La possibilité de l'oeuvre : réflexion sur la qualité d'auteur de l'architecte

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ANTOINE SONNERY-COTTET

La possibilité de l’œuvre Réflexion sur la qualité d’auteur de l’architecte

Directeur d’études : Loïs de Dinechin

MÉMOIRE PROFESSIONNEL d’architecte diplômé d’État

École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand Habilitation de l’architecte à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en son nom propre


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REMERCIEMENTS

Je remercie chaleureusement toutes les personnes avec qui j’ai pu m’entretenir pendant ces trois ans, en particulier mes collègues de travail, qui m’ont apporté leur expérience et leurs témoignages, qui ont répondu à mes nombreuses questions, qui m’ont bien conseillé, parfois mis en garde, et qui finalement m’ont bien préparé à l’entrée dans le domaine de la maîtrise d’œuvre. Ils sont encore aujourd’hui un soutien précieux. Ils n’auront sans doute pas l’occasion de lire ce mémoire, mais je remercie les maîtres d’ouvrages, ingénieurs, entrepreneurs et ouvriers avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. Je leur adresse une pensée particulière car sans eux rien ne serait et n’aurait été possible. Je remercie Monsieur Von During, architecte issu de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, praticien à Genève et enseignant à la Haute Ecole du Paysage, d’Ingénierie et d’Architecture, qui a pris le temps de s’entretenir avec moi et dont le regard critique et avisé sur la profession en Suisse m’a beaucoup éclairé. Je remercie Monsieur De Dinechin, qui m’a bien accompagné, qui a su recadrer les choses lorsque nécessaire, et qui a initié une certaine profondeur à cette réflexion. Enfin je tiens particulièrement à remercier mes employeurs, Messieurs Jean-Sven Grivel et Johann Girod de l’Ain, et Mesdames Sophie et Séverine Grivel, pour m’avoir accueilli dans leur structure avec une grande bienveillance, pour m’avoir transmis un réel intérêt pour les questions de maîtrise d’œuvre, et pour m’avoir fait et me faire encore confiance.

Mots-clés : Convictions - Engagement - Conscience - Responsabilité - Résistance - Non-complaisance Ecriture - Auteur - Œuvre

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STRUCTURE D’ACCUEIL Atelier d’architecture Grivel & Girod SA (AAG), Parc du Chateau-Banquet 26, 1202 Genève (Suisse). Tel. : +41 (0) 22 328 05 35 Mail : info@grivel-architecture.ch Web : www.aag-architecture.ch

TUTEURS Jean-Sven et Sophie Grivel, architectes SIA, REG A, MPQ

DIRECTEUR D’ÉTUDES Loïs de Dinechin, architecte et enseignant TPCAU à l’ENSA Clermont-Ferrand

MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE Du 1er Novembre 2017 au 1er Juin 2018. Date d’embauche dans la structure d’accueil : 21 septembre 2015 (CDI).

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SOMMAIRE

Remerciements Informations générales

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PARCOURS 1. CV 2. Fiches projets

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Introduction

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1. CONTEXTE DE PROGRESSION 1.1 PFE et mémoire recherche : reflets de convictions naissantes 1.2 L’opportunité d’une « mise en situation professionnelle »

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2. LA PRATIQUE EN SUISSE : UN AUTRE PARADIGME 2.1 Un dispositif favorable à l’architecture 2.2 L’architecte : maîtrise et responsabilité totales

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3. COMMUNIQUER DANS LE SENS DE L’ARCHITECTURE 3.1 Pédagogie et « climat de recherche » 3.2 Temps et espace du chantier : l’écriture sur le vif

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Conclusion, posture

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Bibliographie Annexe

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PARCOURS Antoine Sonnery-Cottet

Curriculum Vitae

Rue de Saint-Jean 1, 1203 Genève +41 (0) 76 675 90 70 // +33 (0) 629 989 310 antoine8009@hotmail.fr Principales formations 2015

Diplôme d’État d’architecte Soutenu le 18 Juin 2015, mention TB, félicitations du jury

2014/2015

Mémoire de fin d’études, mention recherche « Expérimenter l’immeuble en bois, entre exigences environnementales et architecture » - Soutenu le 18 Juin 2015, obtenu mention TB

2010/2015

Master et Licence à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand Domaine d’étude : Eco-conception des Territoires et des Espaces Habités

2010

Baccalauréat Scientifique (S) Ecole internationale Massillon Notre-Dame (Clermont-Ferrand) - Mention Bien

Expérience professionnelle Depuis Sept. 2015

Architecte collaborateur AAG - Atelier d’architecture Grivel & Girod SA / CDI / Genève (GE) / Suisse - développement de projets (phases : autorisation, pré-éxécution, économie du projet (devis général), éxécution, consultation des entreprises, soumissions) - concours, maquettes d’étude et de rendu - chef de projets, suivi de chantier

2014

Stage de « Mise en situation professionnelle » Hugo FRANCK architecte / Royat - développement de projets, suivi de chantier / 2 mois

2013

Stage de « Première pratique » Bruno BRUN architecte / Clermont-Ferrand - développement de projets / 1 mois

2012

Stage de « Suivi de chantier » Philippe BOGACZ architecte / Clermont-Ferrand - suivi de chantier avec l’architecte / 2 semaines

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FICHE PROJETS Sont présentés ci-après les principaux projets auxquels j’ai participé pendant les trois années de travail dans ma structure d’accueil.

« CGES »_Surélévation d’un centre de santé Type de marché et localisation : marché privé, 1213 Onex (Suisse, canton : Genève) Programme : Etablissement de santé et résidence pour personnes agées Surface brute de planchers : environ 1’600 m2, sur 2 niveaux Temps passé sur ce projet : participations ponctuelles, 6 mois Budget : non communiqué Ce que j’ai fait : adaptations d’un projet prééxistant, discours argumenté d’architecte avec présentation au maître d’ouvrage, étude de façade, d’aménagements, de schéma de structure, réalisation d’un dossier de demande d’autorisation de construire

« Anthy »_Maison individuelle Type de marché et localisation : marché privé, 74 200 Anthy-sur-Léman (France) Programme : transformation et création neuve, d’une maison individuelle pour un particulier Surface brute de planchers : environ 200 m2, sur 2 niveaux Temps passé sur ce projet : 4 mois Budget : 335’000 € TTC Ce que j’ai fait : adaptations d’un projet prééxistant, rédaction de soumissions, appel d’offres, définition de détails du projet avec les entreprises, assistance au maître d’ouvrage pour l’adjudication des entreprises, réalisation d’un dossier de demande d’autorisation de construire

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« L’Etang »_Quartier de l’Etang

Type de marché et localisation : marché privé, 1214 Vernier (Suisse, canton : Genève) Programme : trois îlots d’environ 260 logements chacun, commerces, hôtel, spa, bowling, résidence étudiante... Surface brute de planchers : environ 250’000 m2 au total, Hauteur des bâtiments jusqu’à R+10 Temps passé sur ce projet : participations ponctuelles, environ 3 mois pleins en tout Budget : non communiqué Ce que j’ai fait : participations ponctuelles au projet, réalisation de faisabilités pour les groupes souhaitant s’installer dans le futur quartier, aide aux dessins de pré-exécution, réalisation de maquettes urbaines et de détail de façades.

« Maison Châtelain »_Rénovation et transformation d’un ancien corps de ferme

Type de marché et localisation : marché privé, Hameau de Bellossy, 74 150 Vers (France) Programme : création de 3 habitations dans un corps de ferme à l’état de grange Surface brute de planchers : environ 550 m2, sur 3 niveaux Temps passé sur ce projet : 4 mois Budget : environ 500’000 € TTC Ce que j’ai fait : visite sur place, réflexion de projet, montage d’un discours argumenté d’architecte, présentation au maître d’ouvrage.

« Gastromer »_Réhabilitation d’une partie de bâtiment industriel

Type de marché et localisation : marché privé, 1228 Planles-Ouates (Suisse, canton : Genève) Programme : 6 bureaux en open-space, 2 bureaux de dirigeants, 1 cafétéria-showroom Surface brute de planchers : environ 200 m2, sur 1 niveau Temps passé sur ce projet : 14 mois (conception + chantier) Budget : 758’000 CHF TTC 8


Ce que j’ai fait : toutes les missions possibles depuis le calque jusqu’à la réception de chantier, en particulier l’élaboration d’un discours argumenté d’architecte avec présentation au maître d’ouvrage (esquisse), le montage du devis général des travaux, le suivi de chantier, la gestion temporelle (planning) et financière (situations des entreprises et honoraires architecte).

« 12 Temple »_Transformation d’une ancienne grange en logement et extension

Type de marché et localisation : marché privé, 1236 Cartigny (Suisse, canton : Genève) Programme : 2 habitations pour deux familles de 4 et 5 personnes Surface brute de planchers : environ 600 m2 Temps passé sur ce projet : 15 mois, en cours Budget : 2’885’000 CHF TTC Ce que j’ai fait : discours argumenté d’architecte avec présentation au maître d’ouvrage (esquisse), réalisation d’un dossier de demande d’autorisation de construire, relevés sur place, sondages (micro diagnostic), réalisation d’un devis général complet, gestion des détails, soumissions, appels d’offres, planning de chantier, suivi de la réalisation.

« Maison Garey »_Transformation d’une partie de maison individuelle

Type de marché et localisation : marché privé, 1278 La Rippe (Suisse, canton : Vaud) Programme : modification d’une salle de bain, création d’une buanderie Surface brute de planchers : environ 35 m2 Temps passé sur ce projet : 10 mois Budget : environ 150’000 CHF TTC Ce que j’ai fait : Esquisse, retours nombreux sur l’esquisse du fait de la compexité technique et d’usage, réalisation d’un dossier de demande d’autorisation de construire, soumissions, appel d’offres, planning et stratégie d’intervention, gestion du chantier.

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INTRODUCTION

22 Janvier 2018 : les ministres européens de la culture se réunissent à Davos (Suisse), pour défendre une culture du bâti de qualité. L’objectif est de dégager, à la veille du forum économique mondial, des pistes sur la manière d’établir cette culture spécifique en Europe, sur les plans stratégiques et politiques1. Les changements de paradigme au niveau des instances dirigeantes auront nécessairement des conséquences sur la pratique, voire la nature, du métier d’architecte maître d’œuvre. Par extension, il pourrait s’agir d’un tremplin pour une profession en complète ré-organisation aujourd’hui. Soulignant et renforcant le rôle central de la culture dans l’acte de bâtir, les acteurs du bâtiment sont plus que jamais concernés par ces évolutions.

Quel architecte ai-je envie d’être ? Sous quelle forme et de quelle manière ai-je envie d’exercer ce métier ? L’opportunité d’écrire sur un retour d’expérience, pour esquisser une posture personnelle, m’apparaît pertinente, et même décisive. Il est nécessaire de savoir ce vers quoi on s’oriente, ainsi que pourquoi et comment on souhaite continuer dans cette voie, en toute connaissance de cause. Pour ma part cette décision est la résultante de l’émergence précoce d’une certaine conscience de l’importance du rôle de l’architecte au sein de la société, au sens général. J’ai en effet vite réalisé qu’être concepteur d’architecture c’est aller au devant de grandes responsabilités, en particulier dans l’exercice de la maîtrise d’œuvre2. Il apparaît nettement que cet exercice soulève de réels enjeux et qu’il importe que nous, sachants, nous battions pour les personnes qui n’en sont pas conscientes3. C’est aussi cet aspect de notre action qui confère à ce métier son importance, sa particularité et, d’une certaine manière, sa noblesse, dans un monde globalisé où un engagement et une conscience altruistes deviennent rares. Bien souvent au sortir de l’école nous avons la volonté de changer le monde, d’affirmer les convictions que l’on s’est forgées, de concrétiser nos idéaux d’architecte et de citoyen. Nous sommes portés par le désir d’être à l’origine d’une création personnelle réelle, construite, qui serait déjà le reflet d’un projet manifeste, d’une écriture qui nous soit propre, 1 - https://www.architectes.org/actualites/les-ministres-europeens-de-la-culture-defendent-davos-une-culture-dubati-de-qualite#.WwCWgkfOl-s.facebook 2 - Il est ici question, comme le décrit Fernand Pouillon, de la responsabilité « qui détruit la vie pour des décennies ou des siècles ». POUILLON (Fernand), Lettre à un jeune architecte, Éd. du linteau, 2010 (1980), p. 17 3 - Car si on ne le fait pas, personne ne le fera à notre place.

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de notre architecture. Avant la confrontation avec la réalité, nous avons tout simplement une formidable et parfaitement légitime envie d’endosser, enfin, notre costume d’auteur. La connaissance de référents reconnus, qui parviennent à concilier prise de position et exercice de la maîtrise d’œuvre tout en parvenant à en vivre décemment, nous galvanise. Je pense par exemple à des personnalités comme Patrick Bouchain, Gilles Clément, Paul Chemetov, Yves Perret, Guillaume Ramillien, Gilles Perraudin, Eric Lapierre, Nicolas Delon et Julien Choppin, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, entre autres. Ces repères sont là pour témoigner qu’il est possible d’assumer un discours d’architecte et de parvenir à le transformer, par l’exercice de la maîtrise d’œuvre, en un ouvrage qui lui corresponde et dont on peut assumer la responsabilité critique4. En outre l’une des différences les plus fondamentales entre le développement d’un projet qui a vocation à être fabriqué, par comparaison avec l’école, c’est la perspective du chantier, de la réalisation concrète de l’ouvrage projeté. La multitude de phases qui suivent l’Avant-Projet Définitif (le niveau « maximal » de définition que l’on atteint généralement à l’école) sont autant de moments susceptibles de modifier, par un renforcement ou une dégradation, le concept et l’écriture initiaux du projet. C’est ainsi que j’ai choisi d’orienter mon retour d’expérience professionnelle sur la question de l’architecte-auteur. Que veut dire être auteur d’un ouvrage d’architecture ? Si exercer le métier d’architecte maître d’œuvre c’est exercer un métier d’auteur, il m’apparaît important de s’interroger sur les conditions qui permettent à ce concepteur « sachant » d’élaborer un ouvrage d’architecture sur lequel il exerce une certaine maîtrise. La problématique du mémoire pourrait se formuler ainsi : en quoi l’organisation et les conditions de l’exercice de la maîtrise d’œuvre permettent à l’architecte de concrétiser au mieux ses convictions et son écriture propres, et donc d’assumer le plus pleinement possible son statut d’auteur ? Pour apporter des éléments de réponse à cette interrogation j’ai choisi de d’abord m’intéresser aux mécanismes de la maîtrise d’œuvre, en prenant comme cas d’étude le système suisse, qui diffère quelque peu, dans la forme comme dans l’esprit, de celui de la France ; l’objectif est de distinguer en quoi ce système est le reflet d’une volonté commune et partagée de promotion de la qualité architecturale. Dans une seconde partie, j’ai choisi de faire un retour critique sur le passage de la formation au métier, en analysant l’attitude que j’ai pu avoir avec les maîtres d’ouvrages, les partenaires de conception, et les ouvriers avec qui j’ai collaboré pendant ma mise en situation professionnelle ; il s’agira de montrer en quoi l’aspect pédagogique peut être un puissant allié pour le concepteur, en ayant en ligne de mire la question de l’œuvre. Enfin, une finalité sous-jacente de ce mémoire est celle d’énoncer un retour critique sur l’évolution de mes propres convictions d’architecte suite à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en conditions réelles.

4 - C’est d’autant plus important désormais qu’en France, depuis la loi LCAP 2016, une plaque figurant le nom de l’architecte (et du maître d’ouvrage) doit obligatoirement être apposée sur au moins une façade des nouvelles opérations réalisées.

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1. CONTEXTE DE PROGRESSION

1.1 PFE et mémoire recherche : reflets de convictions naissantes Il nous est demandé pour cet exercice de mémoire de présenter, dans les grandes lignes, notre projet de diplôme. Dans le cadre de mon approche je pense que l’intérêt ne réside pas vraiment dans le jugement de la qualité ou de la pertinence de ce travail, qui a déjà été évalué selon ces critères. En effet au regard du sujet il s’agit plutôt de montrer en quoi ce projet est déjà le reflet de convictions personnelles, quel est le degré d’engagement qui a été pris, quelle réponse formelle a été apportée au regard des arguments, et, en somme, en quoi ce projet fictif pourrait s’apparenter à une « œuvre » d’architecture crédible, dont je serais l’auteur. C’est ainsi que par nécessité de rester bref et synthétique la présentation suivante ne reflète pas la richesse réelle de ce travail6. Ce projet a été développé pour la ville de Gannat, dans l’Allier (03), en partenariat constant avec les élus de la mairie. Il a été mené sur une année entière, et est composé d’un projet urbain, à l’échelle de la ville et son territoire, puis d’un projet architectural, qui consiste en la précision d’un détail de ce projet urbain. Concernant mon cas particulier, ce travail, dit « de fin d’études », est difficilement séparable d’une recherche parallèle que j’ai effectuée dans la continuité de mon mémoire de cinquième année7, et que j’exposerai à la suite de cette présentation. Habiter le paysage du Sigillon - Projet de Fin d’études Domaine d’étude Eco-conception des Territoires et des Espaces Habités (ETEH) Gannat dans son bassin de vie On peut dire que Gannat existe grâce à son bassin de vie. La ville en est clairement dépendante et inversement, les habitants des villages gravitaires dépendent de Gannat pour leur quotidien. Mais on constate un paradoxe entre l’échelle de l’aire urbaine, qui est centrée sur l’attractivité de Gannat en termes d’équipements (centres commerciaux et infrastructures sportives notamment), et la pauvreté des espaces publics du bourg, qui n’incitent pas les individus à y rester. 6 - Une présentation en détail ainsi qu’une vidéo plus complètes sont disponibles sur internet : _https://issuu.com/asc009/docs/rapport_de_pr__sentation_pfe_habite _https://www.youtube.com/watch?v=eeBJu3WIvbg 7 - Constituant la validation d’un mémoire « recherche », une prolongation de la réflexion menée dans le cadre du traditionnel mémoire de fin d’études, avec comme base de réfléxion le projet de diplôme.

