Zoran Music

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FIAC 2016 | 20–23 octobre 2016 Applicat-Prazan | Rive gauche | Rive droite 2 novembre–17 décembre 2016

Zoran Music Boualem Sansal, Pascal Bruckner, Michaël Prazan


Il est bon, frères, de se souvenir au présent de ce qui fut et de ce qui adviendra ; l’homme est ainsi, fait de mémoire, seulement de mémoire, ne l’oublions jamais. It is right, brothers, to recall here and now what was, and what will be. That’s the way humans are: they’re made of memories, only memories—we must never forget that. Boualem Sansal


à Claude Bernard ; à François Ditesheim ; Que je salue. à Jan Krugier ; à mon Père ; Dont je salue la mémoire. Toute mon admiration à Jean Clair. To Claude Bernard and to François Ditesheim, in tribute. To Jan Krugier and to my father, in tribute to their memory. All my admiration for Jean Clair. Franck Prazan


Zoran Music dans son atelier, Venise, 1997/Zoran Music in his studio, Venice, 1997 © Martine Franck/Magnum Photos

Zoran Music dans son atelier, Venise, 1997/Zoran Music in his studio, Venice, 1997  © Martine Franck/Magnum Photos

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J’ai longuement réfléchi à l’opportunité de programmer cette exposition consacrée à Zoran Music. Dans le contexte que nous connaissons, le silence de l’indicible n’avait-il pas vocation à se taire ? La narration des camps, plus vraie que l’image objective, jetée sur la toile après tant de sourde retenue, avait-elle aujourd’hui vocation à résonner ? Et puis cette image du vieil homme gris, assis sur un fauteuil gris, se détachant sur un fond gris. Son bras soutient sa tête. C’est bientôt la fin. Il avait raison, il n’était pas le dernier… I long wondered about the timeliness of this exhibition devoted to Zoran Music. In the current context, perhaps the silence associated with the indescribable should be allowed to continue. Is there any argument today for recounting the concentration camps—on canvas, more authentically than any objective picture—after so much muted restraint? But then that picture of the old gray man, sitting on a gray armchair, set against a gray ground, arm bracing his head: the end is nigh. He was right. He wasn’t the last . . . Franck Prazan Décembre/December 2015

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La peinture ou la vie ou La voie du nĂŠant Boualem Sansal

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La peinture ou la vie ou La voie du néant Boualem Sansal

Être en vie n’est pas vivre, c’est de temps à autre se souvenir qu’on est sur le chemin de la mort. Entre deux alertes, deux frayeurs, on se consume dans la ronde insignifiante et brutale des jours. Et un soir de brume glacée tout s’arrête dans un abominable silence. Debout dans le vent, raides comme des i, les gens voient une fumée tournoyer et disparaître dans le ciel, puis, écœurés par les odeurs de suint brûlé, retournent à leurs incompréhensibles occupations sous le regard acéré des maîtres des choses et du temps. Cette nuit, leurs cauchemars auront la fièvre. Les condamnés s’affolent, encore une fois ils font le même horrible calcul : plus nombreuses seront les vies arrachées à la terre, plus vite arrivera notre tour d’être fauchés. Imperturbable, le compte à rebours continue de rythmer le cours du temps. Ils refluent dans les rangs en marmottant tout ce qu’ils savent de supplications pendant que la masse sidérée est poussée dans le dos vers la gueule béante du vide. Les miraculés de la journée se réjouissent, demain est un autre jour, se disent-ils en relevant la tête, la mort elle-même n’est pas assurée d’être de ce monde au prochain réveil.

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S’il n’y a pas de vie, il n’y a pas de mort, enseignent-ils, faisons-nous petits et humbles et la Mort sublime dans sa grandeur ne nous verra pas. Ils s’enferment dans le silence comme dans un linceul et réduits à leur ombre glissent sur les murs et s’évanouissent dans la nuit. Ici et là, tapis dans des encoignures obscures, des individus fébriles regardent leurs poignets décharnés comme s’ils portaient encore leurs montres d’antan, quand le temps leur appartenait, puis se relâchent, soulagés, mais point trop pour ne pas se laisser surprendre. Ils savent des choses, les horaires, les séquences, les rondes, et possèdent le don de pressentir les contrôles inopinés. Au guet, on ne se fait pas prendre deux fois. Il en est qui, arrivés au bout du rouleau, s’enhardissent à chaparder quelques pauvres secondes, si précieuses dans le bel ordonnancement du camp, pour envoyer des SOS dans le ciel. Ils prient à toute vitesse sans lever les yeux, sans remuer les lèvres, tremblant de tous leurs membres, et repartent en trottinant avec au-dessus de la tête une petite aura palpitante qui les dénoncera sans faute. Luciole dans la nuit, la lumière qui te guide est ton pire ennemi. Ces malheureux croient à ces choses, Dieu, les miracles, la bénédiction des ancêtres ; elles peuvent aider, c’est vrai, si la chance s’y met, il arrive que la machine coince, que le générateur grille ses charbons, que le gaz manque, que la foudre abatte le maître-pylône ou la cheminée maudite, que le commandant soit d’humeur heureuse. Mais la chance est une loi de probabilité, elle joue dans un sens et dans l’autre, les deux parfois, le diable sait s’inviter en deux endroits différents quand on s’y attend le moins. Et, force de l’entêtement, on trouve toujours une autre façon d’achever le travail. Les minutes et les heures reprennent leur marche immobile et muette vers les ténèbres, ce jour est un jour comme les autres. Avec le répit, revient la résignation qui apporte avec elle comme de la douceur. La vie est opportuniste, pas exigeante pour deux sous, comme le sont les pauvres, elle profite de ce qui passe à sa portée, un rayon de soleil, le lamento du vent dans les arbres, une odeur de pain chaud, le chant d’un merle perché sur le barbelé électrifié… On se souvient tout à coup que le mot « bonheur » existe… a pu exister… l’engourdissement menace…

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Un cri d’alarme. Il faut vite échapper au bien-être et retrouver la douleur et sa protection, le bonheur appartient au maître, c’est le premier commandement. Bien d’autrui tu ne convoiteras, de la mort tu te contenteras. Dans ce lieu hors du monde (quel nom lui donner : camp maudit, centre de relégation, trou noir, île de la perdition ? Officiellement il n’existe pas), le temps lui-même ne bouge d’aucune manière, c’est ici l’univers de la mort, elle seule besogne, sans relâche, avec une ferveur, une précision et une efficacité véritablement extraordinaires. On l’aime pour cela, non, on la respecte. On se demande quel record absolu elle doit battre, la vie est insurpassable, on le voit bien, elle enfante toujours plus que la mort ne peut détruire et cela fait que l’humanité croît et se multiplie au point de constituer une menace d’extermination pour elle-même. Cercle vicieux que de mourir de trop vivre. « Croissez, multipliez-vous sur terre et soumettez-la », avait dit la Voix à nos lointains et obéissants ancêtres. Jamais ils ne surent pourquoi ils devaient si mal finir. Et des vies, il en arrive chaque jour, des trains entiers soufflant et ahanant comme des bœufs de labour, bondés de vies toutes fraîches, bien innocentes, groupées en familles unies, inquiètes cependant, bien que prêtes à mourir, et la machine peine à les anéantir comme il se doit, en temps et en heure. Aux limites extrêmes, on ne peut valablement incriminer la seule contingence, la technique, l’organisation ou le hasard ; ici interviennent des forces transcendantes, insurmontables, l’humanité est une décimale dans cette colossale affaire. D’où viennent-elles, ces vies, qu’ont-elles de si particulier qu’on leur consacre tant de moyens et de magies ? On ne sait, on sait seulement quelle fin extraordinaire les attend. En milieu clos la rumeur est assez unanime : à part la mort, on ne voit pas ce qui pourrait arriver d’autre. L’espoir partagé reste quand même de mourir avant que l’attente ne devienne trop difficile à endurer. Toute une légion sanglée et bardée s’affaire autour d’elles, qui s’énerve, hurle, cogne, fustige, trop d’arrivages, souvent de la mauvaise marchandise, impotente et débile, les moyens manquent, ça bouchonne partout, le commandant veut son quota quotidien, la machine aussi, elle peut faire un retour de flamme et avaler les

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machinistes et leurs aides, un mort est un mort en fin de compte. Encore des heures supplémentaires. Encore des dossiers à confectionner pour réclamer des renforts, des gaillards qui sachent enfin résister à la fatigue, à l’ennui, à l’isolement, au froid, à la pourriture. Il ne sert à rien de multiplier à l’infini les engins de destruction, l’industrie la plus sophistiquée, comme la terre la plus féconde, est soumise à l’implacable loi des rendements décroissants. Trop c’est trop quand supprimer est la finalité. C’est le hic profond de l’ordre : l’organisation la plus efficace se règle fatalement sur le moins efficient de ses servants, comme la chaîne la plus forte du monde n’a que la force de son maillon le plus faible. Les hommes les plus endurcis ne peuvent avancer plus vite que leurs enfants et leurs vieux parents. Cela voudrait dire qu’au bout du bout, l’infini et le zéro se rejoignent, se valent, Dieu qui se tient en maître absolu en chaque point de l’univers ne vaut guère plus que la plus humble, la plus misérable de ses créatures. Éliminer le faible serait donc cela : rétablir l’ordre du monde dans sa Verticalité primordiale, le monde appartient au plus fort, il est la vie et la mort, l’alpha et l’oméga. S’il y avait d’autres lieux comme celui-ci, en d’autres endroits du monde, étaient-ils engagés dans le même Grand-Œuvre, quel but visait ce colossal holocauste, quel dieu se plaisait à ce culte, quelle intelligence humaine pourrait lui trouver le moindre bout de début de sens ? Et les signes ? Le ciel n’en était-il pas plein ? Ne les aurait-on pas vus ? Pas reconnus ? On voyait bien les étoiles, pourquoi pas les signes ? Rien ne vient du vide, la chair de la chair vient et l’esprit de l’esprit, toute chose a sa manière. Une fin qui ne s’annonce pas a-t-elle du sens ? N’est-elle pas plutôt le début de quelque chose de mystérieux ? Cercle vicieux encore, le début est la fin et la fin est le début. Personne n’a su répondre à ces questions. Sans doute aussi que personne ne les a posées ou que nulle oreille ne les a entendues. Quand personne ne parle, quand personne n’entend, il n’y a forcément personne pour voir, cela voudrait dire que la vie a disparu et que les hommes sont devenus des singes de pierre.

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Peut-être apprendront-ils un jour à marcher ou à voler. On peut y croire et l’annoncer : ici dans ce camp s’est écrit un épilogue qui se voulait un récit de commencement, la genèse d’un nouveau monde. La fin est le début et le début la fin. Zoran Music a témoigné de ce magistère de la mort et de la vie qui, en ces lieux, en ces temps, faisait qu’elles s’enracinaient dans le même corps, telles des sœurs siamoises qui partagent le même tronc. La mort existe dans la vie et la vie est déjà la mort. Dans le camp, Music voit tout, il dessine jour et nuit, dans le secret et la peur, il croque des vivants en train de mourir et des morts pourrissants qui attendent d’être incinérés. Il fait vite, va à l’essentiel, en quelques traits tremblants il saisit ce qui le blesse dans les profondeurs de son âme, une douleur sans fond, un questionnement sans fin. Il faisait provision de mystères pour tout le temps qu'il lui resterait à vivre et assez même pour en léguer à la postérité. Dachau est le nom de ce lieu maudit, il n’était pas une pauvre usine de souvenirs perdue dans la campagne mais le centre du monde et l’un des plus vastes abattoirs de l’histoire humaine. Il en peindra tout le long de sa vie, la mémoire du camp est encore le camp et peut-être que le passé n’existe réellement que dans le futur. Mais peindre n’est pas que peindre, c’est à chaque mouvement du pinceau se souvenir qu’un jour, un temps hors du temps, on a soi-même été un vivant et un mort unis dans le même corps et que dans ce couple incompatible, le vivant était un cadavre et le cadavre une fumée qui s’étiolait dans le ciel. Ne peut raconter cet état dans sa vérité profonde que celui qui en a fait l’expérience, qui a pu en revenir, qui en a gardé la mémoire et la capacité de l’interroger. Cet homme, ne peut le comprendre que celui qui a, lui aussi, traversé semblable épreuve. Il n’y a de communion qu’entre soi, les morts parlent aux morts, les vivants aux vivants et les rescapés des camps aux rescapés des camps. La douleur est le lien profond entre les hommes, elle n’existe au demeurant que parce qu’ils sont en interaction et que pourtant ils vivent dans la division et la surenchère.

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Ce que l’homme nourri d’amour et de compassion cherche, c’est comprendre la douleur de l’autre pour comprendre la sienne propre et ensemble échapper au malheur. Mais comment dire la douleur quand les mots pour la dire n’existent pas ou que la gorge est si serrée qu’ils ne sortent pas ? Dire, par les mots comme le firent Primo Levi, Jorge Semprun et d’autres, ou par la peinture, comme le fit Zoran Music, est un choix fatal ; dire, c’est rester dans la souffrance, la raconter c’est souffrir encore et encore car le récit ne peut jamais épuiser le vécu. Toute sa vie de rescapé du camp, Jorge Semprun s’était posé la question : l’écriture ou la vie ? Un de ses livres porte ce titre, il y résume le dilemme du rescapé : vivre ou mourir ? Oublier ou ressasser ? Dire ou se taire ? En vérité, il n’y a pas de choix, on ne guérit jamais, car on ne peut oublier et on n’oublie pas parce qu’on ne peut pas dire et on ne dit pas parce qu’il n’y a pas de mots pour dire, et si ces mots n’existent pas, c’est que personne n’a retrouvé la vie et l’usage de la parole après la mort. Cette douleur est orpheline, elle ne se rattache à rien, pas même aux faits qui l’ont engendrée. Le chaos du monde est infini. C’est dans une couleur éteinte que Music a cherché les signes pour la dire ; lui aussi s’était posé la question de savoir s’il fallait peindre ou vivre, lui aussi avait fait le constat que l’oubli était impossible et que, conséquence du principe de continuité, la souffrance est la seule vie à laquelle le rescapé peut prétendre. Après un long temps d’insouciance voulue, recherchée comme un vrai remède, durant laquelle il a fait grande consommation de couleurs vives, de joies et de bonheurs parfaitement assurés, il est revenu vers le chevalet des jours sombres et a trempé ses pinceaux dans la douleur sourde qui l’habite et ne s’éteint jamais et il a peint ce qui ne se dit, ne se voit, ni ne s’entend. Comme il y a l’indicible, il y a l’invisible et l’inaudible. En vérité, tout nous échappe, nous ne savons rien du grand mystère des camps. Faut-il donc qu’il reste à jamais un inaccessible secret ? Comment savoir alors ? Comment vivre ? Qui nous dira ce que Zoran Music a exprimé dans ses dessins et ses peintures ? Des vies abîmées, des morts, des cadavres, de la fumée, des cendres, des hontes, des pleurs taris…

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Mais encore ? Mais encore ? Qu’y a-t-il au-delà du pourquoi et du comment, de l’avant et de l’après ? Que signifient les faits par eux-mêmes ? Rien, savoir n’est pas une réponse. L’ignorance serait-elle donc indispensable à la vie ? Elle la protégerait de quoi : la folie, l’abêtissement, la mort ? Boualem Sansal Rescapé des guerres et des camps en Algérie, numéro matricule 102/35000

Post-scriptum Au moment où j’écris ces lignes à l’attention de ceux que la mémoire du passé tourmente, un étrange futur commence à se montrer sur terre ; il sera dur à vivre c’est sûr, les premiers échos en sont terrifiants. En a-t-on vu les signes ? Ces cris dans la nuit ? Ces foules hagardes sur les chemins bourbeux et le macadam brûlant ? Ces camps improvisés dans la jungle ? Ces enfants flasques qui marchent en dormant ? Ces ténèbres en plein jour ? Ces explosions de lumières qui irradient l’horizon et menacent d’éteindre le soleil ? Ces corps qui s’accumulent en tas, qui déjà ressemblent aux montagnes de cadavres que Music dessinait dans l’effroi ? Hier, au temps de Zoran, on parlait d’un démiurge halluciné qui voulait dominer le monde. Aujourd’hui, c’est Dieu lui-même dans toute sa gloire ressuscitée qui serait à la commande. À tous et à chacun, il ouvrira les portes de son paradis. L’avenir sera cosmique, éternel et définitif. C’est la bonne nouvelle. Dans ce monde enfin parfait, il n’y aura rien et personne pour le dessiner. Seulement Dieu et sa légion céleste. Il est bon, frères, de se souvenir au présent de ce qui fut et de ce qui adviendra ; l’homme est ainsi, fait de mémoire, seulement de mémoire, ne l’oublions jamais.

