rapport de licence

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L’e s q u i s s e ,

lieu de la première traduction de l’idée

V I TA L I S L o u i s

Rapport de licence 2011 / tuteur : Dana Joulin / moniteur : Adriana Diaconu / E c o l e N a t i o n a l e S u p é r i e u r e d ’A r c h i t e c t u r e d e P a r i s V a l d e S e i n e



Sommaire

Présentation / p3 I L’acte d’esquisser construit l’idée / p4 La surface de projection / Le premier trait / Le repentir et l’accident

II L’esquisse dynamise le projet / p8 Un besoin / La réduction d’incertitude / La création de potentiel / Trouver l’équilibre

III L’omniprésence des aspects émotionels et intuitifs / p12 De l’esquisse jusqu’au projet / le plaisir dans la production / L’image stimulante / ...aspect mystique?

IV L’esquisse est déjà un signe / p15 Permanences / Le symbole ses limites / Le silence

Conclusion / p16

Bibliographie / p19 Iconographie / p21

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Présentation Comment une idée peut elle se traduire dans une forme? Ce moment ou l’intellect se confronte à la nécessité de devenir physique, de prendre forme, a souvent été au centre de mes préoccupations. Quelque soit l’intention, elle doit, pour devenir architecture, se matérialiser, au moins de façon intermédiaire (non construite). Cette forme ne devrait pas être gratuite, comme on nous l’enseigne, la mise en forme ne devrait donc pas être prise à la légère? Ces interrogations reviennent continuellement au cours de ces trois années. Le sujet se place donc dans le cadre des processus de conception. Il se détache de l’ensemble du processus en se concentrant sur sa première phase : l’esquisse. Comment au travers de l’esquisse, l’idée se traduit ? L’esquisse est entendue ici comme le premier jet, l’ébauche, le brouillon quel qu’il soit ; dessin, maquette d’étude, texte, collage, esquisse informatique... Cependant le dessin ayant une histoire plus longue (histoire de sa pratique, histoire des réflexions à son sujet), il sera au coeur du sujet. L’idée peut être envisagée comme «La grande idée», génératrice du projet, autant qu’une idée à propos d’un détail, les idées interviennent donc tout le long du processus de projet. L’idée pourra aussi porter sur la signification. Le rapport se place dans le domaine de la théorie voire de «l’architecurologie» et recoupe d’autres domaines comme l’art plastique. L’enseignement du projet est ainsi la trame principale du rapport. Elle est enrichie par des esquisses d’architectes praticiens. Le rapport aborde d’abord l’étude de l’esquisse en tant que telle, à travers son déroulement qui du premier trait, avec ses accidents constitue le moment de l’esquisse. Et par la suite, les conséquences qu’elle peut avoir sur la conception du projet. Cette étude dégage plusieurs thèmes: - Le fait d’esquisser est un moment complexe, son déroulement semble s’immiscer dans le champs de l’idée. Ainsi dessin/dessein entretiendraient une relation au delà de l’étymologie. - La modalité d’esquisse parait donc décisive, nous verrons ainsi les conséquences qu’elle peut avoir sur la conception architecturale et les dérives qu’elle est susceptible d’entraîner. - L’esquisse devenant une modalité personnelle, potentiellement risquée, elle revêt un aspect émotionnel et intuitif. Ces aspects sont a prendre en compte pour l’influence qu’ils ont sur le déroulement du projet. - Ainsi, la question initiale sur la forme porteuse d’idée est légèrement déplacée, mais la question des rapports forme/sens reste présente. L’esquisse faisant apparaître une forme pour l’idée.

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I L’acte d’esquisser construit l’idée Cette partie s’appuie sur la notion de phénoménologie du dessin énoncée par l’historien de l’art David Rosand (La trace de l’artiste (1)), il s’agit d’étudier ici l’immanence de l’esquisse, son déroulement même. L’esquisse sans même qu’elle soit particulièrement architecturale (elle pourra ici se rapporter à la musique, à la peinture, à l’ingénierie) se construit par plusieurs phénomènes en apparence naturels dont les plus incontournables sont analysés ici.

