Note méthodologique – Matériaux pour un reportage uchronique Rédigée à l’occasion de la publication du livre collectif Le jour où le mur de Berlin n’est pas tombé, édition Les Uchroniques
Où partir pour trouver les images de l’actualité d’une chronologie altérée ? De quelles archives ramener la documentation essentielle ? Le travail de recherche uchronique suppose un voyage singulier dans la durée qui s’effectue dans l’interstice où se chevauche le scientifique et l’imaginaire. Les événements qui précèdent le point d’inflexion historique sont autant de points de tensions. Des probabilités desquelles il est possible de partir en reportage : Irlande du Nord, 1971, premier soldat mort, photo de Don Mc Cullin. Iran, 1986, entrainement au tir, photo de Jean Gaumy. Chine, juin 1989, massacre sur la place Tien An Men, photo de Stuart Franklin. L’image contient ses propres lignes de fuites, des prémices de mouvements, de là peuvent procéder les déplacements d’images1 du journaliste. Tapi dans les ombres de la photographie, le dessin court, par couches noires puis blanches, sédimente le passage de l’imagination, puis les noirs à nouveaux nous dégrisent ; l’épaisseur donne le sens de la durée. La laisser2 venir, pour lui rentrer dedans, l’étaler sur le carreau ; la durée ne doit pas dormir. Le centre de l’action n’a que peu d’importance, il voudrait s’imposer à l’image, flatté par les projecteurs. Mais le reporter s’en défie. Les seconds rôles, sont à observer avec attention. L’arrière plan de l’évènement est le motif, le paysage qui motive l’histoire. Le mur tombe sous la poussée des masses, contre toutes les attentes des figures de proues historiques. Il ne reste debout que par une modification des mouvements de fonds, des enchevêtrements de décisions s’érigeant où non en déferlante. Laisser poindre cette montée inéluctable du fond sur la figure 3. Entrer dans sa logique. -
Chine, mai 1990, Tien An Men mascarade. Iran, 1992, les entraîneuses se tirent, rencontre avec saint Benoît. Irlande du Nord, 2007, dernier soldat en vie.
Louis Vitalis
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« On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. » Gaston Bachelard, L’air et les songes, essai sur l’imagination du mouvement, José Corti, Paris, 1943, p. 7. 2 « Laisser la vie en vie, faire revire, saluer la vie, « laisser vivre », au sens le plus poétique de ce qu’on a hélas transformé en slogan. Savoir « laisser », et ce que veut dire « laisser » c’est une des choses les plus belles, les plus risquées, les plus nécessaire que je connaisse. Tout près de l’abandon, du don et du pardon. » Jacques Derrida in Jacques Derrida et Elisabeth Roudinesco, De quoi demain… entretien, Fayard, Paris, 2001, p. 17 3 « tout n’est que fond(s) : flux intriqués et inextricables, au sein desquels chacun trame le destin de tous » Yves Citton, « Politiques de fonds », in La Revue des Livres, n°13 septembre - octobre 2013, p. 26.