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Painting or Life

or The Path to Nothingness Boualem Sansal

Being alive is not living, it’s recalling every now and then that you’re on the road to death. Between two warnings—two frights—there’s the all-consuming daily routine, harsh and meaningless. Then, on a cold misty night, everything comes to a halt in a dreadful silence. Standing in the wind, stiff as boards, people watch the smoke twist and vanish in the sky. Then, sickened by the smell of burning sweat, they return to their incomprehensible activities under the sharp eyes of the masters of all things and all times. Tonight their nightmares will be feverish. Those condemned to death grow alarmed. They perform the same terrible calculation over and over again: as more and more lives are cut down, their turn to face the reaper grows ever nearer. This imperturbable countdown regulates the flow of time. They slip back into their ranks, mumbling all known entreaties, while the stupefied mass is pushed from behind toward the gaping jaws of the void. The day’s survivors exult. Tomorrow is another day, they say, lifting their heads. Even Death itself may not be alive in the morning. If there’s no life, there’s no death, they say. Let’s just stay small and humble, and maybe Death, in its sublime grandeur, will overlook us.

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They wrap themselves in silence like a shroud. Reduced to shadows of themselves, they glide along walls and vanish into the night. Here and there, crouching in dark corners, feverish individuals look at their skinny wrists as though they still wore watches of yore, when time belonged to them. Then they relax, relieved, but not so much as to get caught napping. They know things—timetables, patterns, patrols. And they have a gift for sensing unscheduled inspections. Always on the lookout—if caught, there’s no second chance. There are those who, at the end of their tethers, boldly sneak a few seconds here or there, so precious in the running of the camp, in order to send an SOS to heaven. They pray swiftly, not lifting their eyes or moving their lips, every limb trembling. Then they trot off, with a flickering little aura around their heads, which will surely give them away. O firefly in the night, the light that guides you is your worst enemy. Those wretches believe in things: God, miracles, the blessings of ancestors. True, such things might help, if luck is on your side: the machine may seize up, the generator might blow, the gas may run out, lightning might strike the electricity pylon or that damned chimney, or the commandant might be in a good mood. But luck follows the laws of probability—it can go one way or other, sometimes both. The devil can be in two different places, just when least expected. And anyway, out of pure stubbornness, they always find another way to finish the job. The minutes and hours continue their mute, motionless toward the darkness. This day is just like every other. With respite comes resignation, bringing with it something like sweetness. Life is opportunistic. Totally undemanding—like the poor—life will take whatever comes its way: a ray of sunshine, the sigh of the wind in the trees, the smell of hot bread, the song of a blackbird on the electric barbed wire. There’s the sudden recollection that the word “happiness” exists–or once existed. Numbness beckons. A warning shout. The sense of well-being has to be dropped instantly, replaced by the protective cloak of sorrow. Happiness belongs to the master, that’s the first commandment. Thou shalt not covet anything that belongs to thy neighbor, thou shalt be content with death. Time in no way flows in this otherworldly place (what can we call it–accursed camp,

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relegation center, black hole, perdition isle? It doesn’t even exist, officially). This is the realm of death. Death alone labors, unceasingly, with truly extraordinary fervor, precision, and efficiency. That’s why we like it—or rather, respect it. What record is it trying to break? Life is unbeatable, that’s easy to see: it always generates more births than death can destroy, which means that humanity increases and multiplies to the point of developing the threat of extinction for itself. A vicious cycle of creating death from too much life. “Be fruitful, and multiply, and replenish the earth, and subdue it,” said the Voice to our distant, obedient ancestors. They never knew why they should end so badly. Every day, new lives arrive. Entire trainloads, huffing and puffing like oxen at the plow, packed with fresh, wholly innocent lives, grouped into families that are united, although worried and even ready to die. The machine has difficulty annihilating them as it should, on schedule. Ultimately, mere contingency, technique, organization, or chance cannot be fairly incriminated. What is at work here are transcendent, insurmountable forces–humanity is just a decimal point in this colossal business. Where do they come from, these lives, what’s so special about them that they become the object of so many resources, so much magic? We don’t know, we only know the extraordinary end awaits them. In private, the talk is fairly unanimous: apart from death, we don’t see what else could happen. Everyone nevertheless hopes to die before the wait becomes too hard to endure. An entire legion, uniformed and belted, bustles around them. Losing its temper, it shouts, hits, and thrashes–too many arrivals, often poor in quality, sickly and crippled. There aren’t enough resources, there are backlogs everywhere, the commandant wants his daily quota filled, and so does the machine—otherwise it might flare up and consume the machinists and their helpers. In the end, a death is a death. And still more overtime. More files to be compiled, requesting reinforcements, strong fellows able to withstand the fatigue, boredom, loneliness, cold, and rot. There’s no point in endlessly multiplying the engines of destruction. The most sophisticated of industries, like the most fertile of soils, is subject to the implacable law of

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diminishing returns. When the goal is elimination, enough is enough. That’s the major hitch in the system: the most efficient organization must inevitably gear itself to the least efficient of its servants, just as the strongest chain in the world is only as strong as its weakest link. The most hardened men can advance no faster than their children or aging parents. This means that, at the very end, infinity and zero come together, are the same: God who acts as the absolute master of every nook of the universe is worth no more than the most humble and wretched of his creatures. So that’s what eliminating the weak means: reestablishing the primal Verticality of the world order. The world belongs to the strongest. Strength is life and death, alpha and omega. If there were other places like this one, in other parts of the world, were they engaged in the same Great Work, what was the goal of this colossal holocaust, which god took pleasure in this worship, what human mind could find the least shred of meaning in it? And what about the signs? Weren’t the heavens full of them? Can people not have seen them? Not recognized them? If they saw the stars, why not the signs? Nothing is born from a vacuum. Flesh is born of flesh, spirit of spirit. Everything has its lode. Does an unannounced end have any meaning? Isn’t it rather the beginning of something mysterious? Vicious cycle again—the beginning is the end, and the end is the beginning. No one was able to answer these questions. Probably no one asked them, or else no ear heard them. When no one speaks, when no one hears, there is obviously no one to see. That means that life has vanished, that men have become apes of stone. Maybe they’ll learn to walk or fly some day. Let this belief be known: here in this camp was written an epilogue that sought to be a tale of commencement, the genesis of a new world. The end is the beginning, the beginning is the end.

Zoran Music bore witness to the magistery of death and life that, on this spot, at that time, enabled life and death to take root in the same body, like Siamese twins who share the same torso. Death exists in life, and life is already death.

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Music saw everything in the camp. He sketched day and night, in secret and in fear. He drew the living as they died and the dead as they rotted, awaiting incineration. He worked quickly, went straight to the essential. In a few quivering lines he recorded the wound in the depth of his soul, the bottomless pain, the endless questioning. He was storing up enough mysteries for whatever time remained to him, enough even to bequeath some to posterity. Dachau is the name of that accursed place. It was not some poor factory of memories in some remote countryside, but the center of the world, one of the biggest slaughterhouses in human history. Music would paint it throughout his life. Memory of the camp is still the camp, and maybe the past truly exists only in the future. But painting isn’t just painting, every stroke of the brush means remembering that one day, at one timeless moment, life and death coexisted in the same body. Within that incompatible couple, life was a corpse and the corpse was a puff of smoke dissolving in the sky. This profound truth can only be recounted by someone who has experienced it, who has returned from it, who is able to remember and question it. The only person who can understand that man is someone who has gone through a similar ordeal. Communion is possible only with one’s self: the dead speak to the dead, the living to the living, and camp survivors to camp survivors. Sorrow is the profound link between humans. It only exists, by the way, because humans interact, even as they live in divisiveness and rivalry. Someone nourished on love and compassion seeks to understand the pain of the other in order to understand his or her own, thus together transcending misfortune. But how can we convey the sorrow when the words to express it do not exist, or when our throats are so knotted that those words will not come out? To express through words—as Primo Levi, Jorge Semprun, and others did—or through painting, as Music did, is a fateful decision: expressing means clinging to the suffering. Recounting means suffering again and again, because the account can never extinguish the experience. For his entire life as a camp survivor, Semprun asked himself the question: literature or life?

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One of his books bears that very title, summing up the survivor’s dilemma. Live or die? Forget or repeat? Speak or remain silent? In fact, there is no choice. You never get over it. Because you can’t forget, and you don’t forget because you cannot speak, and you do not speak because there are no words to express it. And if those words don’t exist, that’s because no one has ever recovered life and speech after death. This sorrow is an orphan. It is related to nothing, not even to the deeds that engendered it. The chaos of the world is infinite. It was through muted colors that Music sought the signs to express it. He, too, wondered whether he should paint or live; he, too, realized that forgetting was impossible, and that, given the principle of continuity, suffering was the only life to which survivors can aspire. After a long period of deliberate insouciance—adopted as a true remedy—during which he consumed a lot of bright colors, of thoroughly assured joys and delights, Music returned to the easel of the dark days, dipping his brush in the dull pain that haunted him, that had never faded. So he painted what is not said, not seen, not heard. Just as there is the inexpressible, there is the invisible and inaudible. In fact, everything escapes us; we know nothing of the great mystery of the camps. Should it therefore remain an inaccessible secret forever? So how can we know? How can we live? Who can tell us what Music has expressed in his drawings and paintings? Ruined lives, death, corpses, smoke, ash, shame, dried-up tears . . . But what else? What else? What lies beyond the how and why, beyond the before and after? What do the facts mean, in themselves? Nothing. Knowing is not an answer. So is ignorance essential to life? Ignorance supposedly shields life from what? Madness, mindlessness, death? Boualem Sansal Survivor of Algerian wars and internment camps, serial number 102/35000

Post-script As I write these lines intended for people tormented by memory of the past, a strange

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future has begun to dawn on earth. It will certainly be hard to live through—the first reports are terrifying. And did we see the signs? Those cries in the night? The distraught crowds on muddy paths and torrid asphalt? Those improvised camps in the jungle? The spiritless children marching along half asleep? That darkness in full daylight? Those explosions of lights that glare on the horizon and threaten to extinguish the sun? Those bodies accumulating in heaps, already resembling the mountains of corpses that Music drew in terror? Before, in Zoran’s day, people spoke of a crazy demiurge who wanted to dominate the world. Now, apparently, it’s God himself, in all his resuscitated glory, who is in charge. He will open the doors to his heaven to each and every one. The future will be cosmic, eternal, and final. That’s the good news. In a world at last perfect, there will be nothing and no one to draw it. Only God with his heavenly host. It is right, brothers, to recall here and now what was, and what will be. That’s the way humans are: they’re made of memories, only memories—we must never forget that.

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Peindre avant que tombe la nuit pascal bruckner

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Peindre avant que tombe la nuit Pascal Bruckner

Chez Music, tout commence par le flou, par un voile qui dissimule et montre à la fois. Ce qui frappe dans ses tableaux, c’est d’abord la couleur de terre brûlée qui occupe toute la surface. Il brouille le regard pour le purifier, il nous force à accommoder. La demi-teinte oblige à chercher de la clarté, un sens dans les ténèbres. Music ne peint le monde que filtré par la douceur de l’ocre comme une lumière de base, une monochromie fondamentale d’où s’enlèvent des nuances de gris ou de bleu pâle, de jaune ou d’orange délavé. Telle une symphonie jouée sur une seule note dont on découvrirait lentement les harmoniques et les différences de ton. La toile ne vous saute pas au visage, c’est vous qui plongez lentement en elle, par immersion progressive. Pas de violents contrastes de couleurs qui éblouissent et imposent une direction, juste un clair-obscur qui déroute. Chacun de ses tableaux commande d’être médité autant que regardé. Le sépia installe le sujet dans une sorte d’hier éternel, hors du temps. Ce peintre centre-européen, héritier de l’Empire austro-hongrois, éduqué en trois langues, l’italien, l’allemand, le slovène, élève de l’École des beaux-arts à Zagreb, aurait pu rester un paysagiste talentueux croquant les gracieux chevaux de Dalmatie, les ruelles de Venise, les reliefs du Karst, cette région érodée déboisée par les Vénitiens pour construire leurs pilotis. Ou les bacs traversant les fleuves emplis de bœufs, telle une arche de Noé biblique. Il chante le monde d’avant la catastrophe, la nature heureuse. Ses pointes sèches, ses lithographies évoquent les arts primitifs indiens des Amériques. Délibérément traditionnel, il s’est dit marginalisé par les avant-gardes pic-

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turales de son époque, écrasé par les dogmes bavards des abstraits, des cubistes, des surréalistes. Mais cet embarras a tourné à son avantage. Contrairement aux peintres « subversifs » de son siècle, Music n’a pas voulu scandaliser la bourgeoisie débonnaire du monde démocratique par le fracas des manifestes et la remise en cause des formes. Il a fait mieux, il a été confronté au pire, au nazisme, qui l’a jeté dans un camp de concentration. Arrêté par hasard à Venise par la Gestapo en 1944, soupçonné de liens avec les Alliés, il fut en effet torturé puis envoyé à Dachau après avoir décliné, en riant, la proposition d’un officier allemand de devenir un auxiliaire de la SS. Cette épreuve aurait pu le tuer, elle l’a révélé à lui-même. Dans le processus créateur, le passage par l’oppression est parfois indispensable : voyez Alexandre Soljenitsyne, Varlam Chalamov, Vassili Grossman, Primo Levi, Robert Antelme qui ont tiré de leur calvaire des œuvres immenses. Ou encore l’admirable Margaret Buber-Neumann, livrée par Staline à la Gestapo et qui aura connu les deux versants du totalitarisme, soviétique et allemand, le « camp d’amélioration » au Kazakhstan en 1937 puis Ravensbrück au début de la Seconde Guerre mondiale. Music, pour se libérer de l’épouvante, entame, à l’insu de ses gardiens, dès qu’il le peut, avec des moyens de fortune, une série de croquis sur la vie du camp, dont seule une trentaine sera sauvée. Il offre à ses compagnons de torture un tombeau d’encre et de papier, tente de capter leurs yeux « comme des centaines d’étincelles acérées », leurs doigts arachnéens. Autour de lui il ne voit qu’agonisants et macchabées. « Je dessinais comme en transe, m’accrochant morbidement à mes bouts de papier. J’étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. Tout en dessinant, je m’agrippais à mille détails. Quelle tragique élégance dans ces corps fragiles. Des détails si précis : ces mains, ces doigts si minces, les pieds, les bouches entrouvertes dans la tentative extrême de happer encore un peu d’air et les os recouverts d’une peau blanche, à peine un peu bleuie. Et la hantise de ne point trahir ces formes amoindries, de parvenir à les restituer aussi précieuses que je les voyais, réduites à l’essentiel. » Mourir, c’est s’alléger, se réduire à la finesse d’une ligne, d’un trait. On pense, face à ces esquisses, à Goya, Georg Grosz ou Otto Dix qui ont influencé Music, mais sans la charge de démesure de ces derniers. Il y a de la tendresse dans ces choses vues en enfer, autant qu’un refus de la violence gratuite. À côté de lui, le Guernica de Picasso semble l'affiche d’un publicitaire de génie, trop bavard, trop vu, trop diffusé et qui a rejoint le grand barnum consumériste. Les morts de Music sont modestes. Ils ne hurlent ni ne se contorsionnent en effets criards et c’est en quoi ils nous bouleversent. Leur sexe est une béance noire comme leur bouche, un souvenir, une épure. Le peintre a inventé l’esthétique de l’abomination discrète.

