Courrier International

Page 1

COURRIER

Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

INTERNATIONAL

AFRIQUE KENYA SUR LA CÔTE, L’INSURRECTION QUI VIENT…

INTERVIEW “LA PRISON, MA LIBERTÉ”

THÉÂTRE

EN ATTENDANT GODOT AU PORTUGAL


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

SOMMAIRE

PLANETE PRESSE

4

A SUIVRE

5

LES GENS

6

CONTROVERSE

7

D’UN CONTINENT À L’AUTRE

8

EUROPE

8

AMÉRIQUES

10

AFRIQUE

14

MOYEN ORIENT

16

ASIE

17

LONG COURRIER

2

18

THÉATRE

18

INTERVIEW

20

LE LIVRE

22

TÉLÉVISION

23


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

EDITO

ZONES DE TURBLENCES

A

ttention, danger. Au moment où le peuple américain s’apprête à (ré)élire un (nouveau) président, où le peuple chinois se prépare à subir l’arrivée d’une nouvelle génération de dirigeants, les deux empires sont confrontés au même mal : la montée irrésistible des inégalités. Oubliée, la Constitution américaine, qui promet dans son préambule d’“établir la justice”. Jeté dans les rizières, le “Petit Livre rouge” de Mao, qui prétendait instaurer l’égalité absolue. A Wall Street ou dans les grands palaces en marbre de Pékin, les milliardaires, banquiers, dignitaires du Parti communiste et privilégiés se pavanent, tandis que dans le Dakota ou le Mississipi, dans les provinces du Gansu ou du Ghizhou, les pauvres trinquent sur fond de crise et de déséquilibres régionaux. Rien de nouveau, pourrait-on se dire quand on connaît la violence des recettes libérales d’outre-Atlantique et la brutalité de “l’économie socialiste de marché” en Chine. Longtemps, ces deux modèles ont fonctionné, produisant du rêve et de la richesse, faisant oublier la cohorte des laissés-pour-compte Mais avec désormais 50 millions de pauvres aux Etats-Unis et un chômage supérieur à 8 %, l’ascenseur social américain a décroché. Le ralentissement actuel de l’économie chinoise, quant à lui, écorne sérieusement le pacte du pouvoir communiste, troquant la croissance du PIB contre la stabilité politique. Au point que le désordre social guette les deux géants de la planète. Aux Etats-Unis, l’économiste Joseph Stiglitz tire le signal d’alarme : dans son dernier ouvrage, Le Prix des inégalités*, il affirme que le rêve américain a vécu. En Chine, pays des 960 000 millionnaires (en dollars), Ainsi, il a renoncé depuis onze ans à publier l’indicateur officiel des inégalités, le coefficient de Gini, sous prétexte de statistiques incomplètes.C’est dire si le sujet est sensible. Il figurera en tête des priorités du prochain locataire de la Maison-Blanche et du probable futur num, Xi Jinping. Stopper la centrifugeuse des inégalités, voilà un programme de gouvernement.

Eric Chol

3


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

PLANETE PRESSE

Courrier international n° 1141 Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire Le Monde Publications internationales SA. Directoire

président et directeur de la publication ; Antoine Laporte,

Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président Eric Chol. Dépôt légal septembre 2012 Commission paritaire n°0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X Imprimé en France / Printed in France Rédaction

8, rue Jean-AntoinedeBaïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web courrierinternational. com Directeur dela rédaction Eric Chol

Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (web, 16 27)

Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard (16 77), Isabelle Lauze (16 54)

Assistante Dalila Bounekta (16 16)

Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)

Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) (Ukraine) Amériques Larissa

4

Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15)

Conception graphique Mark Porter Associates Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 17 32), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Mélodine Sommier (Finlande), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Martina Bulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat

(chef de service Amérique du Nord, 16 14), Eric Pape (Etats-Unis), Anne Proenza (chef de rubrique Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Naïké Desquesnes et Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (Maghreb, 16 35), Chawki Amari(Algérie), Sophie Bouillon (Afrique du Sud) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences Anh Hoà Truong Site Internet Hamdam Mostafavi (chef , Paul Blondé (rédacteur, 16 65), Mathilde Melot, Albane Salzberg (marketing) Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 16 77), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais),

Marie Monthiers, Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie Talaga Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori

Judrin, Nathalie Kantt, Véronique Labonté, Laurent Laget, Virginie Lepetit, Carole Lyon, Valentine Morizot, Maria Nogueira, Marianne Pfister, Nicole Thirion, Maddalena de Vio, Zaplangues, Thomas Werkmeister Secrétaire général Paul Chaine

Directrice de clientèle :

Assistantes :

Carole Fraschini (carole. fraschini@mpublicite.fr, 36 68).

Directeur de la production

Marketing

Olivier Mollé

Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication)

Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes Ont participé à ce numéro Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Isabelle Bryskier, Sophie Courtois, Monique Devauton, Julie Guérineau, Eric

Noluenn Bizien (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion Julie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13).

Comptabilité :

Hedwige Thaler (hedwige. thaler@mpublicite.fr, 38 09).

Chef de publicité : Marjorie Couderc (marjoriecouderc @mpublicite.fr, 37 97).

Assistante commerciale :

Littérature : Diane Gabeloteau (diane. gabeloteau@mpublicite.fr).

Régions :

Responsable des droits

Eric Langevin (eric. langevin@mpublicite.fr, 14 09).

Dalila Bounekta (16 16)

Annonces classées :

Ventes au numéro Responsable publications :

Cyril Gardère (cyril. gardere@mpublicite.fr, 13 03).

Brigitte Billiard.

Exécution :

Direction des ventes au numéro :

Géraldine Doyotte (01 57 28 39 93).

Hervé Bonnaud.

Site Internet :

Chef de produit :

Alexandre de Montmarin (alexandre. demontmarin @ mpublicite.fr, 01 53 38 46 58). Modifications de services ventes au numéro, réassorts Paris 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

01 48 88 45 02.

Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40).

Diffusion internationale : Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22).

Promotion : Christiane Montillet Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (1691), Lucie Torres (17 39), Romaïssa Cherbal (16 89).

Service clients abonnements :

Directeur de la publicité :

Courrier international, , A2100 - 62066 Arras Cedex 9. Tél. : 03 21 13 04 31 Fax : 01 57 67 44 96 (du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures). Courriel : abo@ courrierinternational.com Commande d’anciens numéros

Etienne Grassot www. grassot@mpublicite.fr, courrierinternational Philippe Czerepak,

Boutique du Monde, 80, bd Auguste Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78

Publicité M, 80, boulevard Blanqui, 75013 Paris,

tél. : 01 57 28 20 00. Directrice générale : Corinne Mrejen.


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

A SUIVRE

UNION EUROPÉENNE

LES FEMMES EN TÊTE, CE N’EST PAS POUR DEMAIN Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice, a confirmé a volonté d’imposer dès 2020, sous peine de sanctions, l’idée. “Le projetva finir dans un 40 % de femmes dansles conseils de surveillance des grandesentreprises. Le 5 septembre, pas moins de dix pays membres, dont la Grande-Bretagne, en ont rejeté l’idée. “Le projet va finir dans un tiroir, commente lequotidien de Munich, mais c’est bien ainsi.La commissaire manque d’audace. Imperturbable,Viviane Reding défendra son projetde directive en l’état en octobre...

IRAN-CANADA RUPTURE RADICALE

Canada a cédé aux pressions des Etats-Unis et du régime sioniste, titrait Kayhan, quotidien ultraconservateur de Téhéran, au lendemain de l’annonce par Ottawa de la rupture des relations diplomatiques avec la République islamique. nucléaire, Le 6 septembre, le ministre canadien Baird a annoncé la fermeture de son ambassade à Téhéran et l’expulsion des diplomates iraniens

de son pays. Raisons invoquées ? Le soutien de Téhéran au régime de Bachar El-Assad, le développement de son programme nucléaire, Le 6 septembre, le étrangères John Baird ambassade à Téhéran et l’expulsion des diplomates iraniens de son pays les menaces contre Israël et les violations des droits de l’homme, entre autres.

Chloé Baker

Laurent Laget

TERRES RARES : PREMIÈRE USINE HORS DE CHINE

17 septembre La Cosatu, alliée politique clé de l’ANC, le parti au pouvoir, son congrès annuel, quelques semaines après le plus violent conflit social de ces dernières années. Marikana Les grévistes n’ont pas été soutenus.

Visite du pape Benoît XVI au Liban, alors que les chrétiens d’Orient sont plus que jamais menacés et divisés, notamment sur la question syrienne. Quatrième round, à Vienne, des discussions région sécessionniste.

Malaisie. Dans l’édition dominicale du quotidien malaisien The Sun, le directeur de l’entreprise annonce le traitement de résidus dont la forte toxicité inquiète les défenseurs de l’environnement. Plus de 20 000 personnes avaient manifesté en février dernier pour dénoncer les risques environnementaux.

Thierry Gauthé La communauté iranienne du Canada a accueilli avec joie la fermeture de l’ambassade à Ottawa

CHINE

BO XILAI ÉCHAPPERAIT AUX POURSUITES JUDICIAIRES

15 septembre

CUBA

GRÈVE DE LA FAIM La dissidente Marta Beatriz Roque, 67 ans, a annoncé le 10 septembre à La Havane qu’elle entamait une grève de la faim, rapporte El Nuevo Herald. du harcèlement que le gouverde l’opposition, une situation “que le monde trouve normale”. la faim, rapporte El Nuevo Herald. L’épouse de Bo Xilai admet le meurtre d’un Britannique

Wang Lijun, ancien chef de la police de Chongqing, par lequel le scandale Bo Xilai a été révélé, a été mis en examen le 6 septembre pour défection, abus de pouvoir et corruption. En février, Wang s’était réfugié au consulat des Etats-Unis à Chengdu, non loin de Chongqing, avant de révéler à la police chinoise l’implica-

Afrique du Sud Le syndicat discrédité

13 septembre ( jusqu’au 16)

MALAISIE

Le traitement des terres rares devrait commencer en octobre prochain dans l’usine australienne Lynas, située dans l’est de la Malaisie. Après des mois de manifestations et de lutte devant les tribunaux par les opposants au projet, l’entreprise a obtenu le feu vert du gouvernement malaisien. Le métal sera en Australie et transporté par bateau jusqu’en

Agenda

tion de Gu Kailai, épouse de Bo Xilai, dans l’empoisonnement de l’homme d’affaires britannique Neil Heywood. En août, celle-ci a ignore encore le sort de Bo Xilai, du Parti de Chongqing.

Céline Merrien

Ils entendent protester contre l’augmentation du harcèlement que le gouvernement exerce sur les militants de l’opposition, une situation “que le monde trouve normale.”

Sophie Bouillon

IRAK

RISQUES D’UNE EXPLOSION GÉNÉRALE Un tribunal irakien le 9 septembre, a condamné à mort par contumace le vice-président sunnite irakien Tareq Al-Hachemi, réfugié en Turquie. Cette décision a immé ché des dizaines de vies et causé Nouri Al-Maliki est accusé d’être le responsable de cette situation.

Les Arabes sunnites trouvaient déjà qu’il les persécutait, et maintenant les Kurdes voient d’un mauvais oeil sa volonté de mettre encore été tranché.

Gilles de Obaldia

Une nouvelle édition de la Marche des millions contre le régime actuel est prévue à Moscou et dans d’autres grandes villes . Les négociations sont moscovites à propos de l’itinéraire de la manifestation. Les syndicats espagnols organisent, à Madrid, contre le plan de rigueur.

18 septembre Ouverture à New York de la 67e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies.

