NumÉro 67 | PRINTEMPS 2018 Re s de po la nsa Su bi iss lité e cl o f im fic a ie tiq lle u m e– en L t d es év a s oi tu l é ce es s
Globalisation et politique Nord-Sud
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Gagner sa vie, loin de sa patrie Projet fiscal 17 : RIE III, sous nouvel emballage
Multinationales : Quand Nestlé Pays-Bas prend les devants
Investissements : qui paie les pots cassés ?
News Armée et police comme aide au développement ? dh. Concord, la coalition des ONGs européennes publie un rapport intitulé « Aidwatch 2018 – Security Aid ». Le sous-titre en résume le contenu par une question : « l’aide à la sécurité de l’État soutient-elle le développement ou sert-elle les intérêts des pays donateurs » ? Le renforcement de l’aide à la sécurité de l’État ne faisait auparavant pas partie des priorités de la coopération au développement de l’UE. En lien avec les Objectifs de développement durable (SDG 16), des programmes qui visent à améliorer la sécurité de la population peuvent s’avérer judicieux, notamment en renforçant les droits humains, la société civile, les ONGs locales et la responsabilité. Mais les intérêts des donateurs sont autres : ils investissent dans le renforcement de l’armée et de la police pour lutter contre l’extrémisme et le terrorisme, pour contrôler des insurrections et empêcher la migration vers l’Europe. www.concordeurope.org Climat : Financement insuffisant des « pertes et dommages » js. Le Climate Action Network (CAN) exige dans une requête adressée à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (UNFCCC) l’introduction d’un
Étude d’Alliance Sud : les contributions climatiques finançables selon le principe de causalité js. Ce que le Conseil fédéral avait omis de faire, Alliance sud le compense dans une récente étude qui démontre comment la Suisse pourrait financer sa contribution climatique sur la base du principe de causalité et de manière socialement supportable. Dans le cadre de la révision totale en cours de la loi sur le CO2, des instruments doivent être prévus pour mobiliser dès 2021 des financements publics d’au moins 1 milliard de francs. par an. Et cela, via un assemblage intelligent de taxe sur les billets d’avion, d’imposition des importations des carbu-
rants, de l’affectation partielle de la taxe sur le CO2 et d’une taxe sur les entreprises exemptées de la taxe CO2. Pour rappel : dans son rapport sur le financement climatique international, le Conseil fédéral avait omis d’évaluer des hypothèses de financement de la contribution climatique suisse et avait, en lieu et place, minimiser la contribution exigible de la Suisse. Voir aussi l’article en page 11. Principes directeurs de l’OCDE : Plainte contre Adidas auprès du PCN allemand lm. L’institut SÜDWIND va déposer une plainte auprès du Point de contact national (PCN) allemand contre Adidas pour violation des Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, notamment de son devoir de diligence en lien avec des licenciements d’employés d’un sous-traitant en Indonésie, l’entreprise Panarub. Suite à une grève en juillet 2012 – violemment réprimée par les forces de police et des groupes paramilitaires – qui visait à obtenir le versement du salaire minimal légal et le respect de leur liberté syndicale, 1300 employés avaient été licenciés. À ce jour, plus de 300 d’entre eux, principalement des femmes, n’ont obtenu aucun dédommagement, bien que cela soit exigé par le droit du travail indonésien.
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Alliance Sud en un clin d’œil
GLOBAL + paraît quatre fois par an.
Président Bernard DuPasquier, Directeur, Pain pour le prochain
– Entreprises et droits humains Laurent Matile, Tél. + 4 1 21 612 00 98 laurent.matile@alliancesud.ch
Direction Mark Herkenrath ( d irecteur ) Kathrin Spichiger, Matthias Wüthrich Monbijoustr. 31, Case postale, 3001 Berne Tél. + 4 1 31 390 93 30 Fax + 4 1 31 390 93 31 E-Mail : mail@alliancesud.ch
– Médias et communication Daniel Hitzig, Tél. + 4 1 31 390 93 34 daniel.hitzig@alliancesud.ch
Éditeur : Alliance Sud, Communauté de travail Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper E-Mail : globalplus@alliancesud.ch Site Internet : www.alliancesud.ch Médias sociaux politique : www.facebook.com/alliancesud, www.twitter.com/AllianceSud Rédaction : Laurent Matile ( l m ) , Tél. + 4 1 21 612 00 98 Traduction : Daniel Hitzig Iconographie : Nicole Aeby Graphisme : Clerici Partner AG, Zurich Impression : s+z : gutzumdruck, Brig Tirage : 1500 Prix au numéro : Fr. 7.50 Abonnement annuel : Fr. 30.– Abonnement de soutien : min. Fr. 50.– Prix publicité / e ncartage : voir site internet Photo de couverture : Nettoyage d'un wagon dans la halle d'entretien des CFF à Ober winterthour© Martin Ruetschi / Keystone
Le prochain numéro paraîtra fin juin 2018.
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nouveau « bras financier ». Cet instrument doit permettre de faire – enfin – avancer le dossier « pertes et dommages ». Lors de la dernière Conférence sur le climat à Bonn, la COP 23, les États insulaires s’étaient mobilisés, en vain. Selon le CAN, les besoins financiers non-couverts se montent à 50 – 300 milliards USD par an. Ces montants doivent permettre de soutenir les pays en développement victimes de catastrophes climatiques lors de pertes et dommages inévi tables. Sans ces moyens, le « Mécanisme de Varsovie », prévu dans ce but, restera sans effet.
