HISTOIRE & PATRIMOINE ASSOCIATION PRÉHISTORIQUE ET HIS TORIQUE DE LA RÉGION NAZAIRIENNE
L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise
Hors-série
Mes années de
Petit Séminaire Guérande, 1962-1966
Dernier inventaire avant fermeture définitive
Gérard Olivaud
A.P. H.R.N - Hors-série no 6 - octobre 2016 - 8 €
La cour de récréation du Petit Séminaire, à Guérande, au début des années 1960 (Archives Historiques du Diocèse de Nantes)
C Éditorial
aptiver le lecteur, en lui narrant une intrigue avec rebondissements, coups de théâtre et dialogues animés, demande un certain talent d’écrivain. Captiver ce même lecteur, en lui décrivant la vie, spartiate et monotone, d’un enfant dans un internat, au règlement strict, datant, dans les années 60, du siècle précédent, demande un talent d’écrivain certain. C’est ce qu’a réalisé Gérard Olivaud. Comment vivait-on derrière ces hauts murs du petit séminaire de Guérande, anciennement couvent des Ursulines ? Tout lieu clos renferme une part de mystère et attise la curiosité. Ce bâtiment en granit gris, à la façade harmonieuse, empreinte d’une certaine beauté, défie le temps. On a envie de le visiter, pas d’y séjourner. L’auteur nous y fait pénétrer avec le regard de l’enfant que l’on sépare de ses proches. Il entre en « milieu carcéral », avec pour mission de devenir prêtre et de s’instruire. Il n’a que 11 ans. À cet âge on n’est pas tendre entre camarades. Ils se comportent comme les adultes qu’ils seront. Ceux qui ont cette expérience le savent. Que ce soit dans un établissement religieux, ou dans un établissement laïc, sans Dieu, sans chapelle, sans dévotions, les comportements humains sont semblables. Pas d’évènement marquant, pas de « scoop », tout est mental. Gérard Olivaud nous entraîne dans un monde intellectuel, avec sa culture classique et cinquante ans d’écart. Son style et son humour lui permettent une certaine irrévérence, jamais insolente, mais affectueuse et indulgente. Rien n’est triste, rien n’est terne, nous sourions volontiers. Ses descriptions, à la fois précises et teintées de poésie, peignent un cadre de vie coloré, contrastant avec les photos noires et grises des archives diocésaines : le dortoir, le réfectoire, lieux vides, impersonnels, les élèves en blouses grises, qui jouent, sagement, dans la cour de récréation, encadrés par des adultes en soutane. C’est bien l’esprit qui domine et transpose le monde matériel, et, pour ce qui est de l’esprit, Gérard Olivaud s’en donne à cœur joie. On est charmé par ses références au monde antique, par la beauté des citations choisies…ces alexandrins… Parallèlement, il laisse deviner la vie de chaque jour, en dehors du petit « Sem », telle qu’elle était alors, dans les années 1960. Nous avons là un récit tendre, gentiment moqueur, fidèle, au point d’être sans concession.
Christiane Marchocki Présidente de l’APHRN
Ci-dessus, et première de couverture : L’auteur devant le Petit Séminaire (juin 2014) (Photos Tanguy Sénéchal)
Histoire & Patrimoine - Hors-série n° 6 — octobre 2016
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A . P. H . R . N
Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40 HISTOIRE & PATRIMOINE
Hors-série n° 6 - octobre 2016 Éditeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Christiane Marchocki Maquette/Mise en page : Tanguy Sénéchal Impression : Pixartprinting Dépôt légal : 4e trimestre 2016 N° ISSN : 2274-8709 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145
Sommaire 5 6 11 13 17 18 24 27 30 33 36 43 44 51 58 61 68 69 2
L’examen d’entrée Première rentrée Première demi-journée Mens sana in corpore sano Les études Le suivi scolaire et la discipline Les repas Le travail collectif Lever - Coucher Les sorties à la maison La vie religieuse Le Père Spirituel Deux fêtes exceptionnelles Récréations et promenades Portraits Loisirs et détentes annexes La mort au Petit Séminaire En guise d’au revoir
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« Fabriquer des souvenirs, ça sert à rien, mais ça tient chaud ! » Aldebert
Mes années de
Petit Séminaire Guérande 1962-1966 Dernier inventaire avant fermeture définitive Gérard Olivaud
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Mes années de
Petit Séminaire Guérande 1962-1966 Dernier inventaire avant fermeture définitive Gérard Olivaud
Heureux, je devais l’être ! J'étais enfin descendu du long Drouin bleu qui nous amenait, Maman et moi, depuis Montoir jusqu’à Guérande : les cars, quand je les prenais, à cette époque-là, au début des années soixante, le plus souvent pour faire les huit kilomètres qui nous séparaient de Saint-Nazaire, avaient un effet négatif régulier sur mon estomac.
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L’examen d’entrée
L
e jour était à peine levé ce jeudi de printemps 1962. Nous avons commencé à remonter le Faubourg Saint-Michel, en direction d’un restaurant qui faisait petit déjeuner, selon ma tante Hélène — elle connaissait bien les environs, car son fils cadet Jean était passé par le Petit Séminaire, quelques années auparavant. On ne peut pas dire que j’avais beaucoup d’appétit. Mais j’ai dû faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il me fallait, d’après ma mère, ne pas rester le ventre vide, sinon je n’aurais plus d’idées. Et des idées, il m’en faudrait si je voulais réussir l’examen d’entrée en sixième. Mon instituteur, Monsieur Amprou, un homme de haute taille, le visage barré d’une moustache sévère, mais dont la fille aînée avait des yeux de Vierge Marie et de longs cheveux, n’était pas partisan de me le faire passer à onze ans. Il me trouvait insuffisamment prêt, pas assez travailleur, et mes lacunes en calculs ne me permettraient pas de réussir ce concours. Il faut dire que la plupart des enfants ne tentaient l’examen qu’à douze ans. Maman n’avait pas cédé. Pas suffisamment prêt ! Qu’est-ce à dire ? Mon fils serait un idiot ? On pouvait toujours essayer.
