Le seuil : le caractère public de l'espace privé

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LE SEUIL Le caractère public de l’espace privé



Ce travail de recherche a été effectué dans le cadre de la validation du Master d’Architecture de l’UCL Loci Tournai



VANHELDER ANNE-SOPHIE

LE SEUIL Le caractère public de l’espace privé

Travail de fin d’étude de Master 2 dirigé par Olivier Camus



REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier mon promoteur, Olivier Camus, pour son suivis, nos discussions et ses conseils qui m’ont permis de mener à bien ce travail. Mes remerciements s’adressent également à mes trois co-promoteurs, Christian Gilot, Adrien Verschuere et Guillaume Vanneste pour leur pédagogie lors de l’atelier en et sur l’architecture. Je tiens à remercier Guillaume Burietz de m’avoir fait découvrir la ville de Karlsruhe; pour son soutien ainsi que nos longues discussions sur ce travail. Enfin, je tiens à faire part de ma reconnaissance envers mes parents qui m’ont toujours permis d’entreprendre ce que je voulais, sans qui je n’aurais pas eu la chance de faire ces études.


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INTRODUCTION

CHAPITRE I

DÉFINITION 17

01. PUBLIC

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02. PRIVE

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Représentation Protection

03. LE SEUIL Transition

CHAPITRE II

ÉTUDES DE CAS 28

04. TYPOLOGIES DE SEUILS

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• Quartier le «Viertel» - Brême, Allemagne

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• Dammerstock - Karlsruhe , Allemagne

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• Ludwig Windhorst - Karlsruhe, Allemagne

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05. « DEUTSCH QUALITÄT » ?

Comment on entre ?

Récit de Nicolas Soulier

Walter Gropius

Reinhard Gieselmann

Allemagne vs. France

CHAPITRE III

DIMENSION HUMAINE 67

06. LES ABORDS DU LOGEMENT

71

07. LA PROXEMIE

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08. LA MIXITE

Des lieux porteurs d’identité Les frontières de l’intimité La société des voisins


CHAPITRE IV

O U T I L S D E L’ A R C H I T E C T E

09. DES FRONTAGES ‘‘STÉRILES’’

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10. L’ORGANISATION INTERNE DU LOGEMENT

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Les mauvais élèves

Graduation vers l’intime

11. LE DEUXIÈME CHANTIER Projet fini vs. Projet non fini

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CHAPITRE V

RÉPONSE ARCHITECTURALE

12. DES LOGEMENTS à HELLEMMES Un quartier populaire en mutation

13. LA FRICHE MOSSLEY Un seuil pour la ville

14. UN ÎLOT POREUX

93 95

Un seuil pour les habitants

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CONCLUSION

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Bibliographie

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Iconographie

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INTRODUCTION

Dans l’imaginaire collectif, le seuil s’assimile à la porte d’entrée. Barrière qui marque un changement de statut, la porte représente une délimitation claire entre l’espace public et l’espace intime. Cependant, une porte ne se suffit pas à elle-même pour définir le seuil. Il faut considérer tout ce qui l’accompagne. En effet, le seuil prend en compte toutes les étapes que nous avons traversées pour arriver jusqu’à notre logement. Franchir le seuil est donc un acte important de la vie quotidienne qui devient une cérémonie, un rituel propre à chaque habitant, à chaque logement. Cet espace de transition entre le refuge privé et les espaces d’interactions publiques représente donc un point des plus sensibles dans l’architecture de la maison. C’est un lieu « d’identification et de représentation de soi»1. Généralement, les enfants aiment s’y tenir, «il est pour eux un refuge à partir duquel ils partent à la conquête de leur environnement. Mais les adultes aussi s’y tiennent volontiers, en particulier les personnes âgées qui peuvent aussi participer à la vie de la rue.»2 Les seuils apparaissent comme les lieux où peuvent naître des contacts par les rencontres qu’ils provoquent inévitablement. Dans certaines villes, le seuil est appropriable par les habitants. Une épaisseur leur est accordée offrant une prolongation de leur logement. Le seuil devient alors une pièce, un lieu accueillant qui participe à l’espace public. Les habitants prennent ainsi possession de leur habitat et de leurs environs.

1. Friederike Schneider, Recueil de plans d’habitation, Birkhauser, 2007, p 41 2. Ibid.


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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

Le manque d’attrait envers les seuils du logement peut avoir des conséquences désastreuses. En effet, lorsque l’accès est réduit à un système monofonctionnel exclusivement réservé aux circulations, il n’est pas rare que les habitants ne connaissent aucun de leurs voisins. Dans un souci de rentabilité et de densité, certaines opérations de logement réduisent les surfaces d’interactions (cage d’escalier, corridor...). La conséquence est la mise en retrait des habitants. Ils ne sont pas invités à participer à leur environnement. Au contraire, ils sont généralement contraints à regagner au plus vite leur logement. Quand s’ajoute à cela un cadre réglementaire trop strict, interdisant toute appropriation de la part des habitants, le seuil perd sa fonction d’accueil. Il devient un non-lieux aseptisé et sans vie. L’architecte se doit de prendre en compte ces espaces d’articulations et doit prôner un passage progressif de l’échelle urbaine à l’échelle domestique. à lui d’imaginer les dispositifs à mettre en place pour rendre au seuil son caractère hospitalier. Le seuil doit s’inscrire dans une épaisseur variable en fonction du contexte et de l’ouverture que l’on souhaite donner au logement sur la rue : Quelle épaisseur peut-on accorder aux habitants? Comment la qualifier ? Quel rôle doit-elle jouer? La premier chapitre tentera d’apporter quelques définitions qui permettront de mieux cerner le sujet d’étude. Le deuxième chapitre consistera à analyser plusieurs typologies de seuil issues de mes lectures et de mes voyages. Le troisième chapitre s’intéressera aux différents rapports qu’entretiennent les ommes avec cet espace de seuil. Le quatrième chapitre expliquera les différents outils à la disposition de l’architecte pour définir et qualifier les espaces de seuil. Enfin, il découlera de ce travail une réponse architecturale qui tentera d’enrichir la question par le projet.


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CHAPITRE I

DÉFINITION 01. PUBLIC Représentation 02. PRIVE Protection 03. SEUIL Transition

Dominique Spinetta : «Toute la volumétrie de l’édifice en dépend parfois. C’est ce qui nous permet de mesurer l’enjeu que représente l’entrée : elle doit se montrer et protéger l’intimité, définir la limite collective ou publique et guider le parcours menant à l’intérieur des lieux. La conception de cet espace procède de la reconnaissance des deux mondes qui appartiennent à l’habitation : celui du devant et de l’arrière. »


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DÉFINITIONS

01. PUBLIC Représentation «Adj. Du latin publicus, [...] 5. Qui est à l’usage de tous, accessible à tous. Jardin public » 3

L’espace public est cette grande étendue urbaine qui s’offre à nous lorsque l’on sort de son logement. Une fois dehors, nous sommes ainsi confrontés aux yeux de tous. Louis Kahn considère que «the street is a community room»4. L’espace public apparaît donc comme une sorte de grande pièce à ciel ouvert, délimitée par le bâti. Louis Kahn ajoute que les urbanistes doivent retrouver ce caractère de pièce qu’a perdu la rue suite à l’usage excessif de la voiture.5 L’espace public est également le lieu où l’on peut s’exprimer. à l’image de l’agora grecque, c’est l’endroit du rassemblement social et politique de la cité. «La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société»6. Elle est d’ailleurs généralement un espace de rencontres - qu’elles soient programmées ou fortuites - où l’on peut faire l’expérience de l’autre. C’est donc un lieu de vie qui ne doit pas se résumer à une voirie de circulation. Directement en lien avec notre habitat, elle constitue le décor de notre parcours quotidien jusqu’à notre logement et participe à la qualité de notre habitat. Ce contact intime entre le public et le privé s’effectue avec plus ou moins de succès et de perméabilité. Progressivement grignoté par la privatisation, l’espace public perd progressivement sa place de prédilection dans l’architecture.

3. Dictionnaire Le petit Larousse illustré, 2001, p 836 4. Louis I.Kahn, The room, the sytreet and human Agreement, AIA Journal, 5. Jacques Lucan, Composition, non-composition. Architecture et théories, XIXe - XXe siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, p 490 6. Victor Hugo

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DÉFINITIONS

02. PRIVE Protection

« Du latin privatus, individuel 1. Qui est strictement personnel; intime. Vie privée 2. Qui n’est pas ouvert à tout public. Club privé 3. Qui appartient en propre à un ou à plusieurs individus. Propriété privée.» 7

L’espace privé s’oppose donc à l’espace public. Est privé ce qui est réservé à certains et fermé à d’autres. En ce qui concerne l’habitat, l’espace privé correspond généralement à l’espace intime, l’espace du ‘‘chez-soi’’. Dans cette expression française, ‘‘chez’’ provient du latin casa qui signifie maison. Le pronom personnel ‘‘soi’’ renvoie à l’idée de la maîtrise de notre intérieur, et de notre conception subjective de l’habiter.8 L’Homme privatise ainsi l’espace en érigeant des limites (murs, clôtures , porte...). Cependant, un abus de délimitations entre privé et public n’entraînerait-il pas un repli des habitants sur eux-même?

