Dossier édition Chat Noir

Page 1


Némésis fait son édito Vous savez comment nous sommes chez ABFA, quand nous aimons quelque chose ou quelqu’un, nous le faisons savoir, nous le crions sur tous les toits… Nous ne faisons pas vraiment dans la discrétion, je vous l’accorde. C’est une nouvelle fois un coup de cœur qui me fait écrire ces lignes. Un coup de cœur pour une maison d’éditions, celle du Chat Noir. Je suis sûre que certains d’entre vous la connaissent déjà. Pour les autres, asseyez-vous bande d’ignares, je vais remédier à cela grâce à ce dossier que nous avons façonné avec l’équipe du Chat Noir (oui, je me répète, c’est volontaire, c’est pour que cela s’imprime bien dans vos têtes). Je vous invite donc à lire la présentation qui suit ainsi que les avis sur deux des plus emblématiques auteurs de cette maison : Cécile Guillot et Georgia Caldera. Après, il ne vous restera plus qu’à filer fissa sur le site Internet pour dévaliser leur boutique ;-) Bonne lecture mes chatons !

Rédaction et relecture : Arcantane, Némésis, Tan / Réalisation : Fleurine Rétoré Avertissements : La gazette de Sigmund est un fanzine distribué à titre gratuit. En aucun cas il ne pourra être vendu. est interdite sans autorisation de la rédaction. Si votre travail a été utilisé et n’est pas crédité, veuillez nous en excuser, c’est un oubli. Envoyez-nous un message à Crédits et copyright : Editions du Chat Noir, Cécile Guillot, Georgia Caldera. Sur DeviantART : myukiori, skeelar-st


« Il y a un an, naissaient les Editions du Chat Noir. Le petit félin encore tremblant sur ses quatre pattes avait pour ambition d'aller puiser dans les racines du fantastique afin d'inspirer des histoires sombres et modernes souvent délaissées au profit de récits plus formatés. Nous avons pris le parti d'ouvrir la maison d'édition car nous avons la conviction que la nuit, tous les chats ne sont pas gris. Certains pelages se dépeignent aux couleurs de l'étrange et de la magie et ce sont ces ouvrages, rédigée avec cette encre originale et d'une plume sachant jouer avec les codes des genres que nous souhaitons publier... Car avant d'être éditeurs, nous sommes, tout comme vous, des lecteurs passionnés ! Gothic, Bit-Lit, Steampunk... Traversez le voile d'un coup de griffes ! » www.editionsduchatnoir.com editionsduchatnoir@yahoo.fr

Les images et les textes appartiennent à leurs auteurs respectifs. Toute reproduction, partielle ou totale, du magazine

: conseilstlouis@gmail.com tock, Cynnalia-Stock, LadyAmdis, Geek-Stock, AsunderStock.


Cécile Guillot

Cécile, née en 1982, est une lectrice assidue depuis sa plus tendre enfance, mais elle ne prend la plume que sur le tard, en 2009, et un peu par hasard. Les retours positifs l'incitent alors à continuer... Diplomée en psychologie et psychanalyse et passionnée de fantastique, elle aime à tisser des petites histoires où se mèlent folie et surnaturel, mais ne dédaigne pas quelques incursions du coté du merveilleux. Elle a créé le collectif d'auteur Les enfants de Walpurgis et quand elle n'écrit pas, s'arme de sa tablette graphique pour mettre en images les univers sombres ou parfois plus féeriques qui l'habitent ou pour réaliser des couvertures de romans.

Georgia Caldera

Georgia Caldera est née en 1982, dans cette magnifique région qu’est la Touraine. Depuis son plus jeune âge, elle dévore quantité de livres en tous genres, avec néanmoins une affection toute particulière pour la littérature gothique, et n’hésite pas à dégainer régulièrement la plume. Avec pour auteurs de prédilection Edgar Allan Poe, Bram Stoker, Sheridan Le Fanu ou encore Anne Rice, c’est dans les univers sombres et fantastiques qu’elle trouvera son propre style. Un style qu’elle explore à la fois avec les mots, mais également à travers l’image, étant illustratrice de formation. Ainsi, c’est après plusieurs années d’études en art qu’elle décide de se tourner plus concrètement vers l’écriture, accompagnant toujours ses productions de supports visuels ayant pour but de donner aux lecteurs un aperçu de ses personnages et de leurs tourments.