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Politique de développement – Agenda 2030 Sara Frey, Tél. + 4 1 76 388 93 31 sara.frey@alliancesud.ch – C oopération au développement Eva Schmassmann, Tél. + 4 1 31 390 93 40 eva.schmassmann@alliancesud.ch – Politique financière et fiscale Dominik Gross, Tél. + 4 1 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch – Environnement et climat Jürg Staudenmann, Tél. + 4 1 31 390 93 32 juerg.staudenmann@alliancesud.ch – Commerce et investissements Isolda Agazzi, Tél. + 4 1 21 612 00 97 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Bureau de Lausanne Isolda Agazzi / L aurent Matile / Mireille Clavien Tél. + 4 1 21 612 00 95 / Fax + 4 1 21 612 00 99 lausanne@alliancesud.ch Bureau de Lugano Lavinia Sommaruga Tél. + 4 1 91 967 33 66 / Fax + 4 1 91 966 02 46 lugano@alliancesud.ch InfoDoc Berne Dagmar Aközel / J oëlle Valterio / Emanuel Zeiter / S imone Decorvet ( e n congé ) Tél. + 4 1 31 390 93 37 dokumentation@alliancesud.ch Lausanne Pierre Flatt / N icolas Bugnon / Amélie Vallotton Preisig Tél. + 4 1 21 612 00 86 documentation@alliancesud.ch
Photo : © D aniel Rihs
« Un compromis bien suisse » serait désastreux
Points forts Projet fiscal 17 Modèle d’affaires parasitaire
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Transferts de fonds des migrants 575 milliards USD par an
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Protection des investissements en Argentine Les retraités paient la facture
Photo : © L ukas Lehmann / Keystone
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Empreinte climatique de la Suisse 11 L’OFS lève le voile Responsabilité des entreprises 12 Prise de bec entre poids lourds Événements InfoDoc 2018 14 Migration et développement
Mettre le monde sur la voie d’un développement durablement équitable et écologique. C’est avec cette ambition que la communauté internationale a signé en septembre 2015 un plan commun – l’Agenda 2030 avec ses 17 objectifs de développement durable. Cet agenda vise à établir d’ici à 2030 un monde écologiquement et socialement durable, vivant en paix, dans la stabilité, la sécurité et la prospérité. La Suisse a contribué de manière déterminante au succès des négociations. En tant que petit pays fortement intégré sur le plan mondial, la Suisse a un grand intérêt à un environnement global stable et durable. Un monde vivant dans la prospérité et en paix ne correspond pas seulement à notre tradition humanitaire, mais est également dans l’intérêt des entreprises suisses actives sur les marchés internationaux. Malgré cela, des signes se multiplient semblant indiquer que les hautes sphères de l’administration fédérale ne souhaitent pas accorder à la mise en œuvre de l’Agenda 2030 le poids politique qu’elle devrait avoir. En juillet de cette année, la Suisse présentera à New-York lors du Forum politique de haut niveau ( High-Level Political Forum, HLPF ) à l’ONU les progrès qu’elle a réalisés en lien avec l’Agenda 2030. Le Conseil fédéral doit d’ici-là décider qui, au sein de l’administration fédérale, doit endosser la responsabilité globale pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 dans la politique intérieure et extérieure de la Suisse. Un ancrage de haut niveau – par exemple via un délégué directement subordonné au Conseil fédéral – permettrait à la Suisse de donner un signal fort qu’elle entend jouer un rôle de premier plan au niveau international en termes de développement durable. D’autres pays ont pris les devants en donnant l’exemple. Ils ont attribué la compétence pour l’Agenda 2030 à la chancellerie, à un ministre ou à un délégué du gouvernement – une position donc directement liée au gouvernement, à même de demander des comptes à l’ensemble des offices des différents ministères concernés. Cela est important au vu du fait que l’Agenda 2030 concerne l’ensemble des domaines politiques d’un pays et que sa mise en œuvre exige une démarche coordonnée par-delà l’ensemble des offices. Un désaccord règne par contre au sein de l’administration fédérale sur la question de savoir qu’elle instance doit prendre la responsabilité de l’Agenda 2030. L’idée qu’une instance supérieure de coordination leur soit mise sous le nez énerve considérablement les hauts fonctionnaires de certains offices. Le danger existe dès lors que les décisions straté giques en lien avec l’Agenda 2030 soient attribuées à une conférence des directrices et directeurs des offices. Un groupe de travail mixte des différents départements serait chargé des tâches pratiques de coordination. Par le biais d’un tel « compromis bien suisse », tous les offices fédéraux seraient un peu compétents pour l’Agenda 2030, mais personne n’en endosserait vraiment la responsabilité. Il manquerait un interlocuteur clairement défini aux cantons, aux organisations de la société civile et à toutes les entreprises qui souhaitent s’associer étroitement à la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Ces parties prenantes souhaitent pour l’Agenda 2030 un ancrage de haut niveau, doté de compétences claires. Il ne reste que peu de temps au Conseil fédéral pour trouver une solution raisonnable. Mark Herkenrath, directeur d’Alliance Sud
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Projet fiscal 17
Nationalisme éco nomique ou solidarité internationale ? Dominik Gross
En avril, la commission du conseil prioritaire compétente va traiter la nouvelle
version de la réforme de l’imposition des entreprises III. Le débat qui s’annonce va
Ceux qui rêvent d’une Suisse solidaire sur le plan international n’auront pas pu se réjouir longtemps. Le 12 février 2017, 59,1 pour cent des Suisses ont rejeté clairement la Réforme de l’imposition des entreprises III (RIE 3). Ce rejet exprimait aussi le refus d’une politique économique parasitaire, qui visait à attirer en Suisse, également à l’avenir, les bénéfices réalisés par les entreprises à l’étranger. Ces transferts de bénéfices font perdre aux pays en développement 200 milliards USD de rentrées fiscales par an, selon le Fonds monétaire international (FMI). Personne ne sait exactement quelle part se retrouve en Suisse, car ni le Conseil fédéral, ni une majorité du parlement n’ont voulu faire, à ce jour, la transparence que permettraient pourtant les dispositions législatives en vigueur sur l’imposition des entreprises. Mais la force d’attraction de la Suisse en tant que pays à faible imposition des bénéfices des multinationales et les affaires des entreprises ayant leur siège en Suisse permettent d’arguer qu’une part importante de ces 200 milliards passe par la Suisse et y reste. Une bonne partie de la classe politique suisse a réagi à ce refus net du modèle d’imposition des entreprises comme si la RIE 3 n’avait jamais été rejetée. La nouvelle version de la loi, appelée avec euphémisme Projet fiscal 17 (PF17) – publiée fin mars dans le message du Conseil fédéral au Parlement – reprend, en ce qui concerne les points déterminants de politique de développement, le projet que le Conseil fédéral avait présenté il y a trois ans sous le titre, entretemps discrédité, de Réforme de l’imposition des entreprises III. Seules l’imposition partielle des dividendes et la part cantonale de l’impôt fédéral direct ont été légèrement augmentées. L’augmentation de la part cantonale équivaut à une subvention fédérale additionnelle de la concurrence fiscale intercantonale et creuse, au bout du
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Photo : © G aetan Bally / Keystone
mettre à l’épreuve la conscience internationale du PS, des Verts et des partis du centre.
