C’era una volta a Venisia

Page 1

ABFA - La gazette de Sigmund n掳5 - Ao没t 2011


Venesia, XVème siècle. Venise, la plus prestigieuse cité de son époque. La république maritime, particulièrement prospère, comptait alors des dizaines de comptoirs à travers toute la Méditerranée. Avec sa concurrente directe, Gênes, elle dirigeait le commerce maritime sur toute la Méditerranée jusqu’à Tripoli. Les ports Vénitiens étaient hélas la cible récurrente de pirates ottomans. La guerre entre les Européens et les Ottomans ne m’intéressait pas particulièrement. Jamais pirate n’était parvenu jusqu’ici, après tout. Par contre, un conflit opposait alors la France à la Ligue de Venise. Je me nomme Anestia Vesucci. Dans une poignée de jours, j’aurai vingt-six ans. Je suis une courtisane, pas une de ces vulgaires femmes du pont de Rialto mais une femme distinguée de bonne famille, famille dans laquelle je reçus une éducation. J’étais à présent reconnue pour mes talents si bien que j’avais mes entrées dans les palais et soirées des régents. Pour peu que vous y mettiez le prix, vous pourriez louer mes services, toutefois, ma spécialité n’est pas celle que vous croyez. Derrière mes charmes se cache une toute autre motivation : l’information ! Je suis devenue une experte dans l’art de soutirer les secrets les plus intimes aux nobles, à condition de passer suffisamment de nuits auprès d’eux. Vous pourriez croire que je ne le fais que pour l’argent mais les frissons et l’excitation ressentis, toujours plus grands, m’offrent des émotions que je n’aurais jamais connues avec mon mari. Il faut savoir que je fus mariée « de force » à l’âge de seize ans à un médecin. Durant des années je ne vécus que pour lui, que pour le satisfaire. Cette vie étriquée ne me seyait guère, d’autant plus qu’il finit par me reprocher de ne pas lui avoir donné d’enfants. Tout changea lors d’une des réceptions auxquelles mon mari était régulièrement invité. Ce dernier croyait bon de batifoler aux yeux de tous avec une des ses nombreuses maîtresses. Furieuse, je finis par accepter la proposition d’un homme qui me courtisait depuis quelques semaines déjà. Avec lui, je connus sinon l’amour, au moins la passion. Il devint ainsi mon amant. Je me montrai discrète car si les hommes mariés pouvaient sortir en compagnie de leur maîtresse. Les femmes, elles, n’avaient guère ce luxe. Il se trouve que mon amant fut un espion espagnol. Je dis « fut » parce qu’il est mort aujourd’hui, victime de son succès. Il m’apprit tout ce que je devais savoir pour séduire, manipuler et découvrir les secrets de chacun. Il m’initia à nombre de techniques comme l’amour ou la rapière, la manipulation et la confection de poisons que ce soit dans le but d’enivrer ou de tuer. Rapidement, j’exécutai mes premières missions. Faciles au commencement puis de plus en plus complexes, dangereuses, tortueuses voire perverses. Tel était mon passé. Je vais vous conter à présent comment ma vie changea. La mission qui m’avait été confiée ne devait pas être trop difficile à exécuter. Je devais « rencontrer » un notable du duché de Milan afin de lui subtiliser quelques sombres missives. La difficulté résidait dans le fait que je n’avais qu’une seule occasion pour réussir. Ce soir-là, le Doge de Venise donnait une réception au palais. Les membres les plus imminents de la Ligue y étaient d’ailleurs logés. Ils s’apprêtaient à fêter leur récente victoire contre le roi des Français, Charles VIII. Un bal était organisé pour l’occasion. Personnellement, je me moquais bien de savoir qui serait le vainqueur dans ce conflit du moment que Venise ne coulât pas. Durant ma « carrière », j’avais rencontré nombre de notables qui avaient pu apprécier mes services et qui me permettaient ainsi d’avoir des entrées, même au palais du Doge. Devant le petit miroir posé sur la commode, je finis de me coiffer, faisant et défaisant ma natte afin qu’elle prenne une allure qui me satisfasse. La complexité de ma chevelure reposait sur mes deux tresses horizontales qui s’enchevêtraient à l’arrière de la tête. Naturellement, je ne pouvais obtenir une coiffure digne de ce nom toute seule, aussi, je me faisais ABFA - La gazette de Sigmund n°5 - Août 2011