Fille d ’ Hécate Tome 1 La voie de la Sorcière "Je croyais n'être qu'une étudiante ordinaire et sans doute trop renfermée. Et puis, il a eu cette expérience étrange, la découverte de mon don... Maintenant je dois apprendre à m'accomplir en tant que sorcière, développer mes pouvoirs et trouver ma place en ce monde. Tout aurait-été parfait s'il n'y avait pas eu ces cauchemars et ces malaises. Quelqu'un cherche à me nuire ! Mais qui pourrait bien me harceler ainsi ? Et, pour ne rien arranger, j'ai aussi un mémoire à écrire pour valider ma dernière année de psycho. Ma vie n'est vraiment plus de tout repos !" Maëlys nous ouvre les portes d'un univers étrange et déroutant, celui de la Wicca. La quête spirituelle qui est sienne va l'exposer à des menaces insoupçonnées. Surtout que le destin pourrait bien placer sur son chemin, les clés qui l'aideront à résoudre les mystères d'une existence parsemée d'ombres… Car, une sorcière peutelle s'épanouir coupée de ses racines, ignorante d'un passé dont pourrait dépendre l'avenir ?


Avi s de Némés i s

M a ë l y s é t a i t u n e étudiante sans histoire, solitaire, elle ne d e m a n d a i t r i e n , n e cherchait rien jusqu’au jour où elle croise le c h e m i n d ’ A l e x a n d r e. C e d e r n i e r l u i p r opose une expérience de parapsychologie et M a ë l y s a c c e p t e s a ns grande conviction. E lle est loin de se douter q u e s a v i e v a b a s c uler ir r émédiablement. J e v a i s c o m m e n c e r par le début (c’est mieux, on est d’accord) et l a p r é f a c e s i g n é e Va n essa Terral. J’ai trouvé son discours très juste e t t r è s i n s t r u c t i f . J e n e peux que vous r ecommander le livr e qu’elle c i t e F e m m e s q u i c o u re nt avec les loups de Clarissa Pinkola Estés. Ce l i v r e p e u t s e m b l e r i m p o sant à première vue mais il est incroyablement ri c h e . J ’a i b e a uc o u p a i m é s e s r é f l e xions sur la magie qui se veut sans pr osé lytisme, ju s t e l à p o u r r é p o n d r e à c e r taines intuitions que l’on peut avoir… C hoix j u d i c i e u x q u e d e c o m m e n c e r ce livr e avec ces lignes. P a s s o n s m a i n t e n a n t à l ’ h i s toire de Cécile Guillot. E lle est racontée à l a p r e m i è r e p e r s o n n e p a r Maëlys, exercice qui peut parfois se révéler p é r i l l e u x m a i s l ’ a u t e u r s ’ en sort très bien et ce choix narratif permet d e m i e u x c o m p r e n d r e l ’ h ér oïne en ayant accès à ses sentiments et ses questionnements. J ’a i b e a u c o u p a i m é l a f a ç o n dont la magie est abor dée, le discours est sûr mais pas pompeux, , m o n a v i s est que Cécile sait vr aiment de quoi elle parle (o n n e c i t e p a s D o r e e n Va liente par hasar d) . Ce t t e h i s t o i r e d ’ é v e i l e s t vraiment très intéressante quoiqu’un chouïa r a p i d e p o u r m o i , s u r t o u t au début, j’aurais trouvé plus « juste » que M a ë l y s m e t t e p l u s d e t e m p s à accepter ce nouveau monde qui s’ouvre à e l l e . E l l e l ’ a c c e p t e a v e c une facilité déconcertante. Même si cela m’a s e m b l é é t r a n g e , j e p e u x en même temps comprendre : sa solitude me l a i s s e à p e n s e r q u ’ e l l e s e r accroche à tout cela, qu’elle veut y croire afin d e t ro u ve r s a p l a c e e t d e s a mis.

