MEMOIRE [S e co g n e r à ]
d e s g este s à l a re nco ntre d e l ’ archi te c tu re
Etudiant / VITALIS Louis Sous la direction de / DOUTRIAUX Emmanuel, MORTAMAIS Elizabeth Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Val de Seine Année / 2012/2013
Avant-propos Des gestes ... « Déborder l’économie de la création, agrandir le sang des gestes, devoir de toute lumière » René Char1
Ce mémoire trouve sa place dans un ensemble d’interrogations propres; il commence au pied d’une fascination personnelle pour les gestes. La notion de geste, des gestes, des gestualités -mouvements, parcours, démarches, processions, spectacles, rituels, théâtralités, danses- ce sont, très largement, les gestes humains, ils sont toujours spatiaux et aussi temporels. Quelle définition leur donner alors ? Dans un premier temps nous pourrons dire qu’il s’agit des mouvements de la corporeité qui impliquent une forme de signification. Mais c’est une définition en élaboration, en mouvement, qui se cherche elle-même. Il faudrait en effet poser la question des possibilités ontologiques du geste, ouvrir à ce que peuvent être les gestes. Comprenons que les gestes se réalisent dans divers champs disciplinaires (théâtre, danse, culte…) mais aussi dans le quotidien (démarche, habitude, tic…). Particulièrement, dans la sphère architecturale, les gestes se réalisent dans la pratique, pratique de la conception et pratique de la réception. C’est donc au sein de cette complexité, de ces relations dynamiques et avec une volonté de rendre toute leur ampleur aux gestes, que commence la réflexion. «[the] increasing dessertion by the architectural profession of its responsabilities vis-à-vis the events and activities that take place in the spaces it designs» Bernard Tschumi2
Pour l’architecture, les gestes apparaissent fondamentaux même si ils ont pu être parfois délaissé. Classiquement la représentation architecturale a représenté le plein, et délaissé le vide. C’est dans ce vide, ce non-dessiné, que se déploient les gestes. Pourtant la gestualité n’est-elle pas fondamentale à l’architecture, au sens où un édifice vide de gestes n’offrirait aucune perception vécue ? 1 CHAR René, «Argument 1938» , in L’avant monde, in Fureur et mystère, Gallimard, Paris, 2011(édition originale, Gallimard, 1962), p. 19 2 «La profession architecturale déserte de plus en plus ses responsabilités vis à vis des événements et des activités qui ont lieu dans les espaces qu’elle conçoit » [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, Architecture and disjunction, MIT Press, Londres, 1994, p. 140)
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C’est qu’il s’agit non pas d’étudier l’objet architectural directement mais indirectement, soit son négatif3, la manière dont il est habité, du point de vue du sujet, dans la subjectivité. Elle met l’accent sur la dimension active de l’habiter, les actions et mouvements corporels qu’elle suppose. Une telle appréhension s’oppose par là à l’objectivité qui consisterait à regarder l’architecture extérieurement, objectivement, comme un objet. Nous arrêterons donc sur cela : au sein du rapport plein/vide caractéristique de l’architecture, les gestes sont ce qui advient dans le vide. Cette proposition aura la qualité d’être en puissance et non pas déjà en acte. Il nous reste maintenant à trouver un angle d’approche, pour aborder et défricher un premier morceau gestuel.
3 Benoît Goetz parle par exemple d’un envers de l’architecture : «L’envers de l’architecture et de la ville, c’est à dire les domaines infiniment variés de l’habiter. «Formes de vies» donc, manières, habitus, gestes plutôt que lignes fixes et objet solides.»(GOETZ Benoît, Théorie des maisons, Verdier, Paris, 2011, p. 9)
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Introduction ... au cognement L’étude s’inscrit donc dans ce contexte d’une recherche plus générale à propos des gestes. Nous explorons ici un cas particulier qui a pour but d’amorcer cette recherche sans prétendre l’épuiser; nous nous fixons sur un objet d’étude, un moment gestuel précis, la situation de «se cogner à». Se cogner à; c’est un moment de rencontre; le corps dans son entreprise gestuelle, dans son exploration du vide, rencontre de manière inattendue le plein, il se cogne à l’architecture, ses murs et ses meubles... voire même éventuellement à autrui. Le terme «cogner» renvoie aux coins4, aux aspérités du milieu que les mouvements du corps accrochent plus ou moins violemment, douloureusement. Heurt involontaire, c’est une rencontre accidentelle, elle est vécue non pas passivement puisqu’elle nécessite une action, un geste, mais non intentionnellement (se cogner n’est pas cogner). Elle engage le corps et son milieu comme dans une lutte et les fait apparaître, fortuitement, face à face, confrontés. L’insuffisance de ces quelques lignes sera progressivement corrigée au long du mémoire, par retouches successives qui viendront circonscrire le cognement, en cherchant à le faire distinctement émerger. GLOSES MARGINALES Nous userons de cette marge comme d’une bande passante mettant en rapport le discours principal avec un discours autre. La lecture établira ses propres liens.
Nous aborderons le cognement plus particulièrement à travers la notion de réception, nous nommons réception non pas le moment juridique de la passation instantanée de l’œuvre originelle, mais tout ce qui s’ensuit : c’est la réception des habitants, la façon dont l’œuvre est ensuite vécue (appréciée mais aussi modifiée, dégradée, embellie, détruite...) au cours d’une durée indéterminée. Comment est reçue l’architecture, et quelles ruptures ou continuités la réception peut-elle établir avec la conception. Le cognement est un cas particulier de la réception. Dans un premier temps, l’étude partira de faits empiriques, en interrogeant deux cas, pour distinguer le cognement et montrer comment il englobe une variabilité de situations. L’étude de la réception du projet de Pessac de Le Corbusier montrera un cognement qui se déploie depuis une sphère apparemment culturelle jusque dans le physique à travers le sensoriel et le sensible, se cogner touche à l’ensemble de la corporéité. Ca n’est pas un choc formel. 4 Du latin, cuneus : coin. En fait on maintenait un dispositif de cognement à l’aide de coins. Par extension nous proposons : on se cogne aux coins. (Collectif, Dictionnaire étymologique, Larousse, Paris, 1971, p. 177).
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L’étude de la conception du projet de La Villette de Bernard Tschumi mettra plus précisément en évidence les rapports entre l’architecte concepteur, et les habitants récepteurs. Les possibilités d’anticipations, la prise en compte du hasard et de l’imprévu. C’est en quelque sorte la conception de la réception que nous abordons. L’étude de cas n’a pas ici de fin en soi, elle cherche un point d’appui pour une définition plus théorique, elle agit comme un pretexte à faire émerger des interrogations. Dans un deuxième temps, le mémoire tentera alors de dessiner les linéaments conceptuels du cognement, les questions et les problèmes qu’il pose au delà des stricts exemples. Une description du phénomène de se cogner à permettra de saisir la question du quotidien, comment le cognement permet au sein des habitudes et de l’ordinaire, l’apparition salutaire de l’extraordinaire. A travers les rapports plein/vide5, nous verrons les problèmes que l’étude pose au vue d’une appréhension linéaire : conception (du plein) - construction - réception (du vide). Il est alors nécessaire de sortir d’une logique d’opposition binaire entre plein vide. Pour ne pas s’enfermer dans une déductivité absolue, en dehors de l’étude de cas, il y est opportun de ré-induire d’autres intuitions, propositions et réflexions dans le cours du développement. Dans un troisième temps, nous développerons ainsi quelques notions comme des outils clef pour déborder les contradictions et reconsidérer la situation. La notion d’imprévisibilité permet de revenir sur le déploiement temporel des termes conception et réception. La notion d’érotisme cherche à faire voir des relations subjectives se déployant au travers du sensoriel, du sensible et du cognitif et qui se jouent de la distinction entre expérience et concept. La notion de séparation envisage au niveau sociopolitique la séparation des acteurs (concepteurs et récepteurs) et d’un point de vue critique interroge la réalité de leurs rôles et floue les distinctions. Se faisant, les rapports binaires entre plein et vide sont remis en cause, éclatés ; les termes disjoints se recombinent de manière multiforme et variable couvrant plusieurs champs disciplinaires. L’on pourrait formuler cette étude par la question : Comment penser les rapports plein / vide à travers l’étude du cognement ?
5 Nous n’envisageons pas les rapports plein/vide comme un problème morphologique, mais nous cherchons à comprendre ce qu’ils impliquent au vue de la réception.
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Plan 7
I . Te r ra in exp ér iment al
A. Pessac - Le Corbusier Se cogner à : réception
B. La Villette - B. Tschumi Se cogner à : conception
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II. D e s s in t héo r iq u e d u pro blème
A.
Description du phénomène
B.
Les rapports plein/vide
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III. No t io ns clefs
A. Imprévisibilité B. Érotisme
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C.
(Critique de) la séparation
IV. Conclusion
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Possibilités d’une architecture gestuelle
Sommaire détaillé
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I. Terrain expérimental Pour pouvoir approcher concrètement la situation de se cogner à, nous passerons par le biais de deux cas à ce titre significatifs, ils ont été sélectionnés pour leur propension au cognement et la littérature existante à leur sujet. - Dans un premier temps, le cas de l’opération de logements de Pessac réalisée par Le Corbusier, étudié particulièrement à travers l’ouvrage de Phillipe Boudon1, permettra de dégager la situation de se cogner à dans le moment de la réception du projet par ses habitants. C’est aussi un cas emblématique du mouvement moderne où la vision de la réception est fermée ; les habitants sont sensés s’adapter à une oeuvre immuable. - Dans un second temps, le cas du parc de la Villette réalisé par Bernard Tschumi, permettra de dégager la situation de se cogner à à travers le moment de la conception du projet. C’est un cas emblématique d’une façon de concevoir l’architecture plus contemporaine où le rapport aux habitants est plus ouvert. Remonter du moment de la réception au moment de la conception permet de prendre de la hauteur sur notre objet d’étude, nous pourrons ensuite - pour achever de déconstruire la situation - la relire avec des clefs théoriques.
Ici sont reportés des verbatims des habitants de Pessac.
cf. p54. de l’ouvrage de Boudon pour les références des interviews. (une lettre H/F indique le sexe de la personne suivis du numéro de l’interview)
A. Pessac - Le Corbusier Se cogner à : réception L’étude du cas de Pessac se déroulera en passant d’abord par une présentation générale du projet, nous verrons alors que le cognement est susceptible d’y émerger par la façon dont les comportements des habitants ont été anticipés. Puis, le cognement en lui-même sera décrit à travers le conflit entre les habitants et les toits terrasses. Ensuite, nous en verrons les implications directes par l’appropriation des habitants, et finalement seront abordés des éléments apparemment plus éloignés comme la temporalité du projet et le rôle de l’architecte sur lesquels le cognement rejaillit.
1. Présentation L’opération de Pessac est un ensemble de 51 logements ouvriers construit en 1925 près de Bordeaux. L’opération s’est faite à la demande de Henry Frugès, un industriel qui avait dejà fait appel à Le Corbusier pour la réalisation de 10 maisons ouvrières à Lège, près 1
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BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, Dunod, Paris, 1969
d’Arcachon, en 1921. Frugès est très intéressé par les idées modernes de Le Corbusier, et a fait sa connaissance à travers un article de l’Esprit nouveau. Frugès, promoteur de Pessac fait appel une nouvelle fois à Le Corbusier pour un projet plus ambitieux de «cité jardin»2, dans laquelle il veut laisser libre cours aux idées de Le Corbusier. L’opération est inaugurée en 1927. Le Corbusier est un des représentants du mouvement moderne qu’il a en grande partie théorisé, avec par exemple la définition de cinq points clef 3. Ce mouvement particulier dont nous ne chercherons pas à faire la définition précise se base sur des idées de fonctionnalisme d’intemporalité, et d’acontextualité. L’architecture dite moderne prétend à une dimension universelle4 (elle est la même partout et tout le temps). Elle est fonctionnelle, c’est à dire que le programme est interprété spatialement au vu d’une efficacité rationnelle. Philippe Boudon, architecte, urbaniste et chercheur, fait l’étude du projet dans l’ouvrage Pessac de Le Corbusier paru en 1969 soit 42 ans après sa livraison. La particularité de son étude est l’attention à portée à la réception de Pessac. Il pointe les changements intervenus au cours des 42 ans de réception, la façon dont les habitants on vécu et altéré l’oeuvre de Le Corbusier ; au point que l’on a parlé d’un échec de l’opération (Pessac n’aurait pas réussi parce que les habitants l’auraient dégradé). L’enquête que mène Boudon comme architecte et chercheur, passe alors particulièrement par les outils sociologiques (interviews et observation5). Il participe ainsi -dans le contexte historique des années 60- de l’engouement général pour la sociologie6. Notre développement se propose d’étudier et de remettre dans la perspective de se cogner à la réception du projet de Pessac. N’étant pas l’intention originelle du texte de Boudon cela suppose un certain recul, une lecture particulière du texte.
2 «Je décidais d’établir une cité-jardin de plus grande envergure» Henry Frugès, discours commémoratif pour le 40ème anniversaire des Q.M.F. en juillet 1967, cité dans Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 8. 3 Les pilotis, le toit terrasse, le plan libre, la fenêtre-bandeau, la façade libre. Il les énonce pour la première fois en 1926 à l’occasion de la conception de deux unités d’habitations dans la cité du Weissenhof (FERRAND Marylène, FEUGAS JeanPierre, LE ROY Bernard, VEYRET Jean-Luc, Les quartiers modernes Frugès, édition FLC / Birkhaüser, Bâle,1998) 4 Augustin Berque l’associe -dans un paradigme cartésien-newtonien- a une vision de l’espace selon une géométrie absolue (celle d’un repère homogène et isotrope) apte a mesurer et repérer tout objet (BERQUE Augustin, Écoumène, introduction à l’étude des milieux humains, Belin, Paris, 2000). 5 Avec la collaboration de Claude Nedelec, Raymond et Monique Fichelet 6 Par exemple, après la fin de l’école des Beaux Arts, les sociologues font leur entrée dans les Unités Pédagogiques, les nouvelles structures qui remplacent les ateliers des beaux-arts.