34


seconder par ma servante, Viola. « Le blond qui ressort de vos cheveux est parfait, Matrone. » Viola était une femme assez vigoureuse d’une quarantaine d’années. À mon service depuis fort longtemps, elle était toujours présente dans les moments difficiles. Ce que je préférais chez elle était sa sagesse. Elle avait raison sur la teinte de mes cheveux. Le safran et le citron permettaient aux femmes qui possédaient une chevelure brune comme la mienne de donner un éclat doré à condition de se brûler au soleil. Toutefois, à mon époque, une peau de porcelaine était le critère de beauté le plus convoité. Les femmes vénitiennes devaient ruser pour avoir la peau blanche et les cheveux blonds à la fois. Que ne fallait-il faire pour séduire ! « S’il vous plaît, Matrone, arrêtez de bouger ! Sinon je n’arriverai pas à vous coiffer ! — Aie ! Porca… ! — Ne blasphémez pas ! Imaginez si un membre de l’inquisition vous entendait ! — Je ne serai pas pendue pour ça. — Peut-être pas pour ce motif, mais pour l’ensemble de votre œuvre, Matrone ! — Que veux-tu dire ? » Viola, me ramenant la tête en arrière, me tira les cheveux. La surprise plus que la douleur me fit pousser un cri. La coiffure était presque achevée, il restait à y placer des bijoux. Autant de saphirs et de perles, de cristal de roche et autres topazes à mon service, la concurrence serait rude ce soir. Concernant le teint de porcelaine, la céruse était la solution la plus pratique. Je me badigeonnai le visage, le cou et le haut de ma poitrine avec. « Matrone, j’ai vu des femmes s’affaiblir à force d’utiliser ce poison, jusqu’à en mourir même ! — Tu n’es pas concernée par la recherche de la peau parfaite avec ton teint halé ! Qu’y comprends-tu ? — J’y comprends que les vendeurs de tels produits sont des charlatans ! — Voyons ! La céruse est utilisée depuis des siècles. » Je me levai pour admirer cette femme dans le miroir, cette courtisane de belle lignée, oui, je parlais effectivement de moi. La robe que j’avais choisie avait des teintes jaunes et dorées. Les couleurs s’entremêlaient, formant lignes et arcades qui s’entrecroisent au niveau du dos. Des broderies égayaient les pourtours de la robe et s’achevaient par de la fine dentelle. Elle était très belle mais loin d’être agréable à porter. Le bustier m’enserrait le ventre et me remontait les seins. Viola serra les lacets si fort que j’eus l’impression d’étouffer. Une souffrance nécessaire pour mieux paraître, m’auriez-vous dit ! « Vous rayonnez ! me dit Viola. — Comme le Soleil ! » répondis-je avec une certaine ironie dans la voix. Il était temps pour moi de partir. Une dernière petite touche : un peu de carmin sur les lèvres, de beaux bijoux en or et, objet indispensable, un petit poignard. Le poignard se cachait dans une gangue en cuir dissimulée dans un repli de la robe cousu exprès. Qui peut savoir les rencontres –bonnes ou mauvaises– qu’il était possible de faire dans les minuscules ruelles de Venise ? Mieux valait se montrer prudente ! Pour atteindre le palais du Doge, je remontai le canal San Marco jusqu’à la Piazzetta. Utilisant les services d’un batelier, je me postai sur le rebord de la gondole. Ainsi je pus admirer ma cité que je trahissais pourtant avidement. Les derniers rayons du soleil couchant se perdirent dans la cité, illuminant les maisons d’une teinte mordorée. Les gondoles étaient un moyen idéal pour se déplacer à Venise. En réalité, elles étaient même le seul moyen. La cité était constellée de canaux qui séparaient les différents îlots reliés entre eux par quelques ponts. Après une courte traversée, je posai enfin pied à terre. La Piazzetta San Marco m’attendait. Au loin, je pus apercevoir la lagune et le quai auquel de nombreuses gondoles étaient arrimées. Du haut de sa tour, le lion en bronze m’observait. Son regard me sembla légèrement accusateur. Me serais-je sentie coupable d’un acte que je n’avais pas encore commis ? Le majestueux palais me fit face. L’aspect extérieur n’était pas sans rappeler certains châteaux du passé. L’édifice était bordé de centaines d’arcades et de piliers qui lui donnaient un air si caractéristique. 35


