 pour cent du revenu national brut ( ODD 17.2 ). Mais la riche Suisse a fait, à ce titre, marche arrière. Alors que le Parlement avait fixé en 2014 l’objectif à 0,5 pour cent, le Conseil fédéral a réduit cette part à 0,48 pour cent pour les quatre prochaines années. Et les moyens financiers effectivement alloués à la coopération au développement sont sensiblement inférieurs au vu du fait que des coûts de la première année d’hébergement des demandeurs d’asile y sont comptabilisés. C’est ainsi qu’un franc sur sept de la coopération au développement est déboursé en Suisse afin de couvrir les frais, nécessaires mais non pertinents du point de vue du développement, dans le domaine de l’asile. Encore du pain sur la planche en Suisse Cette analyse sommaire des besoins d’action découlant de l’ Agenda 2030 d’un point de vue de la politique de développement démontre clairement que la politique suisse ne se trouve actuellement pas sur la voie de la durabilité. Bien au contraire : dans le domaine de la politique fiscale et commerciale, elle se développe dans le sens opposé. En termes de politique climatique et des entreprises et des droits humains, bien que les besoins d’action soient reconnus, l’adoption des mesures nécessaires est beaucoup trop lente. Les États ont défini, au travers de l’ Agenda 2030 pour le développement durable, la voie qui devrait être suivie pour aller vers un monde juste. Au-delà des constats qui sont établis dans ce cadre de référence, il y a maintenant besoin avant tout de volonté politique pour effectivement atteindre ces objectifs. Et pour donner la priorité aux intérêts communs à long terme, à vivre dans un monde durable et pacifique plutôt qu’à des intérêts particuliers court-termistes.

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Photo : © Keystone/Noor/Robin Hammond

Les comptes bancaires en Suisse de l’élite nigérienne restent ­exclus de l’EAR. À Lagos, la plus grande capitale d‘Afrique, qui présente le plus fort taux de ­croissance, vivent les Africain-e-s les plus riches. La ville fait également partie des leaders mondiaux en termes d’inégalité. Photo : Ikeja City Mall, Lagos.

Échange de renseignements en matière fiscale

Un choix   automatiquement sélectif Dominik Gross et Mark Herkenrath

Le Conseil fédéral

veut élargir l’échange automatique des données bancaires concernant les fraudeurs potentiels à quelques rares pays en développement. Mais aussi à la Chine et à la Russie, membres du G-20. On s’attend à d’intenses débats parlementaires.

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En janvier, la Suisse a officiellement introduit l’EAR, l’échange automatique de renseignements en matière fiscale. Il sera mis en pratique pour la première fois l’année prochaine et la Suisse communiquera aux autorités fiscales de différents pays des renseignements sur les comptes bancaires de leurs citoyennes et citoyens. C’est un grand pas pour un pays que le monde considérait encore récemment comme la quintessence du paradis fiscal. La Suisse n’est évidemment pas le seul pays à avoir introduit l’EAR. Le nouveau système de la transparence fiscale est entretemps devenu un standard international. Plus de cent pays ont déjà signé l’accord-cadre multilatéral à ce sujet ( Multilateral Competent Authority Agreement, MCAA ). Ils tra­ vaillent actuellement tous à la mise en œuvre de l’EAR, sur une base de réciprocité, par le biais d’accords bilatéraux. Plus de la moitié d’entre eux procédera aux premiers échanges de renseignements cette année déjà et une bonne partie traitera avec quarante États partenaires ou plus. La Suisse reste doublement à la traîne derrière ces pionniers : non seulement elle applique l’EAR un an plus tard, mais en plus elle le limite dans un premier temps à 38 partenaires. Il s’agit concrètement des 28 États membres de l’UE et d’une sélection de quelques pays industrialisés non membres de l’UE.