5


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

LES GENS

UNE FEMME À POIGNE INVINCIBLE

Marcy KapturDessin de Lexi

M

arcy Kaptur est la “dame de fer” du Congrès américain. Depuis 1982, elle se présente dans sa ville natale de Toledo, dans l’Etat de l’Ohio. La première fois, elle a été élue avec 20 % d’avance sur son adversaire républicain, qui avait pourtant dépensé trois fois plus qu’elle pour sa campagne. Depuis, elle est gagnante (le mandat à la Chambre des représentants dure deux ans), et dire qu’elle “gagne” est un euphémisme : elle “broie” ses concurrents « ELLE NE RATE AUCUNE OCCASION quand elle remD’ATTAQUER LES GRANDES BANQUES porte 70 % des ET WALL STREET » voix, voire plus. Aucune autre femme dans le Congrès actuel n’a autant de victoires électorales à son actif. Le secret de son indestructibilité ? “La fidélité aux électeurs”, répond Marcy Kaptur. Dans deux mois, elle va se présenter pour la seizième fois. Cette fois-ci, elle va s’attaquer à Samuel Joseph Wurzelbacher, le célèbre “Joe le plombier”, “l’homme de la foule” qui a accusé Barack Obama [pendant la campagne présidentielle de 2008] de vouloir augmenter les impôts. Candidat républicain, “Joe le plombier” est certes populaire, mais n’a aucune chance face à Mme Kap-

6

tur. Elle explique qu’elle est la personne la mieux placée pour défendre les intérêts de Toledo. Ce ne sont pas des paroles en l’air : elle siège dans deux commissions de la Chambre qui décident du partage des fonds publics, du budget et des dépenses fédérales. Si les démocrates obtiennent la majorité, elle présidera la seconde. Elle ne déclare aucun autre patrimoine quelques centaines de milliers de dollars. C’est peu pour un député et très peu pour une députée aussi influente qu’elle. Dans le passé, elle a voté contre l’augmentation des salaires des élus. Elle touche une indemnité, mais la reverse à des oeuvres de charité. Pourtant, les gros sous l’intéressent, c’est même son obsession : elle ne rate aucune occasion d’attaquer les grandes banques et Wall Street. “Pourquoi paieraient-ils trois fois moins d’impôt concerne certaines d’entre elles ?”. voilà le refrain de ses discours au Congrès. Elle a voté contre les fameux 700 milliards de dollars du budget fédéral destinés à sauver les banques de la faillite [en 2008]. Déçue par Barack Obama, elle considère qu’il avait les banquiers à sa merci et qu’il pouvait changer les règles du jeu avant de leur accorder de nouveaux prêts. Selon elle, la nouvelle législation régulant les marchés financiers, adoptée pendant la présidence d’Obama, est malheureusement insuffisante. Tout comme avant la crise, explique-t-elle, les banques peuvent spéculer avec l’argent de leurs clients sans trop de risques. Les grands-parents paternels de Mme Kaptur, arrivés aux Etats-Unis Znin, dans la région de Cujavie en Pologne. s q, n’a jamais été dévoilée. J’aimerais bien sauver leur identité, dépoussiérer leur mémoire collective.”

Mariusz Zawadzki

INFO ans dans l’armée, il intègre les services de police de Washington puis celui de Las Vegas.

ILS ET ELLES ONT DIT Aleida Guevara, médecin, cubaine, fille de Che Guevara Désintéressée“Nous ne voulons pas en tirer profit, mais c’est dur de voir comment elle est exploitée.” (The Observer, Londres)

Bernd Schlömer, président du parti allemand des Pirates Bucolique“Si vous voulez manger des fraises cultivées en pleine terre en Allemagne, vous devrez aussi attendre le mois de mai prochain.” (Der Spiegel, Hambourg)

Aleksandre Medvedev, PDG adjoint de Gazprom Expéditif “Il y a un bon proverbe en Russie qui dit que le voleur a son chapeau qui brûle.” (Agence Interfax, Moscou)

Ferenc Gyurcsány, ex-Premier ministre hongrois Pompeux “Une situation dramatique appelle une réaction dramatique.” (Gazeta Wyborcza, Varsovie)

Nalini Elumalai, directrice de l’ONG malaisienne Suaram Combative “Il s’agit de réactions désespérées du gouvernement pour des preuves accablantes.” nous empêcher de révéler des preuves accablantes.” (Malaysiakini, Kuala Lumpur)


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

CONTROVERSE

MARIO DRAGHI, VA-T-IL SAUVER L’EURO ? IL RESSOUDE LA MONNAIE UNIQUE

L

a BCE impose enfin la solidarité financière et réconcilie ainsi le nord et le sud de l’Europe. El País (extraits) Madrid Depuis un certain temps, des voix font valoir que la seule solution pour la zone euro est de parvenir à un compromis entre ceux qui exigent une stricte discipline budgétaire et ceux qui demandent une garantie commune pour la dette. En trois ans, la bureaucratie européenne s’est montrée incapable de trouver cet équilibre budgétaire. Entre-temps, la Banque centrale européenne (BCE) a joué le rôle controversé de pourvoyeur de liquidités, en cas d’urgence, lors des situations extrêmement tendues sur le marché [de la dette]. Chaque fois que la BCE réalisait une injection exceptionnelle de liquidités. la gouvernance économique européenne gagnait du temps, ce qui ne l’empêchait pas de retomber encore et encore dans l’inaction et la léthargie, menaçant la stabilité même de la monnaie unique. Puis Mario Draghi est arrivé, et il a changé les règles. Le président de la BCE a d’abord pris soin de montrer que, s’il fallait des facilités de trésorerie, il les apporterait comme personne avant lui. Et, de fait, il a lancé en décembre 2011 et en février 2012 deux programmes de refinancement à long terme singulièrement ambitieux. Mais quand il s’est avéré que les dirigeants européens ne réagissaient pas en conséquence, la BCE a commencé à changer de discours. Finalement, le 6 septembre, elle a tenté un pari risqué, mais cohérent. Elle a obligé les uns et les autres à accepter les conditions expresses suivantes :pour l’Espagne, un plan de sauvetage ; pour les autres, l’idée que, sans solidarité financière, il n’y a pas d’avenir pour l’euro. Son programme de rachat de la dette pose les bases de ce qui paraissait au départ une conciliation impossible entre le Nord et le Sud dans la zone euro.

Oui

Carbó Valverde

il n’y a pas d’avenir pour l’euro. “Si vous voulez manger des fraises cultivées en pleine terre en Allemagne, Donc, vous devrez aussi attendre le mois de mai prochain.”il présentera son programme pour les élections législatives de l’automne 2013 après avoir tenu deux congrès, l’un en hiver, l’autre au printemps. de 2013. après avoir tenu deux congrès, l’un en hiver, l’autre au printemps. Medvedev, “Il y a un bon proverbe en Russie chapeau qui brûle.” Denis Scudeller

intronisation de Draghi à la BCE. «les choses qui me tiennent à coeur: (...) l’équilibre budgétaire.»

C’EST UN IRRESPONSABLE

D

ie Welt Berlin Selon Mario Draghi, son successeur, la donne a changé depuis le départ de Jean-Claude Trichet [l’ancien président de la BCE]. Le programme fixé à la BCE foule aux pieds son indépendance et profite aux pays du Sud, aux pratiques budgétaires laxistes et incompétentes. La Banque centrale européenne se cantonne désormais dans un rôle de sauveteur : dès que les politiques crient “au feu !”, la banque d’émission sort la lance à incendie. Tantôt en rachetant des dettes publiques, tantôt en allant jusqu’à jouer le rôle de bailleur de fonds provisoire pour une Grèce en faillite, les gouvernements européens et le Fonds monétaire international hésitant à continuer à prêter de l’argent à Athènes. La décision prise le 6 septembre par le conseil des gouverneurs de la BCE de racheter autant de dettes publiques qu’il sera nécessaire, quoi qu’il en coûte, est le triste point d’orgue de cette politique. La meilleure illustration de la politisation d’une jeune banque centrale qui, à en croire ses statuts et la Constitution européenne, de-

Non

vrait être pourtant l’une des plus indépendantes de la planète. Mario Draghi a bejeu de déclarer que les gouverneurs composant le conseil.prennent leurs décisions de manière autonome. Car à quoi sert une telle indépendance formelle si les banquiers centraux se subordonnent à la politique ? Ils ne font pas autre chose en exigeant des pays dont ils rachètent les dettes publiques qu’ils demandent le soutien d’un fonds de sauvetage politique. Dans ces conditions, comment la BCE peut-elle encore gérer la planche à billets indépendamment des gouvernements ? Mario Draghi foule aux pieds les statuts de la BCE et tente de se justifier en évoquant un possible éclatement de la zone euro. Ce faisant, il fait le sale boulot des gouvernements qui, avec l’appui de la banque centrale, peuvent ralentir encore un peu plus le rythme des réformes. Dans le même temps, Dans le même temps, la BCE va accumuler les dettes publiques de pays en crise. Le président de la Bundesbank [la banque centrale allemande, Jens Weidmann, qui s’est opposé fermement à cette politique, part de la chancelière. Mais Mario Draghi évite à Angela Merkel de demander au galement son affaire.

Une politique monétaire irresponsable La Commission européenne qui vient alors de lancer la procédure formelle visant le fournisseur de gaz russe, qu’elle pense d’entrave à la concurrence et aussi de manipulation des prix dans plusieurs pays de l’Europe centrale et orientale. “Une situation dramatique appelle une réaction dramatique.” Il mène une grève de la faim devant le Parlement les médias eurent publié les propos de Gyurcsány. Au pouvoir, modifiant pays de l’Europe centrale lemode de scrutin. Il mène unegrève de la faim devant le Parlement. Laurence Habay

Jörg Eigendorf.

7


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

D’UN CONTINENT A L’AUTRE

EUROPE

ALLEMAGNE C’EST UNE MISSION IMPOSSIBLE POUR NOUS, LES JEUNES. Le projet de la ministre du Travail visant à augmenter les cotisations de retraite pour réduire la pauvreté des seniors suscite un tollé dans le pays. Dettes, climat, pensions, et quoi encore ?

O

n reproche aux 20-35 ans de n’avoir rien l’idée que les plus jeunes prennent en charge les plus âgés, en commun, ni identité ni idéologie. Il n’est ceux qui travaillent aujourd’hui paient pour ceux qui sont à pas possible de mettre tous les problèmes la retr ministre du Travail Or ceux qui commencent juste à de ce pays sur les épaules de la génération travailler savent qu’ils n’ont pas grand-chose à attendre du qui atteint l’âge adulte en ce moment en régime général de retraite. Comment va-t-on leur expliquer Allemagne. Ma génération. A la différence de la génération qu’ils vont devoir payer encore plus, alors qu’ils recevront d’après-guerre, des soixante-huitards ou de la “généraencore moins plus tard ? tion golf”, ma génération n’a pas de nom. Eh bien, le voilà Les réformes passées [attachées au nom de Walter Ries: “génération surcharge”. Il y va de la justice. L’enjeu n’est ter, ministre du Travail sous le premier gouvernement pas moindre dans le débat en apparence si technique du Schröder] avaient pour but de faire baisser les cotisations supplément de retraite. Est-il juste qu’un salarié qui gagne de retraite pour que les gens puissent continuer à les payer. 2 500 euros bruts reçoive une pension de retraite inférieure Les actifs sont en effet de moins en moins nombreux et au minimum garanti de 688 euros après avoir travaillé à inventé les retraites privées. Ce plan ne marche manifestetemps plein pendant trente-cinq ans [comme l’indiquent ment pas.Ma génération a hérité de centaines de milliards les chiffres officiels à de dette de ses parents, « ILS ONT DÛ S’HABITUER À VIVRE les plus riches de tous les l’horizon 2030] ? Que quelqu’un, au premier temps. Nous, les jeunes, DANS L’INSTABILITÉ. » jour de sa retraite, doive nous devons non seulecommencer à aller à l’aide sociale ? Non, ce n’est pas juste ! ment payer ces dettes, mais aussi sauver le climat, aux déC’est contraire à notre sentiment qu’une vie de travail doit pens duquel nos prédécesseurs se sont assuré croissance déboucher sur une retraite digne. Les mesures proposées et prospérité. Et nous sommes priés de nous reproduire par Ursula von der Leyen pour lutter contre la pauvreté l’instabilitéé, à n’avoir que des CDD, à voir que la période 22 Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre l’instabilitéé, à n’avoir que des CDD, à voir que la période 2012 Europe des seniors ne font qu’engendrer une injustice qui suit une crise n’est que le prélude à une autre crise. Où encore plus grande. La ministre du Travail souhaite que les ma génération doit-elle puiser ses forces quand il n’existe personnes qui ont travaillé et cotisé longtemps perçoivent aucune perspective de venir à bout des dettes contractées une pension d’au moins 850 euros, ce supplément devant par le passé. être financé par une hausse à la charge des cotisants acKerstin Bund. tuels. En voulant rendre les retraites plus justes, Ursula von der Leyen les rend plus injustes. Outre que ces pensions ne toucheront pas ceux qui en ont le plus besoin, elles violent le principe fondamental selon lequel plus on cotise, plus on perçoit par la suite. Une personne qui s’est constitué sa retraite elle-même pourra donc finir par toucher autant que quelqu’un qui a cotisé moins, et moins longtemps. Mais la plus grande injustice, c’est celleLa crise déclenchée par les tractations douteuses entre les gouvernements hongrois ci : cette proposition faipasser le bien-être des vieux avant et azerbaïdjanais pourrait avoir des conséquences gravissimes. celui des jeunes. On pourrait dire que c’est bien naturel dans une société vieillissante, la démocratie s’adapte à la démographie.Mais si c’est la démographie qui détermine la l est rare que la Hongrie fasse la une de la presse avait agi autrement, leurs gouvernements auraient été badémocratie, à un moment ou un autre, la solidarité en prend internationale pour une affaire diplomatique. layés par la vindicte populaire. L’homme politique incapable un coup. Le système de retraite par répartition repose sur L’extradition d’un assassin [le soldat azéri Ramil de saisir cela doit exercer ses talents ailleurs de Navracsics [le Safarov, qui avait décapité un soldat arménien de garde des Sceaux] se trompent totalement.. Ce scandale laisl’Otan à Budapest. Il était condamné à la prison à sera des séquelles. On espère seulement qu’il ne conduira perpétuité], la perspective pas à une escalade de la d’empocher quelques milhaine. prudence. Ces événe« LES DIRIGEANTS HONGROIS liards de dollars [de la part ments brossent un portrait N’ONT VISÉ QUE L’INTÉRÊT de Bakou] contre des obliinquiétantde Viktor Orbán et IMMÉDIAT » gations d’Etat et l’indignadu fonctionnement du NER tion d’un pays de 3 millions d’habitants ne suffisent pas à [le Ceux qui demandent la tête de Martonyi [le ministre des l’expliquer. C’est que la Hongrie s’est fourrée dans un vériAffaires étrangères] ou de Navracsics [le garde des Sceaux] INFO table guêpier. On aurait dû se poser la question : quelles se trompent totalement. Le problème résulte de la mentalité Après avoir passé quatre réactions allaient susciter le geste hautement symbolique provinciale et du comportement agressif du NER, qui veut ans dans l’armée, il intègre les services de police de relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie*, le premier ne ignorer une réalité complexe pour atteindre son objectif coûte Washington puis celui pouvait que faire libérer le condamné. Ce que la second ne que coûte. de Las Vegas. pouvait pas regarder sans broncher. Si l’un ou l’autre pays András Léderer