7. Dictionnaire Le petit Larousse illustré, 2001, p 825 8. Perla Serfaty-Garzon, Le Chez- soi : habitat et intimité dans Dictionnaire Critique de l’Habitat et du logement, Paris, Editions Armand Colin, 2003 p.65-69

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

La notion de ‘‘chez-soi’’ abrite l’intimité de l’habitant avec ses forces et ses défauts. En effet, l’intimité peut parfois renforcer la tentation de l’ancrage dans la maison. Partir de chez-soi, c’est s’exposer au monde, ‘‘ prendre le risque de la vie sociale ’’. Rentrer chez-soi exprime au contraire le repos, le relâchement. Au milieu du XIXe siècle, Alexis, de Tocqueville avait prévu ce phénomène de ‘‘repli’’. Selon lui, la révolution industrielle, l’émergence de la classe moyenne ainsi que l’égalité des conditions auraient eu pour conséquence le désintérêt des affaires publiques, entraînant un repli sur la sphère privée et l’envie pour les citoyens de se consacrer davantage à leurs ambitions personnelles et leur bien être. «Les citoyens n’ont pas naturellement le goût de s’occuper du public, mais souvent le temps leur manque pour le faire. La vie privé est si active dans les temps démocratiques [...] qu’il ne reste presque plus d’énergie ni de loisir à chaque homme pour la vie politique. [...] L’amour et la tranquillité publique est souvent la seule passion politique que conservent les peuples. [...] L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis» 9

9. Alexis de Tocqueville - Le despotisme démocratique, 2009, L’Herne


DÉFINITIONS

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DÉFINITIONS

03. SEUIL Transition « Du latin solea, de solum, base 1. Dalle de pierre, pièce de bois, en travers et en bas de l’ouverture d’une porte. 2. Entrée d’une maison, d’une pièce. b. Point d’accès à un lieu; commencement de ce lieu. Le seuil du désert. <> Au seuil de: au commencement de. Au seuil du désert. 5. Limite au-delà de laquelle des conditions sont changées. Franchir un seuil » 10

La distinction manichéenne entre public et privé a ses limites. En effet, qu’en est-il du statut de tous ces espaces qui se trouvent ‘‘entre’’ comme par exemple le perron sur le trottoir ? Est-il privé ou public ? La réponse n’est pas automatique. Le perron est privé mais il se trouve à l’intérieur du domaine public. Dans ce cas, les habitants peuvent-ils disposer de ce perron comme ils l’entendent ? L’espace du seuil est défini par cette situation d’entre deux. Il appartient à la fois au monde de l’avant et de l’arrière. Cécile Chanvillard, dans sa thèse, Au seuil de l’architecture. Le sacré, explique que : « Les éléments constitutifs du cadre de l’architecture sont le bord, le pli qui distingue les limites du bord et le seuil qui transgresse ces limites. La condition du seuil convoque le sacré. »11

«Convoque le sacré». Ce terme fort sous entend que le seuil transcende les limites visibles par l’homme. Dans ce schéma on remarque que le seuil n’est pas délimité par une limite franche. Elle est perméable contrairement aux bords et aux plis qui sont clairement identifiables.

10. Dictionnaire Le petit Larousse illustré, 2001, p 937 11. Cécille Chanvillard, Au seuil de l’architecture. Le sacré. p-5

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Le seuil est donc cet espace ‘‘blanc’’ nécessaire pour combler cette limite devenue virtuelle. Il nous aide à mieux comprendre l’espace. Il est ce moment de rien entre deux lieux, une respiration, une remise à zéro nécessaire à tout habitant. Théoriquement, cet espace ne sert à rien d’autre qu’au passage, à l’entrée et à la sortie d’une habitation. C’est un lieu libéré de toute fonction et qui laisse en suspend la question de l’usage. Pierre von Meiss lui confère cependant trois rôles : utilitaire («passage pour la porte, lumière et aération pour la fenêtre»), protecteur ( «passage contrôle pour la porte, sélection de la vue et choix d’être exposé ou non au regard de l’extérieur pour la fenêtre») et accueil, sémantique ( «passage significatif pour la porte, œil pour la fenêtre - le caractère et les valeurs de l’univers qui se trouvent «derrière» sont signalés par des éléments architecturaux ou par la présence d’objets)12. Le seuil à la faculté de rester subjectif. En effet, chacun appréhende les limites différemment en fonction de son âge ou de sa culture par exemple. Cependant, lorsque les seuils sont travaillés et qualifiés, ils induisent le comportement de tous les usagers de la rue. Ces derniers interrogent leur bon sens ou leur intuition pour interpréter l’espace : lorsqu’on se trouve dans cette zone de transition, sans pour autant avoir franchi la porte d’entrée, on a déjà la sensation d’être chez quelqu’un. Le seuil agit donc comme un négociateur entre le public et le privé. Il permet un dialogue entre ces deux entités. Il doit à la fois protéger l’intimité des habitants et permettre d’entretenir cette relation si importante entre le chez-soi et le reste du monde. Car les seuils sont des lieux porteurs de sociabilité et leur négligence peuvent avoir de lourdes conséquences sur la manière dont vont vivre les habitants. On comprend alors que le seuil est difficilement matérialisable par une ligne. C’est une épaisseur, une tranche qui, selon moi, comporte un enchaînement de plusieurs sous espaces qui peuvent être de différentes natures. Par exemple, le seuil de l’habitation peut se matérialiser par l’enchaînement suivant : la chaussée, le trottoir, le perron, le auvent, la porte, le vestibule, le porte manteau etc. Il est parfois complexe de savoir précisément où il commence et où il s’arrête. La seule chose dont nous pouvons être sûr, c’est

12. Pierre von Meiss, De la forme au lieu, Presses polytechniques et universitaires romandes, p 157


DÉFINITIONS

que le franchissement de la porte d’entrée implique un changement d’état: on passe d’un lieu exposé aux yeux de tous à un lieu intime préservé des regards. Cette épaisseur comprend également la ou les pièces qui avoisinent la séquence d’entrée. Leur fonction ainsi que leur degré d’ouverture influenceront la perception de l’espace public. Les habitations voisines en font aussi partie puisque les seuils de chaque habitation entre en résonance les uns avec les autres. Enfin, on peut considérer que le chemin d’accès jusqu’à son logement peut faire parti du seuil. Lorsqu’on arrive dans ‘‘sa’’ rue, ou dans ‘‘sa’’ résidence, on peut considérer que ce rituel quotidien fait parti de la séquence d’entrée vers notre ‘‘chez-soi’’. Cette ambiguïté sur le début et la fin du seuil est une question permanente que doit se poser l’architecte lors de la conception. à partir de quand l’habitant est-il réellement chez lui ?

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CHAPITRE II

ETUDES DE CAS 04. TYPOLOGIES DE SEUILS Comment on entre ? • Dammerstock, Walter Gropius, Karlsruhe, Allemagne • Ludwig Windhorst, Reinhard Gieselmann, Karlsruhe - Allemagne • Quartier Viertel, Brême - Allemagne

05. « DEUTSCH QUALITÄT » ? Allemagne vs. France

Frederrike Schneider : « Le potentiel d’utilisation est inscrit dans le plan; mais il ne se déploie qu’à la lecture et à l’usage. »


04. TYPOLOGIES DE SEUILS

Comment on entre ?

J’ai eu l’occasion l’année dernière de me rendre à plusieurs reprises en Allemagne. Ces voyages ont apporté une dimension supplémentaire à mon sujet de travail : la question de l’appropriation des seuils. En effet, lors de mes visites, j’ai pu constater que les habitants avaient tendance à prolonger leur espace d’habitation dans l’espace public. Cela peut se matérialiser par le fait de placer quelques plantes sur un rebord de fenêtre ou par l’installation d’un salon d’agrément. Tout dépend de l’épaisseur ‘‘appropriable’’

QUARTIER VIERTEL, Brême, Allemagne

• Densité à l’hectare : 31 logements / ha • Contexte : XIXe siècle. • Place dans la ville: Centre ville • Caractéristiques : - Habitat individuel continu, implanté en bord de parcelle. Une épaisseur privée est a disposition côté rue. - Moyenne hauteur (R+1+ combles, R+2 + combles) - Faible emprise au sol

offerte aux habitants. Nicolas Soulier, dans son

• Surface des logements:

ouvrage Reconquérir les rues. Exemples à tra-

quartiers.

vers le monde et pistes d’actions nous explique que cette épaisseur porte un nom: «le frontage». Il s’agira donc dans un premier temps, de comprendre ce terme à travers l’exemple de la ville de Brême, pour pouvoir ensuite mieux appréhender les deux projets que j’ai pu visiter à Karlsruhe.

varie en fonction des

• Accès public : Schéma classique : trottoir/chaussée. La voiture est mise à l’écart grâce à l’épaisseur du frontage privé. • Frontage privé : Pour accéder aux logements, on traverse un jardin d’agrément qui se trouve dans l’épaisseur du frontage privé. (Chaque habitant possède également un jardin en cœur d’îlot.)


LUDWIG WINDHORST Str, Karlsruhe, Allemagne

DAMMERSTOCK, Karlsruhe, Allemagne

Reinhard Gieselmann

Walter Gropius

• Densité à l’hectare : 30 logements / ha

• Densité à l’hectare : 27 logements / ha

• Contexte : 1928 et 1929. • Place dans la ville: Quartier résidentiel en périphérie • Caractéristiques : - Habitat individuel continu, implanté en milieu de parcelle - Faible hauteur (R+1) - Faible emprise au sol

• Surface des logements: 120 m² (6 pièces) • Accès public : La circulation de la voiture s’effectue en périphérie. L’accès aux habitations se fait par des chemins piétons. • Frontage privé : Pour accéder aux logements, on traverse un jardin. (Chaque habitant possède également un jardin en cœur d’îlot.)

• Contexte : 1960-1961 • Place dans la ville: Quartier résidentiel en périphérie • Caractéristiques : tapis»

- Maisons familiales formant un lotissement «en

- Emprise au sol moyenne

- Faible hauteur (plain pied; R+1)

• Surface des logements: 5/6 pièces, 95m² (extension à 135m²)

• Accès public : L’accès voiture est placé en périphérie

du lotissement. On accède à son logement en empruntant un petit réseau de ruelles sinueuses.

• Frontage privé : Un décroché par rapport à la ruelle permet de dégager un petit espace appropriable par les habitants.