Pour 2019: extension à une sélection de pays émergents... Aucun pays en développement ou pays émergent ne se trouve pour le moment sur la liste des États avec lesquels la Suisse s’engagera à coup sûr dans l’EAR. Mais cela devrait maintenant changer: dans deux procédures de consultation presque si­ multanées, le Conseil fédéral a proposé d’étendre l’EAR à une série de pays supplémentaires d’ici à 2019. Font partie des nouveaux candidats des pays émergents et des pays en développement avancés d’Amérique latine ( Argentine, Brésil, Chili, Costa Rica, Colombie, Mexique et Uruguay ) et d’Asie ( Inde, Indonésie et Malaisie ), l’Île Maurice, les Seychelles et l’Afrique du Sud. Du point de vue de la politique de développement, il y a lieu de saluer l’intégration de ces nouveaux partenaires dans le système EAR, bien qu’il s’agisse exclusivement de pays disposant d’un revenu relativement élevé. L’évasion fiscale à l’étranger continuerait sinon à faire perdre aux États concernés des recettes qui non seulement leur reviennent, mais qui permettent aussi de réaliser des progrès en matière de développement. Alliance Sud s’engagera pour que la proposition d’élargissement émise par le Conseil fédéral trouve une majorité parlementaire.  ... et à quelques États de non-droit Il est certain que les esprits s’échaufferont lors des débats parlementaires. Le Conseil fédéral veut en effet élargir l’EAR, dans un seul paquet, aux États influents du G-20 comme la Chine, la Russie et l’Arabie Saoudite. Ces pays présentent de sérieuses lacunes sur le plan du respect de l’État de droit. Du point de vue des droits civils et politiques, tous trois sont classés comme absolument insuffisants ( « not free » ) par l’organisation de défense des droits de l’homme Freedom House. Ils ne sont pas non plus très regardants en ce qui concerne la protection des données. Des conseillers nationaux-conservateurs de la Berne fédérale ont déjà annoncé qu’ils crieraient comme des putois lors des délibérations parlementaires sur l’échange d’informations avec de tels États de non-droit. Mais il faut noter que la résistance de nombreux et nombreuses parlementaires est très timide lorsqu’il s’agit d’accords de libre-échange ou de commerce d’armes avec des pays partenaires présentant des lacunes au niveau de l’État de droit : dans ces situations, les considérations d’ordre moral ne jouent qu’un rôle marginal. Les arguments des cercles nationaux-conservateurs contre l’élargissement de l’EAR rappellent en effet désagréablement une idéologie de justification depuis longtemps dépassée. Le secret bancaire suisse servirait uniquement à protéger des personnes honnêtes vivant à l’étranger des abus d’appareils gouvernementaux à des fins d’extorsion. Le fait est que l’absence d’échange de renseignements réjouit surtout les fraudeurs fiscaux, qui privent leur patrie d’importants moyens financiers destinés à la formation, à la santé ou aux infrastructures de transport – et profitent ensuite quand même de ces biens collectifs. Il s’agit en général de membres de l’élite économique, dont la richesse est évidente même si l’on ne sait pas qu’ils possèdent un compte en Suisse. L’EAR n’a ici guère d’importance en lien avec les atteintes portées par les États.