Photo prise lors de l’assemblée générale de Glencore au Théatre Casino à Zoug.
compte, un trou supplémentaire, non seulement dans la caisse fédérale, mais aussi dans celles de la plupart des cantons. En effet, elle incite les cantons à baisser encore davantage les taux d’imposition réguliers et favorise ainsi le nivellement vers le bas intercantonal. Le dumping fiscal adouci par les allocations familiales Le Conseil fédéral va aussi proposer quelque chose qui n’a rien à voir : une augmentation des allocations familiales sur le modèle du canton de Vaud. Ce « petit sucre de politique sociale » est censé adoucir une partie des opposants à la RIE 3. Mais le Conseil fédéral ne veut rien changer aux nouveaux régimes fiscaux spéciaux déjà prévus par la RIE 3, soit la « Patentbox », les déductions pour « la recherche et le développement » et les rabais pour l’imposition du capital. Il a seulement quelque peu réduit, par rapport à la RIE 3, le montant des déductions possibles. Par conséquent, les pertes fiscales redoutées pour la Confédération et les cantons vont être du même ordre que dans la RIE 3, à savoir à hauteur de milliards. Il est probable que le très controversé impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts soit de nouveau discuté au Parlement. Ce qu’Alliance Sud critiquait dans la RIE 3 reste donc d’actualité pour le PF17 : le maintien d’un modèle d’affaires parasitaire. La valeur ajoutée réalisée à l’étranger va être privatisée en Suisse, avec les graves conséquences que cela entraîne pour le développement et le maintien des services publics dans les pays du Sud. Face à cette reprise à la hussarde d’un projet de loi rejeté par la démocratie directe, les vainqueurs du vote de février 2017, à commencer par les partis rouge – verts, ont adopté un comportement étonnamment défensif. Au lieu de travailler à un changement de paradigme à moyen terme du paradis fiscal suisse, ils ont, dès l’annonce du résultat des votations, laissé entendre qu’ils étaient prêts à faire des compromis sur la base de l’ancienne proposition. Dans leur grande majorité, ils ont ainsi accepté implicitement de poursuivre la stratégie parasitaire de la politique fiscale suisse vis-à-vis des multinationales. Dans la confrontation qui s’annonce au Parlement, aussi bien la direction du PS que les membres des exécutifs rouges-verts cantonaux et communaux semblent prêts à faire des compromis avec le centre-droit qui sont tout à fait en phase avec le nationalisme économique. On veut continuer à faire des cadeaux fiscaux aux multinationales grâce au dumping fiscal en siphonnant le substrat fiscal à l’étranger, tout en le répartissant un peu plus équitablement au sein de la population suisse. Cette démarche est problématique même d’un point de vue démocratique. Elle piétine le verdict clair des urnes contre la RIE 3 en ajoutant un peu de « cosmétique sociale » à la proposition rejetée. Et, du point de vue de la politique
économique, cette manœuvre est à très courte vue : dans la spirale vers le bas de l’imposition des entreprises, qui règne sur le plan international depuis vingt ans, les précurseurs de la faible imposition, comme la Suisse, doivent désormais tenir compte du fait que la concurrence économique ne va bientôt plus fonctionner, même pour ceux qui en ont bien profité jusque-là. Les effets négatifs sur la politique sociale sont de moins en moins tolérables, même pour une politique de redistribution uniquement nationale. L’opposition se forme Dans le débat qui s’annonce sur le Projet fiscal 17, l’opposition vient de deux côtés : à gauche, des parlementaires PS et Verts et, à droite, de l’Union suisse des arts et métiers. À leurs congrès de janvier et février, les premiers ont adopté, à de très claires majorités, des résolutions qui tiennent compte de la responsabilité de la place économique suisse en matière de politique de développement. Elles exigent, pour la petite économie ouverte de la Suisse, un modèle d’affaires plus durable que celui d’un paradis fiscal. Pour l’USAM, par contre, le problème est l’augmentation des allocations familiales et de l’imposition partielle des dividendes. Si l’UDC et une partie du PLR au Parlement rejoignaient la position de l’USAM, la voie serait libre pour un compromis minimal entre des parties du PLR, les partis du centre et les rouges-verts, qui entraînerait une division de la proposition : dans un premier temps, cette année seuls les vieux privilèges pour les entreprises boîtes aux lettres seraient abolis. La pression internationale en ce sens est devenue trop forte : ces privilèges ne sont plus conformes à l’OCDE et l’UE menace la Suisse de sanctions, si elle ne les élimine pas d’ici à la fin de 2018. Tout le reste serait négocié plus tard. Du point de vue d’une politique intérieure mondiale durable en matière écologique et sociale, cette démarche aurait du sens, car les possibilités de transférer des bénéfices des pays du Sud vers la Suisse seraient fortement limitées par la suppression des anciens privilèges, sans remplacement. Les pertes fiscales éventuelles qui résulteraient du départ d’entreprises auparavant privilégiées pourraient être compensées par de nouvelles recettes, en imposant entièrement les dividendes ou en éliminant de nouveau le principe de l’apport de capital. Ce dernier a été introduit seulement en 2008 avec la Réforme de l’imposition des entreprises II. Selon les nouveaux chiffres de l’Administration fédérale des finances, les multinationales suisses, grâce au principe de l’apport de capital, ont pu accumuler depuis 2011 des réserves à hauteur de deux milliards de francs. Dans les décennies à venir elles vont pouvoir les distribuer à leurs actionnaires sous formes de dividendes – sans payer aucun impôt.
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Migration pour le développement ?
Économiser pour ceux qui restent à la maison Eva Schmassmann
En 2014, les transferts de fonds des migrants ont atteint
un nouveau record : au niveau mondial, près de 600 milliards USD ont été envoyés vers des pays d’origine. Mais les données disponibles sont opaques et le débat sur les avantages en termes de développement s’avère complexe.
Pays avec le pourcentage le plus élevé des transferts de fonds dans leur PIB en 2015 : Népal
32 %
Tadjikistan
29 %
Liberia
Kirghizistan Haïti
Moldavie
31 % 26 % 25 % 24 %
Près de la moitié du total des transferts de fonds vers les pays en développement provient de ces 10 pays : États-Unis, Arabie saoudite,
Russie, Émirats arabes unis,
Allemagne, Koweït, France, Qatar,
Grande-Bretagne et Italie.
