Les Éphémérales - les Errances

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Les Éphémérales - Saison 1


Note de lÕauteure

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Initialement conçu comme un modeste projet de land art, les Éphémérales* se sont rapidement imposées comme un vaste programme éditorial. Ainsi, les dernières illustrations de cet ouvrage qui mettent en scène des ancêtres rupestres de nos caractères, résonnent comme une invitation à la lecture d’une suite poétique dont voici le prélude. Promenade amoureuse et pudique dans un jardin des quatre saisons, les Errances sont un hymne à la création et à l’écriture, et construisent, page à page, un “rempart de brindilles” autour d’un totem dédié à l’amour.

En 2008, j’ai planté trois totems – Les Éphémérales – dans un jardin, à 1400 mètres d’altitude, installant ainsi une sorte d’observatoire végétal. Depuis lors, je regarde les saisons, très contrastées à ces hauteurs, marquer de leur empreinte le corps de ces structures, parmi lesquelles figure un couple enlacé.


E r r a nc e s Les ƒph m rales - Saison 1

Anne Queyras-Louail

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« Je dis tu à tous ceux qui s’aiment. » Jacques Prévert


Ć’pisode Un

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e les avais trouvés enlacés l’un à l’autre, embrassés de brindilles. Arbre parmi les arbres, le bloc de leurs corps emmêlés se parait de saisons. Je voulais croire que la sève les parcourait depuis l’aube des temps, qu’elle avait creusé des sillons de plaisir sur leurs chairs, comme autant de nervures tendues vers l’extase. À force d’étreintes, elle aurait transformé la soie de leur peau en bois rugueux. La réalité était tout autre. J’avais planté collés-serrés des restes de l’ancien toit. J’avais ajouté : une vasque en liège dans laquelle j’avais cru apercevoir

l’ombre d’une fesse, sept branches de prunier que le vent d’hiver avait malmenées et la neige, achevées, cent cheveux d’herbe brûlés par le gel ; enfin, une plante à croissance rapide qui bientôt les envelopperait. Depuis lors, j’observais la vie reprendre ses droits sur le corps de mes éphémérales amants. Des oiseaux avaient vite picoré quelques mèches pour adoucir leurs nids, le polygonum* avait ceint de ses feuilles l’étreinte passionnée, et les pavots – grands comme des mains ouvertes – sussuraient alentour combien de vies naissaient de leurs ébats, à chaque printemps.

* Polygonum (prononcer “poly gone homme”) : plante à croissance rapide qui couvre parfois le tronc des arbres morts.


Je savourais cette “saisonnalité”, rassurée comme s’il s’était agi d’une éternité : Pero este amor, amor, no ha terminado, y asi como no tuvo nacimiento no tiene muerte, es como un largo rio, solo cambia de tierras y de labios.* Je répétais ces vers de Neruda, que souvent ma mémoire récitait lorsque je travaillais à la confection de cet étrange totem. Qui étaient-ils ? Qui étaient ces amants que la passion avait cloués ici ? De quels émois mes doigts s’étaient-ils faits la trace, laissant la nature les donner en partage ? Je cherchais.

J’enregistrais toutes les histoires d’amour, faisais émerger de mes souvenirs les chansonnettes de mon enfance et mes lectures effacées : Jeannette et Pierre, Roméo et Juliette, Francesca et Paolo, Dante et Béatrice… Peu à peu, j’offrais à mes amants tous les destins amoureux. Jusqu’à ce qu’une voisine à qui je présentais l’énigme ne s’exclame : « mais, Anne, c’est une métamorphose !» Sur ses précieux conseils, je plongeais dans le texte ovidien. Sidérée par l’évidente relation, je commençais à construire, tranquillement, l’éternité de mes amants bâtis d’éphémère.

* Pablo Neruda, Poésie, Gallimard (traduction de Jean Marcena et André Bonhomme) : «Mais cet amour, amour, est un amour sans fin, et de même qu’il n’a pas connu de naissance, il ignore la mort, il est comme un long fleuve, il change seulement de lèvres et de terre.»

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Nés de la pierre, de passage comme nous tous, mes Éphémérales amants repeuplaient la Terre que le déluge jupitérien avait dévastée. Ils étaient sève depuis lors, parcourant les limons, les gorgeant de vie.

Cette histoire m’était une promesse : j’avais un début, j’avais une fin et, entre ces deux jours fatidiques, une infinie possibilité d’instants à raconter.

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Table des illustr ations Tous les dessins de cet épisode ont été réalisés à l’encre et au lavis sur papier torchon, au format 36 X 51 cm.

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Métamorphoses Psst… Oups !

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Splash ! Euh… Ah  ? ! Mmh ! Et hop !


Fin du premier épisode

Cet épisode a fait l’objet d’une édition limitée en 100 exemplaires, chaque exemplaire comprenant 1 ou 2 dessins originaux.