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2. Emergences Pessac à plusieurs égards est un terrain propice à la situation de se cogner à. Notons d’abord que le projet revêt un aspect expérimental, Frugès souhaite expressément que le projet soit un laboratoire pour essayer les idées modernistes de Le Corbusier, nouvelles pour l’époque : soit la standardisation, le purisme, le confort moderne... Idées que l’on pourrait ironiquement résumer par cette citation à la poétique toute angulaire : «La machine est championne et les temps nouveaux sont là. Dressons les beaux plans à l’équerre, bien faits, sains, au service des hommes»7 Bien qu’«au service des hommes», l’expérience de Pessac semble étrangement prédiquer leurs comportements : «L’aspect extérieur ne plait pas toujours au premier abord; mais l’expérience nous a prouvé que l’on s’habitue très vite aux formes simples et pures» 8 Cela semble même prendre des proportions extrêmes à en croire le docteur P. Winter qui écrit enthousiaste dans le journal fasciste Le Faisceau : «On a jamais osé à ce point standardiser.»9 La question se pose alors de voir comment cette anticipation des comportements humains se trouve vérifiée ou contredite à la réception du projet par des habitants inéluctablement singuliers et différents.
3. Le cognement «Que voulut Le Corbusier? [...] un espace prévu, géométrique, composé de cubes et d’arêtes, de vides et de pleins, de volumes homogènes. [...] Et qu’en ont fait les habitants? Au lieu de s’introduire dans ce réceptacle, de s’y adapter passivement, ils ont habité activement, dans une certaine mesure ils ont montré en quoi consiste l’habiter : en une activité.»10 C’est bien l’objet de l’étude de Philippe Boudon, celle d’un conflit entre les intentions de l’architecte et les réactions de l’habitant. Il en pose d’ailleurs l’hypothèse au début de son ouvrage :
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Le Corbusier, Quand les cathédrales étaient blanches, Gonthier, Paris, 1965, p. Frugès et Le Corbusier cités dans Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 16 cité dans Pessac de Le Corbusier, ibid., p. 23 LEFEBVRE Henri, préface à Pessac de Le Corbusier, ibid.
«Un conflit a eu lieu»11 Nous parlerons donc de ce conflit (de l’usage par rapport à l’œuvre) comme une expression particulière du cognement.
«H-15 - Le toit je ne sais pas... je n’y ai jamais été... dessous il y a des fissures... sur le toit ça doit faire cuvette... je ne sais pas... je n’y suis jamais monté... je ne sais pas s’ils ont prévu un écoulement pour l’eau normalement ils auraient dû en prévoir un... ou alors s’ils s’attendent que l’eau s’évapore...» p. 76
«EXT JF- 35 - Ca surprenait par rapport aux échoppes, ces toits en terrasses... ce manque de toit...» p. 75
«EXT F-35 - Ce qui surprend surtout, ce sont ces terrasses... ça fait un peu oriental ces terrasses là...» p. 79 «F-3 - On était des pestiférés... -Comment ! Vous habitez le quartier marocain?...- Et moi, je me disais : «Oh! là! là! et si je m’y plais pas? Qu’est-ce que je vais faire?...» C’était vilain... j’avais l’impression d’entrer en prison!» p. 78
Voyons, comme un des cas parmi d’autres où les habitants se cognent à l’architecture de Le Corbusier, celui des toits-terrasses. Boudon indique : «Ici la persistance du mot toit évoquant un concept et un objet bien connu et l’étrangeté de la chose matérielle dont il s’agit vont de pair...»12 En fait, le toit - notion ô combien sensible- est le lieu d’une rencontre particulière à Pessac. Le Corbusier fidèle à ses idées modernes dessine à Pessac des toit-terrasses (un des cinq points de l’architecture moderne de sa doctrine). Ce qui représente une grande difficulté pour les habitants qui, s’ils ne le perçoivent pas comme un manque, ont en tout cas du mal à en concevoir la réalité. «Au niveau verbal, on comprend alors qu’avant de pouvoir employer le mot simple de «terrasse», il ait fallu employer le mot composé de «toiture-terrasse» ou de «toit-jardin» et l’expression venait pourtant de l’architecte. Dans le public, l’expression n’est pas encore passée.»13 Pour les habitants de la région, la notion de toit renvoie à un tout autre objet. Le toit ici est donc étrange et parait étranger . Cette rencontre entre le toit-terrasse corbuséen et le toit traditionnel bordelais prend la forme d’une confrontation, les habitants bordelais se cognent aux toit-terrasses. Ils rencontrent ces toits étranges pour eux, ils en sont dérangés. La situation est inconfortable. La perception d’un caractère oriental s’origine dans la forme des toits, Boudon en fait l’observation : «Autrement dit, ce qui évoque l’architecture arabe c’est bien la terrasse.»14 Il est intéressant de souligner que le traditionalisme est pour beaucoup dans la réception de Pessac, il constitue comme un socle de références, un ensemble de normes culturelles (qui ont entre autre une dimension architecturale) auquel les habitants sont attachés. «Le «traditionalisme» de la région bordelaise, donnée importante de l’étude.»15
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BOUDON Philippe, ibid., p. 23 ibid, p. 75 BOUDON Phillipe, op. cit., p. 74 ibid., p. 78 ibid., p. 25
La presse et les politiques bordelais expriment particulièrement ce traditionalisme, comme l’énonce à l’inauguration M. De Monzie alors ministre de la construction : «C’est une belle et bonne leçon que donne le pays bordelais. On pouvait craindre qu’il ne fut pas trop disposé à renouveler la grande technique, à bouleverser la vie sociale qui s’oppose à certaines audaces» 16 Le conservatisme de la région rendrait impossible tout renouveau. La confrontation avec les toits-terrasses de Le Corbusier n’en devient que plus pénible. La force de l’attachement aux références locales accentue la douleur ressentie. Nous voyons ainsi le cognement qui se présente sur un mode plutôt culturel. Ceci ne constitue pas en soi une aporie à notre description du cognement. Boudon s’appuie sur des outils sociologiques, ceux-ci supposent des résultats eux même de type sociologique d’ou l’apparente prédominance du culturel. Mais le cognement est tout de même physique puisqu’il passe par le sensoriel et le sensible. Et nous pouvons nous interroger sur cette complexité des rapports entre la dimension culturelle et physique, et leurs interrelations.
ill. 1. Photo du projet originel, auteur non cité (Tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit.,p144)
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cité dans Pessac de Le Corbusier, ibid., p. 14
ill. 2. Le projet en 1967, photo de Boudon. Noter les altérations en particulier les fenêtres bandeau, les couvertures, les rez-de-chaussée (Tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit.,p. 143)
4. Implications Dans la situation de se cogner à interviennent certains événements qu’elle implique directement. a. Existence Le cas du toit est particulièrement significatif. Le cognement donne forme à la notion de toit dans la subjectivité de l’habitant. La non-correspondance entre le toit traditionnel et le toit réellement vécu engendre une notification; l’habitant troublé se rend compte et énonce (cf interview sus-cité (H-15)) son malaise par la description du toit. L’expérience est existentielle, le toit existe pour l’habitant très précisément par le fait qu’ils ‘y cogne. Il n’est pas relégué dans le champ des habitudes et de l’inattention (le toit traditionnel étant habituel ne suscite pas d’attention particulière). b. Altérations Ces cognements conduisent à des altérations de l’architecture par ses habitants. Pour mieux comprendre ce phénomène nous nous pencherons sur le cas de l’échoppe bordelaise, cas qui appuie d’ailleurs notre digression précédente concernant le traditionalisme bor12
«EXT F-32 - L’échoppe c’est... un corridor au milieu, les pièces de chaque coté, une véranda derrière, puis voilà le style bordelais, quoi! (...)» p. 80
«EXT F-33 - ... mes parents ont toujours eu une échoppe... c’est peut être pour ça que je voudrais un couloir central» p. 81
«H-3 - [...] il y en a beaucoup qui ont fait une cloison, là, pour ne pas dire «j’entre directement»... non! ça leur plaisait pas... Fallait qu’ils rentrent comme dans les maisons d’où ils venaient là-bas... en ville, voyez !... dans les échoppes, qu’on appelait ça a Bordeaux » p. 81
«H-19 - Ce que j’aime dans la maison, au point de vue architectural, au point de vue commodités... [...] ce qui m’apparaît intéressant, c’est une structure créée au départ, avec une possibilité, d’adapter la maison aux habitants et pas seulement d’adapter les habitants à la maison...» p. 102
delais. L’échoppe bordelaise fait figure d’habitation traditionnelle, Boudon en parle comme d’un stéréotype régional. L’échoppe est une typologie propre à la région bordelaise. Étymologiquement il s’agit d’une boutique, à Bordeaux l’objet dévie vers un usage uniquement habitatif, sorte de maison de ville à deux façades, entre rue et jardin. Le caractère qui nous intéresse particulièrement ici est leur distribution par un couloir (central ou latéral selon qu’il s’agit d’un échoppe simple ou double). Boudon remarque : «L’échoppe sert manifestement de modèle»17 C’est à dire qu’elle fait office de référence, les maisons de Le Corbusier ne s’y conforment pas, elles engendrent ainsi à la réception la perception d’un écart. L’expérimentation vécue de cet écart suscite des désirs. Ces volontés se traduisent dans les faits, les habitants se créent eux mêmes des couloirs. Ils «régionalisent» en quelque sorte les logements modernes corbuséens : «il était possible - et c’est arrivé fréquemment de recréer, en construisant une simple paroi, ce qui est apparemment l’essentiel de l’échoppe»18 A Pessac, le cognement engage une réaction qui se traduit par une altération de l’architecture originelle en une architecture hybride qui a pour effet de remédier à la douleur de la confrontation. Cette réaction doit certainement être vue comme une caractéristique de Pessac. La prise de conscience particulière qu’en ont les habitants des possibilités d’altération du projet est notable. Boudon parle d’un «libre jeu des habitants»19. Il faut y voir tout un mode d’habiter, une manière d’être à l’espace, où l’espace ne prédique pas entièrement les comportements, mais où les comportement en arrivent à prédiquer, eux mêmes, ludiquement l’espace. Il s’établit une forme de jeu ou les habitants ne sont pas uniquement sous l’emprise de l’espace, mais ou ils créent, modifient, altèrent cet espace, ils ont prise sur lui. Que ce soit par l’ajout de cloisons, la création d’une pièce en plus ou la couverture d’un espace extérieur pour gagner de l’espace, les possibilités des maisons permettent une adaptation ludique. Ces altérations font écho à la standardisation mise en place, et l’infléchissent vers une diversité d’usages20.
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ibid., p. 81 ibid., p. 81 ibid., p. 106 Philippe Boudon, crée d’ailleurs à partir de l’expérience de Pessac un exer-
Phillipe Boudon suggère, notamment ce paradoxe dans la théorie du plan libre21, à propos duquel il écrit : «S’il offre à l’habitant une latitude dont il ne se défend pas d’user, il n’est pas douteux cependant, que Le Corbusier en entendait la liberté de conception pour l’usage de l’architecte.»22 La liberté théorique de composition, n’est ainsi pas réductible aux seuls desseins de l’architecte, à Pessac, une fois le projet construit, les habitants se sont pleinement saisis de cette liberté (ill. 3.).
ill. 3. Les multiples altérations du plan (en haut à gauche le plan originel de Le Corbusier)
5. Rejaillissements De là rejaillissent plusieurs éléments, qui d’apparence anodine, sont en fait liés à l’expérience de se cogner à. Nous en analyserons les corrélations par la suite.