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Depuis le passage au nouveau millénaire, les envois de fonds des migrants dans leurs pays d’origine ont augmenté de 126 à 575 milliards USD par an. En 2016, plus de 450 milliards de ce montant total ont été envoyés dans des pays en développement. Mais seul un faible pourcentage était à destination des pays les plus pauvres et les moins avancés (13,9 et 38,2 milliards respecti vement). De manière plutôt surprenante, seule la moitié des transferts provient de pays industrialisés et 34 pour cent sont des transferts entre pays de l’hémisphère sud (voir les diagrammes). Dans son rapport « Sending Money Home », le Fonds international de développement agricole (FIDA) se concentre sur les virements des pays industrialisés vers les pays en développement. Les autres chiffres du présent article se basent en grande partie sur ce rapport. Il n’est pas surprenant que les pays les plus densément peuplés fassent également partie des nations destinataires majeures des transferts de fonds. Les plus petits pays reçoivent certes des montants moindres mais, proportion nellement, ces transferts contribuent parfois jusqu’au tiers de leur produit intérieur brut (PIB). Le Népal, le Liberia et le Tadjikistan en dépendent dans une mesure particulièrement élevée. On constate l’énorme importance de ces virements à l’exemple de l’Égypte. Ces derniers font plus du quadruple des recettes publiques liées au canal de Suez. Une attention grandissante est donc vouée aux transferts de fonds
dans le débat sur le financement du développement. L’ONU estime que la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de développement durable exige 5000 à 7000 milliards USD par an. 450 milliards sous forme de transferts financiers peuvent, dans ce contexte, apporter une contribution bienvenue. Mais face à ces apports, il faut aussi mettre les sorties de capitaux sur l’autre plateau de la balance. Global Financial Integrity a par exemple estimé les flux financiers déloyaux provenant de pays en développement à 1100 milliards USD en 2013. Ces sorties de capitaux équivalent donc à plus du double des apports constitués par les transferts de fonds des migrants. Comment l’argent est-il utilisé ? Des études portant sur l’utilisation de virements de parents émigrés montrent que l’ampleur de tels transferts financiers est relativement stable et réagit moins fortement aux crises financières ou à une conjoncture économique en baisse que d’autres flux financiers. De toute évidence, les migrants coupent d’abord dans leurs propres dépenses avant de réduire les montants de leurs virements à leurs proches. Ils aident donc, en période de crise surtout, à affronter les aléas de la conjoncture. En plus de servir aux dépenses géné rales des ménages, cet argent est fréquemment alloué à la formation des enfants ou investi dans une activité commerciale propre. Pour les avantages en termes de développement, il est pertinent de savoir si les investissements
et la consommation portent plutôt sur des biens importés ou s’ils encouragent l’économie locale. Les virements financiers peuvent donc, suivant le contexte, avoir une incidence positive ou négative sur le développement économique local. Lorsqu’il est possible de compter sur des virements réguliers et constants, un retrait du marché du travail peut se produire, car aucun revenu supplémentaire n’est nécessaire pour maintenir un certain niveau de vie. Selon une hypothèse positive, le travail des enfants s’en trouve réduit. Suivant le contexte, des virements de fonds depuis l’étranger couvrent cependant simplement les besoins quo tidiens les plus urgents et devraient être imputés à l’aide d’urgence ou à la reconstruction plutôt qu’au financement du développement. Après le typhon Hainan, la population des Philippines a, par exemple, largement béné ficié de la solidarité de la diaspora. La détresse des uns fait l’affaire des autres Les activités liées aux transferts de fonds des migrants font gagner des sommes colossales. En moyenne, les coûts d’un virement de 200 USD ont baissé de plus de 15 à 7,5 pour cent ces deux dernières décennies, avant de stagner à ce niveau. Dans ce contexte, la communauté internationale s’est fixée en 2015 pour objectif de réduire les frais de transaction à moins de 3 pour cent dans le cadre de l’Agenda 2030 de développement durable. Des bureaux de transfert comme Western Union ou MoneyGram permettent chaque année plus de 2 milliards de virements pour lesquels ils facturent près de 30 milliards USD. En particulier les transferts dans des pays dotés d’une piètre infrastructure financière, insuffisamment connectés aux réseaux bancaires internationaux, sont soumis à des coûts de transaction excédant 20 pour cent. La Suisse fait partie des pays les plus chers au monde pour des transferts financiers vers la Serbie et le Sri Lanka – donc vers des pays ayant d’importants groupes de leur diaspora dans notre pays. Pour transférer 200 francs, des frais de près de 30 francs suisses, soit de 15 pour cent sont versés en Suisse. Les virements dans des pays musulmans sont de manière générale grevés de coûts élevés. Certaines banques excluent ces paiements, car elles redou-
Migration (%)
Source : Banque mondiale
38 % Sud-Sud 23 % Nord-Nord 6 % Nord-Sud
34 % Sud-Nord
Envois de fonds (%)
Source : Banque mondiale
34 % Sud-Sud
24 % Nord-Nord
5 % Sud-Nord 37 % Nord-Sud
Quid de la Suisse ? La Banque mondiale estime que les fonds en provenance de Suisse sont principalement virés dans les dix pays suivants : France, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Autriche, Serbie, Belgique, Kosovo et Hongrie. Selon ses estimations, ces fonds équivalent à environ 75 pour cent de tous les virements provenant de Suisse. La Banque mondiale prend en considération les montants arrivés dans le pays ou l’ayant quitté. Mais il est impossible d’établir d’où provient, respectivement vers quelle destination va l’argent. Les données sur les répartitions bilatérales se fondent sur la taille des groupes de la diaspora et sur des estimations en découlant.
Premiers pays bénéficiaires de transferts de fonds de migrants en 2016 (en milliards USD) : Inde
Chine
Philippines
Mexique
Pakistan Nigeria
62,7
61,0
29,9
28,5
19,8
19,0
tent les charges liées au respect des lois sur le financement du terrorisme. Aussi les migrants doivent-ils opter pour des canaux disponibles formels plus onéreux ou pour des canaux informels. Le débat sur les avantages en termes de développement doit aussi prendre en
compte les possibilités de revenus dans le pays de destination et donc l’accès au marché du travail. On connaît, partiellement du moins, les conditions scandaleuses dans lesquelles les migrants économiques d’Asie travaillent dans les émirats du Golfe. Mais les conditions ne
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Sources : Sending Money Home: Contributing to the SDGs, one family at a time. IFAD, 2017 Migration and Remittances Factbook 2016, World Bank
Aide au développement privée es. Les transferts de fonds des migrants sont généralement imputés à la coopération au développement privée. Mais les données disponibles sont opaques et se fondent souvent sur des estimations. Les avantages de ces virements en termes de déve loppement dépendent dans une large mesure du contexte. La Banque mondiale est la source principale de données. Elle fonde ses calculs sur des informations des banques centrales et des autorités statistiques nationales. Ils comprennent notamment des paiements à du personnel étranger (ambassades, organisations onusiennes, entreprises étrangères, par exemple). Cette définition ne correspond pas à la compréhension courante des virements de migrants à des proches dans leur pays d’origine. Les paiements via des canaux informels ne sont en outre pas pris en compte dans les estimations. Les chiffres donnent donc une image déformée, surestimant les transferts de fonds de migrants au sens strict (pays avec une forte présence de l’ONU ou comptant de nombreuses sociétés étrangères) ou les sous-estimant.