HONGRIE LE GOUVERNEMENT ORBÁN DANS LE GUÊPIER DU CAUCASE

I

8


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

RUSSIE “CONSACRER DIX MINUTES PAR JOUR À LA CONTESTATION” Piotr Verzilov, auteur de performances anti-régime au sein du collectif artistique Voïna, est une figure de l’aile radicale de la contestation actuelle. Et c’est l’époux d’une des activistes.

P

ourquoi l’affaire des Pussy Riot a-t-elle eu une impropre de la classe créative, qui serait constituée de posrésonance internationale ? Piotr Verzilov L’hissesseurs d’IPhone et d’IPad. En Europe occidentale, on met toire de ce groupe punk russe est trop embléune cagoule. Madonna, Lors de son concert du la classe matique, frappante, visuellement marquante créative, ce sont ceux qui sortent dans la rue et affrontent la pour ne pas plaire à l’Occident. Il est le fruit de police, bien que, en Grèce, en Espagne et en Angleterre, ils la culture occidentale, et très facile à comprendre pour un fassent partie d’un système politique bourgeois. Occidental. Et en Russie ? Les choses sont moins simples, Vous appelez les gens à “faire comme vous, mieux que naturellement. Il y a le contexte religieux, ce qui est tolérable vous”, en vous tirant une balle dans la tempe. Difficile à suivre, ou pas… Cette prière punk est aussi considérée à la lumière non ? Voïna est difficile à imiter parce que nous n’avons pas des traditions de Voïna [La Guerre], et dans le cadre d’un une identité visuelle unique. Voïna est multiforme, ce qui mouvement de contestation plus vaste. Il est certain que les importe le plus, c’est l’esprit, le style et l’énergie. Pussy Riot journalistes occidena une identité plus ho« SI UNE PERSONNE EST INTÉRESSÉE mogène. Une énorme taux ne creusent pas autant. Et c’est quoi, PAR LA POLITIQUE, ELLE DOIT BÂTIR quantité de gens enla “tradition” de Voïna filent des cagoules et SA PROPRE MÉTHODE » ? C’est sensibiliser les les imitent. La cagoule gens au fait qu’ils peuvent mener des actions de protestasert à remplacer sa personnalité par une idée et une forme. tion frappantes en puisant dans leurs propres ressources. Ça fait un peu sous-commandant Marcos… Oui, quand on Par exemple, le [célèbre juriste blogueur Alexeï] Navalny a besoin de rester anonyme et d’agir, on met une cagoule a imaginé une façon très efficace de faire profiter un large a imaginé une façon très efficace de faire profiter un large public de ses capacités analytiques. Navalny a transformé Madonna, [lors de son concert du 7 août à Moscou], a ce qui plombe depuis des siècles notre réalité de merde la commencé par déclarer : “I like to live dangerously”, J’aime paperasserie bureaucratique en un show féerique. Le point vivre dangereusement”, Elle a mis une cagoule, s’est désfort de Voïna, ce sont métaphores plastiques. habillée pour finir en sous-vêtements, Elle dit : “I like to live Si quelqu’un est intéressé par l’expression politique, il doit dangerously” et elle fait son truc. Si contemporain ? Nous bâtir sa propre méthode, en s’appuyant sur ses propres n’avons pas fait mieux autre chose ; pour chaque génératalents, afin d’obtenir son propre résultat. Vous vous adrestion l’art fonctionne de manière différente. sez à la classe créative ? En Russie, on a une définition assez Vsevolod Tchernozoub

«je veux que l’on continue à verser cette pension » DGB

Pussy Riot

“Non, je ne regrette rien” Depuis sa prison, Nadejda Tolokonnikova, épouse de Piotr Verzilov réitère les mobiles politiques de son action. A quoi ressemble votre quotidien en prison ? Il est supportable. Après le reveil à six heures, le petit déjeuner, la promenade, j’écris. Ou je lis ces jours-ci l’oeuvre du philosophe slovène marxiste Slavoj Zizek. L’absence de liberté de gestes ne restreint pas la liberté de pensée. Regrettez-vous votre action dans la cathédrale ? Non, je ne regrette rien. Je pose un regard objectif sur notre situation. Ainsi, Le procès intenté contre nous a montré le vrai visage du système Poutine. Celui-ci a prononcé un jugement en

nous condamnant à deux ans de camp sans que nous n’ayons commis aucun crime. Cela me réjouit. Donc qu’est-ce qui caractérise la femme russe aujourd’hui ? Elle oscille entre les types slaves et occidentaux. Enfin, c’est l’image séculaire de la protectrice du foyer élevant seule ses enfants, sans l’aide de son époux, qui domine chez nous. Cela me réjouit. Qu’est-ce qui caractérise la femme russe aujourd’hui ? Elle oscille entre les stéréotypes slaves, occidentaux. Enfin, c’est l’image séculaire de la protectrice du foyer élevant seule ses enfants, sans l’aide de son époux, qui domine chez nous. Ce système a

prononcé un jugement contre lui en nous condamnant à deux ans de camp sans que nous n’ayons commis aucun crime. Elle oscille entre les types slaves et occidentaux. Enfin, c’est l’image séculaire de la protectrice du foyer élevant seule ses enfants, sans l’aide de son époux, qui domine chez nous.Cela me réjouit. Qu’estce qui caractérise la femme russe aujourd’hui ? En nous condamnant à deux ans de camp sans que nous n’ayons commis aucun crime. Matthias Schepp

Une politique irresponsable

9


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

D’UN CONTINENT A L’AUTRE

AMÉRIQUES

ETATS-UNIS JOE ARPAIO,LE SHÉRIF DE LA PEUR A 80 ans, l’officier de police plus corrompu du Far West ne compte pas rendre les armes ni les clés du comté d’Arizona où il fait régner sa loi. Ses cibles : les Latinos qui osent passer la frontière… et Obama.

J

oe Arpaio, cet homme de 80 ans qui se qualifie lui-même de “shérif le plus dur d’Amérique”, sourit tel un gnome ravi. Vue de son bureau situé au dix-huitième étage, l’immense banlieue qui s’étend à perte de vue autour de Phoenix tremble dans la chaleur brûlante du désert de l’Arizona. Arpaio met un morceau des Rolling Stones pour accueillir le journaliste comme il nous surnomme. “Hey ! You ! Get off of my cloud !” retentit. La visite guidée de la légende Arpaio peut commencer. Sur une pancarte installée à côté de son bureau figure, écrit à la main, le règlement draconien de Tent City, la prison qu’il a créée il y a vingt ans, dans laquelle 2 000 détenus vivent en plein désert sous des bâches de toile, contraints de casser des cailloux dans la chaleur suffocante et obligés de porter des sous-vêtements roses sous leur tenue à rayures blanches et noires. “Travaux forcés”, annonce le panneau. “Magazines pornos interdits !”

envers les immigrants, un “Bull” Connor [symbole de la répression violente contre les militants des droits civiques en Alabama en 1963] contemporain s’opposant au gouvernement fédéral sur la politique d’immigration. Aussi est-il devenu l’interlocuteur préféré des politiciens conservateurs, depuis les législateurs locaux jusqu’aux candidats à la présidentielle qui souhaitent afficher leur fermeté en matière d’immigration. “La députée républicaineMichele Bachmann était assise là il n’y a pas si longtemps, me dit Arpaio en désignant la chaise où j’ai pris place. Si vous saviez le nombre de présidentiables qui viennent me voir !” Quand Arpaio a été accusé de se livrer à un profilage racial systématique en Arizona, il a déclaré la guerre au président Barack Obama : il l’a accusé de dénaturer la loi fédérale sur l’immigration afin de s’assurer le vote des Latinos. Arpaio continue par ailleurs à enquêter sur l’authenticité du certificat de naissance d’Obama, le thème conspirationses pratiques sèment l’angoisse dans

la communauté latino de l’Arizona. “Les Hispaniques, ils me détestent parce qu’ils ont peur de se faire arrêter”, s’est vanté Arpaio Sinatra : “My Way”. “Je n’utilise pas les e-mails ou u-mails ou je ne sais pas trop quoi”, annonce-t-il avant de faire pivo.

Bienvenue à Tent City “Vous voulez voir la tente où sont regroupés les Mexicains ? s’enquiert Arpaio d’un ton de conspirateur. Ça vous dirait ?” Le rideau s’ouvre à nouveau. Et nous voici, par une température qui flirte avec les 40 °C, à l’entrée de Tent City, où des milliers de détenus vivent à l’air libre, purgeant la peine qui leur a été infligée pour des délits allant de la conduite en état d’ivresse au petit deal de drogue. Dès sa création [en 1993], la prison s’est fait connaître pour ses conditions de vie minimalistes, dont Arpaio souligne qu’elles ont permis au comté de Maricopa d’économiser des millions de dollars en coût de construction et d’entretien : Arpaio fournissait

Bourru et sans chichis De derrière son bureau, Arpaio tire une liasse de coupures de presse dont il est le sujet central. Plusieurs dizaines d’articles décrivent le shérif bourru et sans chichis du comté de Maricopa, dont les hommes raflent régulièrement les immigrants illégaux lors de raids nocturnes. Le soixantième raid, le plus récent, a été mené quelques jours auparavant, dans un magasin de meubles du coin. “La presse du monde entier parle de ce que je fais, ditil en feuilletant les coupures de presse. Regardez, rien que cette semaine : un grand magazine russe, la BBC… Certains racontent que je cours après la publicité. Des amis à moi m’ont dit que j’étais dingue d’accorder une interview à votre magazine, poursuit- il en parlant de Rolling Stone. Mais la polémique, ça m’a plutôt réussi depuis cinquante ans.” Arpaio est un aboyeur de foire totalement décomplexé. Et ses bouffonneries pourraient être amusantes s’il n’était pas connu non seulement pour être le shérif le plus dur des Etats-Unis, mais aussi le plus corrompu et le plus violent. L’Arizona est depuis quelque temps au centre du débat sur l’immigration illégale et les droits des Latinos, et Arpaio se présente comme le symbole de la défiance

INFO Après avoir passé quatre ans dans l’armée, il intègre les services de police de Washington puis celui de Las Vegas. Une politique irresponsable

10


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

Joe Arpaio

Bio express 1932 : Joe Arpaio Naissance à Springfield, Massachusetts. Etats-Unis

1954 : Après avoir passé quatre ans dans l’armée, il intègre les services de police de Washington puis celui de Las Vegas.