Un quart d’heure plus tard, l’odeur du chocolat chaud s’était évaporée dans la salle éclairée du Pont Blanc. Nous sommes repartis, d’un pas alerte (je n’avais pas le choix). La rue était bordée par un mur de pierre très haut, presque continu, qui protégeait, de temps à autre, de grandes demeures bourgeoises. C’est là-bas, me dit ma mère, en me désignant une immense bâtisse rectangulaire qui dominait le haut du faubourg. D’autant plus noire et imposante qu’elle était construite en granit et que le jour n’était pas complètement levé. Même si les rangées régulières de fenêtres à chaque étage étaient éclairées, je dois dire que le petit garçon que j’étais n’était pas trop rassuré. Le bâtiment central était précédé de deux ailes, constituant un cloître au rez-de-chaussée et fermées par une avancée, qui, je l’apprendrais plus tard, servait de parloir. C’était aussi le lieu de la dépose du linge sale pour ceux qui habitaient loin ; la concierge, qui était aussi la sœur du supérieur, avait la haute main sur cette responsabilité. L’ensemble, lui-même, était clos par de grands murs épais et sur le devant par une grille de fer forgé. Un cloître ! Normal, le bâtiment avait à l’origine abrité un couvent de religieuses. Des Ursulines. Une prison quoi !
Le petit séminaire, autrefois (page de gauche) et de nos jours. (Archives Historiques du Diocèse de Nantes et photo Tanguy Sénéchal)
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Le dortoir du Petit Séminaire, au début des années 1960. (Archives Historiques du Diocèse de Nantes)
notre guide nous montra, à notre droite, une antichambre ouverte qui précédait une porte fermée : le logement du supérieur. Face à nous, une porte à double battant, de couleur grisâtre ou blanchâtre, ouvrait sur une pièce tout en longueur où s’alignaient trois rangées de lits de fer recouverts pour certains, ceux qui avaient déjà reçu la visite de leur futur occupant, d’un fin couvre-lit blanc avec des motifs brodés. Au centre, sur le mur opposé aux fenêtres, un lit était dérobé aux regards par des rideaux blancs sur trois côtés. Plus tard, quand je visiterais les Hospices à Beaune, je me rendrais compte que les nécessiteux au XVe siècle étaient couchés pareillement. Notre guide nous indiqua que c’était le lit du pion, pardon, dit-il à ma mère, du surveillant du dortoir. Juste à côté, une porte sombre : sa chambre. Devant mon air étonné, notre guide m’expliqua qu’il y avait là son bureau et ses affaires personnelles. J’avais été placé à peu près au milieu du dortoir, dans la rangée donnant sur l’extérieur. Entre les deux lits, au-dessous de la fenêtre, en creux et dans l’axe du mur blanc, un placard gris que je partagerais avec mon voisin. Maman y déposa le linge, mes affaires de toilette, quelques douceurs pour agrémenter le menu qu’elle devait pressentir spartiate, les pulls, chemises et autres chaussettes de laine
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qu’elle fabriquait elle-même et qui, très vite, à ma plus grande honte, feront éclater de rire mes camarades citadins beaucoup plus modernes dans leur habillement. Le tout, bien évidemment, marqué du 325 qui me servirait dorénavant de carte d’identité. Au fond, séparé du dortoir par deux claustras vitrés de chaque côté, un lavabo collectif, avec un grand tube de ferraille percé de trous en guise de robinets. Ici, on se lave à l’eau froide, quelle que soit la saison, nous dit notre accompagnateur, histoire de me donner le moral. Ma mère entreprit de faire mon lit, comme elle en avait l’habitude à la maison. Elle avait à peine terminé qu’arriva le surveillant. Un jeune homme en soutane, un grand séminariste probablement. Fines lunettes et cheveux taillés en brosse. Il se présenta comme le responsable du dortoir — je pense qu’il s’agissait de M. Lepage — et fit remarquer à Maman que, bien sûr, à l’avenir, ce serait à moi de faire mon lit, mais qu’il n’allait pas demander de défaire ce qui venait d’être fait ! Quant aux provisions, il était préférable de les remporter pour ne pas créer de sentiments d’injustice entre les pensionnaires. Ma mère lui dit qu’elle comprenait. Moi pas vraiment ! Elle ressortit toutes les denrées, mais à son air désappointé, on sentait qu’elle se demandait si elle avait bien fait de confier son petit dernier à cette institution.
