HISTOIRE & PATRIMOINE RÉGION
NAZAIRIENNE
PRESQU’ÎLE GUÉRANDAISE
Patrimoine - Histoire - Culture, en Pays Noir / Pays Blanc
Les temps nouveaux de l’art moderne à Saint-Nazaire
Frédo Sérazin, un résistant nazairien, mort pour la France
Les maires de Saint-Nazaire (6
e
Nestor Rombeaut
Gustave Bord, gloire et ruine d’un Nazairien
Un démocrate chrétien Croix et calvaires en terre socialiste partie)
de Mesquer
A.P. H.R.N - n° 99 - novembre 2020 - 10 €
Aspect du front de mer de Saint-Nazaire pendant l’Occupation. (Collection Patrick Pauvert)
C
Éditorial
e trop fameux virus continue de mener la danse. Il se propage, sans gêne, il guette chacun, prêt à s’inviter chez tous. Les plus forts résistent. Les plus faibles disparaissent. Règne la loi du monde sauvage. Notre revue, elle, ne disparait pas. Nous ne pouvons pas nous réunir, mais elle est le trait d’union entre les adhérents, les lecteurs, et les auteurs. Son importance, sa raison d’être, en est d’autant plus affirmée. Nous continuons de décrire la vie locale passée et son lien avec le présent. Ainsi, découvrons-nous le destin tragique d’un résistant nazairien, Frédéric Sérazin et de son épouse. Emprisonné, torturé, il fut exécuté par la Gestapo, et son épouse, France Bloch, guillotinée, en Allemagne. Les maires qui se succèdent, à Saint-Nazaire, participent, activement, à l’histoire de leur ville. Leur rôle, dans les périodes difficiles, est déterminant, notamment, bien sûr, dans l’immédiat après-guerre, quand tout est à reconstruire, quand la vie ne reprend pas dans l’abondance et la facilité. L’histoire ne comporte pas que des conflits, elle se reflète dans les œuvres d’art qu’elle inspire. Les artistes, aussi, ont droit à la notoriété, telle Madeleine Massonneau. Nous lui devons la fresque, fraîchement restaurée, sur les murs du hall d’entrée de l’ancienne école Jean Jaurès. Au Jardin des Plantes, une statue, La Faunesse, œuvre du sculpteur Charles Despiau, elle aussi récemment restaurée, fait, tout comme la fresque, partie du programme engagé par la Ville de Saint-Nazaire. Tous les hommes n’ont pas le même destin. Certains, issus de familles très aisées, peuvent suivre des études et fréquenter, ensuite, des milieux intellectuels et huppés. Gustave Bord est de ceux-là. Ses écrits sont une source de documentation historique. Le récit de sa vie, un regard sur la société de son temps. La vision d’une certaine architecture nous est donnée par ce qui reste des villas balnéaires. Certaines demandent de la curiosité pour être découvertes, parmi les hautes herbes et arbustes, qu’il faut écarter, et dans les archives, qu’il faut consulter. C’est ce qu’a fait l’auteur de cet article, consacré à la villa/ château des Charmilles, à Porcé. Nous faisons un tout autre genre de découverte en lisant l’enquête sur la maison appelée « Ker Eugénie » à Méan, ancienne demeure d’un capitaine au long cours, qui s’inscrit dans l’inventaire du patrimoine architectural de Saint-Nazaire. Notre ville a, aussi, une histoire ouvrière, dans laquelle nous nous plongeons, à travers le parcours de Nestor Rombeaut, entré dans le monde du travail, à 18 ans, comme soudeur à l’arc. Il a suivi, au fil des années, une trajectoire peu commune : leader syndical, député, vice-président de groupe, très actif (surtout sur des thématiques sociales, liées au monde du travail), à l’Assemblée nationale, de 1958 à 1962. Dans la partie ouest de la presqu’île, à Mesquer, nous découvrons des croix et calvaires, qui sont les témoins et traces de la vie des habitants. L’auteur nous entraine dans son travail de recherches, méticuleux, précis, et joliment illustré. Éloignons-nous, un peu, de la presqu’île, vers le Finistère et Belle-Île, sur les pas de celle qui a été surnommée, par les îliens, « La bonne dame de Penhoët » (Penhoët est un lieudit de Belle-Île), Sarah Bernhardt. L’auteur évoque les liens de la grande artiste avec la Bretagne et nous dévoile quelques points de son histoire. En Bretagne, Vauban, l’ingénieur et architecte de Louis XIV, a laissé de nombreuses traces de son passage, le long du littoral. L’article passe en revue les principales réalisations, dans notre région, de celui qui a apporté une contribution majeure à l’architecture militaire de son époque. Notre aumônier breton continue son périple. Il remplit sa mission d’évangélisation des habitants de la côte africaine. Son texte présente toujours un grand intérêt. C’est un témoignage précieux, car il nous fait partager, en détail, sa vie ecclésiastique et maritime, au milieu du XIXe siècle. Un pays qui aurait oublié totalement son histoire, et même sa langue, n’existerait plus, ou serait sur le déclin. Désormais, les outils numériques, à la portée de tous, ouvrent la porte à chacun. Il en est ainsi pour les archives de Saint-Nazaire, qui viennent d’être mises en ligne, facilement accessibles, dans un portail dédié, très fonctionnel. Pour terminer la lecture des articles parus dans notre revue, tous documentés, évocateurs, surprenants parfois, en un mot, tous sérieux, une nouvelle vient solliciter l’imaginaire étayé du raisonnement. Les personnages sont des gens respectables, mais ils évoluent dans un environnement particulier, les circonstances le sont tout autant. À la différence de certains films, on ne trouve, pour nous guider, aucune empreinte, ni enquête, ni preuve. L’action se déroule chez nous, à quelques kilomètres de notre côte. C’est vous qui jugerez… Christiane Marchocki.
1ère page de couverture : Vue partielle (mur sud) de la fresque, de Madeleine Massonneau, qui couvre les quatre murs du hall d’entrée de l'ancienne école Jean-Jaurès, à Saint-Nazaire. (Les ports de Saint-Nazaire, Pillet - Inventaire du Patrimoine culturel. Région des Pays de la Loire)
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 1
A . P. H . R . N
Association Patrimoine et Histoire de la Région Nazairienne Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - https://aphrn-asso.fr - Tél. 06 07 11 21 88
HISTOIRE & PATRIMOINE n° 99 - novembre 2020 ÉÉditeur : A.P.H.R.N Direction de la publication : collégiale (voir dernière page) Maquette/Mise en page/Coordination : Tanguy Sénéchal Impression : Khilim Dépôt légal : 4e trimestre 2020 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145
Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 07 11 21 88, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire
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2 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020
SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 99 — novembre 2020
01 P. 60
Éditorial
Christiane Marchocki
04
Un résistant nazairien, mort pour la France, Frédo Sérazin
18
Les maires de Saint-Nazaire - 6e partie 1941 -1947
Alain Quella-Villéger Patrick Pauvert
Les temps nouveaux de l'art moderne
P. 74
34 Deux œuvres restaurées par la Ville de Saint-Nazaire Emmanuel Mary
Gustave Bord, gloire et ruine d’un Nazairien
46 Première partie : La montée en gloire Loup
Grandeur et décadence des villas balnéaires 60 à Saint-Nazaire - 1e partie Bernard Tabary
P. 100
74 83
Enquête patrimoine autour de "Ker Eugénie" Stéphanie Le Lu
Nestor Rombeaut, un démocrate-chrétien en terre socialiste François Prigent
Croix et calvaires de Mesquer,
P. 112
92 dans la vie quotidienne Jocelyne Le Borgne
Sarah Bernhardt,
100 Fleur-de-lait, la bonne dame de Penhoët Jean de Saint-Houardon 112 P. 117
117
Vauban et la Bretagne Michel Labonne
Journal d’un aumônier breton - 1850 - 29e partie
Christiane Marchocki
L'HISTOIRE et L'IMAGINAIRE 120 Un doute... Christiane Marchocki
ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI 124 Le portail web des Archives de Saint-Nazaire est en ligne ! Gaëlle Ouvrard
P. 120
À LIVRE OUVERT 128 - Mesquer-Quimiac, Regards - (Guy Le Diouron) - Jocelyne Le Borgne 128 129 - France Bloch-Sérazin - Une femme en résistance (1913-1943) (Alain Quella-Villéger)
130 - Tout le monde sait qui a tué Steve - (Nicolas Mollé) 132 L’ASSOCIATION
P. 124 novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 3
Un résistant nazairien mort pour la France
Frédo Sérazin
Alain Quella-Villéger1 À la différence de son épouse France Bloch-Sérazin, résistante guillotinée par les Nazis en 1943 dont la mémoire a été régulièrement entretenue, le souvenir de Frédo Sérazin est resté plus confidentiel. Son action courageuse mérite pourtant d’être connue dans la ville où il est né. 1
1 - Auteur de France Bloch-Sérazin. Une femme en résistance – 1913-1943 (Des Femmes/A. Fouque, 2019, Prix littéraire de la Résistance 2019 ; nouvelle édition au format de poche, mise à jour, parue en septembre 2020). À noter aussi le téléfilm réalisé par Marie Cristiani, France Bloch, Frédo Sérazin – Un couple en Résistance (2005) et son livre : Mon Frédo (Arcane 17, 2018).