des potentiels fraudeurs fiscaux. Leur préoccupation porte beaucoup plus sur les ressortissants et ressortissantes de l’étranger qui, en plus de transférer des fortunes non imposées vers la Suisse, vivent en Suisse. Ils craignent que pour ces personnes, l’échange de données bancaires sensibles puisse finalement mettre en difficulté les membres de la famille restés dans le pays d’origine. Cette crainte n’est toutefois pas justifiée. L’EAR concerne uniquement les informations relatives aux détenteurs de comptes qui, selon les lois de l’État partenaire, ont leur domicile fiscal dans ce pays. En règle générale ( et en particulier dans les cas de la Russie et de la Chine ), cela sous-entend que ces personnes passent vraiment au moins la moitié de l’année dans le pays concerné. Les personnes résidant durablement en Suisse ne sont ainsi presque jamais affectées par l’EAR. S’ajoute à cela le fait que le Forum mondial sur la transparence en matière fiscale de l’OCDE vérifie régulièrement les dispositions sur la protection des données de tous les pays qui ont signé l’accord-cadre multilatéral relatif à l’EAR. Il doit être garanti que les informations transmises restent en possession des autorités fiscales et sont exclusivement utilisées pour la perception des impôts. Dans l’application pratique de l’EAR, le Conseil fédéral se réserve la possibilité de ne transmettre les données que si le pays partenaire concerné obtient une note suffisante lors de cet examen. Si cela débouche malgré tout sur des abus manifestes, l’EAR peut être annulé. L’accord-cadre multilatéral prévoit également cette possibilité. Du « picorage » sélectif Avec l’extension de l’EAR prévue par le Conseil fédéral, le véritable problème est autre : il s’agit du choix sélectif des pays partenaires. Sur la liste des candidats établie par le Conseil fédéral ne figurent en effet de loin pas tous les pays qui ont signé l’accord-cadre multilatéral concernant l’EAR. Il manque par exemple le Ghana, que le Secrétariat d’État suisse à l’économie ( SECO ) soutient avec de l’argent du budget alloué au développement en vue d’augmenter ses recettes fiscales. Les documents mis en consultation ne permettent pas de savoir pourquoi il en est ainsi. Last but not least tous les pays en développement les plus démunis continuent à manquer sur la liste EAR suisse. Leur élite peut donc continuer à amasser sans contrôle de l’argent non déclaré sur des comptes bancaires en Suisse. Mais aucun de ces pays n’a jusqu’à présent signé l’accord-cadre multilatéral. Dans de nombreux cas, cela serait dû à l’absence de l’infrastructure nécessaire pour récolter les données sur les éventuels ­détenteurs de comptes étrangers et les transférer automatiquement aux autorités fiscales. Les coûteuses compétences techniques pour l’échange réciproque d’informations sont toutefois une condition pour adhérer au système multilatéral. Quelques pays industrialisés progressistes se sont en conséquence engagés dans des projets pilotes EAR bilatéraux volontaires avec des pays en développement plus pauvres, pour lesquels ils renoncent dans un premier temps à exiger la réciprocité. Du point de vue de la politique de développement, il serait à l’honneur de la Suisse de suivre l’exemple de ces pays.

Qui est concerné par l’EAR ? Au sujet de l’EAR avec des pays comme la Chine ou la Russie, les parlementaires de gauche se soucient aussi moins des droits

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Entreprises et droits humains

Mise en œuvre du PAN :   le chemin risque d’être long et sinueux Laurent Matile

Il aura fallu quatre années pour

rester à la case départ : Les entreprises ne ­devraient pas être soumises à une obligation de diligence, afin de prévenir des ­violations des droits ­humains. Les mesures volontaires restent la carte maîtresse. Le 9 décembre dernier, le Conseil fédéral a adopté son Plan d’action national sur la mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ( PAN ). Ce rapport fait suite au postulat « Une stratégie Ruggie pour la Suisse », adopté par le Conseil national en 2012. Quatre années de gestation pour un niveau d’ambition notablement limité.1 Lors de la session d’hiver 2016, cinq interpellations ont été déposées à ce sujet au Parlement, auxquelles le Conseil fédéral a répondu en février 2017. En voici quelques points forts. La ­Sénatrice Anne Seydoux-Christe ( PDC/JU ) a relevé le fait que dans l’articulation de la « combinaison intelligente de mesures appropriées » ( Smart mix ) devant garantir le respect de l’obligation de la Suisse de protection des droits de l’homme par les entreprises, le PAN ne prévoit aucun nouvel instrument contraignant. À sa question portant sur le fait de savoir si une analyse quantitative ou qualitative de l’efficacité des mesures volon­ taires prônées pour assurer le respect des droits de l’homme par les entreprises avait été effectuée, le Conseil fédéral répond par la négative, mais « s’attend à ce que les mesures adoptées aient un impact positif » ( … ), en rappelant son soutien à des initiatives volontaires multipartites2 ou l’introduction du « Swiss Business and Human Rights Champion », une distinction visant à encourager les bonnes pratiques des entreprises. On l’aura compris : on reste dans le domaine du tout volontaire, l’État se limitant à un rôle attentiste d’observateur et de soutien à des initiatives non contraignantes, à la portée très variable. Dans son interpellation, le Conseiller national Carlo Sommaruga ( PS/GE ) rappelle que de nombreux développements légis­ latifs, au plan international, ont soit déjà eu lieu, soit sont en cours, comme l’adoption en 2015 du UK Modern Slavery Act qui fixe des mesures de transparence des chaînes de valeur, la loi