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Photo : © A lfredo Caliz / Panos
sont pas toujours roses chez nous non plus. Nombre de travailleuses du sexe ou d’employées domestiques au noir par exemple envoient régulièrement de l’argent à leurs familles. Pour accroître la valeur des rapatriements de fonds dans les pays d’origine des migrants en vue d’un développement durable, les choses doivent évoluer sur trois plans : les taxes doivent baisser au-dessous des 3 pour cent convenus, les migrants économiques doivent gagner un salaire minimum vital et les migrants doivent avoir accès au marché régulier du travail.
Protection des investissements : le cas de l’Argentine
Argentine : les retraités trinquent, les in vestisseurs jubilent Isolda Agazzi
La réforme des retraites adoptée en décembre 2017
est censée amener six milliards USD d’économies. Alors que l’Argentine doit 8 milliards 650 millions USD (au moins) aux investisseurs étrangers et a déjà payé 11 milliards USD aux fonds vautours ...
Le 19 décembre dernier, le rideau venait à peine de tomber sur la 11ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) que les rues de Buenos Aires se transformaient en champ de bataille. Malgré des manifestations incessantes et des grèves générales depuis un mois, le président Mauricio Macri avait fait passer aux forceps la très controversée réforme des retraites, qui prévoit l’augmentation de l’âge de la retraite et une limitation de l’indexation des pensions à l’inflation. Pourtant, avec une inflation record de 20 pour cent par an, beaucoup de retraités peinent à joindre les deux bouts et les travailleurs voient leur pouvoir d’achat dégringoler. Le taux de pauvreté officiel se situe à 28,6 pour cent. Le bras de fer entre le président libéral et la gauche péroniste et les syndicats a provoqué l’embrasement des rues de Buenos Aires et une répression brutale, comme cela ne s’était jamais vu depuis la crise financière de 2001. Le but affiché du gouvernement, élu en 2015, est de réduire un déficit budgétaire de 31 milliards d’USD en 2016 par le biais de 6 milliards USD d’économies. Mais prendre l’argent des retraités est-ce la meilleure façon d’y parvenir ? Pour répondre à cette question, il suffit de comparer ce montant aux sommes astronomiques que l’Argentine doit aux investisseurs étrangers. Crise financière, état d’urgence et avalanche de plaintes Pour comprendre les origines de la crise de 2001, qui avait mis le pays à genoux, il faut remonter au début des années 1990. L’ Argentine croulait sous les dettes. Pour y faire face, le gouvernement avait pri-
vatisé nombre d’entreprises publiques, les cédant notamment à des investisseurs étrangers et avait conclu, pour les attirer, une cinquantaine d’accords de protection des investissements (API). Malgré ces ouvertures, le pays n’est pas arrivé à rembourser sa dette publique. En 2001 il a fait faillite. Prenant des mesures exceptionnelles, le nouveau gouvernement Duhalde a alors déclaré l’état d’urgence. Il a dû abandonner la parité du peso et d’USD, entraînant une brusque dévaluation de la monnaie nationale et une perte du pouvoir d’achat de la population sur les produits importés. Il a gelé les prix et obligé les investisseurs étrangers à percevoir les recettes en pesos. Ceux-ci tenaient pourtant à continuer à être payés en USD, ou alors en pesos, mais à la même valeur que lors de la réalisation des investissements, ce qui aurait signifié une augmentation de 200, 300 ou 400 pour cent – insupportable pour des clients déjà étranglés par l’inflation et le chômage. Pour protester contre ces mesures exceptionnelles, mais nécessaires, les investisseurs étrangers ont déposé une avalanche de plaintes – Investor-state dispute settlements (ISDS) – ; soixante, un record mondial ! À relever qu’il n’y a aucune plainte d’entreprise suisse. Leur particularité est que beaucoup portent sur des services publics, certains de base, comme la fourniture d’eau, d’électricité et de gaz. Attirer les investissements étrangers, mais à quel prix ? Depuis son élection en décembre 2015, le président Mauricio Macri a adopté des mesures pour faire re-
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venir les investisseurs étrangers : élimination du contrôle des capitaux, dévaluation du peso, baisse des impôts sur les entreprises, réduction des obstacles bureaucratiques. En mars, il s’apprête à libéraliser le droit du travail, ce qui augure de nouvelles manifestations dans les rues de Buenos Aires… Pour l’instant, il n’a pas touché aux mesures contestées par les investisseurs étrangers, mais les temps ont changé et il n’est plus question de revenir à la parité du peso et du USD, par exemple (aujourd’hui 1 USD s’échange contre 20 pesos). Les plaintes auxquelles l’Argentine a dû et doit faire face – 9 sont encore en cours et de nouvelles ne sont pas exclues – soulèvent de nombreuses questions : en principe, la souveraineté de l’État ne peut pas être engagée lorsque surviennent des événements économiques tels qu’une crise financière, l’effondrement d’une devise ou du cours mondial d’un produit. Dès lors, puisque les mesures prises
par l’Argentine étaient directement liées à la situation économique du pays et de la région, elles devraient être considérées comme faisant partie des risques économiques que les investisseurs étrangers doivent assumer, dégageant ainsi le pays de sa responsabilité juridique internationale. Le fait que l’Argentine ait été condamnée dixneuf fois et n’ait obtenu gain de cause que cinq fois montre que ce principe n’a presque jamais été respecté. Visiblement, l’obligation d’un gouvernement de fournir les services publics de base et de respecter les droits humains de la population passe après ses obligations envers les investisseurs étrangers.
État des plaintes ( Investor-state dispute settlements ISDS ) 1 5 Décidées en faveur de l’État 19 Décidées en faveur de l’investisseur 4 9 En cours 3 3 Données non disponibles
9 Abandonnées 14 Arrangements 2 1 Décidée en faveur d’aucune des deux parties
1 État en février 2018, selon la base de données de la CNUCED, http://investmentpolicyhub.unctad.org/ISDS/CountryCases/8?partyRole=2 2 Il s’agit de plaintes où les deux parties ont pu trouver un accord sur le montant du dédommagement, mais seulement deux de ces arrangements sont publics : 5 milliards USD accordés à la compagnie pétrolière espagnole Repsol pour expropriation (un record absolu ! ) et 1 milliard 350 millions USD pour régler le cas Abaclat vs. Argentina, une plainte déposée par 60 000 épargnants ayant perdu leurs obligations souveraines suite à la restructuration de la dette publique en 2001. Les autres arrangements ne sont pas publics, mais l’Argentine a aussi dû délier les cordons de la bourse. 3 La plus récente est celle déposée en 2017 par un investisseur américain, MetLife, suite à la nationalisation du système privé des retraites en 2008. D’autres font suite aux mesures susmentionnées d’après-crise, comme celle de l’investisseur Luxembourgeois Camuzzi, un distributeur de gaz naturel actif dans sept provinces. 4 Il s’agit du nombre le plus élevé. D’après nos calculs, basés sur les données de la CNUCED, l’Argentine doit payer 2 milliards 295 millions USD de dommages et intérêts. Si on a dditionne ce montant à celui mentionné précédemment, l’Argentine doit payer au moins 8 milliards 650 millions, auxquels s’ajoutent les frais de justice. Une plainte coûte en moyenne 8 millions USD, répartis différemment entre le plaignant et l’État hôte selon l’issue de celle-ci.