4 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020
Un destin ouvrier
F
rédéric Baptiste Marie Sérazin, dit Frédo, est né à Saint-Nazaire le 7 mars 1906, fils de Frédéric Marie Sérazin, tourneur aux Chantiers de la Loire, et de Joséphine Marie Dorso, sans profession. Aîné de cinq frères et sœurs, il a passé sa jeunesse à Saint-Nazaire. Après son certificat d’études en juin 1918 (mention Bien), il travaille dès le lendemain chez un imprimeur comme ‘‘courantin’’ (livreur). Puis, le 4 août 1919, il entre en apprentissage aux Chantiers de la Loire, sous la direction de son père qui n’a pas voulu qu’il poursuive sa scolarité, comme l’avait conseillé son instituteur. D’une grande curiosité intellectuelle, même s’il n’a pas eu la chance de pouvoir faire des études, il cherche en permanence à développer ses connaissances dans de nombreux domaines et établit des fiches détaillées concernant ses lectures, ses activités, la musique…
Ci-contre La famille Sérazin, vers 1912, à Saint-Nazaire : Frédo (dénommé d’après le prénom de son père) est à droite, son frère Alexandre debout à gauche. Devant ce dernier, leur sœur Fifine (dénommée d’après le prénom de sa mère). Paulette est sur les genoux. Un garçon reste à naître. Page de gauche Frédo, vers 1927.
Les maires de Saint-Nazaire Sixième partie 1941 -1947 Patrick Pauvert Nous continuons l’histoire des maires de Saint-Nazaire. À la fin de la cinquième partie, nous finissions avec la démission de François Blancho. Celle-ci est notifiée le 18 juillet 1941. 18 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020
24 - Escurat Bernard
18 juillet 1941 – 16 septembre 1941
S
on adjoint, Bernard Escurat, assure l’intérim (son voisin de palier en 1903, rue Alcide Benoist).
25 - Toscer Pierre
16 septembre 1941 – 12 mai 1945 Le 22 juin 1941, le Sous-Préfet, M. Douay convoque M. Toscer qui arrive d’un voyage professionnel. Il lui expose la situation embarrassante de la ville depuis la démission de François Blancho et lui demande de prendre en charge la direction des affaires municipales. La réponse de M. Toscer est cinglante : « Je ne suis pas un homme politique ! - Justement, nous avons besoin d’un homme comme vous en ce moment tragique » lui rétorque le Sous-Préfet. M. Toscer demande à réfléchir. Il tient à remplir complètement son rôle d’ingénieur aux Chantiers de la Loire. Le temps passe, le Sous-Préfet lui renouvelle sa demande d’une manière pressante. Le 29, M. Toscer se rend à Paris pour en parler avec sa Direction. Celle-ci ne faisant aucune objection, il fait part au Sous-Préfet de son acceptation. Le 16 septembre 1941, il est officiellement nommé maire et chargé de constituer un conseil municipal. Il essaie de réunir un vaste éventail d’opinions politiques et demande même à François Blancho d’y prendre place. Le 6 octobre 1941, M. Escurat présente le personnel municipal au nouveau maire. Pierre Toscer est né à Brest le 11 juin 1893 (9 jours avant François Blancho). Il arrive à Saint-Nazaire à l’âge de 6 ans. Il fait son école primaire à Carnot, puis il entre aux Chantiers comme apprenti (comme François Blancho). Il poursuit ses études à l’École Pratique d’Industrie de la rue Victor Hugo puis à l’école des Arts et Métiers d’Angers d’où il sort ingénieur. Pierre Toscer est connu dans le milieu de la musique amateur. D’autres parts il a reçu Croix de Guerre 1914. Dans son discours d’ouverture, le maire entend ne tenir personne à l’écart, administrer avec tous et pour tous sans préoccupation d’opinions, de confessions, ni de personnes. Une rude tâche attend la nouvelle municipalité. Elle doit gérer le ravitaillement, les abris, la défense passive, l’organisation scolaire, les cantines, les évacuations, les relations avec l’occupant.
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 19
Page de gauche L’église Saint-Nazaire et une partie de la place Carnot (actuelle place des Quatre Z'horloges), après la libération de la Poche, en 1945. On aperçoit, à gauche, l'angle et le balcon du "Grand Café". Ci-contre Pierre Toscer (à droite), maire de Saint-Nazaire, de 1941 à 1945.
Les temps nouveaux de l'art moderne
Deux œuvres restaurées par la Ville de Saint-Nazaire Emmanuel Mary Chargé des Patrimoines, Mission Ville d’Art et d’Histoire. Ville de Saint-Nazaire
La Ville de Saint-Nazaire vient d’achever la restauration de deux œuvres importantes de son patrimoine. Cette action trouve sa place dans le développement du programme Ville d’Art et d’Histoire, qui a fait des arts décoratifs et de l’art dans la ville un sujet majeur.
L
es deux œuvres font, à l’origine, partie d’une même dynamique, de commande publique pour l’une, de dépôt d’État pour l’autre. Elles prennent place dans un contexte politique spécifique : celui de la mise en place et consolidation d’un nouveau pouvoir municipal à partir de 1925. Qu’il nous soit permis ici de développer brièvement ce fait – majeur dans l’histoire de Saint-Nazaire – et sans lequel on ne peut comprendre la présence de ces œuvres. Au tournant des années 1930, François Blancho n’est plus un débutant en politique. Le parcours de ce nouveau et jeune maire est très « représentatif » d’un nouveau temps politique. Orphelin, de famille modeste, il est recueilli par une tante habitant Saint-Nazaire et devient mousse1 puis apprenti aux chantiers navals. C’est dans cette industrie qu’il rencontre le syndicalisme à travers celui qui devient son mentor : Henri Gautier. Figure éminente de la gauche de Loire-Atlantique, Gautier est un syndicaliste ayant largement investi le champ politique en se présentant à de nombreuses élections. Il est considéré comme la personnalité qui dans les faits structura la « gauche nazairienne ».
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 35
Vue partielle (mur sud) de la fresque, de Madeleine Massonneau, qui couvre les quatre murs du hall d’entrée de l'ancienne école Jean-Jaurès, à Saint-Nazaire. (Les ports de Saint-Nazaire, Pillet - Inventaire du Patrimoine culturel. Région des Pays de la Loire)
Gustave Bord Gloire et ruine d’un Nazairien Première partie :
La montée en gloire Loup1
1 - Loup est l’auteur du blog Chroniques de Saint-Nazaire : http://saint-nazaire.hautetfort.com
Gustave Bord, un homme dont le nom est connu des Nazairiens, sans qu’ils sachent réellement qui il était. Fernand Guériff en parla dans son histoire de SaintNazaire, faisant allusion à son château des Charmilles, à Porcé, et à ses écrits historiques consacrés à la ville.
Grandeur et décadence des villas balnéaires à Saint-Nazaire Première partie Bernard Tabary
Je voudrais commencer cet article par un rappel de notre dernière revue – n° 98, juillet 2020 –, délicatement glissée dans nos boîtes aux lettres après le confinement, mais bien avant, hélas, que nos réunions puissent recommencer.
P
articulièrement, je m’intéresse à l’article sur la Villa Mektoub, sise au 37 rue de la Vecquerie à Saint-Nazaire. Si tu ne la situes pas, la rue de la Vecquerie est la voie d’entrée à Saint-Nazaire quand on vient de Pornichet. La villa Mektoub n’est nullement l’une des villas balnéaires dont j’ai l’intention de te parler : elle est trop récente pour cela (années 30 – 1930 !). Mais sa situation a beaucoup à voir avec mon sujet.