FIGURE 1 - page de gauche Page de mon carnet de travail du semestre 10 à l’école d’architecture, figurant les premières esquisses de mon projet de fin d’études (PFE). Source : document de ma propre production réalisé en Mars 2015

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Aujourd’hui

L’axe Nord/Sud est l’axe de développement historique depuis les années 1970.

On constate un déséquilibre entre le nombre d’équipements présents au Sud et ceux du Nord.

Demain

Reconsidérer l’axe Est/Ouest, en prennant comme support les cours d’eau... 14

Revaloriser les espaces et les bâtiments à enjeu du Nord de Gannat, pour rétablir l’équilibre.

FIGURE 2 Source : documents de ma propre production réalisés en Janvier 2015


Constats / hypothèses A l’échelle de l’agglomération, ce paradoxe se traduit par une dualité entre la partie Nord historique et la partie Sud contemporaine, qui correspondent à deux temps de conception de la ville. Cette dualité s’exprime aussi dans le déséquilibre entre le nombre d’habitants et le nombre d’équipements, la balance s’inversant entre les deux pôles. La partie Nord de la cité a la particularité de disposer d’équipements publics, de services, et de commerces qui ne sont pas seulement destinés aux habitants du bassin de vie, mais plutôt aux résidents de Gannat. L’enjeu du projet est de reconsidérer la partie Nord, pour rétablir l’équilibre d’attractivité avec le Sud. Gannat est structurée par la présence de deux monts (le mont Libre et le mont Les chapelles), la départementale 2009 reliant Clermont-Ferrand à Paris, et la plaine agricole à l’Est. Elle est bordée par une voie ferrée qui joue le rôle d’enceinte. Les cours d’eau dans Gannat : un potentiel sous exploité L’ensemble de ces zones d’habitat est traversé par deux cours d’eau, autrefois omniprésents dans le quotidien des Gannatois et tombés en désuétude depuis la seconde moitié du XXème siècle. Ces éléments de paysage, l’Andelot et le Sigillon, serpentent dans Gannat depuis les origines de la ville et sont tout à fait aptes à définir son identité. Cependant leur caractère structurant tend à s’effacer à l’échelle de la charpente urbaine, du fait d’un certain oubli depuis cinquante ans et d’un total effacement dans le quotidien des habitants.

Andelot : rivière canalisée

Le Sigillon : rivière sauvage

FIGURE 3 Source : document de ma propre production réalisé en Janvier 2015 15


L’Andelot : un canal structurant, mais peu agréable à la vue et au parcours.

Le Sigillon : un brin de nature accessible au coeur de la ville, mais qui s’efface à l’échelle urbaine.

FIGURE 4 Source : photographies personnelles, réalisés en Septembre 2014

Les deux rivières subissent un traitement différent, qui leur confère deux ambiances et deux statuts bien spécifiques. L’Andelot, canalisé et bétonné, est plus « urbain ». Le Sigillon, lui aussi canalisé mais de manière plus traditionnelle, par des murs en pierres sèches, dispose d’une ambiance très particulière, presque bucolique.

L’orientation Est/Ouest comme nouvel axe de développement L’enjeu principal de la ville de Gannat réside dans son pouvoir d’attraction, dans ce qu’elle aura à offrir au monde en 2035 (l’échéance de projet souhaitée par la mairie). L’intérêt est de renforcer son inscription dans le bassin de vie, qui n’est aujourd’hui que partielle, et de parvenir à rétablir l’équilibre entre le Gannat du Nord et le Gannat du Sud. L’objectif est d’augmenter l’attractivité du Nord en attirant les individus habitués à pratiquer la zone Sud et en leur faisant oublier leur voiture. Il peut s’agir d’habitants de Gannat comme de personnes extérieures provenant du bassin de vie. Ce renversement nous semble possible grâce à l’implantation relativement récente de l’autoroute, qui va également attirer des entrepreneurs en favorisant l’implantation d’équipements commerciaux en partie Nord. L’objectif du projet est aussi de renforcer l’image de « petite ville de campagne », par un travail sur les liaisons douces, dont le caractère pédestre doit être perçu comme qualitatif et non plus comme une contrainte pour les habitants, ceci en questionnant la notion de mesure pour Gannat.

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FIGURE 5 En vert, le périmètre d’intervention du projet urbain, le long du Sigillon, dans l’orientation Est / Ouest. Source : document de ma propre production réalisé en Janvier 2015

A l’échelle urbaine : résumé des enjeux 1.

Affirmer l’orientation Est/Ouest, rechercher la lisibilité

2.

Diffuser le projet dans les micro-transversalités Nord/Sud par les modes doux

3.

Travailler sur les ambiances, les liens visuels avec le grand paysage

4.

Renouvellement urbain à Gannat : habiter autrement la ville à la campagne (PFE)

5.

Lier le centre pour renforcer son attractivité

PARCOURIR L’ESPACE

THEMATISER LE PARCOURS

DIFFUSER L’INTERVENTION

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SÉQUENCE 1 : Jardins et grand paysage

SÉQUENCE 2 : Jardins culture et patrimoine

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Espaces publics retravaillés

Bâtiments existants intégrés au projet

60 m

120 m

FIGURE 6 Plan général d’intervention urbaine, soulignant la structuration du projet par le biais de différentes séquences spécifiques. Source : document de ma propre production réalisé en Janvier 2015

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SÉQUENCE 3 : Jardins et espaces publics

SÉQUENCE 4 : Jardins et confluence

Quatre séquences paysagères L’intervention urbaine se décompose en 4 séquences, chacune porteuse d’un enjeu spécifique. De mon point de vue, celle qui mérite d’être développée plus particulièrement est la troisième, car elle offre directement la possibilité d’intégrer les quartiers à enjeux situés de part et d’autre du cours d’eau. C’est aussi l’occasion de s’attaquer au mitage des dernières parcelles agricoles dans le Gannat « intra-muros », et à la question de la désertification continue du centre-bourg.

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FIGURE 7 Plans successifs à différents stades d’intervention du projet dans le temps.

Tn : Après la requalification des berges du Sigillon et la mise en place des cheminements doux la promenade le long des berges est élargie.

Tn+1 : L’ancien abattoir, aujourd’hui en ruine, est déconstruit et un projet d’habitat groupé est réalisé. Il s’accompagne d’un nouvel élargissement de la promenade piétonne publique.

Tn + 2 : La présence des deux maisons pavillonnaires résultantes est questionnée, du fait qu’elles tournent le dos à la rivière et qu’il serait logique de lier les deux premières interventions. Un deuxième projet d’habitat groupé ? Source : documents de ma propre production réalisés en Avril 2015

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Habiter le paysage du Sigillon

Synopsis du projet

« Densifier plutôt que consommer des terres arables, mettre en scène un cours d’eau ancestral chargé d’histoire et support d’un renouveau pour Gannat...

Comme un fragment de nature au coeur de la ville, les berges du Sigillon et leur ambiance bucolique exaltent l’imaginaire du promeneur qui les aura découvertes. Les formes s’insèrent dans ce tissu fragile, et proposent d’habiter l’espace, de mettre en scène le cours d’eau, de le structurer afin qu’il se révèle enfin. Habiter ce paysage, le dévoiler, l’investir, ne faire qu’un avec celui-ci, telle est l’ambition du projet.

Le facteur temps est décisif, car c’est par une prise de conscience collective du potentiel des berges qu’il sera progressivement possible de les révéler, puis de les habiter. La fine promenade d’aujourd’hui devra s’épaissir, prendre de la consistance, accepter l’arrivée du public venu la contempler.

Les premiers habitants formeront une communauté, et vivront dans un lieu où se développera un sentiment d’appartenance, comme un fragment urbain clairement identifiable dans Gannat. »

Pour parvenir à prendre sa place au sein de cet écosystème sensible, à habiter le paysage du Sigillon, l’intervention se déroulera de manière progressive, par un phasage en trois temps (figure 7). Le projet envisage donc une démarche sur le long terme, avec une stratégie additionnelle qui propose d’ajouter, au fur et à mesure des possibilités foncières et financières, des fragments urbains qui se répondent. L’objectif est de parvenir à une cohérence globale pour l’échéance 2035. De par ma volonté d’explorer les questions liées au logement, en particulier dans le cadre du mémoire recherche, je me suis orienté vers un programme de logements collectifs, qui s’appuie sur l’idée d’une communauté d’habitants (habitat groupé). Plus précisément, mon axe de réflexion principal concerne l’architecture du logement collectif en structure bois8. Quel intérêt avons-nous à construire nos logements collectifs avec ce matériau ? Comment cela se passe-t-il en terme de construction, de planification, de chantier ? Quelles sont les conséquences de ce choix pour l’architecture ? Comment les habitants perçoiventils et ressentent-ils cette spatialité ? Il s’avère qu’en plus de convenir à mes préoccupations d’étudiant, ce programme était judicieux pour la ville de Gannat car la mairie peinait jusqu’alors à promouvoir ce type d’habitat, le propos politique tenu dans le projet urbain étant particulièrement compatible avec ce type de programme. 8 - Titre du mémoire : Expérimenter l’immeuble en bois, entre exigences environnementales et architecture.

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Mobiliser la recherche pour le projet Les apports du travail de mémoire sur les immeubles de logements collectifs en structure bois ont été largement utilisés pour le travail de projet. En effet la partition en trois chapitres du récit, chacun traitant à la fois de convictions personnelles et d’architecture, m’a permis d’être particulièrement éclairé sur les principaux enjeux du projet. En réalité, l’association de cette recherche a permis de donner une certaine consistance au propos. J’ai pu ainsi développer un discours largement argumenté, aussi bien sur le fond que sur la forme, qui m’a permis de croire d’autant plus à mon allocution et, par là même, convaincre plus facilement élus et membres du jury. Par exemple, concernant la légitimation du projet dans le bassin de vie gannatois, j’estime avoir développé un discours assez juste quant aux considérations environnementales de l’intervention, avec une attention sur l’origine des bois, les capacités locales de mise en œuvre, les problématiques de coût global, d’évolutivité, de déconstruction possible, etc. Mais aussi les possibilités inhérentes à la ville, comme les leviers possibles pour, hypothétiquement, donner vie au projet. En ce qui concerne la formalisation du discours, j’ai là aussi pu construire un argumentaire architectural éclairé et sourcé, avec une vision détaillée des aspects structurels propres à la construction en bois et son vocabulaire (construction massive/filigrane, registres de plaques/du squelette), donc sur la tectonique et ses effets sur la spatialité. De façon analogue, l’argumentation sur les différents impacts d’un bâtiment en structure bois dans Gannat (une première dans la ville), en particulier sur la définition de l’enveloppe extérieure, a été bien plus facilement soutenable en ayant fait cette recherche préalable. La sensation de parler en connaissance de cause est décisive, nous y reviendrons par la suite. La présentation ci-après reflète une partie des résultats combinés de cette recherche fondamentale et formelle, dont le résultat est bien sûr lié à mes familiarités architecturales. Principe constructif du bâtiment d’habitation

« Une arête centrale en béton qui partitionne les espaces, sur laquelle se greffe une structure en bois. »

1- La partie massive en béton armé confère de l’inertie au bâtiment, le contrevente, et accueille espaces servants et gaines techniques. 2- La structure filigrane en bois prend appui sur le béton. Elle est constituée de poteaux et de poutres en lamellé-collé ainsi que de solives en bois massif. 3- Les façades du bâtiment sont porteuses, elles renvoient à un registre de plaques. Elles sont en murs à ossature bois assemblés chez le charpentier de Gannat. 4- Le métal (zinc) vient couvrir et protéger le bois. Il se retourne en façade Nord, c’est un effacement volontaire. 5- Les structures rapportées sont également en métal (acier galvanisé). Leur assemblage reprend les codes des techniques des constructions filigranes (moisage notamment).

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FIGURE 8 Axonométrie éclatée représentant la composition de la structure du bâtiment, et plan de principe structurel. Source : documents de ma propre production réalisés en Mai 2015

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Structures rapportées en métal

Noyau en béton

Façades porteuses en bois

Façades : composer avec le matériau bois Le béton est la matière, minérale, qui ancre le projet au sol. Au-dessus il s’agit d’une expression d’un autre ordre, plus légère : le « corps » du bâtiment est recouvert de bois, un matériau dont la nature a été exploitée pour jouer avec la perception du promeneur.

FIGURE 9 Façades Est et Ouest du bâtiment d’habitation, croquis intentionnel. À l’échelle du lointain c’est une enveloppe en métal qui protège un corps en bois. Source : documents de ma propre production réalisés en Mai 2015

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FIGURE 10 A l’échelle du proche : un bâtiment qui joue avec la perception du promeneur. Source : documents de ma propre production réalisés en Mai 2015 Vérité constructive

Abstraction

Architecture bois et spatialité Quelles incidences a le choix d’une structure en bois pour la spatialité d’un logement ? Quels discours formels développer en travaillant avec les innombrables possibilités de ce matériau ? Le projet développé dans le détail a été l’occasion de concrétiser les aperçus théoriques découverts dans la recherche de mémoire. Pour les logements travaillés dans le projet, la structure filigrane intérieure a été mise au service des intentions spatiales. La forme, le dessin, la tectonique (au sens de la caractérisation de l’espace) de cette structure, ont été adaptés pour répondre à des problématiques spatiales spécifiques. L’essence même de la spatialité devient ainsi en accord avec la volonté du concepteur, volonté elle-même guidée par ses convictions personnelles et ses familiarités architecturales9. Deux modes d’habiter Au sein du même volume bâti, le bâtiment développe deux types de liens au paysage et à la lumière : l’un bi-orienté et traversant, orienté Est-Ouest, et l’autre avec un rapport direct à la rivière et à la végétation, orienté Sud. Le choix d’associer une structure en béton pour les espaces communs, et une structure bois pour les logements, a permis de travailler deux types d’ambiances qui découlent toutes deux des « ordres » constructifs inhérents à chacun des matériaux employés. Ainsi, les espaces communs sont plutôt traités dans une ambiance froide et minérale, alors que les logements bénéficient d’une ambiance plus chaleureuse de par la nature même du bois (volontairement exprimé à l’intérieur des logements). C’est ainsi que la spatialité intérieure des habitations est définie par l’utilisation du bois. La couleur, l’odeur, la perspiration, mais aussi la disposition des éléments de poutraison sont au service des intentions spatiales (cf. figure 12). 9 - « Il ne peut y avoir architecture sans dimension politique », RICCIOTTY (Rudy), L’architecture est un sport de combat, éditions Textuel, 2013, p.14

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Logements « à la poupe » : bi-orientés et traversants

Logements « à la proue » : un rapport direct avec la rivière et la végétation

FIGURE 11 Plan illustrant le rapport à l’orientation solaire. Source : document de ma propre production réalisé en Mai 2015

Logement « à la poupe », orienté Est-Ouest Logement « à la proue », orienté Sud

FIGURE 12 La chaleur du bois est immédiatement perceptible. A gauche, la disposition des poutres permet d’accompagner le regard sur la vue. A droite la bi-partition des solives de part et d’autre de l’arête centrale en béton souligne l’aspect traversant du logement. Source : photos de maquettes au 1:20, documents de ma propre production réalisés en Mai 2015 25


PFE et mémoire recherche : projeter et penser, simultanément Comme évoqué en introduction, le projet présenté ci-avant a été mené en parallèle d’une réflexion s’inscrivant dans le cadre d’un mémoire recherche. Je trouve important d’évoquer ce point pour ce sujet d’habilitation, parce que le contenu de cet ajout au mémoire principal reflète ma personnalité d’ADE, et de futur professionnel conscient des enjeux liés à son activité. Pour cette extension de recherche je me suis intéressé à l’association des domaines du « penser » et du « faire », dans le processus de conception. Il s’est agi d’anticiper en amont la phase de réalisation, dès les premières esquisses, afin d’étudier l’influence que peut avoir une personne chargée de réaliser une partie de l’ouvrage lorsqu’elle intervient sur la conception même du bâtiment. J’ai abordé ce thème par la mobilisation de l’unique charpentier de Gannat10, qui a été associé à une partie de la conception du projet de diplôme11. L’objectif final était de s’intéresser aux relations que peuvent entretenir, dans ce cas précis, un architecte et un entrepreneur, de confronter leurs visions de la conception formelle, d’identifier leurs intérêts et leurs divergences, de voir comment ces deux acteurs pouvaient coopérer suffisament efficacement pour mener le chantier à bien, et finalement de voir les apports que chacun pouvait en retirer. Les conclusions ont été plus que révélatrices pour moi, et m’ont particulièrement motivé à découvrir et creuser le domaine de la maîtrise d’œuvre au cours de mes futures expériences professionnelles. Pour rester synthétique la principale conclusion de cette étude a été de montrer que l’instauration d’un « climat de recherche » entre l’entrepreneur et l’architecte, peut s’avérer bénéfique, non seulement pour le projet mais aussi pour les acteurs, qui sont tous deux sortis grandis de cette expérience. Moi parce que j’ai tout de suite découvert ma responsabilité dans le dessin et la dénomination juste des éléments, lui parce que je suis parvenu à lui ouvrir les yeux sur des aspects spatiaux qu’il « ne soupçonnait pas »12. Cette attention particulière aux enjeux entre conception et maîtrise d’œuvre se retrouve aujourd’hui dans mon activité, où j’ai la chance de poursuivre cette expérimentation qui s’avère particulièrement compatible avec mes aspirations architecturales. Nous y reviendrons dans la dernière partie de ce mémoire.