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sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, adoptée par l’Assemblée nationale française le 21 février dernier, ou le Règlement UE pour le commerce responsable des minerais originaires de zones de conflit, qui devrait être adopté au début 2017. Semblant être peu concerné par ces évolutions réglementaires, le Conseil fédéral estime que « les réglementations pouvant être envisagées dans ce domaine doivent bénéficier d’un large appui au niveau international pour éviter de pénaliser la place économique suisse ». Le CF rappelle qu’il suit en particulier les évolutions dans l’UE relatives à une obligation de rapporter sur des informations non financières et envisage d’élaborer un projet de consultation sur l’établissement de rapports de durabilité inspiré de la réglementation de l’UE, mais que les travaux ne seront engagés que lorsque les projets de transposition des États membres de l’UE seront mieux connus.3 Bien que l’introduction d’une procédure de diligence raisonnable soit au cœur des développements internationaux récents, il ne semble pas opportun, aux yeux du CF, d’examiner la pertinence de développements similaires par la Suisse. En réponse à l’interpellation de la Conseillère nationale Viola Amherd ( PDC/VS ) concernant les mesures « vagues » envisagées par le Conseil fédéral concernant les entreprises proches de la Confédération ( Swisscom, La Poste, CFF, … ) auxquelles le CF entend « prêter une attention particulière à la protection des droits de l’homme, par exemple en œuvrant en faveur d’une procédure de diligence en la matière », le CF, dans sa réponse, reconnaît, à nouveau, la responsabilité particulière qui lui incombe de veiller au respect des droits de l’homme par ces entreprises, qui se doivent d’être « exemplaires ». Il rappelle la seule mesure prévue à ce jour, soit un « état des lieux de la mise en œuvre de la RSE dans ses activités » – devant être finalisé

1 Voir l’analyse critique de ce rapport publiée par la coalition de l’initiative pour des multinationales responsables, en collaboration avec Alliance Sud. http://konzern-initiative.ch/analyse-du-plan-dac­ tion-national-de-la-suisse/?lang=fr 2 P. ex. l’Extractive Industries Transparency Initiative ( E ITI ) , qui ne porte pas sur le respect des droits de l’homme mais sur la transparence des paiements faits par les entreprises minières et pétrolières aux pays producteurs de matières premières et la Better Gold Initiative soutenue par la seco. 3 La Directive relative à la publication d’informations extra-financières et d’informations relatives à la diversité ( d irective 2014/95/UE ) , entrée en vigueur en décembre 2014 et a été transposée par les États membres, au plus tard, en décembre 2016


d’ici à l’automne 2017 – et que, dans le cadre de l’examen du NAP et de sa mise à jour, il est prêt à examiner des mesures ­nécessaires concernant lesdites entreprises. La patience n’est-elle pas la mère des vertus ? La Conseillère nationale Tiana Moser ( VL/ZH ) rappelle, quant à elle, dans son interpellation que le PAN entend renforcer la cohérence des politiques ( notamment économique et des droits de l’homme ) et la collaboration entre les services fédéraux, mais que les objectifs concrets, les résultats attendus, ainsi que les indicateurs et la méthode d’évaluation ne sont pas clairs. Elle demande, notamment, au Conseil fédéral de préciser quelle procédure il entend mettre en place pour éviter tout conflit potentiel entre objectifs économiques et protection des droits humains. Dans son avis, le CF rappelle que l’amélioration de la cohérence des activités de l’État est un des buts poursuivis et que le PAN devra servir, à l’avenir, de cadre de référence en la matière. En cas de question « spécifique et manifeste » en termes de cohérence entre politique économique étrangère et de protection des droits humains, le CF y répondrait dans le cadre de ses rapports sur la politique économique étrangère ou sur la politique étrangère. 4 Le CF confirme, en outre, qu’une évaluation de la mise en œuvre du NAP sera effectuée sous la forme d’une analyse externe, comprenant l’identification d’éventuelles lacunes dans l’application des Principes directeurs de l’ONU par la Suisse. Last but not least, répondant à une critique de la coalition de l’initiative pour des multinationales responsables, le CF annonce que le PAN fera l’objet d’un examen et, le cas échéant, d’une réactualisation, tous les deux ans, et non tous les quatre ans, comme initialement prévu. Le Conseil fédéral semble reconnaître qu’il subsiste une marge de manœuvre en termes de cohérence politique.