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Très schématiquement, la représentation de la mort dans la peinture occidentale suit deux voies : celle des Vanités et celle des Revenants. Les premières soulignent la fugacité de l’existence et que l’homme « est méprisable en tant qu’il passe et infiniment estimable en tant qu’il aboutit à l’éternité », selon les mots magnifiques de Bossuet. Des troupeaux de damnés de Bosch, poussés vers l’enfer, aux danses macabres de Holbein ou Michael Wolgemut, chaque homme ou femme est suivi comme une ombre par son cadavre qui aime, rêve, festoie à ses côtés et le tire lentement vers le trépas. Gentilshommes, princes, marchands, manants, jeunes filles, tous sont en sursis. Patiemment logée dans l’air que nous respirons, dans les tissus qui nous composent, dans les battements de notre cœur, la Camarde attend son heure. Et comme les démons que nous fuyons, elle finit toujours par nous rattraper. Mais les défunts, tout à la rage d’être partis avant les autres et de laisser sur terre tant de bien portants, sont agités d’une vie incessante et fiévreuse et reviennent troubler les vivants. Dès le Moyen Âge se développe tout un art macabre à connotations érotiques, scènes d’amour dans les tombeaux, cadavres dotés d'organes génitaux et capables d’abuser de jeunes mortelles. La Mort ne se contente pas d’emporter les êtres à tout âge, elle les viole dans des étreintes macabres : témoin le fameux tableau de Hans Baldung Grien (1517) où la Mort, le crâne encore parsemé de mèches grises, empoigne une jeune fille nue par les cheveux et la contraint à descendre dans le tombeau. Ou bien, la même année, celui de Niklaus Manuel Deutsch qui représente un cadavre embrassant une jeune personne sur la bouche et caressant son sexe. Annonçant nos modernes zombies, les morts forment une population inquiète : jamais en repos, ils produisent des sons étranges, dévorent leurs suaires, sont habités d’appétits inavouables, ouvrent leurs caveaux et viennent semer la terreur dans les campagnes et les bourgs, propageant des épidémies. Zoran Music réconcilie ces deux dimensions : le camp fut pour lui une épreuve initiatique, un cheminement vers la vérité, mais à retardement. À peine libéré, gravement malade, de Dachau par les troupes américaines, il efface le cauchemar, s’enivre de lumière, de beauté, peint pendant vingt-cinq ans des scènes bucoliques en Dalmatie, en Italie, s’adonne à sa passion de la nature, des étendues semi-désertiques. La traversée de l’abjection est passée sous silence. Mais vers 1970, l’école de Dachau revient en force dans son œuvre et il entame la série extraordinaire de Nous ne sommes pas les derniers. À l’allégresse succède le face-à-face impitoyable avec la terreur. Dachau est devenu l’espace mental de son inspiration et ne le quittera plus. Des moribonds, la bouche ouverte, regardent le ciel vide et sans Dieu, d’autres semblent dormir, figés dans des poses grotesques, tels de vieux enfants couchés dans un lit. « L’horrible beauté de ces corps ruinés » s’est emparée de lui. Des monceaux de mourants s’ag-

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glutinent sur un monticule, bras et jambes pendantes, baignées dans une espèce de lumière rose. Certains voudraient nous parler, un peu comme ces nourrissons prématurés, dépourvus de poumons et de cordes vocales et qui hurlent en silence, dans leurs berceaux. Ils conversent sans un mot dans une sorte de parlement pathétique. D’autres sont assis, nus, décharnés, attendant de perdre le peu de force qui leur reste. D’autres encore semblent rire comme s’ils étaient joyeux de quitter cette vie, à moins que le rictus ne soit qu’une contraction involontaire de la mâchoire. Leur tête est noire comme un fruit déjà pourri. Les gisants de Music ne sont pas ces cadavres bien portants des gravures du Moyen Âge, ces pendus joyeux ou ces morts de l’imagerie populaire du Mexique qui batifolent et dansent la gigue. Ils sont nus, démunis. Leur décès n’ouvre sur aucune rédemption et confirme la déréliction générale. Music est l’anti-baroque par excellence, il fuit le pathos autant que l’effroi. Il rend hommage aux disparus par la compassion et la tendresse. Il prend les êtres humains après la souffrance, après la maladie, l’exode, la faim, au moment où ils vont rendre l’âme : l’armée des morts est une population en surnombre. Il y en a trop, partout, toujours, ils submergent l’espace. Épuisés, ils tombent par grappes entières et les survivants les entassent en tas gémissants. L’économie de moyens est chez Music la voie royale vers l’essentiel. À qui a traversé l’enfer, le retour en arrière est impossible. Le monde est brisé, la sérénité a disparu. Passé de l’ignominie à la stupeur, Music doit garder jusqu’au bout les yeux ouverts sur l’abîme. Alors débute chez lui une ultime période : il devient un personnage de Dachau, se regarde avec les yeux du mourant qui aurait dû rester dans le Lager et a survécu par hasard. « Voir les yeux fermés » dit-il. Désormais il n’obéit qu’à une vision intérieure et multiplie les autoportraits, seul ou en couple, en compagnie de sa femme Ida dont on ne retient que la mousseline des cheveux, châtains ou roux, semblable à une auréole. Mais les visages ne sont représentés que pour être effacés ou suggérés. À la place de la personne, une silhouette floue. Deux spectres unis dans le crépuscule. Comme des clichés qui n’impriment jamais sur la toile et restent désespérément vides. Les êtres paraissent sans matière, sans contours, à peine évoqués qu’estompés, littéralement bus par des sables mouvants. Levinas parlait du visage comme la nudité par excellence, le vulnérable qui nous somme de répondre d’autrui. Les toiles de Music ne donnent plus prise à cette illusion. La figure n’est qu’une empreinte où apparaissent les lieux plus sombres de la bouche et des yeux. Comment pourrait-on les dévisager, les reconnaître puisque leurs traits ont été gommés ? Restent des traces comme sur le suaire de Turin, des contours qui s’atténuent. Chez Music, l’expérience concentrationnaire est celle de la disparition du visage : pas d’altérité puisque l’identité s’est évanouie.

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En vieillissant, lui-même s’abolit à son tour dans l’informe. Seule une tache noire, halo ou auréole, indique l’emplacement de ce qui fut jadis un homme, une figure, un destin, un paysage. On ne les voit plus, on les devine. C’est par les yeux, les orifices, la bouche qu’entre la nuit dans la face humaine. À la fin de sa vie, et alors que la cécité le menace, Music figure un Penseur de Rodin guetté par l’épuisement. Un homme voûté, nu, se dissout lentement, dans un poudroiement de lumière pâle. La nudité n’est que le dépouillement ultime, le prélude au grand départ. Music ne confirme ni ne dément aucune révélation religieuse : son art est neutre et peut convenir au croyant autant qu’à l’athée. Son modèle est réduit à une silhouette, une chose farouche déjà perdue dans les ténèbres. La débâcle de la forme attaque même la nature : et comme les cadavres du Lager évoquaient pour Music des tas de petit bois, des racines d’arbres enchevêtrées, les collines siennoises lui font penser à des gisants aux côtes saillantes. La paix rurale est à son tour contaminée par l’horreur. Les rochers sont des quasi-êtres humains qui se soulèvent, les agonisants des éléments naturels, prêts à être engloutis. Une même solidarité, une même sympathie universelle relie les bêtes, les végétaux, les pierres et les montagnes. Grande synthèse dans l’apaisement du temps. Au fond de l’espèce humaine comme des espèces végétales ou animales, un même courant anonyme précipite les choses vers la destruction. Qu’est-ce que la mort ? Un processus de réabsorption dans l’indistinct. Ce qui était un être singulier, homme, cheval, arbre, colline se fond dans le grand tout et prend d’autres aspects. Le magma a tout avalé. Au plus profond de soi, Music découvre la loi implacable des métamorphoses qui broie sans répit les vivants, les paysages, la matière vouée à mourir, à se transformer, chacun à son allure propre. Seule l’acuité d’un tableau peut racheter l’effondrement général. Il existait au xixe siècle tout un art de la photographie post mortem où le défunt, jeune ou vieux, était mis en scène avec les vivants dans un portrait de groupe. Music fait l’inverse : il installe les vivants en position de défunts et les saisit à ce point où ils vont s’abîmer, dans la grande paix de l’anéantissement. C’est cela que médite son anachorète dans la série du même nom : il goûte la fragilité de l’existence, au bord de l’exténuation. Un fantôme contemple le néant et se prépare au grand voyage. L’art est une grâce fragile conquise sur l’extinction. Pascal Bruckner

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Painting Before Night Falls Pascal Bruckner

With Zoran Music, everything begins in a haze, with a veil that simultaneously hides and reveals. His paintings strike us first of all by their hue, the color of baked earth that covers the entire surface. He softens our gaze the better to sharpen it—he obliges us to focus. The muted tone forces us to seek clarity, to seek a direction among the shadows. Music always paints the world filtered through the softness of ocher, a background light or basic monochrome from which he teases out shades of gray or pale blue, or yellow or faded orange—like a symphony played on a single note, whose harmonics and differences in tone are only discovered little by little. The canvas doesn’t leap out at the eye, the beholder has to sink slowly into it, through progressive immersion. The eye is not dazzled or drawn by any stark contrasts of color, there is just an unsettling chiaroscuro. Each of Music’s paintings must not just be seen but contemplated. Sepia places the content in a kind of eternal, timeless yesteryear. As a Central European artist, a product of the Austro-Hungarian Empire raised in three languages—Italian, German, and Slovenian—and educated at the school of fine arts in Zagreb, Music might have remained a talented landscape painter sketching the graceful horses of Dalmatia, the back alleys of Venice, and the hills of Karst (an eroded region deforested by the Venetians in order to build their pilings). Or ferries crossing rivers, full of oxen like some biblical Noah’s ark. He celebrated the world that predated the catastrophe, a felicitous nature. His dry-point engravings and lithographs evoked primal Amerindian arts. The deliberately traditional Music claimed he had been marginalized by the paint-

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erly avant-gardes of his day, stifled by the wordy dogmas of the abstractionists, cubists, and surrealists. But this predicament redounded to his advantage. Unlike the “subversive” artists of his day, Music did not seek to scandalize the easy-going bourgeoisie of democratic nations through the din of manifestoes and challenges to existing forms. He went one better, confronting something far worse: Nazism, which dispatched him to a concentration camp. Arrested by chance by the Gestapo in Venice in 1944, suspected of having links with the Allies, Music was tortured and then sent to Dachau, after having turned down—with a laugh—a German officer’s suggestion that he join an auxiliary SS force. This ordeal might have killed Music. But it turned out to be self-revelatory. Sometimes, in the creative process, a period of oppression is indispensible: just look at Alexander Solzhenitsyn, Varlam Shalamov, Vasily Grossman, Primo Levi, and Robert Antelme, who transformed their sufferings into terrific oeuvres. Then there was the admirable Margarete Buber-Neumann, whom Stalin handed over to the Gestapo and who experienced both kinds of totalitarianism, Soviet and German, first through an “improvement camp” in Kazakhstan in 1937 and then in Ravensbrück early in World War II. As a way of escaping the horror, Music began a series of sketches on camp life as soon as he could, with whatever materials he had at hand, unknown to his guards. Only about thirty of those drawings would survive. Offering his fellow torture victims a tomb of paper and ink, he attempted to record their spidery fingers and the “countless steely sparks” of the their eyes. Around him he saw only the dead and dying. “I drew as though in a trance, morbidly clinging to my scraps of paper. It was as though the incredible vastness of those fields of corpses had blinded me. I clung to countless details as I sketched. What tragic elegance there was in those fragile bodies. Such precise details: those hands, those skinny fingers, the feet, the mouths half open in a final attempt to draw a little more air. And the bones stretched with white skin, just a shade bluish. And the obsession of not betraying those diminished shapes, of managing to make them just as precious as I saw them, reduced to essentials.” Dying meant streamlining, being reduced to the thinness of a line, a stroke. Seeing these sketches evokes Goya, Georg Grosz, and Otto Dix—who influenced Music—yet without their exaggerated caricature. There is a tenderness about Music’s hellish vision, as well as a rejection of gratuitous violence. Next to Music, Picasso’s Guernica looks like an inspired advertising poster: too wordy, too familiar, too bandied about, part of the huge consumerist circus. Music’s dead are more modest. They do not scream or twist to gaudy effect—and that’s why they move us. Their genitals are dark voids like their mouths; just a memory, an outline. Music invented an aesthetics of discreet awfulness. Very schematically, allusions to death in Western painting have taken one of two paths:

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vanitas or ghost. A vanitas stresses the fleeting nature of life, the fact that, in Bossuet’s magnificent words, “man is worthless in so far as he is transitory, and infinitely worthy in so far as he attains eternity.” From the herds of the damned being driven toward hell in Bosch’s paintings, to the danses macabres of Holbein and Michael Wolgemut, all men and women are shadowed by a corpse that loves, dreams, and feasts by their side, steadily drawing them toward their demise. Gentlemen, princes, merchants, yokels, girls—everyone is living on borrowed time. The Grim Reaper, patiently inhabiting the air we breathe, the flesh we are made of, every beat of our hearts, awaits his moment. And, like the demons we try to flee, he always catches up with us. But the dead—enraged at having departed before the others, at having left so many healthy souls on earth—become agitated in their feverish, endless existence, and so return to haunt the living. Right from the Middle Ages there emerged a macabre art with erotic connotations: scenes of making love in the grave, of corpses endowed with genitals taking advantage of sweet young things. Death is not content merely to carry off people of all ages, it ravishes them in macabre embraces, as seen in a famous painting by Hans Baldung Grien in which Death, skull still sporting wisps of graying locks, grabs a naked maiden by the hair to drag her into the grave (1517). That same year, Niklaus Manuel Deutsch depicted a corpse kissing a young woman on the mouth while fondling her genitals. These dead, prefiguring our modern zombies, constituted a troubling population—never at rest, they made strange sounds, devoured their shrouds, were driven by inadmissible cravings, and sprang from their graves to trigger epidemics and spread terror among towns and countryside. Music reconciled these two visions. The concentration camp was an initiatory ordeal for him, a path toward the truth—if one he postponed. As soon as he was released from Dachau by American troops, the gravely ill Music put the nightmare behind him, becoming intoxicated with light and beauty. For twenty-five years he painted bucolic scenes in Dalmatia and Italy, indulging in his passion for nature and stretches of semi-wilderness. The period of abjectness was never mentioned. But around 1970, the lessons of Dachau forcefully resurfaced in his work; he began an extraordinary series titled We Are Not the Last. Elation was followed by a pitiless confrontation with terror. Dachau became the mental realm of Music’s inspiration, one that never left him. The dying look to the sky vacantly, mouths open, godless, while others seem to sleep, frozen in grotesque positions like old children lying in a bed. Music was gripped by “the horrible beauty of those wasted bodies.” Piles of the dead cluster in a mound, arms and legs dangling, drenched in a kind of pink light. Some seem to want to speak up, a little like those premature babies lacking lungs and vocal cords, howling silently in their cradles. They debate wordlessly, a parliament steeped in pathos. Others are seated, naked, skinny, waiting to lose the little strength that remains. Still others seem to laugh, as though delighted to leave this world—unless

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their grins are just an involuntary contraction of the jaw. Their heads are dark, like fruit already turning rotten. Music’s recumbent figures are not like those strapping corpses of medieval engravings, not like the cheerful hanged men and the dead in popular Mexican imagery who frolic and dance. His dead are naked, destitute. Their death brings no redemption, it confirms their total dereliction. Music is anti-baroque par excellence, he avoids both pathos and fright. He pays tribute to the dead with compassion and affection. He shows human beings at the end of all their suffering, illness, exodus, and hunger—at the moment they give up the ghost. The army of the dead is too numerous. There are too many of them, everywhere, at all times, invading space. Exhausted, they fall in clusters, while survivors pile them into groaning mounds. In Music’s work, economy of means is the path toward the essential. To anyone who has been through Hell, no return is possible. The world is broken, serenity is gone. Going from ignominy to stupor, Music had to keep his eyes trained on the abyss right to the end. There then began a final period to Music’s oeuvre. He turned himself into a character from Dachau, looking at himself with the eyes of a dying man who should have remained in the Lager but who survived by chance. “See with eyes closed,” Music used to say. Thereafter he followed only an inner vision, doing more and more self-portraits, alone or in a couple with his wife Ida, of whom we see just the halo-like chiffon of her red or chestnut hair. Faces are depicted only in so far as they are effaced or suggested. Hazy silhouettes replace individuals. Two ghosts united in the twilight—like negatives that never print, remaining hopelessly blank. Beings have no substance or outline; they are scarcely evoked, then rubbed out. Seemingly swallowed by quicksand. Philosopher Emmanuel Levinas viewed the face as the essence of nudity, the vulnerability that obliges us to reply to the Other. Music’s canvases no longer provide a hold on that illusion. His faces are just an imprint with dark patches for eyes and mouth. Since their features have been effaced, we are unable to look hard at them, to recognize them. There remain only traces, fading outlines, like some Shroud of Turin. For Music, the concentration-camp experience led to the disappearance of faces: identity has evaporated, so there can be no Otherness. As he aged, he eliminated himself, in turn, through formlessness. Only a black patch, a halo or ring, indicates the spot where once there was a man, a face, a fate, a landscape. They can no longer be seen, they must be intuited. It is through the eyes, the mouth—the orifices—that night comes to the human visage. Toward the end of his life, threatened by blindness, Music depicted a Rodin Thinker on the verge of exhaustion. A bent, naked man slowly dissolves in a powdery, pale light. Nudity is