10 - L’entreprise Griffet SARL, 8 rue des moulins, 03800 Gannat, France 11 - Un autre objectif, plus général, était de mener une réflexion sur l’enveloppe dite « fine » ou « légère » d’un projet. 12 - Mon mémoire de fin d’études est consultable en ligne, pour plus de précisions. _https://issuu.com/asc009/docs/antoine_sonnery-cottet_corps_du_m__

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1.2 L’opportunité d’une « mise en situation professionnelle »

Quels objectifs ? Le passage de l’apprentissage théorique de l’architecture à la maîtrise d’œuvre a cela de formateur qu’il pousse à faire le point sur ses propres compétences, et à identifier ses manques. Cette nouvelle étape, la confrontation à la réalité de la fabrique de l’architecture, nous fait prendre conscience que les compétences acquises à l’école, bien que fondamentales, ne suffiront pas à faire de nous des architectes capables de concrétiser nos idées. La confrontation au système, la compréhension des mécanismes, et la croissance de notre confiance en nous-mêmes seront décisifs pour développer et surtout tenir un discours assumé, depuis l’esquisse jusqu’à la réception de l’ouvrage. Parallèlement, il nous revient d’accepter que cette mise en situation va inévitablement chambouler nos certitudes, les remanier, plus que jamais nous faire douter, mais finalement nous faire avancer. Il convient alors d’identifier nos erreurs, de s’en rappeler pour éviter de les reproduire, et de prendre conscience que nos choix, si anodins soient-ils en apparence, peuvent désormais avoir de réelles conséquences13. Bien que les stages obligatoires à l’école nous donnent un aperçu des phases de préparation au chantier, puis au chantier en lui-même, il m’est vite apparu que c’est la découverte de cette phase qui manquait à mon apprentissage. C’est aussi la raison pour laquelle je me suis laissé un délai d’une année de travail en agence avant d’être certain de souhaiter l’habilitation à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en mon nom propre. C’est ainsi que la découverte « sur le tas » du chantier a été pour moi très révélatrice. Je mesure aujourd’hui la chance que j’ai eue d’avoir des employeurs qui n’ont pas hésité à me faire confiance, au point de me confier très vite la gestion totale d’affaires, que je me suis appropriées comme étant miennes. J’ai aussi rapidement eu l’opportunité de travailler sur un nouveau projet, avec un maître d’ouvrage sans antécédents avec l’agence, et donc de me voir confier toutes les phases de maîtrise d’œuvre, depuis l’esquisse jusqu’à la réception. Le suivi de mon premier chantier a donc aussi été celui de « ma » première création, un projet que j’ai développé et défendu seul, avec l’ensemble des acteurs de sa réalisation. La saveur et l’engagement n’est pas le même quand il s’agit de défendre, de permettre la création, puis de voir naître, sous son propre contrôle, une architecture qui découle de ses propres convictions. Je me suis découvert des capacités que je ne soupçonnais pas, sans doute poussé par une volonté et un enthousiasme exacerbés. C’est à la suite de cette expérience que j’ai réellement commencé à me questionner sur la qualité d’auteur de l’architecte, car si l’on occulte le seul caractère juridique c’est en définitive moi qui suis l’auteur principal de cette « œuvre ». Enfin, l’opportunité de travailler dans un pays qui a une culture constructive différente de celle de la France est une autre chance, car cela donne des critères de comparaison intéressants au regard du sujet. Un objectif parallèle pour ce travail de mémoire est donc de développer un regard critique sur chacun des systèmes, afin d’enrichir d’autant ma posture d’architecte. 13 - « Le mauvais logement est une machine à briser les gens. » Paul Chemetov, in https://www.nouvelobs.com/ rue89/rue89-rue89-culture/20120914.RUE2445/chemetov-le-mauvais-logement-est-une-machine-a-briser-lesgens.html, 2012

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Une structure d’accueil comme un laboratoire Il y a de quoi être légèrement dépourvu lors de notre premier jour de travail à la sortie directe des études. Au-delà de nos espérances personnelles, la question qui se pose assez vite est la suivante : en quoi vais-je bien pouvoir être « rentable » pour mon employeur ? Il est je pense légitime, et même plutôt bienvenu, de se poser la question, car désormais la donne a changé ; notre travail doit se concrétiser en rentrées d’argent pour l’agence. C’est un changement fondamental par rapport à l’école, et un questionnement qu’il faudra désormais sans cesse avoir en arrière pensée, d’autant plus si l’on souhaite rester attentif aux enjeux architecturaux qui nous incombent. Toutefois c’est aussi, en parallèle, le moment de se mesurer progressivement à un sujet personnel et à mon sens important : celui de l’affirmation de sa propre architecture. Pour ma part je n’ai pas envisagé le salariat comme un frein à la création architecturale et à la défense de convictions et d’idéaux personnels. Les discussions que l’on peut avoir en interne avec un collègue ou un patron ouvert d’esprit sont des plus passionnantes. De plus, mon intérêt pour ce métier réside justement dans ce que peut apporter un architecte à son entourage, et à la société de manière générale. Subir les lubies péremptoires d’un maître d’ouvrage non éclairé sans les discuter me dérange, en partie parce que c’est un manquement à notre devoir de conseil. J’ai donc choisi de prendre cette expérience professionnelle comme un laboratoire, profitant de la liberté et la confiance qui m’ont été accordées. J’ai ainsi pu, assez vite, questionner, tester, esquisser ma propre façon de travailler, en fonction de mes objectifs personnels et dans le sens de l’architecture que je souhaite défendre14. L’appropriation des principaux mécanismes de la création et de la communication architecturales m’apparait particulièrement déterminante pour le concepteur qui souhaite être entendu. J’ai ainsi eu à coeur de prendre le meilleur de l’exemple de mes tuteurs et collègues, de me confronter à ces autres visions, à ces expériences différentes du métier15. Au final chacun a sa propre histoire, son propre avis sur la profession, dont la connaissance aide à comprendre l’état d’esprit de la maîtrise d’œuvre et ainsi permettre de mieux faire passer idées et messages dans l’élaboration des projets. J’ai également profité de cette occasion pour anticiper autant que possible la relation aux différents acteurs que l’architecte est amené à rencontrer, sans contraintes ni méthodes pré-établies, sans volonté de formatage, de la manière dont je me sentais le plus à l’aise dans l’optique d’être dans les meilleures dispositions pour parler d’architecture. AAG - Atelier d’architecture Grivel & Girod SA L’agence qui m’emploie est une structure familiale, fondée à Genève en 1971 par Jean-Emile Grivel, secondé par son épouse Ulla Grivel-Eriksson. Elle fut reprise ensuite par ses enfants Jean-Sven, Sophie et Séverine Grivel. Un quatrième associé, Johann Girod de l’Ain, complète l’équipe administrative. Le nombre de salariés a évolué de manière conséquente en 2014, avec la concrétisation d’un projet d’envergure pour Genève, le quartier de l’Etang16, dont le plan directeur a été esquissé par Dominique Perrault. 14 - Méthode en perpétuelle évolution, au gré des expériences et des questionnements. 15 - Pour pouvoir ensuite les questionner, et alimenter mon propre point de vue. La diversité des parcours dans notre secteur de métiers est généreuse et passionnante. 16 - L’agence partage ce projet avec deux autres cabinets d’architectes genevois, Favre & Guth, et Groupe H.

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Aujourd’hui l’agence compte 12 employés, dont à ce jour 4 dessinateurs et 8 architectes. Elle exerce principalement en marché privé et a déjà travaillé en marché public. Des concours sont tentés environ une fois par année dans l’espoir d’être mandatés à nouveau pour ce type de contrat. L’exercice du concours est un investissement intéressant pour l’agence : c’est un bon moyen de se mesurer aux autres architectes genevois, tout en offrant une visibilité à la structure et un certain statut auprès des potentiels futurs clients. C’est aussi l’occasion révée d’affirmer et de défendre, dans l’argumentaire comme dans la forme, ses propres convictions, même s’il existe une certaine part de chance et que cela nécessite un investissement non négligeable. Dans la pratique, chacun des collaborateurs a à sa charge une ou plusieurs affaires, qu’il gère seul, avec le regard ponctuel d’un des associés (qui endosse toute la responsabilité juridique). Pour les projets de plus grande envergure, des équipes de plusieurs personnes sont constituées, toujours avec le regard voire la contribution d’au moins un des dirigeants. Le rôle de Jean-Sven est principalement celui de gérant d’agence, c’est à dire que c’est à lui qu’il revient d’alimenter la structure en projets, par ses connaissances et la force de son réseau. Il arrive aussi que des affaires soient amenées par d’autres associés, voire par des collaborateurs. Pour ma part je n’ai travaillé que ponctuellement avec d’autres collègues, lorsque l’on devait rendre des dossiers urgents. J’ai donc principalement travaillé seul, tout en étant très bien entouré. En effet la très bonne entente et l’esprit d’entraide de l’équipe a fait que j’ai pu profiter des compétences de chacun, à chaque fois que le besoin s’en faisait ressentir.

FIGURE 13 Les locaux de l’agence, open-space des salariés. Source : photo de ma propre production réalisée en Juin 2018

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2. LA PRATIQUE EN SUISSE, UN AUTRE PARADIGME

D’une certaine manière, on peut dire que la Suisse a su tirer profit de sa situation particulière dans le monde, en parvenant progressivement à valoriser ses savoir-faire locaux17 et en mettant en exergue la volonté d’une certaine qualité de vie. L’architecture faisant pleinement partie de la construction de ce paradigme, il est légitime d’imaginer que la place donnée à cet art dans la culture constructive helvétique découle de l’histoire de ce pays. Aussi, le système politique de la Suisse - une démocratie directe - fait que c’est littéralement le peuple qui a le pouvoir. En France les décisions viennent de Paris et découlent ensuite sur les régions, les départements et les communes. En Suisse c’est en quelque sorte un fonctionnement inverse, le peuple s’exprime d’abord par la commune, puis le canton, et enfin la confédération. Concernant l’aménagement du territoire, chaque citoyen est informé et peut s’exprimer sur le devenir des projets d’architecture ou d’urbanisme d’envergure. Par exemple, le projet de Jean Nouvel pour l’extension du musée d’art et d’histoire de la ville de Genève a été rejeté par le peuple en 2016 suite à une votation cantonale. Il n’est également pas rare de croiser en ville des messages publicitaires incitant à voter pour ou contre tel ou tel projet d’architecture ou d’aménagement significatif ou symbolique. 2.1 Un dispositif favorable à l’architecture Des organismes reconnus, et ouverts La considération pour l’architecture est aujourd’hui plus que jamais présente dans les mécanismes de la maîtrise d’œuvre qui régissent la construction en Suisse. La constitution même des principaux organismes, acteurs de cette mécanique, reflète une volonté de valoriser au maximum la qualité globale du bâti. La SIA, la Société des Ingénieurs et des Architectes, est assez représentative de l’état d’esprit du domaine de la construction en Suisse. Premier défenseur de la qualité du bâti, c’est cette association qui représente la profession, préserve son éthique, communique sur les nouveautés, informe, organise des concours, et participe au recrutement dans les agences en publiant régulièrement des annonces. Le regroupement au sein d’un même organisme des professions d’ingénieur et d’architecte constitue une différence fondamentale avec la France18. Cette différence illustre la volonté en Suisse de favoriser une culture commune de construction, dans l’objectif de promouvoir la qualité d’exécution. Dans les faits, j’ai pu ressentir une grande attention de la part des architectes aux questions techniques, depuis l’esquisse jusqu’aux détails, et une certaine considération pour les questions de spatialité ou d’écriture chez les ingénieurs civils. 17 - L’horlogerie, la coutellerie et l’industrie chocolatière par exemple. 18 - La « séparation » des ingénieurs et des architectes en France est ancienne et remonte à la mise en place d’une formation spécifique des ingénieurs d’Etat à l’école Royale des Ponts et Chaussées, en 1747.

FIGURE 14 - page de gauche Page de mon carnet de travail, figurant ce que l’on n’aborde qu’assez peu à l’école : les métrés, en vue de l’établissement d’un devis général (chiffrage global du projet), pour le compte d’un maître d’ouvrage (projet du 12 Temple). Source : document de ma propre production réalisé en Février 2018

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Ce rapprochement permet également de fédérer les deux professions et d’estomper les différences et disparités que l’on connaît en France. L’architecte est réellement considéré, son avis compte, il est écouté. C’est un climat particulièrement propice à la tenue et la transcription formelle d’un discours architectural. Ce changement m’est apparu assez nettement au vu des précédents stages que j’ai pu faire pendant mon parcours, et c’est très appréciable au quotidien. Je pense qu’on peut légitimement dire que cette considération particulière explique la certaine confiance qu’ont les autorités, la population et les collectivités envers les professionnels de la construction en Suisse. Ceci à tel point que, contrairement à la France, c’est la SIA elle-même qui a la responsabilité de l’édition des normes constructives19, et qui s’en porte garante. L’association des deux professions permet en outre une définition des normes en réelle adéquation avec la pratique du métier. Dans le même esprit, le centre suisse d’études pour la rationalisation de la construction (CRB), reflète également cette culture constructive particulière, en ayant pour objectif de donner à tous les acteurs de la construction (maîtres d’œuvres, bureaux d’études, entreprises et maîtres d’ouvrages) un instrument qui rassemble l’ensemble des prestations prévues dans un projet. Le Code des Frais de Construction (CFC) est le principal outil de cet organisme, et consiste en un référentiel commun et unique visant à structurer et clarifier, notamment d’un point de vue financier, l’exécution d’un projet. Il me semble également important d’évoquer l’état d’esprit des procédures de demande d’autorisation de construire en Suisse. Lors d’une dépose au département cantonal chargé de la construction (à Genève il s’agit du Département de l’Aménagement, du Logement et de l’Energie, DALE), le projet va être consulté par nombre de services chargés de vérifier que l’ensemble des règlementations sont respectées. La procédure normale engendre la plupart du temps des demandes de compléments en cas de premier avis défavorable. Ces compléments consistent bien souvent à modifier le projet préalablement déposé, afin qu’il réponde aux normes en vigueur. À cette étape il n’est pas rare que les différents services en charge du dossier contactent directement l’agence, souvent par téléphone, afin de discuter des points problématiques. Il est alors souvent possible d’apporter des arguments susceptibles d’être pris en compte par les autorités, les inspecteurs du permis de construire étant nécessairement architectes. Il peut aussi arriver qu’en cours de procédure, un service particulier du DALE convoque le mandataire sur le site de la construction envisagée afin de présenter le projet, de se rendre compte des mesures, et de discuter in situ. J’ai eu l’occasion de vivre cette expérience pour le projet du 12 rue du Temple à Cartigny, avec la Commission des Monuments, de la Nature et des Sites (CMNS)20, Cartigny étant un village particulièrement protégé. Je me souviens avoir passé l’après-midi, avec mon tuteur, à argumenter intensément en faveur du projet auprès des architectes de ce service. Ce débat fut instructif pour chacune des parties, et la discussion a permis de convraicre nos interlocuteurs bien plus efficacement qu’une notice architecturale figurant dans un dossier de permis de construire. De plus les remarques qu’ils ont émises suite à ce rendez-vous n’étaient globalement pas de mauvaises surprises, puisque la plupart des points avaient été préalablement vus et discutés.