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ÉTUDE DE CAS

• QUARTIER VIERTEL, Brême, Allemagne Récits de Nicolas Soulier

Le quartier le «Viertel» se situe dans la ville de Brême, au Nord de l’Allemagne, à environ une heure de Hambourg. C’est une ville hanséatique de 500 000 habitants. Je n’ai malheureusement pas pu me rendre sur place. Cependant, la lecture des récits de Nicolas Soulier sur cette ville m’a apporté plusieurs éléments nécessaires à mon analyse. Dans les rues de ce quartier, la circulation est calme car se sont des «zones 30». On envisage alors de laisser son enfant jouer dans la rue, on prend plus volontiers son vélo. La rue est divisée en fonction de ces utilisateurs. On appelle cette division le «partage modal». Le principe est de partager la voie de circulation entre les divers usagers de la rue en fonctions de leur manière de se déplacer: à vélo, à pied, en poussette, en voiture, en bus etc. L’organisation parcellaire offre une bande riveraine de terrain en lien avec l’espace public. Cette dernière est privée et forme le bord des rues. D’un certain point de vue, ses bandes peuvent être considérées comme étant publiques puisqu’elles sont dans la rue, et qu’elles participent énormément à l’image de celle-ci. La distinction traditionnelle public/privé est ici mise à mal.

«Ici, une part du sol privé fait partie de l’espace public, et l’espace public est donc, pour une part, privé, et cela pour le plus grand bien du public et du privé semble t-il. Le public ici est partiellement fait de la chair du privé, et est embelli par le privé» 13

Ce schéma n’a pas non plus la volonté de privatiser l’espace public; au contraire, ce dernier est agrandi est bonifié par cette bordure privée. Cela profite également au privé qui se voit doté d’un espace supplémentaire habitable: chaque habitant peut jouir de cet espace qui appartient à la rue. Cet espace de seuil apparaît ici comme une petite pièce à ciel ouvert.

13. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012, p.76

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ÉTUDE DE CAS

Le partage du sol suit scrupuleusement les lignes séparatives entre voisins, l’alignement (la limite qui sépare chaque parcelle du domaine public: trottoir, chaussée...) et les limites parcellaires. Tous les éléments constitutifs de la rue sont alignés en fonction de la même ligne. Cependant, la façade est en retrait par rapport à l’alignement. La rue s’étend jusqu’à la façade et ne s’arrête pas à la limite du domaine public. La propriété privé n’est pas définie par le sol, mais par la façade. «Ouverts sur la rue, ils sont les antichambres des façades et de leurs entrées principales. Ce sont leurs adresses. On les désigne en Allemagne comme des Vorgärten: des jardins de devant.»

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L’exemple de la ville de Brême permet de nommer l’épaisseur du seuil. Ce terme est en usage au Québec mais très méconnu en France. Frontage : Côté d’un terrain longeant la voie publique ou un plan d’eau.

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« Un frontage est formé par:

- le terrain privé situé entre la limite de propriété et la façade du bâtiment en retrait tournée vers la rue; - les éléments de cette façade jusqu’à la hauteur du 2e étage; - les entrées orientées vers la rue; - une combinaison d’éléments architecturaux tels que clôtures, perrons, vérandas et galeries d’entrée... Ces éléments ont une influence sur les conduites sociales dans l’espace public». 15

Le frontage public est constitué de tous les éléments urbains qui se situent entre la chaussée et le caniveau: trottoir, arbres, lampadaires, banc et poubelles publics... Ce frontage public fait parti de la séquence d’entrée puisque c’est l’endroit où circulent les passants et accèdent à leur logement. C’est un endroit de rencontre entre les habitants. Nicolas Soulier décrits ces frontages comme étant «actifs», car ces derniers sont investis par les habitants. Certains y construisent des jardins d’hiver ou des loggias (principe de la cour anglaise), d’autres y font simplement pousser des plantes.

13. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012, p.76 14. http://www.justice.gouv.qc.ca/français/general/termes/front.htm 15. www.smartcodecentral.org avaible from New Urban News

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ÉTUDE DE CAS

• DAMMERSTOCK, Karlsruhe, Allemagne

Walter Gropius

La cité Dammerstock de Karlsruhe s’inscrit dans une volonté de rationalité des espaces, à l’image du mouvement Bauhaus dont faisait parti Walter Gropius. Les logements s’organisent en rangées parallèles orientées nord-sud, que Gropius justifiait par l’organisation rationnelle du chantier. 22% du terrain est réservé aux espaces publics16, laissant une surface de 120m² à chaque unité d’habitation. Lors de ma visite, j’ai d’abord était frappée par l’abondance de la végétation. En effet, même s’il existe un vis-à-vis assez important entre les habitations qui se font face et les ruelles piétonnes, ce dernier est fortement atténué par la végétation. De plus, les plantes participent fortement au caractère du lieu. Chaque habitant semble investi, à sa manière, dans la valorisation de l’image de la résidence. Une grande confiance est accordée aux habitants qui sont responsables de l’entretien des jardins en lien avec l’espace public. Aucun jardin ne se ressemble et pourtant il existe une certaine unité dans l’espace. La seule règle est que les habitants doivent respecter l’espace qui leur a été donné. Lorsque l’on quitte la ruelle piétonne pour accéder à son logement, on traverse le jardin pour arriver sur un parvis constitué de quelques marches, d’un rangement pour les poubelles et d’un auvent en aluminium. Cet espace est également fortement investi par les habitants. On peut voir sur la photo en bas à gauche que c’est une extension de la maison. On y accroche une guirlande, on place un meuble de rangement, quelques plantes, des statuettes etc. On remarque également que les habitants ont placé dans la même épaisseur mais en contre-bas les vélos. Le seuil ici est un espace de représentation habitable et appropriable. Ce n’est pas les quelques vélos rangés à la va vite qui vont perturber l’image de l’espace public. Au contraire cela lui donne une certaine vie, on imagine qui peut habiter ici. Les plantes sont omniprésentes. Ce n’est pas un schéma classique rue minérales d‘un côté et jardin de l’autre. Ici tout se confond. Les plantes trouvent leur place dans la rue, elles sont chez elles.

16. Frederrike Schneider, Recueil de plans d’habitation, Birkhauser 2007, p-21 17. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012, p.87

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axe piéton axe routier


ÉTUDE DE CAS

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Chacun prend possession de l’espace qui lui est accordé. De ce fait, on laisse traîner ses meubles, ses jouets, ses vélos dehors, et ça ne pose aucun problème pour personne. Nicolas Soulier, dans son ouvrage Reconquérir les rues, parle de ce phénomène de «spontanéité». Il ne désigne pas par ce terme des actes irréfléchis mais plutôt des actes inscrits dans une «volonté libre», des «actes réalisés sans que l’on vous l’ai prescrit, ordonné, sans que cela ait été programmé»17. Cette organisation spontanée des habitants est tellement subtile qu’elle parait naturelle. En effet, qu’y a t-il d’extraordinaire à laisser pousser des plantes dans son jardin ou à laisser disposer les habitants de l’espace en lien avec leur maison ? Ce qui semble naturel ne l’ai pas tout à fait puisqu’ici, tout est fait pour encourager ces actes spontanés. L’architecte a offert aux habitants l’opportunité de s’exprimer après son intervention. Habiter ce genre de quartier demande un certain engagement. Les habitants doivent se préoccuper de l’espace qu’ils partagent avec leurs voisins et contribuer par des petites actions qui participeront grandement à la qualité de vie. L’architecture de Gropius est assez simple, mais le soin apporté au seuil ne l’est pas. Les habitants vivent dans ces espace ‘‘semi-privés’’; ils y exposent une part de leur vie privée. L’habitat est extensible grâce au traitement du seuil, la vie déborde à l’extérieur. Les gens jardinent, les enfants jouent dans la rue protégée de la voiture qui est placée en périphérie. Tous ces éléments participent à l’animation de l’espace public. Le seuil est accueillant. Le parvis devient une pièce au même titre que le hall d’entrée. Cet exemple démontre que quelques actions simples peuvent radicalement changer la qualité de notre habitat.

1 - rue piétonne 2 - frontage privé 3 - perron 4 - prolongement du perron

5 - 1er sas 6 - 2e sas 7 - domaine public 8 - domaine privé


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Temps 0: Livraison du projet


ÉTUDE DE CAS

Temps 1 : Projet actuel

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La séquence d’entrée se décompose en 5 parties: l’allée pavée (1), les escaliers en béton (2) qui mène au parvis sous le auvent (3), un premier sas (4), un deuxième sas (5). Le degré d’ouverture de ce ‘‘hall’’ en plusieurs parties est assez fermé. En effet, avant d’arriver dans une pièce de vie, on doit franchir 3 portes. La porte d’entrée donne sur un petit sas de la largeur du bloc sanitaire; une seconde porte nous amène dans une sorte de vestibule dédié à la circulation (qui permet d’accéder aux étages, à la cuisine, au salon). Enfin, on doit ouvrir une dernière porte pour arriver dans le salon ou dans la cuisine. Le seuil est démultiplié, son épaisseur s’élargit, on franchit une série d’étapes pour enfin atteindre les espaces plus intimes. Le visiteur imprévu n’aura aucune possibilité d’entrevoir un salon mal rangé ou un plat en train de mijoter. Ce dispositif donne une épaisseur conséquente au seuil (11m40).


Dans les années 1960 déjà, la sociologue Jane Jacobs considérait la visibilité comme une condition pour qu’une aire d’accès joue son rôle d’interaction entre les habitants. L’habitant doit pouvoir voir l’aire d’accès depuis son logement.

La cuisine joue le rôle de tour de guet grâce à la différence de niveau et à son emplacement, directement en lien avec le frontage privé et l’espace public. Ce dispositif offre aux habitants une visibilité sur l’espace public, permettant de guetter le retour des enfants de l’école ou le visiteur imprévu.