Enjouée, je me présentai à l’entrée. Deux soldats à l’uniforme rouge et bleu me permirent l’accès au sein de la puissance vénitienne. Je fis un clin d’œil à l’un d’eux. Je l’avais déjà croisé lors d’une de mes précédentes aventures. « Passez une bonne soirée, Signora ! — Je vous remercie », répondis-je d’un ton aguicheur. De nombreux invités étaient déjà arrivés. Ce qui était certain, c’est que je ne n’étais pas la seule courtisane ce soir. Le commis me conduisit jusqu’à la salle de réception et m’annonça. « La Signora Vesucci ! » Je détestais ce nom, c’était évidemment celui de mon mari « adoré ». Heureusement, il n’avait pas été invité contrairement à moi. L’intérieur était réellement somptueux. Séparées par des dorures luxueuses, corniches et moulures aux motifs floraux, de magnifiques peintures ornaient murs et plafond. Au centre de cette splendeur, de nombreux notables vénitiens, milanais, génois et napolitains trinquaient, avec, à leur bras, des filles de joie, maîtresses ou courtisanes de luxe ; parfois aussi leur véritable épouse. N’oublions pas les femmes de haut rang, souvent sculpturales et à la robe magnifique comme la Signora Carrugi accompagnée par son sigisbée ! Plusieurs invités portaient des masques, certains en porcelaine, d’autres en tissu brodé d’or. Je m’empressai de mettre le mien. L’atmosphère était enjouée mais ne vous y trompez pas, les conversations revenaient rapidement autour de deux thèmes : la guerre et l’or. Même dans le palais du Doge, on parlait affaires ! J’aperçus Flavio Pelo, noble vénitien de son état. Je m’approchai de lui en souriant. Il ne m’avait sûrement pas oubliée. À voir son visage réjoui et son regard malicieux, je devinai qu’il m’avait reconnue sous mon petit masque et à la forme de son pantalon, qu’il était plutôt ravi de me revoir. « Signora Anestia Vesucci, quel plaisir de vous trouver ici ! » Après de chaleureuses salutations, je lui demandai de me présenter rapidement les invités, ce qu’il fit, tout naturellement. Je m’intéressai plus particulièrement à un groupe, ceux de Milan. « Ma chère Anestia, l’homme assis sur le fauteuil est l’envoyé du duc Sforza, le comte Tomaso Di Pavia et à ses côtés, son conseiller, Alessandro Quatrocci. » Je profitai de sa présentation pour étudier une technique d’approche. Tomaso Di Pavia était un noble d’une cinquantaine d’années au ventre particulièrement opulent. Assis dans son fauteuil, il but goulûment le vin servi par ses deux maîtresses… ou courtisanes. Le conseiller Quatrocci était tout de rouge et de noir vêtu, d’un style classique. L’homme était chauve mais moins âgé que son maître. Ses traits secs étaient marqués par deux grandes moustaches noires, un bouc et des sourcils arqués. Il avait également un collier avec d’étranges symboles ainsi qu’une bague avec un rubis immense. Quatrocci regarda en ma direction et me fit un petit sourire narquois. J’avoue avoir préféré les yeux du lion de bronze à ceux de cet homme. À côté de lui, un homme que je devinai jeune semblait également m’avoir remarquée. Son visage était malheureusement masqué. J’aurais dû me sentir flattée mais seul le comte Tomaso Di Pavia m’intéressait –manière de parler– et lui ne s’intéressait qu’à ces deux… femmes ! Des catins de bas étage, oui ! Elles n’avaient aucun charme, aucune distinction ! Remarquez, je leur avais trouvé du courage ! Le comte était moche, gras et visiblement imbus de sa personne. En plus, il parlait à son serviteur –le jeune homme à la chemise blanche– d’une manière franchement odieuse. Il me fallait trouver un autre moyen que la séduction. La solution découla d’elle-même. Pendant mes observations, Flavio avait croisé un groupe d’amis avec qui il s’était arrêté pour parler. « Alors, quelles nouvelles du Gênois, Cristoforo, et de son « nouveau monde » ? — Il compte bien y repartir ! — Les Espagnols sont fous de croire en lui ! — Ils devraient plutôt nous soutenir contre les Français au lieu de dépenser leur or dans des rêves. Des centaines de milliers de ducats perdus ! — Allons, Messieurs ! Allons ! dit Flavio. Nous avons remporté une victoire décisive. La guerre sera bientôt terminée. Ces 36