19 - L’équivalent des DTU (Documents Techniques Unifiés) en France. 20 - L’équivalent genevois des architectes du patrimoine français.

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FIGURE 15 Perspective issue de l’ordinateur qui illustre le projet du 12 Temple à Cartigny. La proximité avec une ancienne grange, singulière dans le village, a nécessité un argumentaire formel particulièrement élaboré. Source : document de ma propre production réalisé en Mai 2018

Enfin, il convient d’évoquer l’existence et le rôle de la Commission d’Architecture (CA), qui a pour mission de donner, lorsqu’elle est requise par le DALE, un avis en matière d’architecture sur les projets faisant l’objet d’une requête en autorisation de construire. Elle a uniquement un rôle consulatif, mais est la plupart du temps largement considérée par les services et les maîtres d’ouvrages. Contrairement aux autres organismes qui discutent sur des aspects purement règlementaires, la commission d’architecture rend un avis motivé et argumenté à propos de problématiques architecturales. Il peut ainsi être question d’usages, de dimensionnement d’éléments, de dessins de façades, etc... Cette commission est composée de 9 membres titulaires, dont 6 architectes, et de 4 suppléants, dont 3 architectes, choisis hors de l’administration publique. Elle comprend des représentants d’utilisateurs, dont des handicapés et des organisations de protection du patrimoine bâti. Il existe le même dispositif de commission pour les questions relevant de l’échelle urbaine. En somme, on peut dire que cette considération particulière pour les aspects architecturaux, au point d’apporter une certaine flexibilité aux règlements, fait partie des différences les plus significatives par rapport aux pratiques françaises en la matière, avec toutefois quelques nuances suivant chaque canton. Une mécanique attentive Les principales institutions qui régissent la construction en Suisse ont, nous le voyons, un état d’esprit différent de celui que l’on connaît en France. Cette culture constructive spécifique se retrouve également dans les mécanismes de la maîtrise d’œuvre publique. En Suisse, les procédures ouvertes de concours (réglementées par la SIA) sont le moyen le plus répandu d’accession à la commande publique. Aucune référence particulière n’est exigée pour pouvoir répondre, tous les professionnels intéressés peuvent faire acte de

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candidature, la taille ou l’expérience des structures n’importe pas. Une fois inscrites elle sont toutes mises au même niveau, et soumises aux mêmes exigences de rendu, en ayant l’assurance que la procédure soit sous couvert d’anonymat. Cette absence d’attention sur l’origine des concurrents est une différence non négligeable avec la France. Elle a pour intérêt de laisser la possibilité aux équipes de faire des propositions qui ne soient pas formatées par l’habitude d’un progamme particulier21. Dans l’esprit je trouve cela particulièrement bienvenu car cette caractéristique a pour conséquence d’inclure la possibilité de réponses inattendues tout en étant pertinentes et particulièrement engagées. J’ai eu pour ma part l’occasion de participer à un concours avec un groupe d’amis, en dehors du cadre du travail, juste pour voir comment cela se passe depuis l’intérieur22. Lors de la présentation des planches finales j’ai été surpris du niveau de rendu général, les projets étaient globalement de qualité homogène, aussi bien sur le fond que sur la forme. La composition des jurys de concours est une autre caractéristique significative de ce type de procédure. En Suisse, ils sont majoritairement composés d’architectes (membres de la SIA), avec seulement une minorité de représentants de la maîtrise d’ouvrage, et d’ingénieurs spécialisés, qui n’ont pas de poids particulier dans la décision finale. Cette caractéristique favorise grandement la considération pour l’architecture, et donc l’émergence de projets souvent engagés et emprunts de recherche spatiale. C’est également une nette manifestation de la confiance des pouvoirs publics envers les architectes. De plus, la plupart des concours n’impose pas une prononciation de la part des équipes sur le coût de l’ouvrage esquissé. Cela a pour effet de concentrer l’attention, des équipes comme du jury, sur l’architecture. Le maître d’ouvrage dispose bien sûr d’une enveloppe, mais celle-ci n’est pas révélée aux candidats. Il est de toute façon aisé pour le maître d’ouvrage d’estimer approximativement le projet, en se basant sur le programme et en utilisant des ratios. Une autre divergence à souligner concerne la règlementation. En Suisse, il n’existe pas de bureaux de contrôle, contrairement à la France. L’ensemble des règles fédérales et cantonales revient à des offices publics, qui produisent des lois pouvant être comparées aux règlementations françaises. Pour l’énergie par exemple, c’est l’Office Fédéral de l’Energie (OFEN) qui est chargé d’éditer les textes, pour l’incendie c’est l’Association des Etablissements Cantonaux d’Assurance Incendie (AEAI) qui s’en charge. Ensuite ce sont les Etablissements Cantonaux d’Assurances (ECA), qui ont pour mission de faire appliquer ces règlements dans les divers cantons du pays. Ces établissements d’intérêt public sont chargés de veiller à l’application des lois dans les projets de construction, en particulier à travers des missions de prévention. Les architectes doivent prendre en considération leurs textes et schémas de mise en œuvre type, qui permettent de s’assurer d’une bonne conformité aux règlements. Au besoin il est également possible de s’entretenir, en cours d’élaboration de projet, avec une personne issue de ces établissements avec qui on pourra discuter des possibilités, en conciliant règlementation et volontés architecturales. En effet, là encore ces professionnels, habitués à échanger avec les architectes, sont ouverts à la discussion et ne se bornent pas toujours à la stricte application du règlement. Il s’avère en définitive que c’est toujours l’architecte qui reste le garant du respect de la règlementation. C’est, nous le verrons par la suite, une expression parmi d’autres des responsabilités dont il a la charge. 21 - D’autant plus que c’est une méthode particulièrement égalitaire, simple d’accès et stimulante pour les jeunes agences. Les maîtres d’ouvrages peuvent néanmoins imposer une cotraitance à l’équipe victorieuse s’ils estiment qu’elle n’a pas les capacités pour mener à bien l’exécution du projet. 22 - Il s‘agissait du concours pour la création de la Maison des Enfants et des Adolescents (MEA) de l’Hôpital Universitaire de Genève (HUG), en 2016.

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2.2 L’architecte : maîtrise et responsabilité totales On pourrait d’une certaine manière déplorer l’évolution du métier d’architecte en France, qui a eu tendance à peu à peu délaisser certaines responsabilités pour se concentrer sur une activité de plus en plus bureaucratique23. Par une relâche sur les phases régissant la fabrication du bâtiment, l’architecte prend le risque de se détacher du projet de l’ouvrage. En effet chaque entreprise ayant sa propre approche et ses propres moyens, une attention toute particulière, une discussion réfléchie et un suivi drastique sont nécessaires pour s’assurer d’une exécution conforme aux exigences voulues, la conception continuant nécessairement pendant le chantier. En Suisse le mode de fabrication de l’architecture est pensé pour conférer une liberté maximale aux concepteurs. Cette liberté se paye en contrepartie par une totale responsabilité sur l’exécution. Un acteur incontournable... En Suisse il n’existe pas de loi fédérale imposant l’utilisation d’un architecte pour les projets privés. Le recours obligatoire à l’architecte est défini canton par canton. À Genève les demandes en procédures accélérées (APA), qui concernent des changements mineurs comme la modification intérieure d’un bâtiment existant, les constructions nouvelles « de peu d’importance », les installations diverses ou les éventuels travaux de reconstruction présentant un caractère d’urgence peuvent être déposés sans recourir à un architecte. Toutefois un mandataire reconnu compétent est obligatoire pour toute demande définitive d’autorisation (DD), soit la procédure la plus courante. De plus, en cours de mandat le maître d’ouvrage fait face à un seul et unique interlocuteur pour mener à bien les études et l’exécution de son projet : l’architecte. En effet lui seul peut être mandataire, les éventuels partenaires de conception étant nécessairement engagés en sous-traitance. Les équipes d’ingénierie en Suisse ne font pas l’objet, hormis pour la structure, d’une obligation de présence au sein d’une équipe de maîtrise d’œuvre. L’architecte est librement disposé à mettre en concurrence différents bureaux d’étude dont il estime avoir besoin (comme il le ferait avec des entreprises), puis de choisir les équipes sur lesquelles il va s’appuyer. Cette particularité lui permet de garder toute sa crédibilité face à un maître d’ouvrage, puisqu’il ne risque pas d’être influencé ou occulté par un partenaire trop présent. Ce dispositif a donc pour effet de renforcer le rôle et la place de l’architecte dans le processus de maîtrise d’œuvre. ...et omniprésent Un mandat de maîtrise d’œuvre publique d’un architecte en Suisse est globalement composé des mêmes phases que la mission de base de la loi MOP24 en France. Il est cependant divisé de manière plus simple, avec trois grands découpages : Esquisse, Appel 23 - « La peur des responsabilités a été à l’origine de la décadence de l’architecte. » POUILLON (Fernand), Lettre à un jeune architecte, Éd. du linteau, 2010 (1980), p. 12 ; Fernand Pouillon parle de « l’abandon des responsabilités » (ibid. p.14). 24 - La loi française sur la Maîtrise d’Œuvre Publique, régissant les rapports entre les maîtres d’ouvrages et les maîtres d’œuvre.

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d’Offres et Réalisation. Pour le marché privé il n’existe pas de distinction, comme en France, entre des phases insécables composant une mission de base et d’autres, complémentaires et optionnelles. Comme évoqué en préambule, l’architecte en Suisse a généralement vocation à non seulement prendre en charge l’entièreté des missions qui pourraient lui être confiées, mais également à en déléguer le moins possible, et donc de s’occuper lui-même de tâches a priori détachées du projet d’architecture. Cette attitude est représentative du contexte culturel spécifique que connaît la profession en Suisse. Elle a pour intérêt de mettre l’architecte dans les meilleures dispositions pour concrétiser un ouvrage totalement maîtrisé de bout en bout. La différence la plus significative concerne la volonté pour les architectes de gérer l’ensemble de l’aspect financier d’un projet. S’il existe bien le métier d’économiste de la construction en Suisse, la plupart des agences d’architecture préfèrent s’en passer, ou bien réserver ces compétences pour des rendus avec des délais particulièrement serrés. Là encore cet aspect témoigne d’une différence culturelle entre la Suisse et la France. Il est le témoignage de l’intérêt prononcé des praticiens suisses quant à la dimension économique que représente l’ouvrage projeté. Une bonne maîtrise de cet aspect permet au concepteur, à toute phase du projet, d’être en capacité de gérer les aléas, en sachant faire la balance entre les différents montants et prestations prévus dans chaque CFC. En effet, en étant parfaitement au clair sur le poids économique des différents travaux prévus, cela confère une réactivité non négligeable et je pense très bienvenue dans les échanges avec le maître d’ouvrage et les entreprises. C’est particulièrement utile pour argumenter les évolutions de conception en cours de chantier, et pour gérer plus sereinement les imprévus. Par extension, il devient aisé de comprendre pourquoi les architectes suisses préfèrent également s’occuper eux-mêmes du suivi de chantier. S’il est bien sûr possible pour eux de déléguer cette mission à d’autres agences, la plupart du temps les maîtres d’œuvre préfèrent la mener à bien en interne. C’est l’occasion de suivre la réalisation dans les moindres détails, et d’assister à la naissance de l’architecture qui a bel et bien été désirée. De plus l’architecte est également en charge de la sécurité des personnes chargées de se trouver sur le chantier. Par comparaision avec le système français, c’est comme si la mission SPS25 était incluse d’office dans le suivi du chantier. Une culture constructive spécifique Cette attention particulière au suivi et à la maîtrise de l’exécution s’explique par la culture constructive helvète. A l’opposé du système anglo-saxon26, et se rapprochant de l’état d’esprit latin, la Suisse conserve une réelle culture de l’éxécution. Cet aspect est particulièrement visible lorsqu’on s’adresse ou que l’on collabore avec des architectes ou des dessinateurs suisses. L’attention à l’expression du détail, la volonté de sublimer l’exécution 25 - Sécurité Protection Santé, une mission complémentaire à la mission de base selon la description de la loi MOP française. La tendance qu’ont les architectes en Suisse à prendre en charge un nombre important de missions, et donc de responsabilités, pourrait-être une explication du montant de leurs honoraires, qui demeure en moyenne plus élevé par rapport à la France, à « difficulté » de projet équivalente. 26 - Système qui sépare distinctement la conception de la construction, et où les architectes cèdent la responsabilité de l’exécution des travaux à des « entrepreneurs généraux » chargés de réaliser l’ouvrage avec les dessins (qui priment juridiquement sur les textes) des architectes.

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dans une recherche de simplicité, d’évidence, de pureté, n’est pas une légende27. Dans les années 1990 / 2000, les architectes suisses étaient réputés pour leur disposition à produire ce qui s’appelait alors dans le milieu des « swiss box », soit des projets parfaitement maîtrisés et dessinés dans les moindres détails. Si aujourd’hui cet effet s’est un peu perdu, l’état d’esprit reste néanmoins bel et bien présent dans les agences. C’est d’ailleurs ce qui constitue le principal atout des architectes face aux entreprises générales désireuses de conquérir le marché helvétique, bien que ces dernières s’en soient largement inspirées. Cette vision s’explique aussi par l’enseignement dispensé dans les écoles d’architecture suisses, qui accorde une grande attention au dessin et à la maîtrise d’œuvre. De manière générale, l’ensemble du système éducatif du pays donne de l’intérêt à l’acquisition d’expérience professionnelle par les élèves eux-mêmes. Par exemple, il n’est pas nécessaire d’avoir une Maturité (l’équivalent du Baccalauréat français), pour les étudiants de plus de 25 ans désireux d’intégrer une université. Il est ainsi possible d’arriver à une même finalité de diplôme, mais avec des parcours très diversifiés. Peter Zumthor par exemple a obtenu un Certificat Fédéral de Capacité (CFC) d’ébéniste, avant de poursuivre en architecture. Par extension il est aisé de comprendre le vif intéret des architectes suisses pour les entreprises chargées de réaliser l’ouvrage. La proximité avec l’exécutant est clairement palpable, certains architectes cherchant même à inclure le plus possible les entreprises dans le projet, de manière à exploiter et valoriser au maximum leurs compétences. Il convient de dire également que les conditions économiques particulières en Suisse favorisent un investissement certain de la part des entrepreneurs, ainsi que de plus grandes marges de manœuvre. La gestion financière intégrée à la description Quelque part c’est en décrivant un ouvrage qu’un architecte est réellement maître d’œuvre. L’appellation maître d’œuvre renvoie d’ailleurs clairement à l’idée de quelqu’un qui a la maîtrise de l’élaboration de l’ouvrage. Si aussi bien en Suisse qu’en France ce sont les textes qui priment juridiquement sur les dessins, il existe tout de même une différence de fondement dans la manière de confectionner les bâtiments. La pratique dans l’hexagone consiste à produire deux documents distincts, pour d’un côté décrire l’œuvre, avec le Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP), et de l’autre renseigner des prix, par une Décomposition des Prix Globaux et Forfaitaires (DPGF), dissociée de la description du projet. Cette distinction a pour effet d’avoir une vision globale d’un projet à travers des textes descriptifs génériques, mais qui ne sont pas directement liés à la gestion financière. Cette distinction est, je trouve, particulièrement adaptée à un travail en collaboration avec un économiste, au risque d’une certaine distance de l’architecte avec l’exécution de l’ouvrage28. En Suisse l’approche est légèrement différente, et s’avère de mon point de vue plus favorable à l’élaboration d’un projet particulièrement maîtrisé par l’architecte. La description des ouvrages est directement mise en relation avec l’économie du projet, sur un 27 - Au point parfois de devenir caricatural, confère la plupart des rendus de concours en Suisse, qui d’une certaine manière exploitent sans cesse les mêmes registres. 28 - La gestion financière fait à mon sens pleinement partie du processus de confection d’un projet.