Je m’aperçois en écrivant que j’ai oublié mon père. En fait, il suivait et ne disait pas grandchose, comme souvent. Il devait penser que, par rapport à ce qu’avait été sa jeunesse, les kilomètres en galoches pour aller et revenir de l’école, son père revenu mort-vivant de la guerre pour finir comme un légume en 1921, grand-mère de ce fait sans pension, ma vie dans cet endroit ne serait pas si détestable. Mais il avait la conscience du temps qui passait et fit remarquer à ma mère que peut-être il faudrait accélérer. Nous sommes descendus vers le réfectoire dans la partie gauche du cloître, au fond quand nous descendions les escaliers. C’était une vaste pièce rectangulaire, mais moins longue, quoique ! et plus large que le dortoir. Deux travées centrales de tables de dix, dans le sens de la longueur, et deux autres perpendiculaires de part et d’autre. Avec des bancs et, leur faisant face, au mur, une chaise et une sorte de lutrin, un pupitre de bois blond sur lequel était posé un haut-parleur. Au milieu du mur du fond, qui séparait le réfectoire des cuisines, un immense crucifix de bois noir. Maman rangea mon couvert dans un placard, le long du mur qui donnait sur le cloître. Elle avait bien compris. Ni supplément, ni gourmandises, ni friandises ! Voilà, nous avions vu : il n’y avait rien de plus à faire. Je découvrirais le rituel des repas plus tard. Nous sommes sortis pour nous diriger, toujours accompagnés de notre guide, vers la chapelle.
On y accédait par une courte galerie, prolongement du cloître qui m’apparaissait comme le centre des lieux, juste en vis-à-vis de l’escalier que nous avions pris pour aller au dortoir. L’édifice était plutôt moderne, assez vaste pour contenir une centaine de personnes. À l’arrière du chœur, au centre, un grand vitrail tout en hauteur représentait un arbre de Jessé. L’ensemble était assez lumineux et l’ensoleillement de cette après-midi de fin d’été donnait de la chaleur aux bancs de bois clair. Au fond, un escalier en colimaçon de couleur marron menait à la tribune. On se sentait bien ici. J’y passerai du temps, surtout les premiers jours pour soigner mon cafard. Mais notre cicérone semblait s’impatienter. Nous sommes sortis par la porte de la chapelle qui donnait sur la cour pour nous occuper des fournitures. Cétait un immense rectangle, fermé par des murs très hauts sur deux côtés, par la façade arrière du bâtiment sur le troisième et par un muret de pierre séparé d’un grand hangar par un chemin de terre. Ce dernier aurait donné sur l’extérieur si on ne s’était pas aperçu qu’il aboutissait à un autre grand mur au fond. À sa gauche un terrain de football sans herbe. À sa droite un peu plus loin quelques habitations. La cour était animée, mais c’était vers le hangar, dont je viens de parler, un bâtiment très haut, couvert de tôles en fibrociment, avec un sol de béton mal dégrossi que semblait se diriger chacun. L’ensemble, assez moche, détonnait
Le réfectoire du petit Séminaire, au début des années 1960. (Archives Historiques du Diocèse de Nantes)
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Dans la cour du Petit Séminaire, après un match de football professeurs/élèves. Les abbés Jaumouillé et de Cadeville sont de la partie, coiffés/chapeautés par leur supérieur, le chanoine Crespel. (Archives Historiques du Diocèse de Nantes)
qui préparaient la communion, à gauche. Et enfin un trimestre entier, le dernier, pour la Grèce ! Quand le soleil se levait tôt le matin, derrière les volets de bois du premier étage, il nous semblait que l’Aurore aux doigts de rose, ou en robe de safran, fille du matin, chère à Homère, prenait toute sa signification ! Mycènes et Troie, Athènes et Sparte ! Si j’ai enseigné les lettres anciennes plus tard, je le dois au Petit Séminaire qui m’a donné une solide formation en latin comme en Grec et m’a véritablement transporté dans ces époques reculées. Le Latin et le Grec comme invitation au voyage ! Je le dois aussi au professeur d’Histoire qui m’a montré que tout était là, dès le début, en germination et qu’apprendre le latin et plus tard le Grec, c’était apprendre à réfléchir. Mais voilà des domaines trop sérieux et qui ne relèvent pas de mon propos aujourd’hui. La seconde page du livret, consacrée aux résultats de sixième, en comprend à vrai dire qu’une demie. Les résultats de Mathématiques relégués en seconde partie ! J’en rêverais tout le reste de mes études ! Puis l’Anglais et l’Éducation Physique dont je ne garde aucun souvenir en sixième. Pourtant j’y apparais avec un second prix. Dans ma mémoire, nous n’aurions un professeur de gymnastique que plus tard. Peut-être était-ce l’abbé Agaisse, notre titulaire, qui assurait le cours. Il était sportif. J’ai des souvenirs de lui sur la cour de récré, les jupes au vent, lors d’une balle au chasseur ou d’un épervier.
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Deux prix consacrés à la musique : Solfège et Harmonium. Le père Averty, qui était aussi notre professeur de Mathématiques, nous initiait à la poésie des noires et des blanches, des croches et des doubles croches. Le midi, pendant la récréation, à l’arrière du grand bâtiment où, le premier jour, nous étions allés prendre nos livres, il nous révélait les mystères du piano ecclésiastique. Quatre ou cinq instruments se succédaient dans des box séparés par des cloisons de contreplaqué qui sentaient le neuf. Le cours n’était pas obligatoire et prenait sur la récréation – mais je sentais bien que, même si je n’avais aucun talent pour cet instrument il me fallait offrir ce sacrifice si je voulais être un jour un prêtre digne de ce nom ! Tout futur serviteur du Seigneur se devait d’en connaître un minimum en ce domaine pour que les cérémonies, sans atteindre ce que réaliseraient plus tard les Églises Évangélistes, aient un minimum de tonus ! Je n’apparais pas au classement des musiciens. Le solfège était un langage qui me semblait aussi obscur que les mathématiques. Que le professeur de Maths soit aussi le prof de Musique me paraissait, somme toute, logique. Je me souviens qu’un d’entre tous les nouveaux, Bruno, l’emportait haut — le clavier sur nous tous. Il aurait même le droit assez rapidement de remplacer l’organiste attitré à la chapelle, un grand de quatrième, en cas de nécessité. On savait qu’il avait déjà commencé le piano
depuis un certain temps, il n’en demeurait pas moins qu’il bénéficiait pour cette distinction d’une certaine aura. Dans les dernières pages plusieurs rubriques : les résultats des examens trimestriels qui doublaient les compositions, les prix d’accessits — là, je ne vois pas bien à quoi ils correspondaient — et l’ordre de satisfaction en points, une sorte de classement général comme celui des Coureurs du Tour de France. En le relisant maintenant, il apparaît que Serge Leray serait, cette année-là, le Jacques Anquetil de notre classe de Sixième.