«F-35 - Quand on va porter ses plans a l’architecte... [...] il est là pour déssiner ce qu’on lui apporte à dessiner» p. 87
a. L’architecte, un rôle indéterminé La représentation que se font les habitants de Pessac de l’architecte est déconcertante. La réalité de son rôle est profondément indéterminée. Quel est alors exactement son rôle? Les habitants se représentent ainsi un architecte qui obéit aux ordres du client. C’est tout le contraire de ce qui s’est passé à Pessac où Frugès à laisser le champ cice ludique pour son livre La conception architecturale, cours d’architecturologie, Editions de la Villette, 2000, Paris, p. 40 exercice dans le quel il s’agit d’identifier une diversité de «scénarios d’usages». 21 Un autre des cinq points de l’architecture moderne 22 BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 109
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«a - c’est Le Corbusier qui a construit votre maison? H-8 - Oui, oui, il l’a fait construire par l’architecte, c’est lui qui a donné l’idée, quoi! le pauvre s’il avait tout fait !... c’est de lui, quoi ! ..» p. 87
«F-10 - Je ne sais pas si Le Corbusier y a pensé, il y a trente-cinq ans, mais toujours est-t’il qu’on peut en tirer ce que l’on veut... Cette pièce là divisée en deux, elle fait deux chambres... absolument normales dans les plans actuels... Oh ! il y a de quoi les modifier... Vous savez mon mari en a fait déjà trente-six plans différents.» p. 101
«F-15 - Intérieurement, il n’y a pas du tout ce que l’on attend. L’extérieur et l’intérieur ne concordent pas. Extérieurement , elles rendent très bien, surtout celle-ci rend très bien. Mais intérieurement, on y vit mal.» p. 83
libre à Le Corbusier, il l’énonce lui même23. L’architecte semble même parfois profondément ignoré. Certains des habitants se représentent un architecte abstrait qui se substitue à Le Corbusier pour lui éviter le désagrément d’avoir «tout à faire», cet architecte en question reste un personnage complètement indéterminé. Même si l’on sait a priori que c’est Le Corbusier qui est l’auteur du projet, la situation est confondante. Qui est alors a l’origine de la conception de Pessac ? Les habitants ce sont confrontés aux plans de Le Corbusier, ils les ont même re-dessinés. L’indétermination semble venir de leur manière d’habiter qui, après avoir rencontré les desseins de l’architecte via leurs expérience vécue, ont refusé les plans et les ont re-crées (ill.3.). De là résulte une méconnaissance («je ne sais pas»), sinon une remise en question du rôle et du pouvoir effectif de l’architecte sur l’architecture. b. La dualité pensé/vécu D’autre part, Philippe Boudon note une différence de perception et d’appréciation entre l’intérieur et l’extérieur. Les habitants s’accordent sur des jugements contradictoires entre le dedans et le dehors. Cela entraine une dissociation corrélative. Une différence entre le pensé et le vécu. «Comment on trouve la maison et comment on s’y trouve sont deux choses différentes [...] Finalement, la maison, dans sa totalité est double : l’une est pensée, objectivement et souvent c’est l’extérieur qui en est le support matériel ; l’autre est vécue subjectivement et l’intérieur en constitue le cadre physique.»24 L’intérieur est immersif, il englobe le sujet et est perçu toujours partiellement. Il semble ne pouvoir être que vécu subjectivement, tandis que l’extérieur est plus objectivable, on peut faire le tour de la maison, elle nous apparaît comme un objet que l’on peut se représenter, penser. Les deux termes semblent s’articuler de manière particulière dans le cognement. Reprenons notre exemple du toit, Boudon commentait : «Ici la persistance du mot toit évoquant un concept et un objet bien
23 Il indique par exemple : «J’avais dit : faites entièrement a votre idée» (cité dans Pessac de Le Corbusier, op. cité., p. 8). Notons aussi que Frugès n’est pas habitant de Pessac, il en est le maître d’ouvrage. 24 ibid., p. 99
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connus et l’étrangeté de la chose matérielle dont il s’agit vont de pair...»25 Ils forment ainsi un couplage singulier. Le cognement est une expérimentation de l’écart entre l’objet bien connu, le toit selon la norme culturelle et le toit matériel étrange expérimenté quotidiennement. La réalité quotidienne vécue brise les conceptions mentales. Mais les conceptions mentales sont reconstituées à partir de l’expérience. Le mot toit recouvre alors une nouvelle réalité qui participe à la fois du toit terrasse et du toit connu.
« H-19 – Mais quand c’est du moderne vieilli, détérioré… ça je trouve ça absolument abominable, épouvantable…parcqu’en fait l’aspect attirant à disparu, il ne reste vraiment que du repoussant à l’état pur… » p. 91
c. La trace du temps Philippe Boudon faisant un état critique de l’architecture moderne écrit : « L’architecture de Pessac c’est donc du vieux modernisme, en cela elle ne contient ni la preuve de vie de l’ancien, ni l’expérience acquise qui peut être contenue dans le « modernisme actuel ».On est tenté d’évoquer ici la formule de Gaston Bachelard « L’espace tient du temps comprimé, l’espace sert à ça. » Alors, précisément, l’espace de Pessac ne sert à rien, l’architecture n’y contient pas de temps. »26 Cette remarque de Philippe Boudon s’interroge sur l’œuvre de Le Corbusier dans son état d’origine. Il est intéressant de remarquer que par rapport a l’œuvre originelle il y a eu à Pessac, avec la présence des habitants, une multitudes d’altérations, de traces, qui ont doté l’œuvre originelle d’une certaine expérience acquise. Ces traces, sont le fondement de l’étude de Boudon. Il semble bien qu’il y ait eu formation d’une histoire de Pessac, les multiples confrontations et altérations forment une narration, une écriture de l’activité habitante ; une activité temporelle qui s’est trouvée inscrite spatialement. Boudon parle par exemple de «quelqu’un qui a voulu refaire sa façade à l’occasion de la communion de son fils.»27 L’histoire de la famille est alors inscrite dans l’espace (ill.4), il a un processus temporel qui comprime le temps dans une réalité spatiale synchronique. L’étude de Philippe Boudon s’appuie sur une lecture de ces traces.
25 ibid., p. 75 26 ibid., p. 92 27 BOUDON Philippe à propos de son étude de Pessac, extrait du film La diversité du paysage urbain, Institut de l’audiovisuel (ROHMER Eric), 1975 (ina.fr)
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ill. 4. Le projet en 1967, photo de Boudon, montrant la façade refaite à l’occasion de la communion du fils de la maison
6. L’échec ? «Une impression immédiate faisait ressentir comme échec ce qui, en définitive, s’avère éminemment positif: les transformations apportés par les habitants...»28 Nous sommes amenés ainsi à relativiser la valeur d’échec attribué au projet de Pessac. C’est par l’endroit même, où le projet est un échec en termes corbuséens (les dessins du maître ont été dénaturés, la pureté intemporelle, et les effets spatiaux modernes ont été altérés, les habitants ne se sont pas adaptés à l’architecture) que le projet réussit, il réussit à s’infléchir sous les gestes habitants, à travers les prises de consciences des confrontations, puis par le dépassement des conflits.
7. Conclusion Le moment de la réception du projet dans le cas de Pessac29 se concrétise dans un conflit, de cette confrontation entre les intentions de l’architecte et les activité des habitants que l’on peut reformuler comme une confrontation entre le plein (l’ensemble des éléments plus ou moins fixes dessinés par l’architecte) et le vide (l’espace des gestes, des pratiques et des usages) ; de cette confrontation émerge un ensemble de réactions concrètes et immatérielles (douleur, inconfort, altération, traces temporelles, représentation de la maison, de l’architecte) qu’il nous faudra par la suite analyser.
28 BOUDON Philippe, op. cit., p. 101 29 Notons que depuis l’analyse de Boudon en 1969, la réception de Pessac a fait l’objet d’une évolution il y a donc d’autres états de la réception dont nous ne ferrons pas état ici.
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ill. 5. Photo du projet originel, auteur non cité (Tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 146)
ill. 6,7,8. Le projet en 1967, photo de Boudon. Noter les altérations en particulier les fenêtres bandeau, les toit-terrasse (Tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 147)
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B. La villette - Bernard Tschumi se cogner à : conception Voyons maintenant comment - antérieurement à la réception le cognement peut être pris en compte au niveau de la conception du projet architectural. Nous suivrons le même déroulement. L’étude du cas de La Villette passera d’abord par une présentation générale, nous verrons alors que le cognement est susceptible d’y émerger comme une caractéristique des conceptions théoriques de Bernard Tschumi. Puis, le cognement en lui même sera décrit à travers la superposition de programmes hétéroclites. Ensuite nous aborderons - directement impliqués - la place accordée à l’habitant et la manière de Tschumi de générer de l’imprévu. Enfin, l’étude du cognement rejaillira sur la temporalité du projet et le rôle de l’architecte. Ici nous continuons de reporter les verbatims des habitants de Pessac, pour prolonger l’expérience de la réception comme contrepoint à l’étude de la conception.
1. Présentation Le projet du parc de la Villette au nord-est de Paris à donné lieu a un concours remporté en 1980 par l’architecte Bernard Tschumi. Le parc sera inauguré en 1987. Tschumi est alors d’avantage connu pour ses propositions théoriques que pour ses architectures construites1. Il propose ainsi un projet nourri de sa réflexion théorique influencée notamment par le déconstructivisme (celui de Jacques Derrida avec qui il sera en contact mais aussi le déconstructivisme russe qu’il affectionne) et le cinéma2. Tschumi cherche à ce moment à confronter ses théories à la pratique. Nous l’étudierons à travers sa conception telle qu’il l’énonce lui-même mais aussi à travers des analyses de cette conception de la Villette par des théoriciens (Jacques Lucan, Kenneth Frampton, Jacques Derrida), pour discerner l’expression du cognement.
2. Émergences La conception du parc de La Villette est propice à l’émergence du cognement d’abord par les élaborations théoriques de Bernard Tschumi, et dans la façon de les matérialiser à La Villette. a. Théorie Bernard Tschumi nous intéresse particulièrement pour sa manière d’aborder le programme3 dans ses préoccupations de théo-
1 A l’époque il n’a rien construit, mais son ouvrage théorique The manhattan transcript (Academy edition, Londres, 1994 (édition originale, Academy edition, 1981)) auquel il travaille depuis 1976 est déjà estimé. 2 En particulier la technique des plans de montage et les théories des réalisateurs Eisenstein (1898-1948) et Vertov(1896-1964). 3 Moins que pour son travail sur la non-composition et la linguistique que nous ne ferons qu’évoquer ici.
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ricien. Il s’intéresse particulièrement au programme, entendons, à ce qui se passe, qui va se passer dans l’architecture, les gestes humains qu’il théorise notamment autour de la notion d’événement. Il écrira : «There is no architecture without action, no architecture without events, no architecture without program.»4
«F-10 – […] L’entrée vous pouvez en faire un garage... si vous ne voulez pas en faire un garage, vous pouvez en faire une buanderie... vous pouvez en faire même une salle de bains et les waters...» p. 102
Si le programme prime, Tschumi ne prolonge aucunement les théories fonctionnalistes du mouvement moderne. Après avoir constaté l’impossibilité d’une relation entre l’architecture et son programme, il propose dans l’optique d’une distanciation une série de manipulations : «Crossprogramming : Using a given spatial configuration for a program not intended for it, that is, using a church building for bowling. Similar to typological displacement : town hall inside the spatial configuration of a prison or a museum inside a car park structure. Reference : crossdressing. Transprogramming : Combining two programs, regardless of their incompatibilities, together with their respective spatial configuration. Reference : planetarium + rollercoaster. Disprogramming : Combining two programs, whereby a required spatial configuration of program A contaminates program B and B’s required possible configuration. The new program B may be extracted from the inherent contradictions contained in program A, and B’s required spatial configuration may be applied to A.»5 C’est dans cet état d’esprit, de manipulations, de jeux avec le programme et son contenant que Tschumi conceptualise la Villette. b. La Villette Le parc de la Villette était lui-même aussi propice à l’apparition du cognement. Il a la particularité de comprendre aussi des surfaces 4 «Il n’y a pas d’architecture sans action, pas d’architecture sans événements, pas d’architecture sans programme» [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, Architecture and disjunction, op. cit., p. 121) 5 «Crossprogramming : Utiliser une configuration spatiale donnée pour un programme auquel elle n’est pas destinée, soit, utiliser une église comme bowling. Ou encore, détournement typologique : une Mairie dans la configuration spatiale d’une prison ou un musée dans la structure d’un parking. Référence : le travestissement. Transprogramming : Combiner deux programmes et leur configuration spatiale respective, sans tenir compte de leurs incompatibilités. Référence : planétarium + montagnes russes. Disprogramming : Combiner deux programmes, se faisant, la configuration spatiale requise par le programme A contamine le programme B et sa configuration spatiale requise. Le nouveau programme B peut se dégager de ses contradictions inhérentes avec le programme A, et la configuration spatiale requise par B peut être appliquée à A.» [T.d.a.] (Ibid., p. 205)
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«H-3 - Ca faisait algérien, c’était le style colonie. a - Qu’est ce qui vous fait penser ça ? H-3 - Ces maisons, d’abord! Qui sont avec des terrasses, carrées, comme ça... cubiques et puis... le style avec terrasses. En bas, c’était le patio, quoi ! ...» p. 79
baties et des surfaces couvertes, il se posait ainsi explicitement en rupture avec les types canoniques de parcs urbains. Le programme énonçait notamment: «Parc de la rencontre et de la mise en dialogue [...] ouvert a tous sans discrimination de revenu ou d’origine, il doit s’affirmer comme le parc du «métissage» et de l’intégration.»6 Tschumi, au delà de la rencontre est à la recherche de tensions et de conflits. Interrogé sur le processus de conception de la Villette, il répond : « Deux processus simultanés sont mis en marche. D’une part l’analyse et l’éclatement du programme en une série de fragments, et, d’autre part, la recombinaison de ces fragments autour de systèmes distincts et autonomes (grilles de points d’intensités, lignes de mouvements, surfaces composées). La superposition sur le site de ces systèmes autonomes provoque effectivement des situations aléatoires, inattendues et parfois conflictuelles. Ces situations deviennent le point de départ du travail architectural qui consiste à exacerber les tensions programmatiques et formelles qui résultent de cette superposition.»7
3. Le cognement Ce choc n’est pas uniquement de nature formelle, il intervient au niveau des usages, c’est en quoi il y a bien cognement. «Il s’agit d’une combinaison programmatique (patiner dans la serre tropicale au son du piano)»8
«F-3 – […] Moi je sors derrière pour mes boites à ordures et tout ça, et elle [la voisine], elle sort devant... Au fond on peut rester une journée entière sans se voir, tout en étant accolé les unes aux autres» p. 96
Voyons comment Bernard Tschumi conçoit cette situation d’apparence formidable. Il faut pour cela d’abord comprendre le concept de superposition. « Superposer c’est espérer de la confrontation de deux ou plusieurs systèmes, de deux ou plusieurs formes, de deux ou plusieurs exigences programmatiques – c’est espérer des événements qui ne résultent pas de la rationalité contrôlable de chacun des systèmes, formes ou exigences programmatiques. »9 A la Villette les systèmes autonomes ce sont les points, les lignes, et les surfaces, ils correspondent tous trois à des programma6 Extrait du programme (HIS Ghislain, «Tschumi vs Koolhaas. La Villette comme champ d’expérimentation disciplinaire», in Les cahiers thématiques n°1, février 2001, p. 230) 7 Bernard Tschumi au cours d’un entretien (LUCAN Jacques, «Bernard Tschumi le parc de la Villette. entretien avec l’architecte», in amc n°6, décembre 1984, p32) 8 LUCAN Jacques, art. cit., p. 34 9 ibid., p. 44
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tions. Les points correspondent formellement aux «Folies». Il s’agit de dispositifs architecturaux de petites dimensions positionnés selon une trame homogène. Elles contiennent chacun des petits événements (spectacle, bazar, restaurant, cinéma, buvette...) qu’elles dispersent sur la totalité du parc. Les lignes correspondent formellement aux tracés linéaires des chemins, galeries et allées. Elles accueillent donc un programme qui est essentiellement un mouvement (circulation, promenade, jogging...). Les surfaces, elles, correspondent aux sols : les pelouses, les pavements et les différentes qualités de sol. Elles sont aussi le support d’activités (repos, pique-niques, jeux, cinéma en plein-air...)
ill. 9. Les trois systèmes autonomes, points, lignes et surfaces superposé.