1957 :

Une politique irresponsable

deux repas par jour à ses prisonniers (à 30 cents le repas), interdisait café et cigarettes – et rappelait d’un ton satisfait qu’ici les températures estivales pouvaient dépasser les 60 °C. Ses administrés étaient ravis, et la presse nationale est accourue en masse. Arpaio a également renoué avec la pratique des “chain gangs”, baladant les détenus enchaînés dans les rues pour amuser les badauds. En 1996, il a publié son premier livre : America’s Toughest Sheriff [“le shérif le plus dur d’Amérique”], que le sénateur républicain John McCain a vanté comme étant “frappé au coin du bon sens”.Escortés par les deux solides gardes du corps d’Arpaio, nous franchissons une série de cours grillagées, une pour les femme, puis une autre pour les hommes, qui sont assis à l’ombre sans rien faire. Escortés par les deux t qu’ici les températures estivales pouvaient dépasser les 60 °C. Ses administrés étaient ravis, et la presse nationale est accourue en masse. Arpaio a également renoué avec la pratique des “chain gangs”, baladant les détenus enchaînés dans les rues pour amuser les badauds.

51 000 clandestins arrêtés Arpaio, qui parle un peu d’espagnol avec un fort accent italien, est haï dans les communautés d’où sont originaires les détenus qui nous entourent. Dans les quartiers hispaniques de Phoenix, on peut voir à l’arrière des voitures des autocollants “Fuck Arpaio” (c’est également le titre d’un morceau de rap chicano très populaire). Le shérif affirme qu’il ne fait rien d’autre que le travail dont le gouvernement n’a pas su s’acquitter : arrêter des immigrants illégaux au motif qu’ils enfreignent les lois de l’Etat, pour les remettre aux autorités fédérales. Il affirme avoir arrêté 51 000 immigrants illégaux depuis 2007. L’immigration illégale est la principale préoccupation des électeurs d’Arizona. Maricopa, quatrième comté des Etats-Unis par sa taille, a beau être situé à plus de 70 kilomètres de la frontière mexicaine, Phoenix, la capitale de l’Arizona et principale agglomération du comté, est une

destinationpour l’instant aux mains des banlieues blanches et conservatrices de Phoenix. Mettre des Mexicains en pri prisée aussi bien par les immigrants illégaux que par les trafiquants de drogue. Trente pour cent des habitants du comté sont d’origine hispanique, et cette proportion est en constante et rapide augmentation – elle a fait un bond de 47 % au cours de la dernière décennie. Maricopa, quatrième

Il devient agent spécial au sein du Federal Bureau of Narcotics, la Drug Enforcement Administration

1981 : Joe Arpaio est poursuivi pour discrimination raciale à la suite d’une plainte déposée par une de ses collègues de la DEA.

« LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE LE POURSUIT POUR PROFILAGE RACIAL ET POUR DE MULTIPLES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME »

1992 :

comté des Etats-Unis par sa taille, a beau être situé à plus de 70 kilomètres de la frontière mexicaine, Phoenix, la capitale de l’Arizona et principale agglomération du comté, est une destinationpour l’instant aux mains des banlieues blanches et conservatrices de Phoenix. Mettre des Mexicains en pri prisée aussi bien par les immigrants illégaux que par les trafiquants de drogue.

1993 :

Un calibre 50 à vie Arpaio s’est même attiré l’hostilité d’autres services de police. En 2008, le harcèlement et le profilage racial auxquels se livraient les hommes du shérif déclenchèrent des manifestations à Mesa. Pour empêcher Arpaio d’envoyer ses flics réprimer les manifestants. de Mesa, George Gascon, a établi un cordon sanitaire Comme il l’avait fait dans plusieurs autres villes, le chef de la police berté d’expression à transmettre leurs doléances aux autorités. Furieux, Arpaio a déclenché un raid nocturne contre l’hôtel de ville de Mesa sous prétexte de chercher des immigrants illégaux. Une poignée de portiers ont été interpellés, mais tous avaient des papiers en règle.

shérif du comté deMaricopa (Arizona). Il est élu pour la première fois shérif du comté deMaricopa (Arizona).

Il crée la prison “Tent City” à Phoenix (Arizona).

1996 : Il publie son premier livre, America’s Toughest Sheriff, “le shérif le plus dur d’Amérique”.

2006 : Il crée une “unité de lutte contre le trafic d’êtres humains” .

Joe Hagan

11


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

D’UN CONTINENT A L’AUTRE

QUÉBEC UN ACTE DE VIOLENCE QUI NE NOUS RESSEMBLE PAS Ce n’est pas l’élection de la première femme Premier ministre du Québec qui restera dans les mémoires, mais la fusillade qui a eu lieu pendant son discours de victoire, déplore le quotidien anglophone de la province.

Elections

Cohabitation difficile en vue

S

Pauline Marois évacuée par les services de sécurité pendant son discours, le 4 septembre.

i les élections québécoises ont eu un formidable retentissement sur le plan international, c’est pour la pire des raisons. Ce n’est pas parce que les Québécois ont élu un gouvernement souverainiste. C’est la cinquième fois que cela arrive en moins de quarante ans et, normalement, cela ne devrait faire la une que dans notre pays. De plus, compte tenu de l’avance relativement mince avec laquelle le Parti québécois a remporté l’élection, il semble aujourd’hui moins menaçant pour l’unité canadienne que lors de ses succès précédents. Le PQ a été élu à la tête d’un gouvernement majoritaire en 1976 et en 1994: en ces deux occasions, il y a eu un référendum sur la souveraineté du Québec.] Ce qui a fait les gros titres, Cette fois, c’est une fusillade qui a éclaté lors des célébrations de la victoire du PQ à Montréal. 1976 et en 1994: en ces deux occasions, il y a eu un référendum sur la souveraineté du Québec.Ce qui a fait les gros titres, cette fois, c’est une fusillade qui a éclaté lors des célébrations de la victoire du PQ à Montréal. Peut-être s’agissait-il d’une tentative d’attentat contre Pauline Marois, la dirigeante du parti, qui venait d’être élue au poste de Premier ministre du Québec. Mme Marois en est sortie indemne, mais Denis Blanchette, un technicien de 48 ans qui travaillait pour la salle de spec-

12

tacles où se déroulait la fête, a été tué et un autre homme a été grièvement blessé. A la demande de Mme Marois, M. Blanchette aura droit à des obsèques nationales. On ne sait encore rien ou presque du tireur arrêté sur les lieux. Richard Henry Bain, un anglophone âgé de 62 ans, a comparu devant un tribunal de Montréal le 6 septembre. Il a été filmé en train de hurler : “Les Anglais se réveillent !” tandis qu’il était emmené par sociée à un tel drame, mais ce dernier a suscité un raz de marée rassurant de commentaires de la part de Québécois francophones, anglophones qui ont dénoncé que sa propre folie. Comme lsur son blog Stéphane Laporte, chroniqueur pour La Presse : Francophones et anglophones, nous parlons tous la même langue.

The Gazette

INFO la nouvelle Première ministre devra faire preuve de sens politique, apprendre la cohabitation avec ses adversaires.

Le Parti québécois souhaitait obtenir une majorité claire lors du scrutin du 4 septembre afin de faire progresser le Québec vers l’indépendance. La première femme à être élue à la tête du gouvernement québécois n’aura pas réussi à remporter ce pari. Seulement avec 54 députés sur les 125 sièges que compte l’Assemblée nationale, Pauline Marois devra naviguer sans faire trop de vagues. Même si l’opposition formée par le Parti libéral du Québec [50 députés] et la Coalition avenir Québec [19 députés] a exclu la possibilité de prendre le pouvoir, elle pourrait faire tomber le gouvernement de MmeMarois à la première occasion. “Dans un tel contexte, la nouvelle Première ministre devra faire preuve de sens politique, apprendre la cohabitation avec ses adversaires. En cela, elle peut prendre modèle sur Jean Charest lorsqu’il eut à gouverner en situation minoritaire, en 2007. Après des mois de cohabitation paisible, En effet, elle fait face à un gouvernement fédéral qui trahit en fait une indifférence alarmante envers la Belle Province”,déplore le The Globe and Mail. Lors des élections fédérales, en 2011.

Soutient le quotidien de Toronto.


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

BRÉSIL A RIO, LE FOOT RENAÎT SUR LA PLAGE Un championnat et un documentaire rappellent à quel point le football de plage fait partie de la culture populaire de la ville. Signe des temps, ce sport renaît sur les plages de Copacabana, longtemps minées par la violence.

A

u Lido, là où la plage de Copacabana est la plus large (70 mètres), la traversée depuis la promenade peut s’avérer difficile pour qui marche en tongs un jour d’été. Mais la souffrance de courir, pieds nus, pour échapper à une température d’environ 50 °C se transforme en un rare plaisir lorsqu’il s’agit de taper dans la balle. Et, dans ce Rio qui court vers la mer, le sable est le meilleur thermomètre pour mesurer l’ambiance et la créativité de la ville. Avec 17 équipes de 11 joueurs et 9 terrains, le championnat de football de plage qui a débuté le 1er septembre cherche à retrouver l’âge d’or de ce sport, qu’on redécouvre grâce aux images du documentaire Ao som do mar, a luz do céu [“Au son de la mer, à la lumière du ciel”] de Pedro Amorim, diffusé ciel”] de Pedro Amorim, récemment sur la chaîne sportive ESPN Brasil. “Sans protège-tibias ni chaussettes, je ne connais personne qui n’ait pas été blessé dans le sable”, affirme l’ancien gardien et actuel président de la fédération, Marcelo Vargas. A Copacabana, le ballon rond a des origines nobles. Avant de mélanger éléments nationaux et étrangers dans la bossanova, la classe moyenne carioca [originaire de Rio] avait déjà créé le football de plage. Amériques Tout comme la curiosité musicale de la jeunesse, passée par les quartiers populaires, a engendré l’afro-samba, le sport s’est métissé et a gagné en intensité. A une époque où la bande de sable n’était que bonheur, il existait 32 équipes et 20 terrains depuis Botafogo jusqu’à Leblon [quartiers bourgeois situés le long de la plage, de part et d’autre de Copacabana]. Mais, quand le climat s’est détérioré, l’horizon du football s’est bouché. Après avoir été confiné vingt ans dans des enceintes gardées par des vigiles privés, le beach soccer [“football de plage”] respire de nouveau grâce aux opportunités ouvertes par la promotion de Rio au statut de capitale olympique pour 2016. “Dans les années 1980-1990, la violence a atteint un tel niveau que les armes ont fait leur apparition et qu’on pouvait risquer sa vie. C’est très important de voir le football renaître en même temps que la ville”, souligne Júnior Negão, ancien joueur de beach soccer et star éternelle de Leme [quartier résidentiel près de Copacabana]. Né avec la dictature en 1964, Júnior a perdu son père à l’âge de 13 ans et a été élevé loin de sa mère. Entre oppression politique et abandon familial,

il a trouvé la liberté sur la plage. Malgré la séparation imaginaire entre Leme et Copacabana ou le canal qui sépare Ipanema de Leblon, Júnior a su franchir les frontières sociales : “Mon truc, c’est d’être pieds nus. La plage m’a tout donné, et même des pieds hor« CONTRAIREMENT AU FOOT TRADITIONNEL, ribles selon ma AUBEACH SOCCER ON UTILISE LA POINTE DES PIEDS, femme.” L’usage CE QUI TRANSFORME LE JEU EN UN BALLET que l’on fait de ses pieds est plus D’UN AUTRE GENRE. » déterminant que leur apparence. Contrairement au football traditionnel, où le talon est utilisé comme point d’équilibre, à la plage on utilise beaucoup la pointe des pieds, ce qui transforme le jeu en un ballet d’un autre genre. Et, avant de maîtriser l’art du toucher de balle, il faut savoir courir.