Finalement, la Conseillère nationale Sibel Arslan ( Les Verts/BV ) rappelle le fait que le CF entend intégrer les Principes directeurs de l’ONU dans l’ensemble des stratégies et domaines politiques de l’administration, mais que, à ce jour, seule la stratégie du DFAE en matière de droits de l’homme et la Stratégie pour le développement durable pour la période 2016 – 2019 y font référence, alors qu’une analyse substantielle desdits Principes directeurs et de leur mise en œuvre par la Suisse fait défaut dans les Rapports sur la politique économique étrangère. Elle demande en conséquence, notamment, comment le CF entend, à l’avenir, intégrer les Principes directeurs de l’ONU dans l’ensemble des stratégies pertinentes de la Confédération et si une analyse systématique sera effectuée dans le Rapport sur la politique économique extérieure. Dans son avis, le CF indique ne pas prévoir une analyse systématique dans son rapport sur la politique économique étrangère mais que la mise en œuvre des Principes directeurs de l’ONU sera évoquée dans le chapitre consacré au développement durable dans le rapport 2016 et, si approprié, sera aussi thématisée dans les futurs rapports sur la politique économique extérieure. Un flou, pour le moins artistique. Conclusion Le Conseil fédéral le reconnaît lui-même : L’application des Principes directeurs de l’ONU est un « processus continu ». Les ­mesures prises par la Confédération doivent « offrir une protection efficace contre les violations des droits de l’homme par des entreprises domiciliées et/ou actives en Suisse, tout en limitant au maximum le fardeau administratif imposé aux entreprises ». Le niveau d’ambition initial du PAN est regrettablement limité. Il s’agira de suivre de près sa mise en œuvre et de requérir son actualisation régulière pour s’assurer que la Suisse mette en place les meilleures pratiques en la matière.

4 Relevons, à cet égard, que dans ses Rapport 2016 en la matière, seule une très sommaire mention de l’adoption du NAP y est intégrée.

Photo : © Keystone/Lukas Lehmann

Dans sa pesée d’intérêts entre liberté économique et protection des droits de l’homme, le Conseil fédéral s’aligne scrupuleusement sur la position des organisations économiques qui s’opposent, dogmatiquement, à toute règle contraignante.