Le cognement ici, c’est la superposition de plusieurs programmes hétérogènes contenus dans les points, les lignes et les surfaces qui se rencontrent (ill.9). Il résulte de ce croisement des situations extraordinaires. Cette méthode permet à Bernard Tschumi de générer des accidents et d’une certaine façon de perdre le contrôle sur son projet, en faisant émerger des altérités qu’il ne pouvait pas anticiper. L’événement exceptionnel, au sens de non habituel, «patiner dans la serre tropicale au son du piano» c’est le cognement de la ligne (la
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piste de patinage), de la surface (la serre tropicale) et du point (la folie piano-bar). Ces activités ne fusionnent pas non plus dans une sorte de mélange insipide. Elles restent différentes dans la rencontre. Le philosophe Jacques Derrida, qui a notamment initié la déconstruction10, note : « Cette écriture maintient le dis-joint comme tel, elle adjointe le dis- en maintenant l’écart, elle rassemble la différence» 11
4. Implications Cette rencontre implique directement plusieurs développements. a. Existence Ce sont les événements qui réalisent le cognement; la superposition existe grâce à l’activité, les gestes des habitants. Le projet prend vie dans sa réception. Il existe parce qu’il est vécu12. Chez Tschumi, la conception, aussi capitale soit-elle, ne prétend pas faire exister le projet de manière indépendante, c’est d’ailleurs ce que Tschumi reprochera -malgré son admiration- aux architectures de papier des Radicaux italiens. «L’architecture est inévitablement violentée et ainsi rendue vivante par la sensualité spontanée de ceux qui la traversent, les girations voluptueuses et parfois fatales du corps humain »13
«H-8 - Moi je trouve qu’une maison, on devrait la commencer ,... pas la peine de la finir... et puis le gars, quand il va y habiter il se l’arrange à sa façon, comme lui plait... elles sont pas finies ces maisons... au début c’était triste... tout gris... maintenant qu’on l’a arrangée, ca va...» p. 111
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b. Hasard Cette façon de concevoir, qui, par la superposition de systèmes autonomes, provoque l’inattendu et l’accident, semble être une manière de s’en remettre au hasard. Pourtant cela n’est pas exactement le cas, notons d’abord que la méthode de Tschumi est une règle formelle assez stricte par laquelle l’architecte exerce une maîtrise paradoxale de l’imprévu. «Une juxtaposition consciente d’espaces et de programmes sans précédent.»14
C’est donc consciemment qu’il recherche l’imprévu, et le pro-
10 La déconstruction est une pratique philosophique majeure du XXème et de la pensée post-moderne. Derrida à influencé particulièrement le monde de l’architecture parfois même personnellement, il a collaboré avec l’architecte Peter Eisenman. 11 Jacques Derrida cité par LUCAN Jacques, «Déconstruire l’architecture» , in amc n°17, octobre 1997, p. 33 12 C’est le sens de «there is no architecture without action» sus-cité. 13 FRAMPTON Kenneth, «Concours international pour le parc de la Villette. Chapitre III : le footballeur patine sur le champ de bataille», in Architecture d’aujourd’hui n°228, septembre 1983, p. 93 14 Bernard Tschumi entretien avec LUCAN Jacques («Bernard Tschumi le parc de la Villette. Entretien avec l’architecte», art. cit., p. 34)
voque par la mise en place de son système de superposition. Pour que la rencontre soit réellement accidentelle, il faut que la mise en place de la superposition soit stricte, c’est un procédé automatique. Tschumi se refuse à dessiner un faux hasard qui serait en fait un choix. Par exemple le positionnement des folies est un positionnement stratégique, s’il a hésité entre un positionnement pseudoaléatoire il préfère la trame carrée, homogène15 (ill.10). La surprise est d’autant plus authentique et puissante que la règle est logique.
ill. 10. deux propositions préliminaires pour la disposition des folies.
Mais c’est de cette rencontre que procède le travail de Tschumi, il cherche à accentuer ces cognements imprévus, à les diriger, à les polariser. Pour produire des événements d’autant plus forts. Ainsi la position des folies selon une trame homogène permet de polariser l’ensemble de la surface du parc par des points d’intensité. Le choix des programmes se fait sans considération pour la compatibilité de la combinaison. «Si il y a une forme de hasard dans la rencontre des programmes, Tschumi pense que l’on ne peut pas faire confiance au seul hasard. Il cherche à « amplifier l’intensité des rapports entre les activités, en les confrontant les unes aux autres ». »16
15 Notons au passage que c’est aussi un moyen de ne pas composer, c’est une figure non hiérarchique. 16 HIS Ghislain, art. cit., p. 238
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5. Rejaillissements Le cognement entraîne aussi de manière apparemment anodine certains rejaillissements. a. Rôle de l’architecte ? Ici aussi, comme à Pessac, le rôle de l’architecte n’est pas commun. C’est d’ailleurs l’objet des Cahiers thématiques qui s’interrogent sur le thème de la discipline architecturale a travers la confrontation des projets de Bernard Tschumi et de Rem Koolhaas pour le concours du parc de La Villette17. Article qui propose : « En effet, Koolhaas comme Tschumi ont mis en place des dispositifs opératoires qui consistent à définir isolément différents systèmes de logiques autonomes. »18
«H-19 - ... mais je ne crois pas que ça ait été conçu par lui de cette façon là, parce que j’ai quand même l’impression qu’il avait une vue assez rigide des choses... » p. 102
«H-22 - Il y a quand même une certaine... flexibilité qui permet d’adapter... d’inserer des besoins nouveaux dans un cadre qui n’était pas essentiellement prévu pour eux...» p. 102
L’architecte devient alors un fabricant de dispositifs, il ne détermine plus directement les gestes habitants, il ne les contrôle plus de manière hégémonique ; il les polarise, il les oriente et les accentue. Il ne fige plus les possibilités à l’avance, il cherche au contraire à se surprendre lui même, à provoquer l’incertain. « L’architecte est aujourd’hui comme un formulateur, un inventeur de relations, un opérateur d’architecture. »19 L’opérateur c’est une «personne qui se livre à quelque manipulation»20 mais aussi en informatique «celui, celle qui saisit des données, des informations en vue d’un traitement automatique»21 ou encore en linguistique un «élément linguistique vide de sens qui sert à constituer une structure phrastique»22 . L’architecte en tant qu’«opérateur d’architecture» n’est alors pas directement le créateur de ce qui se passe, il ne crée pas les événements, il ne détient par leur sens, mais il les structure, il les dispose et les manipule tout en leur laissant leurs propres libertés et automatismes. Mais on trouve aussi comme définition celle de «marchand d’orviétan, charlatan»23, ce qui est peut être une résurgence de l’affinité de Bernard Tschumi avec le cinéma (cf. les parallèles avec les théories d’Eisenstein et de Vertov) où l’architecte attentif à l’action, à la geste prend des airs de scénographe illusionniste. « Tschumi se considère comme un metteur en scène qui a la responsabilité du montage final `à nous metteur en scène de déterminer plutôt l’emplacement de cet objet ou de cet événement dans la séquence’ »24 17 ibid. 18 ibid., p. 235 19 Bernard Tschumi entretien avec LUCAN Jacques, art. cit., p. 42 20 Centre national de ressources textuelles et lexicales (http://www.cnrtl.fr/ definition/opérateur/substantif ) 21 ibid. 22 ibid., à propos de l’opérateur syntaxique 23 ibid. 24 HIS Ghislain, art. cit., p. 239
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b. Temps «Le moment de la « réalisation » sera celui ou la forme sera fixée `dans la pierre’. Ce moment représentera un arrêt. Mais sans doute cet arrêt doit-il être déjà considéré comme provisoire : la stratégie adoptée devrait permettre d’accueillir toutes les transformations, les adjonctions que nécessite un programme tel que celui d’un parc pour un siècle que l’on ne connaît pas encore, le XXIème siècle. »25 «H-3 - Il y a toujours quelque chose à changer... ça fait rien... ça fait marcher le commerce! ... Et ici depuis trente ans, j’ai toujours vu ça ! Il y en a qui ont eu trois ou quatre propriétaires différents, à chaque coup, ils démolissaient quelquechose» p. 103
En effet, comme le projet ne cherche pas à exercer un contrôle absolu des événements, il atteint alors à une certaine instabilité, une indétermination qui lui permet d’évoluer. «At the park de la Villette, one building was first designed as a gardening center, then reorganized as a restaurant by the time the concrete framework was completed, and finally used successfully as a children’s painting room and sculpture workshop.»26 L’architecture se positionne ainsi dans le temps et anticipe les multiples réceptions sans conditionner un scénario unique. Et si l’on considère comme précédemment que le projet existe quand il est vécu, il acquiert alors une pluralité d’existences simultanées et historiques générées par les vécus successifs.
25 LUCAN Jacques, art. cit., p. 44 26 «Au parc de La Villette, un des bâtiments a été d’abord conçu comme un centre de jardinage, puis réorganisé en restaurant lorsque l’ossature en béton fut réalisé, et, utilisée finalement avec succès comme atelier de sculpture et de peinture pour enfants» [T.d.a.] (TSCUMI Bernard, Architecture and disjunction, op. cit., p. 21)
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6. Conclusion Au parc de la Villette, le moment de la conception engage -comme par anticipation- la réception, la rencontre des habitants avec l’architecture. La conception manipule les événements sans pour autant les contrôler. Le cognement, c’est alors la rencontre de gestes hétérogènes, à travers le croisement de deux ou plusieurs programmes. Mais il faut bien voir que les programmes sont motivés27 par les bâtiments (folies ou autres) qui se rencontrent eux aussi. On pourrait dire aussi que c’est le plein (architecture, objet de la conception vu à travers ses potentiels programmatiques) qui est rencontré par le vide (l’espace laissé pour l’avènement des gestes). La Villette comme Pessac soulèvent un ensemble d’incertitudes pas toujours superposables mais significatives ; le déterminisme, l’existentialisme, le rôle de l’architecte, l’anticipation du temps, l’expérience vécue, la conception mentale ... Il faut maintenant tâcher de leur donner une articulation théorique.
27 Pour ne pas dire «causés» : «Leibniz commençait par distinguer entre motifs et causes. Pour lui, un motif `incline sans déterminer, préservant ainsi la liberté et la spontanéité du sujet’, tandis qu’une cause `produit nécessairement son effet’.» (BERQUE Augustin, op. cit., p. 239)
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II. Dessin théorique du problème Ce mémoire n’a pas pour objet de faire la fortune critique de Pessac et de la Villette, ni d’historiciser ces projets. Il faut pourtant reconnaître que notre brève description préalable de ces cas est partielle ; Pessac depuis sa construction (1927) et l’analyse de sa réception par Boudon (1969) a fait et fera l’objet d’autres réceptions. Il en va de même pour le projet de la Villette. Nous assumons sciemment ce manquement afin de poursuivre des buts plus théoriques. Il s’agit maintenant de saisir le problème du cognement dans ses linéaments théoriques. Pour ce faire nous élaborerons d’abord une description du phénomène tel qu’il est vécu et perçu par son sujet (d’où le recours à la phénoménologie). Nous verrons alors le problème que pose le quotidien, et comment le se cogner à permet salutairement d’y échapper. Ensuite nous dessinerons l’appréhension binaire, l’opposition caricaturale entre plein et vide avec les notions implicitement associées que notre investigation du cognement a relevée. Ces oppositions devront nécessairement être débordés.
A. Description du phénomène Nous décrivons le phénomène du cognement à travers un geste, une action qui se cogne à. Nous verrons que sa phénoménalité se déploie depuis un milieu familier qu’elle vient perturber, sa perception suscite des réactions existentielles et laisse des traces sur le sujet. La description nous permettra de mieux cerner le cognement. 1. Le monde des habitudes «Bref, les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd’hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner.»1 Traverser des espaces serait ainsi commandé par l’attention porté à éviter le cognement.