La surface de projection

Avant le dessin, au commencement, l’individu se trouve confronté à la surface sur laquelle il va dessiner, sur laquelle il va projeter son idée. Cette surface uniforme, souvent blanche, semble neutre, pure, du moins elle est encore pure d’aucun dessin. L’imagination la parcourt du regard projetant ce qui va être, ce qui devra être dessiné. Et à mesure que l’on retarde ce moment, la neutralité devient effrayante; la page blanche avoue l’inaction. Mais cette terreur pousse a questionner la neutralité de la surface. A y trouver un déjà-là , dans le grammage, le trammage du papier, le choix de papier recyclé, kraft... même les tâches et les ombres forment un ensemble de préexistences plus ou moins hasardeuses qui donnent un point de départ rassurant au dessin. A la manière de ce dessin de René Oghia (ill.1) qui construit tout le portrait à partir de la tache d’encre.

ill. 1 portrait de Marc Fausset, René Oghia La tâche de la chevelure forme le dessin

La 1ère ligne

Si la surface est neutre alors dessiner c’est dynamiser «La ligne, rompant la vacuité de la surface, l’anime, lui force à avouer son pouvoir latent, à participer à un dialogue de pleins et de vides.» (David Rosand op. cit.). En effet, c’est l’introduction d’une action. Dès lors il se passe quelque chose, la ligne partage le blanc, elle prend position sur le papier. Et, directement soumise à l’oeil impatient, la ligne se confronte a l’idée présentie. Cette rencontre met en exergue la différence entre la ligne idéale et la ligne concrétisée comme le montre Saul Steinberg (ill.2). Cette différence est aussi celle de la personnalité de la ligne, de son caractère (ill.3). L’acte de dessiner révèle ainsi les qualités inattendues du trait, ses épaisseurs, la façon dont il glisse sur le papier ou l’accroche en déposant des marques par paquets plus ou moins continus. Le trait ouvre ainsi un champs de sensations.

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ill. 2 Saul Steinberg. Le trait dessiné / la ligne idéale

ill. 3 Saul Steinberg. Les personnalités de la ligne

Mais, l’affrontement avec la matérialité est souvent décevant. La première trace souille la pureté de la surface. L’idée jamais dessinée a du mal a se retrouver dans la première trace, l’image imaginée ne correspond pas à l’image perçue. L’esquisse encore incomplète donne au premier trait une importance démesurée trahissant le manque environnant. De plus l’image est imposée dans un format, cadrée : la première ligne compose avec le bord de la feuille ce qui ne pouvait être envisagé mentalement. Alors, pour éviter cette frustration, on peut aussi laisser courir le trait pour voir ce qui se produit, ce qui émerge, avec au travers des yeux l’imagination qui court elle aussi (ill.4). «Qui commence un dessin peut confier le Dessein aux mains du dessin à venir. (ouvrir «sans voir» comme on dit au jeu de poker quand on fait une une ouverture avant d’avoir regardé se propres cartes)» (Emilio Tadini, Dessein, dessin dans Institut du dessin, (2)) L’esprit et l’outil sont intimement lié, le trait rêve.

ill. 4 Saul Steinberg. L’imagination cours avec la ligne

Cette attitude d’exploration est susceptible de déclencher des possibilités enrichissantes. «Alvar Aalto racontait que parfois, lorsque le projet était en panne, il commençait un dessin sans aucun lien avec le projet, et quelque fois il trouvait ainsi l’ouverture dont il avait besoin pour trouver une idée» (Alvaro Siza, 2008 (3)) 5


Le repentir et l’accident

Le trait vécu comme un erreur nous mène au repentir. Il faut le reprendre, le corriger mais quoi qu’on fasse la trace reste sur le papier, il va falloir faire avec, composer avec... Léonard de Vinci nous offre un exemple édifiant de l’utilisation de ses repentirs dans son étude d’un cheval cabré (ill.5). Ils participent de façon frappante au mouvement de l’animal : Les enchevêtrements de traits au niveau de sa tête retranscrivent bien sa confusion et les pattes en surnombre qui donnent une vibration au dessin et anticipent presque la chronophotographie.

ill. 5 étude d’un cheval cabré, Léonard de Vinci. Les repentirs participent au dessin.

Ces erreurs sont autant de qualités imprévues apportées au dessin. Elles pourront même être recherchées à travers une technique de l’accident assez proche de l’improvisation musicale. «Sous la main d’Hokousaï, l’accident est une forme inconnue de la vie, une rencontre des forces obscures et d’un dessein clairvoyant. Parfois on dirait qu’il l’a provoqué, d’un doigt impatient, pour voir. C’est qu’il est d’un pays où loin de dissimuler par une restauration trompeuse les cassures d’une céramique brisée, on en souligne d’un filet d’or l’élégant parcours. [...] C’est un prestidigitateur [...] qui tirerait parti de ses fautes, de ses manques de touche pour en faire des tours, et jamais il n’a plus de grâce que lorsque qu’il fait de l’adresse avec ses maladresses.» nous confirme Henri Focillion (La vie des formes suivie de l’éloge de la main (4)). On pourrait se demander ainsi si la tâche du dessin de René Oghia n’a pas été provoquée. Henri Focillion ajoute «La plume cassée et qui crache, la pointe de bois émoussée, le pinceau ébouriffé travaillent dans des mondes troubles, l’éponge libère des lueurs mouillées, des traces de lavis constellent l’étendue. Cette alchimie ne développe pas comme on le croit communément, le cliché d’une vision intérieure : elle construit la vision, lui donne corps, elle en agrandit les perspectives.» 6