chez m o i

b e a ucoup de choses ont rés onné

son

N o t re h é r o ï n e e s t b i e n s e u l e , d’ une solitude qui m’ a f ait mal au cœur, et très triste. Cela fait d’elle q u elqu’ un de tr ès f r agile der r ièr e une a pparente armure, on sent qu’elle n’attend qu’une chose : pouvoir s’ ouvr ir à q uelqu’un pour comprendre ce qui l ui arrive et sur tout par tager. C’est le genre d’héroïne qui me r end tr ès pr otectr ice et j’ai

h i s t oi r e e st t r è s touchante


guetté c e l u i o u c e l l e q u i o s e r a i t l ui faire du mal. J’avoue que je n’avais pas vu venir l e c o u p q u e n o u s a v a i t r é s e rvé l’auteur, trop focalisé sur un personnage q ui m e p a ra i s s a i t l o u c h e , j e f u s a g r éablement sur pr ise par le twist f ina l. Qui so n t c e s a u t r e s p e r s o n n a g e s qui gr avitent autour de Maëlys ? L es de u x p l u s « i m p o r t a n t s » s o nt Alexandre, étudiant comme elle, c’est lui qui va l u i f a i r e p r e n d r e c o n s c i e nce de ses dons. C’est lui aussi qui va la faire s o r t i r p e u à p e u d e s a c a r a pace malgré son côté taciturne. Personnage mystér i e u x à s o u h a i t , i l e s t b i e n difficile de le cerner et la fin me laisse avec p as ma l d e q u e st i o n s l e c o n c e r n a nt. I l faut a u s s i c o m p t e r s u r D o r i n e, une sorcière qui va guider Maëly s d a n s s e s d é c o u v e r t e s , u n e âme généreuse et pleine de vie, p o s i t i v e q u o i q u ’ i l a r r i v e , e l le sait aussi faire preuve d’un g r a n d s a n g - f r o i d e t d e p u i s s a nce quand il le faut. Pour moi, e l l e r e p r é s e n t e b i e n l e s s o r cières, loin des clichés q u’on p e u t p a rf o i s l e u r c o l l e r. J’ai e n v i e a u s s i d e c i t e r P a t r i cia car, même si le person n a g e n e f a i t q u ’ u n p a s s a g e furtif, je suis prête à parie r q u e c e t t e m é d i u m r e f e r a parler d’elle dans la suite, e t p u i s , s o n p a s s é e s t t e l l e ment poignant qu’il m’ a ma rq u é e . C é c i l e , j e v e u x l a r evoir ! En rés u m é , c ’ e s t u n t r è s b o n p remier tome qui

aborde la magie sous un angle « frais » : p a s d e s u p e r- p o u v oir s, ça n’ explose pas d a n s t o u s l e s s e n s … N o n , c’ est une vr aie hist oir e d e m a g i e p o u r m o i , t o u t y est subtil et suggér é , c e l a c o r r e s p o n d b i e n m i eux à ma vision des ch o s e s . L’écrit u r e e s t f l u i d e e t l e s p ersonnages sont t ravaill é s , j e s u i s a r r i v é e à l a f i n sans m’ en r endr e compt e t e l l e m e n t j ’ é t a i s p r i s e d a ns l’ histoir e. Mon s e u l r e g r e t : c ’ é t a i t t r o p c ourt ! Eh oui, je suis un e g o u r m a n d e l i t t é r a i r e , j ’ en veux toujours plus ! L’ a t t e n t e v a ê t r e l o n g u e jusqu’à la suite, s ur t ou t v u l a fi n .

Les éd i t i o n s d u C h a t N o i r r e c è l e v raiment d’auteurs de tale n t s e t l e f a i t q u ’ i l s s o i e n t français me fait encore p l u s p l a i s i r ( j ’ a i b i e n l e d r oit d’ êtr e un peu chauvi n e d e t e m p s e n t e m p s ) d o n c n’hésitez pas à les découvri r, c e l a v a u t l e c o u p . Némésis Retrouver les autres avis de Némésis sur son blog http://livresduneblonde.blogspot.fr


Les larmes rouges T o m e 1 Ré min is ce n ce s

« Le temps n’est rien… Il est des histoires qui traversent les siècles… » Après une tentative désespérée pour en finir avec la vie, Cornélia, 19 ans, plus fragile que jamais, est assaillie de visions et de cauchemars de plus en plus prenants et angoissants. Elle se retrouve alors plongée dans un univers sombre et déroutant, où le songe se confond à s’y méprendre avec la réalité. Peu à peu, elle perd pied… Mais, la raison l’a-t-elle vraiment quittée ? Ces phénomènes étranges ne pourraient-ils pas avoir un lien quelconque avec l’arrivée de ce mystérieux personnage dans sa vie ? Cet homme qui, pourtant, prétend l’avoir sauvée, mais dont le comportement est si singulier qu’il en devient suspect… Et pourquoi diable ce regard, à l’éclat sans pareil, la terrorise-t-il autant qu’il la subjugue ?!