Les études Le matin, après le petit déjeuner, nous avions une récréation assez courte qui précédait la première étude. J’ai gardé de ces années de séminaire le souvenir de journées remplies d’études, avec en contrepartie peu d’heures de cours. Lorsque, en seconde, j’ai poursuivi mes études à l’école Ozanam à Nantes, l’emploi du temps était bien différent. Une seule étude le soir et sept heures de cours ! La transition, en début d’année au lycée, fut très violente
La première de celles-ci était consacrée aux révisions des leçons du jour. La mémoire, comme on l’a pu voir précédemment, avait une grande importance. Plus de place que dans des collèges dits normaux ? Je ne saurais le dire. Quand je revenais à la maison, on ne parlait guère d’école avec mes copains d’enfance. D’ailleurs, certains avaient déjà commencé l’apprentissage. Après ce temps de révisions, nous avions droit aux deux cours du matin. Sans nous déplacer, me semble-t-il, car la salle d’étude servait aussi de salle de classe. C’était une pièce donnant directement sur la cour. Très ensoleillée. Une salle de géants pour le petit bonhomme de onze ans que j’étais alors et qui se sentait un peu écrasé sous cet énorme volume. Après les deux heures du matin et une récréation un peu plus longue, nous avions en fin de matinée un temps pour commencer nos devoirs ou les exercices relatifs aux cours du matin. Avions-nous une troisième étude en début d’après-midi qui aurait satisfait à un penchant pour la symétrie de la part de nos pédagogues ? J’avoue avoir un peu oublié, mais, étant donné que seules deux heures de cours meublaient l’après-midi et qu’il ne s’agissait pas de multiplier les récréations : temps nécessaire bien sûr, mais point trop s’en faut ! je suis assez porté à le croire. Pour la quatrième, elle ne fait aucun doute. C’était la grande étude du soir. Nous y effectuions les devoirs importants, sous la surveillance
L’auteur, devant le petit séminaire, en juin 2014 (Photo : Tanguy Sénéchal)
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De haut en bas : La lisière du champ de patates du Petit Séminaire apparaît, en bas, et à gauche, sur cette photo. Le Manoir de la Porte Calon, dit « Maison de l’Évêché », de nos jours. Certains employés du Séminaire y vivaient, dans les années 60. La réserve de pommes de terre du petit Séminaire est devenue un salon de coiffure institut de beauté. (Photos Gérard Olivaud)
de la presse locale aussi ! Ce qui ne devait pas trop plaire en haut lieu, là-bas, à Nantes ! Après tout, ce n’était pas le moment de se mettre à dos les agriculteurs ! Qui continuaient à remplir les églises le dimanche ! Donc, nous profitions de la ferme et, au Séminaire, une vache était sacrifiée toutes les trois semaines à l’appétit vorace de ses occupants. Une salle de ce que nous appelons, maintenant, le Manoir de la Porte Calon, et qui appartenait alors au diocèse, servait d’abattoir. Il semblait juste, de ce fait, que nous apportions notre contribution au bon fonctionnement de l’établissement.
Corvée de patates... Dès la rentrée, nous participions à la corvée de patates. Le champ n’était pas loin, juste de l’autre côté des murs, nous n’avions que la route Guérande-Escoublac à traverser. Nous étions quasi sur place, mais la besogne n’apparaissait pas à la plupart d’entre nous très exaltante. Bien sûr, la machine faisait l’essentiel du travail : une sorte de tapis amarré au tracteur roulait les pommes de terre sur le côté du sillon. Derrières en l’air, nous n’avions qu’à nous baisser pour les ramasser. Nos seaux pleins, nous les déversions dans une grande remorque tirée par deux chevaux. Remplie, elle amenait son contenu une centaine de mètres plus loin, dans une grande salle du manoir. Là, une trieuse les séparait en fonction de leur calibre ! Une demeure du XVe, agrandie au XVIIe, pour stocker les patates : la classe ! Maintenant, la pièce où logeaient les pommes de terre, et les deux chevaux dont l’un s’appelait Martin, comme les squelettes dans les salles de biologie des collèges, est devenue un salon de coiffure-institut de beauté ! Les énormes poutres de chêne qui supportent
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le plafond ont l’impression qu’on les considère, de nouveau, à leur juste valeur. En fin de journée et même bien avant, nous avions le dos moulu. Ce soir-là pas de lecture ! Et si les habituels ronfleurs jouaient encore de leurs instruments, je ne les entendrais pas !
Les vendanges Il était une autre participation au travail collectif autrement intéressante ! Les vendanges ! Un jeudi de fin septembre vers la Saint-Michel, la météo était bonne et il n’avait pas plu les jours précédents — il fait souvent beau en presqu’île à l’arrière-saison —, le séminaire se lève avec un air de fête. Imaginez-vous le matin de Noël ou celui de votre anniversaire… si vous êtes encore jeune, parce que maintenant, somme toute, ça fait un an de plus ! Pas de blouse ce jour-là ! L’animation est palpable dans le dortoir, la mise en rangs, direction la chapelle pour la messe, un peu agitée et le petit déjeuner, plus bruyant qu’à l’accoutumée ! À la fin de la récréation, pas d’attente devant les marches menant aux salles de classe !