Comprenons que ces phénomènes sont soumis tout le long du dessin a notre perception : «Nous réagissons [...], aux particularités de la ligne, à la façon dont elle est tracée, à la nature de la marque laissée, à son matériau, à la pression et à la vélocité de la main qui l’a faite, à sa physionomie et à sa résonance affective plus générale.» (David Rosand op. cit.). Le dessin se forme au coeur du triangle oeil-esprit-main dans une interaction continuelle. Ainsi, le procédé inductif initial (mettre l’idée dans la forme) est contrebalancé par un aspect déductif (la réaction aux perceptions graphiques) qui émerge pendant le dessin.

Jacques Derrida nous rappelle «le dessin a toujours été plus que le dessin [...] dessiner, désigner, signer, enseigner. [...] N’a t’il pas toujours été impossible de penser [...] la responsabilité du trait sans l’attirer d’un seul et même geste vers celles, conjointes et affines, de tout ce qui fait signe (vers la chose même, le designatum de toute réference et de tout dessein)» (Le dessin par quatre chemin dans Institut du dessin op. cit.). Ainsi donc les phénomènes propres a l’élaboration du dessin développent une force telle que l’acte de dessiner fait irruption dans la construction de l’idée. L’idée n’était donc que pressentie elle n’a pas le caractère fini, abouti que nous lui prêtions. Cette étude pourra être transposable a d’autre type d’esquisses comme la maquette par exemple. Expérience personnelle : Cette esquisse réalisée en parallèle du rapport de licence sur un projet de logements sera successivement commentée.

On peut voir ici comment l’esquisse s’est construite a partir du dessin. D’abord les faux traits sont nombreux, leur jeté permet de vaincre la page blanche. Ils sont parfois violemment accentués lorsqu’ils semblent être bons. La surimpression de hachures a été rendue nécessaire par l’utilisation d’un stylo en fin de vie. Elle a permis de créer de fortes ombres. Je souhaitait crée une superposition de couches, qui permette a la tour d’articuler l’espace. C’est par ces ombres que j’ai pu rendre cet rendre cet effet. Les traits se sont organisés en rythmes créant ainsi des vibrations toutes gestuelles qui se répondent

et s’opposent. Elles renforce l’effet de couches, et suggèrent en même temps une utilisation particulière des matériaux. Me rendant compte a un moment donné de l’esquisse que la tour était trop basse par rapport a ce qui était prévu dans le schéma urbain, j’ai dessinée d’un coup le volume de la partie supérieure, tandis que la partie inférieure s’était construite couches par couche. Ce volume inattendu émergeant des strates m’a plu. Il a été conservé comme un signal qui sera vu de loin.

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II L’esquisse dynamise le projet

Alors si l’esquisse peut s’immiscer dans le champs de l’idée, elle revêt dans le même temps une importance capitale pour l’élaboration du projet. Voyons comment l’esquisse agit après sa réalisation dans le processus de conception.

Un besoin

L’esquisse apparaît d’abord comme une étape. L’idée sera projetée une première fois de manière embryonnaire, étant difficilement dessinée parfaitement du premier coups. L’esquisse assumant la fonction de brouillon elle est nécessaire en tant que point d’appuis pour le reste du projet. Elle porte en elle les directions du projet mais aussi son possible échec. L’esquisse représentant l’idée traduite (comme une base développée par la suite), elle est un besoin, puisqu’elle énonce comment l’idée sera traduite. Mon projet de médiathèque du semestre 5 montre bien se besoin. L’idée était de se mettre intimement en relation avec deux énormes cheminées présente sur le site qui constituaient pour moi le genius loci du site. La tentative d’esquisse (ill.6) montre bien l’envie : comment créer cette relation? Puis l’échec sur lequel elle aboutie qui sera lourd de conséquences comme nous le verrons.

ill. 6 esquisse pour la médiathèque du semestre 5. Les possibilités de relations avec les cheminées étaient supposées rayonner autour du croquis des cheminées, seules trois maigres possibilités sont envisagées.