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merely the final stripping down, a preparation for the final departure. Music neither confirms nor denies any religious revelation—his art is neutral, and can speak to both believers and atheists. His sitter is reduced to an outline, to some shrinking thing already lost in the shadows. The disintegration of shapes even affects nature: just as the corpses in the Lager made Music think of heaps of kindling or tangles of intertwined roots, so the hills of Siena reminded him of recumbent figures with protruding ribs. Rural serenity thus becomes contaminated by the horror, too. Rocks become quasi-human beings who rise up, nature’s dead and dying, just before being swallowed up. A similar solidarity—a similar, universal sympathy— unites animals, plants, stones, and mountains. A globality quietly emerges over time. Deep in the human species, as in animal and plant species, the same nameless current pushes things toward destruction. What is death? A process of returning to indistinctness. What had been a singular entity—man, horse, tree, hill—merges into a great whole, adopting other appearances. The magma swallows up everything. Music discovered, deep down, the implacable law of metamorphosis that relentlessly crushes the living, the landscape, and all matter doomed to die, to be transformed, each at its own pace. Only the acuteness of a painting can redeem the overall dissolution. In the nineteenth century there existed an art of post-mortem photography in which the deceased, whether young or old, was staged in a group portrait along with the living. Music did the opposite: he set the living in the pose of the deceased, recording them just as they slide into the great serenity of nothingness. That is what the hermit of his Anchorite series is meditating: on the verge of exhaustion, he senses the fragility of life. A ghost contemplates the nothingness, preparing for the grand voyage. Art is a fragile grace accorded over extinction. Pascal Bruckner

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L’Art du témoignage MICHAËL PRAZAN

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L’Art du témoignage michaël Prazan

Témoigner. Zoran Music ne fut pas le seul à ressentir cette urgence, comme une absolue nécessité. Tous les internés des camps de concentration, plus largement les prisonniers et travailleurs forcés destinés aux centres de mise à mort nazis, ceux qui avaient en eux les capacités et les outils leur permettant de le faire, ont répondu à cette injonction. À l’aide d’un morceau de charbon, d’un stylo chapardé ou obtenu par le troc ou la contrebande, d’un bout de papier trouvé dans les affaires d’un mort, ils ont écrit. Il fallait livrer au monde, quel que fût leur destin propre – aucun ne pensait survivre à l’expérience concentrationnaire ou au processus d’extermination –, la preuve de ce à quoi ils assistaient, de l’expérience unique à laquelle ils étaient confrontés. Ce fut le cas de Zalmen Gradowski, de Leib Langfus ou de Zalmen Lewental, trois membres des Sonderkommandos d’Auschwitz, trois travailleurs forcés juifs affectés aux « Krema » de Birkenau. Ils étaient chargés du pire travail possible : vider la chambre à gaz des corps qui s’y trouvaient pour les brûler ensuite dans des fours crématoires. Sous les coups, les injures et les brimades, sans répit. Dans le rythme effréné des convois qui venaient de toute l’Europe, habités par la certitude que leur tour viendrait. Ils étaient destinés au sort des cadavres qu’ils réduisaient en cendres, et ils y ont tous trois succombé. Après avoir frénétiquement noirci d’une écriture empressée, précise et sans fioritures, les bouts de papier qui leur tombaient sous la main, ils ont enfoui leurs manuscrits dans la terre, près des crématoriums. On les a retrouvés après la libération du camp, l’effondrement du IIIe Reich. Et leur disparition.

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D’autres membres de ces Sonderkommandos, peut-être les mêmes, ont pu se procurer un appareil photographique. Depuis la chambre à gaz, ils ont pris des clichés, quatre photographies arrachées à la vigilance de leurs bourreaux, quatre instants de vie à Auschwitz-Birkenau. On y voit des femmes juives déportées de Hongrie à l’été 1944, entièrement nues, marcher au pas de course dans le bois de bouleaux vers leur assassinat. Sur d’autres clichés, on aperçoit quelques-uns des membres du Sonderkommando traîner des cadavres au milieu d’une fumée infernale pour les brûler à l’air libre (le rythme des gazages était tel qu’on ne pouvait tous les incinérer dans les crématoires, pleins à ras bord). Au même moment, dans le camp d’Auschwitz-la Buna, Primo Levi rédigeait à la dérobée la première version de ce qui deviendrait plus tard Si c’est un homme. Les condamnés ne possédaient pas toujours les aptitudes leur permettant de témoigner – la faculté de décrire ou de représenter ce qu’ils observaient et ce qu’ils vivaient. L’opportunité a pu s’y substituer. On pense alors à David Sivzon, du nom de cet électricien juif de Liepaja, en Lettonie. Au mois de décembre 1941, les Juifs de la ville, plus de 7 000 personnes – toute la population juive de Liepaja –, essentiellement des femmes et des enfants, avaient été assassinés dans une longue tranchée creusée sur la plage de Skede par les Einsatzgruppen et leurs supplétifs locaux – en l’occurrence, un bataillon de la police lettonne. Ne demeurait en vie qu’un échantillon résiduel de travailleurs juifs, des ouvriers spécialisés dont le SD local avait besoin pour les travaux de maintenance. David Sivzon en faisait partie. Quelques semaines après les massacres de Skede, il fut envoyé dans l’appartement de Carl Strott, un responsable allemand du SD de Liepaja, pour y réparer des câbles électriques. Il n’y avait personne lorsqu’il se mit au travail. Sivzon remarqua un tiroir du bureau à moitié ouvert qui laissait apparaître quatre pellicules de films photographiques. L’électricien juif les examina à la lumière du jour. Il s’agissait d’une douzaine de photos, prises avec son appareil Minox par Strott en personne, le 15 décembre 1941. Les clichés retracent chaque étape du massacre de masse, du déshabillage sous bonne garde sur la plage jusqu’à cet ultime cliché où l’on aperçoit les corps inertes allongés au milieu de la tranchée ; ces corps qui, sur les photos précédentes, étaient encore des personnes vivantes, un groupe constitué de femmes et d’enfants. Sivzon empocha les pellicules. Il s’arrangea pour en faire des copies, puis simula une panne de courant pour revenir dans l’appartement de Strott et les replacer dans le tiroir. Parce qu’il était trop risqué de conserver les tirages sur lui ou dans ses affaires, aussi parce qu’il pouvait disparaître à tout moment dans le processus d’extermination, il décida de les cacher dans une boîte métallique qu’il enterra sous une étable. Sivzon survécut. À la Libération, il déterra les photos

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qu’il envoya au service d’espionnage de l’armée soviétique. Les clichés servirent de pièce à conviction au tribunal de Nuremberg. Témoigner. C’est le ressort premier de la série de croquis effectuée par Zoran Music au camp de Dachau, en 1945. Environ deux cents esquisses à l’encre, dont une trentaine fut conservée, jetées sur le papier comme autant d’instantanés, et sur lesquelles s’égrènent, prises sur le vif, les visions horrifiques du paysage concentrationnaire. Cadavres décharnés, enveloppés dans leurs linceuls de fortune ou enclos dans des cercueils. Prisonniers chargeant les corps squelettiques destinés aux fours crématoires dans des charrettes ou sur la plateforme arrière des camions. Si la main du peintre formé à l’Académie des beaux-arts de Zagreb, rompu par ses talents de copiste à l’art du Siglo del Oro, ne tremble pas, la rapidité du geste, la concision du trait, sa maladresse assumée – car sans conséquence artistique –, traduisent l’urgence du témoignage – du témoignage comme fonction et pour seule fin, du témoignage comme lien ultime avec l’humanité. La sienne d’abord (« peut-être une raison de s’en sortir » ; « peut-être une raison de résister »), mais surtout celle du dehors : l’humanité qui encadre la guerre, celle des gens normaux qui verront et comprendront le croquis à qui il se destine de manière abstraite et indirecte. Témoigner, dans ce contexte, c’est dialoguer avec l’humain, du moins ce qu’il en reste ; fût-il un songe, une nostalgie, un idéal ou une chimère. Si ce n’était l’outil forgé par sa trajectoire personnelle (la peinture, la maîtrise graphique de l’anatomie et du mouvement – ici, de son absence), l’entreprise de Music au camp de Dachau ne le distingue pas, sur l’essentiel, de celle des Sonderkommandos d’Auschwitz, de celle de Primo Levi à la Buna, voire même de celle de David Sivzon à Liepaja. Les croquis de Dachau, en ce sens, ont sans doute plus à voir avec le reportage, le dessin de presse, qu’avec l’art en tant que tel. C’est après que les choses changent, comme elles changeront pour d’autres peintres et d’autres écrivains passés par les camps. Leur témoignage était si fort et si vrai, jusque dans les vides enserrant le trait, jusque dans les silences entre les mots, qu’il s’est imposé à eux. Presque nécessairement, il demeurerait l’assise et le maître étalon de leur style. Comme si, en dehors de ce témoignage fondateur, de sa référence dont ils ne parviendront jamais à s’extraire complètement, il n’y avait plus rien à dire, il n’était plus possible de rien dire. Resterait alors, tout en lui demeurant fidèle, à le transformer en esthétique. Faire autre chose, peut-être. Aller plus loin, sans doute. Mais sans le trahir. Ainsi, lorsque, hanté par les horreurs de Dachau, Music renoue en 1970 avec la thématique du camp dans une série d’œuvres majeures, rassemblées sous le titre

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Nous ne sommes pas les derniers, l’ébauche et le croquis du témoignage liminaire deviennent naturellement la facture de son art. Ses représentations picturales – les monceaux de corps ou les visages hallucinés des cadavres aux yeux perforés, noirs comme des puits sans fond – travaillées comme jamais dans leurs formes, agrémentées d’une palette minimale de couleurs qui oscillent entre l’ocre et le rouge de la terre battue, de halos parcheminés qui font émerger les victimes déshumanisées, tragiquement interchangeables, de la chape d’oubli qui les a recouvertes, sont d’autant plus poignantes qu’elles semblent toujours plus vraies, comme si l’art venait à la rescousse du souvenir pour mieux le conjurer et le transcender, tout en lui demeurant résolument fidèle. Les rescapés qui ont poursuivi par la littérature le témoignage ébauché dans le camp, qui en ont fait la matière de leur œuvre, étaient obsédés par la justesse du ton et du style qu’ils devaient adopter, par la volonté de restituer le camp par une langue la plus pure et la plus simple possible, débarrassée des artefacts littéraires, de tout ce qui, par l’adverbe, l’adjectif ou le trope, risquerait de le noyer dans le maniérisme et les idiotismes propres à leur art. Tous craignaient l’invasion du pathos dans leurs œuvres – le pathos, qui est essentiellement « vie » et « mouvement ». Eux voulaient créer une écriture de Mort, une écriture qui traduise la mort avec le plus de réalisme possible. Pour demeurer au plus près de leur sujet et de l’expérience qu’ils avaient traversée et qu’ils ne voulaient perdre à aucun prix, ils ont bridé certaines de leurs tendances au lyrisme, au sentimentalisme, à l’hyperbolique, à l’emphatique, au métaphorique. Cette recherche de distanciation a été paraphrasée par Jean Améry, le rescapé autrichien d’Auschwitz et l’auteur de Par-delà le crime et le châtiment, d’« objectivité distinguée »1. Il s’agissait pour l’artiste de disparaître derrière la représentation, et pour ce faire, de réprimer en soi l’égotisme de l’artiste. « Autrement dit, même s’ils [les écrivains du camp] reconnaissent à contrecœur que l’objectivité – qui a effectivement une réputation d’élégante civilité – n’existe pas dans sa forme absolue, ils essayent de sauver ce qui peut l’être, sans toutefois contester le principe même de la recherche d’objectivité. »2

Jean Améry, Par-delà le crime et le châtiment : essai pour surmonter l’insurmontable, Arles, Actes Sud, 1984.

1

Sem Dresden, Extermination et littérature. Les récits de la Shoah, Nathan, Paris, 1997, p. 11 (première parution en néerlandais en 1991).

2

« L’écriture blanche » issue des camps (Primo Levi, Jorge Semprun, Robert Antelme, Elie Wiesel, David Rousset), mise au jour par les critiques et les commentateurs, pourrait aussi bien qualifier l’œuvre de Music. Primo Levi disait qu’il était inutile de souligner l’horreur par des mots ou des effets de style, puisque l’horreur se trouvait déjà dans ce qu’il écrivait. Il en va de même de la série Nous ne sommes pas les derniers. Et, même après, dans les œuvres qui se veulent détachées du souvenir de Dachau, qui renouent plus volontiers avec l’histoire de la peinture et de ses figures traditionnelles, tels le portrait, l’autoportrait, le nu. C’est comme si l’ombre de Dachau, sa gamme chromatique, ses formes fantomatiques et crépusculaires, se perpétuait en

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elles, comme si, grâce au style unique choisi par le peintre pour traduire le camp, il le faisait entrer dans l’histoire de l’art. « Ce que j’ai vécu à Dachau m’a appris à m’attacher à l’essentiel, à éliminer tout ce qui n’est pas indispensable », commentait Music à la fin de sa vie. « Aujourd’hui encore, je peins avec un minimum de moyens. Il n’y a plus, dans ces travaux, ni gestes, ni violence. On parvient à une sorte de silence qui est peut-être un aspect caractéristique de mon travail. Il n’y avait jamais, voyez-vous, dans la mort de tous ces gens à Dachau, la moindre rhétorique. » Le témoignage est circonscrit à l’événement dont il témoigne. Il s’inscrit dans un lieu et dans un moment de l’histoire. L’art lui permet de l’évaser, de le décloisonner, de l’extraire de l’événement proprement dit pour lui conférer une dimension universelle. C’est à tel point vrai que, pour chacun, les œuvres de Music décrivent la Shoah, le génocide de six millions de Juifs, alors même que Music n’était pas juif, et que Dachau, symbole, pour être le premier d’entre eux, du camp nazi, assurément l’un des plus meurtriers, de ceux où la mortalité sévissait sous toutes les formes possibles et imaginables, n’était pas Auschwitz. S’il y a eu la volonté d’assassiner en masse les détenus à Dachau, la chambre à gaz que l’on présume avoir été installée dans le baraquement X en 1943 n’aurait, selon l’historien Pierre Vidal-Naquet, jamais fonctionné. De même, la force symbolique des œuvres de Music, particulièrement la série Nous ne sommes pas les derniers, se poursuit bien au-delà de l’espace concentrationnaire nazi et de la guerre, son art produisant comme une page blanche sur laquelle sont projetées toutes les horreurs du monde contemporain ; tout ce qui peut avoir trait à l’enfermement, l’avilissement, la déshumanisation, la privation de liberté et d’identité, la mort et le supplice au nom d’une « politique ». Music pensait, au sortir de la guerre, être parmi les derniers. Il pensait accompagner, par son témoignage et par son œuvre, la fin d’une histoire ; celle des camps et des idéologies meurtrières. Il croyait participer à une forme d’antidote à la barbarie, voulant croire que l’humanité avait pris conscience du cataclysme sans précédent auquel il avait échappé. Qu’elle en tirerait les leçons. Il n’en fut rien. « Le temps passant, je vis que le même genre de chose recommençait à se produire partout dans le monde : au Viêt Nam, dans le Goulag, en Amérique latine, partout. Et je me rendis compte que ce que nous nous étions dit alors, que nous serions les derniers, n’était pas vrai. Ce qui est vrai, c’est que nous ne sommes pas les derniers. » Au cœur du terrible conflit qui déchira la Yougoslavie au milieu des années 1990, l’écrivain Pascal Bruckner, qui l’a croisé à ce moment-là, se souvient que toutes les parties en présence s’arrachaient le symbole que représentait pour chacun le peintre,