Un énorme camion-benne pénètre par le fond de la cour, venant de la ferme ! C’est un Chevrolet. Le père Jaumouillé, le professeur de Latin et de Grec des quatrièmes, est au volant. Un béret sur la tête, cachant son crâne qui commence à se dégarnir ! Son visage est éclairé. On sent qu’il savoure ce moment, ses yeux pétillent alors qu’à l’ordinaire c’est un homme plutôt sévère, austère, qu’on voit rarement sourire. Et là, on dirait un enfant au volant d’une voiture à pédales. Non d’un chien ! (C’est, avec misère de misère, son expression favorite, aussi bien pour montrer son étonnement que sa réprobation. Ne parlons pas de colère, l’abbé Jaumouillé est un calme, un sage, un tranquille qui, deux ans plus tard, nous initiera au yoga). Non d’un chien ! Mais doucement ! Les quatrièmes d’abord ! La benne est prise d’assaut ! Une classe entière à l’arrière du camion, les deux derniers élèves à l’avant avec le conducteur ! Autre temps, autres mœurs ! Maintenant, il faut deux surveillants pour vingt-quatre élèves, un car et des ceintures à chaque siège ! Le père procèdera ainsi à trois autres chargements — il y avait deux classes de quatrièmes,
La vigne du Petit Séminaire, était implantée sur ce champ, maintenant cultivé. La piste donne sur le chemin de la Nantaise. (Photo Gérard Olivaud)
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Jonction avec la route de Saint-André, au Petit Caporal. Systématiquement, Saint-André. Jamais, pour ainsi dire, la variante d’Escoublac. C’est ainsi ! Papa était un peu binaire ! Saint André, pas Escoublac ! Peugeot, surtout pas Renault ! Le Grand Charles ! Surtout pas Lecanuet, même s’il allait à la messe le dimanche ! Ne parlons pas, bien sûr, de Mitt’rand... La nuit était tombée quand nous passions devant l’usine Provimi à Beauregard, couleur crème, éclairée par ses lampadaires. À ses pieds les étangs de Guindref. Leurs eaux noires, froides — je l’imagine — menaçantes sous le clair de lune. C’est cette image qui me reviendra quand je lirai certains polars de Ruth Rendell ! Ma mémoire s’est bloquée sur une scène immanquablement hivernale. La voiture est silencieuse, le père et le fils restent chacun dans leur monde, bien au chaud. Il n’y a guère de circulation sur cette petite route, peu fréquentée alors. Qui plus est dimanche soir, à l’heure de la soupe ! Nous dépassons Saint-André, engourdie, comme endormie. Le temps passe lentement, lentement. Jusqu’au moment où les pleins phares éclairent au loin, au bout d’une longue ligne droite, une voûte naturelle d’arbres, un arc outrepassé couleur de crépuscule, la passerelle Dunlop aux 24 heures du Mans. En fait, les deux arbres ne se rejoignent pas. Ils sont situés à cent mètres l’un de l’autre. À chaque voyage, l’illusion est parfaite. À quel point nos sens nous trompent ! À quel point nos yeux peuvent-ils être trompés ! D’où mon goût pour la peinture trompe-l’œil et ses artifices ! Ou pour le roman policier et ses fausses pistes ! Mais où vais-je ?... Eh bien ! Au P’tit Sem, car quand nous franchissons cette voûte qui n’en est pas une, la boîte va surgir de la nuit dans la minute. Le temps s’accélère, le week-end se termine là, sous cette voûte végétale et artificielle ! Nous passons devant la Cadac, quelques mètres plus loin devant une longère, un corps de ferme, le dernier avant l’arrivée. Déjà, nous apercevons les hautes murailles noires et le toit de la chapelle. Brefs bisous ! La porte se referme ! Pour trois semaines ! Les deux dernières années, nous sortirons tous les quinze jours. L’année 66, je m’en souviens, nous partions en car à l’aller. Il me déposait le long de la Nationale et je faisais le trajet à pieds jusqu’à la maison. Personne ne semblait penser qu’il pouvait être dangereux pour un bus de s’arrêter en plein trafic, sur l’axe SaintNazaire-Nantes. Ni pour un jeune garçon de traverser cette route, bien sûr moins fréquentée que maintenant, un samedi à l’heure de midi. Pour le retour, je ne me souviens plus trop. Preuve que le charme était rompu ! Sans doute, Papa m’emmenait-il en voiture.