Ć’pisode Deux

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Les poèmes sont des bouts d’existence incorruptibles que nous lançons à la gueule répugnante de la mort, mais assez haut pour que, ricochant sur elle, ils tombent dans le monde nominateur de l’unité. René Char, Le Rempart de brindilles, in La Parole en archipel, Éditions Gallimard, 1962.

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30décembre 2009 : deuxième hiver pour mes

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Éphémérales. La neige est tombée. Masse lourde et granuleuse. Sous leur cognassier refuge, deux amants enlacés resserrent leur étreinte glacée. Parcourus de brindilles effeuillées, ils goûtent, encore et encore, la chaleur tiède de leur baiser. Ainsi scellés, ils scintillent ; les rayons d’hiver caressant, joyeux, les gouttes gelées suspendues à l’extrémité de leurs cheveux de bois. Ploc ploc… Le cognassier, plié de neige ce matin, déploie ses tentacules dénudées, allégées de fonte. Savourant ce soleil, ce calme après la tempête, ce chant de l’oiseau comme un souvenir de printemps, la branche se tend. Elle s’étire… grimpe, grimpe

encore… et emporte avec elle la pauvre tête de l’amante dont elle avait taquiné de trop près la chevelure branchue. J’avais imaginé un observatoire végétal. Je croyais pouvoir admirer les cycles, savourer les renaissances. Je ne récoltais que l’absurde, la confirmation de la fin promise. Je rafistolais tant bien que mal, pansais les blessures: mon histoire n’était pas terminée. J’avais besoin de temps ; un cycle végétal, une seule vie, en somme, n’avait pas suffi à étancher ma soif. J’en voulais à l’arbre et boudais, faisant disparaître, rancunière, les frondaisons affolées qui avaient jalonné ma route créative jusqu’ici. À moins que l’immaculé de l’hiver, le vide noir et blanc de mes hauteurs enneigées ne m’aient tout


simplement rendue encline à l’épure. Saturée d’interférences, je resserrais mon champ d’investigation. Je gommais le temporel, effaçais les traces de vie qui entouraient les amants, mais qui n’étaient pas Eux. Je les isolais, les coupais du monde. Je ne voulais plus voir qu’Eux. Je fouillais mon sujet comme un archéologue détache – presque grain à grain – le sable d’un vase, pour la seule gloire d’en révéler le fragment. À force de patience opiniâtre, je pénétrais, impudique, l’intimité de mes éphémérales amants. Je crois que j’ai partagé leur fusion. Je crois même que j’ai goûté, par instant, cette trace d’amour qu’une muse décela dans cet assemblage dérisoire de morceaux d’existence oubliés.

* à paraître : les bonus de l’épisode 1.

Impasse et passe Avec eux pourtant, j’ai tourné en rond, en boucle, dans une tour noir ébène, totem vide, sinon de ces amants, pauvre de leur enfermement. Je butais, me cognais, déchirais, sentais grandir en moi la discorde de l’ennui. J’étais désemparée : j’avais construit une histoire avec un début, une fin et, entre les deux, une soidisant « infinie possibilité d’instants à raconter ». De facto, j’avais conté en flux tendu, les unes après les autres, des hypothèses de rencontre, des scénarios de conquête amoureuse.* Il me semblait désormais devoir combler les trous dans la narration, exposer les non-dits de leur vécu amoureux.

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PlanÂ?te love 26


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Mais cette histoire d’amour m’ennuyait sitôt commencée. Le destin particulier, les héros de passage dont j’oublierai de toute façon le visage et le nom : rien de tout cela ne m’intéressait. C’est alors que je tombai, presque par hasard, sur la porte que je cherchais. Elle se cachait au détour d’une page douce au toucher et parfumée

* René Char, in Nous avons, ibid.

d’encre, de ces feuillets précieux que nos yeux caressent et que nos mains lisent : « Un mystère plus fort que leur malédiction innocentant leur cœur, ils plantèrent un arbre dans le Temps, s’endormirent au pied, et le Temps se fit aimant .» * Qu’allais-je bien pouvoir faire de cette énigme ?

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Table des illustr ations Tous les dessins de cet épisode ont été réalisés à l’encre et au lavis sur papier torchon, à l’exception de celui de la page 23, auquel ont été ajoutées des touches de sable résineux. Tous sont au format 36 X 51 cm.

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P. 23 P. 27 P. 28 P. 29

Nous nous aimons tant Planète love Zzzzz zzzzz Dring !

P. 30 P. 31 P. 32

Zip ! Wizzzzz ! Zzzzz zzzzz zzzzz !


Fin du deuxième épisode



Ć’pisode Trois

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La neige a fondu aux pieds des vieux amants. Les feuilles desséchées, agglutinées en tapis détrempé, se sont fendues et séparées, déchirant des regards sur la terre en dessous.