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alors âgé de 83 ans. Pour les Serbes, il était l’opposant au nazisme, une figure de la Résistance dont ils entendaient soutenir l’héritage. Pour les Croates, il était l’un des leurs parce que, bien qu’il fût d’origines mêlées, à la fois slovène et italienne, Music était né en Dalmatie et avait fait ses études à Zagreb. Quant aux Bosniaques, ils reconnaissaient dans sa peinture les victimes de Srebrenica et du « nettoyage ethnique » perpétré par les milices de Radovan Karadzic. Zoran Music est mort en 2005. Il nous a légué une œuvre monumentale et intemporelle. Une œuvre qui témoigne du naufrage de l’Europe entre 1939 et 1945, mais qui, excédant sa tragédie et sa temporalité, raconte l’humanité suppliciée, en tous lieux et de tout temps. Aujourd’hui qu’un nouveau totalitarisme s’est levé, que sa barbarie ne connaît pas de frontières, que les civils sont de nouveau martyrisés, massacrés, crucifiés, décapités, que chrétiens d’Orient et Yézidis sont potentiellement les victimes d’un nouveau génocide, en Irak et en Syrie, l’œuvre de Music résonne comme jamais. Music et ses camarades d’infortune n’étaient pas les derniers. Ils étaient une avantgarde, des éclaireurs aux avant-postes de l’éternel fracas du monde. Le travail de Zoran Music, tissé du témoignage vécu, d’horreur et de beauté mêlée (contradictions que l’art seul peut faire tenir ensemble), est autant un rappel qu’un avertissement. « N'oubliez pas que cela fut, écrivait Primo Levi. Non, ne l'oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur. Pensez-y chez vous, dans la rue. En vous couchant, en vous levant ; Répétez-les à vos enfants. Ou que votre maison s'écroule, Que la maladie vous accable, Que vos enfants se détournent de vous. » Impressionnez ces images sur votre rétine, imprimez-les dans votre mémoire, aurait pu ajouter Music. Car ce que vous voyez fut et sera encore. Michaël Prazan

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The Art of Bearing Witness michaël Prazan

To bear witness: Zoran Music was not the only person to experience that urge as an absolute necessity. All inmates of concentration camps—and, more broadly, the prisoners and forced laborers sent to the Nazi death centers who had the requisite ability and skills— fulfilled the injunction to testify. They wrote things down with a piece of charcoal, or with a pen that was pilfered, swapped or smuggled in, on a scrap of paper found among a dead man’s possessions. They had to tell the world of their fate—none of them thought they would survive the camp experience or the extermination process. They needed to prove what they were witnessing, the unprecedented experience they were undergoing. Such was the case of Almen Gradowksi, Leib Langfus, and Zamen Lewental, three Jewish forced laborers at Auschwitz, part of a Sonderkommando assigned to the Birkenau “Krema.” They were given the worst possible task: emptying the gas chamber of bodies and then burning them in the crematoria. All the while receiving blows, insults, harassment, without respite. To the hectic pace of the convoys arriving from all over Europe, haunted by the certainty that their own turn would come. They were condemned to the same fate as the corpses they burned to ashes; and all three met that fate. After having frantically scribbled in hasty yet plainly accurate handwriting on scraps of paper that came their way, they buried their manuscripts in the ground, near the crematoria. Those papers were found after the camp was liberated, after the Third Reich fell. And after they had died. Other members of a Sonderkommando—perhaps the same—got their hands on a camera. They took pictures of the gas chamber, four photos snatched from under their executioners’

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noses, four slices of life at Auschwitz-Birkenau. The photos show Jewish women deported from Hungary in the summer of 1944, completely naked, walking swiftly through the woods to their murder. Other photos show a few members of the Sonderkommando dragging bodies amid the hellish smoke, in order to burn them outdoors (gassings were so thick and fast that not all bodies could be incinerated in the overflowing crematoria). At the same moment, in the Buna camp at Auschwitz, Primo Levi was secretly writing the first draft of what would later become If This Is a Man. The doomed did not always have the skills to enable them to bear witness, the ability to write or to depict what they saw and experienced. But luck might replace that lack. Take David Sivcon, a Jewish electrician from Liepaja in Latvia. In the month of December 1941, the entire Jewish population of the town of Liepaja—over 7,000 people, mainly women and children—was murdered in a long trench dug on the beach of Skede by Einsatzgruppen and their local allies (in this case, a battalion of Latvian police). The only survivors were a residual group of Jewish laborers—specialized workers needed by the local Sicherheitsdienst (SD) for maintenance work. Sivcon was one of them. A few weeks after the massacre at Skede, he was sent to repair the electrical wiring at the apartment of Carl Strott, a German overseer of the SD in Liepaja. No one was around when Sivcon got down to work. In the half-open drawer of a desk he noticed four rolls of film. He examined them in daylight, and found that there were a dozen photos taken by Strott himself with his Minox camera on December 15, 1941. The pictures recorded each step of the mass killing, from undressing on the beach under the guards’ gaze to a final photo of dead bodies aligned in the middle of the trench—the same bodies that, in earlier shots, had been a living group of women and children. Sivcon pocketed the rolls of film, had copies made, then faked an electrical blackout in order to return to Strott’s apartment and put them back in the drawer. Since it was too risky to keep the prints on his person or among his things, and since he, too, could vanish at any moment during the extermination process, Sivcon decided to store them in a metal box that he buried beneath a stable. Sivcon survived. On being liberated he dug up the photos, which he sent to the Soviet army’s espionage agents. At the Nuremberg trials, these photos were used as evidence. To bear witness: that was the initial motive behind the series of sketches done by Zoran Music in the Dachau camp in 1945. Some two hundred drawings in ink scrawled on paper, like so many snapshots. One by one, done from life, they show horrific visions of the camp landscape. Fleshless corpses wrapped in makeshift shrouds or dumped in coffins. Prisoners loading skeletal bodies headed for the crematorium onto carts, or onto trucks. While the hand of the artist trained at the academy of fine arts in Zagreb—reinforced by his talent as a copyist of seventeenth century art—did not tremble, the swiftness and

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concision of lines whose awkwardness is deliberate (because artistically insignificant) convey the urgency of the testimony. Testifying was the point, the sole goal. Testifying was his final link to humanity: his own humanity, firstly (“maybe a reason to survive, maybe a reason to hold out”), but mainly the rest of humanity, the humanity surrounding the war, the humanity of normal people who would see and understand the sketch addressed to it in an abstract, indirect way. Bearing witness, in this context, meant conversing with humanity, or at least what remained of humanity, whether just a dream, nostalgia, ideal, or illusion. If it hadn’t been for the tools honed by his personal career (the study of painting, mastery of the visual depiction of anatomy and movement—or its absence, as here), Music’s project at Dachau would not have differed, in essence, from those of the Sonderkommando at Auschwitz or from Levi’s at the Buna, indeed from Sivcon’s at Liepaja. In this respect, the Dachau sketches relate more to reporting, to press illustration, than to art as such. It was afterward that things evolved, just as they would evolve for other artists and writers who experienced the camps. Their testimony was so powerful and so authentic, including the gaps ringing the lines and silences separating the words, that bearing witness became crucial. Almost of necessity it would remain the basis, the measure, of their style. It was as though there was nothing left to say outside that initial testimony, outside what it pointed to, something they could never completely escape. It was no longer possible to say anything. What remained, then, was to transform that testimony into artistry even while remaining faithful to it. Or maybe do something different. Perhaps take things further. Yet without betraying it. So when in 1970, haunted by the horrors of Dachau, Music took up the concentration camp theme in a series of major works collectively known by the title of We Are Not the Last, the drawings and sketches of the initial testimony naturally dictated the handling of these pieces. His depictions—the heaps of bodies, or the haunted faces of empty-eyed corpses, black like bottomless wells—were developed as never before in terms of form, matched by a reduced palette of colors shifting between ocher and an earthen red, by wizened haloes that bring forth the dehumanized, tragically interchangeable victims. The weight of oblivion blanketing them is all the more poignant for seeming truer than ever, as though art has come to the rescue of memory the better to conjure it away and transcend it, even while remaining steadfastly faithful to it. The survivors who pursued, through writing, the testimony scribbled in the camps, turning it into the substance of their oeuvre, were obsessed by finding the right tone and style to be adopted, by the desire to recount the camp experience in the purest, most straightforward language possible. They were desperate to avoid literary artifacts or anything that might overwhelm that account—an adverb, adjective, or trope— through the mannerisms and idioms specific to their art. All feared that their works would

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be invaded by pathos—the pathos that is essentially “life” and “movement.” They wanted to forge a literature of Death, a literature that would convey death as realistically as possible. In order to remain close to their subject and to the experience they underwent, which they wanted to retain at all cost, they reined in their inclinations toward lyricism, sentimentalism, hyperbole, bombast, metaphor. Jean Améry, an Austrian survivor of Auschwitz, described this distanciation as “refined objectivity” in his book At the Mind’s Limits.1 The artist had to vanish behind the picture and, by doing so, repress artistic ego. “Even if it is reluctantly acknowledged [by writers about the camp experience] that objectivity—which, indeed, has a reputation for decent correctness—is impossible in an absolute form, [they] try to save what can be saved while not questioning the way of thinking.2” The “blank” writing that emerged from the camps (by the likes of Primo Levi, Jorge Semprun, Robert Antelme, Elie Wiesel, and David Rousset), as discussed by critics and commentators, might also describe Music’s work. Levi said it was pointless to stress the horror through stylistic or literary effects, since the horror was already in what he wrote. The same is true of the We Are Not the Last series and, even later, of those works allegedly unrelated to recollections of Dachau, which deliberately address the history of painting with its traditional genres of portrait, self-portrait, and nude. It is as though the shadow of Dachau—its chromatic range and its ghostly, twilit shapes—survived in the latter; it is as though Music inserted the unique style he adopted to convey the camp into the history of art. “What I experienced at Dachau,” said Music toward the end of his life, “taught me to stick to essentials, to eliminate everything that wasn’t indispensible. Even today, I paint with a minimum of means. In these works there is no longer gesticulation or virulence. They attain a kind of silence that is perhaps a characteristic feature of my work. There was never the least rhetoric, you see, in the deaths of all those people at Dachau.”

Jean Améry, At the Mind’s Limits: Contemplations of a Survivor on Auschwitz and Its Realities, trans. Sidney and Stella P. Rosenfeld (Bloomington, IN: Indiana University Press, 2009), xiii.

1

Sem Dresden, Persecution, Extermination, Literature, trans. Henry Schogt (Toronto: University of Toronto Press, 1995), 8.

2

Testimony is circumscribed by the event it records. It is inscribed in a place and moment of history. Art allows testimony to broaden out, to break free, to escape from a specific event in order to acquire a universal dimension. Thus everyone thinks Music’s work describes the Holocaust—the genocide of 6 million Jews—even though Music wasn’t Jewish and Dachau wasn’t Auschwitz (although it was highly symbolic for being not only the first Nazi camp but also one of the most deadly, where death was dealt in every possible and imaginable form). Even though prisoners were extensively murdered at Dachau, the gas chamber that is thought to have been installed in Barracks X in 1943 was never put into operation, according to historian Pierre Vidal-Naquet. Similarly, the symbolic impact of Music’s works, especially the series of We Are Not the Last, extends beyond the realm of Nazi camps and war; his art creates a kind of blank page on which all the horrors of today’s world can be projected—everything related to detention, debasement, dehumanization, deprivation

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of freedom and identity, death and torture in the name of some “policy.” At the end of the war, Music thought he was one of the last. He thought his testimony and his work would represent the end of a story, the story of deadly ideologies and concentration camps. He thought he was helping to produce a kind of antidote to barbarity, he wanted to believe that humanity had taken note of the unprecedented catastrophe it barely escaped. He wanted to believe that humanity would learn the lesson. Not so. “As time went on, I saw that the same kind of thing was beginning to recur all over the world—in Vietnam, in the Gulag, in Latin America, everywhere. I realized that what we told ourselves earlier, that we would be the last, wasn’t true. What’s true is that we’re not the last.” In the midst of the terrible war that racked Yugoslavia in the mid-1990s, the writer Pascal Bruckner, who traveled across the land, recalled that everyone there symbolically pictured Music, then aged eighty-three, in their own way. For Serbs, he was the adversary of Nazism, a resistance fighter whose heritage they wanted to preserve. Croats felt that he was one of them, because although of mixed background—simultaneously Slovenian and Italian— Music was born in Dalmatia and had studied in Zagreb. The Bosniacs, meanwhile, identified his paintings with the victims of Srebrenica and the “ethnic cleansing” perpetrated by Radovan Karadzic’s militia. Zoran Music died in 2005. He left behind a monumental, timeless oeuvre. It bears witness to the catastrophe in Europe between 1939 and 1945, and also, extending beyond the time-frame of that tragedy, to the torture of humanity in all places and periods. Now that a new totalitarianism has emerged, now that barbarity knows no borders, when civilians are once again being tortured, massacred, crucified, and decapitated, when Eastern Christians and Yazids in Syria and Irak are perhaps facing a new genocide, Music’s oeuvre resonates all the more powerfully. He and his fellows in misfortune were not the last. They were an avant-garde, they were scouts on the outposts of the world’s endless havoc. Music’s work, woven from personal experience into a blend of beauty with horror (a contradiction that only art can sustain), is as much a warning as a reminder. “Never forget that this has happened,” wrote Primo Levi. “Remember these words. Engrave them in your hearts, when at home or in the street, when lying down, when getting up. Repeat them to your children. Or may your houses be destroyed, may illness strike you down, may your offspring turn their faces from you.”