français présomptueux seront contraints de se retirer de nos terres. — Ils termineront comme toutes ces catins, dans le canal, ajouta un homme rabougri et chauve. — De quoi parlez-vous mon cher ? Demanda mon protecteur. — Plusieurs femmes ont été retrouvées, exsangues, dans le canal, dit-il, un sourire ironique aux lèvres. Vous ne le saviez donc pas, Flavio ? » Le Doge, heureusement, mit un terme à leur sordide conversation. Il ouvrit enfin le bal. Cependant, comme de coutume, le Doge Agostino Barbarigo prononça auparavant un long discours. Je m’attardai surtout sur sa barbe blanche touffue qui lui donnait, somme toute, un air sympathique. Le bal débuta enfin, le moment que j’attendais était arrivé. Les musiciens exécutèrent des musiques vénitiennes plutôt gaies tout en gardant un ton courtois. Nous eûmes le droit à la viole de gambe, flûte, dulciane et autre luth. Il était évident que nous n’allions pas danser la tarentelle. Après une danse octroyée à mon cher Flavio, je décidai d’entrer en action. Je n’avais pas prévu, toutefois, d’être abordée par le jeune homme au masque. « Signora, accepteriez-vous ? » me demanda-t-il en tendant gracieusement la main. Je me rendis compte qu’il était en réalité un peu plus âgé que moi. Un masque vermillon à la forme explicite camouflait une partie de son visage. Sa peau était blanche, davantage que la mienne, pourtant il ne portait pas de céruse. Sa demande pourrait éventuellement jouer en ma faveur aussi je répondis oui. « Habituellement, je ne danse pas avec les serviteurs, savez-vous ? — Je ne suis pas un vulgaire serviteur ! me répond-il, un petit sourire au coin. — Vous avez donc d’autres fonctions. Votre maître a l’air d’être un homme puissant. — J’ai de nombreuses fonctions, néanmoins, le comte n’est pas mon maître. Je ne fais que l’accompagner dans son voyage mais il s’accorde beaucoup de faveurs. » Nous continuâmes ainsi à danser. « Le Doge a donc invité le comte dans son palais, il doit être ravi. — Il lui a réservé la plus belle des chambres, » me confia-t-il. Subrepticement, j’en profitai pour lui poser diverses questions, plutôt anodines mais dont le but était d’en apprendre davantage sur la délégation du duché de Milan. Je m’intéressai également à lui afin qu’il se sente flatté et ainsi, je n’éveilla pas ses soupçons. J’avoue qu’il me plaisait assez avec sa voix à l’accent étrange, ses bonnes manières et ses attentions. Il ne me voyait pas comme un objet bien que je sentais son désir pour moi affluer. J’appréciai ! À la fin de la danse, je fus –à mon grand regret– contrainte de me séparer de mon partenaire. La mission avant tout ! Je me faufilai entre les convives. Comme la plupart étaient masqués, on ne me remarqua pas. Je glissai ainsi un sou dans la main d’un jeune page. Il me conduisit à la chambre du milanais. L’excuse était toute trouvée. « Je suis une surprise pour le comte, ne le dis à personne ! » Je lui remis un baiser sur la joue, il rougit. Une fois seule, je commençai à fouiller méticuleusement la pièce. Je n’avais qu’une petite bougie pour m’éclairer. Le comte avait fait mener de nombreuses malles dans lesquelles je trouvai des vêtements très amples, des bijoux et même… de la nourriture ? Du vin avait été porté, posé sur la commode que je décidai d’ouvrir. Alors que je commençais à désespérer, je découvris une cassette contenant des ducats et des florins. Autant dire que si j’y touchais, la condamnation à mort était certaine. Prouver le vol de lettres censées demeurer secrètes sera plus complexe et couvrirait sans doute le comte du ridicule aux yeux de son duc Ludovico Sforza de Milan, ce qu’il ne désirait sûrement pas. Enfin, je trouvai les documents tant espérés. Je n’avais que peu de temps pour les lire et identifier ceux qui m’intéressaient. Une personne approcha. Je roulai les lettres et les glissai dans la doublure de ma robe, fermant la cassette d’un coup de main. La porte s’ouvrit ! Où me cacher ? 37