Av is de Némés i s Je comprends pourquoi la maison d’édition a été en rupture de stock. Quelle petite merveille ce livre ! Quel plaisir j’ai pris à le lire ! C’est un magnifique conte gothique dont le style et l’écriture ne sont pas sans me rappeler les grandes heures de gloire d’Anne Rice, oui j’ose la comparaison car elle est pour moi méritée. Ajoutez à cela une atmosphère à la Tim Burton et vous voilà partit pour 500 pages de belle littérature. Entrons dans l’histoire pour que vous compreniez mon enthousiasme : Cornélia, dixneuf ans, vient de survivre à sa tentative de suicide. Son père décide de l’emmener à Rougemont, dans une ancienne demeure familiale pour qu’elle puisse se refaire une santé. Mais, à peine arrivée, elle est assaillie par des rêves plus réalistes les uns que les autres, elle découvre des marques étranges dans son dos et sur ses poignets, et a l’impression d’entendre une voix dans sa tête. Cornélia est-elle folle ou doitelle faire confiance à Henri, son étrange voisin qui semble comprendre ce qui lui arrive ? Alors, une petite mise au point tout de suite : ici, ce n’est pas de la fantasy urbaine où tout va à 100 à l’heure. Si vous voulez de l’action à gogo avec des flingues qui tirent dans tous les sens, passez votre chemin. Non, l’auteur prend son temps pour développer son histoire et ses personnages, elle nous livre ainsi un très beau huit-clos où l’on ne s’ennuie pas mais où on apprécie la langueur narrative. L’histoire peut sembler un peu basique de prime abord avec les thèmes du passé, du vampire, de la rédemption…Heureusement, Georgia (oui, quand j’aime un auteur, je me permets de l’appeler par son prénom) a su s’approprier ces thématiques et les travailler pour nous offrir quelque chose de nouveau. Je ne veux pas en dire trop pour ne pas gâcher l’agréable surprise de la découverte… vous avez l’habitude maintenant avec moi. Concernant les personnages, comme je l’ai dit plus haut, j’ai eu la sensation de me trouver face à un tête à tête entre Cornélia et Henri. Certes, il y a des personnages secondaires et ces derniers sont réussis mais pour moi, nos deux héros occupent intégralement le devant de la scène, j’étais avide d’eux et de leur histoire. Cornélia est une jeune femme fragile et forte à la fois, d’un tempérament (trop) curieux, elle n’en reste pas moins intelligente et sait tirer des leçons de ses erreurs, un peu sceptique (comme nous tous), elle sait accepter l’inexplicable quand aucune autre explication n’est possible.


C’est une héroïne forte mais toutes en nuances, on aime découvrir ses différentes facettes et on la soutient car elle n’est pas une de ces femmes écervelées, que l’on rencontre parfois dans certains romans, qui ne savent rien faire d’autre que d’attendre qu’on vienne les sauver. Henri est lui un personnage sombre et distant qu’on apprend à connaître et à apprécier petit à petit, au rythme de Cornélia. Là encore, l’auteur nous livre un personnage cohérent car bien construit. Exit le héros qui se transforme en serpillère à l’arrivée de l’héroïne. Henri a souffert et sa souffrance ne disparaît pas en un claquement de doigts. C’est un personnage qui se révèle au fil du récit et, même à la fin de ce premier tome, le mystère plane encore sur certains points et ça, ça me plaît. Juste un petit mot sur les personnages secondaires car n’allez pas croire qu’ils soient fades à côté de nos deux héros. Au contraire, ils font parfaitement leur job : mettre en valeur les premiers rôles et faire avancer l’histoire. Chacun a sa place, que cela soit le père de Cornélia qui est un pilier de son histoire, que sa patronne qui nous éclaire sur Henri. C’est vraiment un très beau premier roman que je recommande aux amoureux de Mme Rice car j’ai adoré chaque page et je n’attends qu’une chose : la suite. Mme Caldera, par pitié, ne nous faites pas attendre trop longtemps. Némésis Retrouver les autres avis de Némésis sur son blog http://livresduneblonde.blogspot.fr


Retrouv e r m a i n t e n a n t e t av an t p remiè re u n e x trait du p remier c h a p i t r e d e De liq u es c e n ce , l e s e c o n d t o m e des La rme s R o u g e s d e G e o rg i a C a l d e r a . P arution p r é v u e c o u r a n t 2 0 1 3 , au x éd itio n s d u C h at Noir.