«Entre la sécrétion mentale et la production d’une oeuvre qui la restitue et la transmette, il y a, c’est bien vrai, une très difficultueuse opération de mise en forme que chacun doit inventer telle qu’elle convienne a son propre usage. C’est bien plus vite fait d’y utiliser la formule de mise en forme que tient toute prête à disposition la culture.» Dubuffet (asphyxiante culture (5)) nous met en garde ici sur les dangers d’uniformisation que peux représenter l’esquisse. Ainsi si l’esquisse est un besoin, c’est aussi un besoin de trouver sa modalité d’esquisse personnelle. Celle qui permettra à la fois d’avancer le projet et d’ouvrir sur des potentialités nouvelles. On verra comment la modalité choisie a un impact sur le futur projet et n’est pas sans risques.

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La réduction d’incertitude

L’esquisse permet en premier lieu de réduire l’incertitude car elle simule graphiquement l’idée comme le montre Lebahar (le dessin d’architecte (6)). «A chaque problème son dessin. A chaque information valable ca vérifiée sa place dans le dessin plus large qui conserve tout ce qui a déjà été décidé graphiquement. En d’autres termes au fur et a mesure que la recherche de l’architecte se rapproche de son but, sa connaissance s’accroît en quantité et en précision et, de là, ce que représente le dessin, s’enrichit de nouvelles solutions en les intégrant aux anciennes.» C’est a dire que le flou caractéristique dans lequel se trouve l’idée est immédiatement précisé par le premier jet : Si un mur est représenté par un trait droit alors le mur n’est pas courbe, et tous les éléments se trouvent de la même manière précisés. Cette précision va ensuite croissante au cours du processus de conception. L’esquisse représente cette première entrée en matière avec la précision. Elle est essentielle pour l’avancement du projet, elle pourra déterminer la faisabilité de l’idée. Une fois accomplie l’esquisse est une base pour l’avancement du projet.

La création de potentiel

«Un plan très bien fait permet des corrections plus sûres qu’un croquis. Par contre, l’imprécision de se dernier est en elle même polyvalente et une erreur de maquette peut ouvrir la voie a une proposition imprévue...» (Emili Donato, 2001 (7)) En effet, une des particularités de l’esquisse réside dans son caractère ouvert. L’esquisse une fois accomplie sert comme référence pour l’élaboration du projet. Elle permet de rêver un monde. Si le mur est représenté par trait gras voir une tache, il pourra aussi bien être une baie vitrée. Le fait que l’on puisse y voir différentes choses, les revoir sous des angles changeants; cette capacité qu’a l’esquisse de pouvoir être interprétée crée un potentiel pour le projet encore en germe. C’est une des grandes qualités des esquisses de Renzo Piano (ill.7) notamment parce qu’elles mélanges coupe et croquis dans un même dessin, mais aussi des éléments non architecturaux. Ici on peut voir les volumes des théâtres, mais aussi des intentions comme la centralité représentée par la spirale, des rythmes et des notes per-

ill. 7 Parco della musica auditorium, sketch by Renzo Piano.

sonnelles.

Trouver l’équilibre

La réussite d’une esquisse résiderait dans sa capacité à être la fois une précision de l’idée et une création de possibilités. «C’est grâce au caractère ouvert de l’idée - c’est a dire donnant lieu a plusieurs possibles - que l’architecte peut effectuer des choix qui ne seront pas nécessairement arbitraires. En ce sens, un parti architectural trace des directions, mais il fixe également les limites à la liberté totale.» BOUDON Philippe (La conception architecturale, cours d’architecturologie (8))

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Mais cette double tension constitue un équilibre fragile. Reprenons le projet de médiathèque du S5, l’incapacité d’esquisse ma conduit a créer la relation avec les cheminées sous forme d’un cadrage qui donne sa direction au bâtiment. Matérialisé naïvement par la maquette (ill.8) d’un parallélépipède orienté sur les cheminées. Cette esquisse a réduit brutalement les incertitudes volumétriques à tel point que j’ai été coincé par la prégnance de cette image : au rendu final la médiathèque était effectivement un parallélépipède (ill.9)... Trop réduire l’incertitude est donc un danger de l’esquisse.

ill. 8 la maquette d’étude pour la médiathèque

ill. 9 le projet dans son état final. La volumétrie malgré quelques changements en façade est rigoureusement la même.