ABFA - La gazette de Sigmund n°5 - Août 2011


Il s’agissait du jeune homme. Il ne parut qu’à moitié étonné de me voir, ce qui me troubla davantage. « Signora, que faites-vous donc dans la chambre du comte ? » Il n’était plus question de dire que j’étais la surprise pour Tomaso Di Pavia. Mon excuse s’était envolée. « Je vous attendais ! dis-je d’une voix étranglée. — Moi ? êtes-vous certaine ? » Que pouvais-je inventer pour m’en sortir ? Je ne souhaitais pas être pendue ni terminer sous les plombs, ainsi étaient nommées les cellules qui se trouvaient sous les plaques en plomb du toit du palais. Instinctivement, je l’embrassai avant de tenter de partir. Il me retint. Il me rendit mon baiser. Je voulus me dégager mais, étrangement, je ne le fis pas. Le baiser fut presque tendre, tout en nuances de passion et de promesses. Je n’eus plus envie de m’en défaire. Que m’arrivait-il ? Ma main passa dans ses cheveux. Je fis glisser ce masque étrange à terre. Son visage est plutôt agréable, doux. Ses yeux étaient emplis de désir et, étrangement, d’une certaine compassion, comme si nous nous étions déjà connus dans le passé. Il m’embrassa le cou, remontant délicatement mon masque. Les ficelles de ma robe se défirent et comme par magie, mes seins ressortirent de leur gangue. L’homme les pressa et les malaxa avant de les embrasser goulûment. Je poussai un soupir. Il lécha mes tétons, faisant des spirales avec sa langue avant de les mordiller. Mon désir montait peu à peu. Ma respiration se fit plus forte. Il faisait si chaud. « Non ! Non ! Il ne faut pas » honnêtement, je n’arrivais plus à m’en convaincre moi-même. Il se mit à genoux devant moi, j’en fus surprise. L’homme souleva ma robe tout en fixant mes yeux. J’agrippai ses épaules, plongeant mes ongles dans sa chair. Il couvrit mes jambes de baisers remontant progressivement. La dernière parcelle de dentelle retirée, mon sexe s’offrit à lui. Il admira quelques instants ma toison. Bientôt ses lèvres entrèrent en contact avec les miennes. Une nouvelle danse commença. Je fermai les yeux, je frémis. Rapidement, j’oubliai pourquoi j’étais venue. Sa langue tourna encore et encore. Le bas de mon corps se mit à onduler, se focalisant sur son rythme. Quelques éclairs me parcoururent le corps ! Ma main attrapa ses cheveux bruns et comme si elle était animée d’une volonté propre, elle plaqua sa tête contre ma chair. De ses doigts, il explora mon corps, l’extérieur comme l’intérieur, atteignant des zones que seul feu mon amant espagnol connaissait. Le plaisir devint incontrôlable, des vagues successives m’emportèrent au loin. Je crus m’entendre pousser un cri. Mes genoux ne me supportèrent pas davantage, je m’écroulai sur lui. Il me retint puis, tendrement, me caressa le visage. Je demeurai quelques instants à demi-consciente. Un tout nouveau désir influa en moi. Je voulais le voir, le toucher, l’embrasser. Son fascinum était mien. Je le pris dans ma bouche avec tendresse. Il était déjà fort et tendu. Sur le moment, mon nouvel amant ne réagit pas. Il se contenta de me fixer, une pointe d’admiration dans son regard. Je savais qu’à la fin il serait vaincu, comme tous les hommes avant lui, il semblait juste plus résistant. Je lui lançais un regard entre coquinerie et perversité. À sa couleur et sa dureté, j’aurais parié qu’il était prêt à exploser, ce qu’il ne fit pourtant pas. Je redoublais l’intensité de mes caresses. Je brûlais à présent de le sentir en moi, ma chair le réclamait et lui aussi le désirait. « Prends-moi ! » dis-je. Il obéit à cet ordre sans attendre. Nous oubliions définitivement le risque encouru. Mon amant me poussa contre le lit, puis, entra en moi. Sa largeur et sa courbure prirent alors toute leur importance. Nos regards se croisèrent, il m’embrassa avant de me dire quelques mots doux dans l’oreille que je ne partagerai pas avec vous. J’eus l’impression que mon corps se liquéfia. Notre passion se déchaîna dans un rythme frénétique, de plus en plus rapide. Nos corps se fondirent, nos âmes se perdirent dans un flot de plaisir, haletant, criant. Nous dansâmes sur le lit de satin durant de longues minutes. Avec difficulté, je tentai de retenir mes cris pour ne pas qu’on nous entende. ABFA - La gazette de Sigmund n°5 - Août 2011