TYPOLOGIES DE SEUILS


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ÉTUDE DE CAS

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Toutes les habitations n’ont pas la même séquence d’entrée que celle analysée plus haut. On peut noter quelques variations. Le jardin de devant reste le même (en terme de dimension) mais le perron varie. Parfois il possède une, deux ou trois marches. Certaines maisons disposent d’un auvent (2 et 3) , d’autre d’un renfoncement dans la façade (1). Les usages diffèrent également en fonction des habitants. Parfois, le frontage privé devient un salon d’été, décoré par des plantes ou des statuettes. Les habitants profitent des plantations des autres résidents pour délimiter et renforcer cette nouvelle pièce (1). Dans d’autre cas, l’espace devant l’entrée peut devenir un coin repas, plus adapté pour les barbecues par exemple (3). Enfin, certains habitants y entreposent un peu tout. Le frontage devient alors un espace de rangement. On y dépose même ses chaussures et son parapluie (2). Malheureusement, ceux qui ne disposent pas de local ou s’en servent à d’autres fins, entreposent les poubelles dans le frontage privé.


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La vĂŠgĂŠtation comme filtre


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Le seuil comme espace de reprÊsentation, d’appropriation


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ÉTUDE DE CAS

• LUDWIG WINDHORST STRASSE, Karlsruhe, Allemagne Reinhard Gieselmann

Le lotissement de la rue Ludwig Windhorst Strasse se situe dans une zone périurbaine de Karlsruhe. Ce groupement de maisons individuelles est constitué d’un réseau de petites ruelles piétonnes qui donnent accès à chaque logement. Ces ruelles sont délimitées par des murs composés d’une partie perméable en moucharabieh et d’une portion opaque en partie supérieure. Ces murs délimitent les jardins privatifs des habitants. Ce dispositif permet de garder un lien entre le jardin et l’espace public, tout en préservant un minimum d’intimité vu l’étroitesse de la ruelle. Cela permet d’éviter la rigidité d’un mur plein, une frontière trop brutale entre l’espace privé et l’espace public. (Il n’est pas rare que pour des raisons sécuritaires, ce type de délimitation soit rejeté en France.) Les ruelles mesurent 3m65 de large. Elles s’élargissent ponctuellement pour créer un petit parvis à chaque habitation. Ce dispositif permet de créer une mise à distance par rapport à la ruelle. Cela créé un nouveau sous-espace qui lui est semi-public. Le fait de franchir le pas dans cet espace, qui n’a pas de limite purement physique, dissuade l’inconnu curieux de rester trop longtemps dans ce lieu qui semble de toute évidence appartenir à quelqu’un. En effet, comme à Dammerstock, on retrouve un seuil, certes plus réduit, mais personnalisé par les habitants. Le seuil est plus modeste mais un soin particulier lui est cependant accordé. La séquence d’entrée est constituée de quelques marches, d’une rambarde et d’un auvent en aluminium. Une porte donne accès directement au jardin privé (porte en fer blanc sur la photo en bas à gauche). Un espace appropriable est donné à chaque logement. La plupart des habitants ont décidé d’y planter des arbustes, des fleurs etc. Certains y entreposent, malheureusement leurs poubelles. Encore une fois, une grande liberté est accordée aux habitants du lotissement. Chaque seuil est différent. Lorsqu’on parcours ces ruelles, on observe avec enthousiasme ces petites scènes décorées par les habitants.

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Comme dans l’exemple du quartier de Dammerstock, il y a une forte présence de végétation. Les plantes débordent des jardins privés et s’offrent à l’espace public. Ici aussi, les habitants sont fortement incités à apporter leur ‘‘plante’’ à l’édifice. Ce dédale de rues sinueuses et verdoyantes offrent un caractère pittoresque au lieu. Contrairement au projet Dammerstock, l’architecte a ajouté un lieu de rencontre pour les habitants. En effet, chacune des ruelles aboutie sur une petite placette commune. Elle est délimitée par les habitations et les murs séparatifs des jardins privatifs. Deux entrées de maison donnent sur cette place.

Certaines entrées se font face, d’autres non. Cependant, généralement les parvis sont en relation les uns avec les autres. Ce dispositif favorise les rencontres fortuites entre voisins.

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Temps 0: Livraison du projet


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Temps 1 : Projet actuel

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1. Comme à Dammerstock, la cuisine est la première pièce de vie en lien avec le frontage privé. Elle permet de voir arriver le visiteur et d’avoir une vision sur l’espace public 2. Le regard est filtré grâce au moucharabieh. Le passant dans la ruelle peut entrevoir ce qui se passe dans les jardins.

3. Le jardin se retourne au niveau de la terrasse pour l’intimiser.


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La rue se décompose en plusieurs séquences grâce à des variations de niveaux: hauteur du mur, du auvent et du toit de l’habitation. La séquence d’entrée est ensuite marquée par la montée d’un léger escalier. Une fois la porte d’entrée passée, on se retrouve dans un sas qui permet de desservir à gauche la cuisine, à droite les WC puis un bureau, en face la pièce de séjour salle à manger. Ce sas est divisé en deux parties: une première étroite, c’est l’endroit où l’on reçoit le visiteur imprévu; une seconde plus large c’est l’endroit où l’on enlève son manteau. Lorsqu’un habitant ouvre la porte, il n’y a pas de vue sur les espaces intimes depuis la rue.


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On ne trouve sur la place commune que la présence d’un arbre, de quelques bacs à fleurs accrochés aux murs séparatifs des jardins privatifs. La végétation du lieu provient principalement des jardins privés ou des plantes «clandestines» qui ont pris leur place au fil du temps. L’entretient n’est pas parfait, mais cela donne un caractère plus naturel, moins aseptisé au lieu. Certain jardins privés sont en lien avec cette place. Le mur en moucharabieh permet par exemple de garder un œil sur les enfants qui y jouent.

Encore une fois, le seuil est traité de différentes manières. On peut voir par exemple que les portes, les perrons, les auvents ne sont pas les mêmes. Les revêtements des façades varient également. Certaines personnes ont décidés de disposer une profusion de plantes, d’autres restent plus discrets (sûrement parce que l’espace qui leur est donné est plus modeste que les autres). Chacun peut exprimer sa singularité.

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Certains habitants ont recouvert le moucharabieh par une taule en aluminium.


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D’autres ont décidé de laisser la porosité du mur.


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05. « DEUTSCH QUALITÄT » ? Allemagne vs. France En visitant ces différentes opérations, j’ai ressenti un certain enthousiasme. En effet, en tant qu’étudiante en architecture, il est plaisant de voir des projets qui sont totalement ‘‘apprivoisés’’ et investis par ses habitants. Cela prouve que les gens s’y sentent bien et qu’ils aiment vivre dans leur quartier puisqu’ils s’y investissent. Alors pourquoi est-il plus rare de trouver des schémas similaires en France ? La lecture du livre de Nicolas Soulier m’a permis d’apporter quelques réponses. En effet, ce dernier évoque tout au long de son ouvrage la différence de mentalité des deux pays en ce qui concerne les réglementations. Les phénomènes d’appropriation et de spontanéité décrits plus haut ne sont pas encouragés en France et sont même généralement prohibés. Ce phénomène s’explique par le fait qu’il existe un manque de confiance envers les habitants mais aussi envers les usagers de l’espace public. Les automobilistes et les passants sont considérés comme étant «des fauteurs de troubles en puissance»18 . De ce fait, on cherche à contrôler les comportements en rejetant l’imprévu. Au nom de la sécurité, de l’hygiène ou encore de la tranquillité, une série de règlements (municipaux, de copropriétés etc) ont été rédigés dans le but d’éviter toute forme de conflits et de négociations. Ils empêchent ainsi en amont, les problèmes de voisinages. L’exemple des aires de jeux est assez représentatif de ce phénomène de ‘‘stérilisation’’. Le principe d’une ‘‘aire’’ de jeux présuppose que les enfants ne peuvent pas jouer où ils veulent. Ils doivent donc jouer dans «l’endroit prévu à cet effet». De plus, tous les enfants ne sont pas conviés à venir jouer puisque «les enfants en dessous de 10 ans ne doivent pas utiliser les jeux d’enfants.»19 Par peur que les enfants se blessent et pour éviter toute représailles des parents, l’aire de jeu devient un espace plus autoritaire que ludique. Il en est de même des espaces de seuil des habitations. L’interdiction semble être la meilleure des préventions contre les incivilités, les accidents ou les mauvaises appropriations.

18. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions , Ulmer, 2102, p.98 19. Ibid - p.67 20. Ibid - p.28

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Règlement de copropriété d’un «village moderne», 1973 : «USAGE DES PARTIES COMMUNES. Les voiries, espaces libres, jardins, aires de rassemblement et de jeux entourant les bâtiments ainsi que leurs aménagements et accessoires, les alliées de desserte, cheminements piétons, devront être conservés par les occupants dans un état de rigoureuse propreté. Les jeux d’enfants y sont interdits sauf aux endroits prévus à cet effet; le tout, sous le contrôle du Syndic. Les ébats des enfants ne devront pas troubler la tranquillité de l’ensemble immobi-

Causes

lier. Il est interdit de pique-niquer, de camper, de faire du feu, de laisser des détritus dans les espaces libres et jardins, d’y faire sécher du linge... ENCOMBREMENT. Nul ne pourra, même temporairement, encombrer les parties communes ni y déposer quoi que ce soit, ni les utiliser pour son usage personnel en dehors de leur destination normale, sauf cas de nécessité. Les passages, cheminements piétons, allées cavalières, canaux de verdure, vestibules, escaliers, couloir et entrées d’immeubles devront être laissés libres en tout temps notamment les entrées et couloirs ne pourront en aucun cas servir de garage à bicyclettes, motocyclettes, voitures d’enfants ou autres. Aucun copropriétaire ne pourra procéder à un travail domestique ou autre dans les parties

Conséquences

communes de l’ensemble immobilier.» 21


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Pour être un bon voisin, l’habitant sera tenu d’avoir un comportement discret, et de rester le plus chez soi. Il est réduit à l’inaction. Dans ce contexte, il n’est pas rare de constater que les abords du logement deviennent des non-lieux. En effet, on peut remarquer que dans les nouvelles résidences, les séquences d’entrées sont ponctuées d’éléments qui créent des barrières entre l’habitant et l’espace public. Avant d’arriver chez soi, il faut franchir une succession de grilles, de digicodes, de parkings et d’ ‘‘espaces tampon’’ engazonnés parfaitement tondus et non praticables. («Ne marchez pas sur l’herbe svp.»). « Un double processus bloque ainsi notre habitat, en s’attaquant tant aux gens qu’aux lieux. Les gens considérés comme n’ayant rien à faire au-dehors sont comme victimes d’un couvre-feu. Les lieux conçus pour que rien ne puisse s’y passer apparaissent passés au désherbant chimique. Lieux et gens sont stérilisés.»22

L’architecte doit donc prendre position dans cet environnement réglementaire. Il doit faire en sorte que le projet offre une marge de manœuvre aux habitants. Dès lors le projet livré est un projet non terminé.

21. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions , Ulmer, 2102, p.20 22. Ibid. p 28

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CHAPITRE III

DIMENSION HUMAINE 06. LES ABORDS DU LOGEMENT Des lieux porteurs d’identité

07. LA PROXEMIE

Les frontières de l’intime

08. LA MIXITE

«La société voisins»

Alain Morel: «Quels liens produit la proximité physique entre des personnes qui n’ont pas choisi d’être ensemble, qui n’appartiennent pas au même monde, qui ne sont pas obligé de se fréquenter mais qui sont interdépendantes ?»


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DIMENSION HUMAINE

06. LES ABORDS DU LOGEMENT Des lieux porteurs d’identité

Lorsque la place manque, cela n’empêche pas certains habitants de s’approprier l’espace du seuil. La rue se voit ainsi ponctuée de petits décors, parfois clandestins. Fleurs, dessins, bibelots, peuvent redonner un peu de couleur à une façade trop terne. Les fenêtres apparaissent comme des tableaux, et la rue comme un lieu d’exposition. Cette forme d’appropriation me rappelle un travail que nous avions réalisé en Bac 2. Nous avions travaillé sur la question de la séquence d’entrée dans le cadre du cours de socio-anthropologie de l’habiter. L’exercice consistait à réaliser un court métrage sur le thème des portes. Nous devions en choisir une dans la ville de Mons et entrer en contact avec l’habitant. Le travail de mes 3 camarades Yanneck Coupin, Martin Delatte et Nina Sauvage raconte l’histoire du seuil de Thérèse VOUT, propriétaire du 23 rue Saint Dorothée: «Elle y habite avec son mari : Jules VOUT. Ces deux Montois habitaient auparavant dans une caravane et déambulaient à travers la France et la Belgique. Pour Thérèse, la rue est un lieu de rencontre et d’échanges avec les voisins, les passants. Une habitude de vie qu’elle a gardée de ses voyages en caravane, tout comme le fait d’étendre ses couvertures sur les poteaux de la rue. Elle décore sa façade comme une pièce de sa maison. à une époque, celle-ci était recouverte d’une multitude de cigale. Malheureusement, ces ornements ont été vandalisés ou volés. Ce désagrément l’a poussé à les retirer. Elle installe quotidiennement une chaise, une poubelle devant son seuil d’entrée. Elle a même l’habitude de partager un café, un verre avec ses amis ou ses voisins. Elle redonne ainsi une vie à la rue. Dans ce quartier populaire, les maisons sont petites, sans jardins ni cour extérieure. Thérèse crée un intermédiaire entre la rue et sa maison, en s’appropriant le trottoir. La rue devient ainsi «un jardin communautaire» où la vie de quartier s’exprime.»

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«Le seuil d’entrée de Thérèse est expressif. à lui seul, il apparaît comme un «tableau» vivant et se métamorphose au long de la journée. Elle a créé un rituel quotidien: - Elle installe différents objets dès le matin, pour les rentrer le soir : chaise, fleurs, poubelle. - Elle laisse ou non la porte d’entrée ouverte: Si elle est ouverte, avec néanmoins la barrière pour son chien, c’est qu’elle «autorise» ses amis/voisins à venir discuter, l’interpeller.»


DIMENSION HUMAINE

«Ensuite, ils sont soit invités à entrer, ou bien à s’installer sur le trottoir. La porte est fermée lorsqu’il y a eu des conflits de voisinage; alors Thérèse exprime son mécontentement. C’est à ce moment là que la limite de son seuil se réduit. Cette matérialisation de la séquence d’entrée permet une séparation entre l’espace public et l’espace privé. Néanmoins, chez Thérèse ces deux espaces peuvent se confondre, créant une limite imprécise. «L’étranger» peut acquérir un statut nouveau en devenant «invité».» 23

23. Travaux d’étudiants en architecture ULC LOCI Saint-Luc Tournai Pile & Face, Exposition Seuils et Portes de Mons,

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DIMENSION HUMAINE

07. LA PROXÉMIE La frontière intime

L’expérience le montre, l’intérêt que porte un habitant à son environnement provient du fait qu’il puisse voir ce qui se déroule dans l’espace public depuis son logement. «Sa capacité et sa disposition à engager des contacts sociaux sont limités au domaine restreint où s’étend sa perception (distance d’identification, portée de la voix, manière de saluer etc... [...] Si l’éloignement s’oppose à la perception de l’environnement social (comme par exemple dans les tours d’habitations), il n’y a souvent aucun contact entre les habitants.»24 Parler de seuil c’est donc également parler de distance, de surface d’interactions entre les habitants. L’anthropologue Edward T. Hall a regroupé ces différentes distances sous le terme de «proxémie». Elle correspond à la distance physique de deux personnes qui se trouvent dans la même surface d’interaction. Ainsi, les limites à ne pas franchir deviennent mesurables, quantifiables. Dans des villes de plus en plus denses, où la promiscuité s’accroît, il est important de prendre en compte cette dimension cachée, territoire dont a besoin tout individu pour son équilibre. «Dans les cas de surpopulation consécutifs aux poussées démographiques intenses, la promiscuité augmente, entraînant une tension croissante. Un stress psychologique et affectif s’établit, un état d’irritabilité s’installe, en même temps qu’on assiste à des modifications subtiles mais profondes dans la chimie de l’organisme»25 Chez l’homme, cette dimension est culturelle car chaque civilisation à sa propre conception de l’intimité, des limites, de l’agencement de l’espace, des déplacement du corps etc. Edward T. Hall décrit 4 distances constantes observées sur l’Homme: la distance intime, la distance personnelle, la distance sociale et la distance publique.

24. Frederrike Schneider, Recueil de plans d’habitation, Birkhauser 2007, p-21 25. Edward T. Hall, La dimension cachée - Editions du Seuil, 1971, p-19

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Distance intime

Distance personnelle

Distance sociale

Distance publique La dimension cachée - Edward T.Hall Les distances chez l’homme


DIMENSION HUMAINE

Distance intime Mode proche: acte sexuel ou la lutte. Mode éloigné : 15 à 40 cm A cette distance, l’être en face de nous est tellement proche que la vision peu être déformée, on a du mal à évaluer les distance, on sent parfaitement l’odeur corporelle ainsi que la chaleur du corps de l’interlocuteur. Cette sphère est généralement réservée aux personnes de notre famille, conjoint ou enfants. Lorsqu’un étranger pénètre dans cette sphère intime, on est généralement très perturbé. D’ailleurs, lorsque l’on prend le métro aux heures de pointes, la limite de la distance intime est souvent transgressée et on essaye de rester le plus immobile possible pour la préserver au maximum.

Distance personnelle Mode proche: 45 à 75 cm Mode lointain: 75 à 125 cm

Cette distance équivaut environ à la longueur d’un bras : «tenir quelqu’un à longueur de bras», «at arm length». A cette distance, on peut sentir les odeurs corporelles mais on n’arrive pas à percevoir la chaleur corporelle. Cette sphère est généralement consacrée aux discussions personnelles.

Distance sociale

Distance publique

Mode proche: 1m25 à 2m10 Mode lointain: 2m10 à 3m60

Mode proche: 3m60 à 7m50 Mode éloigné: 7m50 et plus

C’est généralement la distance d’une table entre deux individus. On n’arrive ni à percevoir la chaleur ni les odeurs corporelles. Cette distance est généralement dédiée aux personnes qui travaillent ensemble ou des négociations impersonnelles par exemple. Elle donne aux rapports entre les individus un caractère plus formel.

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Cette distance est celle des personnes que l’on croise dans la rue. Lorsque cette distance dépasse les 9 mètres, elle correspond à celle des personnes officielles.

Ces différentes distances peuvent nous informer sur les mesures des éléments qui composent une séquence d’entrée. En effet, un hall d’entrée de 1m25 de large peut être considéré comme trop petit puisqu’il correspond à la distance personnelle. Recevoir un inconnu dans cet espace pourrait occasionner une certaine gêne; l’habitant pourrait sentir son espace privé menacé. Certains dispositifs simples peuvent mettre à distance un visiteur inconnu comme par exemple l’installation de quelques marches devant la porte d’entrée. Si le perron est petit, la personne qui nous rend visite va monter les marches pour atteindre la sonnette puis naturellement regagner le niveau de la rue à cause du manque d’espace qui la sépare de la porte d’entrée. Enfin, pour avoir un réel caractère public, la rue doit mesurer un minimum de 3m60 (dimension des ruelles du lotissement de la rue Ludwig Windhorst Strasse).