A l’opposé, prenons l’esquisse informatique de Patrick Berger pour le projet des Halles de Paris (ill.10). Cette esquisse est très floue, le projet apparaît comme une goutte d’encre se répandant dans un liquide, une suspension flottant dans l’air. Des jeux surprenants de transparences et de superpositions créent une atmosphère irréelle, immatérielle. L’esquisse va très loin dans l’imprécision. Mais cette imprécision lui est dommageable : le projet en approchant de sa construction ne cesse de perdre les qualités de légèreté aquatique présentes dans son esquisse. En effet le plan à d’abord été mis au carré, puis la structure nécessaire pour porter cet immense voile est venue épaissir cette membrane par d’immenses poutres puis l’ajout de la couverture puis les chaineaux (ill.11)... Trop créer d’incertitudes représente ainsi un autre risque.

ill. 10 Patrick Berger, images de l’esquisse pour le projet canopée (des nouvelles Halles de Paris). On peut voir des formes fluides qui se développent librement dans l’air toute en transparence.

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ill. 11 Patrick Berger, images du projet canopée présentées au pavillon de l’arsenal. On voit comment à la veille de sa construction, la réalisation technique du projet (niée dans l’esquisse) opacifie et épaissit cette couverture.

L’esquisse utilisée comme point de départ dans le processus de conception, a un impact fort sur le projet. Elle est la première mise en forme de l’idée, l’idée a besoin de l’esquisse pour se concrétiser. Le niveau de certitude qu’elle donne est décisif. Il pourra porter le projet ou bien le bloquer définitivement. L’esquisse si elle appelée a être relue devrait alors posséder des possibilités d’interprétation.

Expérience personnelle : Cette esquisse semble tenir l’équilibre : Elle réduit l’incertitude de savoir comment créer cette articulation, ce retournement ; Apparemment le système de stratifications verticales semble marcher, il se dégage visiblement 2/3 étages types. Des ébauches de plans tentent de tirer les conclusions du croquis. L’utilisation de patatoïdes permet de ne rien figer. Dans le même temps, le décalages des étages les uns par rapport aux autres sont assez imprécis, ils feront l’objet d’un calage par la suite, les ouvertures ne sont qu’ébauchées, essayées, elles ne contraignent pas le projet. L’incertitude sur le bâtiment d’arrière plan (d’où la superposition) pourra être l’objet de modifications.

Suite a une vérification 3d les proportions de la tour se sont révélées fausses, remettant en cause la faisabilité de l’esquisse. Il faudra donc s’en détacher en conservant ce qui est transposable.

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III L’omniprésence des aspects émotionnels et intuitifs

Nous avons vu que l’esquisse depuis son déroulement jusqu’a son interprétation entretient des rapports intimes avec son créateur. L’esquisse revêt un aspect émotionnel fort, elle semble faire intervenir aussi l’intuition.

De l’esquisse jusqu’au projet accompli

Notons que ces rapports intuitifs sont présents à la fois au début du projet comme a la fin; La phénoménologie du dessin peut être ainsi relue sous cet angle. Les perceptions du dessinateur et ses réactions provoquent des émotions qui influent sur l’esquisse. C’est aussi parce que l’esquisse est une prise de risque (se confronter a la surface pure, être surpris voir déçu par ses propres traits, se rattraper tant bien que mal) qu’il génère tensions et jubilations, soit des émotions fortes. Tout cela contribue à donner un caractère intuitif à l’esquisse : C’est a dire qu’elle ne procède pas uniquement par le raisonnement ou l’expérimentation mais ce sont des sensations spontanées qui construisent une vision pressentie. Symétriquement, lorsque l’on expérimente un projet construit les premières opinions qui nous viennent sont liés a nos sensations. Et quelles que soient les intentions de l’architecte, ce sont nos émotions qui vont guider notre appréciation, a plus forte raison si l’on n’est pas initié à l’architecture. Cette prise en compte de l’émotion est très forte dans l’architecture de Zumthor, elle fait à la fois partie de son travail quotidien «je pense que c’est l’émotion et l’inspiration qui donnent naissance a la substance fondatrice propre de l’architecture. Les précieux instants d’inspiration surviennent au cours d’un patient travail. Avec une image intérieure soudainement surgie, un nouveau trait sur le dessin, tout l’édifice parait se transformer et se reformer en une fraction de seconde. [...] La joie, la passion me gagnent.» (Penser l’architecture(9)). Mais elle est aussi un objectif, Zumthor ne cherche pas a produire des objets signifiants, mais, par des volumes fort, à provoquer une émotion intelligente.