« Les troubles de la familiarité s’instituent sur le fond d’un accommodement déjà trouvé avec un environnement habituel et une série d’événements routiniers »2 C’est donc que le mouvement entrepris par son contexte quo-
1 PEREC Georges, Espèce d’espaces, Galilée, Paris, 2000 (édition originale, Galilée, 1974), p. 16 2 BREVIGLIERI Marc TROM Danny, «troubles et tensions en milieu urbain. Les épreuves citadines et habitantes de la ville», in Les sens du public : publics politiques et médiatiques, CÉFAÏ Daniel et PASQUIER Dominique (sous la direction de), PUF, Paris, 2003, p. 405
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tidien possède un caractère habituel. L’action est balisée par les habitudes, des accommodements avec l’environnement, qui forment un tissu structurant l’action, elle est facilitée, portée. L’environnement familier -familiarisé par la répétition continue des gestes- procure des prises à l’action, des outils inconsciemment employés. «De tout temps, l’architecture a été le prototype d’une œuvre d’art perçue de façon à la fois distraite et collective. Les lois de la réception dont elle a fait l’objet sont des plus instructives»3 Ainsi dans ses gestes quotidien l’auteur est distrait. Il traverse une série d’espaces sans même prêter attention à un possible cognement. Ce geste entrepris est libéré de toute préoccupation («comment faire pour passer ?») et prévenu de tout désagrément (la douleur de se cogner le pied par exemple). « Le monde quotidien est le monde de l’oubli ; l’oubli de soi, l’oubli des opérations mentales et sociales qui l’ont institué comme tel. [...] Toute l’attention du quotidien se concentre uniquement sur le résultat immédiat de l’activité, laquelle ainsi obnubilée par sa réussite possible devient en quelque sorte transparente.»4 Ainsi le sujet percevant évolue au sein d’une forme d’inattention ; il est en fait tout à son but, projeté, porté au devant de lui-même, avec en tête la finalité de son action. C’est le champs des projets, des prospectives, et de tous les pro- qui lancent au loin l’esprit. C’est la dimension objective qui nous apparaît dans son triple sens ; de ce qui existe en soi et qui peut être considéré comme extérieur au sujet dans l’opposition sujet/objet, de ce qui relève d’une vérité transposable, généralisable dans l’opposition subjectivité/objectivité, et de ce vers quoi l’action tend, un but déterminé, un objectif.
2. Interruption, perception du choc «Le projet n’est pas seulement le mode d’existence impliqué par l’action, nécessaire à l’action, c’est une façon d’être dans le temps paradoxale : c’est la remise de l’existence à plus tard.»5 Une telle critique du projet met l’accent sur l’aliénation qu’il génère. Le projet impose une séparation, l’existence -la possibilité de
3 BENJAMIN Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Paris, 2010, p. 70 4 BEGOUT Bruce, La découverte du quotidien, Allia, Paris, 2010 (édition originale, Allia, 2005), p. 69-70 5 C’est un des aspects de la critique du projet de Bataille, il conçoit l’expérience intérieure comme un déchirement une rupture, un heurt existentiel dans le cours des projets (BATAILLE Georges, L’expérience intérieure, Gallimard, Paris, 2011, p. 59)
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jouir du vécu immédiat- est renvoyé en dehors de l’instant présent. Le sujet s’écarte de lui-même, il n’existe qu’au futur. « Le trouble de l’étrangeté s’inscrit dans une temporalité inaugurale et intempestive »6 Le cognement interrompt brusquement ce geste. Le mouvement est contraint de s’arrêter par l’irruption imprévue, accidentelle d’une étrangeté (que ce soit un objet familier apparaissant étrange par un effet de perception ou un objet original7). Cette intrusion rompt le cours familier de l’action et déchire son milieu support. «L’attention est la constitution active d’un objet nouveau qui explicite et thématise ce qui n’était offert jusque là qu’a titre d’horizon indéterminé. En même temps qu’il met en marche l’attention, l’objet est à chaque instant ressaisi et posé a nouveau sous sa dépendance.»8 S’arrêtent alors avec le cognement les mouvements de l’intellect, toutes les projections mentales s’effondrent devant l’avènement du corps étranger. Le sujet n’est plus à l’après, il est au maintenant. Il se saisit dans l’instant plutôt que de s’éloigner dans une projection. Le cognement convoque l’attention, force la mobilisation de l’esprit sur ce qui était auparavant rejeté dans l’inattention. La perception violente de l’objet envahit la conscience en dépit des mécanismes intentionnels. Le monde apparaît au sujet, il est senti, touché, vécu. La subjectivité est rétablie. « L’expérience d’être entravé dans la félicité d’un parcours fluide avec un environnement familier prend alors forme. Car ce sont précisément les accrocs qui jalonnent cet engagement qui font également surgir l’environnement comme un bien qui rencontre un agrément »9 L’expérience de se cogner à est existentielle à double titre : Le sujet se sent exister, l’émotion, la douleur ressentie fait appel aux sens et met en jeu sa corporéité. D’autre part l’objet cogné concentre sur lui l’attention et existe ainsi pour le sujet. Il existe en tant qu’altérité sans faire plus parti d’un système familier. On éprouve et est éprouvé par le monde.
6 BREVIGLIERI Marc TROM Danny, op. cit., p. 406 7 À noter qu’ils s’inscrivent dans des temporalités différentielles ; le trouble de la familiarité émerge dans le temps (durée, épreuve) alors que le trouble de l’étrangeté est plus brusque (instant, surprise), définissant ainsi des variations du cognement. 8 MERLAU-PONTY Maurice, Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 2006 (édition originale, Gallimard, 1945), p. 55 9 BREVIGLIERI Marc TROM Danny, op. cit., p. 409
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3. Localisation «Les lieux de l’espace ne se définissent pas comme des positions objectives par rapport a la position objective de notre corps, mais ils inscrivent autour de nous la portée variable de nos visées ou de nos gestes»10 L’expérience de se cogner à, par sa façon de mettre en contact le corps et l’espace, est un phénomène situant. Le sujet et l’objet existent dans une mise en rapport réciproque que l’expérience gestuelle à produite. Le cognement est un point spatio-temporel à partir duquel se reconfigure le corps et l’espace en fonction de nos possibilités de mouvements. Il y a prise de position dans la spatialité. Se cogner à, étant une situation troublante, peut aussi provoquer une forme d’hallucination par rapport a la réalité du lieu, néanmoins cette hallucination est toujours singulièrement spatiale, elle s’ancre dans des perceptions de motifs spatiaux. C’est à partir des éléments de l’environnement que se dessine l’étrangeté. «Je venais d’apercevoir [...] trois arbres qui devaient servir d’entrée à une allée couverte et formaient un dessin que je ne voyais pas pour la première fois, je ne pouvais arriver à reconnaître le lieu dont ils étaient comme détachés, mais je sentais qu’il m’avait été familier autrefois ; de sorte que mon esprit ayant trébuché entre quelque année lointaine et le moment présent, les environs de Balbec vacillèrent et je me demandais si toute cette promenade n’était pas une fiction»11
4. Réaction Cette expérience peut engager des réactions ; le corps meurtri peut vouloir s’en prendre en retour à son agresseur. Cette manifestation peut être celle de la correction, la rectification du caractère intrusif de l’objet, ou plus simplement le déplacement de l’objet hors du champ d’action. Elle «quotidiannise» en tout cas l’étrangeté : « Nous nommons quotidianisation ce processus d’aménagement matériel du monde incertain en un milieu fréquentable. [...] La quotidianisation, comme cette opération quasi métabolique d’ajustement entre l’individu et son environnement, représente l’une des prototechniques fondamentales d’autoformation matérielle de l’homme par l’homme, ayant pour but de le soustraire à la démesure de son état originel »12
10 11 165) 12
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MERLEAU-PONTY Maurice, op. cit., p. 178-179 PROUST Marcel, l’ombre des jeunes filles en fleur, cité par Bataille (op. cit., p. BEGOUT Bruce, op. cit., p. 225
Dans ce cas, le sujet prend possession activement de son milieu, et entre alors dans un processus d’interactions. L’espace qui agissait sur le sujet est saisi par ce dernier qui agit maintenant sur lui. Il forme son milieu, il adapte son environnement. Dans le but de rendre possible son geste interrompu, il supprime les entraves et les obstacles.
5. Traces «L’homme distrait est parfaitement capable de s’accoutumer. Disons plus : c’est seulement par notre capacité d’accomplir certaines tâches de façon distraite que nous nous prouvons qu’elle nous sont devenues habituelles.»13 Les cognements se constituent en traces, l’ensemble des réactions ont modifié l’environnement, l’on marqué. L’environnement porte les traces des rencontres précédentes, il est le support d’une histoire vécue. Le sujet porte aussi sur lui les traces des cognements de manière plus ou moins visible (cicatrice, réflexe lorsque la situation est à nouveau rencontrée, affect produit par une situation similaire, connaissance engendrée). Ceci fait émerger une corporéisation de l’espace. «L’expérience révèle une spatialité primordiale dont la première n’est que l’enveloppe et qui se confond avec l’être même du corps. Etre corps c’est être noué a un certain monde.»14 La limite entre le corps et l’espace est flouée, ils tendent à se confondre l’un l’autre dans la perception. Leur liens sont mutuellement renforcés. Comprenons que la réaction, l’agissement du sujet sur l’espace a produit une altération qui se répercute par effet de rétroaction ensuite en un agissement de l’espace sur le sujet. Par exemple, le déplacement de l’objet étrange définit alors un nouveau milieu qui par la suite agira sur les gestes du sujet. L’étrangeté est ainsi dissoute pour être intégrée dans le milieu, ce faisant elle perd son caractère d’altérité singulière pour entrer dans le monde quotidien. «C’est d’une pacification répressive de l’étranger que résulte le monde quotidien. Mais, sournoisement cette répression n’est pas vécue comme telle »15 Nous soulignons alors : le monde quotidien inclut l’ordinaire mais aussi l’apparition de l’extraordinaire, cependant le quotidien en 13 14 15
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BENJAMIN Walter, op. cit., p. 72 MERLEAU-PONTY Maurice, op. cit., p. 184 BEGOUT Bruce, op. cit., p. 53
tant que processus (la quotidianisation) assimile l’extraordinaire à l’ordinaire. La répétition et les habitudes quotidiennes transforment le formidable en quelconque.
6. Conclusion Nous pouvons ainsi préciser ce que nous nommons cognement, il s’agit d’une sorte de cas limite de la réception. Il est bien une forme de réception, de pratique du milieu architecturé, mais c’est une réception qui déchire le cours habituel et passif, elle révèle le sujet à lui-même en train de réceptionner. Se cogner à joue un rôle particulier dans la notion de quotidien, si la situation vient troubler l’aspect familier du quotidien, elle finit aussi par absorber l’étrangeté - l’intégrant dans le monde familier aseptisée. «Le geste consiste à exhiber une médialité, à rendre visible un moyen comme tel. Du coup, l’être-dans-un-milieu de l’homme devient apparent et la dimension éthique lui est ouverte.»16 Le cognement interrompt le geste sur lui-même, il sape la projection des finalités supérieures pour révéler le geste à son auteur, il lui communique la possession de ses moyens en dehors des fins17. C’est à dire qu’il lui rend l’instant vécu visible et présent à lui-même, lui ouvrant ainsi des perspectives éthiques, qu’il s’agirait de ne pas refermer aussitôt. Georg Simmel nous aide à mieux percevoir cette ouverture -fermeture éthique, grâce à son analyse de la grande ville. Dans un premier temps il considère que la densité de la grande ville, produit une intensité de rencontres et de chocs qui permet au citadin une extraction salutaire de sa condition. «La personnalité du citadin type est caractérisée par l’intensité de la vie nerveuse ; cela provient de la succession rapide et continue des sensations extérieures. [...] Sa conscience est stimulée par la différence entre l’impression du moment et celle qui précède.»18 Mais dans un deuxième temps, la stimulation quotidienne fait du citadin l’homme blasé par excellence. La codification et l’organi16 AGAMBEN Giorgio, Notes sur le geste, in Moyens sans fins, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2002, p. 69 17 Agamben prévient «La plus sure façon de se fourvoyer consistera à se représenter d’abord une sphère des moyens subordonnés à un but, puis d’en distinguer une autre sphère qui lui serait supérieure : celle du geste en tant que mouvement ayant en soi sa propre fin.» (ibid., p. 68-69). 18 SIMMEL Georg, Les grandes villes et la vie de l’esprit, L’Herne, Paris, 2007, p. 9
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sation des stimuli permettent au citadin d’évoluer dans la réserve et l’indifférence, ce qui facilite son comportement. « On peut dire que les citadins ont les uns envers les autres une attitude réservée. Si à ce contact extérieur permanent avec des individus innombrables il fallait répondre par autant de réactions intérieures que dans une petite ville où l’on connaît presque chaque personne rencontrée, on aboutirait à une atomisation intérieure.»19
19 Ibid. p. 22-23. Notons néanmoins que nous divergeons de l’interprétation de Simmel puisqu’il considère cette réserve comme le vecteur d’une liberté nouvelle, tandis que nous l’envisageons comme une aliénation de l’instant présent.
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B. Les rapports plein/vide Nous pouvons à présent tenter d’analyser le rapport plein/ vide, dans ses incidences les plus implicites. Celles-ci ont déjà été relevées partiellement dans nos études de cas. 1. L’appréhension binaire «Yet the gap remained between ideal space (the product of mental processes) and real space (the product of social praxis). Although such a distinction is certainly not ideologically neutral, we shall see that it is in the nature of architecture.»1 Nous pouvons d’abord proposer un premier niveau d’analyse qui étaye cette séparation entre espace idéal et espace réel. A partir des termes plein/vide, par une série d’associations d’idées déjà abordée se dessine le schéma d’un ensemble d’oppositions qui doit être considéré comme caricatural (ill.11). Le schéma montre une appréhension binaire qui consiste à opérer une ségrégation linéaire entre conception (du plein) - construction - réception (du vide). Certes c’est une simplification radicale, potentiellement réductrice, néanmoins elle permet de mettre en avant pour des raisons didactiques, des relations, des associations qui sont souvent implicites2. ill. 11.
plein fabrication de l’architecture pensé architecture idée nature de l’espace pyramide déterminisme représentation objectivité avant
vide expérimentation de l’architecture vécu architecture sensible limite de l’espace labyrinthe existentialisme présentation subjectivité après
1 «L’écart persiste entre l’espace idéal (produit de processus mentaux) et l’espace réel (produit de la praxis sociale). Même si une telle distinction n’est certainement pas idéologiquement neutre, il faut reconnaître qu’elle est dans la nature de l’architecture.» [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, op. cit., p. 31) 2 Du moins les relations inverses sont rarement explicites.