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11 milliards USD payés aux fonds vautours ! ia. Au montant de 8,65 milliards USD de dédommagement que l’Argentine doit payer, viennent s’ajouter les 11 milliards USD que l’Argentine a accepté de payer aux fonds vautours américains en février et mars 2016. Cette bataille judiciaire est aussi interminable que scandaleuse : en 2005 et 2010, les gouvernements Kirchner avaient réussi à négocier une restructuration de la dette avec 93 pour cent de leurs créanciers, qui avaient accepté une décote de 70 pour cent. Mais les fonds spéculatifs américains, qui détenaient 7 pour cent de la dette, n’ont pas accepté cet arrangement. Ils ont saisi les tribunaux newyorkais pour obtenir un remboursement total des obligations argentines, qu’ils avaient pourtant achetées à prix cassé. Ils ont fini par toucher le jackpot : 2 milliards USD pour des obligations achetées 80 millions dans les années 2000 ! L’ Argentine a pu retourner sur les marchés financiers internationaux, mais à quel prix ?
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Responsabilité climatique
Les astuces de la Suisse enfin dévoilées Jürg Staudenmann « Plus
de 60 pour
cent de l’empreinte gaz à effet de serre de la Suisse est générée
à l’étranger. » Tel est le titre de la publication de février 2018 de
l’Office fédéral de la statistique (OFS). La Suisse doit enfin
reconnaître sa responsabilité
climatique dans le monde et agir. Nul ne doute de l’objectivité et de la rigueur de l’Office fédéral de la statistique (OFS) ; ses études sont intègres et servent de base analytique aux forces politiques et économiques de notre pays. Or l’OFS présente pour la première fois des chiffres corroborant une critique centrale, formulée depuis des années par Alliance Sud : il est inadmissible que la Suisse officielle assimile sa responsabilité dans le domaine du climat au bilan des gaz à effet de serre. Dans son étude, l’OFS constate que, totalisant 76 millions de tonnes d’équivalents CO2 par an, les « émissions générées à l’étranger pour répondre à la demande intérieure finale » font près du double des émissions de gaz à effet de serre rejetées sur le territoire suisse. Cela s’explique par le fait que nous déplaçons toujours davantage à l’étranger notre production à forte consommation d'énergie et d’émissions. L’inventaire des gaz à effet de serre est régulièrement établi dans le cadre de l’application du protocole de Kyoto. Il se base sur le principe territorial et ne prend donc en considération que les émissions engendrées à l’intérieur des territoires nationaux. Il occulte par conséquent la consommation de biens importés, ainsi que les émissions causées par les émissions du trafic aérien et des trajets en voiture à l’étranger. Les émissions d’entreprises suisses issues par exemple de l’exploitation et de la transformation de matières premières ou de la production de biens et services à
Une augmentation du prix de l’essence est politiquement guère envisageable. La Confédération a par contre mis dans les tiroirs en 2011 des instruments prometteurs de financement de la contribution suisse au climat.
l’étranger ne sont pas non plus prises en compte. Cette falsification statistique a un effet « bénéfique » pour des États comme la Suisse qui déplacent toujours davantage leurs émissions à l’étranger au lieu de les réduire. On l’a dit, ce constat n’est pas nouveau : en 2016, dans son masterplan, l’Alliance climatique a aussi exigé d’aligner la politique climatique de la Suisse sur son apport total dans l’atmosphère à l’échelle planétaire. Alliance Sud critique depuis des années le fait que le Conseil fédéral, notamment dans l’évaluation des contributions que la Suisse doit verser au titre de la lutte contre le changement climatique conformément à l’Accord de Paris sur le climat, invoque toujours le principe du pollueur-payeur, tout en ne considérant que le tiers des émissions suisses, à savoir la seule part rejetée à l’intérieur des frontières nationales. Ce qui est nouveau, c’est qu’une vision globale est également enfin demandée par la Suisse officielle. L’OFS souligne que cette approche est cruciale « précisément dans un pays comme la
Suisse très axé sur le commerce extérieur ». Selon l’OFS toujours, elle permet d’être en cohérence avec les « comptes nationaux », une méthodologie établie à l’échelle de l’OCDE, appliquant le principe dit de résidence. L’OFS a ainsi jeté le fondement nécessaire à une évaluation fiable de la « responsabilité commune mais différenciée » de la Suisse dans le domaine du climat. Sa modélisation a permis de calculer que les émissions suisses sont environ trois fois supérieures à celles sur lesquelles le Conseil fédéral se fondait jusqu’ici. La contribution que la Suisse doit apporter au financement international du climat s’élève donc à 900 millions de francs par an. Pour rappel : dans son rapport du 10 mai 2017, le Conseil fédéral prévoyait encore 450 à 600 millions de francs. Le débat autour de la part « équitable » de la Suisse au financement de la lutte contre le changement climatique peut et doit par conséquent être clos. L’attention doit enfin se porter sur l’urgente mobilisation de ressources financières supplémentaires.
Le principe de la « Common but Differentiated Responsibility » (CBDR) Depuis la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, le principe de la responsabilité commune mais différenciée (CBDR) joue un rôle prépondérant dans le débat international sur le climat. Le principe de la CBDR est sous-tendu par le constat que seules des actions communes permettront de faire face aux menaces environnementales globales telles que les changements climatiques, la perte de biodiversité ou la désertification. Mais comme les différents pays en sont responsables dans une mesure variable, les charges liées aux mesures de prévention et de lutte doivent être diversement réparties.
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Que signifie multinationales responsables ?