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La vie religieuse Les exercices religieux, nombreux et variés, étaient le liant qui donnait du sens à notre présence au Séminaire. L’huile de lin du tableau vivant que nous étions. Dès le matin, à sept heures, nous nous rendions, au complet, à la chapelle pour la messe. Plus tard, quand le père Guiller sera nommé supérieur, elle sera célébrée par classe, dans des pièces ou oratoires plus intimes. Une manière de consolider le groupe et de rendre la prière plus personnelle. Plus intime, dirons-nous ! La cérémonie n’était pas très longue. Sauf invité exceptionnel ! Ainsi le séminaire reçut-il un jour, pour quelques jours, un Guérandais, l’abbé Viaud. Il appartenait à la Société des Missions Africaines de Lyon et avait été envoyé en Égypte. Un matin, il célébra la messe selon le rite de son pays d’adoption. Les Coptes ! Très belle chasuble damassée et dorée, tiare couverte de soleils étincelants ! Long visage brun couvert de barbe ! L’aspersion en début de cérémonie arrosant les premiers rangs en réveilla plus d’un et l’encens qui tourne la tête montant dans le chœur de la chapelle obligea la sœur infirmière à quitter la chapelle pour s’occuper d’un séminariste défaillant ! Les gestes lents et solennels de l’officiant ! La voix qui psalmodie ! On croyait voir le soleil se lever sur une oasis ! Un quasi-aventurier au milieu des païens ! Nous étions loin du train-train quotidien ! La veille, il s’était présenté à nous, tout de noir vêtu, la tête recouverte d’un couvre-chef à la manière orthodoxe, le visage mangé par une barbe de la même couleur que ses habits. La lecture spirituelle avait été remplacée par une causerie, beaucoup plus intéressante, où le père nous avait longuement parlé de cette Église, aux rites et aux règles un peu différents des nôtres, qui remontait en droite ligne aux premiers temps de la chrétienté, catholique comme nous, mais différente. Comme quoi la différence n’était pas obligatoirement synonyme de séparation, de schisme, voire même dans les cas les pires, de guerres de religion ! Une Église chaude, qui sentait bon le sable du désert, l’Orient qui fait rêver ! Images des ibis sur le Nil ! Couleurs ocres, au lever du soleil, sur le désert et les pyramides, parfums orientaux dans les souks ! Les clichés ne nous faisaient pas peur ! Une Église des premiers temps, car tolérée à condition de ne pas trop se montrer ! Plus d’un se sentit ensuite une âme de missionnaire ! Mais tout passe !
La visite de l’évêque Autre invité exceptionnel, notre évêque ! Il logeait chez nous, lorsque sa tournée de confirmations l’amenait dans la Presqu’île ! Ce fut le cas en fin de sixième, en juin 63. Il venait confirmer onze adultes dans la chapelle du séminaire. Ordinairement, il y passait une nuit, mais cette année-là il resta cinq jours en Presqu’île. Une chambre lui était réservée en permanence, celle qu’occupaient aussi les prédicateurs de la retraite de début d’année. Un peu à l’écart des pères, au tout début de leur couloir, au premier étage ! Il avait le droit à un minimum de calme. Encore que l’on n’imagine pas nos professeurs, leurs copies corrigées, leurs cours préparés, faire la fête entre eux jusque tard dans la nuit ! D’ailleurs s’entendaient-ils bien ? Mystère. Mon voisin de lit, François, avait eu le privilège de servir la messe du matin de l’évêque ! Cette faveur ne semblait pas l’avoir ému plus que ça ! Ce jour-là, le menu était plus copieux et je suppose que la tablée des professeurs ne buvait pas le vin produit dans notre vigne ! Le soir de son arrivée, il vint nous rendre une petite
visite, dans la salle qui servait pour le cinéma et les spectacles, précédé par la direction de l’établissement. Les travées étaient pleines, on se serait cru à la Grand-messe ! Il remontait l’allée centrale, sous les applaudissements. Visage émacié, souriant, le front un peu dégarni. Mozette et soutane violettes ! Rochet de dentelle blanc entre les deux ! La croix et l’anneau épiscopal qui attirait mes regards ! Il était suivi d’un vicaire général, nous avait-on dit, et du chanoine Crespel qui, une fois n’est pas coutume, n’occupait pas la première place ! Il prononça quelques mots à notre attention après la brève présentation du Supérieur ! Brève parce que, bien sûr, l’évêque, nous le connaissions. Nous ne connaissions même que lui depuis que nous fréquentions l’église, vu qu’il était en poste depuis 1936. Jean-Marie Léonce Villepelet qui allait quitter Nantes en 66 après 30 ans de bons et loyaux services, pour le diocèse de Rucuma en Tunisie ! Une manière un peu jésuitique, ou élégante, comme vous voulez, de dire « à la retraite » ! En même temps que moi, Guérande, finalement. Il avait une voix particulière, fluette, je dirais même moutonnesque sur la fin de ses phrases.
Arrivée de l’évêque, Mgr Villepelet, dans la salle qui servait pour le cinéma et les spectacles, sous les applaudissements des petits séminaristes. (Archives Historiques du Diocése de Nantes)
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À gauche, le Supérieur, front contre front, avec François Levent. Ce geste est une sorte d’anticipation de l’ordination. À droite, la cérémonie du 21 novembre s’achève par une sorte d’engagement des petits séminaristes, le bras droit levé. Au centre de la photo : Joseph Clavier, en camail bordé d’hermine. (Collection François Levent)
Accolade, lors d’une cérémonie du 21 novembre : le Supérieur et l’auteur. (21 nov. 1962)
(Collection Gérard Olivaud)
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autre de les mettre à leur vraie place, la dernière ! La messe bien sûr — et la place de la Chorale était encore plus grande que lors d’une messe normale — eut toute la solennité indispensable pour ce grand jour. Le sermon particulièrement travaillé par un de nos professeurs — il avait dû avoir l’approbation Crespélienne ! — portait sur l’importance de l’engagement que nous prenions ce jour-là. Nous nous sentions comme des religieuses le jour de la prononciation de leurs vœux perpétuels ! La cérémonie se terminait, par une sorte d’engagement, chanté tous ensemble, bras droit levé (je n’ose vous dire à quoi ce geste me fait penser), et, par l’accolade du Supérieur front contre front à chaque nouveau séminariste, ce qui en faisait une sorte d’anticipation de l’ordination. Nous étions reçus en quelque sorte dans la grande famille cléricale.