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Nous pouvons en faire une brève description illustrative : Le Plein est ce qui est conceptualisé, il est représenté par l’architecte, c’est l’architecture en tant qu’idée, il définit l’espace dans sa nature, il est déterminant. Symboliquement c’est la pyramide3, objet exclusif (au sens premier de «qui exclut»), pure extériorité, toujours conçu mentalement. Le vide est ce qui est expérimenté, il se présente à l’habitant, c’est l’architecture sensible, il définit l’espace dans ses limites, il est le lieu de l’existentialisme. Symboliquement c’est le labyrinthe, objet immersif, pure intériorité, toujours uniquement perçu, vécu. Un mur, par exemple, est un plein, il aura été pensé, puis représenté une fois construit, il définit en son sein un espace vide, c’est ce vide qui est vécu, expérimenté par les gestes corporels, ce vide est en même temps limité par le plein. Le mur n’est jamais vécu sinon par les surfaces extérieures qu’il nous présente. Le plein intervient avant dans sa conception construction, le vide en est comme sa conséquence, il apparaît après, la construction qui est une sorte de matérialisation de concept. Plein et vide sont associés aux doctrines déterministes et existentialistes. Nous prendrons ici les amorces sartriennes, sans pour autant les suivre dans leurs conclusions, en particulier les rapports entre essence et existence4. Le plein est associé à l’idée de déterminisme (l’essence précéderait l’existence), c’est à dire par exemple qu’une chaise par essence fait que l’on s’assoit dessus. Son essence impose le comportement. Le vide est associé à l’idée d’existentialisme (l’existence précéderait l’essence), c’est à dire par exemple que l’ on peut se tenir debout sur une chaise ou même s’asseoir face au dossier, son essence ne nous contraint pas, c’est l’existence qui se manifeste avant.
2. Apories Cette conception binaire rencontre inévitablement des contradictions insolubles puisque les deux termes s’excluent mutuellement, du reste nos études de cas ont déjà relevées ces oppositions. «The logic of object and the logic of man are independent in their relation to the world, they inevitably face one another in an intense confrontation. Any relationship between a building and its users is one of violence, for any use means the intrusion of human body into
3 Cette association avec la notion de pyramide est de Tschumi, de même pour la notion de labyrinthe (Architecture and disjunction, op. cit.) 4 Des rapports de prédominances : «l’existence précède l’essence» (SARTRE Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996, Paris, p. 29)
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a given space, the intrusion of one order into another. This intrusion is inherent into the idea of architecture.»5 Le cognement nous a montré en effet une situation où le mur qui a priori n’était jamais vécu a été pourtant mis en contact, rencontré par les gestes, cogné. Cette situation contrevient radicalement à l’ensemble d’oppositions dessiné par le schéma précedent (ill.11), nous pouvons remarquer entre autre : A Pessac, les habitants ont refait des plans et reconstruit des murs, c’est à dire que leur activité habitante a été aussi une activité de conception et de construction, qui a remodifié l’œuvre de Le Corbusier. On constate donc que la situation ne saurait se réduire à la succession temporelle fermée d’un avant (la conception du plein) et d’un après (l’usage du vide) ; il faut au moins imaginer une série infinie d’avant/après où l’après est toujours l’avant du prochain avant. Mais les habitants à Pessac ont aussi fait preuve d’existentialisme face à l’autorité des visions de Le Corbusier6 ; ils ont par exemple recouvert d’un toit en pente traditionnel les toits terrasses modernistes. Il faut remarquer que cette action pourtant s’est faite au moins en partie sous l’emprise d’un déterminisme régional qui leur a fait préférer le stéréotype traditionnel. De plus, ces toits en pente une fois construits deviennent des éléments à leurs tours déterminants dans le paysage de Pessac, par effet de rétroaction. Les deux termes (déterminisme du plein / existentialisme au sein du vide) ne sont ainsi pas réciproquement exclusifs, ils se superposent de manière plus complexe qu’il n’y paraît. Nous pouvons encore remarquer à propos du projet de la Villette qu’il tient compte de façon fondamentale des événements. Ce sont les événements qui font exister le projet, ils sont nécessaires au projet déjà au niveau de sa conception. Et plus encore ils sont manipulés sans être pour autant contrôlés. Le vide et le plein sont alors dans une interrelation simultanée, ils sont maintenus ensemble dans la disjonction.
5 «La logique de l’objet et la logique de l’humain sont indépendantes dans leur rapport au monde, elles se font inéluctablement face dans une confrontation intense. Toute relation entre un bâtiment et ses utilisateurs est une relation violente, tout usage signifie l’intrusion du corps humain dans un espace donné, l’intrusion d’un ordre dans un autre. Cette intrusion est inhérente a l’idée d’architecture.» [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, opu.cit., p. 121-123) 6 «L’architecte qui possède la parfaite connaissance de l’homme, qui a abandonné les graphismes illusoires et qui par la juste adaptation des moyens aux fins proposées, créera un ordre portant en soi sa propre poésie» (LE CORBUSIER, La chartre d’Athènes, Éditions de minuit, Paris, 1957, p. 110)
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Le rapport dialogique plein/vide et sa problématique saisis, il nous faut poursuivre la réflexion. Il est alors nécessaire de mettre en place des instruments pour reconsidérer la situation, et faisant éclater le schéma binaire (ill. 11), permettre de le re-consteller7.
7 C’est ce que nous tenterons de faire a travers la carte récapitulative de la page 63 (ill. 18). 40
III. Notions clefs Il s’agit maintenant de constituer des outils conceptuels pour permettre une ré-investigation de notre problème, de pouvoir penser les rapports plein/vide autrement que selon une opposition binaire. Nous avons discerné à ce titre trois notions nous semblant particulièrement opératoires; l’imprévisibilité interrogera la temporalité du projet, l’érotisme soulignera des relations pulsionnelles plus que logiques, et la séparation abordera la distinction sociale des acteurs du projet. La réflexion à partir d’ici dépasse le strict cognement, mais touche à ce que nous en avons plus largement dégagé quant aux rapports plein/ vide. Nous nous aiderons aussi de la théorie de la réception de Hans Robert Jauss1 qui nourrit particulièrement notre réflexion. En effet, Hans Robert Jauss, théoricien de la littérature, cherche à dépasser l’antagonisme entre la théorie marxiste (où l’œuvre littéraire est le reflet d’une réalité sociale) et la théorie structuraliste (où l’œuvre littéraire est étudiée dans sa forme et ses procédés artistiques, abstraite de tout contexte). Cet antagonisme se rapproche fort du conflit entre déterminisme et existentialisme que nous avons relevé précédemment. Pour cela Hans Robert Jauss met au point une méthode centrée sur la notion de réception. Il ne s’agira pas d’appliquer cette méthode pour faire l’herméneutique de Pessac et la Villette mais de voir les implications épistémologiques qu’une telle méthode comporte. Ce parallèle est néanmoins confronté à une difficulté qui réside dans l’écart entre les modalités de réception d’une œuvre littéraire et celles de l’architecture ; la littérature particulièrement en tant qu’œuvre est reçue, lue, dans un acte qui suppose une conscience active et avertie tandis que l’architecture est reçue, pratiquée dans l’inattention quotidienne. Ici figureront des renvois à nos précédentes études de cas.
A. Imprévisibilité Cette notion interroge le mode de déploiement des termes conception et réception, puisqu’un mode linéaire (d’une succession continue) a été remis en question serait-il alors plutôt cyclique ou dialectique? C’est la question de la temporalité, la forme temporelle d’évolution des termes, leur succession ou non, les continuités ou les ruptures. Introduire le terme d’imprévisibilité c’est prendre en compte ce qui ne peut être anticipé, c’est concéder à la postériorité une capacité. Le processus ne peut alors plus être fermé, il s’ouvre. Cela renvoie précisément à la possibilité d’un contrôle sur lui.
1 JAUSS Hans Robert, , Pour une esthétique de la réception (MAILLARD Claude, trad.), Gallimard, Paris, 2010 (édition originale, Gallimard, 1978)
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Les projets de la Villette et de Pessac ne peuvent être considérés comme des oeuvres autonomes. Si le projet de la Villette est clairement hétéronome, celui de Pessac l’est aussi dans la mesure ou Le Corbusier prend en compte les effets produits par son oeuvre sur les habitants même si c’est de manière autoritaire en prétendant adapter les habitants à l’oeuvre.
Liminaire - Jauss et l’hétéronomie de l’œuvre, l’effet produit Hans Robert Jauss s’oppose a une conception où l’œuvre serait autonome : «L’idée d’autonomie de l’œuvre exclut par définition que soit posée la question des effets qu’elle produit.»2 Prendre en compte les effets produits par l’œuvre c’est la considérer comme hétéronome, elle n’est pas pensée indépendamment de sa réception. C’est à dire que l’historicité de l’œuvre repose sur l’expérience des lecteurs. «L’œuvre littéraire n’est pas un objet existant en soi et qui présenterait en tout temps à tout observateur la même apparence. [...] Elle est bien plutôt faite comme une partition pour éveiller à chaque lecture une résonance nouvelle qui arrache le texte à la matérialité des mots et actualise son existence»3 S’il n’est pas évident de considérer l’œuvre littéraire comme hétéronome, il l’est beaucoup plus pour l’architecture et semble particulièrement pertinent. Nous avons déjà remarqué l’insuffisance d’une architecture idéelle qui nie sa réception, c’est dire que l’architecture est difficilement un objet en soi, avec une essence intemporelle. Il faut aussi, plutôt que de considérer les effets produits a posteriori comme le fait l’historien, remarquer la difficulté de les considérer a priori, au moment de la conception. L’idée métaphorique d’une partition qui peut être lue et relue sans conditionner intrinsèquement sa signification, nous semble être un dispositif particulièrement stimulant. 1. Prévoir l’imprévisible «La représentation de l’usage au même titre que celle de la perception est fondamentalement illusoire.»4 Sur ce dont on ne peut parler il ne faudrait peut être ne pas trop en dire. La question est de savoir ce qui peut être anticipé, et comment anticiper les gestes. Une anticipation hégémonique à l’instar du mouvement moderniste semble inopérante et tendancieuse. Il faut concéder une place à l’indéterminé, puisque nous ne pouvons nous faire les prédicateurs de ce qui adviendra cela nous engage dans l’instant présent. «La création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers. Pour ma part je crois l’expérimenter a chaque
2 ibid., p. 267 3 ibid., p. 51-52 4 BOUDON Philippe (sous la direction de), La conception architecturale. Cours d’architecturologie, op. cit., p. 38
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instant. [...] Une intelligence surhumaine qui connaîtrait la position la direction et la vitesse de tous les atomes et électrons de l’univers matériel à un moment donné calculerait n’importe quel état futur de cet univers. Mais ce monde n’est qu’une abstraction»5 Il est alors nécessaire de laisser une part de liberté, une marge d’imprévu. La conception ne peut ainsi prétendre à une maîtrise totale du projet. Tschumi remarque l’impossibilité d’une relation de cause à effet entre l’objet architectural et l’événement qui s’y déroule : « (a) there is no cause-and-effect relationship between the concept of space and the experience of space, or between buildings and their uses, or space and the movement of bodies within it, and (b) that the meeting of these mutually exclusive terms could be intensely pleasurable or, indeed, so violent that it could dislocate the most conservative elements of society.»6 Cette disjonction doit certainement être vue comme une opportunité. Cela change significativement l’appréhension temporelle, la conception n’est plus un moment arrêté et fini, mais ouvert, l’architecture existe donc dans ses réceptions qui actualisent continuellement l’œuvre. Il faut ainsi reconnaître un primat des sujets, qui font exister l’œuvre même au dépens de son concepteur. D’autre part, il faut noter que la pluralité des sujets récepteurs et tous singuliers rend le processus non pas linéaire mais efflorescent, prolifique : il y a de plus en plus de réceptions variées. Le projet échappe ainsi nécessairement à son auteur. Mais il reste toujours épineux de savoir ce qui peut être déterminant, ce que le projet peut conditionner, quels sont les gestes qu’il peut induire. Nous pouvons revenir à la distinction que nous avions opérée précédemment entre cause (qui produit nécessairement son effet) et motif (incline sans déterminer, préservant la liberté et la spontanéité du sujet), il s’agirait donc de motiver des gestes. D’un point de vue plus négatif, nous pouvons considérer que le plein joue le rôle d’un interdit spatial, il définit une partie de territoire inexplorable, ou du moins qui s’affirme comme telle. Il serait ainsi possible non pas de prévoir les événements possibles, mais de prévoir l’impossibilité de certains gestes. Mais Bataille explique bien comment l’interdit est inévitablement lié à sa transgression, elle est sa contrepartie. Les interdits 5 BERGSON Henri, Le possible et le réel, Puf, Paris, 2011, p. 1-2 6 «(a) il n’y a pas de relation de cause à effet entre le concept de l’espace et l’expérience de l’espace, ou entre des bâtiments et leurs usages, ou entre l’espace et le mouvement des corps en son sein, et (b) que la rencontre de ces termes mutuellement exclusifs pourrait être source de jouissance, ou si violente qu’elle pourrait disloquer les les éléments les plus conservateurs de la société.» [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, Architecture and disjunction, op. cit., p. 16)
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A la Villette, «patiner dans la serre tropicale au son du piano», est une situation où se cognent plusieurs programmes, où le projet anticipe des conflits, elle est radicalement inhabituelle, elle rompt le quotidien pour mettre en place une aventure.
permettent une organisation collective, d’apparence rationnelle, du monde opposé à l’état de nature, mais ils sont nécessairement violés de manière plus ou moins rituelle. « La transgression n’est pas la négation de l’interdit, mais elle le dépasse et le complète.»7 «La transgression diffère du «retour à la nature» : elle lève l’interdit sans le supprimer»8 La transgression du plein, c’est bien le cognement, qui lève l’interdit, le corps contrevient à l’impossibilité d’expérimenter le plein en cherchant à le pénétrer, à s’y introduire. Cela revient à envisager l’éventualité des ruptures dans le processus, il ne peut se concevoir uniquement dans la continuité. Nous pouvons envisager alors que l’anticipation des usages n’aurait pas pour visée de faire harmonieusement coïncider les objets et leurs usages, ou plusieurs usages entre eux. Nous avons vu comment les conflits et les rencontres peuvent être enrichissants. Ils pourront même être salutaires dans le sens où ils permettent de perturber, de résister au quotidien et à «sa force constitutive qui assimile tous les faits et leur procure un style homogène et commun»9.