ill. 12 Zumthor, esquisse de la chapelle nicolas de Flües

Le plaisir dans la production

L’aspect émotionnel nous conduit à aborder la notion de plaisir. Le plaisir étant une émotion positive, elle contribue a créer une atmosphère de travail enrichissante. Cyril Simounet intervenant pendant le cours de Remy Butler le 10/05/11 disait de William Morris, qu’il cherchait à libérer le travail pour que le plaisir (notamment celui du geste de la cycloïde propre à certains ornements préraphaélites) engendre des possibilités de créations artistiques. Le plaisir devient une condition pour que l’idée puisse émerger. 12


Une image stimulante

Philippe Boudon (La conception architecturale, cours d’architecturologie, op. cit.) définit les images stimulantes comme des images perçues ailleurs qui informent et suscitent la production a venir. L’esquisse peut être considérée comme une image stimulante : par le plaisir qu’elle apporte au sein de la conception et les qualités d’interprétation qui lui sont propres elle est susceptible de stimuler le futur projet. Ainsi, un projet réalisé pour le Concours Acier 2010/2011 a été complètement relancé par une esquisse : Notre équipe était dans une phase peu productive, une sorte de panne s’était installée depuis que les grande lignes avait étés lancés, nous peinions à avancer. Nous n’arrivions pas a entrer dans les dessins de structure de façon probante. L’esquisse sous forme de trois croquis (ill.13) assortis de quelque mots évocateurs réalisée subitement dans le métro sous l’influence d’une image mentale forte a stimulé toute la conception du projet. Elle a provoqué un regain de plaisir (à la fois dans sa réalisation et dans sa contemplation) et nous a permis de dessiner jusque certains détails structurels. L’esquisse nous permettait de voir de nouvelles possibilités dans la continuité du projet que nous étions incapable d’envisager avant. ill. 13 esquisses pour le projet du concours Acier habiter un pont.

... et mystique ?

Ces spontanéités qui échappent à la raison et aux processus systématiques conduisent à s’interroger sur une possible mystique de l’esquisse. Henri Focillion (op. cit.) nous parlait déjà d’un Hokousaï prestidigitateur a propos de l’accident comme une rencontre avec des forces obscures. Il va plus loin «.Il s’agit de la capturer au vol, et d’en extraire toute la puissance cachée». Il existerait au cours de l’esquisse des influences imperceptibles. En effet la gestuelle prise comme un jeu avec un imprévisible provoqué, prête au hasard des qualités irrationnelles, une force susceptible de guider la main et l’esprit. L’on se remet aux preéxistances et aux accidents. Henri Focillion énonce à propos de Victor Hugo «Ces sortes d’esprits ont besoins de repères. Il faut à la devineresse, pour surprendre la configuration de l’avenir, en chercher les premiers linéaments dans les tâches et dans les méandres que laisse le marc dans un fond de tasse.» (op. cit.). Et les dessins de Victor Hugo sont éloquent sur le sujet (ill.14). D’une certaine façon l’architecte Frank Gehry s’en remet au hasard lorsqu’il chiffonne un papier puis s’appuie sur ces pliages hasardeux, non maitrisés pour son projet. Faire acte de création est lié à la mise en forme de l’idée, mais ce n’est pas une création ex nihilo, originale, il s’agirait plutôt d’une inspiration, d’une révélation. L’esquisse étant l’objet d’interprétations elle soulève aussi toute la question de la vision, à la fois comment l’on donne vie par le regard à l’esquisse et comment quelques traits et tâches permettent de rêver des possibles. C’est en même temps la vision anticipatrice, prémonitoire qui peut être guide le projet. L’esquisse nous renvoit enfin au signe, les rapports signifiant/signifié établis pendant l’esquisse sont très puissants. Le geste est capable d’un trait de créer un mur, d’une tâche de percer une façade, d’effacer, de transformer... 13


Détail, la recherche graphique de la plume, les taches provoquées

ill. 14 Victor Hugo, Souvenir de Normandie, 1859. Le dessin fait participé les forces obscures

L’esquisse est ainsi soumise aux spontanéités de l’émotion et de l’intuition qui peuvent jouer un rôle important dans le processus de conception. Prêter attention a ces phénomènes non rationnels peut enrichir l’esquisse d’autant qu’ils se retrouvent lors de la perception du projet fini.