De l i quescen ce


Deliquescence Extrait du chapitre I Le vieillard se tenait dans son fauteuil, enfoncé comme de coutume dans le capitonnage sans âge de ce qui semblait n’être plus que le vestige d’un siège. Un siège vert, peut-être, rien n’était moins sûr, la toile était tellement râpée… Il était assis face à son poste de télévision, lui aussi usé, fatigué plus que de raison, à l’image de tout ce qui se trouvait dans cette maison, jusqu’à l’habitant même des lieux. Mais l’écran était noir, l’objet restait obstinément éteint… L’homme posa une main ridée et parcheminée de taches brunes, marques incontestables de la dégénérescence de ce corps qui avait trop vécu, sur l’énorme télécommande, une comme on n’en trouvait plus de nos jours, carrée, à grosses touches métalliques et terriblement bruyantes à l’usage. Une moue maussade déforma un instant ses lèvres, puis, finalement, il ramena son bras et vint croiser les doigts sur sa poitrine, préférant s’abstenir. Le bruit était-il plus déplaisant que ce silence oppressant, garant de sa solitude ? L’ennui marquait ses traits, profondément, la mélancolie aussi. À quoi sert donc la vie s’il n’y a plus rien que l’on ne puisse faire, plus aucune activité accessible, plus de passe-temps présentant un quelconque intérêt, et puis, surtout, plus personne avec qui partager quoi que ce soit ? Il tourna la tête vers l’autre fauteuil, celui qui était vide, à côté de lui et soupira douloureusement. Un peu plus loin, sur la grande table de la salle à manger, restaient les reliefs plus que conséquents d’un repas pris sans faim ni enthousiasme. Au-dehors, la lumière commençait probablement à décliner, l’obscurité grandissante dans la pièce aux rideaux éternellement clos en témoignait. Le soleil avait donc entamé sa descente, début de l’achèvement d’une journée sans but ni sens, comme l’avaient été les précédentes et comme le seraient les suivantes. Les tapisseries sombres et surchargées, aux motifs vieillots et fanés, ajoutées aux trop nombreux meubles de bois foncé et massif qui encombraient l’espace, complétaient encore l’ambiance étouffante et lugubre de cette ancienne maison de maître. L’isolement du vieillard devait terriblement lui peser puisqu’il se mit tout à coup à parler tout seul, s’adressant au vide : — Je sais que vous êtes là. Votre présence est plus perceptible aujourd’hui, presque palpable… Vous êtes venu pour en finir, n’est-ce pas ? Progressivement, à travers la pénombre, dans le coin le plus reculé et le moins


éclairé de la pièce, à l’endroit exact où son regard s’était fixé, des volutes d’une sorte de fumée obscure s’élevèrent lentement, esquissant peu à peu une haute et sombre silhouette. — L’homme en noir ! s’exclama le vieillard. Ainsi donc je ne suis pas encore sénile, vous étiez bien là, à m’observer, durant tout ce temps ! —Vous n’êtes pas sénile… Et ne le serez jamais, souffla l’autre, tristement, s’avançant d’un pas mesuré vers la lumière. Cette apparition, elle était si dérangeante… Il se tenait là, désormais totalement immobile, à quelques mètres seulement, si grand, si mince, sa haute stature accentuée par la longue veste de velours aux reflets de charbon qu’il portait. Son visage sépulcral affichait l’expression de sa résolution et dans ses yeux brûlait la lueur rougeoyante de la fin prochaine, annonce d’une mort imminente pour quiconque venait à croiser son chemin. — Je me rappelle de vous, vous savez, reprit le vieillard, nullement effrayé. Nous nous sommes déjà rencontrés. J’avais dû vous inviter à entrer… — En effet. — C’est vous qui m’avez offert ce sursis insensé, ce rétablissement miraculeux, pour ne pas dire aberrant, et dont je ne voulais pas, accusa-t-il avec amertume. Je savais bien que ce n’était pas un rêve ! Le vieil homme attendit un instant, guettant les réactions de l’intrus, cherchant là quelque confirmation à ce qu’il avait toujours considéré comme un pur délire, une élucubration de son esprit fatigué et malade d’alors. Mais rien ne vint, ce dernier restait obstinément impassible, comme figé dans l’ombre. — Vous êtes venu reprendre ce que vous m’avez donné ? insista-t-il. — Oui, admit l’homme en noir, sans détour. Je n’aurais jamais dû m’interposer entre la nature et ses plans, c’était une erreur. — À plus forte raison que je n’attendais que ça, mourir ! s’écria le vieillard, troublé. Cela fait si longtemps que je désire quitter ce monde. Et j’en avais le droit ! Enfin, à un âge pareil ! — C’est pour cela que je suis ici aujourd’hui, déclara l’autre d’une voix atone, au comble de la lassitude. Vous allez finalement obtenir ce à quoi vous aspiriez, sans peur ni souffrance, cette fois-ci. — Alors faites vite, vous avez déjà bien trop tardé… L’homme en noir s’avança à nouveau, traversant toute la salle d’un seul et unique pas.