2. Dispositifs : se saisir des gestes Pour se saisir des gestes il est possible de mettre au point des dispositifs, il s’agit d’élaborer une modalité de représentation qui ne se concentre plus uniquement sur le plein, mais qui s’aventure à dessiner ce qui se passe dans le vide. Ces dispositifs mettent tout particulièrement en lumière la question du contrôle sur la temporalité. Nous pouvons en analyser deux exemples significatifs.
ill. 12. sans nom, extraite de l’internationale situationniste n°6 7 BATAILLE Georges, L’érotisme, Les éditions de minuit, Paris, 2011 (édition originale, Les éditions de minuit, 1957), p. 67 8 Ibid., p. 37. Bataille précise en note «Inutile d’insister sur la caractère hégélien de cette opération, qui répond au moment de la dialectique exprimé par le verbe allemand intraduisible aufheben (dépasser en maintenant).» 9 BEGOUT Bruce, La découverte du quotidien, op. cit., p. 42
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Le premier dispositif (ill. 12) est représentatif du mouvement moderne, particulièrement dans ses tendances fonctionnalistes. Le dispositif représente le corps humain comme une machine, ses mouvements sont classés par catégories et géométrisés, ses gestes sont transformés en rayons d’actions et surfaces normales ou maximales. Cette représentation au même titre que le «modulor10» de Le Corbusier par exemple participe d’une réduction monstrueuse des possibilités gestuelles. Sous prétexte d’efficacité rationnelle elles ont été réduites à leur minimum possible. Ce mode de représentation prétend a un contrôle précis des gestes et à leur normalisation. Elle se confronte donc inévitablement à la diversité des corps et aux accidents événementiels. A Pessac, la normalisation des comportements induite par l’extrême standardisation du projet, a été ruinée. Chaque habitant mettant son apport a l’oeuvre originale, elle s’est retrouvée complètement diversifiée.
«La maison n’est pas une machine à habiter parce que l’homme n’est pas une machine, ni un minéral ou un produit chimique, ni un rayon lumineux, ni un morceau de fer ou de bois ni un atome, ni une onde électromagnétique. L’homme est un drôle de truc qui remplit les stades en se démenant, les hôpitaux en criant, les églises en se plaignant, les théâtres en s’émouvant, qui peuple aussi les plages et qui se lave. L’homme est un drôle de truc avec des tumeurs, un sexe, de la folie et des larmes et ainsi de suite. Essayer de dire à un médecin qu’un hôpital est une machine qui guérit, il vous rira au nez.»11
10 Mis au point en 1945 à partir du nombre dit «d’or» et de la suite mathématique associée Le Corbusier prétend appliquer ce système de mesure au corps humain pour calculer et définir tous les usages quotidiens (LE CORBUSIER, Le modulor, Essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine applicable universellement à l’architecture et la mécanique, Édition de l’architecture d’aujourd’hui, Paris, 1983 (édition originale, Édition de l’architecture d’aujourd’hui, 1950)). 11 SOTTSASS Ettore, extrait de la conférence tenue le 18 aout 1956 à Alba au congrès international pour un Bauhaus imaginiste contre un Bauhaus imaginaire, in ANDREOTTI Libero, Le grand jeu a venir, textes situationnistes sur la ville, Éditions de la Villette, Paris, 2007, p. 99
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ill. 13. DEBORD Guy, Guide psychogéographique de Paris, 1957, dépliant
Le deuxième dispositif (ill. 13) suggère une modalité plus libre. Il ne se fonde plus sur des préoccupations rationnelles ou fonctionnelles, il est élaboré a l’aide de la «discipline» psychogéographique. Cette représentation a été créée par le moyen de plusieurs enquêtes de terrains, plus précisément de «dérives» : «psychogéographie Étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. [...] Dérive Mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : techniques du passage hâtif à travers des ambiances variées. Se dit aussi, plus particulièrement, pour désigner la durée d’un exercice continu de cette expérience»12 Ce mode de représentation ne tient pas compte de l’exactitude du plan, le plan au contraire a été découpé, et recollé de manière disjointe. Les morceaux de ville qui sont des unités d’ambiances s’arti-
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In LIBERO Andreotti, op. cit., p. 137
A la Villette, le dispositif est celui de la dissociation des trois systèmes autonomes permettant par la superposition une mise en confrontation de programmes hétérogènes. C’est un dispositif très stratégique. Il ne permet qu’une maîtrise partielle des programmes, a l’intérieur de chaque système. Mais la superposition des systèmes est une surprise.
culent par des flèches rouges, comme des points de passage ; les courants plus ou moins attractifs de la dérive. La lecture même du dispositif reste relativement libre, il n’y a pas d’interprétation rigide, scientifique qui s’impose. La lecture fait appel à l’intratextualité (c’est à dire à l’intérieur du texte même, entre les lignes, entre les morceaux textuels), la signification du document n’est pas strictement contenue en lui, dans sa seule textualité, c’est la mise en relation de ses parties (les morceaux de ville) par les mouvements de la perception qui produit un sens. Cela suppose une immersion dans le document, le document ne représente pas la dérive puisque les mouvements perceptifs sont en partie vécus à la lecture, ils sont comme une transposition des mouvements de la dérive urbaine. Bernard Tschumi disait a propos de ses propres tentatives de représentation des événements : «The reality of its sequences does not lie in the accurate transposition of the outside world, but in the internal logic theses sequences display»13 Les objets architecturaux entrent alors dans un rapport qui n’est plus univoque aux gestes mais dans un rapport équivoque. Ils sont en relation sans que celle ci soit objective (l’affectivité étant une donnée prise en compte par la psychogéographie, elle est difficilement objectivable).
3. Conclusion Le processus temporel considéré comme ouvert amène a ruiner les attendus d’un déploiement linaire et successif. La succession stricte du plein et du vide que nous avions mis en place peut être ainsi reformulé. La modalité de déploiement prend un aspect protéiforme et luxuriant, elle engage l’impossible (ce qui ne peut être saisi, ni anticipé). Et ainsi la possibilité d’un contrôle est profondément relativisable, il ne sera pas strict et absolu sans tendre au fallacieux ou au totalitaire. Nous avons ainsi déplacé le point d’appui depuis l’objet objectif du concepteur vers le sujet et sa réception subjective comme nouveau point de départ qui permet de s’intéresser a l’instant présent, le vécu quotidien en tant qu’expérience antéprédicative.
13 «La réalité de ses séquences ne réside pas dans la transposition rigoureuse du monde extérieur, mais dans la logique interne que ces séquences déploient.» [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, The manhattan transcript, Academy edition, Londres, 1994 (édition originale, Academy edition, 1981), p. 8)
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B. Érotisme Cette notion tente, tout en s’ancrant définitivement dans la subjectivité, et à partir de la notion d’usage d’en faire voir la portée implicite. De montrer les liens, cachés, obscurs dirons-nous qui font passer de l’usage à la jouissance, à l’érotisme. Des relations qui s’imposent inéluctablement et malgré leur indécence, leur manque de sérieux scientifique, relevant ainsi de l’obscène dans le sens de ce qui est hors de la scène. Ce ne sont plus les liens d’une logique rationnelle mais pulsionnelle. Nous ne chercherons pas à faire sur eux une lumière éclatante, ni à les rendre rigoureux sous peine de les dénaturer. Tout juste pouvons-nous les prendre en considération dans leur obscurité propre, et tenter d’en indiquer les orientations, les inflexions. Liminaire - Jauss et la jouissance esthétique Pour Hans Robert Jauss, l’expérience esthétique impliquée par la réception de l’œuvre se fonde sur l’attitude de jouissance. Il revient d’abord sur l’étymologie du verbe jouir précisant plusieurs niveaux, d’abord : «Le sens ancien et premier de la «jouissance», à savoir l’usage, l’usufruit d’un bien.» puis, «Dans la poésie spirituelle du XVIIe siècle, «jouir» pouvait être l’équivalent de ‘entrer en possession de Dieu’.» et aussi «La notion de jouissance spirituelle fonde la certitude de soi comme possession de soi immédiatement donnée et dont découle la possession également immédiate du monde.»14 Il positionne la jouissance esthétique en opposition à une esthétique de la négativité et à l’ascétisme, mais aussi contre un idéalisme transcendantal, puisque l’expérience esthétique s’origine dans le sensible. Il envisage l’expérience esthétique comme un geste libérateur, elle permet de se débarrasser de la conscience des habitudes et clichés qui conditionnent la perception. Une libération en trois plans : «La conscience en tant qu’œuvre productrice crée un monde qui est son œuvre propre.» «L’activité réceptrice saisit la possibilité de renouveler sa perception du monde.» «La réflexion esthétique adhère a un jugement requis par l’œuvre ou s’identifie à des normes d’action qu’elle ébauche et dont il appartient à ses destinataires de poursuivre la définition.»15
14 15
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JAUSS Hans Robert, op. cit., p. 138 ibid., p. 143
Établir donc un parallèle avec la réception de l’architecture comme expérience esthétique nous paraît approprié, d’autant que la notion de jouissance voisine avec celle d’usage en lui conférant une portée étendue. De plus, dans cette définition élargie que nous en donne Jauss la jouissance n’est pas cantonnée au sensible, elle se déploie comme une activité cognitive.
1. Concept et expérience Nous opérerons d’abord un glissement de la jouissance vers l’érotisme, ce glissement nous est suggéré par Bernard Tschumi : «Eroticism, not to be confused with sensuality, eroticism does not simply mean the pleasure of senses. Sensuality is as different from eroticism as a simple spatial perception is different from architecture. `Eroticism is not the excess of pleasure but the pleasure of excess ’ : this popular definition mirrors our argument. Just as the sensual experience of space does not make architecture, the pure pleasure of the sense does not constitute eroticism. On the contrary the «pleasure of excess» requires consciousness as well as voluptuousness. Just as eroticism means a double pleasure that involved both mental construct and sensuality, the resolution of architectural paradox calls for architectural concept and, at the same instant, the immediate experience of space.»16² Tschumi nous permet ainsi grâce au concept d’érotisme de penser l’articulation de l’architecture idéelle avec l’architecture vécue. Il illustre son idée d’érotisme par la Villa Savoye, bâtiment dessiné et construit de 1929 à 1931 par Le Corbusier (ill. 14-15). Il s’agit de la Villa Savoye visitée en 1965 avant sa restauration et sa remise en état dans sa pureté blanche et intemporelle. A ce moment, particulièrement dégradée, sa visite fait émerger des sensations fortes. «[Those] remember the squalid walls of the small service rooms on the ground floor, stinking of urine, smeared with excrement, and covered with obscene graffiti.»17 16 «L’érotisme, à ne pas confondre avec la sensualité, n’est pas le simple plaisir des sens. La sensualité est aussi différente de l’érotisme qu’une simple perception spatiale l’est de l’architecture. ` L’érotisme n’est pas l’excès de plaisir mais le plaisir de l’excès ‘ : ce dicton reflète notre propos. De même que l’expérience sensuelle de l’espace ne produit pas de l’architecture, le pur plaisir des sens ne constitue pas l’érotisme. Au contraire, le plaisir de l’excès requiert conscience autant que volupté. De même que l’érotisme signifie un double plaisir qui engage et la construction mentale et la sensualité, la résolution du paradoxe architectural fait appel a des concepts architecturaux aussi bien que l’expérience immédiate de l’espace.» [T.d.a.] (TSCHUMI Bernard, Architecture and disjonction, op. cit., p. 71) 17 «[Ceux-là] se souviennent des murs sordides de la petite chambre de service au rez-de-chaussée, puant l’urine, maculée d’excréments et couverte de graffitis obscènes.» [T.d.a.] (ibid., p. 73)
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ill. 14,15. TSHUMI Bernard, Advertisements for architecture, 1975, (in TSHUMI Bernar, Architecture and disjonction, op.cit., p. 64 et 75) Nous avions noté à Pessac, une dualité entre pensé et vécu. Les toits étaient vécus et pensés, les deux termes s’articulaient très précisément dans le conflit. Le toit humide et sale suscitait des sensations presque de dégoût, celles ci permettaient d’établir une conception mentale du toit. Par rapport au toit traditionnel de la région qui était un type culturel acquis, l’idée du toit-terrasse à émergée chez l’habitant.