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La journée ne se limitait pas à cette seule messe. Après le repas, plus copieux qu’à l’habitude, nous avions le droit de nous promener dans le jardin, le long de la promenade qui menait à la ferme et au manoir de la Porte Calon, en compagnie de nos parents s’ils avaient fait le déplacement. Les années suivantes, à la demande des familles, ce moment de la journée fut consacré à une réunion avec la direction de l’établissement. Grande nouveauté réclamée par un groupe de parents nazairiens qui considéraient que leurs enfants n’étaient pas au Carmel et qu’ils avaient un droit de regard sur leur éducation. En fin de journée avait lieu la cérémonie du Saint Sacrement et des vêpres. L’abbé Averty y menait l’harmonium, avec une allégresse et un allant vigoureux qui traduisait le bonheur de l’institution en cette fin d’après-midi.
La Fête de la Petite Vierge Les festivités du 21 novembre étaient propres au Petit Séminaire, je l’ai longtemps cru jusqu’au jour où j’ai appris, par des amis Guérandais, des vrais, des qui ont plus de deux générations au cimetière, les Ménager, que, le même jour, si le 21 était un dimanche, ou sinon le dimanche suivant, avait lieu, réservée aux petites filles et organisée par l’École Sainte-Marie, la Fête de la Petite Vierge. La symbolique en était semblable ! Une élève de l’Asile (la maternelle de maintenant ; mais le vocable de l’époque fait un peu peur !), désignée par l’école, représentait Marie. La procession partait, dans un premier temps, de l’école privée des filles, cependant, les choses sérieuses commençaient à l’entrée de la Collégiale. La Petite Vierge, vêtue de bleu
ciel et de blanc précédait le cortège des petites filles, ses suivantes, tout en blanc, même la couronne qu’elles portaient, petits mollets potelés à l’air libre. La voix grêle de la Sainte Vierge montait dans la nef au milieu de l’assistance nombreuse des parents et amis : Je suis la Vierge on m’appelle Marie Et, de ce pas, je viens vers le Seigneur Lui consacrer ma pureté chérie Et le prier de prendre tout mon cœur.
Les jeunes filles de la classe de certificat, dans les premiers rangs de l’assistance, répondaient au chant de la Vierge. Serment renouvelé de leur amour pour la mère du Christ jusqu’à leur heure dernière et sans retour. Le prêtre attendait le cortège en haut des quelques marches qui précédaient l’autel, dans son fauteuil capitonné, tourné vers l’assemblée. Les petites filles comme en demi-cercle à ses pieds. C’est alors que la Petite Vierge montait à la hauteur du prêtre, se plaçait devant lui, comme son égal et récitait la prière de consécration à Marie face à la nef. Quand on la relit, on pense à du Racine « Ariane, ma sœur de quel amour blessée, vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! » :
Procession de la Petite Vierge, dans les rues de Guérande, dans les années 50. (Collection Lacroix)
O Vierge Immaculée La joie qui inondait votre âme Aux beaux jours de votre présentation Se reflète en ce moment Sur le front de vos heureux enfants. Qu’il fut beau, qu’il fut grand, qu’il fut complet Le don que vous fîtes à Dieu Lorsque vous vîntes dans le temple Dès l’âge de trois ans Cachée à l’ombre de votre manteau virginal !
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Portraits Année scolaire 1965-1966, groupe de professeurs, devant le porche du petit séminaire. De gauche à droite :
Jean Monnier Joseph Neau Roland Couroussé Louis de Cadeville Pierre Guiller (direct.) Ambroise Bouillé Emmanuel Jaumouillé Yves Perray Louis Averty (Collection Jean-Yves Mahé)
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Comme j’en aurais la confirmation plus tard, mais nous nous en doutions un peu, aucun de nos professeurs n’avait fait le choix d’enseigner. Ils se retrouvaient là par hasard, ou par punition, peut-être, pour certains d’entre eux. Ne parlons pas du rôle du Saint-Esprit, car il faut bien dire que, dans certains cas, son choix s’est avéré malheureux. L’un d’entre eux, une catégorie à lui seul devrais-je dire, un père d’une grande gentillesse et finesse d’esprit pourtant, était totalement dépourvu d’autorité. Il fut notre professeur d’Anglais pendant quatre ans ! Decat pour les uns, Trottinette pour d’autres, à cause de sa démarche particulière : on avait l’impression qu’il marchait sur des œufs, à petits pas saccadés ! En fait, il serait plus convenable de lui donner son véritable nom, Louis-Marie-Henri Ameline de Cadeville, c’était une belle personne ! Mais à l’époque, nous ne lui avons pas fait comprendre ! J’imagine qu’il entrait en classe avec l’état d’esprit des martyrs dans l’arène. Offrant à Notre Seigneur cette heure de souffrance somme toute passagère et en rien comparable avec celle du vendredi Saint !
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Certains de nos professeurs n’aimaient pas ce qu’ils enseignaient ; d’autres, par timidité peut-être, ou par une complexion particulière de leur caractère, n’aimaient pas le contact. Que dire alors du contact avec des jeunes ! Certains cumulaient ces deux désamours ! La tenue des cours bien entendu se ressentait, disons de ce manque de vocation, ce qui est le comble pour un prêtre ! Cours magistraux de mathématiques pendant un an et demi. Punitions, d’abord 100 lignes puis 200 quand elle n’était pas faite en heure et en temps, puis enfin 500. Nous n’avons jamais eu autant de 500 lignes à rédiger que pendant cette année-là. Je me souviens de la technique utilisée pour aller plus vite : comme c’était la même phrase à répéter : je ne dois pas laisser tomber volontairement ma règle, nous en écrivions chaque mot verticalement. 22 fois par page, je m’en souviens. Allons soyons honnête, j’ai hésité avec 23 et j’ai vérifié : j… je… je… ne… ne… ne… dois… dois… dois… Quelle pédagogie ! Pas de questions. Chacun est censé suivre et comprendre ce qui va de soi. Successions d’exercices. Notes sèches, abruptes, sans conseil. 4,5 en fin d’année ! Élève paresseux, inattentif en cours ! J’ai échappé de peu au redoublement cette année-là !