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seul et unique document : la soumission29. Comme évoqué auparavant, la gestion financière d’un projet en Suisse est menée de manière claire à travers un outil commun entre les maîtres d’ouvrages, les entreprises et les architectes : le Code des Frais de Construction (CFC). Ce code prend la forme d’un tableau, divisé à la manière des lots que l’on connaît en France mais avec des articles très compartimentés de façon à découper précisément tous les aspects d’un ouvrage. C’est ainsi qu’il existe une soumission par CFC, et que celle-ci est divisée en articles descriptifs auquels sont directement renseignés le métré, le prix unitaire et le prix global. L’adjudication des entreprises, la plupart du temps aux métrés, est en adéquation avec la relation privilégiée que les architectes entretiennent le plus souvent avec elles. Les descriptions forfaitaires en Suisse sont donc plutôt rares, et réservées en général aux travaux supplémentaires ou imprévus. C’est à nouveau la manifestation d’une différence de philosophie entre les deux pays. Le fait de mettre un prix sur un article plutôt que de le forfaitiser à travers une description conforte la volonté, commune aux entreprises et aux architectes, de confier à ce dernier un contôle total sur l’ouvrage à exécuter, les entreprises n’ayant pas la possibilité de répondre selon une interprétation de description globale. L’architecte seul maître de la confection de l’ouvrage Les soumissions offrent la possibilité d’une maîtrise totale du projet par l’architecte. En effet la description article par article, dont seul l’assemblage donnera naissance à l’œuvre finale, limite au maximum les prises d’initiatives des entreprises, qui ont l’obligation contractuelle de réaliser à la lettre les mises en œuvres décrites dans ces documents. L’architecte a le choix de prévoir des travaux conformes au Catalogue des Articles Normalisés (CAN), qui sont des mises en œuvre standard, approuvées et éprouvées, ou bien de partir d’une page blanche sur des articles totalement vierges. Si les textes décrivent des assemblages qui sortent des mises en œuvre traditionnelles, l’entreprise est en droit de refuser le marché ou d’informer la maîtrise d’œuvre qu’elle accepte de réaliser l’ouvrage en se déchargeant de sa responsabilité d’exécution dans les « règles de l’art ». Il apparait ainsi clairement que le mode de description par le biais des soumissions permet au concepteur d’obtenir l’assurance que les travaux réalisés seront ceux qui ont été prévus. La contrepartie concerne évidemment les responsabilités qui sont liées à ce mode de fonctionnement : c’est l’architecte qui est seul garant de la mise en œuvre, de chaque détail inscrit (ou non), dans les textes. Les entreprises ne sont soumises qu’au respect des règles de l’art, et elles peuvent prendre l’initiative de s’en décharger. De la même manière qu’en France les maîtres d’ouvrages, publics comme privés, ne sont pas considérés comme sachants et sont donc vus comme des victimes en cas de défaut de conception. C’est pourquoi il est dans l’intérêt de l’architecte d’être particulièrement attentif aux ouvrages qui sont exécutés, en rédigeant quotidiennement et consciensieusement des procès verbaux, et en les discutant avec les entreprises. Le système des soumissions pourrait être vu comme plutôt rigide, mais dans la pratique il ne l’est pas tant que ça. En effet, contractuellement l’architecte a le droit de ne faire réaliser qu’une partie des articles prévus et adjugés. En rédigeant lui-même chaque 29 - En France seuls les Bordereaux de Prix Unitaires (BPU) se rapprochent des soumissions en terme de précision des prix. Mais ce sont des documents plus utilisés par les économistes que par les architectes.

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soumission, en réalisant personnellement les métrés, et en vérifiant seul les coûts proposés par les entreprises concurrentes, l’architecte finit par avoir une maîtrise très approfindie de chaque aspect de l’ouvrage qu’il confectionne. Cet investissement et cette connaissance font qu’il est particulièrement disposé à faire diverses adaptations en cours de chantier, la non exécution d’un article pouvant facilement compenser une modification soudaine d’exécution, désirée ou non. Et pourtant, une non reconnaissance Nous le voyons, en Suisse les pleins pouvoirs sont accordés aux architectes. Toutefois l’architecture n’y est pas reconnue d’intérêt public, et ce malgré les efforts de la SIA auprès de la confédération. Aussi le titre d’architecte n’est pas protégé, et il n’existe pas d’organisme équivalent à l’Ordre. Il existe un registre, le REG, sur lequel les professionnels peuvent faire reconnaître leurs compétences par la reconnaissance de diplômes et d’expériences30. C’est au niveau cantonal que se décident les critères minimaux nécessaires pour pouvoir prétendre à certains types de mandats. A Genève le règlement impose une inscription au registre pour pouvoir signer un dossier d’autorisation de construire, mais dans certains cantons cet acte est ouvert à tout le monde. Par la suite c’est au niveau des organismes chargés de traiter les dossiers que se fait le tri, avec des inspecteurs architectes, chargés de contrôler les projets et émettre des avis, dont l’aspect architectural peut avoir un caractère éliminatoire. En définitive si le statut de la personne qui signe le dossier d’autorisation importe peu, c’est elle qui endosse toute la responsabilité juridique. Ceci explique pourquoi il est assez rare que des personnes non architectes prennent le risque de signer des déposes de permis, si ce n’est pour des interventions mineures. En définitive, je trouve qu’il existe en Suisse une certaine contradiction, entre d’un côté la conscience des compétences des praticiens de l’architecture, la confiance des autorités et du peuple envers la profession, les moyens et les responsibilités conférées aux mandataires par le système de maîtrise d’œuvre, et de l’autre la non reconnaissance ni de l’architecture comme étant d’intérêt public, ni du titre d’architecte, avec un encadrement déontologique bien moins conséquent qu’en France31.

30 - Ce registre reste néanmoins assez méconnu du grand public, qui peut parfois être pris au dépourvu s’il souhaite rechercher un architecte réellement compétent. 31 - On pourrait toutefois se questionner sur la réelle nécessité d’une représentation officielle des architectes en Suisse, dans la mesure où, contrairement à la France, la profession bénéficie officieusement d’une considération générale, et où sa reconnaissance ne constitue pas un « écran de fumée », masquant un manque d’estime généralisé.

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3. COMMUNIQUER DANS LE SENS DE L’ARCHITECTURE

La formation théorique à l’école a cela de bénéfique qu’elle nous oblige à développer notre jugement, en repoussant toujours plus loin notre niveau d’esprit critique. C’est bien souvent à cette étape que l’étudiant, futur architecte, « s’engage » pour la première fois, en révélant ses convictions et ses idéaux d’architecture. Il se positionne, parfois inconsciemment, non seulement envers ses homologues mais aussi et surtout envers luimême. Le passage de l’apprentissage au métier est formateur dans le sens où il oblige à reconsidérer notre propre niveau d’engagement et d’investissement personnel, parce qu’il est d’apparence facile mais moralement difficile de mettre ces aspects de côté. Aussi, un système de maîtrise d’œuvre particulièrement ouvert aux questions d’architecture, comme on peut en trouver en Suisse, ne suffit pas pour maximiser les chances de réaliser un ouvrage dont on puisse pleinement et fièrement se considérer comme étant l’auteur. Pour moi la qualité d’auteur implique nécessairement un certain niveau d’engagement32 dans notre activité. Simultanément, un parti-pris étant rarement inattaquable, il m’apparaît nécessaire d’avoir une continuelle ouverture d’esprit sur les potentielles évolutions du projet, comme un doute permanent. « Et si ? » ; « Et pourquoi pas ? ». Des premières esquisses jusqu’à la réception de chantier, l’architecte est amené à dialoguer et collaborer avec de nombreux acteurs, qui auront tous à un moment donné une potentielle incidence sur le projet. Tenir un discours cohérent et travaillé peut vite se transformer en parcours du combattant. Ayant appris dans notre cursus à manier les trois principales formes de communication33, il est temps de mettre à profit ces compétences pour maximiser notre mission de défense d’une qualité architecturale personnelle, tout en prenant du plaisir à le faire. 3.1 Pédagogie et « climat de recherche » De l’intérêt de vulgariser l’architecture Avec du recul, il s’avère que la transition de la formation au métier a pour effet d’établir un changement brutal de statut pour le jeune architecte. Le passage du rôle de non sachant à celui de sachant est en effet plus lourd de conséquences qu’il n’y paraît. L’une des principales prises de conscience de mon expérience professionnelle, acquise lors de la période de mise en situation est celle de l’importance de l’éloquence lorsqu’il s’agit 32 - Georges Clemenceau disait : « Ne craignez jamais de vous faire des ennemis ; si vous n’en avez pas, c’est que vous n’avez rien fait ». Je pense que cette phrase a tout son sens dans l’état d’esprit d’un architecte, en particulier lors de discussions « de sachant à sachant ». 33 - Le dessin, l’écriture et la présentation orale.

FIGURE 15 - page de gauche Page de mon carnet de travail, figurant une demande d’intervention spécifique de serrurerie permettant de créer une base structurelle pour des éléments de charpente. Ce dessin m’a servi à décrire le travail exact souhaité, après avoir préalablement discuté avec le serrurier (projet Gastromer). Source : document de ma propre production réalisé en Août 2017 41


d’exposer des arguments architecturaux. Dans la continuité des nombreux oraux soutenus pendant notre parcours scolaire, cette attitude vise à « embrigader » nos interlocuteurs dans le projet, de manière à préparer le terrain pour la concrétisation de notre discours. Si elle est surtout décisive en début de mandat, cette attitude se poursuit en réalité tout au long du processus de projet et de fabrication de l’architecture. Pour moi cette réthorique constitue le fondement du métier, et elle demande une parfaite assurance et une grande maîtrise des propos tenus34. La volonté de défendre des convictions personnelles passe en effet par une véritable stratégie de communication, qui s’avère en réalité particulièrement élaborée, et assez subtile. La forme et le fond du discours doivent s’adapter en fonction de l’interlocuteur, suivant que l’on s’adresse à un confrère, un maître d’ouvrage, une autorité, un ingénieur, un entrepreneur, un ouvrier ou toute autre personne intervenant dans le cadre du projet. Les outils théoriques de l’architecte deviennent alors cruciaux dans cette communication. Plans, coupes, élévations, détails de principe, détails d’exécution, axonométries, schémas, croquis perspectifs, images virtuelles, maquettes d’étude, de détail, de rendu... Tous peuvent s’additionner à la voix et au texte, et tous ont leur adaptation spécifique à l’enjeu, l’interlocuteur et la phase concernés. Un parallèle avec la médecine donne une image convaincante : les médecins les plus intéressants sont ceux qui parviennent à faire comprendre, avec un discours simple, les maux de leurs patients. Je pense que cette logique est pertinente pour les architectes, car une telle disposition d’esprit est particulièrement appropriée lorsqu’il s’agit de vouloir faire passer des idées et se familiariser avec ses interlocuteurs. En effet, avec du recul on se rend compte qu’une partie souvent décisive de notre temps de travail consiste en une tentative pour convaincre autrui, que ce soit oralement, par téléphone, par mail, par le dessin, etc.. Au final, prendre le temps d’expliquer ce qu’on fait, simplement, participe à une certaine « désacralisation » de l’architecte, dont il est possible de tirer profit. L’ingénuité comme levier La relation qu’entretiennent un architecte et un maître d’ouvrage est assez spéciale. Le fait de « passer commande »35 pour quelque chose d’unique, qui n’a encore jamais existé et qu’il faudra inventer s’apparente à une singularité en économie36. Bien sûr le type de relation n’est pas le même suivant les différents marchés et le panel de missions. La réflexion abordée ici est issue d’une expérience plutôt acquise en marché privé, mais les similitudes sont réelles avec le public. En premier lieu il m’apparaît important d’avoir à l’esprit qu’un projet pour un maître d’ouvrage n’a pas forcément la même valeur que pour nous (bien souvent un projet de maison pour un couple est le rêve d’une vie), et que de toute manière il est le seul à savoir vraiment comment il habitera les lieux37. Cette relation peut aussi se révéler ambigüe à cause de la possible dépendance de l’architecte envers ce « client » particulier, surtout en début d’activité professionnelle où il n’est pas rare de voir son pouvoir de décision limité par la nécessité de faire rentrer de l’argent. Aussi, il est parfois difficile de se positionner pour un concepteur particulièrement attaché à ses croyances. 34 - Et donc des convictions et des idéaux d’architecture particulièrement clairs et intégrés, que l’expérience viendra progressivement compléter, requestionner, sublimer. 35 - Par le biais d’un contrat, nécessairement écrit, qui engage chacun des protagonistes. 36 - C’est d’autant plus vrai en architecture, le caractère unique de cette relation se caractérise aussi à travers la part d’immatérialité qui peut se dégager de l’objet physique qui est fabriqué. 37 - « L’architecte ne sera jamais aussi savant que l’habitant de la maison », Marguerite Duras.

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Néanmoins, notre mission de défense de la qualité architecturale, couplée à notre qualité d’auteur nous donne je pense la légitimité nécessaire pour aborder un projet avec l’ambition de ne pas répondre exactement à ce qu’un maître d’ouvrage pourrait attendre de nous. Mieux, c’est l’occasion de dépasser ses attentes, en parvenant à le surprendre. En effet, j’ai remarqué qu’en réalité la plupart des maîtres d’ouvrages sont particulièrement attentifs et captivés dès lors qu’il s’agit d’aborder des problématiques architecturales. La prise en main par un professionnel, l’attention portée au projet, et l’apport d’une certaine profondeur de réflexion semble souvent relever de l’inattendu. Ceci témoigne sans doute de la méconnaissance de notre métier par le grand public, qui en l’occurence peut ici jouer en notre faveur. Je pense être désormais assez convaincu qu’un architecte a tout à gagner à proposer des choses, à valoriser des compétences dont il est le seul à bénéficier. L’enjeu sous-jacent est de parvenir à dévoiler, par sous-entendus, toute la qualité de nos savoirfaire. Cette attitude passe par une excellente préparation en amont, et en particulier par une réelle connaissance du maître d’ouvrage, de ses attentes et des problématiques que soulève le projet. J’ai pris conscience de l’importance de ces aspects quand j’ai été associé en cours de réflexion à une affaire d’apparence simple, qui consistait en un réaménagement de salle de bain, pour le compte d’un particulier. N’ayant pas participé aux premières séances, et pris de court par la nécessité de produire vite, je n’ai pas pu « cerner » correctement le maître d’ouvrage, son problème et les enjeux qui y sont associés. Il a donc fallu raisonner de manière empirique, en proposant non pas un projet transcendant mais une multitude de variantes (12 au total), qui finalement ont constitué une certaine perte de temps. C’est ainsi que l’objectif principal pour l’architecte est à mon sens de parvenir à gagner la confiance du maître d’ouvrage, dans l’optique d’acquérir un certain statut permettant d’augmenter d’autant son emprise sur le projet38. Dans son ébauche de livre destiné aux jeunes architectes, Fernand Pouillon qualifie les maîtres d’ouvrages de « quatre vingt dix neuf fois sur cent incompétents et ne sachant pas distinguer la réalité d’un plan »39. Sans pour autant approuver cette vision extrême, force est de constater que la plupart du temps les « clients » ne sont pas initiés à l’architecture, même s’ils croient l’être. La déontologie nous obligeant à confectionner un projet dans leur intérêt, il est parfois difficile de concilier cette condition avec nos volontés architecturales. L’adoption d’une attitude de résistance ou de refus, lorsqu’on est confronté à des demandes à même de trop interagir avec un projet particulièrement abouti, est souvent une épreuve difficile. Bien sûr il relève aussi de la compétence d’un architecte d’être capable de ré-évaluer son discours et son écriture, en prenant en compte certaines volontés formelles des maîtres d’ouvrages. Ainsi, une autre grande leçon de cette mise en situation professionnelle réside pour moi dans l’instauration d’une certaine distance avec le projet d’architecture. En effet, à l’inverse de l’école où tout pouvait être maîtrisé, la réalité de la maîtrise d’œuvre fait que la possibilité de faire de l’architecture devient, d’une certaine manière, opportuniste. L’acceptation de la conciliation, l’art du compromis fait partie de la réalité du métier, et il est je pense important de l’accepter. Le niveau d’arrangement est fontion du degré d’ouverture d’esprit et de confiance du maître d’ouvrage, et l’anticipation de cette plus ou moins grande disposition pour l’architecture se fait dans les premières phases de la relation40. 38 - Cette confiance s’acquiert progessivement, et s‘appuie sur la démonstration de nos connaissances aussi bien techniques et réglementaires que théoriques. Elle comprend également une part de relation humaine très importante. 39 - POUILLON (Fernand), Lettre à un jeune architecte, Éd. du linteau, 2010 (1980), p. 20 40 - C’est ce degré d’ouverture qui va, en quelque sorte, déterminer le « niveau d’investissement architectural » à fournir dans le projet en question. Ce niveau peut évoluer en cours de mandat.

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Le sachant pédagogue Toutefois, il est souvent possible de conserver une certaine emprise sur le projet, notre rôle de conseiller privilégié nous conférant, là encore, la légitimité nécessaire pour prétendre au débat. Comme évoqué précédemment, en ayant pour base l’innocence du maître d’ouvrage, une dimension qui m’apparaît décisive dans l’optique de faire passer des idées est celle de la pédagogie. Il est alors question de justifier chaque action ou décision par des arguments architecturaux, de même nature que ceux que l’on manipulait à l’école, mais exposés de la manière la plus compréhensible possible. La capacité des architectes à analyser l’espace, et s’en servir pour expliciter un projet spatial est unique, précieuse et passionnante, elle mérite d’être valorisée. Pour le projet de rénovation et de transformation d’un ancien corps de ferme (affaire « Maison Châtelain »), j’ai fourni un dossier d’une vingtaine de pages au format A3 avec l’ensemble des arguments architecturaux utilisés pour établir l’esquisse du projet. L’objectif était multiple : continuer l’approche pédagogique initiée en séance (avec l’espoir que le maître d’ouvrage prenne conscience de l’étendue de la recherche sous-jacente au projet), légitimer d’autant plus mon statut d’auteur et de concepteur compétent en augmentant un peu le niveau d’analyse par rapport à la présentation orale, et, en somme, lui démontrer qu’il ne paye pas des honoraires pour un projet sorti de nulle part, sans fondement. Même si cela peut a priori s’apparenter à une perte de temps, en réalité cela s’avère souvent bénéfique pour la suite des opérations.