O Globo Pedro Motta Gueiros

INFO occasion. “Dans un tel contexte, la nouvelle Première ministre devra faire preuve de sens politique. les services de sécurité pendant son discours.

13


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

D’UN CONTINENT A L’AUTRE

AFRIQUE

TUNISIE LE PROCESSUS DE TRANSITION S’ENLISE Le 23 octobre 2012, l’Assemblée constituante n’aura plus de légitimité et son incompétence est déjà avérée alors que la date butoir approche, s’inquiète l’universitaire tunisienne Douja Mamelouk.

R

édiger un projet de Constitution en Tunisie n’est pas une tâche aisée. Les membres de l’Assemblée nationale constituante [ANC, élue le 23 octobre 2011] doivent se rappeler que, d’après l’article premier de la Constitution actuelle, la Tunisie est un pays arabe et musulman, ce qui pose la question de la laïcité de l’Etat. Par ailleurs, les Tunisiennes se targuent toujours d’avoir plus de droits que les autres femmes arabes. Elles sont tout particulièrement fières de vivre dans un pays où, depuis 1960, la polygamie et la répudiation sont des pratiques interdites et où elles peuvent divorcer, avoir la garde de leurs enfants et toucher des pensions en tant que veuves ou divorcées. Dans mon esprit, les discussions sur la nouvelle Constitution auraient dû plutôt envisager une modification du droit d’héritage [conformément aux dispositions de la charia, la part de l’homme est le double de la part de la femme], la possibilité pour les femmes tunisiennes de transmettre leur nationalité à leurs enfants sans l’aval du père étranger ou, mieux encore, proposer les moyens de parvenir à une véritable égalité entre les femmes et les hommes, tant au niveau juridique que culturel. Mais c’était visiblement trop révolutionnaire, même pour la Tunisie de l’après-révolution du 14 janvier 2011. Ainsi, les termes de l’article 28 du projet de Constitution sont particulièrement déplaisants [voir ci-dessus]. J’espère que les auteurs décideront de faire respecter le Afrique principe d’égalité tel qu’énoncé dans les articles précédents, selon lesquels nous sommes tous des citoyens tunisiens, indépendamment de notre sexe. Toutefois, de nombreuses questions se posent encore. La première concerne la date de présentation du projet constitutionnel. Aucun délai n’a été fixé, même si l’on dispose de quelques estimations [selon le député Habib Khedher, l’ANC n’adoptera pas la nouvelle Constitution avant avril 2013]. Vient ensuite l’appellation de “gouvernement de transition”, sur la pertinence de laquelle on peut s’interroger depuis que le ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, a déclaré, le 26 août 2012 : “Ce gouvernement restera au pouvoir de nombreuses années par la voie démocratique et la volonté du peuple.” L’assurance du ministre laisse entendre qu’il sait quelque chose que 11 millions de Tunisiens, dont moi-même, ne savent pas : les résultats des prochaines élections (dont l’échéance n’est toujours pas clairement fixée), qui auront lieu après la ratification de la nouvelle Constitution .La deu-

Décryptage

Du provisoire qui dure “Le gouvernement a donné forme à un programme clair, jusqu’à 2016”, a déclaré, le 1erseptembre, par le ministre de la Justice Noureddine Bhiri. Ce genre de petites phrases, lancées de temps en temps, comme autant de messages

codés ou de ballons d’essais, trahissent les desseins d’un pouvoir censé être “provisoire”. Le retard enregistré dans la rédaction de la nouvelle Constitutionpar l’Assemblée nationale et les reports succesn’auront surement

pas lieu annoncée par le chef, sont des signes qui ne trompent pas un nouveau parti-Etat, à l’instar du Parti socialiste Rassemblement constitutionnel démocratique. Ridha Kéfi Kapitalis (extraits) Tunis

INFO les desseins d’un pouvoir censé être “provisoire”. Le retard enregistré Une politique irresponsable

14


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

xième question est de savoir si la Tunisie n’est pas devenue et lui-même étaient toujours “en train d’apprendre”. Il a un laboratoire de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. choisi toutefois de remercier ceux qui soutiennent le gouLes responsables du gouvernement de transition nous vernement, plutôt que de se confronter au problème des rappellent régulièrement compétences de l’équipe qu’ils ont été élus démo« CE N’EST PAS LEUR LÉGITIMITÉ ministérielle. quelqu’un cratiquement et que leur “qui craint Dieu” plutôt QUI EST MISE EN DOUTE, pouvoir est légitime. Ce qu’un mafieux dans le MAIS LEURS COMPÉTENCES. » qu’ils refusent de comgenre de Ben Ali et toute prendre, c’est que ce sa clique. Aucun de nos n’est pas leur légitimité qui est mise en doute, mais leurs deux derniers dirigeants ne “craignait Dieu” et ils se sont compétences. Dans son discours, le ministre Abdessalem montrés immoraux envers tunisiens ne sont peut-être pas a défendu songouvernement en déclarant que “nous ne des voleurs, mais ce sont des menteurs. sommes pas tous nés ministres” – et que ses collègues Jadaliyya

Pouvoir “provisoire”. “Le gouvernement a donné forme à un programme clair, a déclaré, ministre de Noureddine Bhiri. Ce genre de petites comme seins d’un pouvoir censé être “provisoire”.

KENYA SUR LA CÔTE, L’INSURRECTION QUI VIENT… À sept mois d’une élection présidentielle à risque, les affrontements interethniques se multiplient. Mombasa, la seconde ville du pays, est l’épicentre de la violence.

C

e charpentier à la voix douce défend une idée radicale : il réclame l’indépendance du littoral kényan de l’océan Indien, une région paradisiaque pour les visiteurs mais dont les habitants vivent dans la pauvreté. Cet homme est le chef du Conseil républicain de Mombasa (MRC), un groupe séparatiste interdit par le gouvernement en 2010, décision cassée par les tribunaux en juillet dernier. Ruwa reproche au gouvernement de négliger la région côtière et déplore que les emplois, les terres et les ressources aillent aux wabara, les habitants de l’intérieur du pays. “Nous avons été réduits en esclavage sur nos propres terres”, proteste-t-il dans une salle miteuse et bruyante de Mombasa, la deuxième ville du pays. Sur un continent en proie à des querelles séparatistes plus ou moins anciennes, ce mouvement est le dernier en date à remettre en cause les frontières tracées arbitrairement par les colonisateurs européens dans les années 1880, sans guère tenir compte des appartenances ethniques, culturelles et religieuses. Du Sahara-Occidental [Maroc] et de la Casamance [Sénégal] jusqu’au Puntland en Somalie et au Matabeleland au Zimbabwe, l’Afrique compte plus de vingt mouvements indépendantistes, dont certains ont été encouragés par la récente expérience du Soudan du Sud, qui s’est séparé du Soudan l’an dernier. Dans la Libye de l’après-Kadhafi, la région de Benghazi, à l’est du pays, est extrêmement agitée. L’Ethiopie a deux vieux mouvements séparatistes. L’un dans la région de l’Ogaden [sud-est] et l’autre dans celle d’Oromia [centre]. Zanzibar, qui a fusionné avec le Tanganyika il y a près d’un demisiècle pour former la Tanzanie, voit aujourd’hui des islamistes appeler à un référendum pour l’indépendance de l’archipel. Présenté dans les brochures touristiques comme un paradis bordé de palmiers, le littoral du Kenya est en proie à la pauvreté et au chômage. Le mé-

contentement de la population est exacerbé par la richesse plus de 2 millions de membres, considère région sont marde la région : les stations balnéaires rapportent des millions quées par plusieurs siècles de commerce que le protectorat de dollars par an et le port de Mombasa est une porte d’enbritannique dépendance. Son slogan en swahili est “Pwani trée en Afrique de l’Est pour les marchandises du monde si Kenya”, qui signifie “la côte n’est pas le Kenya”. entier. Mombasa et sa région sont marquées par plusieurs Clar Ni Chonghaile siècles de commerce et d’influence arabes : l’odeur âcre des épices continue « LA SITUATION EST EXPLOSIVE, à par fumer les rues étroites et sinueuses de TOUS LES JEUNES SONT PRÊTS À EN DÉCOUDRE : la vieille ville. Les PortuNOUS NE CHERCHONS QU’À LES CALMER » gais ont occupé la région de la fin du XVe siècle à la fin du XVIIe, avant d’en être chassés par les Arabes d’Oman, qui en ont eux-mêmes cédé le contrôle aux Britanniques. Le MRC, qui se targue d’avoir

Analyse

Le tribalisme manipulé Derrière les nombreuses guerres ethniques se cachent des rivalités politiques. Chaque groupe les instrumentalise à ses fins. Tous les cinq ans, avant la tenue des élections, ont lieu des massacres à caractère politique. ils sont présentés comme la conséquence de conflits interethniques ou interclaniques. Le paradoxe est que la division administrative en comtés, telle qu’instaurée par la nouvelle Constitution, pourrait en réalité aggraver les choses.

Ce système est destiné à réduire la corruption, et les inégalités dans la répartition des ressources. Les Kényans ont mené un long et dur combat pour obtenir niveau du comté et gangrener une décentralisation afin de prévenir tout excès de la part d’un gouvernement central dirigé par une présidence impériale. Néanmoins, une administration décentralisée ne risque-t-elle pas de créer plus de tensions ethniques dans les différents comtés ?

L’existence de ces subdivisions administratives renforcera-telle la cohésion nationale à la création d’enclaves et de fiefs qui saperont la nation ? La corruption et le tribalisme ne vont-ils pas se propager au niveau du comté et gangrener les fondations, au lieu de reculer? Faut-il craindre que les chefs de guerre ne prennent des décisions au nom de comtés multiethniques ? Rasnah Warah Daily Nation

15


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

D’UN CONTINENT A L’AUTRE

MOYEN ORIENT

ÉGYPTE POUR UN TOURISME “HALAL FRIENDLY” Pour compenser le recul du nombre de touristes occidentaux effrayés par la montée de l’islamisme, l’Egypte veut développer un tourismequi réponde aux besoins des musulmans religieux.

D

e nombreux Egyptiens craignent que l’essor des islamistes ne nuise au tourisme. Toutefois, certaines entreprises misent sur ce qu’on appelle de plus en plus couramment le tourisme halal friendly, une solution qui pourrait relancer l’activité dans ce secteur. En ce qui concerne la demande internationale de produits et de services halal, le tourisme vient au troisième rang après l’alimentation et les cosmétiques. Une étude menée par Ogilvy Noor, société internationale de marketing islamique, révèle que l’ensemble du marché [mondial] halal a pesé 2 100 milliards de dollars l’an dernier et qu’à lui seul le tourisme halal a représenté 100 milliards de dollars. “Le terme halal ne recouvre pas la même réalité d’un pays à l’autre”, fait valoir Manal Kelig, cofondateur du tour-opérateur Gateway to Egypt. “On peut considérer que c’est à l’autorité religieuse du pays de déterminer ce qui est conforme à la charia.” Il affirme que de nombreux touristes [musulmans] recherchent de la nourriture halal, des hôtels sans alcool, des loisirs strictement réservés aux femmes, des activités familiales, ainsi que de petites attentions comme des autocollants d’instructions pour la prière et un Coran sur la table de Moyen Orient chevet au lieu d’une Bible. En outre, pendant le mois du ramadan, les voyageurs musulmans pourraient demander que des dispositions particulières soient prises pour le souhour [repas précédant l’aube].Sur Crescent Rating [Classement du croissant], un site Internet asiatique qui se présente

INFO rapidement tiré les leçons. ont cependant oublié de préciser, c’est que les pays qui ont connu ce genre de problème.

comme un “guide de voyages halal”, l’Egypte commence à devenir une destination prisée. En effet, dans le secteur du tourisme, ceux qui sont déjà mécontents de la montée des islamistes pourraient mal réagir à une communication accrue autour des services halal. Tous les acteurs du tourisme ne sont pas convaincus que le halal friendly ait un avenir. Ahmed Fathy, propriétaire de l’agence allemande Sinbad Reisen, attribue cette tendance à “la montée en puissance des Frères musulmans et des salafistes”. Fathy, un Egyptien qui a lancé sa société en Allemagne en 1986, ne croit pas qu’il faille promouvoir un tel label.