60 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020
Le Château Fantôme D’un côté (ouest), la villa Mektoub est bordée, presque englobée, engloutie, dévorée par un gros immeuble en construction – je suis sûr que les promoteurs ont eu très envie de la démolir pour agrandir leur bâtiment et multiplier leurs clients ; c’est un petit miracle qu’elle existe encore ! De l’autre (est) – c’est là que ça devient intéressant – elle a pour voisin un blockhaus/bunker allemand surmonté d’une tour de surveillance aérienne FL 241, crénelée pour entuber l’ennemi anglais pendant la guerre 40-45 ! et la faire confondre avec un donjon de château fort.
Le trompe-l’œil est assez naïf et n’a pas dû abuser grand monde ! Les trois tours de surveillance de Saint-Nazaire ont survécu, la seconde au Grand Marsac, également une FL 241, la troisième à Saint-Marc, plus grande, plus importante – FL 250 : c’était un poste de commandement de la défense aérienne de Flak-City, la Festung (forteresse) Saint-Nazaire. Pour être complet, le dispositif comprenait deux autres FL 241, situées à Mindin (Saint-Brévin) et à Montoir-de-Bretagne. Et juste à côté du blockhaus et de la tour FL 241, tu te trouves brusquement devant un portail monumental en fer forgé, aux piliers en pierres et briques, marqué du n° 35, qui débouche sur… un banal bout de rien du tout, menant au chemin de Porcé. Il y a là quelque chose d’insolite, d’absurde même… Tu veux comprendre ! Et tu vas comprendre. Suis-moi. Passe le portail – il est ouvert en continu –, tu rejoins le chemin de
Porcé en longeant une école primaire et maternelle appelée Ferdinand Buisson. Tu tombes vite, ensuite, sur une rue qui descend, à droite vers le gymnase de Porcé. Il se trouve que j’apprends aujourd’hui, 25 septembre 2020, que va paraître, en même temps que cet article, un autre signé Loup et intitulé Gloire et ruine d’un Nazairien : Gustave Bord. Nous ne nous sommes nullement concertés : il faut croire que c’est dans l’air du temps. Il se trouve que Gustave Bord a été le fils du propriétaire puis le propriétaire (vingt ans) de l’une des villas balnéaires dont je dois te parler. Il y aura donc des recoupements – inévitables – entre nos deux articles, l’un éclairant l’autre. Et c’est très bien. Puisque je viens de parler de Loup, j’en profite pour dire que ses Chroniques de Saint-Nazaire sont une source inépuisable de renseignements sur Saint-Nazaire et sur son patrimoine. De mon point de vue, limité certes, Loup est carrément la mémoire de Saint-Nazaire. J’y reviendrai à la fin de mon texte.
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 61
La plage de Porcé, de nos jours, avec, au fond, la villa " Les Mouettes ". (Photo Bernard Tabary)
Enquête patr imoine autour de "Ker Eugénie" Stéphanie Le Lu Chercheuse Inventaire du patrimoine culturel pour la Ville de Saint-Nazaire
Soucieuse de connaître son patrimoine pour mieux le protéger et le transmettre, la Ville de Saint-Nazaire s’est engagée depuis 2014 dans l’inventaire du patrimoine architectural de l’ensemble du territoire communal. Réalisée en partenariat avec la Région des Pays de la Loire, garante de la méthodologie et des normes scientifiques, cette opération tente une mise à plat des connaissances de l’histoire et du patrimoine bâti de la cité, en croisant les sources depuis leur origine.
M
ais comment retracer l’histoire d’un édifice quand une partie du territoire et des archives a été détruite ? Quand les acteurs d’autrefois ne peuvent plus témoigner ? Comment combler ces lacunes ? La recherche prend alors tout son sens et s’apparente à un véritable travail de détective, entre hypothèses, déconvenues et découvertes. Deuxième « enquête patrimoine »1, consacrée cette fois à Ker Eugénie, élégante demeure du quartier de Méan.
Quelques précisions Avant de commencer, quelques petites précisions à propos de cet article. L’objectif ici n’est pas de raconter la longue et passionnante histoire de Méan, plusieurs ouvrages de qualité l’on fait2 et les informations que vous rencontrerez au fil de ces quelques pages en sont pour beaucoup issues. L’idée n’est pas non plus de retracer la généalogie, ni les parcours de certaines familles méannaises « célèbres », les ouvrages cités plus haut en font, pour certains, état et la généalogie est un vaste champ de recherche qui ne fait pas partie des missions de l’Inventaire. L’objectif est plutôt de donner aux lecteurs, une méthode dans l’observation du bâti et dans la recherche de documents d’archives. C’est aussi lui transmettre des outils, en lui signalant des sources, afin qu’il soit autonome dans ses propres investigations. Ces quelques éclairages faits, voici le processus de la recherche de « Ker Eugénie ».
Un emplacement stratégique Entre le Brivet et la rue de Trignac, au nu méro 270, se dresse « Ker Eugénie », une demeure cossue, dont le style architectural est caractéristique de la fin XIXe siècle et du début XXe siècle. La maison, construite sur une importante parcelle, présente un plan rectangulaire double en profondeur. Elle se compose d’un demi-sous-sol, d’un rez-de-chaussée surélevé, d’un étage carré et d’un comble. La façade est ordonnancée et symétrique. La pierre de Sireuil des encadrements des ouvertures, des chaînes d’angles, des corniches et des bandeaux contraste avec le granite disposé en opus incertum3 de la façade d’entrée.
Ci-contre Détail de la porte d’entrée. (© Stéphanie Le Lu. Inventaire du patrimoine. Ville de Saint-Nazaire).
Page de gauche Élévation principale du n° 270 de la rue de Trignac (© Denis Pillet. Région des Pays de la Loire. Inventaire général)
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 75
Nestor Rombeaut
un démocrate-chrétien en terre socialiste François Prigent Agrégé et docteur en histoire contemporaine Université Rennes 2 (Tempora 7468) Secrétaire de l’Association Maitron Bretagne (AMB)
L’élection d’Audrey Dufeu-Schubert (La République En Marche-LREM) en juin 2017, dans une séquence de reflux électoral généralisé du Parti Socialiste (PS), en France comme dans le Grand Ouest, se révèle exceptionnelle si l’on appréhende le tempérament politique de la circonscription de Saint-Nazaire sur le temps long1.
E
n effet, depuis 1928, c’est seulement la quatrième fois que le siège de député échappe à un représentant du parti socialiste (SFIO, FGDS, PS), ce qui, clairement, correspond aux critères établis par l’historiographie récente pour définir un fief électoral dessinant un enracinement politique profondément ancré2. Grand jeu de chamboule-tout, cette reconfiguration du système partisan ouverte par les scrutins de 2017 n’est pas sans rappeler le renouvellement brutal du personnel parlementaire au début de la Ve République, à la fin de l’année 19583. 1
1 - Philippe Le Pichon, « Un siècle d’élections dans une ville portuaire et industrielle de la France de l’Ouest, Saint-Nazaire (1871-1986) », in Géographie Sociale, n° 6, mars 1987, Nantes, pp. 251-259. Philippe Le Pichon, « L’identité politique de Saint-Nazaire est-elle socialiste ? », in Daniel Sicard, Saint-Nazaire et la construction navale, Nantes, Écomusée, 1991, pp. 91-109. 2 - François Dubasque, Eric Kocher-M arboeuf (dir.), Terres d’élections. Les dynamiques de l’ancrage politique (1750-2009), 2014, PUR, Rennes, 432 p. 3 - Erwan Le Gall, François Prigent (dir.), C’était 1958 en Bretagne. Pour une histoire locale de la France, éd. Goater, Rennes, 2018, 516 p.
Convoquons ici de nouvelles sources archivistiques4 pour éclairer l’itinéraire atypique d’un démocrate-chrétien en terre socialiste, Nestor Rombeaut (1911-2005), brièvement député de Saint-Nazaire entre 1958 et 19625. »» »» »» »» »» »» »» »» »» »»
François Blancho (SFIO, 1928-1940) ; Jean Guitton (SFIO, 1945-1958) ; Nestor Rombeaut (MRP, 1958-1962) ; François Blancho (SFIO, 1962-1967) ; Georges Carpentier (FGDS-PS, 1967-1978) ; Claude Evin (PS, 1978-1993) ; Étienne Garnier (RPR, 1993-1997) ; Claude Evin (PS, 1997-2007) ; Marie-Odile Bouillé (PS, 2007-2017) ; Audrey Dufeu-Schubert (LREM, depuis 2017).