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DIMENSION HUMAINE

08. MIXITÉ «La société des voisins»

D’une manière générale, le quartier, la rue ou la résidence, sont des nouveaux microcosmes qui se créent dans la ville. Tandis que les proportions d’enfants, d’adolescents, d’actifs, de chômeurs et de retraités varient peu, la promiscuité entre les habitants augmente. Dans cet espace cosmopolite, le seuil existe dans sa répétition. Il doit donc prendre en compte celui de tous les voisins. Même si on ne souhaite pas fréquenter ses voisins, il faut admettre le fait qu’ils participent aux intérêts communs d’un logement collectif ou d’une résidence. Dès lors, une interdépendance indéniable existe entre nous et nos voisins. Les habitants expriment leurs similitudes par des pratiques identiques, ainsi les individus se sentent appartenir à un groupe. Cependant, la mixité, tend à faire cohabiter des personnes appartenant à des groupes sociaux différents. D’autres formes d’oppositions existent aussi. Des conflits intergénérationnels et de classes sociales comme par exemple les conflits entre les ados des classes populaires et les jeunes actifs des classes moyennes. Leurs divergences entraînent généralement des relations conflictuelles. Même si chacun respecte l’espace intime de l’autre et ne s’accapare pas l’espace public, le seuil de tolérance variable entre chaque groupe d’individu fera que ce système ne sera jamais parfait. Dans un groupe, il est évident que les idéaux de vie peuvent différer. Dans ce cas, la perception et la reconnaissance des espaces aussi. Pour les adolescents, la différenciation entre espace privé, public et semi public est reconnue mais pas toujours respectée. Sans réelle volonté de nuire, ils contrarieront leurs voisins, en s’asseyant par exemple sur l’appui de leur fenêtre qui donne sur la rue.

26. Bernard Haumont & Alain Morel, La société des voisins. Partager un habitat collectif. - Edi tions de la Maison des sciences de l’homme, 2000

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Pour d’autres groupes, le clivage se fera entre le dehors et le dedans, l’inconnu et la famille, voire même entre le sale et le propre. Tout est une question de principe et de références sociales et culturelles. À travers ces comportements, des modèles de sociabilité se dégagent. La sociabilité populaire s’ouvre fièrement sur l’extérieur alors les classes moyennes restent plutôt réservées dans leurs relations sociales. 26 Dans ce petit monde où chacun est différent les conflits peuvent rapidement se généraliser au sein de la communauté si rien n’est pensé en matière d’architecture et de réglementation. Il apparaît qu’une famille nombreuse vivant dans un espace restreint occupera volontiers les espaces collectifs à disposition. Dans certains quartiers populaires, certaines activités privées se déplacent dans la rue: la voiture devient un espace de rangement ou même un salon intime, avec musique et vue sur les environs.27 «Entre ceux qui voudraient que ces espaces ne soient pas autre chose qu’un lieu de passage, un simple abord du logement ou encore un décor valorisant, ceux qui l’occupent de façon passagère, pour y promener leur chien par exemple et ceux qui s’y installent et se l’approprient, les négociations sont difficiles et le plus souvent tournent au conflit.»28 Ces divergences quotidiennes rendent difficile la régulation de l’appropriation de ces espaces communs. À terme, elles entraînent une neutralisation de ces espaces et empêchent toute appropriation et vie sociale. Dépossédés de leurs habitants, ces lieux deviennent des territoires interdits. Pour enrayer ce phénomène, un code de civilité entre voisin peut être mis en place pour améliorer cette ‘‘cohabitation’’. Cette réglementation minimale, où il est interdit d’interdire, incitera les habitants à des gestes simples de civilité et de courtoisie. Parce que ces gestes ne sont pas inhérents à chacun d’entre-eux, il apparaît évident de les formaliser dans un règlement adapté aux caractéristiques de la population. Dans ce système imparfait, la communauté du voisinage ne doit pas tomber dans une neutralisation des espaces ou chacun ne peut s’exprimer que chez lui, ni même dans une dystopie où le quartier est réservé à telle ou telle classe

26. Bernard Haumont & Alain Morel, La société des voisins. Partager un habitat collectif. Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2000, p-8 27. Ibid 28. Ibid


DIMENSION HUMAINE

sociale. Ces visions dangereuses apporteraient l’illusion d’une vie meilleure en ‘‘communauté compartimentée’’. En réalité, elles stériliseraient et déresponsabiliseraient les habitants à petit feu. Avec les quelques discordes sociales qu’entraînent la mixité, il est important de souligner qu’elle est également une source de richesse sociale, économique et culturelle insoupçonnée car encore peu exploitée au sein des projets d’architecture.

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CHAPITRE IV

LES OUTILS DE L’ARCHITECTE 09. LES FRONTAGES «STÉRILES» Les mauvais élèves 10. L’ORGANISATION INTERNE DU LOGEMENT Graduation vers l’intime 11. LE DEUXIÈME CHANTIER Projet fini vs Projet non fini

Christian La Grange: Tout l’art consiste à faire en sorte que chaque maison offre toute l’intimité, mais aussi qu’elle invite à l’ouverture, à l’accueil.»


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OUTILS DE L’ARCHITECTE

09. DES FRONTAGES « STERILES » Les mauvais élèves L’architecte se doit de prendre position sur la qualification des espaces de seuil dès la conception du projet. Il doit jouer le rôle de porte-parole en amont pour les futurs habitants. Lors de la conception, il doit se fixer un certain nombre de contraintes pour parvenir à respecter son intention initiale. Après avoir réalisé l’analyse de quelques projets qualitatifs en Allemagne, il est également intéressant de s’intéresser aux mauvais exemples pour comprendre ce qui fait qu’un espace de seuil rempli ou non sa fonction d’accueil. Ainsi, on peut identifier plusieurs catégories de frontages «stériles» qui ne remplissent pas leur mission.

Les frontages encombrés par des voitures.

Le seuil ne doit en aucun cas devenir un parking. Le risque est que chaque habitant soit tenté de garer sa voiture devant chez lui. La voiture devient alors une barrière physique, les habitations tournent alors le dos à la rue. A Brême, certains habitants ont disposé leur voiture dans l’épaisseur du seuil, donnant un caractère totalement différent à la rue.

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Les frontages encombrés par des poubelles

Il est important de prévoir un local poubelle ainsi que des poubelles collectives dans les nouvelles opérations de logements (collectifs ou individuels). Au même titre que la voiture, les poubelles créent une barrière plutôt disgracieuse entre les habitants et la rue.

Les clôtures opaques Souvent, pour des raisons sécuritaires, les habitants se protègent de la rue par des clôtures, des portails opaques. On peut comprendre ce geste s’explique par une volonté de préserver l’intimité des habitants. Le problème, c’est l’effet domino. L’accumulation des clôtures fermées sur la rue, donne un caractère morne et moins sûr.


OUTILS DE L’ARCHITECTE

«Les frontages tampons»29

Ces espaces verts engazonnés servent généralement à créer une distance entre les habitations et l’espace public pour préserver l’intimité. Ils sont également obligatoires puisque toute nouvelle opération de logement est tenue de respecter un quota d’espace vert. L’espace tampon donne l’illusion d’une présence de végétation. Or, ces espaces sont généralement de grandes étendues de pelouses figées puisqu’elles ne peuvent en aucun cas être utilisées par les habitants malgré que ces dernières soient publiques. Même si ces espaces ne sont pas clôturés, ils constituent une barrière entre les riverains et la rue.

29. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions , Ulmer, 2102, p.180

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OUTILS DE L’ARCHITECTE

10. L’ORGANISATION INTERNE DU LOGEMENT Graduation vers l’intime

L’entrée et la sortie dans un logement sont des actions du quotidien qui peuvent paraître anodines. Cependant, elles perturbent l’équilibre entre un intérieur apaisé et l’extérieur agité. Quand une porte s’ouvre, c’est une partie de l’intimité qui s’expose aux regards indiscrets. Afin de solutionner cette ‘‘faille’’ qui peut mettre à mal l’intimité des occupants, un hall d’entrée est généralement dédié pour préserver la tranquillité des pièces privées. Ce sas de «décompression» joue surtout le rôle d’écran acoustique et visuel entre un intérieur privé et un extérieur public. Espace d’accueil et de transition, c’est un élément charnière dans l’étape du franchissement. C’est souvent le début du même rituel: on y essuie ses pieds sur le tapis, on retire son manteau, on pose ses clefs et le courrier. Une fois la porte fermée, la vie intime peut commencer et se prolonger dans les espaces de vie. «L’intimité, c’est la sensation de bien-être éprouvée par l’homme qui rentre dans la paix de son logis, où les meubles, les sièges, les objets usuels semblent l’accueillir tant l’habitude les a mis à portée de ses gestes inconscients.»30

Cette intimité est graduelle. D’abord inexistante à l’extérieur, puis partagée au travers d’une fenêtre sur rue, pour enfin être inviolable côté jardin ou chambre. Dans une série photographique intitulée Apartments, Miriam Bäckström, photographe suédoise, met en évidence l’organisation spatiale de quelques intérieurs en relation avec la rue. À travers ces clichés, elle exhibe «ces lieux publics de l’espace privé d’hospitalité domestique»31 tels que la cuisine, la salle à manger et le salon. Ces pièces deviennent une extension du seuil et délimitent progressivement une frontière entre l’espace public et le jardin secret. Dans cette épaisseur, l’intimité est partagée. Vue depuis la rue, une fenêtre cadre sur une portion d’espace intime et sur le quotidien des habitants. Ces pièces imbriquées les unes aux autres forment une sorte de frontière épaisse entre ‘‘la sphère enchantée de l’intime’’32 et le monde public.

30. René Janssens, Les Peintres de l’intimité, préface de Gustave Vanzyne, Bruxelles, Nouvelle société d’édition, 1934, p-8 31. Ibrahim-LamrouS Lila, L’intimité, éd. Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005, p. 358

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Cette frontière s’est amincie depuis l’apparition de nouvelles technologies comme le téléphone ou l’interphone. Elles ont renforcés la tendance des habitants à vouloir contrôler les visites. Désormais, les visites imprévues se font plus rares, la porte n’est plus le lieu de contrôle des visites. Ce type de comportement engendre de nouvelles organisations internes. En effet, la disposition entrée-couloir se rapporte à une organisation traditionnelle, symbole que la classe moyenne nouvelle tente de renverser. Ce phénomène se traduit spatialement par des espaces de seuil plus flous, où la limite est moins franche entre chaque espace. L’espace est décloisonné. Lorsqu’il n’y a pas de couloir ou d’entrée, le séjour fait office de seuil et perd son indépendance. L’entrée se matérialise donc par un coin préservé du séjour par une zone intermédiaire ou une étagère, située entre la porte d’entrée et le séjour.