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Des milliers de litres d’eau constellée de grains de pierre ont dévalé les pentes, traçant des labours. Revigoré par cette arrivée massive, le torrent a charrié les débris de tempêtes et les pans de montagne que les avalanches avaient échoués sur ses rives. Point. L’hiver est fini. Other players shoot again.


Le vert rampe et déploie ses bras élastiques. Il s’enroule sur les troncs, glisse entre les pierres et entrelace les amants. Le grand bordel végétal commence : le jaune, le rouge et le bleu jouent désormais leur partition à la verticale. C’est l’orgie, la démultiplication à tout va. Rapidement, je vois le monde à travers un rideau d’herbes hautes et j’adore ça. En habit nuptial sous leur cognassier fleuri, deux amants ressuscités frissonnent. Le frêle écran végétal masque à peine leur plaisir de renaître ici, sur les flancs du mont de Vénus.

* Arthur Rimbaud, in Soleil et Chair, Poésies, La Pléiade.

« Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang ; Que son immense sein, soulevé par une âme, Est d’amour comme dieu, de chair comme la femme, Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons, Le grand fourmillement de tous les embryons. Et tout croît, et tout monte ! » *

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ïh !


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JÕaimais ces naissances. Je m’y étais blottie, dos à l’hiver, comme si la contemplation de la multiplication cellulaire ou d’une radicelle perçant le dernier drap de neige me protégeait des douleurs qui criaient de toutes parts. Combien de disparus ? Déjà !

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Je cachais mes morts derrière un “rideau d’herbes hautes” : je bâtissais, saison après saison, mon “rempart de brindilles”. René Char m’avait touchée en plein cœur et cela m’apparut vite un bien essentiel. Dépitée par ma propre paresse qui m’avait fait conclure mes promenades amoureuses par un processus biologique sans âme et sans chair, je reprenais après le point final.

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Des visages vides !

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En ce troisième printemps, mes Éphémérales amants arboraient des visages sans chair : elle s’était ratatinée à l’intérieur, tassée par les jours inlassables. Ne restaient d’eux que quelques bardeaux de mélèze et des fils de fer entortillés formant aux bons endroits, là un œil, ici deux bouches collées et, plus bas, retenue par la vasque fessière, une main posée. Je les voyais tels qu’ils étaient : morts. Pourtant, à observer l’incessant renouveau des

saisons sur leurs corps imputrescibles, il me semblait avoir fossilisé dans mon jardin toute la passion amoureuse. « Nous sommes là enlacés dans la fenêtre, ils nous regardent depuis la rue : il est temps que l’on sache ! Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir, qu’à l’incessante absence de repos batte un cœur. Il est temps que le temps advienne. Il est temps. » *


Alors comme ça, de fil en aiguille, je me suis souvenue des premiers cheveux blancs caressés sur ta tempe ce matin, j’ai pensé à cette petite strie verticale qui s’est glissée récemment sur ta joue… à ton regard, plus triste des disparitions.

Parole ! Par défaut de chair, il faudra que tu demeures. Lettres affolées par le désir que tu fus, Mots passerelles des heures, suspendues entre nous. Tu seras, te dis-je ! l’eau du fleuve et la prairie. Éphémérale amant, embrassé de brindilles.

Toute faiblesse bue, j’avais juste envie de te dire, en urgence : « Amor mio, si mueres y no muero, » **

Amo ergo sum. Et toc !

* Paul Celan, in Corona, Pavot et Mémoires, Gallimard, coll. Poésie. ** « Mon amour, si tu meurs et que je ne meurs pas, » Pablo Neruda, ibid.

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Table des illustr ations Tous les dessins de cet épisode ont été réalisés à l’encre et au lavis sur papier torchon. Tous sont au format 36 x 51 cm, à l’exception des illustrations des pages 39 (18 x 26 cm), 50 (23 x 31 cm) et 52 (18 x 26 cm).

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P. 39 P. 43 P. 44 P. 45 P. 46 P. 47 P. 48 P. 50

Le Temps aimant Au nom de la mère Poc Blop Blop, blop Blobloblobloblobloblop O Point

P. 52 P. 54 P. 55 P. 56 P. 57 P. 58 P. 59

Point de suspension Point de suite Suite, etc. Etc., etc. Mot à mot Oh ! Ô Saisons


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Ci-dessus : Les Éphémérales, Les Amants I. Quatre toiles passe-muraille© de 100 x 50 cm. Technique mixte sur et sous toiles. De gauche à droite : Printemps, Été, Automne, Hiver.


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Textes et dessins : Anne Queyras-Louail Graphisme : Martine Paumelle Impression : Copystore, 36, rue Debelleyme - 75003 Paris – Achevé d’imprimer le 27 mai 2010. Dépot légal : mai 2010 – Éditions MaPomme, 14 rue du Marché-Popincourt - 75011 Paris.


Il a été tiré vingt exemplaires numérotés et signés de cet ouvrage, par ailleurs consultable en version numérique.

Éditions

Paris, 2010 Ma Pomme


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