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Etch these images onto your retinas, Music might have added. Etch them into your mind. Because what you see was, and will be again. MichaĂŤl Prazan

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la Poltrona grigia

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la Poltrona grigia, 1998 Huile sur toile Oil on canvas 162 x 130 cm

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Nous ne sommes pas les derniers We are not the last

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Nous ne sommes pas les derniers, 1970 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 73 x 60 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 73 x 100 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1974 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 61 x 46 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 114 x 146 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1970 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 80 x 130 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1974 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 51 x 45 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 73 x 92 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1974 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 65 x 46 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1970 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 112 x 145 cm

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Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Acrylic on canvas 65 x 46 cm

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L’œuvre ultime . ultimate works

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le philosophe, 1990 Huile sur toile Oil on canvas 162 x 114 cm

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Double portrait et Autoportrait, 1990 Huiles sur toile assemblées en paire Oil on canvas assembled as a pair 162 x 260 cm l’ensemble /the pair

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Music a appelé l’un de ses derniers grands fusains sur toile […] Il Viandante, un autoportrait à la silhouette haute et agitée. Le viandante, c’est en italien le passant, le passager, cette figure particulière du promeneur entre le chemineau et le pèlerin. Peregrinus viator, celui qui passe son chemin, dont la démarche règle l’allant du pas et l’écoulement du temps, une cadence qui est au corps ce que le sablier ou la clepsydre sont aux éléments. Mais le viandante, c’est aussi l’émigrant, qui n’a pas de limite où arrêter son pas, le Heimatlose, l’errant, l’apatride, le sans-lieu. Music gave the title of Il Viandante to one of his last large charcoal works on canvas . . . a self-portrait as a tall, restless figure. In Italian, a viandante is a traveler or wayfarer, that particular character halfway between vagabond and pilgrim: peregrinus viator, he who follows a path, whose gait governs the vigor of the pace and the flow of time, in a cadence that is to the body what the hourglass and waterclock are to the elements. But the viandante can also be an emigrant, someone with no boundary to halt his step, Heimatlose, the stateless, homeless wanderer. Jean Clair, in La Barbarie ordinaire, Music à Dachau, NRF, éditions Gallimard, 2001.

il viandante, 1994 Huile et fusain sur toile Oil and charcoal on canvas 116 x 89 cm

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atelier, 1989 Huile sur toile Oil on canvas 114 x 146 cm

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double portrait, 1990 Huile sur toile Oil on canvas 162 x 130 cm

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ZurĂźckblickender, 1996 Huile sur toile Oil on canvas 162 x 130 cm

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NOTICES TECHNIQUES . FACT SHEETS

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p. 54-55

p. 50-51 La Poltrona Grigia, 1998 Huile sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée et datée au dos Oil on canvas Signed and dated lower right; Signed and dated on the reverse 162 x 130 cm

Galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève (inv. n° KD2608) Ancienne collection Jan Krugier et Marie-Anne Krugier-Poniatowski, Genève

Nous ne sommes pas les derniers, 1970 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à gauche ; Signée, datée, avec les inscriptions Nous ne sommes pas les derniers et T13, et la dédicace Pour Myriam/avril 1971/ Zoran au dos Acrylic on canvas Signed, dated lower left; Signed, dated, inscribed Nous ne sommes pas les derniers and T13, and dedicated Pour Myriam/ avril 1971/Zoran on the reverse 73 x 60 cm

Expositions / Exhibitions

Provenance

Provenance

Genève, galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Zoran Music, Peintures et œuvres sur papier de 1947 à 2001, oct. 2001 – jan. 2002, cat. n° 1, rep. pp. coul. p. 5 Vevey, musée Jenisch, Zoran Music, 15 juin – 22 sept. 2003, cat. n° 91, rep. pp. coul. p. 8 Gorizia, Musei Provinciali, Palazzo Attems, Music, 12 oct.2003 – 7 mars 2004, cat., rep. coul. en couverture et pp. coul. p. 176 Valence, Institut Valencià d’Art Modern (IVAM Centre Julio González), Fire under Ashes, 5 mai – 28 août 2005 Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 10 oct. 2005 – 16 janv. 2006 ; Berlin, Neue Nationalgalerie, 17 fév. – 7 mai 2006 ; Mélancolie, génie et folie en Occident, cat. n° 284, rep. coul. p. 495 Münich, Kunsthalle der HypoKulturstiftung, Das ewige Auge: von Rembrandt bis Picasso, Meisterwerke der Sammlung Jan Krugier und Marie-Anne Krugier-Poniatowski, 20 juil. – 7 oct. 2007, cat. n° 230, rep. pp. coul. p. 477

Ancienne collection du Patti Birch Trust (Patti Cadby Birch et Everett B. Birch n° EBB 14) Expositions / Exhibitions

Rome, Accademia di Francia a Roma, villa Médicis, 17 janv. – 15 mars 1992 ; Milan, Palazzo Reale, 16 avr. – 14 juin 1992; Zoran Music, cat. n° 67, rep. p 93 Paris, Galeries nationales du Grand Palais, Zoran Music, 4 avr. – 3 juil. 1995, cat. n° 67, rep. pp. coul. p. 153 New York, The Jewish Museum, An Artist’s Response to Evil: We Are Not the Last by Zoran Music, 17 mars - 30 juin 2002, n° 96 Bibliographie / Bibliography

Zoran Music, Nous ne sommes pas les derniers, We Are Not the Last, édité par Everett B. Birch / Hertig & Co, Saint-Thomas, Virgin Islands / Bienne 1988, rep. coul. en couverture, détail pp. coul. p. 17 et rep. pp. coul. p. 19

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p. 56-57 Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à gauche ; Signée, datée, avec les inscriptions Non siamo gli ultimi et T57 au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower left; Signed, dated, and inscribed Non siamo gli ultimi and T57 on the reverse 73 x 100 cm Provenance

Ancienne collection du Patti Birch Trust (Patti Cadby Birch et Everett B. Birch n° EBB 6) Expositions / Exhibitions

Milan, Galleria Bergamini, Music, 16 nov. 1971, cat. Venise, Gallerie dell’Accademia, Zoran Music, 5 juil. – 30 sept. 1980, cat. Rome, Accademia di Francia a Roma, villa Médicis, 17 janv. – 15 mars 1992 ; Milan, Palazzo Reale, 16 avr. – 14 juin 1992 ; Zoran Music, cat. n° 76, rep. coul. p. 95 New York, The Jewish Museum, An Artist’s Response to Evil: We Are Not the Last by Zoran Music, 17 mars – 30 juin 2002, cat. n° 107 Bibliographie / Bibliography

Marco Valsecchi, Music, no alla violenza in Il Giorno, Milan, 1er déc. 1971, pl. n° 3 Jean Clair, Zoran Music, Nous ne sommes pas les derniers, We Are Not the Last, édité par Everett B. Birch / Hertig & Co, Saint-Thomas, Virgin Islands / Bienne 1988, rep. coul. p. 24


p. 62-63

p. 58-59 Nous ne sommes pas les derniers, 1974 Acrylique sur toile Signée en bas à droite ; Signée, datée, avec l’inscription Nous ne sommes pas les derniers, et l’indication Acrylique au dos Acrylic on canvas Signed lower right; Signed, dated, and inscribed Nous ne sommes pas les derniers and Acrylique on the reverse 61 x 46 cm

Nous ne sommes pas les derniers, 1970 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à gauche ; Signée, datée, avec les inscriptions Nous ne sommes pas les derniers et T10, et l’indication Acrylique au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower left; Signed, dated, and inscribed Non siamo gli ultimi and T10 and Acrylique on the reverse 80 x 130 cm

Provenance

p. 66-67 Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée, datée, avec les inscriptions Nous ne sommes pas les derniers et T74 et l’indication Acrylique au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower right; Signed, dated, and inscribed Nous ne sommes pas les derniers and T74 and Acrylique on the reverse 73 x 92 cm Provenance

Ancienne collection du Patti Birch Trust (Patti Cadby Birch et Everett B. Birch n° EBB 41)

Ancienne collection du Patti Birch Trust (Patti Cadby Birch et Everett B. Birch n° EBB 8) Expositions / Exhibitions

p. 64-65  p. 60-61 Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée, datée, avec les inscriptions Non siamo gli ultimi et T68 au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower right; Signed, dated, and inscribed Non siamo gli ultimi and T68 on the reverse 114 x 146 cm

Nous ne sommes pas les derniers, 1974 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée et datée au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower right; Signed and dated on the reverse 51 x 45 cm Provenance

Atelier de l’artiste

Provenance

Atelier de l’artiste

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Rome, Accademia di Francia a Roma, villa Médicis, 17 janv. – 15 mars 1992 ; Milan, Palazzo Reale, 16 avr. – 14 juin 1992 ; Zoran Music, cat. n° 75, rep. coul. p. 95 Paris, Galeries nationales du Grand Palais, Zoran Music, 4 avr. – 3 juil. 1995, cat. n° 92, rep. pp. coul . p. 147 New York, The Jewish Museum, An Artist’s Response to Evil: We Are Not the Last by Zoran Music, 17 mars – 30 juin 2002, cat. n° 108 Bibliographie / Bibliography

Zoran Music, Nous ne sommes pas les derniers, We Are Not the Last, édité par Everett B. Birch / Hertig & Co, Saint-Thomas, Virgin Islands / Bienne 1988, rep. coul. p.25


p. 72-73

p. 68-69 Nous ne sommes pas les derniers, 1974 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à gauche ; Signée, datée, avec l’inscription Nou (sic) ne sommes pas les derniers, et l’indication Acrylique au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower left; Signed, dated, and inscribed Nou (sic) ne sommes pas les derniers and Acrylique on the reverse 65 x 46 cm

Nous ne sommes pas les derniers, 1971 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à droite Acrylic on canvas Signed and dated lower right 65 x 46 cm Provenance

Galerie Marwan Hoss, Paris

Galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève [inv. n° JKFD 258 (toile de gauche) et JK-FD 257 (toile de droite)] Ancienne collection Jan Krugier

Ancienne collection du Patti Birch Trust (Patti Cadby Birch et Everett B. Birch n° EBB 40)

Expositions / Exhibitions

p. 76-77

Nous ne sommes pas les derniers, 1970 Acrylique sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée, datée, avec l’inscription Non siamo gli ultimi au dos Acrylic on canvas Signed and dated lower right; Signed, dated, and inscribed Non siamo gli ultimi on the reverse 112 x 145 cm Provenance

Double portrait et Autoportrait, 1990 Huiles sur toile assemblées en paire Toile de gauche signée et datée en bas à gauche. Toile de droite signée et datée en bas à droite Oil on canvas assembled as a pair; left painting: signed and dated lower left; right painting: signed and dated lower right 162 x 130 cm chaque toile / each 162 x 260 cm l’ensemble / the pair Provenance

Provenance

p. 70-71

p. 78-79

Le philosophe, 1990 Huile sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée, datée, avec l’inscription A124 au dos Oil on canvas Signed and dated lower right; Signed, dated, and inscribed A124 on the reverse 162 x 114 cm Provenance

Atelier de l’artiste Exposition / Exhibition

Francfort, Schirn Kunsthalle Frankfurt, Zoran Music, 24 avr. – 29 juin 1997, cat., rep. pp. coul. p. 102

Ancienne collection du Patti Birch Trust (Patti Cadby Birch et Everett B. Birch n° EBB 28) Expositions / Exhibitions

Biennale de Venise, n° 56, 1982 Caen, musée des Beaux-Arts, Le temps des ténèbres Music–Bokor, 18 mai – 16 août 1995, rep. p. 50 New York, The Jewish Museum, An Artist’s Response to Evil: We Are Not the Last by Zoran Music, 17 mars – 30 juin 2002, cat. n° 100

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Genève, galerie Jan Krugier, Zoran Music, Peintures et œuvres sur papier, 12 oct. – 24 nov. 1990, cat., vol. Peintures, rep. double p. coul. p. 26-27 Rome, Accademia di Francia a Roma, villa Médicis, 17 janv. – 15 mars 1992 ; Milan, Palazzo Reale, 16 avr. – 14 juin 1992 ; Zoran Music, cat. n° 133 et 134, rep. pp. coul. p. 136 Paris, Galeries nationales du Grand Palais, Zoran Music, 4 avr. – 3 juil. 1995, cat. n° 180 et 179, rep. pp. coul. p. 200–201 Bibliographie / Bibliography

Catalogue de l’exposition Music, Gorizia, Musei Provinciali, Palazzo Attems, 12 oct. 2003 – 7 mars 2004, Autoportrait rep. pp. n/b p. 20


p. 84-85

p. 80-81 Il Viandante, 1994 Huile et fusain sur toile Signée et datée en bas à gauche ; Inscription C60 au dos Oil and charcoal on canvas Signed and dated lower left and inscribed C60 on the reverse 116 x 89 cm Provenance :

Galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève (inv. n° KD 1880)

Expositions / Exhibitions

Genève, galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Zoran Music, Peintures et œuvres sur papier de 1947 à 2001, oct. 2001 – jan. 2002, cat. n° 36, rep. pp. coul. p. 32 Gorizia, Musei Provinciali, Palazzo Attems, Music, 12 oct. 2003 – 7 mars 2004, cat., rep. pp. coul. p. 168

Double portrait, 1990 Huile sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée, datée, titrée, avec l’indication Huile au dos Oil on canvas Signed and dated lower right; Signed, entitled, dated, and inscribed Huile on the reverse 162 x 130 cm Provenance

Galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève (inv. n° JKFD 400) Exposition / Exhibition

Genève, galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Zoran Music, Peintures et œuvres sur papier de 1947 à 2001, oct. 2001 – jan. 2002, cat. n° 96, rep. pp. coul. p. 105

p. 82-83 Atelier, 1989 Huile sur toile Signée et datée en bas à gauche ; Signée, datée, titrée, avec l’indication Olio au dos Oil on canvas Signed and dated lower left; Signed, dated, and inscribed Olio on the reverse 114 x 146 cm Provenance

Contini Galleria d’Arte, Venise, Cortina Exposition / Exhibition

Venise, Contini Galleria d’Arte, 27 déc. 1993 – 4 avr. 1994 ; Cortina, Contini Galleria d’Arte, 9 avr. – 31 mai 1994 ; Zoran Music, cat., rep. pp. coul. p. 35

p. 86-87 Zurückblickender, 1996 Huile sur toile Signée et datée en bas à droite ; Signée, datée, avec l’inscription E01 au dos Oil on canvas Signed and dated lower right; Signed, dated, and inscribed E01 on the reverse 162 x 130 cm Provenance

Galerie Di Meo, Paris Exposition / Exhibition

Francfort, Schirn Kunsthalle Frankfurt, Zoran Music, 24 avr. – 29 juin 1997, cat., rep. pp. coul. p. 126

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biographie et collections biography and collections

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Zoran Music 1909-2005

1909 — Zoran Music naît le 12 février dans le village de Bukovica, à proximité de la ville de Gorizia au Frioul (dans l’Empire austro-hongrois, actuelle ville de Nova Gorica en Slovénie). Issu d’une famille d’enseignants, il parle dès son enfance l’italien, le slovène et l’allemand. 1915 — Lorsque la Première Guerre mondiale éclate et que son père est mobilisé, Music est évacué avec sa mère et son frère en Styrie. 1920-1930 — Music finit sa scolarité au lycée de Maribor. Au cours de ces années, il se rend plusieurs fois à Vienne où il découvre un univers artistique très riche, observe les œuvres de Klimt et Schiele. Il visite aussi Prague où il remarque les œuvres des impressionnistes français, mais aussi de Picasso, Mondrian, Bonnard, Derain et Kandinsky.

Sauf mention contraire, les citations proviennent toutes du catalogue de l’exposition Zoran Music (Paris, Grand Palais, Zoran Music, 4 avril - 3 juin 1995).

1930-1935 — Music intègre l’Académie des beaux-arts de Zagreb où Lyuba Babic est son professeur. Il lui fait découvrir la peinture espagnole, particulièrement celle de Goya, dont les travaux influenceront Music toute sa vie. C’est également aux Beaux-Arts que Music se forme au dessin, notamment au dessin anatomique, pour lequel il utilise des cadavres en modèle, comme le voulait l’usage à l’époque. 1935 — Encouragé par Babic, Music entame un périple en Espagne : il passe un an à Madrid où les travaux de Goya,

de Velázquez et du Greco l’inspirent énormément. Il parcourt ensuite la Castille, s’arrêtant à Tolède où il s’intéresse aux intérieurs des églises, mais aussi à l’Escurial. 1936-1940 — Music retourne en Dalmatie lorsque la guerre civile éclate en Espagne. Il séjourne à proximité du Karst, dont les paysages jouent un rôle déterminant dans son œuvre picturale. Il va jusqu’à dire que « le Karst est la matrice de toute [s]a peinture. Un paysage dépouillé, presque désertique. Pétrifié, dirait-on ». 1941-1942 — Il participe à diverses expositions, à Zagreb, avec son ancien professeur Babic, et à Ljubljana. La guerre le rattrape à nouveau et il retourne en Dalmatie où il travaille sur des projets de peintures murales pour les églises de Tolmino et de Caporetto (actuelle ville de Kobarid, en Slovénie). 1943 — Music se rend ensuite à Venise pour la première fois, pôle artistique fréquenté par la plupart des artistes italiens de l’époque, puis à Trieste où il rencontre Guido Cadorin. Il expose à Venise ses Motifs dalmates et les Vues de Venise à la Piccola Galleria, exposition de laquelle il dira plus tard qu’elle fut « la conclusion d’une époque d’apprentissage, d’incertitude, de médiocrité sans personnalité et par conséquent sans intérêt. Pour arriver à la peinture, à la vraie, il me fallait traverser la terrible expérience de Dachau. […] Sans Dachau, j’aurais fait de la simple illustration. Après Dachau, je devais aller au fond des choses ». 1944 — Sa proximité avec les chefs résistants, malgré ses opinons pacifistes, l’amène à être arrêté par la Gestapo en octobre 1944. Interrogé, torturé, il est finalement déporté à Dachau en novembre, où il parvient à se procurer du matériel de dessin et à poursuivre son activité artistique. Il réalise environ deux cents dessins qu’il cache et détruit parfois lui-même, et dont il ne subsiste qu’une trentaine d’esquisses. 1945 — L’expérience de Dachau le marque profondément et constitue un tournant tant dans sa vie que dans son œuvre. Entouré de cadavres et de morts en permanence, Music les observe et ils