Le “guide de voyages halal” à New York en 2003 pour montrer que ce type d’incident n’était pas si extraordinaire. Ce qu’ils ont cependant oublié de préciser, c’est que les pays qui ont connu ce genre de problème en ont rapidement tir-é les leçons. ont cependant oublié de préciser.

Sarah El-Meshadh

ISRAËL MÉFIEZ-VOUS DE LA TERRE SAINTE Les recommandations de nombreux pays occidentaux à leurs ressortissants désireux de visiter Israël font parfois penser à celles émises pour un pays primitif plongé dans le crime.

L

ondres I sraël a une nouvelle raison de s’en faire pour son image à l’étranger – en tout cas si l’on se fie aux recommandations aux voyageurs émises par divers gouvernements, de l’Australie aux Etats-Unis en passant par le Japon. Haaretz a compilé des extraits de ces sévères mises en garde faites aux visiteurs potentiels, qui dressent un tableau peu flatteur d’Israël : celui d’“un pays primitif, en proie au crime, plein de vigilance lors de leurs visites de lieux publics et dans les de chauffards, d’intégristes religieux et où l’eau n’est même pas potable”. Dans ses conseils aux voyageurs en route vers la Terre sainte, le ministère américain des Affaires étrangères invite ses ressortissants, de façon insistante et qui n’est plus d’actualité, à “faire preuve de bon sens et de vigilance lors de leurs visites de lieux publics et dans les transports publics, afin de ne pas s’exposer outre mesure à d’éventuels attentats terroristes”. L’Autriche va jusqu’à déconseiller l’usage des transports publics dans tout le pays.lui d’“un pays primitif, en proie au crime, plein de vigilance lors de

leurs visites de lieux publics et dans les de chauffards, d’intégristes religieux et où l’eau n’est même pas potable”. Dans ses conseils aux voyageurs en route vers la Terre sainte, le ministère américain des Affaires étrangères invite ses ressortissants, de façon insistante et qui n’est plus d’actualité, à “faire preuve de bon sens et de vigilance lors de leurs de terroristes”. L’Autriche va jusqu’à déconseiller l’usage des transports publics dans tout le pays.

Donald Macintyre

Le jour de la panne On a pu voir sur les chaînes de télévision des représentants du ministère de l’Energie répondre aux questions des habitants traumatisés. Ils se sont défendus en présentant des tableaux.

SYRIE BACHAR, LE VRAI COUPABLE Les recommandations de nombreux pays occidentaux à leurs ressortissants désireux de visiter Israël font parfois penser à celles émises pour un paysprimitif plongé dans le crime.

S

i l’on se fie aux recommandations aux voyageurs émises par divers gouvernements, de l’Australie aux Etats-Unis en passant par le Japon. Haaretz a compilé des extraits de ces sévères mises en garde faites aux visiteurs potentiels, qui dressent un tableau peu flatteur d’Israël : celui d’“un pays primitif, en proie au crime, plein de chauffards, d’intégristes religieux et où l’eau n’est même pas potable”. Dans ses conseils aux voyageurs en route vers la Terre sainte, le ministère américain des Affaires étrangères invite ses ressortissants, de façon insistante et qui n’est plus d’actualité, à “faire preuve de bon

16

sens et de vigilance lors de leurs visites de lieux publics et dans les transports publics, afin de ne pas s’exposer outre mesure à d’éventuels attentats terroristes”. L’Autriche va jusqu’à déconseiller l’usage des transports publics dans tout le pays. Les recommandations du département d’Etat américain sont sans doute d’une actualité plus pressante concernant l’arrivée de ses ressortissants à l’aéroport Ben-Gourion et à d’autres postes-frontières : certains touristes “ont été soumis à des interrogatoires prolongés et à des fouilles exhaustives […], voire interpellés et/ou arrêtés pour des délits relatifs à la sécurité”, quand ils ne se sont

pas vu, dans quelques rares cas, “confisquer définitivement ordinateurs portables et autre matériel électronique.” “Des responsables israéliens de la sécurité exigent parfois des voyageurs, comme condition d’entrée sur le territoire, qu’ils leur donnent accès à leurs courriers électroniques personnels […] ainsi qu’à leurs comptes sur les réseaux sociaux”, ajoute Washington dans ses avertissements. La Grandque de faux passeports.

Donald Macintyre


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

ASIE INDE “ON DOIT VIVRE DANS LE NOIR ET DANS L’IGNORANCE” Dans de nombreux villages, la gigantesque panne de courant qui a plongé la moitié du pays dans l’obscurité au milieu de l’été est passée inaperçue : beaucoup n’ont toujours pas l’électricité.

Energie

Produire bien avant de produire plus les quarantehuit heures [le 31 juillet, une deuxième coupure de courant a touché 20 Etats] ? Le jour de la panne, on a puvoir sur plusieurs chaînes de télévision des personnes du ministère de l’Energie répondre aux questions des habitants. Ils se sont défendus vaillamment en présentant des tableaux de chiffres tous plus gonflés les uns que les autres et en assurant que la capcité de production en électricité de l’Inde allait augmenter au cours des prochaines années. Ils ont évoqué la panne survenue à New York en 2003 pour montrer que ce type d’incident n’était pas si extraordinaire. Ce qu’ils ont cependant oublié de préciser, c’est que les pays qui ont connu ce genre de problème en ont rapidement tiré les leçons. C’est loin d’être le cas en Inde. Il faut investir dans des équipements modernes, capables en cas de panne de réagir vite et d’isole les éléments défectueux pas été satisfaisantes, et l’on percevait la déception et la frustration dans la voix de leurs interlocuteurs. Ceux-ci voulaient savoir pourquoi une panne aussi grave avait pu toucher toute la région Nord. Tehelka (extraits) New Delhi

L

a nuit tombe vite au village de Kataiyan [dans l’Etat du Bihar, dans le nord-ouest de l’Inde]. Dans quelques minutes, l’obscurité sera totale. Il est 19 h 30 et déjà les hommes, les femmes et les enfants s’allongent sur des nattes déroulées à l’entrée de leur maison. La plupart d’entre eux, et beaucoup d’autres habitants des plaines du nord de l’Inde, ne se sont pas aperçus de l’énorme panne de courant qui a touché la moitié du pays au milieu de l’été [les 30 et 31 juillet, deux coupures de courant ont plongé 670 millions d’Indiens dans l’obscurité, soit près de la moitié de la population] : pour eux, la plus grande coupure de tous les temps a été un non-événement. En Inde, les foyers qui ont accès à l’électricité sont peu nombreux et ceux qui en bénéficient doivent s’en contenter par intermittence. Près du quart de la population indienne, soit 300 millions de personnes, n’est pas relié au réseau électrique, essentiellement dans les Etats surpeuplés de l’Uttar Pradesh [nord-est]et du Bihar. Cet état de Une politique irresponsable fait est le symbole le plus éclatant des inégalités qui frappent le pays.“Sur le plan purement cuire le repas dans le four à bois de sa minuscule cuisine. “Ils économique, le manque d’électricité est un véritable frein à ne peuvent pas regarder la télévision et apprendre ce que la croissance indienne”, estime Ashish Khanna, spécialiste les autres apprennent. Ils ne peuvent pas lire à la maison. On à la Banque mondiale des questions énergétiques en Inde. doit vivre dans le noir et dans l’ignorance.” Dans une maison Les hôpitaux fonctionnent au ralenti, les médicaments ne voisine, Kamlesh Yadav, 13 ans, tente de lire ses manuels sont pas bien conservés, les enfants se retrouvent dans le scolaires à la lueur d’une veilleuse. “Les yeux me piquent noir sans pouvoir faire leurs devoirs le soir. Ce « LES HÔPITAUX FONCTIONNENT AU RALENTI, déficit d’énergie explique en partie la position peu reluisante de l’Inde dans les classements LES ENFANTS SE RETROUVENT DANS LE NOIR du développement humain. Et le smog qui SANS POUVOIR FAIRE LEURS DEVOIRS LE SOIR. » plane au-dessus des plaines, provoqué par l’usage généralisé du bois et du fumier pour cuisiner, en est et j’ai mal à la tête”, confiet- il. Ses tentatives pour étudier aussi la conséquence. Si les Indiens plus riches trouvent du village réussir à faire quelque chose de bien dans leur des moyens d’y remédier, en ayant recours à des généravie ?” se demande-t-il alors qu’il s’apprête à cuire le repas teurs ou à des accumulateurs électriques, les pauvres sont dans le four à bois de sa minuscule cuisine. “Ils ne peuvent entièrement dépendants d’un gouvernement qui échoue pas regarder la télévision et apprendre ce que les autres régulièrement à honorer ses engagements. Aucune des apprennent. 400 maisons du village de Kataiyan ne possède l’électricité, Mira Kamdar un motif de honte pour Gulabi Amarikan, 35 ans, quand il rend visite à ses proches dans des villages électrifiés. “J’ai trois enfants, mais vont-ils réussir à faire quelque chose de bien dans leur vie ?” se demande-t-il alors qu’il s’apprête à

17


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

LONG COURRIER

THÉÂTRE

EN ATTENDANT GODOT AU PORTUGAL Depuis deux ans, les travailleurs des chantiers navals de Viana do Castelo attendent des commandes qui n’arrivent jamais. Le metteur en scène Marco Martins a monté cet été avec seize d’entre eux une adaptation de la célèbre pièce de Samuel Beckett.

Q

and Olívia était enfant, ce n’est pas Godot qu’elle attendait. Cette fille d’un serrurier métallier des chantiers navals de Viana do Castelo (ENVC) attendait d’hériter du poste de son père [traditionnellement, l’entreprise mettait à disposition de la famille le poste d’un salarié décédé]. Mais ne brûlons pas les étapes. Chaque Noël, elle avait “toujours les plus belles poupées”. Tous les ans, l’entreprise organisait une fête pour les enfants des travailleurs. Et mon père ramenait toujours une corbeille garnie avec de la morue, des noix, du porto”, racontet- elle dans la salle à manger de sa maison à Santa Marta de Portuzelo. Une maison qu’elle a fait bâtir, et pour laquelle elle a contracté un emprunt qu’elle n’est pas sûre de rembourser un jour. Son mari travaille lui aussi à l’ENVC, une entre-

il est arrivé à Viana do Castelo pour commencer à travailler, il avait en tête un spectacle autobiographique inspiré du vécu des travailleurs, mais, au fil des répétitions, le groupe s’est mis à réclamer un texte. Dans le coffre de sa voiture, le metteur en scène avait des extraits de pièces de Heiner Müller et de Karl Valentin, mais aucun autre texte qu’En attendant Godot ne semblait taillé sur mesure. “Les chantiers navals sont véritablement à l’arrêt – et cela a été pour moi un constat brutal. Nous n’y sommes allés qu’un mois et quelque après avoir commencé à travailler avec le groupe. Je me sentais un peu comme Lars von Trier, qui fait toujours des films sur les Etats-Unis mais n’y a jamais mis les pieds. Je faisais travailler mon imagination et j’avais déjà une idée en tête. Mais pas aussi violente que la réalité : les chantiers navals, c’est une foule qui entre à 8 heures du matin, et ensuite plus rien, plus un bruit ; les machines sont en train de pourrir, les docks sont déserts…” raconte Marco Martins. Il a filmé tout ce qu’il a pu, “pour garder une trace de ce pan de vie des chantiers navals et montrer l’attente de tous ces gens”. Ces derniers mois, les chantiers navals ont vu un autre contrat de 50 millions d’euros leur échapper, l’un des administrateurs a claqué la porte, accusant les autres d’“inertie”, et le gouvernement a annoncé son intention de vendre l’entreprise à l’acquéreur qui garantira le plus grand nombre de postes de travail – une décision qui devrait être connue dans les semaines qui viennent. Jusque-là, l’attente.