Expérience personnelle : Cette esquisse est l’objet de fortes émotions. Au cour de sa création elle a suscitée beaucoup de plaisir. Par endroit on peut même voir une pure jouissance du trait qui s’exagère dans les hachures. L’ignorance de départ (comment transcrire cette articulation en couches successive?) a fait de cette esquisse une prise de risque qui s’est transformée ensuite en plaisir. Mais elle est aussi un plaisir à regarder, parce qu’elle ouvre un champs d’évocation nouveau. Offrant ainsi aux projets des solutions en devenir. Le fait qu’elle ait été invalidée par une vérification 3d constitue une difficulté. Il faudra se détacher de ces émotions et rationnellement décider de ce qui est transposable aux proportions de la vraie tour. 14


IV L’esquisse est déjà un signe

Ainsi, la question «comment mettre une idée dans une forme?» se trouve déplacée par l’acte de l’esquisse puis les influences émotionnelles et intuitives. Posons la question à l’envers : comment une forme peut elle être porteuse d’une idée? Une fois l’esquisse faite, l’idée apparaît dans une forme censée être son réceptacle. L’esquisse constitue un signe ; elle est le support (signifiant) d’une idée (signifiée). La forme comme on l’a vue dans le projet de médiathèque du semestre 5 peut être prégnante, les images ont une puissance, il conviendrait de s’interroger sur ses possibles significations en amont. Aussi, l’esquisse en tant que matérialisation intermédiaire de l’architecture, elle peut anticiper la signification éventuelle de l’édifice. Analysons quelques rapports de significations comme clefs pour l’esquisse.

Permanences

Les significations d’un élément formel peuvent être nombreuses, complexes et variables (selon l’époque, l’endroit, la perception...). Notons qu’il existe néanmoins des permanences très fortes : Historiquement d’abord, le soubassement de la colonne en est un bon exemple: L’ancien poteau de bois nécessitait un soubassement en pierre pour des raisons technique (humidité, pourrissement). Lorsque qu’une avancée technologique à permis l’élaboration de colonnes de pierre le soubassement a été conservé. Il n’avait pourtant plus de raisons technique. L’élément a donc perdue sa fonction technique première mais il a des significations supplémentaires (habitude, décor, style...) auxquelles l’Homme est attaché. De même, les premières tables en formica étaient simili bois. Géographiquement, aussi : Prenons le signe chinois qui désigne l’homme et la rune qui désigne l’homme : Leurs parenté est frappante. Ainsi au moment de l’esquisse il conviendrait d’être conscient des significations éventuelle des éléments manipulés.

Le symbole, ses limites

La force de ces signes qui traversent les époques et les lieux nous amène a la notion de symbole. Le symbole serait l’objet signifiant qui aurait une relation naturelle, évidente avec son signifié. Un bâtiment pourrait être symbolique. Mais peut il être uniquement l’expression d’un signifié précis? Robert Venturi nous montre l’importance de significations ambiguës et même contradictoires propres au vécu quotidien. Il montre comment la simplification est une réduction, une élimination des complexités inhérentes à la vie par la sélection des réponses apportées. «Quand la simplicité ne convient pas au programme, elle devient simplisme. Des simplifications criardes donnent une architecture sans saveur. «Less is a bore».» (De l’ambiguité en architecture (10)). La force du symbole semble donc être dépassée par ses limites

Le silence

Zumthor nous propose une autre voie : l’absence de signification. «Peut être la poésie est-elle la vérité inattendue. Son apparition requiert le silence. L’architecture a pour tâche artistique de donner forme a cette attente silencieuse.» (Penser l’architecture, op. cit.) Il recherche des formes fortes qui affectent directement nos sens. Le regard qui se pose sur les formes éveille nos sensations, les sensations tout de suite intelligentes, les forment donnent la Stimmung ( à la fois évocation, ambiance, état d’âme, atmosphère). Il refuse de manier des formes signifiantes qui seraient au détriment de l’émergence de l’atmosphère. Cette analyse s’appuie sur le cours de Donato Severo topos typos et tectonique sur Peter Zumthor. 15


Cette réflexion sur les significations vise à rendre conscient un des aspect inhérents à la mise en forme de l’idée. Il ne s’agit pas pour autant de chercher a échapper aux aspects spontanés de l’esquisse. Simplement il convient de conserver une distance permettant de rester en alerte sur la puissance de l’image une fois qu’elle a surgie même sous la forme fragile d’une esquisse.