38


Je sentis la chaleur naître au fond de moi. L’intérieur de mon corps était de feu. La vague, bientôt, me submergea et finalement, je chavirai sous ses allées et venues. Peu à peu, je repris mes esprits. Mes jambes étaient comme tétanisées. Combien de temps s’est-il passé ? Je me rendis alors compte que nous avions visité le lit de satin du comte, horreur ! Mes cheveux étaient complètement défaits, mes petites perles avaient glissé un peu partout. Mon amant, peu enclin à se lever, continua à m’embrasser tendrement. Mon regard se voulu reconnaissant mais quand je croisai le sien… L’iris de ses yeux était devenu rouge et luminescent. Je pris peur. « Je ne te veux aucun mal, me dit-il pour me rassurer. — Quel genre de créature es-tu ? » Je tirai ma robe immédiatement et la fouillai frénétiquement. L’angoisse monta en moi. J’arrivai enfin à trouver mon petit couteau. « Attends ! » dit-il. Je tentai de le frapper, au moins pour l’éloigner et j’envisageai sérieusement l’option de crier « à l’aide ». Soudain, il était derrière moi. Ses dents se posèrent sur mon cou. Je paniquai. « Non ! » Une vive douleur puis l’inconscience ! Quand je me réveillai, je remarquai que j’étais couchée sur une gondole, les jambes repliées. Mon esprit était confus et je me sentais faible. Visiblement, nous naviguions à travers les canaux de la cité. Mon « amant », debout, tenait la rame. Il avait revêtu une grande cape noire et un chapeau aux larges bords. Son visage était de nouveau caché par son masque au nez vermillon. À la couleur du ciel je devinais que le soleil n’allait pas tarder à se lever. Je n’arrivai pas à bouger, épuisée. Dans un effort quasi surhumain, je trouvai enfin la force de lui parler. « Qui es-tu ? Le passeur ? Que vas-tu faire de moi ? — Ne t’inquiète pas, Anestia ! — Je ne veux pas terminer comme ces autres femmes. » Je songeai à ma vie qui allait bientôt se terminer, les larmes aux yeux. J’eus une pensée pour Viola également, elle devait s’inquiéter. Il se retourna vers moi. « Que racontes-tu ? Je ne te ferai rien ! affirma-t-il d’une manière qu’on pourrait pu croire que je l’avais vexé. — Je ne comprends pas. Où m’emmènes-tu ? — Je ne pouvais pas te laisser partir avec ces lettres. Elles auraient pu compromettre la victoire de la Ligue. Je te sauve la vie. — Me donnerais-tu un choix que tu n’as jamais eu ? dis-je avec ironie. — Si quelqu’un t’avait découverte, tu aurais subi mille souffrances. Sache que, bientôt, tu seras appelée à une plus grande destinée ! À présent, repose-toi ! » Mes yeux se fermèrent, je fus emportée par la fatigue. Quelles surprises me réserveraient mon avenir ? 39



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.