Les cours de sciences naturelles, mais j’en ai déjà parlé. Ce professeur est pourtant loin de m’avoir traumatisé. Le livre était tout neuf, tout beau, toutes les illustrations en couleurs. L’abbé se contentait de le lire ; il n’avait même pas une leçon d’avance sur nous. Aucune note de quinzaine ! Bien sûr, pas de salle spécialisée ni d’expériences ! Je découvrirai les tubes à essai et les paillasses de labo en seconde ! Louis, un des plus facétieux de la classe, s’amusait à le mettre en danger par des questions un peu saugrenues. C’était devenu un rituel à la fin de chaque cours. Un jour, il lui demanda de lui expliquer la raison du Bang que produisent les avions lorsqu’ils dépassent le mur du son. Gêné de ne pouvoir lui répondre, l’abbé l’assura qu’il le renseignerait la semaine suivante au prochain cours. Effectivement, Louis eut sa réponse, comme promis. Mais, lorsqu’il s’étonna d’avoir entendu un jour deux Bangs, le père, devant l’assistance muette et très impatiente de savoir comment il allait s’en sortir cette fois-ci, l’entendit répondre de son air le plus convaincu possible que c’était simple, qu’il y avait deux avions. Stupéfaction, silence étourdissant ! L’abbé Couroussé rentrait pour le cours de Français, et se demandait pourquoi nous étions si attentifs ce jour-là ! Souvenir aussi d’un père aux lunettes en corne, à double ou triple foyer, aux cheveux bruns presque crépus. Ses cours n’étaient pas inintéressants, mais nous sentions en lui une impatience, une violence même parfois qu’il avait bien du mal à contenir si, par hasard, un élève se laissait aller à quelque impertinence supposée. Je dis supposée car il nous effrayait réellement. Quand ses mains vous serraient progressivement, mais de plus en plus fort les poignets, que ses dents semblaient grincer (si, si, je n’exagère pas), que ses yeux vous fixaient avec une intensité telle qu’on peut dire sans exagérer qu’ils brûlaient, on sentait qu’il avait beaucoup de peine à prendre sur lui et que les coups n’étaient pas loin. Un collectif : mes profs de Français ! Un professeur différent chaque année. C’étaient des classiers, selon la terminologie d’un collègue de Saint-JeanBaptiste, des professeurs qui vous enseignaient l’orthographe, la conjugaison et la grammaire, mais ne s’attachaient pas à nous apprendre l’art de la composition. C’est un peu curieux pour de futurs prêtres, qui auraient plus tard un sermon à composer chaque dimanche ! On ne peut pas uniquement compter sur l’Esprit Saint ! Mais comment composer, nourrir son imagination ? Mais comment enrichir une phrase, varier le vocabulaire et les tournures ? Cela semblait relever du don. On avait le talent ou pas. Les sujets de rédaction étaient souvent les mêmes,
les moissons, une première partie de chasse et, le plus compliqué, parce que je n’avais aucune idée de la chose, si ce n’est par le texte que nous avions étudié préalablement et que j’avais tendance à paraphraser : les semailles ! D’où l’invariable remarque : Manque d’imagination ! Peut-être le professeur avait-il raison cependant ! Ceci dit, bonheurs de certains textes, mes professeurs m’ont donné le goût des mots : l’arrivée d’Ulysse chez les Phéaciens… Ah ! Nausicaa ! Tu dors, Nausicaa, il faut que tu sois belle !... Que d’amours splendides j’ai rêvées ! Et puis Ulysse et Polyphème… Et en quatrième, la découverte des Classiques en textes intégraux… Le Cid… Le monologue de Don Diègue… Les stances de Rodrigue. Plus tard, en troisième, plaisir rare, car peu de collégiens l’abordaient, la littérature médiévale : Roland à Roncevaux, Ruteboeuf et surtout Villon ! La Ballade des Dames du Temps Jadis : Dites-moi où, en quel pays… En fin d’année, Andromaque revivant littéralement le sac de Troie… Songe, songe Céphise à cette nuit cruelle/ qui, pour tout un peuple, fut une nuit éternelle/ Figure-toi Pyrrhus les yeux étincelants/Entrant à la lueur de nos palais brûlants. Par cœur, devant toute la classe ! Le cœur qui bat, l’impression d’avoir tout oublié et le miracle ! Tout s’enchaîne grâce à la magie des mots, parce que chacun est à sa place, qu’en oublier un, c’est faire une fausse note, un affront au rythme ! Ce rythme dont on ne comprend pas bien le sens, mais dont on ressent l’importance ! Écoutez bien, nous avait dit l’abbé Couroussé, alors que nous allions dans la salle de sport, nouvellement construite, de Saint-Jean-Baptiste,
L’abbé Guiller, avec chapeau et cigarette, supérieur du petit séminaire, les deux dernières années. (Collection Antoine Bertho)
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A . P. H . R . N
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Le dortoir du Petit Séminaire, à Guérande, au début des années 1960 (Archives Historiques du Diocèse de Nantes)
Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal
La chapelle Saint-Michel, à Guérande, devant le Petit Séminaire
(juin 2014)
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