Quand les filiales hollandaises prennent les devants Laurent Matile
Pendant qu’economiesuisse s’enferme dans la confrontation
sur la protection des droits humains, à l’étranger, des multinationales suisses assument leur responsabilité. Il est très souvent question de « l’économie ». La discussion sur la responsabilité des entreprises démontre de manière exemplaire à quel point les avis divergent entre acteurs globaux du secteur privé. Alors que l’organisation faîtière economiesuisse, qui représente notamment la multinationale Nestlé, s’entête à s’opposer à l’initiative pour des entreprises responsables, le CEO de Nestlé Pays-bas soutient une position résolument différente. Aux Pays-bas, les poids lourds entre autres de la branche du chocolat sont passés à l’offensive pour soutenir une proposition de loi visant à prescrire un devoir de diligence relatif au travail des enfants applicable non seulement aux entreprises, mais également à leurs fournisseurs. Parmi les signataires d’une lettre adressée aux membres concernés du parlement des Pays-bas, on retrouve, aux côtés d’Heineken et de Cargill, le CEO de Nestlé Pays-bas, ainsi que le CEO de Barry Callebaut, dont le siège se trouve à Zurich, multinationale peu connue du grand public bien qu’étant le leader mondial de la fabrication de chocolat et cacao, actif dans plus de trente pays, notamment des pays en développement producteurs des matières premières. La lecture de ce courrier est instructive ; ses signataires plaident en effet pour qu’un cadre juridique contraignant soit établi, allant au-delà des initiatives volontaires et de l’auto- régulation. Considérant qu’un problème grave exige une démarche en conséquence, les signataires soulignent que les entreprises et le gouvernement doivent assumer leur res ponsabilité. Une réglementation à cet égard inciterait et récompenserait les efforts des entreprises, en leur donnant des armes égales pour lutter contre le travail des enfants, en soulignant que les entreprises qui ont endossé un rôle de précurseur ont démontré qu’un devoir de diligence est faisable et que les systèmes (déjà) mis en place rendent cela possible pour tous, y compris financièrement. Enfin, les signataires plaident en faveur du maintien des Pays-Bas dans le peloton de tête des pays qui ont ou sont sur le point d’établir un cadre réglementaire créant des conditions de concurrence équitable pour s’attaquer au problème des violations des droits humains dans les chaines de production. Il faut en outre souligner que ces mêmes entreprises participent à des initiatives volontaires pour combattre, no-
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tamment le fléau que représente le travail des enfants dans les chaînes de production de cacao. Elles semblent donc être convaincues que dispositions réglementaires et initiatives volontaires ne s’excluent pas, mais sont au contraire parfai tement complémentaires. Ignorer les signes des temps En Suisse, les associations économiques economiesuisse et SwissHoldings affirment haut et fort dans leur communication leur soutien à la protection des droits humains et de l’environnement. Avec néanmoins une qualification d’importance. Seules des mesures volontaires rencontrent leur soutien. Lors du dépôt de l’Initiative pour des entreprises responsables en octobre 2016, economiesuisse avait fait feu de tout bois contre l’initiative qui était, selon elle, « superflue, contre-productive en matière de droits de l’homme et de l’environnement et dangereuse pour notre place économique ». Le Conseil fédéral, en septembre 2017, dans son Message avait d’ailleurs démontré que l’analyse d’economiesuisse était erronée sur plusieurs points de substance. Le Conseil fédéral avait en effet précisé que la responsabilité civile prévue par l’initiative s’appliquera uniquement aux violations des droits humains commises directement par une multinationale et, le cas échéant, ses filiales, mais pas par ses fournisseurs. Par ailleurs, le Message du CF soulignait à juste titre que les PME ne seront pas concernées par l’initiative. Entretemps, une dynamique surprenante a vu le jour, avec, notamment l’adoption, le 13 novembre 2017, par la Commission des affaires juridiques du Conseil des États (CAJ-E), à huit voix contre une, d’une initiative parlementaire proposant un contre-projet indirect à l’initiative pour des entreprises res ponsables. À cette occasion, plusieurs grandes entreprises sont sorties du bois et ont ouvertement manifesté leur soutien à un tel contre-projet, notamment Migros, IKEA et Mercuria, une société de négoce de matières premières, classée cinquième plus grande entreprise suisse en août 2017 et basée à Genève. Et ce n’est pas tout ; le Groupement des entreprises multinationales (GEM) qui compte près de 100 membres qui représentent pas moins de 35 000 emplois directs en Suisse romande s’est adres-
Photo : © N iels Ackermann / L undi13
sé aux membres de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N). À l’inverse d’economiesuisse, le GEM semble avoir perçu les signes des temps : il souhaite en effet que la CAJ-N apporte son soutien à la proposition de la Commission sœur du Conseil des États portant sur un contre-projet indirect à l’initiative pour des entreprises responsables. Sont non seulement représentées au GEM des filiales d’entreprises multinationales telles que Procter & Gamble, Cargill ou DuPont, mais également des entreprises de négoce actives sur les marchés mondiaux telles que Vitol ou Louis Dreyfus. Le logo de l’UBS se trouve également sur le site du GEM. Au vu de ces encourageants signes d’ouverture provenant d’acteurs clefs du secteur privé, il est d’autant plus incompréhensible qu’economesuisse persiste dans son refus de tout dialogue et ait invité les membres de la CAJ-N à rejeter le contre-projet indirect et à ne pas donner suite à l’initiative parlementaire de la CAJ-E, en alléguant que cette dernière faisait « fausse route » et était « contre-productive ». Cette position de fermeture et d’opposition à tout dialogue semble d’autant plus inexplicable que les initiants avaient indiqué être prêts au
Les opposants à l’Initiative pour des multinationales responsables reprochent aux initiants leur dogmatisme. La question est : quelles idées finissent dans le débarras de l’Histoire ? Photo : Dnipro, dans l’est de l’Ukraine ( juillet 2016)
compromis et que le retrait de l’initiative était pour eux envisageable dans le cadre d’une discussion constructive et d’un processus législatif solide au Parlement. On s’étonne d’autant plus de cette position dogmatique si l’on quitte quelques instants la Suisse pour regarder ce qui s’est passé dernièrement en Europe. En effet, pour rappel, en France, une loi sur le devoir de vigilance des sociétés a été adoptée en mars 2017 par l’Assemblée nationale, législation qui aura des implications pour plusieurs entreprises multinationales suisses actives en France. Or, cette nouvelle loi n’a pas provoqué de vives réactions des multinationales suisses concernées. L’économie n’est pas monolithique. Les semaines et mois à venir démontreront si et dans quelle mesure un dialogue constructif entre associations économiques et ONGs est possible. Un tel dialogue permettrait de tracer une voie vers un contre-projet qui pourrait correspondre aux intérêts des deux parties. Les Chambres fédérales devraient traiter de l’initiative pour des multinationales responsables pendant leur session d’été.