FIGURE 16 Page du projet d’esquisse remis au maître d’ouvrage suite à une séance de présentation (projet « Maison Châtelain »), avec un texte dont l’argumentaire justifie et explique le plan. Cet exercice n’est pas sans rappeler celui de l’analyse de maisons savantes de première année à l’école d’architecture... Source : document de ma propre production réalisé en Décembre 2017

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Retranscription du texte inscrit sur la page ci-contre : « La partie « publique » de l’habitation est mono-orientée sur le jardin Est. Néanmoins, la possibilité de modifier l’existant est l’occasion de décloisonner les espaces et de relier dans un continuum spatial la cuisine, la salle à manger et le séjour. L’entrée dans le logement commence donc directement dans cet espace, qui se dévoile tout de suite dans son intégralité. La large baie vitrée prenant place dans la porte cochère est l’occasion de valoriser la relation intérieur-extérieur entre l’espace du séjour et la terrasse, espaces qui deviendront fort appréciables en matinée. Comme évoqué en préambule, l’opportunité d’habiter un logement à la campagne est l’occasion de valoriser les volumes, c’est ainsi que le séjour bénéficie d’une double hauteur avec un effet d’aspiration caractérisé par la présence de lumière zénithale au faîtage de la ferme. Cette innondation lumineuse suggère en réalité le reste de l’habitation, que sont les parties privatives et intimes. La possibilité de percement sur le jardin Ouest permet en outre la création d’un espace supplémentaire, à usage adaptable suivant les besoins. En effet, cette « pièce en plus » peut se transformer aussi bien en chambre qu’en bureau, en salle de jeu, en salon de thé... autant d’affectations qui confèrent une certaine flexibilité d’aménagement, fort bienvenue. Une variante avec la cuisine à la place de cette pièce supplémentaire a donné un résultat moins qualitatif, avec un espace en enfilade trop étriqué, une entrée moins dessinée et une absence de cellier. » On le voit, les thèmes abordés relèvent de problématiques spatiales, qui finalement n’ont rien d’inabordable, même pour une personne peu initiée à l’architecture. Accompagné d’un plan, d’une coupe, d’un schéma ou d’un croquis perspectif judicieux il devient relativement facile de se faire comprendre, de projeter un maître d’ouvrage dans l’espace, de lui permettre de s’y projeter lui-même, tout en le familiarisant avec les outils de l’architecte. Si l’analyse opérée par le concepteur reste assez grossière ici, du fait de n’en être qu’au stade esquisse, il s’agira de la même logique lorsqu’il sera question d’aborder de plus fines échelles de projet. D’une certaine manière une telle forme d’étude pourrait se rapprocher d’exercices de compréhension spatiale que pratiquent quotidiennement certains architectes reconnus, comme Alvaro Siza ou Eduardo Souto de Moura. En outre, pendant ma mise en situation professionnelle j’ai été surpris de la capacité des maîtres d’ouvrages à demeurer ouverts d’esprit à des dispositifs pas forcément communs ou attendus, qui relèvent de convictions personnelles. L’abord de problématiques de ré-emploi, la mise en place de dispositifs de ventilation naturelle à même de remplacer une installation mécanique, le choix de réaliser une construction entièrement en bois, etc. Ces thèmes sont plutôt bien accueillis à partir du moment où ils sont bien introduits et expliqués. Il n’est finalement pas rare que l’interlocuteur soit séduit et devienne convaincu que ce sont de bonnes pistes, à tel point que cela peut soulever chez lui un intérêt accru pour son projet, dans lequel il pourrait s’impliquer de lui-même avec enthousiasme et apporter d’excellentes idées, dans le sens du travail architectural envisagé. Bien sûr, le fait de travailler en Suisse, avec la relative confiance conférée aux architectes, est sans doute un facteur à même d’expliquer cette facilité d’approche. Néanmoins à partir de ce moment il devient je pense difficile pour un maître d’ouvrage de faire marche arrière et d’aller consulter un autre architecte. Il m’apparait donc autant dans notre intérêt que dans celui de notre architecture d’être particulièrement attentifs à l’aspect pédagogique de notre communication. 45


Mains qui concoivent, mains qui fabriquent Comme évoqué en première partie de ce mémoire je développe un intérêt particulier pour la relation entre les domaines du « penser » et du « faire », dans le processus de conception. Ces deux idées m’apparaissent en réalité très proches l’une de l’autre, au point de parfois paraître confondues41. Je pense que là encore les architectes ont tout intérêt à associer les compétences et les savoir-faire des entrepreneurs directement dans la conception de l’ouvrage, dans l’esprit de la maîtrise d’œuvre telle que considérée en Suisse. D’une certaine manière cette intégration est l’occasion de casser leur image de « mercenaires du bâtiment, opposés aux artistes »42, comme les qualifie Fernand Pouillon, et parfois toujours présente aujourd’hui, plus ou moins à raison. J’ai en effet remarqué que la plupart du temps les entrepreneurs, de la même manière que les maîtres d’ouvrages, sont plutôt réceptifs dès lors que l’on aborde des questions d’architecture. Motivés par un potentiel effet de vitrine pour leur entreprise, et intrigués quand on explique où on souhaite aller et en quoi leur savoir peut être valorisé, la plupart d’entre-eux est disposée à prendre un peu de leur temps pour participer à la conception. Dans la pratique se pose cependant très vite la question des frais liés à cet exercice peu commun. Les entrepreneurs qui jouent le jeu le font pour au moins deux raisons. D’une part développer une relation particulière avec un architecte peut s’avérer bénéfique pour leur intérêt, si le « courant » passe bien ils seront certainement recontactés pour des projets futurs, même si celui-ci tombe à l’eau. D’autre part, ils savent qu’en cas de concurrence serrée l’architecte plaidera en leur faveur43.

FIGURE 17 « La main de Kahn, levée à mi-distance entre lui et nous, représente un lien mythique entre l’imagination de l’architecte et son œuvre construite. Mais la main de Kahn est ouverte, vide, libérée des affres de la construction, libre de tout crayon ou té. » LERUP (Lars) in Louis Kahn, Lumière blanche, ombre noire, entretiens, éditions Parenthèses, 2016 (1998), p. 61. J’ai parfois l’impression de me trouver dans cette situation lorsqu’il s’agit d’exposer et d’expliquer un projet à un entrepreneur ou un maître d’ouvrage. 41 - Leur relative dissociation, actuellement présente dans les esprits, résulte de celle opérée au XVIIème siècle, précisément lorsque le mot architecte a remplacé en France la fonction de technicien du bâtiment, remplaçant les qualificatifs « maître d’œuvre », « sculpteur », « maître maçon », pour désigner le responsable de l’œuvre. 42 - POUILLON (Fernand), Lettre à un jeune architecte, Éd. du linteau, 2010 (1980), p. 13 43 - De plus, quand un entrepreneur ou un ingénieur connaît par avance la démarche de l’architecte, il collabore avec lui en connaissance de cause, ce qui permet de gagner du temps et de pousser d’autant la réflexion commune.

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Bien sûr il n’est pas question de monopoliser un entrepreneur pour des séances de conception interminables et fastidieuses44. L’objectif peut-être simplement de prendre une heure ou deux, d’être efficace, de repérer les contraintes décisives, et de dégager des pistes de réflexion que chacun pourra ensuite étudier de son côté, dans le sens de l’écriture qui a été communément envisagée. L’objectif implicite d’une telle rencontre réside dans le développement d’une culture partagée entre les deux versants de la fabrication de l’architecture, une démarche similaire pouvant tout aussi bien être conduite avec des partenaires de conception ingénieurs. C’est ainsi que pour m’aider à dessiner les nouvelles structures prévues en surélévation d’un bâtiment industriel (affaire « Gastromer »), j’ai fait le choix de provoquer une séance avec le charpentier, le couvreur, et l’ingénieur civil, avec qui j’ai pu discuter autour d’une maquette de structure reflétant une première volonté architecturale. En leur expliquant ce que je souhaitais faire, en introduisant une part d’architecture derrière l’enjeu du choix de structure et du dessin des écoulements, nous avons pu adapter l’intervention et, par la suite, dessiner chacun de notre côté les éléments en fonction de cette volonté. La gestion en chantier s’en est également trouvée facilitée, du fait de l’anticipation et de la connaissance de l’objectif architectural désiré.

FIGURE 18 La maquette qui a été utilisée pour dialoguer avec les entrepreneurs et les ingénieurs, qui suite à cette séance ont en quelque sorte basculé, dans l’esprit, de « sous-traitants » à « partenaires de conception ». Source : document de ma propre production réalisé en Septembre 2016, échelle 1:25

Je vois en ce type d’attitude plusieurs intérêts pour l’architecte particulièrement désireux de contrôler le dessin et l’exécution de l’ouvrage projeté. D’abord ça permet de donner le ton, d’initier un mouvement qui va implicitement focaliser l’attention de l’équipe de conception. C’est également l’occasion d’initier un esprit de fédération, en provoquant les échanges. Enfin, en laissant la possibilité d’intervenir directement sur la conception, après avoir donné le cadre théorique, cela permet d’éviter les pertes de temps. C’est une démarche qui oscille entre emprise sur le projet par l’architecte, et dévoilement d’un côté permissif. C’est aussi en quelque sorte mettre l’ensemble des intervenants sur un même pied d’égalité, indépendamment de la forme contractuelle des différents mandats. 44 - Même si l’intégration d’une entreprise en amont est l’occasion d’anticiper d’autant les éventuels problèmes qui surviendront pendant le chantier. Une sorte de logique BIM (Building Information Modeling), en définitive.

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En outre il apparaît avec une certaine évidence que l’architecte n’est pas le seul à détenir un savoir relatif à l’architecture. Nous avons besoin de ces connaissances pratiques pour mener à bien nos objectifs spatiaux, en particulier pour les jeunes concepteurs qui n’ont pas forcément l’expérience pour s’affranchir de conseils45. C’est aussi une manière particulièrement intéressante dans le cadre de l’expérimentation, et du vaste thème de l’innovation en architecture. En effet, l’émergence d’une culture commune entre architectes, ingénieurs et entrepreneurs peut être source de questionnements intéressants et bien souvent insoupçonnés. Ces interrogations sont tout à fait à même de stimuler la pensée architecturale, et pourquoi pas favoriser l’emergence d’un nouveau mouvement d’écriture de la part des architectes46. 3.2 Temps et espace du chantier : l’écriture sur le vif Le chantier est un lieu et un moment uniques, de nature à nourrir la conception architecturale. Cette affirmation peut se vérifier à tout moment de la carrière d’un architecte praticien, tellement il existe d’aspects à même d’influencer la portée théorique d’un projet. En début d’activité professionnelle et de découverte de la maîtrise d’œuvre, cette donnée est à même de nous déstabiliser, tant l’amoncellement de connaissances à acquérir est grand. Dans cette partie nous allons nous focaliser sur la phase particulière et décisive de la fabrication de l’architecture, en élaborant un regard critique sur la nature du chantier aujourd’hui, tout en étant attentif à la place et au rôle de l’architecte dans ce processus. Il s’agira de questionner les relations entre cet acteur et les individus chargés de réaliser l’ouvrage, en ayant en arrière pensée la question de l’écriture du projet. Savoir, et faire Du temps de la construction des cathédrales, la puissance des corporations dans le corps social médiéval et le dessin de l’œuvre en parallèle de sa construction favorisait le maintien d’un savoir-faire général, en ne dissociant pas savoir et faire. La formation des maîtres compagnons en témoigne, celle-ci étant, encore aujourd’hui, autant théorique que pratique. La tendance actuelle à marquer toujours plus de distance avec la fabrication de l’ouvrage, symbolisée en France par l’existence de la mission OPC47, est liée à la séparation du savoir et du faire à laquelle on assiste aussi bien dans les bureaux d’étude que sur le chantier. Cet aspect engendre également une séparation du pouvoir entre « bureaucrates » 45 - Bien que ce ne soit pas forcément une mauvaise chose, l’expérience pouvant dans certains cas, et paradoxalement, constituer un frein à l’expérimentation. 46 - Qui ne prennent aujourd’hui que rarement la plume, du fait de l’effondrement des grands antagonismes et de la primauté du pragmatisme, en cette époque incertaine. DIDERON (Valérie) in Criticat 07, Choses lues, édité par l’association Criticat, 2011, p. 48 47- Ordonnancement, Pilotage et Coordination du chantier, une tâche détachée de la mission de base des architectes. Si cette fonction n’est pas assumée par l’architecte du projet elle consiste à confier à un tiers la gestion du chantier. Se pose alors un problème de fond : l’OPC doit s’approprier un projet qui n’est pas le sien, chercher à interpréter un discours, décoder une logique singulière. En marquant une distance avec le concepteur initial, le risque est de diminuer l’attention portée aux détails et à l’éxécution imaginés par l’auteur-architecte, tout en délaissant bien souvent l’intéraction entre celui-ci et les personnes chargées de réaliser les ouvrages.

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et « manœuvres », qui à mon sens dessert l’acte de création architectural, tout en constituant un risque pour l’écriture du projet. L’origine de cette séparation réside dans l’apparition de l’architecte et de la maîtrise d’œuvre modernes, qui eut lieu pendant la Renaissance. L’époque moderne a conforté cette séparation entre les métiers, par l’essor des progrès techniques, et sous l’influence d’un capitalisme qui a progressivement changé de nature48. Cette divergence est clairement renforcée par la définition même de l’exercice de la maîtrise d’œuvre, qui dissocie nettement conception et réalisation. En effet, aussi bien en France qu’en Suisse, et d’autant plus dans le système anglo-saxon, la conception s’arrête avant que le chantier ne commence. Le caractère « successif » du contrat de maîtrise d’œuvre exprime bien cet aspect, aucune phase ne pouvant être commencée tant que la précédente n’est pas terminée49. Ainsi, il n’est pas prévu, dans l’organisation professionnelle de la maîtrise d’œuvre, de moment réellement partagé entre les concepteurs et les personnes chargées de réaliser l’ouvrage. Théoriquement le projet se fait donc totalement hors du chantier, et cette particularité est une première forme de séparation du savoir et du faire. Ainsi, le projet n’est pas décrit pour les producteurs mais par et pour les concepteurs, qui transmettent les données sous forme d’ordres simples, dont le niveau d’information à disposition de l’ouvrier « descend », le plus généralement en s’appauvrissant. Bien souvent il est impossible pour ces acteurs à la base de la réalisation de connaître le sens de leur action. Leur tâche se noie dans un ensemble organisationnel flou et incertain, dont ils n’ont pas la maîtrise. Très peu d’entre eux auront l’occasion d’admirer le travail terminé et d’apprécier leur contribution à la fabrication de l’ouvrage. L’écriture même du projet dans les textes contractuels consiste en une description qui ne recoupe pas celle du travail réel50, bien souvent il n’existe pas de relation entre la succession des articles d’une soumission ou d’un CCTP51 et la chronologie des tâches sur le chantier. Cette description ne sert donc pas à comprendre le sens d’un ouvrage. Il est je pense important pour les architectes de demeurer conscients de ces aspects, parce qu’en devenant acteur d’un exercice de la maîtrise d’œuvre tel que décrit ici nous contribuons à entretenir un système qui engendre une certaine désindividuation, au coeur même de la fabrique de l’architecture. Le chantier comme manufacture D’un certain point de vue, qu’il s’agisse de la confection du projet d’architecture en agence ou de la réalisation concrète de l’ouvrage, chaque domaine contient une part d’artisanat, de savoir-faire spécifique, précieux et inhérent à l’acte de création ou de fabrication. Pour ma part je suis particulièrement attentif au maintien et à la valorisation 48 - Radio France culture, Une vie, une œuvre, Michel Rocard ou l’éthique de responsabilité (1930-2016), par Irène Omélianenko, 2016 49 - En France on ne peut pas commencer la phase DET (Direction des Etudes et des Travaux), tant que la phase PRO (Elaboration des dessins d’exécution) soit officiellement terminée. De ce que j’ai pu constater en Suisse le passage d’une phase à l’autre semble toutefois moins séquencé, plus relatif, en tout cas en marché privé. 50 - D’après Pierre Bernard, auteur d’un article sur le chantier, cette description « est plus technico-économique qu’opérationnelle ». Les textes servent plutôt à mentionner/rappeler ce qui est dû contractuellement. BERNARD (Pierre) in Criticat 02, Le chantier, édité par l’association Criticat, 2008, p.104. 51 - Cahier des Clauses Techniques Particulières, un document dans lequel figurent les descriptions des ouvrages à réaliser (maîtrise d’œuvre française).