Un pas extraordinaire, d’une amplitude surnaturelle, dans une attitude calme et sereine, mais que démentaient ses yeux aux couleurs de brasier. Il s’apprêtait à fondre sur le condamné lorsqu’il s’interrompit devant le soudain effroi qui se peignait sur le visage de ce dernier. — Qu’êtes-vous donc ? interrogea le vieillard, horrifié. Vous ne pouvez pas être un démon, vous m’avez soigné… Qu’êtes-vous donc ?! Un ange ? L’ange de la mort ? — Ni l’un ni l’autre, malheureusement, avoua l’intrus. Ce que je suis n’a aucune importance de toute façon, il existe bien trop de noms à travers le monde pour qualifier ceux de mon espèce, bien trop de définitions également. Vous n’y trouveriez nul réconfort. Soyez tranquille, car je n’ai aucune influence sur la destinée des âmes, si toutefois il en existe une. Il prit une profonde inspiration, soupira en secouant doucement la tête, et continua : — Je crains de n’avoir prolongé votre vie que pour mieux vous la prendre. Aujourd’hui j’en ai besoin et vous n’en voulez plus. Cette voix... Cette dernière phrase, l’homme en noir l’avait prononcée si curieusement… Ces mots étaient devenus si pénétrants, si convaincants aussi. La torpeur, la quiétude ainsi qu’une immense chaleur envahirent de concert le corps fatigué du vieillard. La mort, il l’accueillait, à bras ouverts même : — Non, je n’en veux plus… répéta-t-il en fermant les yeux, offrant d’instinct son cou, sans bien savoir pourquoi. Je vous la donne… À l’ange des ténèbres, je la donne… L’homme en noir se pencha vers sa proie, passa ses longs doigts froids autour de la nuque à la peau flasque et ridée, et approcha sa bouche. Un bruit bref et étrange se fit alors entendre, le bruit de crocs qui s’allongent… — Un Nosferatu… réalisa le vieillard d’une voix calme. Bah, vous avez raison, quelle importance maintenant ? Dites-moi seulement que je vais revoir ma femme, je vous en prie… Des larmes depuis trop longtemps refoulées s’échappèrent de ses paupières closes et fanées. — Vous allez revoir votre femme, murmura l’homme en noir avant de planter d’un coup d’une extrême rapidité ses dents carnassières et affamées dans la chair abîmée par les ans de sa misérable victime. L’espace d’un instant, cette dernière frémit sous le choc de la terrible morsure, puis, lentement, se détendit. Et, tandis que le vampire se repaissait de son sang, aspirant à grande gorgée une sève à la texture trop fluide, trop peu nourrissante pour être vraiment agréable, mais une vie était une vie, et cela n’avait pas de prix ; l’expression du visage du vieil homme devint de


plus en plus paisible. Un sourire béat s’installa progressivement sur ses traits. Avant de rendre son dernier souffle, il marmonna : — Ma femme… Et sur ces mots, ultime pensée de toute une existence, l’étincelle vacillante qui l’avait animé le quitta pour de bon, et il ne resta plus de lui qu’un corps inerte, atrocement exsangue, entre les mains de son meurtrier.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.