Ainsi, Nestor Rombeaut s’insère dans une multiplicité de filières militantes qui irriguent la démocratie-chrétienne (JOC, CFTC-CFDT, MRP). 4 - Arch. Dép. de Loire-Atlantique. – Arch. du CHT de Nantes. - Arch. de la Fondation Jean Jaurès, dossiers Loire-Atlantique. – Données d’État-Civil (Arch. Dép. du Nord–Pas-de-Calais). 5 - Pour aller plus loin, cf. Jean Maitron, « notice Nestor Rombeaut », in Le Maitron, Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier et du Mouvement Social (DBMOMS), en ligne, http://www.maitron.fr et François Prigent, « notice Nestor Rombeaut », in Sabine Jansen (dir.), Dictionnaire des parlementaires de la Ve République, en ligne www.assembleenationale.fr.
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 83
Portrait de Nestor Rombeaut. (amicalemrp.org).
Rassemblement Il apparaît comme un des dépositaires d’une ouvrier sur le terre- subculture minoritaire au cœur d’un des basplein de Penhoët 6 (Nestor Rombeaut tions du mouvement ouvrier socialiste . Cette er se trouve au 1 plan notion de subculture, à penser comme une à gauche). Les grèves culture politique dominante à l’échelle micro-lode la métallurgie à Saint-Nazaire, en cale, transparaît dans l’existence d’une véritable août 1955, marquées contre-société chrétienne-sociale, agrégeant notamment par la mort des filières militantes et tissant des réseaux de de Jean Rigollet (tué par balle lors d'une relations multiples autour de valeurs, représencharge policière) tations et comportements partagés. jouent un rôle décisif À l’ombre d’un mouvement ouvrier travaillé dans les mutations des cultures syndicales, par la grille de lecture de la lutte des classes, il notamment à la CFTC, existe à Saint-Nazaire des segments de la sooù la position ciété locale soudés par l’adhésion à la doctrine de Nestor Rombeaut reste centrale. Pour aller plus loin : 6 - Pour un regard décentré, sur la part des communistes en cf. https://journals.openedition.org/chrhc/3923 et http://docplayer. fr/44160779-Histoire-cfdt44-cahier-n-3-les-greves-des-metallos.html (EP 1423 Archives CHT Nantes. Coll. USTM CGT 44).
milieu socialiste cette fois, cf. Julian Mischi, « La structuration d’une organisation communiste en terre socialiste : le PCF à Saint-Nazaire (1945-1970) », in Aremors, D’une République à l’autre, Nantes, éd. du Petit Véhicule, 2003.
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sociale de l’Église (dont la traduction militante à la CFTC, à la JOC ou au MRP tend à s’exprimer de façon très contestataire à l’aune de la démocratie-chrétienne française). La fidélité de Nestor Rombeaut à cette culture politique témoigne de ces parcours, minoritaires, de chrétiens sociaux, qui n’évoluent pas vers la gauche. Pourquoi ne suit-il pas ce courant des « chrétiens de gauche », ou plutôt des « chrétiens à gauche7 », dont la rupture avec 7 - Denis Pelletier, Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Le Seuil, Paris, 2012, 614 p. Jean Guiffan, « À la gauche du seigneur », in Place publique, Nantes, 2007. Yvon Tranvouez, Gert-Rainer Horn (dir.), « L’esprit de Vatican II. Catholiques de gauche en Europe occidentale, années 1960-1970 », in Histoire@Politique, n° 30, 2016 (actes du colloque de Paris, 21-22 mai 2015). François Prigent, « Chrétiens de gauche, chrétiens à gauche ? Plongée dans les réseaux socialistes des mondes chrétiens en Bretagne (1945-2004) », in En Envor, revue d’histoire contemporaine de la Bretagne, n° 6, 2015, 30 p.
Croix et calvaires de Mesquer dans la vie quotidienne
Jocelyne Le Borgne 92 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020
L
es archives consultées et les documents photographiques permettent aujourd’hui d’en retrouver leur trace et d’évoquer quelques évènements dont ces monuments furent témoins, en commençant par la croix la plus ancienne : la croix pattée qui est aujourd’hui installée sur le rond-point de « Kergoulinet ».
La croix pattée ou croix de l’ancien cimetière de Mesquer. Autrefois, le cimetière se situait autour de l’église qui fut démolie en 1894 : une croix pattée située au sud-est de son chevet a veillé sur les sépultures des siècles durant. Au XIIe et XIIIe siècle, les templiers de Faugaret qui installèrent des moulins à eau sur les étiers de Mesquer et d’Assérac, furent-ils également les bâtisseurs de la première chapelle de l’église Notre Dame-LaBlanche, cette croix pattée ou croix templière pourrait le laisser penser, mais aucun document déposé aux Archives départementales de la Vienne ne vient à ce jour étayer cette hypothèse ! La croix est évoquée dans les archives paroi ssiales, en octobre 1649, quand Jacques Haumon (1607-1675), meunier au service des seigneurs de Tréambert, revenant à quatre heures du matin du moulin de la Lande par la route de Guérande a « … le premier connoissance d’un enfant expossé sur la dicte croix du simitaire1… ». 1 - ADLA Mairie : BMS 1655-1687. P.166 et 1617-1669
Ci-contre La Croix Pattée du carrefour de Kergoulinet. On distingue bien les deux parties qui la constituent : la partie supérieure a été posée, en 1973, « sur un fût, taillé dans un linteau de vieille fenêtre ». (Collection privée).
En 1910, Georges Tattevin1 fait le premier inventaire des croix et calvaires mesquérais, érigés entre 1824 et 1908 à l’occasion de huit Missions et Jubilés. Il évoque quatre croix situées à la Noé, aux Parcelles sur la route de Mesquer à Guérande, à Kerhué et à Fontainebras, il précise que la plupart de ces croix sont octogonales.
Page de gauche Le Calvaire de Kerdandec, photographié, en 1898, par une famille estivant à Quimiac. Au fond, on distingue le village de Kerdandec qu’aucun arbre ne vient cacher !
1 - In « Monographie de Mesquer », dont le manuscrit est déposé à la Bibliothèque des Amis de Guérande.
(Collection privée)
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 93
Sarah Bernhardt
Fleur-de-lait La bonne dame de Penhoët Jean de Saint-Houardon Parler de la vie de Sarah Bernhardt en quelques pages, quand on ne saurait la résumer dans un solide ouvrage, est en soi une gageure, mais évoquer ses attaches en Bretagne et lever le voile sur quelques points de son histoire à partir d’éléments épars, mais éclairants, apparaît compatible avec la taille d’un article.
T
Page de droite Portrait de Sarah Bernhardt (1876). (Georges Clairin [1843–1919] - Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris - CC0 1.0 )
outefois, entre sa légende et son histoire entremêlées, il serait vain de vouloir faire la part entre le vrai et le faux, et l’exercice a ses limites. Ce qui est certain, c’est qu’elle émerveilla son public et que l’admiration que lui portèrent ses contemporains aura déjà fait d’elle un mythe de son vivant. Cette femme fatale au physique androgyne et au regard de jeune louve aura, par ses talents d’actrice et par sa voix d’or, par sa manière de déclamer les vers et par son côté mystérieux, exercé un pouvoir de séduction inégalable et, selon l’expression populaire, « fait tourner les têtes et chavirer les cœurs ». Si elle joua plusieurs dizaines de pièces avec une ardeur sans pareille en donnant à ses personnages une consistance que nulle comédienne n’avait jamais atteinte, que ce soit sous les traits de Phèdre ou de l’Aiglon, Sarah Bernhardt fut sans conteste l’actrice la plus adulée du Tout-Paris de la IIIe République, une actrice d’exception et d’une grande perspicacité dont on pourrait dire avec les mots d’aujourd’hui qu’elle fut la première représentante du Star System. Elle sut user de sa notoriété pour l’étendre encore davantage grâce à son sens inné de la publicité. Et à l’instar des acteurs ou chanteurs en vogue aujourd’hui, cette publicité fut entretenue par la presse parfois incitée à la faire par l’actrice elle-même, en s’intéressant tout particulièrement à sa vie sentimentale très agitée et à sa cour, qui comptait nombre de personnages atypiques, tant hétérosexuels qu’homosexuels.