Pause lecture

Manuel d’autodéfense ­intellectuelle Sophie Mazet, Robert Laffont, 2015

« Il n’y a aucun sujet dont l’homme éloquent ne puisse parler devant la foule d’une manière plus persuasive que n’importe quel spécialiste. » Cette thèse, ce n’est pas un quelconque analyste des discours de Nigel Farage, de Donald Trump ou de Marine Le Pen qui la formule en 2017, c’est Platon qui la fait dire à Gorgias ( sophiste, qui a vécu entre – 450 et – 375 ). C’est la nature même du langage ( exprimer des idées en vue de les com­muniquer ) ­conjuguée à la finitude de l’homme ( il lui est impossible de tout connaître ) qui crée les biais de la ­communication, la possibilité de la manipulation et la nécessité de ­l’exercice de l’esprit critique. Or, plus de 2000 ans plus tard, nous semblons tous découvrir avec stupeur et tremblements des concepts comme les fake news, alternative facts, théories du complot et autre « post-vérité », et les considérer comme symptomatiques de notre époque. Le terme « post-vérité » aurait même atteint le ­statut ultime de « mot de 2016 », star des réseaux sociaux et des médias traditionnels. La post-vérité n’est pas un phénomène nouveau ; ce qui l’est, c’est l’angoisse collective qu’elle génère, probablement liée aux nouvelles technologies et à leurs spécificités : toujours plus de sources d’information, éclatement des repères traditionnels, mélange souvent inextricable de faits et d’opinions, rapidité des flux, perte de la capacité d’attention des lecteurs. L’école prend évidemment acte de ces nouvelles ­réalités et c’est à elle qu’il revient de doter les jeunes générations des outils nécessaires pour affronter les complexités du langage politique et médiatique. L’ouvrage de Sophie Mazet, à l’intention d’un public adolescent, vient fort à propos offrir des exemples éloquents et des outils simples pour apprendre à ­exercer son esprit critique à bon escient dans le contexte de la société de l’information : ne pas tout « gober », évidemment, mais ne pas non plus tout rejeter en bloc.

La Tête dans le sable Roman, Catherine Fuchs, Orbe : Bernard Campiche, 2016, 255 p.

Carmen Berger, petite cinquantaine, travaille à Genève pour l’ONG « ­Terra Nostra ». Rédactrice en cheffe de la revue Recto Verso, elle prépare un dossier sur Comiza, une filiale de la multinationale Pormaco dont le siège est situé à Zoug. Comiza extrait des minerais au Zamanga, pays africain imaginaire, sans aucune précaution environnementale et sociale, contrairement à ses affirmations. Comme le précise l’éditeur dans sa présentation du livre, « la Norvège touche 70 pour cent des revenus de son pétrole alors que le Zamanga ne ­retire que 5 pour cent des bénéfices engendrés par l’extraction de son cuivre. » Parallèlement à la description des exactions de la multinationale, l’héroïne rencontre un cadre de Pormaco qui lui fait assidûment la cour et dont elle tombe amoureuse. Le récit se déroule ainsi sur deux plans : la description des démêlés entre la ­multinationale et l’ONG et l’histoire d’amour entre Carmen Berger et Michael Preskow. Ce dernier ­s’oppose en tous points à l’héroïne : il roule en voiture de luxe, se promène en hors-bord sur le Léman et n’a aucun problème de conscience concernant les activités de l’entreprise qui l’emploie. L’exercice dans lequel s’est engagé Catherine Fuchs est périlleux : écrire une fiction tout en dénonçant un scandale basé sur des faits réels. Le risque d’adopter un ton moralisateur et didactique est bien présent. L’auteure parvient toutefois à échapper à ce travers en mettant en lumière les doutes et les contradictions qui habitent son héroïne. En introduisant le personnage de Michael Preskow qui ne souffre apparemment d’aucun conflit de conscience, la romancière investigue ces deux personnalités aux convictions opposées qui se trouvent réunies par leurs sentiments. L’auteure dénonce la duplicité de la Suisse qui ignore les exactions commises par Comiza au Zamanga tout en profitant de la présence de l’entreprise sur son sol. Comme pour les fonds en déshérence ou pour le secret bancaire, la Suisse adopte l’attitude de l’autruche : ignorer l’évidence en se voilant la face.

Av. de Cour 1, 1007 Lausanne Horaires d’ouverture: Lu-Ve 8 h 30–12 h, 13 h 30–17 h 30 www.alliancesud.ch, documentation@alliancesud.ch

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www.alliancesud.ch

Nouveau site web – nouvelles possibilités ! Nicolas Bugnon et Daniel Hitzig  Alliance

Sud vient de publier un nouveau site web qui propose

de toutes nouvelles possibilités. Que l’on s’intéresse à l’actualité politique du développement ou à l’impressionnant fonds documentaire de l’InfoDoc, tout est désormais à portée de clic.