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deviennent ses modèles : « Le soir, ceux qui mouraient, ainsi que ceux que l’on croyait morts, étaient empilés comme les branches de bois formant un bûcher. […] J’étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. De loin, ils m’apparaissaient comme des plaques de neige blanche, des reflets d’argent sur les montagnes, ou encore pareils à tout un vol de mouettes blanches posées sur la lagune, face au fond noir de la tempête au large. Tout en dessinant, je m’agrippais à mille détails. Quelle tragique élégance dans ces corps fragiles. Des détails si précis ; ces mains, ces doigts si minces, les pieds, les bouches entrouvertes dans la tentative extrême de happer encore un peu d’air. Et les os recouverts d’une peau blanche, à peine un peu bleuie. Et la hantise de ne point trahir ces formes amoindries, de parvenir à les restituer aussi précieuses que je les voyais, réduites à l’essentiel. » C’est un autre prisonnier qui lui fournira le titre de sa série Nous ne sommes pas les derniers : « Un ami tchèque me disait “Tu vois, demain ou après-demain, on passera par la cheminée. Jamais plus une chose pareille ne pourra se passer. Nous sommes les derniers à voir une chose pareille.” Et je me rendis compte que ce que nous nous étions dit alors, que nous serions les derniers, n’était pas vrai. Ce qui est vrai, c’est que nous ne sommes pas les derniers. » À la libération du camp par les Américains en avril 1945, Music retourne à Venise après un court séjour à Gorizia. 1946 — Ida Barbarigo-Cadorin, fille de son ami Guido Cadorin et élève à l’Académie des beaux-arts, lui prête son atelier où il réalise les premiers Autoportraits et entame sa série des Chevaux. Il passe ensuite plusieurs mois à Casola, près de Naples, où il se consacre avec Guido Cadorin à la peinture de fresques pour des églises, puis revient à Venise, où il commence une série d’aquarelles aux Zattere et à Saint-Marc. Sa peinture se fait plus colorée, plus vive pour contrebalancer les horreurs vues à Dachau : « Ce n’est que par réaction aux horreurs que j’ai redécouvert mon enfance heureuse. Les chevaux, les paysages dalmates, tout cela y était avant aussi. Mais après, j’ai pu le voir différemment. […] Après la vision de cadavres dépouillés, je crois


avoir découvert la vérité. Les paysages dalmates sont revenus, mais ils ont perdu ce qu’ils avaient de trop, de familier. Les paysages siennois sont venus s’y ajouter – cadavres dépouillés, martyrisés par les intempéries. » 1947 — Music travaille au Palazzo Pisani de Santo Stefano, à Venise, sur les murs duquel il peint des Motifs dalmates qui seront ensuite détachés pour être exposés sur des panneaux individuels. 1948 — Il participe à la Biennale de Venise. C’est au cours de cette année qu’il rencontre Patti Cadby Birch, mais il côtoie également Alix de Rothschild, Mark Tobey, Carson McCullers, Massimo Campigli. L’année 1948 marque une nouvelle rupture dans son œuvre artistique. Alors que Music se consacre à la réalisation des Paysages siennois, il établit un parallèle entre les reliefs du paysage et les corps entassés des victimes de Dachau : « Les collines, semblables à des tas de squelettes, commencent à défiler le long de la route. Les os à découvert, les côtes à nu. » Ce rapprochement fait par Music entre les motifs végétaux et les cadavres sera désormais une constante dans son travail ; les deux thématiques se croiseront jusqu’à la fin de sa vie, rendant les toiles de paysage et celles représentant des cadavres étonnamment proches les unes des autres. Il se rend plusieurs fois en Suisse, notamment à Zurich, et réalise ses premières lithographies. Il voyage également à Bâle et fréquente le chef du département de restauration du Kunstmuseum qui n’est autre que le fils de Guido Cadorin, Paolo. 1949 — En septembre, il se marie avec Ida Barbarigo-Cadorin. C’est également en 1949 qu’il s’essaie à la gravure et travaille ses premières pointes sèches à l’Académie de Venise.

Vevey, musée Jenisch, Zoran Music, rétrospective, 15 juin – 22 septembre 2003, p. 16.

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1951 — Music est lauréat du prix Paris à Cortina, dont la dotation est une exposition à la galerie de France à Paris, qui aura lieu l’année suivante, organisée par Gildo Caputo et Myriam Prévôt. À la suite de cette exposition, il s’installe à Paris. Music est également le sujet d’une monographie rédigée par Jean Bouret.

1953-1954 — Pour la première fois, Music expose à New York dans la galerie de la famille Birch. 1955 — Music diversifie encore ses techniques et travaille à ses premières eaux-fortes dans l’atelier Lacourière à Montmartre. Il expose à la Arthur Jeffress Gallery à Londres et chez Carlo Cardazzo à Milan, et, poussé par Marchiori, participe à la Quadriennale de Rome. Les années cinquante sont des années âpres pour Music, des années de doute quant à sa production artistique. Selon Mazzariol, il s’agit là d’années « marquées par la solitude la plus grande que Music ait connue après la guerre. Pour lui ce sont des années difficiles, car le consensus extérieur qui accompagne son œuvre ne correspond pas à sa conviction intérieure de développer quelque chose de si exclusivement fait d’éléments matériels ». 1956 — La reconnaissance de l’œuvre de Music va croissant ; il remporte le prix d’art graphique à la Biennale de Ljubljana et le grand prix d’art graphique à la Biennale de Venise. 1957 — Music revient en Dalmatie pour la première fois depuis la fin de la guerre, et se concentre de nouveau sur des motifs naturels, les Terres dalmates, série qui sera en 1958 exposée à la galerie de France et qui constituera la part la plus abstraite de son œuvre. 1961 — L’artiste se rend à Cortina (actuelle ville de Cortina d’Ampezzo) pour y dessiner. C’est au cours de cette année que Bruno Lorenzelli achète la totalité des œuvres de Music dans le but d’organiser une exposition en sa galerie de Milan. 1962 — Le musée de Brunswick programme une rétrospective de l’œuvre de Music, et Rolf Schmücking publie la même année le premier catalogue raisonné de l’œuvre graphique de 1947 à 1961. 1963 — À l’initiative de Hanspeter Landolt, qui se porte acquéreur de vingtsix dessins de Music, dix dessins de Dachau sont exposés au Kunstmuseum de Bâle. Jean Clair, particulièrement impressionné par ces esquisses,

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remarque qu’elles diffèrent du reste de l’œuvre : « Était-il possible que la sérénité et la douceur de cette œuvre que je considérais chez lui comme un don de la nature fussent en fait conquises après tant de souffrances et tant d’horreur ? » 1970 — Music débute le cycle Nous ne sommes pas les derniers, dont les premières œuvres sont exposées à la galerie de France ; le catalogue d’exposition sera préfacé par Willem Sandberg. Ces toiles correspondent à un intense questionnement de l’artiste sur sa survie à Dachau et sur la vie après de telles épreuves, questions qui le poursuivront jusqu’à la fin de sa vie : « Che è successo ? Che mi è successo ? »1 (« Qu’est-ce qui est arrivé ? Qu’est-ce qui m’est arrivé ? »). La même année, Jean Grenier publie une monographie de Music, éditée dans la collection du Musée de Poche. 1971 — Les toiles du cycle Nous ne sommes pas les derniers rencontrent le succès ; l’exposition est reprise par Erich Steingräber à la Haus der Kunst de Munich et par Émile Langui au palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Nombre des tableaux de la série viendront ensuite enrichir les fonds de collections publiques dans plusieurs régions du monde : en France bien sûr (Centre Pompidou, musée d’Art moderne), mais aussi en Allemagne (musée de Munich), à Venise, Copenhague, Oslo, Jérusalem… Music expose pour la première fois dans un musée parisien. Après Fautrier, il est l’un des tout premiers peintres à bénéficier d’une rétrospective organisée de son vivant au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, exposition dirigée par Jacques Lassaigne. Vivant désormais en France une partie de l’année, Music va peindre dans le Var où il réalise les premiers Motifs végétaux. 1976-1980 — C’est à Fontainebleau et dans les Dolomites que Music trouve l’inspiration pour son cycle des Paysages rocheux. Il s’agit d’un véritable retour aux sources de son art, qui rend hommage à la nature : « J’ai besoin de rester ainsi, sur le Karst aussi bien qu’en montagne, et de me sentir un tout unique avec ce paysage. » Music recherche des paysages dépouillés et sobres, réduits à l’essentiel, ce


qu’il recherchait également dans ses peintures du cycle Nous ne sommes pas les derniers. 1977 — Plusieurs expositions sont organisées en Europe, notamment à la Mathildenhöhe de Darmstadt qui programme une importante rétrospective. Simultanément, d’autres œuvres sont exposées à la fondation Sonja Henie-Niels Onstad à Hovikodden (Norvège) et une quinzaine de tableaux de l’immédiat après-guerre au Kunstmuseum de Bâle. 1980 — Sous l’impulsion de Francesco Valcanover, une rétrospective est organisée à l’Accademia de Venise. 1981 — Music débute deux nouvelles séries, les Intérieurs de cathédrales et la série Canale della Giudecca. 1982 — Music retourne peindre à Venise où il réalise une série de vues de la ville, les Punta della Dogana. Il continue de partager son temps entre l’Italie et la France, et est nommé commandeur des Arts et des Lettres par le président François Mitterrand. Le couple Patti C. et Everett B. Birch acquiert une vingtaine de toiles appartenant à la série Nous ne sommes pas les derniers pour les exposer dans une fondation créée spécialement à New York. La même année, Music est exposé à la Foire de Bâle par les galeristes Jan Krugier et François Ditesheim. 1983 — Music travaille désormais sur les Autoportraits, les Nus et les Anachorètes, séries qu’il travaillera jusqu’au milieu des années 1990. À Paris, Claude Bernard organise sa première exposition Zoran Music en décembre ; le texte est écrit par André Chastel.

Vevey, musée Jenisch, Zoran Music, rétrospective, 15 juin – 22 septembre 2003, p. 10.

1990 — Peu à peu, le style de Music évolue, notamment d’un point de vue chromatique, sa palette se réduit. Il utilise désormais principalement des tons marron, le noir et le blanc, se détachant des nuances jaunes et bleues des Chevaux et des Paysages dalmates. L’influence de Klimt, que l’on ressentait surtout dans ses paysages, se fait de plus en plus subtile jusqu’à laisser la place à d’autres inspirations : « Titien, Rembrandt, Goya : voilà ceux auxquels je pense. Souvenez-vous du dernier autoportrait du Titien. Il l’a peint avec rien, un peu de noir, et il arrive à l’essentiel. C’est cela qu’il faudrait atteindre : faire le tableau avec rien, en évitant tout le côté travaillé. Mais y parvenir… » 2 1991-1999 — En 1991 à la Foire de Bâle, la galerie Krugier-Ditesheim présente des œuvres de Music en regard de celles de Bonnard et de Vuillard. Parallèlement à la création de grandes toiles, Music se consacre au dessin et au pastel. C’est également au cours de l’année 1991 qu’il est fait officier de la Légion d’honneur. Music est le sujet d’une dizaine d’expositions, en Italie (Milan et Rome, 1992 ; Bologne et Venise, 1998), aux États-Unis (New York, 1992), en Autriche (Vienne, 1992), en Espagne (Valence, 1994 ; Madrid, 1996 ; Bilbao, 1999), en France (Paris, exposition Corps et Visages, 1997 et exposition Une vie, deux œuvres, exposition Zoran Music et Ida Barbarigo, à la galerie Marwan Hoss, 1999).

1986 — Après la rétrospective au musée Correr de Venise en 1985, le musée Jenisch de Vevey programme une rétrospective.

1995 — Alors que Music participe à la Biennale de Venise, Jean Clair organise au Grand Palais à Paris l’une des rétrospectives les plus importantes ayant été consacrées à l’artiste. D’autres expositions sont organisées à Antibes, Bordeaux, Caen et Munich.

1988-1990 — Le Centre GeorgesPompidou présente une série d’œuvres sur papier ; le texte de l’exposition est

2000 — Music fait don d’une partie de ses œuvres au Museo Morandi de Bologne.

1984 — La Biennale de Venise consacre une salle aux travaux de Music. 2 Vevey, musée Jenisch, Zoran Music, rétrospective, 15 juin – 22 septembre 2003, p. 38.

rédigé par Jean Clair. Les Autoportraits sont exposés à la galerie KrugierDitesheim de Genève, ainsi que la série des Ateliers. Music se lance également dans une nouvelle série de paysages urbains, avec les Città, des vues nocturnes de Paris.

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2001 — À 92 ans, Music se confronte à sa fin prochaine, réfléchit à la mort et à l’existence, et travaille sur ses autoportraits, laissant de très nombreuses esquisses. Ses toiles crépusculaires sont de plus en plus sobres. On y retrouve des figures d’hommes recroquevillés. Selon Jean Clair, ces figures ne sont néanmoins pas repliées sur elles-mêmes dans une attitude de rejet du monde extérieur : « C’est bien plutôt d’une écoute de soi qu’il s’agit ou, plus exactement, d’une attention extrême à ce qui subsiste encore de soi. »3 C’est en 2001 que Music réalise sa dernière toile, un autoportrait. 2003 — Le musée Jenisch de Vevey organise une rétrospective. 2005 — Le 25 mai, Zoran Music meurt à Venise à l’âge de 96 ans.


Zoran Music 1909–2005

1909 — Zoran Music was born in the village of Bukovica, near the Frioulan town of Gorizia (then in the Austro-Hungarian Empire, today the town of Nova Gorica in Slovenia). Born into a family of teachers, he spoke Italian, Slovenian, and German right from childhood. 1915 — When World War I broke out, his father was mobilized. Music was evacuated to Styria with his mother and brother. 1920–30 — Music completed his secondary schooling in Maribor. During those years he made several trips to Vienna, where he discovered a rich artistic scene and noted the works of Klimt and Schiele. He also visited Prague, where he saw paintings by the French Impressionists as well works by Picasso, Mondrian, Bonnard, Derain, and Kandinsky. 1930–35 — Music enrolled in the academy of fine arts in Zagreb, where he studied under Luyba Babic, who introduced him to Spanish painting, especially Goya, whose work influenced him throughout his life. Music also studied drawing at the academy, notably anatomical drawing using cadavers as models, as was done as the time.

Unless otherwise indicated, all quotations are from the catalog of the Zoran Music exhibition at the Grand Palais, Paris, April 4–June 3, 1995.

1935 — Encouraged by Babic, Music undertook a voyage to Spain. He spent a year in Madrid where the work of Goya, Velázquez, and El Greco greatly inspired him. He then traveled to Castile, halting in Toledo (where he studied church interiors) and El Escorial.