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Il ne sera pas question de faire ici l’inventaire de ses succès, mais ceux-ci furent tels que pour lui rendre hommage, Louis Collin du Bocage dit Louis Verneuil, un auteur dramatique réputé qui la connaissait intimement pour avoir épousé en 1921 Lysiane Bernhardt, sa petite fille, écrira pour elle une pièce de théâtre, Régine Armand, dans laquelle elle incarne en quelque sorte son propre personnage. Pièce qu’elle jouera dans le théâtre qui portait son nom ! C’était le 20 avril 1922, soit onze mois avant qu’elle ne meure d’une crise d’urémie, à 78 ans. Si la pièce, une intrigue étriquée où il est question de femme adultère dans le bon ou le mauvais goût de l’époque, est médiocre, elle entr’ouvre les rideaux sur des allusions à la vie intime de l’actrice, notamment sur l’amour qu’elle portait à son fils. De ce fils adoré par sa mère, mais de peu d’intérêt, nous ne dirons plus loin que quelques mots. En dernier préalable, il serait d’abord injuste si l’on veut honorer honnêtement sa mémoire, de présenter Sarah Bernhardt comme une femme comblée. Son histoire est certes celle d’une passion pour le théâtre où elle s’est pleinement réalisée et, accessoirement, celle de son intérêt pour le cinéma muet qui la consacrera comme actrice dans ce nouvel art, mais c’est aussi une longue histoire de frustrations affectives et une vie traversée par la maladie. En effet, de santé fragile celle-ci se dégradera au fil des ans, jusqu’à l’amputation d’une de ses jambes, en 1915.
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 101
Vauban
et la Bretagne Michel Labonne En pensant à Vauban, nous pensons au pré carré, à ses actions sur la frontière de l’Est. Pourtant, ses réalisations maritimes sont importantes. La Bretagne a en maints endroits été fortifiée par le grand architecte. Très tôt, Sébastien le Prestre de Vauban (1633-1707) va être chargé par le roi de défendre les zones côtières. Il faut dire que l’architecte, le bâtisseur, le soldat qu’il était, interpelle souvent le roi pour le mettre en garde contre les attaques venues de la mer.
Vauban est « le premier des ingénieurs et le meilleur des citoyens » (Voltaire). Buste de Vauban (Photo Michel Labonne)
A
près la guerre de Hollande, qui se déroule de 1672 à 1678, Vauban a accentué son influence et son prestige. Il devient Commissaire Général des Fortifications. Il hérite ainsi d’un travail confié à d’autres, qui s’accentue encore à la mort de Colbert et qui va devenir déterminant durant la guerre de la ligue d’Augsbourg encore appelée « guerre de neuf ans » (1697-1688).
Vauban l’organisateur
Durant donc une période qui va de 1678 à 1697, Vauban va répertorier les sites, les organiser, les défendre. Il va prévoir et contrer les attaques de l’ennemi : les flottes combinées de l’Angleterre et de la Hollande. Guillaume III d’Orange-Nassau, stathouder des provinces de Hollande, des Provinces-Unies, va devenir de plus, à partir de 1689, roi d’Angleterre. Il va diriger toute la puissance de ses flottes sur les côtes françaises : du Nord jusqu’à la Bretagne. Mais Vauban va anticiper les attaques, et avec une petite armée de bons ingénieurs comme Siméon Garangeau à Saint-Malo ou de bons intendants et officiers comme Hubert Desclouzeaux à Brest, il va faire ce qu’un bon responsable se doit de faire : prévoir… D’autant qu’en 1692 la France perd la bataille navale de la Hougue (malgré les avertissements de Vauban qui voulait une base solide sur cette partie du territoire).
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 113
Ci-contre La Tour Vauban, à Camaret-sur-Mer (Finistère). (Photo Calips - CC BY-SA 3.0)
Journal d’un aumônier breton 1850 -
29e partie
Christiane Marchocki Ce qui suit est l’image de la société d’une certaine époque et d’un milieu particulier : ceux qui sont à terre, et ceux qui sont en mer. Ainsi les officiers font la fête à tribord et les matelots à bâbord. Tant il est vrai que tribord est toujours le côté de l’honneur.
A
ctuellement, un canot de service accostera, obligatoirement, un bâtiment à tribord. D’autant plus s’il y conduit une personnalité. C’est à tribord que se trouve la cabine du capitaine. C’est à tribord qu’on hisse le pavillon de courtoisie en abordant un pays étranger. Lors de nos régates d’été, le long de nos côtes, les règles de route sont respectées. A priorité celui qui arrive « tribord amure ». Il ne ralentira pas d’un centimètre, il vaut mieux, pour l’autre concurrent, modifier son cap. Cela engendre une tactique qui vaut largement celle des échecs. Enfin, la diplomatie ecclésiastique est un moment remarquable. Sérieux, mais amusant. L’espace est restreint sur un bateau. On imagine ce brave homme esquivant les conversations délicates. Et quel style, pour l’exprimer ! En un mot, il semble qu’on ne s’ennuie pas à bord. Les mondanités n’y manquent pas. Il faut savoir que l’étiquette navale et la discipline sont des plus rigoureuses. C’est un milieu très conservateur. Ainsi, on a longtemps dit « la Royale » et non la « Marine nationale », et, le drapeau tricolore n’a pas rapidement détrôné les fleurs de lys. Les officiers étaient bien souvent les cadets des familles nobles.
La vie à bord, telle qu’elle nous est décrite, est proche de la nôtre, seuls le cadre et les circonstances diffèrent : se succèdent les moments tristes, avec son lot de maladies et de morts, et les moments joyeux avec ses grandes démonstrations de gaieté, d’insouciance dominés par la joie de vivre.
30 décembre 1850
Nous sommes allés dîner à bord de La Caravane où nous avons pu oublier un instant que nous étions sur la côte d’Afrique. Sous la galerie, prenant le café, avec une compagnie nombreuse. Un magnifique piano a été ouvert, et la femme d’un médecin en chef de la Martinique, passagers à bord, nous a chanté différents morceaux d’opéra, d’une voix fraiche et souple, avec une méthode excellente, autant que mes faibles connaissances me permettent d’en juger, elle possède un fort joli talent. Elle a accompagné aussi un de ces chanteurs qui pour la plupart sont des virtuoses, pendant qu’ils chantaient un duo. La soirée a été bonne, et m’a aidé à supporter mon exil.
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 117
Falaise du Castel, à Gorée. (Photo Remi Jouan CC BY 3.0)
J’ai causé assez longuement ce soir avec l’aumônier de La Caravane. Il m’a parlé d’une commission qui se réunissait pour réfléchir aux moyens de rendre utile et supportable la condition des aumôniers de vaisseau, pour leur donner quelques garanties contre la tendance irréligieuse de certains commandants. Cela ne me regarde guère, moi qui ne vois dans l’univers que mon humble presbytère. Je m’en rapporterai complètement à Monseigneur. Qu’on se hâte de décider quelque chose définitivement, car, j’entends répéter tous les jours que Monseigneur va bientôt expirer, et, en quelles mains son héritage va-t-il tomber ?