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de ces savoirs dans l’acte de création architectural. Je pense que c’est une manière de servir l’œuvre. Ainsi, une hypothèse pour lutter contre le morcellement des connaissances pourrait être de chercher à mélanger et croiser les savoirs, à valoriser la science du faire dans l’écriture de l’architecture, à mettre en avant l’aspect artisanal de la création d’un ouvrage52. Le fait d’être dans le vif du sujet pendant le temps du chantier est particulièrement propice aux échanges entre concepteurs et fabricants, bien plus que pendant les phases d’étude. Le « prétexte » du projet est la raison d’être ensemble dans un temps d’activité limité, et le plus souvent borné. C’est la naissance d’un corps social éphémère, dont chaque individu est lié par une image fictive et subjective d’une architecture à fabriquer. La phase du chantier est en outre l’occasion d’interroger la position de l’architecte dans ce champ social. Par son statut d’auteur et la relation privilégiée qu’il entretient avec le maître d’ouvrage c’est lui qui est le plus à même d’incarner l’esprit de la construction, en dirigeant la façon dont doit être réalisé l’ouvrage qu’il a lui-même dessiné. La mise en situation professionnelle m’a ouvert les yeux sur le fait que notre position de concepteur ne tient pas seulement à ce qui est produit, mais aussi à la manière dont c’est produit. Pendant le temps limité du chantier, la relation que peuvent entretenir un architecte et un entrepreneur a quelque chose de fascinant. Au-delà des aspects contractuels c’est la rencontre entre deux sphères de savoir-faire, qui ont je crois un réel intérêt à interagir. C’est une potentielle symbiose du fait de la détention dans chaque partie d’un savoir à même d’enrichir celui de l’autre. D’un côté, l’architecte peut prétendre à sublimer le travail des entreprises en donnant du sens à leur action, par une argumentation servant un discours esthétique, dont la profondeur ne s’arrête pas à l’objet fini. D’un autre côté le fabricant apporte souvent une vision pragmatique à même de questionner voire destabiliser le discours élaboré par l’architecte. Il peut ainsi s’agir d’une occasion pour interroger la pertinence du propos, en discutant directement d’architecture. Plus concrètement, les entreprises incarnent aussi, bien souvent, une impulsion très bienvenue lors de problèmes d’apparence complexes, en imaginant, souvent avec beaucoup de bon sens, des solutions très efficaces. J’ai souvent été surpris et même parfois soulagé par cette capacité, qui les place dans ces cas précis dans un rôle de moteur direct de la création. L’objectif pour le concepteur-architecte est ensuite de confronter ces idées extérieures à la logique du projet, et éventuellement de les retravailler dans le sens de l’architecture défendue (cf. figure 19). Dans la même logique, le dialogue direct entre un architecte et un ouvrier m’apparaît tout aussi intéressant. C’est en prenant l’habitude de communiquer progressivement que chacun peut découvrir et s’approprier l’état d’esprit de l’autre. Pour le concepteur c’est l’occasion d’aborder l’exécution de manière à intégrer dans la réflexion l’anticipation des interactions entre les différents corps de métiers. Cet acte est déjà une manière de donner du sens à l’acte de bâtir, à l’étape de l’élaboration des dessins d’exécution. Pour l’ouvrier, c’est l’occasion de valoriser son travail en investissant son action et ses efforts dans un processus dont il est conscient qu’il a une finalité. Par cet état d’esprit, qu’il est préférable d’avoir en amont de la phase chantier, c’est l’occasion de mettre en place les conditions permettant un « réenchantement du travail »53, s’intégrant à merveille dans le processus d’émergence de l’ouvrage imaginé par l’architecte. 52 - C’est aussi une manière de défendre un système hiérarchique horizontal plutôt que vertical, à même de favoriser d’autant plus les échanges entre les acteurs du chantier. Réflexion abordée dans l’ouvrage de CHOPPIN (Julien) et DELON (Nicolas), in Matière Grise, Editions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p.75 53 - Expression de Pierre Bernard, in Criticat 02, Le chantier, édité par l’association Criticat, 2008, p.106.

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FIGURE 19 La définition formelle de l’extension / surélévation de ce bâtiment industriel s’est faite en étroite collaboration avec le couvreur et le charpentier. Le détail de la bande de rive supérieure, qui reprend les mêmes dimensions que celle du bâtiment existant, a été imaginé conjointement, en cours de réalisation (projet « Gastromer »). Source : photo de ma propre production réalisée en Décembre 2017

Pour illustrer mon propos, je pourrais évoquer la gestion de la « greffe » d’une structure en bois sur une structure métallique, permettant de créer l’agrandissement du bâtiment industriel du projet « Gastromer ». C’est en dialoguant hors séance de chantier, c’est à dire sans les entrepreneurs mais seulement avec les ouvriers, qu’un début de solution efficace a été trouvé pour résoudre le problème technique de la juxtaposition du bois sur la structure préexistante en acier. Etant relativement pris de court face à la surprise de devoir adapter le dessin de la charpente envisagée pour pallier aux irrégularités de la structure censée la supporter, j’ai fait part de mes interrogations aux artisans présents sur place à ce moment-là (charpentiers et serruriers, entre autres). Remarquant mon désappointement et mon manque d’expérience face au problème, j’ai senti qu’ils étaient plutôt enthousiastes à l’idée d’apporter leur contribution, au point d’abandonner temporairement leurs tâches en cours pour me faire bénéficier de leurs éclairages. Sans doute motivés par l’idée de participer à la conception du projet sur un point particulièrement important, j’ai eu l’occasion d’assister à un déferlement de suggestions et d’idées pertinentes et surtout rassurantes pour répondre au mieux à la difficulté. Ils ont porté un intérêt soudain pour ce problème, enchantés de voir leurs compétences valorisées par la nécessité de trouver une solution. Au final, après quelques retours avec les entrepreneurs, le dénouement retenu était très proche de celui imaginé dans le vif du sujet ce jour-là. Il m’a de plus semblé qu’un soin tout particulier avait été pris pour l’exécution de ces adaptations imprévues. 51


FIGURE 20 Découvertes après la démolition, les irrégilarités de la structure métallique porteuse ont généré un dessin particulier et plus complexe que prévu de l’assise de la charpente, de par la nécessité d’ajuster au mieux le maintien de la nouvelle ossature en bois. L’élaboration de cette forme a été initiée grâce au savoir et à l’inventivité des ouvriers. Le croquis issu de mon carnet de travail de la page 40 de ce mémoire est l’illustration de ce que j’ai demandé par la suite au serrurier. Source : photos de ma propre production réalisées en Août 2017.

Ainsi, plutôt que de simplement coordonner les énergies éparses de chaque membre, il m’apparaît aussi intéressant d’être attentif aux échanges entre les savoirs, de manière à favoriser l’émergence d’une énergie productive dans le travail. Cette composante fait pour moi pleinement partie du plaisir du suivi de chantier. Elle ne devient pas l’abandon de la conception mais au contraire son prolongement, dans un environnement où la frontière entre projet et ouvrage, entre idée et réalité, s’affine progressivement au fur et à mesure de l’avancement des travaux. En définitive, on peut dire que le chantier est une forme d’organisation sociale, qui constitue tout au long de son existence une réelle aventure humaine, d’autant plus intense lorsqu’elle est ponctuée d’embuches résolues conjointement par les équipes de travail. Bien sûr il n’est pas toujours facile d’instaurer une telle implication des fabriquants dans l’écriture de l’ouvrage. Tous les projets ne s’y prettent pas, tous les aspects d’un ouvrage non plus, et la forme du système de maîtrise d’œuvre et de rémunération des différents acteurs n’est pas forcément adaptée. Toutefois, ma relative insouciance, ma curiosité et mon intérêt pour le processus de fabrication de l’ouvrage me poussent à continuer cette réflexion à l’avenir. La phase de confection de l’architecture m’apparaît en effet être une part tout à fait décisive dans le cadre d’une attention particulière à l’écriture personnelle d’un concepteur.

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La possibilité de l’œuvre Rester autant que possible fier de ses propositions de projet, les assumer pleinement, parvenir à maintenir un certain niveau d’engagement dans son activité, concevoir un ouvrage conforme à ses convictions personnelles d’architecte et de citoyen, concrétiser une pensée digne de ses idéaux d’architecture : c’est l’architecte, auteur et acteur d’un projet, qui endosse la responsabilité morale de sa création54. Ainsi, une réflexion sur la relation entre architecte et architecture mène inévitablement à la question de l’œuvre, à sa possibilité par un exercice du métier en toute conscience et connaissance de cause. Si le mot « œuvre » est un synonyme d’idée, bien souvent il désigne l’ensemble des réalisations d’un homme ou d’une femme de l’art, et on l’emploie plutôt lorsque celui ou celle-ci est reconnu(e). L’œuvre est donc conditionnée et définie par un jugement, indépendant de l’avis de l’auteur55. Ce jugement inévitable est lié, comme dans toute critique, à notre culture et la conscience de nos opinions personnelles. Bien souvent il est aisé d’arrêter un avis sur un produit fini, mais la connaissance du processus de création d’un ouvrage me semble, pour en être moi-même aujourd’hui acteur, tout aussi important dans son appréciation. L’œuvre architecturale ne réside pas uniquement dans le résultat mais aussi dans la façon d’arriver au résultat. Des démarches comme celles de Patrick Bouchain ou du collectif d’architectes Encore Heureux, pour ne citer que les plus évidentes, font partie de leurs œuvres respectives, elles les caractérisent même, ils sont reconnus et sollicités pour ça. La question de l’œuvre d’architecture me semble donc liée aux convictions personnelles des auteurs. Pour ma part je m’efforce de toujours garder, lorsque les conditions sont favorables, la possibilité de création d’une œuvre d’architecture en perspective de mon travail, comme un objectif implicite. Mon but n’est pas tant de chercher à plaire à des confrères ou aux maîtres d’ouvrages, mais plutôt de légitimer mon travail auprès de ma conscience. Cette recherche fait partie pour moi du plaisir de l’exercice de ce métier. Bien sûr cela sous-entend, encore une fois, d’être relativement éclairé sur ses convictions personnelles et ses idéaux d’architecture. Par exemple, l’idée très générale qui a guidé le projet « Gastromer » était de chercher à limiter autant que possible l’utilisation de la lumière artificielle pour travailler et apprécier des préparations culinaires. J’ai profité de la relative horizontalité du bâtiment pour installer des verrières sur le toit afin d’inonder de lumière naturelle les bureaux et la cafétéria. J’ai accompagné cette volonté par un travail spatial sur les ambiances entre espaces servants (tamisés) et espaces servis (éclairés naturellement). Au final, même s’il me reste des aspects à améliorer dans la gestion de l’exécution, et en particulier de l’écriture fine du projet, je suis satisfait d’avoir réussi à conserver cette idée maîtresse jusqu’au bout. C’est toujours une bonne surprise de retourner sur les lieux et de pratiquer ces espaces, éclairés par une lumière zénithale diffuse. De façon analogue, la démarche envisagée pour le projet du 12 rue du Temple à Cartigny est le reflet direct de mes aspirations architecturales. J’aime en effet le contraste entre le lourd et le léger, entre le massif et le filigrane56. Cette affinité 54 - « L’architecte ne construit jamais seul. En revanche il en assume la responsabilité, pour une large part. » RICCIOTTY (Rudy), L’architecture est un sport de combat, éditions Textuel, 2013, p. 15 55 - Dans le code de la propriété intellectuelle des architectes, afin qu’un concepteur puisse prétendre à toucher des royalties pour une de ses créations, une œuvre est reconnue comme telle à partir du moment où elle présente un caractère « original », soit un terme relativement flou et interprétatif (législation européenne). En Suisse il s’agit d’un caractère « individuel » (art. 2 al. 1 de la loi fédérale sur les droits d’auteur). 56 - Il peut être limitatif de catégoriser le registre du filigrane à des constructions « légères », mais en général c’est dans ce sens que j’aime l’utiliser.

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est en accord avec mes préoccupations quant à l’impact environnemental des projets que j’entreprends. Elle permet par exemple d’utiliser le béton (un matériau très énergivore) là où il est le plus performant, et de réserver les matériaux restants pour exalter des structures plus légères, qui permettent d’optimiser la quantité de matière utilisée pour bâtir57. Outre le potentiel écologique, le contraste entre ces deux registres constructifs apporte un référentiel spatial avec lequel j’ai une certaine affinité, me permettant de faire aisément le lien entre intentions et spatialité, entre matérialité et immatérialité.

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FIGURE 21 Plan du rez-de-jardin et axonométrie éclatée de la nouvelle habitation juxtaposée à l’ancienne grange, pour le projet du 12 rue du Temple à Cartigny. Il est aisé de distinguer le contraste entre les registres massifs et filigrane. Source : documents de ma propre production réalisés en Juin 2018.

L’acquisition du statut d’œuvre pour un ouvrage d’architecture est lié à deux raisons. D’une part la subjectivité, comme évoqué plus haut, et d’autre part l’aspect pluriel inhérent à sa création. C’est l’un des enseignements principaux de ma mise en situation professionnelle, par rapport à la formation théorique à l’école, qui a contribué à faire évoluer mes convictions personnelles. Un ouvrage d’architecture n’est jamais le fruit d’un seul acteur. C’est valable dans l’esprit, s’il y a plusieurs concepteurs, mais surtout dans la 57 - J’ai suffisamment d’assurance maintenant pour me permettre de qualifier et d’assumer cette approche comme étant caractéristique de mon écriture architecturale de concepteur. Elle a pour singularité de se rapprocher, par une attention particulière à la matière et à l’énergie, de processus de construction approuvés et emplis de bon sens, tout en s’interrogeant sur le caractère des projets créés. Ainsi, un autre de mes objectifs (lui aussi implicite mais plus général) est de participer, par cette démarche, à l’émergence d’une culture contemporaine de fabrication de l’architecture.

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concrétisation, l’architecte ne fabriquant pas lui-même le bâtiment58. L’œuvre architecturale a donc nécessairement un caractère pluriel, ce qui constitue à mon avis une nuance tangible entre l’architecte et l’artiste59. Les décisions finales sont rarement unilatérales, et bien souvent empreintes de compromis. Aussi il relève de l’impossible pour l’auteur-architecte de gérer l’ensemble des paramètres, un degré d’incertitude étant toujours présent, même pour la construction neuve. La démarche et l’aspect final du projet d’architecture réalisé sont soumis à une relative « précarité » de résultat60, un côté permissif, un certain lâcher-prise m’apparaîssant aujourd’hui inévitables dans l’exécution. Malgré toutes les compétences et les moyens possibles, il demeure irréaliste pour l’architecte d’imaginer totalement le résultat et les effets de ce qu’il projette. Aussi, la confrontation soudaine avec la réalité spatiale, par rapport aux projections, m’apparaît comme partie intégrante du thème de l’œuvre architecturale. La relative frustration de la réalité par rapport à l’idée, tout comme sa magnifique réciproque, est toujours un moment intense. C’est l’aspect le plus formidable de notre métier, relaté par beaucoup d’architectes quand on leur demande ce qu’ils préfèrent dans leur exercice. Pour l’auteur, c’est peut-être finalement là que réside la prise de conscience de son œuvre, dans la magie du ressenti de l’architecture projetée, même si ce moment est souvent éphémère et moins glorieux qu’espéré. En architecture et en art en général, les prémices de l’émergence d’une œuvre commencent bien souvent avec le dessin à la main. « L’homme pense parce qu’il a des mains », disent les compagnons du devoir. Un carnet de travail d’architecte concentre la base fondamentale et formelle d’un projet, la première écriture. C’est même parfois l’endroit qui témoigne de l’évolution de la pensée d’un auteur d’architecture. C’est le lieu et le moment où s’initie le projet d’ouvrage, avec toutes les conséquences qu’il entraine pour l’ensemble des acteurs qui y seront impliqués. Le devenir du maître d’ouvrage, des habitants, des usagers, des partenaires de conception, des fabriquants, des exécutants, de l’architecte lui-même, mais aussi implicitement de l’ensemble de la société de manière générale est lié au contenu du carnet de travail d’un architecte maître d’œuvre. Tous sont concernés par les thèmes qui y sont abordés, même si cette réflexion peut apparaître pompeuse au point d’être parfois méprisée par certains. Quelque part, cet objet est un élément physique moteur de la culture humaine, comme peut l’être un carnet d’artiste, d’écrivain, de cinéaste...

58 - Par extension, on comprend pourquoi dire qu’un architecte a construit tel ou tel ouvrage est un abus de langage. 59 - Même si aujourd’hui beaucoup d’artistes contemporains font fabriquer leurs œuvres par des tiers, comme Jell Koons ou Richard Orlinsky par exemple. 60 - Si le temps et les enjeux du chantier étaient plus valorisées dans le discours architectural, au point de les intégrer au jugement final d’un ouvrage, peut-être que cela permettrait de relativiser cet aspect du caractère pluriel d’une œuvre.