« JE FAISAIS TRAVAILLER MON IMAGINATION ET J’AVAIS DÉJÀ UNE IDÉE EN TÊTE. MAIS PAS AUSSI VIOLENTE QUE LA RÉALITÉ » prise publique très endettée qui compte près de 630 salariés (dont des familles entières) au chômage technique depuis plus de deux ans dans l’attente que le gouvernement prenne une décision. Malgré l’absence de commandes, Olívia et son mari continuent de pointer à 8 heures, même s’il n’y a rien à faire. Ces derniers temps, ils commencent véritablement à travailler après 16 h 30 de retour chez eux, ils rénovent des chaussures dans l’atelier de cordonnerie qu’ils ont installé dans leur garage pour arrondir leurs fins de mois. A présent, oui, ils attendent Godot, comme dans la pièce de Samuel Beckett que le metteur cinéaste Marco Martins a montée cet été à Viana do Castelo à l’invitation de Renzo Barsotti, directeur du Centre de création pour le théâtre et les arts de rue, qui lui avait demandé de travailler avec un groupe de salariés de l’ENVC. On doit faire quelque chose.On ne peut pas rester sans rien faire.”Làdedans, c’est Godot. C’est l’attente qui nous désespère”, confie Martinho Cerqueira, électricien et délégué syndical. Martinho, 60 ans, dont 46 aux chantiers navals, se reconnaît dans le texte de Beckett. On a pu le constater dans le spectacle que le groupe de 16 travailleurs dirigés par Marco Martins et Nuno Lopes ont présenté à la ville et au monde, dans la Rua dos Mareantes [rue des marins], avec vue sur les quais d’où les bateaux ne partent plus depuis longtemps. Cela fait deux ans que, sauf réparations occasionnelles (62 navires ont été réparés en 2011, selon le comité d’entreprise),

l’Etat portugais n’a toujours pas débloqué les 3 millions d’euros A ce jour, l’Etat portugais n’a toujours pas débloqué les 3 millions d’euros qui pourraient permettre à la plus grande entreprise de Viana do Castelo de redémarrer – un montant bien inférieur à celui injecté dans la banque BPN, une banque privée au bord de la faillite, nationalisée en 2008 puis renflouée à hauteur de 5,1 milliards d’euros par l’Etat. Une attente qui, comme toutes les précédentes, peut déboucher sur une autre attente, puis sur une autre, puis encore sur une autre. “ On s’en va ? — On ne peut pas. — Pourquoi ? — On attend Godot.” L’attente, dit Marco Martins, n’est pas seulement le grand sujet du spectacle, c’est “le grand sujet des chantiers navals”. Quand

18

Une adaptation de la célèbre pièce de Samuel Beckett. “Il y a une angoisse de l’avenir, de ce que c’est d’avancer, de ce qu’est le progrès, et cela occupe une grande partie de notre présent collectif”, dit-il à propos des chantiers navals, mais, plus largement aussi, de ce pays de chômeurs qui se lèvent tous les jours pour ne rien faire d’autre qu’attendre. “Je suis de leur côté” Mais si l’attente est chorale les histoires de vie que le spectacle amplifie sont sorties du corps de chacune de ces 16 personnes – et elles sont tellement incroyables, ces histoires de bleus de travail, que c’est comme si les chantiers navals redevenaient cet animal énorme et bruyant dont la ville a fait la connaissance en 1944, et qui a présidé à sa destinée pendant des décennies. Dans la pièce de Marco Martins, les travailleurs prennent leur service chacun à leur tour. Ils racontent l’arrivée sur les chantiers navals, leur premier jour de travail, leur navire préféré.L’accident le plus terrible, ce qu’ils ont pu sauver après tant d’années, entre les morts et les blessés – et leur histoire est l’histoire de l’ascension et du déclin de la construction navale au Portugal, une industrie qui, à Viana do Castelo, a employé à son apogée plus de 2 500 personnes et qui a été florissante pendant toutes les années 1980. En raison des salaires et des perspectives d’évolution de carrière, mais aussi de la fierté de classe associée à la construction navale, travailler sur les chantiers navals était “un rêve” pour des jeunes comme Esteves, âgé aujourd’hui de 55 ans, qui y est arrivé après avoir “travaillé très père, qui se sent accusé se sentira accusé de toute façon, sans qu’on ait besoin de le montrer du doigt. “ Qu’estce qu’il a dit ? Qu’il verrait. Qu’il lui fallait réfléchir. Qu’il ne pouvait rien promettre.” Quand il est arrivé à Viana do Castelo, au mois de mai,navals redevenaient cet animal énorme et bruyant dont la ville a

INFO Ainsi que le récit de ses années de prison, Syrie plutôt que de partir en exil. Il publie ses textes tous les dimanches dans le supplément politique .


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

Profil

Le metteur en scène Né à Lisbonne en 1972, Marco Martins est diplômé de l’Ecole supérieure de théâtre et de cinéma d’Amadora, dans la banlieue lisboète. Ileffectue des stages auprès de réalisateurs confirmés tels que Wim Wenders, Manoel de Oliveira ou Bertrand Tavernier, avant de réaliser trois courtsmétrages, plusieurs fois primés. Crée, en 1999, sa société de production, Ministério dos Filmes, l’une des plus renommées sur le marché publicitaire portugais. En 2005,Alice, son premier long-métrage, est montré au Festival de Cannes dans la Quinzaine des réalisateurs. Crée, en 1999, sa société de production, Ministério dos Filmes, l’une des plus renommées sur le marché publicitaire portugais. Viana do Castelo. Une politique irresponsable

fait la connaissance dans les années 40 et qui a présidé à sa destinée pendant des décennies. Dans la pièce de Marco Martins, les travailleurs prennent leur service chacun à leur tour. employé à son apogée plus de 2 500 personnes et qui a été floris Ils racontent l’arrivée sur les chantiers navals, leur premier jour de travail, leur navire préféré, l’accident le plus terrible, ce qu’ils ont pu sauver après tant d’années, entre les morts et les blessés. navals redevenaient cet animal énorme et bruyant dont la ville a fait la connaissance en 1944, et qui a présidé à sa destinée pendant des décennies. Dans la pièce de Marco Martins, les travailleurs prennent leur service chacun à leur tour. Ils racontent l’arrivée sur les chantiers Navals, leur premier jour de travail, leur navire préféré.L’accident le plus terrible, ce qu’ils ont pu sauver après tant d’années, entre les morts et les blessés – et leur histoire est l’histoire de l’ascension et du déclin de la construction navale au Portugal, une industrie qui, à Viana do Castelo, a employé à son apogée plus de 2 500 personnes

et qui a été florissante pendant toutes les années 1980. En raison des salaires et des perspectives d’évolution de carrière, mais aussi de la fierté de classe associée à la construction navale, travailler sur les chantiers navals était “un rêve” pour des jeunes comme Esteves, âgé aujourd’hui de 55 ans, qui y est arrivé après avoir “travaillé très père, qui se sent accusé se sentira accusé de toute façon, sans qu’on ait besoin de le montrer du doigt. au mois de mai,navals redevenaient cet animal énorme et bruyant dont la ville a Leur histoire est l’histoire industrie qui, à Viana do Castelo, a sante pendant toutes les années 1980. En raison des salaires et des perspectives d’évolution de carrière, mais aussi de la fierté de classe était “un rêve” pour des jeunes comme Esteves, âgé aujourd’hui de accusé se sentira accusé de toute façon, sans qu’on ait besoin de le montrer du arrivé à fléchir. Qu’il ne pouvait rien promettre.” Quand il est arrivé à Viana do Castelo, au mois de mai,

Inês Nadais

19


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

LONG COURRIER

INTERVIEW “LA PRISON, MA LIBERTÉ” L’écrivain et dissident syrien Yassine Al-Haj Saleh a passé seize ans dans les geôles du régime d’Assad. Dans sesmémoires, qui viennent de paraître, il porte un regard inattendu sur l’univers carcéral.

Y

assine Al-Haj Saleh n’est pas le premier à relater son expérience carcérale et ne sera probablement pas le dernier, tant les prisons syriennes débordent aujourd’hui de détenus. Dans son livre Bil khalas ya chabab ! [A notre salut, les jeunes !], il se démarque toutefois en évoquant l’affranchissement et la libération que lui a procurés la prison, et qu’il qualifie de “réclusion”. On ne trouve pas dans son livre de scènes de torture sauvage, et le lecteur n’est pas appelé à partager la douleur et la rancoeur, mais plutôt à s’étonner de ce que ces longues années de détention soient dé crites comme l’expérience d’une autre vie qui transforme en mieux crites comme l’expérience d’une autre vie qui transforme en mieux l’individu, et dont on se souvient parfois avec nostalgie. Yassine Al-Haj Saleh a en effet considéré la prison comme son domicile paradis, mais un enfer supportable.

Comment aurait été votre vie en prison ? Je ne peux imaginer comment j’aurais survécu sans les livres. J’ai souvent pensé avec effroi à une telle éventualité. J’aurais sûrement été anéanti. Pendant un an et demi, avant que l’on n’autorise les livres en prison, j’étais mal à l’aise et perturbé alors que mes compagnons s’en sortaient mieux. Les études en prison n’ont pas fait de moi un intellectuel. Je crois qu’elles m’ont transformé et libéré. C’est une expérience qui m’a affranchi d’autres prisons et d’autres esclavages. cela a été pour moi une seconde enfance. Je n’ai pas pensé utiliser Il ne s’agit pas simplement de « lecture intensive ». Je le dis dans le livre, cela a été pour moi une seconde enfance. Je n’ai pas pensé utiliser le terme d’“école” pour décrire la prison, mais celle-ci a été effectivement une deuxième école et l’occasion d’une nouvelle éducation. cela a été pour moi une seconde enfance.

Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par le terme “réclusion”, que vous employez dans votre livre ? Yassine Al-Haj Saleh Il s’agit de l’état du détenu quand il s’installe en prison, qu’il l’habite et s’y détend comme s’il était chez lui. Le temps devient alors son allié, et la prison perd ainsi sa fonction. La réclusion permet de positiver l’expérience de la détention en donnant l’occasion de faire un travail utile, de produire ou d’apprendre. Les années de prison deviennent une étape essentielle de la vie. La réclusion est aussi une sorte d’acceptation du fait de vivre en prison. Il s’agit d’une acclimatation, dans le sens positif du terme, accompagnée d’une certaine passivité.

Selon mon expérience, la réclusion dépend de plusieurs facteurs. Il faut que les conditions de détention soient supportables ou négociables. Ainsi, la réclusion est impossible dans la prison de Palmyre, bagne syrien absolu, où personne ne peut s’installer ni se laisser alprès de Damas, deux prisons où j’ai séjourné plus de quinze ans. Cela dépend de la situation du détenu : s’il est marié, s’il a des enfants, s’il est âgé, démuni ou ne reçoit pas de visite, la réclusion lui est beaudes visites et qui a un peu d’argent. Car il s’agit d’un apprentissage et d’un travail sur soi plus accessible aux jeunes. La durée d’incarcération compte aussi. Il faut plusieurs années pour atteindre l’état de réclusion, et celui qui reste un an ou deux ne peut y parvenir. Il y a enfin l’aptitude personnelle, puisque certains parviennent rapidement à s’installer dans la réclusion, tandis que d’autres peuvent passer des années en prison sans y arriver, quelle que soit leur situation. La réclusion n’est pas toujours possible et certains ne s’adaptent pas, ne gardent que les effets négatifs d’une longue détention : une pure perte. sonnellement, je suis parvenu à la réclusion au bout de cinq ou six e Ceux-là ont tendance à rayer les années sion au bout de cinq ou six e Ceux-là ont tendance à rayer les années de prison de leur vie et à les regarder de loin, favorisant ainsi leur anéantissement ou les atteintes physiques ou psychologiques. Personnellement, je suis parvenu à la réclusion au bout de cinq ou six e 1992 et 1995. Mais, si j’étais de nouveau incarcéré aujourd’hui, je ne serais absolument pas en mesure de parvenir à cet état. Vous dites avoir réussi la réclusion grâce à la lecture intensive. Supposons que les livres aient été interdits.

20

Syrie : plus de 200 détenus libérés d’une prison de Damas

Quelles sont les conditions de la réclusion ? Comment réussit-on à atteindre cet objectif ? Peut-on échouer ?

La prison est «le prix à payer pour la liberté»

INFO l’intérieur de la boîte noire) et Assatir al-Akharin (Les Légendes des autres), ainsi que le récit de ses années de prison, Syrie plutôt que de partir en exil. Il publie ses textes tous les dimanches dans le supplément politique .