31 décembre 1850
Débarcadère et fort de Gorée. (Dessin de Taylor, d'après une photographie de Blaise, ou Félix ,Bonnevide. Extrait d'Africa, volume III, par Élisée Reclus [1830-1905])
Je suis allé hier à Gorée je voulais y voir les malades que nous y avions déposés, à l’hôpital, et, accompagné de l’aumônier de La Caravane, nous avons rendu visite au curé, à la nouvelle supérieure et au commandant. Malgré toutes mes précautions et ma prudence, j’ai eu bien de la peine à échapper aux confidences. Hier, le curé m’a pris à part, et m’a demandé quand il pourrait me dire quelques mots. Je lui ai répondu que ce serait quand il voudrait, mais comme je ne peux être d’avance utile dans cette affaire, que mon conseil ne pouvait avoir aucune influence puisqu’il s’agit de faits accomplis, pour l’appréciation desquels on voudrait seulement me diriger. Je tâcherai de n’être jamais seul, de m’esquiver, d’éviter leur tête à tête, et si j’y réussis, pendant deux jours, je serai un homme sauvé. J’ai vu hier la nouvelle supérieure, elle parait fort bien. C’est une femme de près de cinquante ans, forte, vigoureuse, qui parait spirituelle et fine, avec beaucoup de rondeur dans sa manière de franchise et de fermeté. Je pense qu’elle ne peut
que gagner à être connue. C’est, il me semble un excellent choix dans ces circonstances. L’ancienne supérieure est nommée à Lamamach, à Cayenne. Elle a accepté de très bonne grâce, le coup qui l’a frappée, quoique peut-être un peu brutal. Elle a très bien reçu la nouvelle supérieure, elle est même allée au débarcadère à sa rencontre, avec deux de ses sœurs, elle lui a remis immédiatement tous les pouvoirs et vit aujourd’hui avec elle dans une intelligence parfaite, sans effort au moins apparent, avec un naturel qui détruit complètement, à mes yeux, les reproches qu’on lui adressait. C’est la meilleure réponse qu’elle pouvait faire aux accusations misérables qu’on lui intentait. Nous sommes allés aussi au castel. C’est la première fois que j’y monte. J’y ai trouvé une connaissance, un officier de Lorient, dont j’avais entendu parler. Un peu morose, bonhomme, un vrai troupier, nous offrant simplement une première fois la pipe, et nous prenant par les épaules pour nous faire avaler, bon gré, mal gré, un verre de quelque chose, de grog ou de bière. Il y a au moins de la cordialité. Et, à mon avis, c’est une compensation à une intensité de chaleur. J’ai parcouru le castel, il est beaucoup plus grand que je le supposais, et aussi, bien mieux armé. Les hautes murailles de rochers basaltiques sont couronnées d’une artillerie assez forte. Les casernes dont on n’aperçoit pas même le faîte sont bien construites, leur élévation au-dessus de tous les miasmes doit rendre le séjour bien salubre. On n’y loge que les soldats blessés. Du reste, il n’y a pas un arbre, que des herbes sèches. À la saison des pluies poussent des fleurs qui forment un jardin. J’irai certainement m’y promener, quelques fois, le soir quand il fera plus chaud. L’air qu’on y respire est frais et on y jouit d’un horizon magnifique.
1er janvier 1851
1ère grande fête aujourd’hui. Nous avons reçu, en tant que bâtiment amiral, la visite de tous ces messieurs, nous nous sommes joints à eux pour aller présenter nos hommages au comman dant, pour les compliments d’usage tout aussi sincères. Nous avions reçu hier l’invitation d’assister à une messe en musique à bord de La Caravane. J’avais été invité à déjeuner avant une heure après midi afin que l’aumônier pût faire sa partie. J’ai été dédommagé de cette petite fatigue par le plaisir que cette cérémonie m’a fait. La musique a bien été. Vraiment, il aurait fallu doubler partout les chœurs. C’était un peu maigre. D’autant plus que la toile qui nous entourait possédait peu de sonorité. L’harmonium de l’aumônier accompagnait ; il était tenu par
118 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 - novembre 2020
L’HISTOIRE & L’IMAGINAIRE
Un doute...
L
a première fois qu’elle le vit, seuls ses cheveux et ses mains émergeaient des bâches qu’il ravaudait, assis, là-haut, dans le cockpit de son yacht en fin de construction, posé sur un berceau, à quelques mètres de l’une des plus jolies rivières qui soient. Elle remarqua ses mains élégantes, agiles, la droite armée d’une paumelle, il rapiéçait une toile épaisse. La main gauche ne portait pas d’alliance. Elle vit, photographia, imagina... l’homme releva la tête… ses yeux étaient gris… un vague sourire courtois, elle enregistra tout en un quart de seconde. -« Gabrielle ! Tu viens ? Nous t’attendons. » Ah ! les époux, ils ne comprennent rien, ou, trop tard. En silence, elle remonta la berge, en direction du hangar, abandonnant le mystère et le calme de l’eau sombre où s’avançaient les roseaux et les nénuphars, interrompant le reflet des arbres. Le hangar sentait bon le bois fraichement scié. Une chaloupe en gestation montrait son squelette.
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Christiane Marchocki Son mari et le chef du chantier la guettaient pour « arroser »… quoi au juste ? On arrosait souvent. Ce patron, homme solide, large, réaliste, ne ménageait ni sa peine ni celle des ouvriers. Ceux-ci regardaient Gabrielle avec intérêt, le regard atténué par la présence du conjoint. La Seconde Guerre mondiale, encore récente, était imprimée dans tous les esprits et les hantait toujours. On avait doté cette entreprise d’un prisonnier allemand, qui devait entre autres besognes, nourrir les molosses préposés à la bonne garde de l’atelier. Ceci l’obligeait à fendre des têtes d’animaux de boucherie dans des éclaboussures de sang. Son geôlier de fortune l’avait, par l’effet d’une belle délicatesse, baptisé « Buchenwald » ce qui ne l’empêchait pas d’en dire le plus grand bien pour le travail abattu. Il le donnait parfois en exemple. Cela ne plaisait pas à tout le monde. Gabrielle écoutait parler les deux hommes. C’est ce qu’on lui demandait. Elle pensait à autre chose : elle descendait le fil de la rivière.
Parfaite épouse, elle assistait son mari dans sa profession. Elle avait, elle-même, poursuivi des études dentaires lorsqu’elle rencontra Roland. Il fut clair pour lui et les deux familles que le mariage était de mise. Roland avait, pour ainsi dire, terminé ses études, il prendrait la suite de son oncle, qui avait, pour ainsi dire, terminé sa carrière. Quand une fille se marie, elle quitte la faculté. Charmante et douce elle ferait une collaboratrice compétente. Elle devait accomplir son devoir. Il était beau garçon. Il avait l’assurance de ceux à qui la vie sourit. Elle fut séduite, se maria, tout le monde était content. Elle était une jeune femme comblée, moderne, depuis peu, elle avait même le droit de voter. La vie s’écoulait paisiblement. Ils possédaient un joli voilier. Plaisanciers confirmés, ils écumaient la côte entre Bordeaux et Brest en été. En hiver, ils surveillaient les travaux d’entretien réalisés dans ce chantier, bavardant avec l’un ou l’autre. Roland et ses amis se racontaient leurs aventures maritimes. Chaque fois que l’orage, la brume ou le vent fort intervenait, le récit commençait par « j’étais seul avec ma femme… » La femme en question se sentait, elle-même, un peu seule, sans sa part de gloire, bien qu’ayant participé à la manœuvre. Elle s’éloignait progressivement, longeait la rivière, furetait entre les coques. C’est ainsi qu’elle le vit pour la première fois. Ils se revirent. Il la salua. Elle s’arrangea pour que Roland s’adresse à lui. Ils sympathisèrent, parlèrent navigation, comparèrent leurs bateaux. Ils s’invitèrent mutuellement à leur bord. Gabrielle, épouse attentive, était de toutes les rencontres. Souvent, son regard croisait les yeux gris.
Elle fit en sorte d’en savoir le plus possible sur ce solitaire. Il projetait de traverser l’Atlantique. Noble aventurier. Il avait écrit un livre, philosophique, c’est plus rare. La nuit, il s’entrainait à faire le point au sextant à partir de la lune ou d’une étoile. Manquant d’horizon, il expliquait comment il utilisait un sextant à bulle mis au point par les Allemands. C’est peu connu. Elle pensait de plus en plus à lui, s’en rapprochait, ils se rapprochèrent tant qu’il leur devint pénible de se séparer. Roland semblait être le seul dans ce petit cénacle à rester imperturbable, à ne pas voir les sourires goguenards. Le prisonnier de guerre qui ne parlait pas français avait compris lui aussi. Cela se voyait sur son visage lorsqu’il passait à proximité. Tout ce petit monde était heureux : voir un homme trompé par sa femme est toujours agréable, distrayant, amusant et, ce qui n’est pas négligeable, c’est réconfortant pour soi-même, à qui pareille mésaventure ne peut arriver. Cela permet des plaisanteries. Certains ne s’en privaient pas. Les plaisanciers prenaient des airs entendus et discrets, une ébauche de sourire aux lèvres. Ce qui était pire. Le patron regrettait de ne pas avoir l’allure d’un beau ténébreux, attirant pour les jeunes femmes romantiques. Par souci de compensation, il cultivait le brouillard qui environnait ce personnage. C’était sa façon de prendre part à l’intrigue. Après avoir rencontré un ami proche de ce client original, il laissa tomber dans la conversation : « La guerre n’est pas terminée pour tout le monde ». Un danger inconnu dont on ne se sent pas menacé directement est délicieux et source d’élucubrations.