1936–40 — When civil war broke out in Spain, Music returned to Dalmatia. He lived near Karst, where the landscape had a decisive impact on his visual work. He would go so far as to assert that, “Karst is the core of all my painting— a spare, almost desert-like landscape. Petrified, you might say.” 1941–42 — Music participated in various shows in Zagreb—with his former teacher Babic—and in Ljubljana. When war caught up with him once again, he returned to Dalmatia where he worked on murals in churches in Tolmino and Caporetto (today Koborid, Slovenia). 1943 — Music traveled for the first time to Venice, an artistic center frequented by most Italian artists of the day, then to Trieste where he met Guido Cadorin. In the Piccola Galleria in Venice he showed his Dalmatian Paintings and views of Venice. He later described this exhibition as the “the end of an era of apprenticeship, uncertainty, and mediocrity devoid of personality and hence of interest. In order to attain true painting, I had to go through the dreadful experience of Dachau . . . Without Dachau, I would have stuck with mere illustration. After Dachau, I had to get to the heart of things.” 1944 — Despite his pacifist leanings, Music’s familiarity with Resistance leaders prompted the Gestapo to arrest him in October 1944. Interrogated and tortured, he was finally deported to Dachau in November. There he managed to acquire drawing materials and to continue making art. He did some two hundred drawings that he hid or occasionally destroyed himself. Roughly thirty of those sketches have survived. 1945 — His experience at Dachau left a deep mark on Music. It represented a watershed in his life and work. Constantly surrounded by death and corpses, Music studied them, making them his models. “In the evening, the ones who were dying, as well as those thought to be dead, were piled up like logs for a bonfire . . . It was as though the incredible vastness of those fields of corpses had blinded me. From a distance, they looked like heaps of white snow, or the silvery reflections of mountains, or even like a flock of white seagulls sitting on a lagoon, facing the black depths of a storm out at sea. I clung

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to countless details as I sketched. What tragic elegance there was in those fragile bodies. Such precise details: those hands, those skinny fingers, the feet, the mouths half open in a final attempt to draw a little more air. And the bones stretched with white skin, just a shade bluish. And the obsession of not betraying those diminished shapes, of managing to make them just as precious as I saw them, reduced to essentials.” It was another prisoner who provided Music with the title of his series We Are Not the Last. “A Czech friend said to me, ‘You know, tomorrow or the day after we’ll go up in smoke. Nothing like this will ever happen again. We’re the last to see such things.’ Later . . . I realized it wasn’t true. We are not the last.” When the Americans liberated the concentration camp in April 1945, Music returned to Venice after a short stay in Gorizia. 1946 — Ida Barbarigo-Cadorin (daughter of his friend Guido Cadorin), who was studying at the academy of fine arts, lent Music her studio, where he did his early Self-Portraits and began his series of Horses. He then spent several months in Casola, near Naples, where he and Guido Cadorin painted frescoes for churches. On returning to Venice, Music began a series of watercolors of the Zattere and San Marco. His painting became more colorful and lively, counterbalancing the horrors we saw at Dachau. “It was only in reaction to the horror that I rediscovered my happy childhood. The horses, the Dalmatian landscapes, all that was in it before, too. But afterward, I was able to see things differently . . . After the vision of the stripped corpses, I think I discovered the truth. The Dalmatian landscapes returned, but they were stripped of what was overdone, too familiar. The Sienese landscape came along too–stripped corpses, lashed by the bad weather.” 1947 — Music worked at the Palazzo Pisani di Santo Stefano in Venice, on whose walls he painted the Dalmatian Motifs, which were later removed to be displayed on individual panels. 1948 — Music exhibited at the Venice Biennale. That year he met Patti Cadby Birch, and also became friends with Alix de Rothschild, Mark Tobey, Carson


McCullers, and Massimo Campigli. The year 1948 marked a new break in Music’s artistic oeuvre. Even as he was executing his Sienese Landscapes, he established a connection between the hills of the landscape and the mounds of bodies of Dachau victims. “Along the road, the hills began to go past, like mounds of skeletons. The bones were exposed, the ribbed slopes were bare.” The link made by Music between corpses and vegetation would henceforth be a constant feature of his work; the two themes intersected for the rest of his life, making his canvases of landscapes astonishingly similar to his paintings of corpses. Music traveled several times to Switzerland, notably Zurich, where he made his first lithographs. He also went to Basel where he regularly saw the head of the art museum’s restoration department, who was none other than Paolo Cadorin, son of Guido. 1949 — In September, Music married Ida Barbarigo-Cadorin. That year he also began engraving, working on this first dry points at the academy in Venice. 1951 — Music was awarded the Paris Prize at Cortina, which entailed an exhibition to be held the following year at the Galerie de France in Paris, organized by Guido Caputo and Myriam Prévôt. Following this show, Music moved to Paris. A monograph on his work was published by Jean Bouret. 1953–54 — Music had his first New York show, at the Birch family gallery.

Zoran Music, Retrospective, catalog of the show at Musée Jenisch, Vevey, Switzerland, June 15–September 22, 2003, 16.

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1955 — Music further diversified his media by working on his first etchings in the Lacourière workshop in Montmartre in Paris. He had shows at the Arthur Jeffress Gallery in London and the Carlo Cardazzo Gallery in Milan. Prompted by Marchiori, he participated in the Rome Quadrienale. The 1950s were tough years for Music—years of doubt regarding his artistic output. According to Giuseppe Mazzariol, those years were “marked by the greatest solitude Music had known since the war. They were difficult years for him because the public consensus concerning his oeuvre did not match his private conviction that he was developing something exclusively composed of material elements.”

1956 — Music’s oeuvre gained increasing recognition; he won the prize for prints and drawings at the Ljubljana biennial and the grand prize for prints and drawings at the Venice Biennale. 1957 — Music returned to Dalmatia for the first time since the end of the war, and focused once again on nature in the form of his Dalmatian Landscapes. This series, which constituted the most abstract dimension of his oeuvre, would be exhibited at the Galerie de France in 1958. 1961 — Music went to Cortina (today Cortina d’Ampezzo) to draw. During this year Bruno Lorenzelli bought all the artist’s work with a view to holding an exhibition in his Milan gallery. 1962 — The Braunschweig Museum hosted a retrospective of Music’s work, and Rolf Schmücking published the first catalogue raisonné of his prints and drawings from 1947 to 1961. 1963 — At the initiative of Haspeter Landolt, who had bought twenty-six drawings by Music, ten of the Dachau drawings were exhibited at the Kunstmuseum in Basel. Jean Clair was particularly impressed by these sketches and noted that they differed from the rest of Music’s oeuvre: “Is it possible that the gentle serenity of his oeuvre, which I thought was a natural bent in him, was in fact only acquired after so much suffering and so much horror?” 1970 — Music began his We Are Not the Last cycle, the first works of which were shown at the Galerie de France; the catalog accompanying the show had an introduction by Willem Sandberg. These canvases reflected the artist’s intense interrogation of his survival of Dachau, and on life after such an ordeal. These questions would haunt him for the rest of his life. “Che è successo? Che mi è successo?” (“What happened? What happened to me?”).1 That same year, Jean Grenier published a monograph on Music as part of the Musée de Poche series. 1971 — The cycle of canvases titled We Are Not the Last was a hit: the Paris show was taken up by Erich Steingräber at the Haus der Kunst in Munich, Germany, and by Émile Langui at the Palais des Beaux-Arts in Brussels, Belgium. Many

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works from the series later found their way into public collections in various parts of the world, including not only Paris (Musée d’Art moderne, Centre Pompidou) but also Munich (Germany), Venice (Italy), Copenhagen (Denmark), Oslo (Norway), Jerusalem (Israel), and elsewhere. That year Music had his first show in a Paris museum: he was one of the first artists, after Fautrier, to be given a retrospective in his own lifetime at the musée d’Art moderne de la Ville de Paris, a show curated by Jacques Lassaigne. Henceforth spending part of every year in France, Music would do his first plant series (Motifs végétaux) in the Var region of southern France. 1976–80 — Music drew inspiration for his cycle of Rocky Landscapes from both Fontainebleau (outside Paris) and the Dolomite range (northern Italy). It represented a veritable return to the source of his art, to his tribute to nature. “I need to stay like this, on the Karst and in the mountains, and feel myself completely at one with the landscape.” Music sought out spare, sober landscapes reduced to the essential, something he also sought in his We Are Not the Last paintings. 1977 — Several exhibitions of his work were held in Europe, notably at the Mathildenhöhe in Darmstadt, Germany, which hosted a major retrospective. At the same time, other works were exhibited at the Sonja Henie-Niels Onstad Foundation in Hovikodden, Norway, while some fifteen paintings done immediately after the war were shown at the Kunstmuseum in Basel, Switzerland. 1980 — At the initiative of Francesco Valcanover, a retrospective was held at the Accademia in Venice. 1981 — Music began two new series, Cathedral Interiors and Canals on Giudecca. 1982 — Music returned to paint in Venice, where he did a series of views of the city, titled Punta della Dogana. He continued to divide his time between France and Italy, and was awarded the rank of commander in the Ordre des Arts et des Lettres by French president François Mitterrand. Patti C. and Everett B. Birch bought some twenty canvases from the We Are Not the Last series


in order to show them in a foundation specially created in New York. That same year Music was featured on the stand of art dealers Jan Krugier and François Ditesheim at the Basel Art Fair. 1983 — Music henceforth worked on his Self-Portraits, his Nudes, and his Anchorites. He continued to work on these series into the 1990s. Claude Bernard in Paris organized his first show of work by Music in December of that year, with an essay written by André Chastel. 1984 — One hall of the Venice Biennale was devoted to Music’s work. 1986 — Following a retrospective at the Museo Correr in Venice in 1985, the Musée Jenisch in Vevey, Switzerland, hosted another retrospective. 1988–90 — The Centre Pompidou in Paris showed a series of works on paper, accompanied by a text written by Jean Clair. Music’s Self-Portraits were shown at the Krugier-Ditesheim Gallery in Geneva, Switzerland, as well as a series of Studios. Music also began a new series of cityscapes, dubbed Città, with nocturnal views of Paris.

Zoran Music, Retrospective, catalog of the show at Musée Jenisch, Vevey, Switzerland, June 15–September 22, 2003, 38.

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Zoran Music, Retrospective, catalog of the show at Musée Jenisch, Vevey, Switzerland, June 15–September 22, 2003, 10.

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1990 — Music’s style steadily evolved, notably from the standpoint of color— his palette became more limited. He henceforth used mainly browns, black, and white, abandoning the blue and yellow hues of the Horses and the Dalmatian Landscapes. The influence of Klimt, felt above all in his landscapes, became increasingly subtle, making way for other influences. “Titian, Rembrandt, Goya— that’s who I think of. Just recall Titian’s last self-portrait. He painted it with nothing— just a little black—and he reached the essential. That’s what you have to attain: making a picture with nothing, avoiding the laborious side of things. Getting there, however . . . ”2

Rome [both 1992], Bologna and Venice [both 1998]), the United States (New York, 1992), Austria (Vienna, 1992), Spain (Valencia, 1994, Madrid, 1996, and Bilbao, 1999), and France (two shows at the Galerie Marwan Hoss in Paris, Corps et Visages, 1997 and Zoran Music and Ida Barbarigo, une vie, deux œuvres, 1999). 1995 — Even as Music was exhibiting at the Venice Biennale, Jean Clair organized one of the largest retrospectives of his work at the Grand Palais in Paris. Other shows of his work were held in Antibes, Bordeaux, Caen (all France), and Munich (Germany). 2000 — Music donated part of his oeuvre to the Museo Morandi in Bologna, Italy. 2001 — Aged ninety-two, Music confronted his approaching end. He reflected on death and existence, working on self-portraits and doing a great number of sketches. His final paintings became darker and darker—they included figures of crouching men. According to Jean Clair, these figures were not huddling in rejection of the outside world. “Instead, what they’re doing is listening to themselves, or rather paying extreme attention to what remains of themselves.”3 Music did his last painting, a self-portrait, in 2001. 2003 — The Musée Jenisch in Vevey, Switzerland, held a retrospective. 2005 — Zoran Music died in Venice on May 25, aged ninety-six.

1991–99 — At the 1991 Basel Art Fair, the Krugier-Ditesheim Gallery hung Music’s work opposite that of Bonnard and Vuillard. Music worked on drawings and pastels as well as on large canvases. Also in 1991, he was named an officer in France’s Légion d’honneur. Roughly ten exhibitions of Music’s work were held in countries such as Italy (Milan,

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Sélection de musées et institutions conservant des œuvres de Zoran Music selection of museums and institutions holding artworks by zoran music

Allemagne / GERMANY

Essen, Museum Folkwang Francfort / Frankfurt, Städel Museum Mönchengladbach, Museum Abteiger Munich, Pinakothek der Moderne

états-Unis / UNITED STATES

Pays-Bas / NETHERLANDS

Cambridge, MIT List Visual Arts Center New York, Metropolitan Museum of Art New York, Museum of Modern Art (MoMA) San Francisco, Fine Arts Museum of San Francisco Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution

Amsterdam, Stedelijk museum

Slovénie / SLOVENIA France

Antibes, musée Picasso Caen, musée des Beaux-Arts Marseille, musée Cantini Le Havre, musée des Beaux-Arts André Malraux Nantes, musée des Beaux-Arts (dépôt Direction des musées de France) Paris, musée national d’Art moderne Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris Paris, musée d’Art et d’Histoire du judaïsme Toulouse, musée Les Abattoirs Valence, musée des Beaux-Arts (Fonds national d’art contemporain)

Autriche / AUSTRIA

Klosterneuburg bei Wien, Essl Museum Klagenfurt, Stadtgalerie

Israël / ISRAEL

Chili / CHILE

Italie / ITALY

Santiago, Museo de la Solidaridad Salvador Allende, Fundación Arte y Solidaridad

Bergame / Bergamo, Galleria d’Arte Moderna e Contemporanea Bologne / Bologna, Museo d’Arte Moderna di Bologna (MAMbo) Cortina d’Ampezzo, Museo d’Arte Moderna Mario Rimoldi Gorizia, Musei provinciali di Gorizia, Palazzo Attems Petzenstein Macerata, Museo Civico Venise / Venice, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Ca’Pesaro Riazzino, Il Deposito (Collezione d’Arte Matasci)

Croatie / CROATIA

Rijeka, Muzej moderne i suvremene umjetnosti Zagreb, Moderna Galerija Espagne / SPAIN

Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza Valence / Valencia, Institut Valencià d’Art Modern (IVAM)

Royaume-Uni / United Kingdom

Londres / London, Estorick Collection of Modern Italian Art Londres / London, Tate Modern Norwich, Sainsbury Centre for Visual Arts

Jérusalem / Jerusalem, Yad Vashem

Norvège / Norway

Oslo, Nasjonalmuseet Hovikkoden, Henie Onstad Kunstcenter Stavanger, Kunstmuseum Nouvelle-Zélande / NEW ZEALAND

Wellington, Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa

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Dobrovo, Goriski muzej Kromberk Galerija Zorana Musica Ljubljana, Mestni muzej Ljubljana Ljubljana, Moderna Galerija Ljubljana Ljubljana, Muzej Novejse zgodovine Slovenije Ljubljana, Narodna Galerija Slovenj Gradec, Koroska galerija likovnih umetnosti Suisse / SWITZERLAND

Bâle / Basel, Kunstmuseum La Chaux-de-Fonds, musée des Beaux-Arts Münchenstein, Schaulager, Emanuel Hoffmann Foundation Vevey, musée Jenisch


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16 rue de Seine - 75006 Paris 14 avenue Matignon - 75008 Paris Tél. + 33 (0)1 43 25 39 24 Fax + 33 (0)1 43 25 39 25 info@applicat-prazan.com www.applicat-prazan.com ApplicatPrazan Photos des œuvres/Photos of the artworks: Patrick Goetelen Sauf/Except pp. 65 et 73: Xavier Grandsart © Adagp, Paris 2016 Auteurs des textes/Authors: Boualem Sansal, Pascal Bruckner, Michaël Prazan Notices techniques/Fact sheets: Franck Prazan Biographie et liste des institutions/Biography and list of institutions: Jeanne Flamant (étudiante en master des technologies numériques appliquées à l’histoire/Master of e-technologies applied to history, École nationale des chartes, Paris) Coordination : Céline Hersant Création/Design Agence Communic'Art 23 rue du Renard, 75004 Paris  Tél. + 33 (0)1 43 20 10 49 contact@communicart.fr Directeur de la création / Creative director François Blanc Design : Georges Baur Coordination : Pascale Guerre Co-édition–Diffusion/Co-publishing–Sales: Éditions Skira Paris 14 rue Serpente, 75006 Paris www.skira.net Responsable des éditions/Senior editor: Nathalie Prat-Couadau Coordination éditoriale/Editorial coordination: María Laura Ribadeneira Assistée de/Assisted by: Anissa Mahdaoui Traduction en anglais/English translation: Deke Dusinberre Relecture en français/Copy editing in French: David Mac Dougall Relecture en anglais/Copy editing in English: Chrisoula Petridis Photogravure/Color separation: Litho Art New, Turin

Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, archivée ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, électronique, mécanique, par photocopie ou autre, sans l’autorisation préalable de l’éditeur. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior consent of the publishers.

© Applicat-Prazan © Éditions Skira Paris, 2016 ISBN 978-2-37074-032-8 Dépôt légal octobre 2016 Imprimé en Belgique sur les presses de Geers Offset

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ISBN 978-2-37074-032-8

37 €


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