Le seuil a donc une influence indéniable sur l’organisation interne du logement. Par sa richesse, ses séquences et son épaisseur, il met à distance l’agitation de la rue et préserve la sérénité et l’intimité du logement. L’espace en lien avec la rue fait partie intégrante du seuil. L’intimité s’en retrouve partagée, entre la rue et les espaces privés. La brutalité ou la fluidité des limites encadreront les qualités spatiales d’un intérieur : ouvrir la porte d’entrée sur un salon gênera la personne assise dans son canapé, alors qu’un filtre visuel et une mise à distance atténueront l’inconfort.

32. Baudrillard Jean, Autrement, ‘‘La sphère enchantée de l’intime’’, n° 81, juin 1986, p. 15 33. Jean-Michel Léger, Dernier domiciles connus. Enquête sur les nouveaux logements 19701990.


OUTILS DE L’ARCHITECTE

Les Cap-Horniers, Razé «La porte d’entrée et le séjour ne sont pas séparés par une porte mais par un espace de circulation qui joue le rôle d’entrée et qui préserve la partie arrière du séjour.»34

Danièle-Casanova, Ivry-sur-Seine «Le rangement marque l’entrée mais ne protège pas suffisamment le coin-repas ni le coin salon, lesquels, en l’occurrence, n’ont aucun coin attribué. En revanche, la cuisine tourne le dos à l’entrée comme au séjour.»34 Interview in : Léger, Ravouna, 1981

Le Pont-de-Bois, Villeneuve d’Ascq

Ilot Arquaise, Fécamp

«Le salon, c’est notre petit coin. Nous on a voulu l’installer là-bas au bout pour être tranquille parce qu’on entend moins le bruit de la porte quand les gens montent, les clés et tout ça.»34

«Je n’aime pas l’entrée directement dans le séjour, il n’y a pas d’intimité. Mon mari va installer un panneau pour la séparer du salon, sinon ça fait vide, et puis c’est gênant de recevoir les gens comme ça.»34

Interview in : Léger, Ravouna, 1981

34. Jean-Michel Léger, Dernier domiciles connus. Enquête sur les nouveaux logements 19701990, p-94 à 97

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OUTILS DE L’ARCHITECTE

11. LE DEUXIÈME CHANTIER Projet fini vs projet non fini

Le deuxième chantier correspond à toutes les actions spontanées que peuvent réaliser les habitants suite à la réception du chantier. Il suppose un cadre pouvant accueillir ses différentes actions. Il existe alors deux démarches possibles pour l’architecte: - une qui ne les prend pas en compte que l’on pourrait appeler «projet fini». Les projets qui en découlent s’inscrivent dans une volonté de livrer un projet terminé qui ne demande qu’entretient. Cependant, comme je l’ai énoncé plus tôt, ce type de projet donne généralement suite à des textes réglementaires qui visent à garder le projet «intact», comme il a été livré. Ce type de projet stérilise donc notre habitat puisqu’il ne laisse aucune marge de manœuvre aux habitants. - une autre qui prend en compte ces deuxièmes chantiers qu’on pourrait nommer «projets non finis». Ces projets prennent en compte le fait que le bâtiment livré n’est qu’une étape dans le processus de construction. Le chantier continu après livraison. L’architecte transmet sa mission aux habitants qui vont prendre possession des lieux. Le premier chantier correspond donc à la mise en œuvre des ouvrages qui se déroulent «dans un cadre contractuel, financier, marchand, réglementaire, normé. Lors de cette première étape, tant la conception que la mise en œuvre sont en général le fait de professionnels et de spécialistes» 35. Lors de la livraison, le projet doit laisser une impression de «work in progress». Une fois que les lieux sont habités, le deuxième chantier peut donc survenir. Il se constitue d’une multitudes d’interventions qui s’échelonnent sur le long terme. Ce ne sont généralement pas des travaux effectués par des professionnels, mais plutôt par des particuliers qui ont quelques connaissances en bricolage ou en jardinage par exemple.

35. Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions p.95

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CHAPITRE IV

RÉPONSE ARCHITECTURALE 12. DES LOGEMENTS à HELLEMMES Un quartier populaire en mutation 13. LA FRICHE MOSSLEY Un seuil pour la ville 14. UN ÎLOT POREUX

Un seuil pour les habitants


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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

Lille

Fives

Hellemmes

Friche Mossley Une partie de la friche à été réhabilitée en logements (type Marbrerie

loft), crèche ...

Hellemmes

Fives Cail Création d’un futur pôle attractif dans une friche industrielle


RÉPONSE ARCHITECTURALE

12. DES LOGEMENTS à HELLEMMES Un quartier populaire en mutation

Le site du projet se trouve dans le Nord de la France, à Hellemmes, à la frontière du quartier de Lille Fives. Délaissé pendant longtemps, ce quartier relégué de l’autre côté du périphérique s’est progressivement paupérisé. Les 19 060 habitants36 sont généralement des personnes avec des difficultés d’emplois. La population se compose essentiellement de personnes jeunes, célibataires (55%)36, locataires de leur logement (67%)36 avec de très petits revenus (18 800 € / an / ménage)36. C’est un quartier assez animé (0,3 restaurants, cafés et bars tous les 100 m) 36 qui comporte plusieurs commerces (1,4 tous les 100m)36. Depuis quelques années, ce quartier tend à se reconvertir. En effet, cet ancien quartier industriel détient un grand nombre de friches qui sont progressivement réhabilitées. C’est le cas du projet Fives Cail, situé à 10 minutes à pied du site, qui deviendra, dans quelques années, un nouveau pôle attractif pour le quartier mais aussi pour la ville de Lille. Le site se situe également entre deux arrêts de métros. Au niveau de la rue Roger Salengro et dans le prolongement de la rue Pierre Legrand (rue principale de Fives) le site s’inscrit dans un ancien tracé reliant Lille à Tournai. Cette route, était déjà présente sur les cartes d’État major de 1820-1866. Le projet se trouve dans le complexe de la friche Mossley, une ancienne industrie de textile qui a fermé ses portes en 2000. En 2014, une partie de l’industrie a été réhabilitée en appartements ‘‘type loft’’ par les architectes Pierre Accarain et Marc Bouillot. La partie du terrain étudiée est pour l’instant à l’abandon. Position stratégique située entre un axe qui possède une échelle territoriale en premier plan et des logements à l’échelle urbaine en second plan, le site détient un potentiel de liaison de ces deux entités

36. http://www.kelquartier.com

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

Champs / Contre-champs


RÉPONSE ARCHITECTURALE

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13. FRICHE MOSSLEY Un seuil pour la ville

1

4

2

3 5

Rue

Rog

er S

alen

gro

Réactiver la porosité de l’îlot par une rue piétonne

Point de vue photo

Point de vue du croquis

1.

Logements et futur médiathèque au RDC

2.

Futur parc

3.

Cabinet médical

4.

Crèche

5.

Logements

Les logements réhabilités ont la particularité d’avoir une tour de 30 mètres de haut qui renforce le caractère industriel du lieu.(5 et 1). Lorsque la filature était encore ouverte, l’îlot était poreux. Les ouvriers pouvaient accéder à l’usine par un grand portail situé le long de la rue Roger Salengro. Le projet a pour vocation de réactiver cette porosité en créant une rue piétonne. La réhabilitation de l’ancienne usine prévoit la construction d’une médiathèque au rez-de-chaussée d’un des immeuble de logement (1). Cette dernière sera en lien avec un grand parc qui sera l’aboutissement de la rue piétonne du projet. (2) Elle sera fréquemment traversée et constituera un lieu de passage pour les habitants du quartier.



1:1000 / 1:20 Un seuil pour la ville / Un seuil pour les habitants



RÉPONSE ARCHITECTURALE

Équipement Public Réhabilitation d’une partie de la friche en bar-concert, restaurant de quartier 207 m² + espace extérieur

Salle commune - Laverie: 52 m² - Cuisine: 30 m² - Terrasse: 20 m²

Requalification de l’espace public

10 Logements individuels 6 avec 1 chambre: 67 m² + espace extérieur: 15 m²

4 avec 2 chambres 76 m² + espace extérieur: 15 m²

Logements collocation + locaux techniques et commerce en RDC 372 m²

Commerce de proximité 33 m²

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RÉPONSE ARCHITECTURALE

14. UN ILÔT POREUX Un seuil pour les habitants

Le projet propose une typologie particulière de logements individuels. Comment définir la séquence d’entrée du logement dans un îlot poreux ? L’enjeu du projet est d’organiser les logements de manière à ce qu’ils s’ouvrent sur la rue tout en étant préservés du regard des passants. Pour cela, le projet propose la création de halls semi-publics, en lien avec la rue. Ces derniers sont formés grâce au volume du R+1 (où l’on retrouve la ou les chambres ainsi que la salle de bain) en saillie par rapport à la façade du RDC. Le mur de ce volume se prolonge dans l’espace public pour créer une délimitation entre l’espace public et les espaces semi-publics. Ces halls semi-publics constituent une épaisseur appropriable par les habitants. Les habitants disposent d’un autre espace appropriable. Ce dernier se situe en contrebas de la cuisine. Enfin, l’espace extérieur privé du logement, situé au dessus de la cuisine, possède des gardes corps suffisamment épais pour accueillir des plantes. La traversée de la rue offre donc un enchaînement de deux séquences : - une façade haute en premier plan avec un volume en saillie qui accueille les halls semi publics. (façade minérale) - une façade basse en retrait qui offre une vue sur les plantations en contrebas de la cuisine et sur la terrasse. (façade végétale) (cf façade pages suivantes)

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

Les façades en premier plan (volume en saillie) sont en briques pleines en partie supérieure. En partie inférieure, une brique est retirée pour créer un moucharabieh. Ce dispositif permet de filtrer le regard sur le hall semi-public tout en restant ouvert sur l’espace public.