Ci-contre
(Photo Le Yacht - 1938)
Page de gauche (Photo David Mark Pixabay)
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 121
ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI
Le portail web des Archives de Saint-Nazaire est en ligne ! Gaëlle Ouvrard Responsable du service Archives-Ressources documentaires de Saint-Nazaire
Depuis le 6 octobre, le portail web des archives est accessible à tous les internautes à l’adresse : https://archives.saintnazaire.fr. Trois ans auront été nécessaires pour parvenir à cette mise en ligne et bien plus pour classer et analyser les archives qui y sont répertoriées.
C
e lancement est donc l’aboutisse ment d’un travail de longue haleine pour mettre à disposition de tous ce patrimoine commun que sont les archives. Il n’en est aussi que la première pierre.
Les principes à l’œuvre dans le portail web
Quelques grands principes et beaucoup de normes régissent le monde des archives, et par ricochet les outils qui y sont dédiés comme c’est le cas avec ce portail web. 1er principe : Conserver… pour communiquer Alors qu’ils sont souvent considérés comme les gardiens d’un temple cadenassé à double tour, les archivistes ont aussi pour mission, et ce depuis la Révolution1, de mettre à disposition les fonds qui leur sont confiés. Le portail web des archives de Saint-Nazaire s’inscrit d’abord dans cette logique : faire connaitre tout ce qui 1 - Les révolutionnaires de 1794 ont fait de l’accès aux archives un droit civique. La loi du 7 messidor an II précise ainsi que « tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts, aux jours et heurs qui seront fixés, communication des pièces qu’ils renferment » (article 37). Depuis, la législation a bien sûr évolué pour tenter de trouver un équilibre entre le droit d’accès et la protection des individus ou de l’État, il n’en reste pas moins que les archives publiques sont par principe communicables, sauf exceptions.
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est conservé et donner accès directement aux documents lorsque cela est possible. À terme, l’objectif est que tous les outils recensant les archives conservées soient accessibles en ligne. 2e principe : « Le respect des fonds » Les archives n’ont pas été produites pour l’histoire, mais pour répondre à un besoin précis à un moment précis, c’est pourquoi les documents d’archives ne peuvent être bien compris qu’en les considérant dans leur contexte de production : un plan ne sera pas interprété de la même manière s’il est isolé ou s’il est accompagné d’un dossier contenant de la correspondance, un avant-projet… ; le dossier sera lui-même compris différemment selon qu’il a été produit par un architecte ou par un service municipal par exemple. Le respect des fonds est donc la règle d’or des archivistes : les fonds ne doivent pas être mélangés, les documents ne peuvent pas être retirés d’un ensemble pour être rassemblés en collections thématiques, l’histoire du fonds doit être documentée si possible, etc. Cela se traduit concrètement dans la manière de décrire les archives et d’afficher les descriptions. L’affichage du portail web permet ainsi de visualiser dans quel ensemble se situe la notice, et de naviguer dans cet ensemble.
3 principe : Le portail des archives, une brique pour la connaissance et la valorisation de l’histoire et du patrimoine Le portail web des archives est pensé comme une base de connaissances destinée à s’enrichir d’une part et comme un outil pouvant s’articuler avec d’autres outils d’autre part. Dans le portail, l’internaute retrouvera par exemple les articles du Service des archives, ainsi que les textes rédigés par le chargé de mission patrimoines dans le cadre de la candidature Ville d’arts et d’histoire. Ces articles seront conservés sur le site, enrichis et peuvent d’ores et déjà être interrogés via le moteur de recherche pour servir à tout un chacun. Des liens renvoient également vers d’autres sites ressources comme le portail patrimoine de SNAT2, le site des Archives départementales ou le Centre d’histoire du travail. Enfin, la description des données respecte les normes du monde archivistique, ce qui permettra, à terme, d’alimenter d’autres portails plus larges comme celui de France Archives3. Ces principes se traduisent de manière concrète dans le contenu et l’agencement du portail. e
2 - Site : https://www.saint-nazaire-musees.com/ 3 - Le moteur de recherche de France Archives interroge simultanément les inventaires des services d’archives publiques partenaires (une cinquantaine actuellement) et permet ainsi de retrouver les références de plusieurs millions de documents d’archives. https://francearchives.fr
Descriptif du portail Le portail des Archives de Saint-Nazaire permet donc d’accéder à trois types de contenus : des informations pratiques, des articles sur l’histoire et le patrimoine et une base de données. Parmi les informations pratiques on retrouvera évidemment les horaires, mais aussi un descriptif des missions du service et une brève présentation des fonds conservés. Les articles sur l’histoire et le patrimoine reprennent les écrits et réalisations jusque-là accessibles dans le blog des archives auxquels viennent s’ajouter de nouveaux articles ainsi que les « portraits patrimoines » réalisés pour Ville d’Art et d’Histoire. La nouveauté du portail réside surtout dans la base de données. Cette base de données comprend les notices décrivant les archives, auxquelles sont parfois associées une ou des images. Elle est interrogeable via un moteur de recherche ou via des formulaires de recherche plus ciblés. Quelques exemples de parcours de recherche possibles : 1/ L’internaute tape un terme dans le moteur de recherche, par exemple « sport » pour connaitre toutes les ressources ayant trait à ce terme. Il obtiendra une liste de résultats comprenant à la fois des notices descriptives d’archives et des articles. Il pourra affiner sa recherche en utilisant les filtres à cocher disponibles à gauche de l’écran : il pourra par exemple sélectionner uniquement les notices accompagnées d’une image, ou seulement les documents d’une certaine période (Illustration 1).
novembre 2020
- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 125
Illustration 1 : 2e page de résultats obtenus avec le terme sport et le filtre « Image » (colonne de gauche) : seules les notices contenant le mot sport et accompagnées d'une image sont affichées.
À LIVRE OUVERT
Mesquer-Quimiac, Regards
G
uy Lediouron , collectionneur de cartes postales s’est fait « Reporter du territoire mesquérais » en concoctant ce bel ouvrage, intitulé « Mesquer-Quimiac, Regards ». Mesquérais de cœur, installé depuis plus de quarante ans à Trévigale, dans le premier lotissement familial de Mesquer, il découvre l’histoire locale mesquéraise dans les cartes postales qu’il acquiert au fil des années. Il a rassemblé plus d’un siècle d’archives iconographiques dans cet album de 158 pages, qui restitue l’image des villages et de leur activité entre 1850 et 1980. Des témoignages recueillis par lui-même et des précisions, fruits de ses recherches dans les comptes rendus du Conseil municipal, complètent et illustrent cette riche documentation photographique. En effet, les cartes postales éditées pour la promotion de Mesquer-Quimiac vont bien au-delà de leur intérêt touristique, elles montrent l’évolution du paysage Mesquérais au fil du siècle, l’évolution de ce bourg, avec ses villages de paludiers, de marins et de paysans devenant une station touristique de plus en plus prisée. Si les écrits des touristes, au fil des ans, évoquent souvent le temps qui passe trop vite, le soleil qui brille sans relâche,
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les pêches, parfois miraculeuses…, les cartes postales adressées par des Mesquérais à leurs proches, souvent écrites au recto comme au verso, racontent la vie quotidienne, avec ses récoltes de sel, bonnes ou mauvaises, les hommes ou les enfants, embarqués pour de longs mois sur les navires autour du monde, la guerre 14-18 qui a pris tant de jeunes Mesquérais et, plus près de nous, la modernisation de Mesquer… En 2010, Guy Lediouron avait prêté son concours, et quelques-unes de ses cartes postales, pour l’exposition réalisée à la maison du Patrimoine. Il n’a pas cessé, depuis, d’enrichir sa collection qui pourrait faire l’objet d’une belle exposition en forme de parcours de mémoire, à la Maison du Patrimoine, pour les trente ans de l’acquisition de ce bâtiment, dont l’origine reste encore si mystérieuse. Jocelyne Le Borgne
Mesquer-Quimiac, Regards Guy Lediouron Éditions du Traict 158 pages - 28 €
France Bloch-Sérazin Une femme en résistance (1913-1943)
L
e rôle des femmes dans la Résistance, qui plus est juives et/ou communistes, est longtemps resté un point aveugle de l’historiographie des années 1940-1945. Cette biographie vient ainsi réparer un oubli en faisant renaître, à partir d’un travail d’archives rigoureux, la figure emblématique et méconnue de France Bloch-Sérazin, « morte pour la France », chimiste de premier plan et militante communiste engagée tôt dans la Résistance. Elle a été arrêtée à Paris par la police de Vichy et guillotinée par les nazis à Hambourg en février 1943, alors qu’elle n’avait pas trente ans. Voici le portrait d’une femme de combat, retrouvée ici grâce aux témoignages, aux lettres inédites, aux rapports de filature, aux interrogatoires. Une femme passionnée, symbole de courage, de générosité, de haute valeur humaine.