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CONCLUSION

Il apparaissait bien sûr difficile de répondre complètement à la problématique, au regard d’un sujet aussi large, de par la nécessité de rester synthétique, et du caractère restreint de l’étude qui aurait mérité un regard transversal sur d’autres approches, d’autres échelles, sur d’autres manières de faire de l’architecture. J’ai pris cet exercice de mémoire comme l’apport d’un regard critique sur une expérience, par le prisme d’un questionnement qui m’intéresse personnellement, et qui constitue un commencement plus qu’une finalité. Il m’apparaissait nécessaire de centrer le sujet sur l’architecte-concepteur-maître d’œuvre, et le rapport qu’il entretient avec sa personnalité, ses envies, ses revendications, les possibilités qui s’offrent à lui au regard du contexte et les moyens disponibles pour concrétiser une pratique de l’architecture et la défense d’idéaux personnels. En parallèle de la question de l’œuvre, et au regard des problématiques de notre époque, il s’agissait aussi d’identifier de quelle latitude le concepteur dispose, de sorte qu’il soit en mesure de faire un maximum de choses en pleine conscience et en toute connaissance de cause, en préservant autant que possible son intégrité intellectuelle et morale61. Quelle liberté, quelle emprise, quelle crédibilité lui est-il permis d’avoir, quelles sont les conditions qui régissent ces paramètres, et comment est-il possible pour lui, par son attitude, de conforter son degré d’action dans le processus de création de l’ouvrage ? L’architecte, cet auteur... Comme nous l’avons vu, il existe une différence de pratique entre la France et la Suisse, tout comme il en existe d’autres entre les nombreuses manières d’exercer le métier au sein de l’Union Européenne, et même du monde. Mon ressenti au regard de ma petite expérience et de l’analyse sommaire que j’ai pu faire des deux systèmes m’amène au sentiment que le contexte semble plus favorable à une maîtrise de l’architecture par le concepteur chez nos amis helvètes. D’une part les organismes et les moyens mis à disposition des acteurs de la construction sont orientés de manière à valoriser, ou du moins permettre le discours des concepteurs, d’autre part le climat dans lequel se déroule l’exercice de la maîtrise d’œuvre est particulièrement plaisant, avec une réelle considération et confiance de la part des autorités envers les personnes et les projets. La forme même des méthodes employées pour exercer la maîtrise d’œuvre sont adaptées à ce paradigme, en conférant contractuellement aux architectes la possibilité d’une totale liberté, issue de la culture constructive locale et historique, toujours bien présente. L’attitude de l’architecte au regard de ses missions est le reflet de cette liberté. Les relations qu’il est à même d’entretenir avec le maître d’ouvrage ou des partenaires de conception, sublimées par la confiance dont il jouit au quotidien, sont particulièrement propices à non seulement lui donner l’opportunité de concrétiser des projets en adéquation avec ses idéaux, mais en prime de prendre du 61 - Dans leur ouvrage Matière Grise, Julien Choppin et Nicolas Delon émettent l’idée, par un chiffrement approximatif, que l’architecte a un impact environnemental bien supérieur à la plupart de ses concitoyens. CHOPPIN (Julien) et DELON (Nicolas), Matière Grise, Editions du pavillon de l’Arsenal, 2014, p.165

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plaisir à le faire. Moyennant une bonne connaissance de là où il souhaite aller, une certaine maîtrise de son propos, et un contact humain assuré, il y a tout ce qui est nécessaire pour exercer pleinement un métier d’auteur, dont la finalité peut prétendre à mener à l’œuvre architecturale assumée. En définitive, il est plaisant d’être architecte maître d’œuvre dans un système particulièrement favorable et ouvert à la liberté de conception, soutenu par un contexte économique compatible avec cette idée. Ainsi, le fondement du métier m’apparaît être la liberté, celle de choisir et de pouvoir défendre un point de vue, un idéal personnel, l’architecture ne pouvant exister sans dimension politique. Cette liberté m’apparaît plus accessible en Suisse qu’en France, et se paye, en contrepartie, par une grande responsabilité pour l’architecte, bien visible si l’on compare les différences de pratique entre les deux pays. Mais n’est-ce pas un juste retour des choses, pour une profession qui a un tel pouvoir, implicite bien sûr, sur le devenir collectif ? Posture J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce mémoire, qui m’a permis de faire la synthèse de ces trois années d’expérience en agence d’architecture, tout en m’ayant offert l’opportunité d’identifier avec plus de lucidité les pistes possibles de travail à l’avenir. C’était l’occasion de regrouper un grand nombre de nouveaux paramètres par rapport à mon parcours à l’école, d’établir un regard critique évolutif sur le monde de la maîtrise d’œuvre, et de réorganiser une personnalité d’architecte sans pour autant en perdre les fondements62. En outre, il n’est clairement pas difficile de trouver dans mes orientations une forme d’idéalisme, au regard des représentations de l’architecte, qui reste chez moi dominée par l’ancienne figure du concepteur d’édifices, naturellement héroïque, comme dans le fameux roman d’Ayn Rand : La Source vive, publié en 1943 sous le titre The Fountainhead63. J’en suis pleinement conscient et je me sens aujourd’hui en mesure d’assumer cette posture, en partie grâce aux apports de la mise en situation professionnelle. En effet cette expérience m’a donné l’occasion de tester cet état d’esprit au quotidien, de comprendre dans quoi je mettais les pieds, de me mesurer au système. Je souligne à nouveau la chance que j’ai eue d’avoir la possibilité de travailler, avec tous les moyens nécessaires, sur des affaires propices au développement et à l’application d’une démarche architecturale personnelle. Si je n’ai pas eu l’occasion de débattre de sachant à sachant dans l’objectif d’élaborer un projet avec plusieurs concepteurs, le fait d’avoir, la plupart du temps, été maître de mes décisions, m’a été particulièrement formateur. J’ai ainsi pu acquérir une certaine confiance en mes compétences professionnelles, en ma capacité à argumenter un sujet relatif à l’architecture, à faire passer des idées personnelles par une dialectique claire et à mon sens pertinente. Ce dernier point m’apparait être le plus important pour conforter notre légitimité auprès de nos interlocuteurs, et en premier lieu nos confrères. Le choix de toujours travailler dans des petites agences n’est pas anodin, c’est là où l’on découvre le plus de choses, où l’on accède le plus rapidement aux responsabilités. Travailler dans des usines à projets préconçus ne m’intéresse pas, j’ai besoin d’avoir un rôle dans la conception architecturale, de développer des discours et d’assumer des décisions dont je suis conscient d’avoir un sens. 62 - Je rejoins Rudy Ricciotti quand il dit que « le plus difficile ce n’est pas de devenir architecte, c’est de le rester », RICCIOTTY (Rudy), L’architecture est un sport de combat, éditions Textuel, 2013, p.57 63 - Vision qui découle sans doute aussi de l’enseignement dont j’ai bénéficié à l’école d’architecture, qui passe majoritairement par une pratique de la conception architecturale via les enseignements de projet.

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Je reste en effet attaché à l’ambition d’apporter des réponses aux enjeux de nos sociétés contemporaines, auxquels l’architecture peut contribuer. Je trouve dommage de s’être positionné un jour en tant que citoyen-architecte, et de négliger cette posture par la confrontation avec la réalité. Au contraire, le véritable moment pour « s’engager » est maintenant, une fois que nous avons toutes les données en main. Je me sens plus enthousiaste aujourd’hui qu’à la sortie de l’école, moins naïf et bien plus capable, même si je mesure d’autant plus l’ampleur de la tâche. J’admets aussi que la relative « protection » du salariat par rapport à un exercice seul change quelque peu la donne. En effet, une prestation intellectuelle d’architecte digne de ce nom, à même de permettre l’émergence d’une architecture d’auteur assumée, demande un investissement plus important de la part du concepteur. Il doit être d’autant plus difficile, quand on est seul face à un maître d’ouvrage, de négocier des honoraires à la hauteur de nos ambitions professionnelles, en partie parce qu’elles touchent au personnel. Aussi, conscient du caractère relativement anecdotique de l’action de l’architecte au regard de l’ensemble du domaine de la construction, je prends de plus en plus en considération un aspect qui n’était qu’un pressentiment au départ, à savoir son rôle d’exemple. Ceci est d’autant plus concrêt si un engagement personnel se ressent dans les propositions de projet d’un concepteur attaché à sa qualité d’auteur. En effet l’impact psychologique d’une opération auprès d’une population peut-être bien plus grand qu’il n’y paraît au premier abord. Les habitants, le voisinage, les passants, les touristes curieux, l’administration des autorités en interne, l’ensemble des intervenants et participants au projet, les confrères et collègues... Tous ont leur avis et tous discutent et débattent tôt ou tard au sujet de l’ouvrage. Au-delà de l’inévitable jugement, c’est clairement l’occasion pour l’architecte de faire passer des messages, de montrer ce qu’il est possible de faire, d’initier des choses dont d’autres pourront peut-être s’inspirer, exactement comme le font nos référents personnels. Toutefois, pour ma propre survie dans le milieu de la maîtrise d’œuvre, j’ai également pris conscience de l’intérêt de relativiser la question du sacro-saint projet d’architecture. Lorsque c’est nécessaire et que tout a été tenté, il n’est pas utile de s’acharner à défendre des idées pour des personnes qui n’y sont pas réceptives ou des projets qui ne s’y prettent pas. Dans le quotidien d’une agence il réside une part non négligeable d’affaires dites « alimentaires », ou servant stratégiquement à débloquer des projets plus intéressants. C’est parfaitement normal et cela m’apparaît même plutôt sain, cela permet aux jeunes architectes ou dessinateurs d’acquérir de l’expérience, avant de viser des projets plus élaborés. J’ai aujourd’hui le sentiment d’être en passe d’acquérir suffisamment de maturité pour approfondir encore les problématiques et les pistes de travail qui m’intéressent plus personnellement. L’opportunité de réaliser cette première vraie expérience professionnelle dans une autre ville que Clermont-Ferrand, et par extension dans un autre pays que la France, est une réelle chance. Quel intérêt un architecte peut-il avoir à s’exprimer dans une ville comme Genève, cette métropole internationale qui oscille entre plaisantes démarches engagées mais isolées64, et énormes opérations génériques ou faussement spectaculaires de promotions issues du star system65 ? Avec du recul, mes origines et ma formation en terres auvergnates font de moi une particularité architecturale parmi les concepteurs locaux, ce qui 64 - Dont on pourraît penser qu’elles n’ont pas d’autre rôle que de donner bonne conscience à certains. 65 - Incarnant à merveille l’image de notre société consumériste, et en mettant sur un piédestal tout l’inverse de ce qu’il conviendrait de faire pour une ville internationale contemporaine (qui croit donner le bon exemple).

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pourrait être l’explication de certains de mes réussites ou échecs, mais potentiellement jouer en ma faveur à l’avenir si je parviens à les valoriser. En effet, il s’avère que les propositions de projet que j’émets à l’heure actuelle se rapprochent de démarches que l’on peut voir dans certains territoires, plutôt ruraux, avec lesquels je suis familier. Le développement d’une attention à l’impact social de l’intervention, à l’origine des matières choisies pour réaliser l’ouvrage, au ressources disponibles, au discours esthétique et technique utilisé au regard des savoir-faire locaux, aux registres employés et liés à ce discours... La confrontation de ces thèmes avec ceux de la ville internationale pourrait paraître assez curieuse de prime abord. Il s’avère néanmoins que les orientations politiques constatées dans la conception architecturale en territoire rural ou périurbain sont porteuses d’un certain bons sens, qui manque là-bas et qui m’apparaît même recherché aujourd’hui dans un territoire comme le canton Genevois66. C’est une véritable opportunité pour faire passer des idées à même de questionner la dangereuse routine, et de s’attaquer à des problèmes sérieux, comme peut le faire aujourd’hui la coopérative Equilibre67, qui milite pour un habitat différent, à l’inverse des standards. Ayant moi-même un certain intérêt pour le thème du logement et de l’habitat, et dans l’idée de prolonger et concrétiser les apports acquis dans le travail de mémoire de fin d’études, j’ai pour envie, si l’opportunité se présente, de signer et contribuer à réaliser un immeuble de logements collectifs avec une structure majoritairement composée de bois, à Genève ou aux alentours. Ce serait l’un de mes plus beaux rêves, et quelque part le projet du 12 Temple à Cartigny en constitue un prototype, à une échelle réduite. Pour conclure sur mon cas personnel, et sur mes prévisions pour l’avenir, je souhaiterais à relatif court terme continuer à acquérir de l’expérience, en particulier dans l’exercice du chantier avec lequel je commence à me sentir à l’aise mais dont il me manque certains aspects en lien avec d’autres échelles et d’autres types de projets. J’ai également envie de me confronter à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en marché public, pour voir s’il est possible en Suisse de tenir les mêmes discours que dans le privé. Cet apport supplémentaire d’expérience se fera certainement encore dans le cadre du salariat, dont j’espère qu’il se poursuivra avec la même liberté à l’avenir. Je commence toutefois à me sentir prêt pour m’ouvrir à d’autres responsabilités, qui viendraient compléter ma pratique du métier. En effet je ne suis pas fermé à l’idée d’une association avec un confrère, plutôt en région lémanique, l’acquisition de l’habilitation me permettant une inscription au REG (A) après 5 années d’expérience validées. Enfin, je commence à m’ouvrir à d’autres formes d’engagements, en particulier dans des associations à caractère bénévole ou politique, et par le biais du dessin et de l’écriture. Aussi je n’exclus pas l’idée de m’essayer un jour à l’enseignement, en parallèle de la pratique, pas tant dans l’idée d’apprendre quelque chose à quelqu’un, chacun apprenant soi-même, mais plutôt par amour de la transmission et du débat architectural et citoyen.

66 - Confère les énoncés des concours d’architecture locaux, qui relatent une demande d’attention toute particulière par rapport aux aspects sociaux et environnementaux. Le canton de Genève reste encore aujourd’hui en partie composé de parcelles agricoles (qu’il est difficile de déclasser en Suisse), avec une culture de la terre qui subsiste, en particulier dans les villes périphériques, en france voisine, et même dans le canton voisin (Vaud). 67 - Une coopérative d’habitat participative, à vocation sociale, en lutte contre le développement de l’habitat irresponsable et la spéculation immobilière (omniprésente à Genève). https://www.cooperative-equilibre.ch/

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BIBLIOGRAPHIE

- BERNARD (Pierre) in Criticat 02, Le chantier, édité par l’association Criticat, 2008

- BOURGADE (Thibault), Rapport de présentation des acquis, Rapport HMO, 2011

- CHOPPIN (Julien) et DELON (Nicolas), Matière Grise, Editions du pavillon de l’Arsenal, 2014

- DIDERON (Valérie) in Criticat 07, Choses lues, édité par l’association Criticat, 2011

- LERUP (Lars) in Louis Kahn, Lumière blanche, ombre noire, entretiens, éditions Parenthèses, 2016 (1998)

- OMÉLIANENKO (Irène), Radio France culture, Une vie, une œuvre, Michel Rocard ou l’éthique de responsabilité (1930-2016), 2016

- POSSOMPÈS (Michel), La fabrication du projet, méthode destinée aux étudiants des écoles d’architecture, éditions Eyrolles, 2013

- POUILLON (Fernand), Lettre à un jeune architecte, édition du linteau, 2010 (1980)

- RICCIOTTY (Rudy), L’architecture est un sport de combat, éditions Textuel, 2013

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ANNEXE DU MÉMOIRE

- Avis motivés du directeur d’études et des tuteurs - Carnet de bord : décompte d’heures

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AVIS DU DIRECTEUR D’ÉTUDES

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AVIS DES TUTEURS

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CARNET DE BORD

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Cette réflexion interroge l’architecte-concepteur-maître d’œuvre, auteur d’un ouvrage d’architecture, et le rapport que cette production entretient avec sa personnalité, ses envies, ses revendications, les possibilités qui s’offrent à lui au regard d’un contexte et les moyens dont il dispose pour concrétiser une pratique de l’architecture en adéquation avec la défense de convictions et d’idéaux personnels. En parallèle de la question de l’œuvre, et au regard des problématiques de notre époque, il s’agit d’identifier de quelle latitude le concepteur dispose, de sorte qu’il soit en mesure de faire un maximum de choses en pleine conscience et en toute connaissance de cause, en préservant autant que possible son intégrité intellectuelle et morale. Quelle liberté, quelle emprise, quelle crédibilité lui est-il permis d’avoir, quelles sont les conditions qui régissent ces paramètres, et comment peut-il parvenir à conforter son degré d’action dans le processus de création de l’ouvrage ?

Mémoire encadré par M. De Dinechin dans le cadre de l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre de l’architecte diplômé d’État. Année universitaire 2017/2018. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand, 85 rue du docteur Bousquet, 63 100 Clermont-Ferrand.

Convictions - Engagement - Conscience - Responsabilité - Résistance Non-complaisance - Ecriture - Auteur - Œuvre


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