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Alliance Sud InfoDoc
Quelle école dans les camps de réfugiés ?
Midi-film : « Wallay »
31 mai 2018 – Conférence sur les conditions de
19 avril 2018 – Film de Berni Goldblat (2017). Présenté
deux spécialistes de la Tanzanie et du Rwanda.
en exclusivité gratuite à Alliance Sud InfoDoc.
vie dans les camps de réfugiés africains, donnée par
Photo : © A CNUR / S .Starke
Marion Fert et Andreas von Känel sont tous deux chercheurs à l’Université de Neuchâtel et consacrent leurs recherches aux parcours de vie de réfugiés ayant grandi dans des camps. Dans ce cadre, ils s’intéressent spé cifiquement à la scolarisation des enfants et aux rapports que les réfugiés habitant les camps entretiennent avec l’école. Ils raconteront leurs visites dans les camps d’Afrique centrale, en Tanzanie et au Rwanda. Un té moignage de première main sur un sujet souvent oublié. À ne pas manquer ! La conférence sera suivie d’une discussion avec le public et d’un apéritif favorisant l’échange entre les participants.
avec succès dans les différents festivals, diffusion
Ady a 13 ans et n’écoute plus son père qui l’élève seul dans une banlieue française. Ce dernier, à bout de ressources, décide de confier Ady à son oncle Amadou, qui habite « au pays », le Burkina Faso. Ady, persuadé de s’y rendre pour des vacances, devra faire face au mode de vie de son pays d’origine. Une fiction drôle et passionnante sur le choc des cultures !
Date 19 avril 2018, 12 h 15, pique-nique autorisé durant la projection.
Date 31 mai 2018, 18 h 30
Lieu Alliance Sud InfoDoc, Av. de Cour 1, 1007 Lausanne
Lieu Alliance Sud InfoDoc, Av. de Cour 1, 1007 Lausanne
Annonce
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Alliance Sud InfoDoc | Av. de Cour 1, 1007 Lausanne | doc@alliancesud.ch | Horaires d’ouverture : Lu – Ve 8 h 30 – 12 h, 13 h 30 – 17 h 30
Programme d’événements 2018 : Migration Les centres de documentation d’Alliance Sud
proposent en 2018 à Lausanne et à Berne une série de conférences, de projections et une exposition
autour des migrations et des différences. Un riche programme à fréquenter gratuitement !
Les migrations ne sont pas une invention des temps modernes. Elles existent depuis la nuit des temps et ont toujours été un moyen pour les p opulations de toutes les régions du monde d’améliorer leurs conditions de vie. Néanmoins, elles sont devenues un phénomène global, chargé émotionnellement et au cœur de tensions politiques et sociales. Quel regard portons-nous sur les migrants ? Comment vivent-ils leur condition ? Quels sont les rapports entre migration et développement ? Que nous dit cette intensification des migrations sur notre monde actuel ?
Les centres de documentation Alliance Sud I nfoDoc ont concocté pour 2018 un programme proposant des conférences de spécialistes ayant une expérience de terrain et présentant des discours originaux. Les projections de films souvent programmées à midi permettent de manger son pique-nique tout en stimulant ses connaissances et sa compréhension des migrations. Finalement, l’exposition d’automne composée d’affiches de sensibilisation créées par des étudiants graphistes, de poèmes d’une artiste des mots et d’informations des centres InfoDoc aura pour but d’offrir une plateforme de réflexion et de discussion.
Noms des conférenciers et description des événements : www.alliancesud.ch/fr/ infodoc/programme
Agenda des événements À Berne
Monbijoustrasse 29
26. 4. 2018, 12 h 15
Film : Migrantinnen und Migranten in der Schweiz erzählen
20. 9. 2018, 18 h 15
Film und Diskussion: « Wir Mitbürgerinnen » 18. 10. – 21. 12. 2018
Digitale Ausstellung: « Grenzen überschreiten: Migration und Verschiedenheit » 25. 10. 2018, 18 h 15
Performance: « mittendrin und ausgeschlossen »
Description des événements : www.alliancesud.ch/fr/infodoc/ programme
À Lausanne
Av. de Cour 1
19. 4. 2018, 12 h 15 Midi-film : « Wallay » 31. 5. 2018, 18 h 30
Conférence : Quelle école dans les camps de réfugiés ?
13. 9. 2018, 12 h 15
Midi-film : «Au diapason de la diaspora»
18. 10. 2018, 18 h 30
Conférence / vernissage : Migration et développement, des révélateurs du monde actuel ?
18. 10. – 21. 12. 2018
Exposition : « Au-delà des frontières : migrations et différences »
15. 11. 2018, 12 h 15
Midi-film : « Qui veut gagner des migrants ? » GLOBAL + PRINTEMPS 2018
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Photo : © D aniel Rihs / 1 3 Photo
Regards suisses sur le Sud. Darshikka Krishnanantam avait deux ans lorsqu’elle a dû fuir avec sa mère la guerre civile au Sri Lanka pour la Suisse. Elle parle aujourd’hui couramment le dialecte bernois. Elle a deux jeunes fils, un siège au Conseil municipal, un emploi à l’aide aux réfugiés de l’Armée du Salut et le rêve d’une vie normale. Elle se définit elle-même comme étant « ni-ni ». Elle en a parfois assez de se sentir « entre deux chaises ».
Daniel Rihs (52) photographie pour des magazines, des journaux, des publications d’entreprises et d’ONG et est spécialisé dans les portraits et les reportages. Il est membre du réseau de l’agence 13 Photo. Ses travaux ont été présentés lors de festivals et expositions telles que les Journées photographiques de Bienne, à la Kunsthalle de Berne, au Museum Africa de Johannesbourg, lors du Mois de la Photographie à Berlin, de la Triennale de la photographie à Hambourg. Daniel Rihs a obtenu le Swiss Press Photo Award en 2016, dans la catégorie histoires suisses. Depuis une année, il photographie régulièrement la diaspora tamoule établie en Suisse. www.danielrihs.ch
Faits et chiffres sur les transferts de fonds des migrants
30 000 mio USD/an
34 %
62,7 milliards USD
exigés à titre de frais de transaction par les prestataires de services financiers spécialisés pour les transferts de fonds des migrants.
de tous les transferts de fonds des migrants ont lieu entre pays du Sud.
sont envoyés chaque année par des travailleurs migrants indiens dans leur pays d’origine. En comparaison : le budget de la Confédération suisse est de 69 mia de francs.
Sources : Banque mondiale, IFAD, DFF
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