Alain Quella-Villéger, né à Rochefort en 1955, est agrégé d’histoire et docteur ès-lettres en histoire contemporaine, chercheur associé des universités de Nantes et de La Rochelle. Spécialiste reconnu de Pierre Loti, il vient de recevoir, avec Bruno Vercier, le prix Émile-Faguet décerné par l’Académie française, pour leur édition critique du Journal de Pierre Loti en cinq volumes. Auteur d’une trentaine d’ouvrages et d’une dizaine d’anthologies, il est également scénariste et éditeur (Le Carrelet). Il a préfacé La Veillée des armes (2015) de Marcelle Tinayre et dirigé l’édition de ses chroniques réunies sous le titre La Révolte d’Ève (2017), aux éditions des femmes-Antoinette Fouque.
France Bloch-Sérazin
Une femme en résistance (1913-1943) Préface de Marie-José Chombart de Lauwe
Alain Quella-Villéger
Éditions des femmes–Antoinette Fouque 224 pages - 7 € Prix littéraire de la Résistance 2019 décerné par le Comité d’action de la Résistance (CAR) et par Le Souvenir français
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À LIVRE OUVERT
Tout le monde sait qui a tué Steve
V
oilà un livre qui scrute un horizon très large. Celui de l’histoire des luttes sociales de la région de Nantes/Saint-Nazaire. Mais aussi du sur armement de la police. Tout en dressant le portrait intime d’un jeune homme ultra-sensible, Steve Maia Caniço. Il prend pour point de départ un fait divers hors-normes : l’affaire du quai Wilson à Nantes, qui avait vu une quinzaine de personnes précipitées dans la Loire dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, un soir de Fête de la musique à Nantes. L’un d’eux, Steve, qui ne savait pas nager, y laissa la vie.
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Nicolas Mollé aura mis moins d’un an à finaliser ce projet de livre, son premier, une enquête sous forme d’essai. Parti à la rencontre de la famille de Steve, de militants nantais, de syndicalistes, d’acteurs de ce drame, il explore aussi les multiples facettes du maintien de l’ordre à Nantes, revient sur la répression brutale de la Zad de Notre-Dame-desLandes, l’écrasement des Gilets jaunes, les luttes contre la loi Travail. L’auteur remonte même aux historiques grèves de la métallurgie en 1955 à Saint-Nazaire. Il faut dire que ce conflit social dantesque a encore aujourd’hui une résonance particulière.
C’est en 1955, alors que la lutte de Saint-Nazaire avait fait tache d’huile à Nantes, que le dernier mort en manifestation nantais est comptabilisé, tué d’une balle de CRS dans la tête sur le cours des 50 Otages. Il se nommait Jean Rigollet, était maçon et avait 24 ans, le même âge que Steve. « Dans les mémoires militantes, la date de 1955 revient tout le temps », constate Séverine Misset, maître de conférences à l’université de Nantes, sociologue spécialiste des classes populaires. « Un tiers des salariés était syndiqué à l’époque. Nantes était alors un bastion de la CGT et de la CFTC. Ce qui a marqué, c’est leur dureté, la confrontation avec le patronat et les forces de l’ordre, leur violence d’une certaine façon. 1955 reste ra toujours un repère, même en 68. Il faut bien avoir en tête qu’en 1968, la génération de militants des années 60 a déjà eu son baptême du feu à l’occasion de 1955, ils ont déjà un passé. » Mais avant de prendre une telle ampleur à Nantes, c’est à Saint-Nazaire que le conflit éclate. Les tensions naissent quand la direction des chantiers navals décide de placer les soudeurs sous le même régime que les chaudronniers. Les trois syndicats CGT, FO et CFTC réussissent à dépasser les tensions entre les deux corps de métier et à les retourner contre la direction. Ils parviennent même à agréger à la lutte une revendication plus générale d’augmentation de 30 % pour une mise à niveau des salaires avec ceux de la métallurgie parisienne. Grèves, « lock-out » (fermeture de l’usine par la direction), heurts avec les forces de l’ordre s’enchaînent. Les ouvriers passent bureaux et papiers de la direction par les fenêtres, boivent le champagne des cadres perchés sur les balcons, bombardent les gardes mobiles de pavés, cailloux, boulons, érigent de titanesques barricades en l’usine même, et font même tomber à l’eau des CRS, avec qui ils échangent des coups de poing, tous immergés dans le bassin de Penhoët. Encore un écho qui résonne avec l’affaire du quai Wilson, qui avait vu des jeunes précipités dans la Loire, juste parce qu’ils voulaient danser. Encore un ricochet de l'histoire qui évoque la mort de Steve. Le sociologue et philosophe allemand Max Weber écrivait qu’« il faut concevoir l’État contemporain comme une commu nauté humaine qui, dans les limites d’un
territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le mo nopole de la violence physique légitime. » En France, Action directe avait posé la question de la légitimité de la riposte avec ses exécutions ciblées. « Comment peut-on tuer un gamin qui danse ? », demandait à Nicolas Mollé l’un de ses fondateurs, Jean-Marc Rouillan, lui-même de passage à Saint-Nazaire pour présenter son ouvrage « Dix ans d’Action directe - Un témoignage, 1977-1987 ». « On a été en quelque sorte happés par une forme de suspens désespéré alors que nous nous doutions qu’il était mort. Pour moi, cet épisode est typique de l’ambiance de ‘ pacification ’ qu’a vécu le mouvement des Gilets jaunes à partir de décembre 2018. À savoir une violence tous azimuts, sans retenue, qui donne l’impression qu’il n’y avait plus d’officiers aux commandes. J’ai fait toutes les manifs de Gilets jaunes, j'ai été surpris, à chaque fois, par l’agressivité de la police. Même moi, avec mon histoire particulière, j’avais rarement vu des faits pareils en termes de violences gratuites. Là, dans le cas précis du quai Wilson, en attaquant une fête de gamins, on atteint à mon avis un niveau criminel. Même si les responsables continuent de dire qu’ils ont tout fait dans les règles. » Pour Jean-Marc Rouillan, une telle violence dans un contexte festif reste incompréhensible. « On leur a coupé la musique, ils l’ont remise, des policiers sont venus, ils leur ont jeté des canettes de bière ». « C’est une histoire de bal populaire ! Moi, à mon époque, il y avait des bagarres de bal populaire avec des gendarmes qui venaient couper la mu sique. On la laissait un peu, on disait ‘ maintenant c’est fini ’, au bout d’un mo ment, après quelques négociations, ça finissait par s’apaiser. » Mais il faut croire qu’entre l’époque où la classe ouvrière était soudée, savait faire front et aujourd’hui, où la police n’est plus gardienne de la paix, mais force de l’ordre, il n’y a plus la poche d’air qui aurait permis à Steve de ne pas succomber.
Tout le monde sait qui a tué Steve Nicolas Mollé Éditions Syllepse, 2020 170 pages - 10 €
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- HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 99 — 131
A . P. H . R . N
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Illustration : La Croix des Parcelles, en quittant Mesquer, sur la route de Guérande.
Elle fut déplacée, et restaurée, à plusieurs reprises. (Collection particulière : photo de 2012))
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Le Calvaire de Kerdandec, Ă Mesquer, restaurĂŠ en 1924. Carte-souvenir de la restauration. (Collection Guy Le Diouron)
Impression Khilim - Réalisation Tanguy Sénéchal
Un résistant nazairien mort pour la France
Frédo Sérazin Frédo Sérazin, vers 1927.
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