RÉPONSE ARCHITECTURALE

Une salle commune se trouve à l’extrémité de la rue et marque son entrée. Elle dispose d’une laverie commune avec un coin lecture en RDC. On trouve au R+1 une cuisine, une salle à manger et une terrasse qui offre un point de vue sur la tour de l’immeuble de logement réhabilité.

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

Temps 0: Livraison du projet


RÉPONSE ARCHITECTURALE

Temps 1 : + 5 ans

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

Le hall semi-public abrite un perron en aluminium qui permet d’accéder au logement (les logements ont une différence de niveau de 40 cm par rapport au niveau de la rue). Les habitants peuvent disposer de cette épaisseur de 3m40 pour y entreposer leurs vélos ou encore quelques pots de fleurs. Ce frontage privé «construit» prend la forme d’un porche qui rempli son rôle d’accueil.

Séquence 1


RÉPONSE ARCHITECTURALE

Derrière la façade en retrait, on retrouve la cuisine qui surplombe légèrement l’espace public. On retrouve en contrebas un nouvel espace appropriable où l’on peut cette fois-ci planter quelques arbustes. Au R+1, la terrasse dispose d’épais gardes-corps qui peuvent également accueillir des plantes. Ce dispositif permet de mettre à distance les habitants de la rue et des voisins. Ainsi, la terrasse dialogue avec l’espace public tout étant protégée des regards.

Séquence 2

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé


RÉPONSE ARCHITECTURALE

• La séquence d’entrée s’organise en deux halls: un extérieur en lien avec l’espace public et un intérieur en lien avec le reste du logement. Le degré d’ouverture du seuil est assez ouvert. En effet, la présence du hall semi public permet d’ouvrir davantage le hall intérieur sur le reste du logement. Une simple cloison devant l’escalier crée une séparation visuelle entre le salon et l’entrée. Un espace de rangement permet d’articuler l’espace de l’entrée avec celui de la cuisine. • La cuisine est en lien avec la rue et le frontage privé. Comme les exemples étudiés à Karlsruhe, elle joue le rôle de tour de guet et permet de voir le visiteur sur le perron.

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé


RÉPONSE ARCHITECTURALE

Le logement est ouvert : salon, cuisine et salle à manger forment une grande pièce de vie. Le salon profite d’une double hauteur qui permet d’offrir une vue sur l’espace extérieur. L’épaisseur de l’escalier permet d’intégrer un rangement ainsi qu’une cloison qui s’arrête avant le plafond afin de ne pas créer une frontière trop brutale entre l’entrée et les pièces de vie.

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« L’enfant assis sur le seuil de sa maison est suffisamment loin de sa mère pour se sentir indépendant, pour éprouver l’excitation et l’aventure du grand inconnu. Mais en même temps, sur cette marche qui fait aussi bien partie de la rue que de la maison, il se sent en sécurité, il sait que sa mère est à proximité. L’enfant se sent à la fois chez lui et dans le monde extérieur.»36


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CONCLUSION

Aussi indispensable que le silence l’est à la musique, le seuil constitue la respiration nécessaire à l’équilibre de tout habitant. Il est ce petit moment de rien entre deux mondes. Cette charnière entre l’espace public et l’espace intime détient une place importante dans notre rapport au monde. Dans Journal d’un SDF, Marc Augé explique que les sans-abris ont besoin de déposer leur chaussures à l’entrée du carton qui leur sert de couchette. Ainsi, même dans les situations de dénuement totale, marquer son espace de seuil apparaît comme une nécessité. Le caractère flou de cette limite rend sa matérialisation parfois délicate. De plus, cet espace est inclassable car il ne rempli théoriquement aucune autre fonction que celle du passage. C’est cette absence de fonction qui permet de transformer le seuil en n’importe qu’elle pièce. De ce fait, chaque habitant pourra user de son imagination pour inventer son seuil. «Concrétiser le seuil comme un espace de transition signifie avant tout créer un cadre où accueillir et prendre congé des visiteurs, le seuil représentant dès lors la traduction architecturale de l’hospitalité. En outre, le seuil est, en tant qu’aménagement construit, aussi important pour les contacts sociaux que des murs épais le sont pour l’intimité.»37

La négligence du seuil entraînera des rapports conflictuels ainsi que des proximités ambiguës entre les occupants qui pourront sentir leur intimité menacée. Pour éviter ce climat de méfiance, les limites proxémiques doivent être respectées et construites grâce aux moyens architecturaux. Les différents exemples analysés ont démontré que l’épaisseur du seuil peut être à la fois modeste et qualitative. L’important est que l’architecte prenne en compte le caractère habitable et appropriable du seuil. Il doit pouvoir laisser une marge de manœuvre aux habitants. Le projet livré ne doit pas être considéré comme terminé. Au contraire, il doit commencer lorsque les habitants prennent possession des lieux. C’est la condition essentielle pour que le seuil joue son rôle d’accueil, pour que l’espace privé conserve sont caractère public.

36. Herman Hertzberger, Leçon d’architecture, 2010, p 45. 37. Herman Hertzberger, Leçon d’architecture, 2010, p 50.


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La qualité de notre habitat dépend de ces espaces de transition. Cependant, comment créer des espaces de seuil dans des villes extrêmement denses comme à Tokyo par exemple ? Le projet de la Curtain Wall House de Shigeru Ban réalisé à Tokyo en 1995 apparaît comme étant une proposition surprenante dans son rapport à l’extérieur. Alors que l’entrée est en retrait par rapport à la rue, les espaces de vie sont quant à eux totalement exposés aux regard et à l’air extérieur. La limite peut être inexistante ou clairement marquée grâce aux grands rideaux hauts de deux étages. Ce cas de figure réinterroge la rôle protecteur du seuil: quels rapports entretient notre intimité avec la rue? A partir de quand suis-je réellement chez moi ? Ici, la maison constitue un entre deux habité et joue elle-même le rôle de seuil. Le rideaux apparaît comme une mince limite pouvant être ouverte et refermée facilement. Le problème de la densité est attaqué de front: la relation qu’entretient l’espace intime avec la ville n’est plus détachée, elle est fusionnelle.


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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

INTRODUCTION p-9 Jorn Utzon - Fredensborg Houses

CHAPITRE I DÉFINITION p-14 Thomas Hiller, The Migration of Mel & Judith, Herman Hertzberger, Maison de retraité à Amere, Pays-Bas (1980-1984) p-19 : Francis D.K. Ching, Architecture - Form, Space and Order 3rd Edition, p 256 p-23 Cécile Chanvillard, Au seuil de l’architecture. Le sacré, p5

CHAPITRE II ETUDE DE CAS p-30 Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012 p 73 et 128 p-62 Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012

p- C.Sillem, A word around Disney CHAPITRE III DIMENSION HUMAINE

p- 78 Darbourne & Darke Housing at Marquess Road p-68 Nina Sauvage

CHAPITRE IV O U T I L S D E L’ A R C H I T E C T E p-81 Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012 p 131, 137 et 179 p-86 Miriam Bâckstrôm, Apartments, 2001

CHAPITRE V REPONSE ARCHITECTURALE

p-94 Croquis porche usine Mossley : Fillature Mossley: Luttes des classes ... dans la ville (1/2)

CONCLUSION

p-112 Haas Werner, sans titre. In Leçon d’architecture, Herman Hertzberger, 2010, ed. Infolio (première édition en 1991), p-45 p-114 - Ban Shigeru, 1995, Curtain Wall House, Japan, photogrpahie de la façade est. In Shigeru Ban, Mathilda McQuaid (dir), 2006, éd. Phaidon, p-193

Les autres documents graphiques ont été réalisés par l’auteur.


Iconographie

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LE SEUIL : le caractère public de l’espace privé

- Friederike Schneider, Receuil de plans d’habitation, ed. Birkhauser, 2007 - Brigitte Donnadieu, L’apprentissage du regard, Leçons d’architecture de Dominique Spninetta, Savoir-faire pour l’architecture, Edition la Villette, 2002 - Dictionnaire Le petit Larousse illustré, 2001 - Louis I.Kahn, The room, the sytreet and human Agreement, AIA Journal - Jacques Lucan, Composition, non-composition. Architecture et théories, XIXe - XXe siècles, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2013 -Perla Serfaty-Garzon, Le Chez- soi : habitat et intimité dans Dictionnaire Critique de l’Habitat et du logement, Paris, Editions Armand Colin, 2003 - Alexis de Tocqueville - Le despotisme démocratique, L’Herne, 2009 - Cécille Chanvillard, Au seuil de l’architecture. Le sacré, 2013 - Pierre Von Meiss, De la forme au lieu, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2012 - Nicolas Soulier, Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’actions, Ulmer, 2012 - http://www.justice.gouv.qc.ca/français/general/termes/front.htm - www.smartcodecentral.org avaible from New Urban News* - Travaux d’étudiants en architecture ULC LOCI Saint-Luc Tournai Pile & Face, Exposition Seuils et Portes de Mons, - Edward T. Hall, La dimension cachée - Editions du Seuil, 1971, - Bernard Haumont & Alain Morel, La société des voisins. Partager un habitat collectif. Edi tions de la Maison des sciences de l’homme, 2000 - René Janssens, Les Peintres de l’intimité, préface de Gustave Vanzyne, Bruxelles, Nouvelle société d’édition, 1934, - Brahim-LamrouS Lila, L’intimité, éd. Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005, - Audrillard Jean, Autrement, ‘‘La sphère enchantée de l’intime’’, n° 81, juin 1986, p. 15


Bibliographie

- Jean-Michel Léger, Dernier domiciles connus. Enquête sur les nouveaux logements 1970-1990, p 94 à 97 - http://www.kelquartier.com - Herman Hertzberger, Leçon d’architecture, 2010,

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