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

Pendant plusieurs années, il s’agissait d’une ar - resta tion arbitraire sans chef d’accusation ni jugement. Nous étions privés du droit de connaître notre sort. Ce qui signifie que l’on pouvait être libéré à tout moment, mais aussi rester prisonnier toute sa vie. Je n’avais jamais imaginé, même dans le pire scénario, que je resterais enfermé pendant seize ans. J’ai été traduit en justice en avril 1992, soit onze ans et quatre mois après mon arrestation. J’avais beaucoup changé au cours de ces années et mes principes aussi. J’étais devenu moins partisan, moins idéologue. Ma cause était celle de la dignité personnelle et nationale. Aujourd’hui comme hier, elle mérite que l’on se batte pour elle. Je ne me suis jamais plaint en prison et je n’en ai

pas voulu à mon parti, à mes camarades ou aux circonstances, tout comme je n’ai pas ressenti un seul instant du regret. J’avais fait un choix et j’en assumais la responsabilité. Je crois encore avoir fait ce qu’il fallait. Je n’avais jamais imaginé, même dans le pire scénario, que je resterais enfermé pendant seize ans. J’ai été traduit en justice en avril 1992, soit onze ans et quatre mois après mon arrestation.

Vous considériez-vous comme un militant ? Et quel est aujourd’hui votre rapport aux idées qui vous ont conduit en prison ? J’étais effectivement un militant. Je n’aime pas ce mot, tant galvaudé par les baasistes et les communistes. Le militant est celui qui fait de la cause publique son affaire personnelle et qui se bat pour elle, n’estce pas ? J’appartenais à un mouvement de tendance très hérétique et j’étais particulièrement attiré par les voix dissonantes et la pensée non conventionnelle elle, n’estce pas ? J’appartenais à un mouvement de tendance très. En me cultivant, je me suis aperçu combien le communisme était un appauvrissement intellectuel et culturel. Je ne nie pas que la chute du de liberté ? onds. Mais le plus imporL’évocation et a un effet thérapeutique indiscutable.

An Nahar

Syrie : plus de 200 détenus libérés d’une prison de Damas

Avez-vous pensé au cours de votre détention que les idées pour lesquelles vous étiez emprisonné ne méritaient pas un tel sacrifice ?

Profil

Yassine Al-Haj Saleh Elle a 51 ans, est aujourd’hui l’un des intellectuels les plus influents de la dissidence syrienne. En décembre 1980, alors qu’il est étudiant en médecine à l’université d’Alep, il est arrêté lors d’une manifestation d’un groupe communiste dissident – le PC syrien était alors officiellement l’allié du régime d’Hafez El-Assad. Il passera seize ans en prison, dont la dernière année dans le redoutable bagne de Palmyre. A sa libération, en décembre fois son diplôme en poche, est l’auteur de trois livres : les essais Sourya min al-Zhil, Nazharat dakhil as-Sandouk al-Aswad (La Syrie de l’ombre. Regards à l’intérieur de la boîte publie ses textes tous les dimanches dans le supplément politique. Fidel Sbeiti

21


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

LONG COURRIER

LE LIVRE

PASSAGE DU NORD-OUEST L’écrivaine britannique Zadie Smith retourne dans le quartier londonien où elle avait situé “Sourires de loup”, le roman qui l’a fait connaître en l’an 2000.

Z

adie Smith a qualifié NW*, son nouveau roman très attendu, de “livre de rien du tout”. Elle a franchement tort. J’avoue avoir été décontenancée par le monologue intérieur du début, à la Virginia Woolf : “Quatre jardins plus loin, dans la cité, au troisième étage, une fille menaçante crie après personne. Juliette au balcon, projetant sa voix sur des kilomètres. C’est pô vrai. Nan c’est pô vrai. Commence pô. La clope à la main. Bien en chair. Ecarlate. Je suis la seule… Je suis la seule auteure.” Mais je n’avais pas lieu de m’inquiéter. La langue de Smith se détend rapidement en une prose lyrique. Moi qui suis aussi du nord-ouest de Londres, j’ai été impressionnée par les descriptions très pittoresques de mon quartier ou de mon “secteur”, comme on dit à Harlesden. A la force du poignet L’histoire s’ouvre sur Leah, jeune femme idéaliste, dans son appartement délabré de Kilburn. Une fille étrange et déguenillée nommée Shar se présente à sa porte et bredouille des propos incohérents à propos d’une mère malade qui a besoin d’argent. Shar jure qu’elle est du coin – elle a même une facture de gaz pour le prouver. Le tribalisme local triomphe. “Leah est aussi attachée à ce carré londonien de 1,6 km de côté que d’autres le sont à leur famille”, écrit Zadie Smith. Leah prête 30 livres à Shar.

Leurs voix sont d’un réalisme quasi inquiétant Cette bonne action déclenche une série d’événements qui se répercutent sur chacun des personnages du livre. L’intrigue s’articule autour de quatre personnages, Leah, Keisha, Felix et Nathan, qui ont grandi ensemble à Caldwell, une cité HLM fictive : cinq barres d’immeubles portant des noms de philosophes, Hobbes, Smith, Bentham, Locke et Russell. Leah, d’origine irlandaise, et Keisha, de parents jamaïcains, sont les meilleures amies du monde depuis l’enfance. Keisha s’est hissée au sommet de l’échelle sociale à la force du poignet. A l’université, elle a changé son prénom pour Natalie,au grand agacement de Leah. Même si elles n’habitent qu’à quelques rues l’une de l’autre, Natalie et Leah ne sont plus du même monde. Natalie dirige son propre cabinet d’avocats à Harlesden et reçoit à dîner des avocats et des banquiers. Leah gagne sa vie tant bien que mal en accordant des subventions pour de “nobles causes” dans un bureau miteux de Kilburn. Natalie habite une somptueuse maison victorienne avec son riche mari italien et leurs deux enfants. Leah et son époux originaire d’Afrique francophone, Michel, vivent dans une pauvreté digne. Même une consultation chez le vétérinaire pour

L’écrivaine britannique Zadie Smith

Biographie

« JE SUIS LA SEULE… JE SUIS LA SEULE AUTEURE. »

INFO Au Royaume-Uni, Sourires de loup (Gallimard, 2001) est immédiatement salué comme un livre magistral et vaut à la romancière de remporter les prix Guardian du premier

22

soigner leur chien bien-aimé est au-dessus de leurs moyens. Smith décrit à merveille tout ce que Londres a de singulier. Il y a des riches et des pauvres dans toutes les grandes villes, mais Londres est la seule où ils vivent côte à côte. Inembourgeoisable En apparence, Leah et Natalie sont heureuses en ménage ; pourtant, chacune cache tout un pan de sa vie à son mari. Michel veut des enfants à tout prix, mais la perspective de la maternité répugne tant à Leah qu’elle prend la pilule sans le lui dire. Le secret de Natalie est plus honteux. Lorsqu’elle décrit les frasques de son personnage, Smith dit quelques vérités bien senties et pleines d’humour sur les hommes obsédés par la pornographie sur Internet. Les vies de Nathan et de Felix sont sur la à l’école primaire. La tragédie n’est jamais loin. Smith se sent obligée d’expliquer pourquoi les drogues et la violence sévissent dans les rues leur ouvrir des portes. à l’école primaire. La tragédie n’est jamais loin. Smith se sent obligée d’expliquer pourquoi les drogues et la violence bien plus tendre envers les femmes noires qu’avec les hommes noirs et bien plus disposée à leur ouvrir des portes. Zenga Longmore.

Née en 1975, dans le nord-ouest de Londres, d’un père anglais et d’une mère d’origine jamaïcaine, Zadie Smith n’a eu besoin que d’un seul roman pour accéder au statut de superstar des lettres britanniques. Paru en janvier 2000. Au Royaume-Uni, Sourires de loup (Gallimard, 2001) est immédiatement salué comme un livre magistral et vaut à la romancière de remporter les prix Whitbread et Guardian du premier roman. Suivront L’Homme à l’autographe (Gallimard, 2007). paru cet été après sept ans de silence, a déçu une partie de la critique britannique.


Courrier international | n° 1141 | du 13 au 19 septembre 2012

TÉLÉVISION DANS LA VIDÉOTHÈQUE DE BERGMAN Dans la collection de cassettes vidéo que possédait le cinéaste suédois figurent aussi bien de grands classiques que des films de genre. Une série documentaire diffusée en Suède invite à découvrir les pépites du maître.

A

u cours de l’été 2010, j’ai dîné avec Jannike Åhlund, la responsable de la Semaine Bergman [cet événement consacré au cinéaste suédois et à son oeuvre a lieu chaque année sur l’île de Fårö, où Bergman avait élu domicile, voir CI n° 1087 du 1er septembre 2011]. Comme le font souvent les critiques de cinéma suédois, nous en sommes arrivés à parler de l’indigence des émissions de télévision consacrées au septième art, et je lui ai dit que je venais justement d’en imaginer une avec deux confrères. Jannike Åhlund m’a alors parlé de la vidéothèque que possédait Ingmar Bergman dans sa maison de l’île de Fårö : peut-être pourrions-nous envisager d’en faire quelque chose ? Que répondre ? Pour nous, représentantsd’une génération qui a eu accès plus facilement aux films grâce aux cassettes vidéo (surtout aux titres interdits aux enfants), ce fut une véritable révélation que d’entrer dans la pièce aux fauteuils verts défoncés, avec sa grosse télévision et sa télécommande sur laquelle avaient été collées des instructions. On y retrouve les mêmes couleurs de boîtiers que dans les vidéoclubs de ma jeunesse et des cassettes enregistrées dont les titres sont écrits en caractère d’imprimerie. On y découvre dans un heureux mélange les films préférés d’Ingmar Bergman et des films sans doute oubliés là par un fils, une fille, une épouse ou un des petits-enfants, ou encore un premier film expédié par un admirateur et rangé là par inadvertance. Car, comme la plupart des vidéothèques privées, la collection réunie dans la “salle télé” d’Ingmar Bergman est des plus éclectiques : de nombreux titres issus de ce que nous appellerions aujourd’hui la

INFO

élection

Oeuvres choisies

Au Royaume-Uni, Sourires de loup (Gallimard, 2001) est immédiatement salué comme un livre magistral et vaut à la romancière de remporter les prix Whitbread et Guardian du premier

Wall Street, Oliver Stone, 1987 Sunset Boulevard, Billy Wilder, 1950 Allemagne, mère blafarde, Helma Sanders Brahms, 1980 La Fille aux jacinthes, Hasse Ekman, 1950 Wating, Ishmael Bernal, 1994

sous-culture des années 1980 , le thriller de John McTiernan, Piège de cristal, ou le film d’épouvante de John Carpenter, The Thing côtoient les classiques et les films d’art et d’essai. La collection de vidéocassettes présente un contraste intéressant avec la salle de projection privée que possédait le cinéaste à Dämba, à dix minutes en voiture de chez lui. Il y visionnait au minimum un film par jour, toujours à la même heure. Plus exactement, cette vidéothèque vient en complément. Car de même que vous et moi choisissons nos films avant d’entrer dans une salle de cinéma, une vidéothèque privée multiplie les possibilités : il suffit de tendre la main et de choisir une cassette (si tant est que les centaines de chaînes que recevait Ingmar Bergman grâce au satellite ne lui aient pas suffi). C’est une vidéothèque comme une autre, à cette différence près que c’est celle d’un cinéaste d’exception. Ce dont témoignent également les réactions qu’elle suscite. Beaucoup des cinéastes et des acteurs que nous avons rencontrés dans le cadre de cette série étaient particulièrement enthousiastes: “Il avait mon film !” Soudain, d’éminents cinéastes ont voulu parler de leur travail, de ce qui les avait influencés. Cela peut sembler une évidence mais, aujourd’hui, le journalisme de cinéma se cantonne de plus en plus souvent aux festivals et aux conférences de presse dans les hôtels – un quart d’heure autour d’une table avec quatre autres journalistes à écouter le réalisateur parler de l’oeuvre qu’il ou elle est venu vendre. Or le fait d’avoir découvert qu’Ingmar Bergman possédait tel ou tel film est alors devenu la clé de conversations qui ne tournaient pas autour de la soumission en dit également long sur le statut de la cassette VHS. La bibliothèque a été examinée à la loupe par les plus grandes sommités du pays, mais, chez l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma, soin de faire l’inventaire de la vidéo.

Hynek Pallas

Une politique irresponsable

Summer with Monika, premier film de Bergman

23


COURRIER

INTERNATIONAL


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.