Articles en ligne, sites de référence, dossiers documentaires, vidéos, ­bibliothèque, dossiers de presse : les informations référencées par ­Alliance Sud InfoDoc sont toutes ­accessibles par thèmes sur le ­nouveau site. Mais on y trouve évidemment aussi toutes les ­conférences que nous organisons.

Articles politiques, textes de ­GLOBAL+, communiqués de presse, consultations, livres, prises de positions : la vue d’ensemble sur le ­travail d’Alliance Sud Politique s’est considé­ rablement améliorée.

Un nouveau site internet d’Alliance Sud complètement retravaillé a été publié juste avant Noël. Pour en arriver là, une phase de conception de presque deux ans a été nécessaire, qui a permis de répondre aux besoins complexes d’Alliance Sud InfoDoc : le site se devait d’être en même temps clair et sobre, mais aussi accueillant et pratique d’utilisation. Ainsi, ce nouveau site web fonctionne désormais comme un « guichet virtuel ». Dans la section InfoDoc, le visiteur trouvera des contenus de différents ­types : vidéos, articles d’actualité, sites de références ou dossiers documentaires constitués par l’équipe d’InfoDoc. La navigation thématique et par pays a également été considérablement améliorée et permet d’accéder à toute la documentation de manière beaucoup plus aisée et intuitive. Mais la grande nouveauté réside dans le référencement quotidien ­d’articles d’actualité, gratuits et acces­ sibles en ligne, provenant de dizaines de sources d’information. Chacun pourra ainsi suivre les dernières publi­ cations concernant son sujet de pré­ dilection !

Cette structure modulaire amène également de grands progrès pour la section Alliance Sud Politique : la présentation des six domaines de travail ( Agenda 2030, Politique de développement, Climat et environnement, Politique fiscale et financière, Commerce et investissements, Entreprises et droits humains ) offre enfin un accès unifié à tous les textes et facilite l’accès aux articles recherchés. Les deux sections d’Alliance Sud, ­Politique et InfoDoc, sont désormais clairement différenciées par les couleurs respectivement bleu foncé et bleu clair, mais en même temps, des liens constants existent dans la ­colonne de droite, qui proposent des contenus de l’autre section, en rapport avec l’article en cours de lecture. De plus, l’intégralité des articles publiés dans GLOBAL+ depuis l’été 2013 ont été intégrés au site web, tout comme les numéros complets de la revue sous forme PDF depuis le printemps 2010. Nous nous réjouissons de vos ­visites régulières sur notre nouveau site et recevons volontiers vos remarques et commentaires sur vos premières impressions mail@alliancesud.ch.

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Photo : © L uca Zanetti

Regards suisses sur le Sud. Luca Zanetti a parcouru sur son vélo électrique et avec sa caméra 11 000 kilomètres en 205 jours en Amérique latine. En Équateur, entre Latacunga et Quito, il a rencontré ces musiciens sur le chemin d’un enterrement.

Luca Zanetti, fils de la photographe Pia Zanetti, est une des figures déterminantes de la photographie de reportage en Suisse. Depuis 1991, il a été membre de l’agence Lookat Photos. Aujourd’hui, il fait partie de l’agence Laif. Ses clichés et reportages sont publiés dans le monde entier, notamment dans le New York Times, Spiegel, Stern, Geo, Time, SZ Magazin et Monocle. Luca Zanetti habite à Zurich et Bogotá, en Colombie. www.fotozanetti.com/luca/the-diaries

Faits et chiffres concernant   la mondialisation Sources : Alternatives économiques – Le Temps/OECD

350

4

550 Mrd. US-$

accords commerciaux ­bilatéraux ou régionaux en vigueur en 2015 ( contre 50 en 2000 )

pays de l’OCDE ( sur un ­total de 34 ) ont une charge fiscale inférieure à celle de la Suisse ( 2014 )

de subventions dédiées aux énergies fossiles contre 120 milliards aux énergies ­renouvelables ( 2014 )

GLOBAL +   1, Avenue de Cour  |   1007 Lausanne  |   Téléphone + 41 21 612 00 86 E-Mail : globalplus@alliancesud.ch  |   www.facebook.com/alliancesud

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