Expérience personnelle : Cette esquisse représentant une tour du projet urbain préalable assume certaines significations. A proximité, la tour assume la fonction d’articulation des rues plus ou moins étroites et d’une place plus cachée. Ce potentiel d’articulation est un phénomène courant, il s’inspire notamment de la magistrale place St Marc. A distance, la tour dépasse du tissu urbain, cette façon de faire signal est envisagé par un traitement différent de la partie supérieure plus uni donnant cette sensation d’émergence. Conventionnellement c’est l’image du phare qui est réutilisée.

Conclusion

Esquisser représente le premier acte de la traduction de l’idée. Nous avons vu qu’il constitue un processus en lui même au sein du processus de conception général. D’abord, il agit sur l’idée originelle, en la rendant matérielle il là transforme la malmène voire l’invalide. Puis il représente une dynamique pour le projet, en tant que référence ultérieure l’esquisse dirige le projet. L’ensemble de ces relations (esquisse-idée / esquisse-projet) sont fortement teintées par l’émotion et l’intuition, qui confèrent a l’esquisse un caractère de spontanéité et de non raisonnable. Mais l’esquisse en tant que mise en forme de l’idée revêt aussi des rapports de significations puissants, l’esquisse est un signe. Ici, en se confrontant avec la forme, le fond fait apparaître un champs de sensations inattendues propre au domaine de la forme. L’expression rencontre l’impression qu’elle fait naître. Cette dualité semble avoir de fortes proximités avec le débat disegno / colorito de la peinture de la renaissance.

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Bibliographie

- (1) David ROSAND, La trace de l’artiste, editions Gallimard, 1993, p.15 puis p.17. - (2) Emilio TADINI, dessin Dessein, dans Institut de dessin, Fondation Adami, édition Skira, 1996, p.13, puis Jacques Derrida, le dessin par quatre chemins, p.21. - (3) Alvaro SIZA interviewé dans Alvaro Siza : une question de mesure, Dominique MACHABERT et Laurent BEAUDOIN, éditions le moniteur, 2008, p.112. - (4) Henri FOCILLION, La vie des formes suivis de l’éloge de la main, Presses universitaires de France, 1943, p.121. - (5) Jean DUBUFFET, Asphixyante culture, les éditions de minuit,1986, p.36. - (6) Jean-charles LEBAHAR, Le dessin d’architecte, simulation graphique et réduction d’incertitude, édition parenthèses, 1983, p.20. - (7) Emili DONATO interviewé dans Emili Donato : dessin d’architecture, Stéphane GRUET, Carless Marti ARIS, Armando OYARZUN, ediciones del serbal, 2001, p.28. - (8) Philippe BOUDON, La conception architecturale, cours d’architecturologie, édition de la vilette, 1994, p.22 puis p.33. - (9) Peter ZUMTHOR, Penser l’architecture, édition Birkhäuser, 2010, p.21puis p.19. - (10) Robert VENTURI, De l’ambiguité en architecture, édition Bordas, 1976, p.25

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Iconographie

- couverture : esquisse personnelle sur un projet de logements représentant une tour du projet, réutilisée avec plusieurs détails pour chaque encadré experience personelle - ill. 1 : René Oghia, portrait de Marc Fausset, 1967, collection personelle - ill. 2 : Saul Steinberg, dessin figurant dans La trace de l’artiste de David Rosand - ill. 3 : Saul Steinberg, dessin figurant dans La trace de l’artiste de David Rosand - ill. 4 : Saul Steinberg, dessin figurant dans La trace de l’artiste de David Rosand - ill. 5 : Léonard de Vinci, étude d’un cheval cabré, figurant dans La trace de l’artiste de David Rosand - ill. 6 : esquisse personelle rélisée pour le projet du médiathèque au semestre 5 - ill. 7 : Renzo Piano, Parco della musica auditorium, tiré de rpbw.r.ui-pro.com - ill. 8 : photo de maquette d’étude personelle pour le projet de médiathèque du semestre 5 - ill. 9 : image de synthèse du même projet de médiathèque de semestre 5 réalisé pour le rendu final - ill. 10 : Patrick Berger, esquisse de la canopée (projet des halles de Paris), tirés de www.patrickberger. fr - ill. 11 : Patrick Berger, images présentés au pavillon de l’arsenal, tirés de www.pavillon-arsenal.com - ill 12 : Peter Zumthor, esquisse de la chapelle Nicolas de Flües, tiré de http://5osa.tistory.com/2000 - ill. 13 : esquisse personnelle réalisé pour le projet du concours acier 2011 Habiter un pont - ill. 14 : Victor Hugo, Souvenir de Normandie, 1859, tiré de Victor Hugo, récits et dessins de voyages, édition la renaissance du livre

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