Mettant ainsi en valeur l’articulation entre les sensations (odeurs, perceptions tactiles, visions), les aspects sensibles (dégoût, répulsion) avec les développements intellectuels plus raffinés qu’elle suscite (outrage et obscénité supposent une norme culturelle ou sociale qui a été dépassée). Dans le cas de la Villa Savoye, c’est en particulier la connaissance et la conscience de l’architecture de Le Corbusier (et de toutes les évocations hygiénistes et puristes qui s’y rapportent) qui en relation avec la perception génère un effet de provocation puissant. Une fois restaurée, la Villa Savoye, blanche et pure retrouve son intemporalité. Elle n’est plus vivante. Tout comme la blancheur du squelette n’inspire plus le dégout du cadavre en décomposition, la Villa Savoye n’est plus apte à nous procurer des sensations, à mettre en jeu notre corps. C’est une abstraction mentale qui s’analyse et se représente en axonométrie (la représentation intellectuelle par excellence qui ne risque jamais d’être vécue). La visée de Tschumi, plus que d’illustrer l’érotisme, est de montrer comment une architecture peut être subvertie, et l’intérêt porté à la Villa Savoye est particulièrement provocateur puisqu’il porte sur tout ce dont les intentions de l’architecte sont précisément exemptes. Le rationalisme, et l’hygiénisme de la Villa Savoye (qui fait l’objet de l’intérêt habituel dans les analyses et les cours de théorie dans les écoles) est complètement contredit, nié par l’expérience sensible. C’est un lien subjectif et indécent qui fait de la Villa Savoye un objet sensuel.
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De manière similaire, c’est articulant le physiologique et le psychologique l’un sur l’autre que Merleau-Ponty résout à la fois le problème du membre fantôme et celui du membre refoulé. «Les motifs psychologiques et les occasions corporelles peuvent s’entrelacer parce qu’il n’y pas un seul mouvement dans un corps vivant qui soit un hasard absolu à l’égard des intentions psychiques, pas un seul acte psychique qui n’ait trouvé au moins son germe ou son dessin général dans les dispositions physiologiques.»18 Ce qui va chez Merleau-Ponty jusqu’à rendre le milieu corporel, le corporéisé, et faire apparaître une certaine «carnalité du monde»19. Tissant des liens charnels entre le corps qui pense et l’espace. Nous pouvons maintenant penser l’interrelation entre concept et expérience : c’est depuis une expérimentation qui s’origine dans le sensible, le sensuel qu’émergent des idées et des constructions mentales, les deux éléments étant dans un rapport inter-enrichissant ; l’un nourrit l’autre et l’autre nourrit l’un. C’est une activité créative, poïétique (comme le remarquait déjà Jauss) qui élabore des agencements, produit un monde. L’intellect, à partir des perceptions sensorielles, entre en mouvement, sécrète des concepts et les relie avec sa culture, son savoir, machine qui met en route des processus, construit, échafaude, et ses échafaudages alimentent les mouvements du corps en contact avec la matière. Les sensations croissent et les idées fusent. La sphère de l’expérimentation sensorielle déborde ainsi largement dans la sphère de la conception mentale, et il faut donc dire que celui qui expérimente l’architecture (en fait la réception) est autant concepteur et acteur qu’usager.
2. Excès Il faut aussi insister sur le caractère excessif de l’érotisme, il n’est pas simplement un rapport paisible entre idée et sensation. C’est le plaisir de l’excès. Tschumi empreinte l’idée d’érotisme à Georges Bataille, pour ce dernier l’érotisme est lié à la transgression. La transgression brise l’organisation collective du monde, c’est une violation, une libération de violence que Bataille associe à la mort, la guerre, le rire, l’orgie ou encore à l’extase. «L’expérience mène à la transgression achevée, à la transgression réussie, qui maintenant l’interdit, le maintient pour en jouir.»20 «Ce qui dès l’abord est sensible dans l’érotisme est l’ébranlement, 18 19 20
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MERLEAU-PONTY Maurice, op. cit., p.117 Augustin Berque à propos de Merleau-Ponty (op. cit., p312) BATAILE Georges, L’érotisme, op. cit., p. 42
par un désordre pléthorique, d’un ordre expressif d’une réalité parcimonieuse, d’une réalité fermée.»21 A la Villette, les rencontres de programmes hétérogènes permettraient d’excéder les logiques quotidiennes en provoquant une effusion, un foisonnement d’émotions qui anéantirait les fondements des habitudes, du monde rationnel.
A la Villette le processus de conception intégrait le paradoxe de créer du hasard, de l’imprévu par un processus très réglé. Maîtriser la perte de contrôle: plus la maîtrise est forte, plus la perte est puissante.
Nous pouvons poursuivre notre réflexion sur la possibilité de considérer le plein comme interdit spatial, et son inévitable contrepartie, la transgression. Se cogner au plein ouvre à un excès enivrant de sensations, une effusion plus ou moins violente, troublante dont nous jouissons, c’est à dire dont nous faisons usage, pour reprendre le mot de Jauss. L’apparente contradiction entre le caractère imprévu, intempestif du cognement et celui plus rituel de la transgression, ne contrevient pas à notre parallèle22. L’entreprise transgressive assume ce paradoxe de rompre le quotidien par un processus quotidien, Bataille écrit notamment : «Principe de l’expérience intérieure : sortir par un projet du domaine même du projet»23 Derrida, dans un texte qui s’efforce à différencier la pensée de Bataille de celle d’Hegel explique comment cet excès fait éclater la logique et la rationalité propre à Hegel, tout en la suivant. «Rarement rapport à Hegel fut aussi peu définissable : une complicité sans réserve accompagne le discours hégélien, `le prend au sérieux’ jusqu’en son terme, sans objection de forme philosophique, cependant qu’un certain éclat de rire l’excède et en détruit le sens, signale en tout cas la pointe d’expérience qui le disloque `luimême ’. »24 Ni sens, ni négation du sens, l’excès est en dehors de la dialectique de la positivité et de la négativité, elle échappe à la maîtrise25, elle met souverainement en jeu le savoir. Toute la difficulté de Bataille est d’écrire, d’énoncer cet éclatement du discours. Il s’emploie alors à piéger le texte, jouant avec des mots glissants qui font sortir la lecture du sens de la stricte textualité. «Il faudra imprimer au langage un certain tour stratégique qui, d’un mouvement violent et glissant, furtif, en infléchisse le vieux corps pour en rapporter la syntaxe et le lexique au silence majeur.»26
21 Ibid., p. 112 22 Notons que le quotidien possède en lui les moyens de son déchirement : «Le quotidien inclut en lui même les agents de sa propre transgression. Il contient sous de multiples formes (amour, mort, vengeance, exaltation, etc.) l’étrangeté qu’il bannit d’ordinaire.» (BEGOUT Bruce, op. cit., p75). 23 BATAILLE Georges, L’expérience intérieure, op. cit., p. 60 24 DERRIDA Jacques, De l’économie restreinte à l’économie générale, in L’écriture et la différence, Seuil, Paris, 1979 (édition originale, Seuil, 1967), p. 371 25 Qui fait référence, dans le langage hégélien à la dialectique du maître et de l’esclave. 26 DERRIDA Jacques, op. cit., p. 387
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L’expérience érotique de l’architecture, excède ainsi la logique du quotidien, le sens rationnel, elle ouvre à une aventure qui met en jeu les préjugés habituels. Transgresse les intentions architecturales d’origines. Et l’architecte aura certainement tout à gagner à mettre en jeu son architecture, à lui de donner ce tour glissant qui la fasse sortir de ce que l’on attendait d’elle. A jouer de ses liens obscurs qui infléchissent le discours en dehors de lui même. L’aspect économique d’un tel érotisme, est celui de la dépense improductive, c’est une libération d’énergie irréductible à une quelconque utilité (c’est en quoi l’érotisme diffère de la reproduction). La perte est dans cette perspective aussi importante, sinon plus que la production, elle permet de comprendre l’économie générale des circulations d’énergie (plutôt que celle restreinte qui s’intéresse uniquement à la production). Cette dépense était autrefois glorieusement effectuée dans le potlach,27 elle semble aujourd’hui dépréciée au point qu’elle ne s’effectue plus que par accident. «L’énergie excédante peut être utilisée à la croissance d’un système; si le système ne peut plus croître, ou si l’excédant ne peut entier être absorbé dans sa croissance, il faut nécessairement le perdre sans profit, le dépenser, volontiers ou non, glorieusement ou sinon de façon catastrophique.»28 Il y aurait ainsi une compréhension enrichissante à produire en considérant les potentiels de perte et de dépense improductive dans la sphère architecturale (dans sa conception et sa réception) plutôt que l’économie restreinte classique de l’efficacité, du durable, et de la croissance. (Nous pensons comme exemples parmi d’autres aux architectures de Louis II de Bavière et du Facteur Cheval.)
3. Conclusion L’usage se montre sous un jour différent, faisant apparaître ses affinités avec la jouissance, il plonge ses liaisons dans la subjectivité, et met en relation des éléments apparemment opposés (concept et expérience, corps et espace, rituel et accident). Ce faisant, nous renversons notre opposition préliminaire entre plein et vide. Nous pouvons penser des relations à partir du sujet et de ses gestes dans le vide vers le plein.
27 «Le potlach est comme le commerce un moyen de circulation des richesses, mais il exclut le marchandage. C’est le don solennel de richesses considérables, offertes par un chef a son rival afin d’humilier, de défier, d’obliger. [...]Le don n’est pas la seul forme de potlach : un rival est défié par destruction solennelle de richesse.» Ecrit Bataille en s’appuyant sur Marcel Mauss ( La part maudite, Les éditions de minuit, Paris, 2007 (édition originale, Les éditions de minuit, 1949),p. 105) 28 BATAILLE Georges, op. cit., p. 60
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C. (Critique de) la séparation La notion de séparation envisagée de manière critique révèle les dimensions sociopolitiques de la problématique, elle touche aux rapports entre l’organisation sociale et les modes de production de l’espace, soit ses acteurs et la réalité de leurs rôles. La critique que nous opérons fait voir comment l’architecture échappe aux acteurs (concepteurs et récepteurs) séparés. Puis à l’aide de concepts situationnistes nous tenterons de surmonter cette dépossession. Liminaire - Jauss et la fonction de sociale S’appuyant sur Paul Valery, Jauss voit dans la poïétique de la réception, une unité entre perception et création. «Regarder et produire, vision et expression sont indissociables»29 Il développe ensuite la fonction sociale de l’œuvre comme étroitement liée à celle de sa fonction de communication, c’est à dire de la catharsis. Par des processus d’identification (admiration, pitié, désapprobation...), l’œuvre transmet des normes d’actions et de comportements qui sont moins impératives que celles des institutions. «L’expérience esthétique est amputée de sa fonction sociale primaire précisément si la relation du public à l’œuvre d’art reste enfermée dans le cercle vicieux qui renvoie de l’expérience de l’œuvre à l’expérience de soi et inversement, et si elle ne s’ouvre pas sur l’expérience de l’autre qui s’accomplit depuis toujours dans l’expérience artistique spontanée.»30 L’art trouve ainsi la possibilité de produire une multitude d’effets sociaux depuis la rupture avec la norme jusqu’à la réalisation de la norme. Le jugement esthétique s’appuie alors sur des catégories de l’activité communicationnelle d’identification, d’exemplarité, et de consensus ouvert qui sont moins étroites que celle de l’affirmation, de l’émancipation, et de la reproduction. Ici, le parallèle avec l’architecture touche à ses limites. Puisque au-delà d’une expérience esthétique il est question d’une expérience quotidienne, comment alors est-il possible de considérer l’architecture comme une altérité? La réception rapporte plutôt l’environnement perçu - dans l’inattention, et la distraction - à ce qui est mien. L’architecture transmet ainsi sournoisement des normes sociales; l’absence de distance (faute de pouvoir la considérer comme autre), rend la norme impérative, l’identification est plus que spontanée, elle est préconsciente, sans distanciation. Le jugement qu’il soit ouvert ou non n’entre même pas encore en jeu. 29 30
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JAUSS Hans Robert, op. cit., p. 158 Ibid., p. 161
D’autre part, cette transmission de comportements sociaux entre l’écrivain et le lecteur est complètement faussée en architecture, l’architecte et l’habitant entretiennent des rapports tout autres. Il faudrait s’interroger sur la possibilité qu’a l’architecte de subvertir une norme sociale étant donné les mécanismes sociopolitiques au sein desquels elle se matérialise.
1. Séparation et spécialisation - dépossession « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement mais toujours d’une manière qui leur échappe.»31 La séparation des notions de plein et de vide, correspond à une organisation sociale où les fonctions sociales sont séparées et spécialisées : d’un coté l’architecte et de l’autre l’habitant, chacun spécialisé dans son rôle, l’architecte est un spécialiste de la conception du plein, l’habitant un spécialiste de la réception du vide. Ils sont d’autant plus séparés que les acteurs intermédiaires sont nombreux : politiques, économiques, médiatiques, juridiques... Nous faisons l’hypothèse de cette séparation sociale sans la démontrer pour poursuivre la réflexion. Les habitants de Pessac n’ont aucune connaissance des préoccupations de Le Corbusier, les bribes d’information qui leurs sont parvenues via les média sont largement insuffisants pour saisir la discipline architecturale moderniste. Il leur est donc impossible de communiquer avec lui. Ils ont plus de contact avec le maître d’ouvrage Frugès qui est Bordelais, pourtant ils en restent très éloignés, leurs préoccupations quotidiennes sont incommensurables. Il habitent des objets qui leur échappent et qui échappent en même temps à Le Corbusier et à Frugès.
La spécialisation entraîne une méconnaissance de la spécialité disciplinaire de l’autre. L’habitant ne connaît pas les enjeux de l’architecture qu’il habite avec inattention, et l’architecte méconnaît les singularités des habitants pour lesquels ils conçoit une architecture abstraite. Cette dernière proposition devient plus évidente aux échelles d’enjeux que peuvent prendre un projet urbain plutôt que celle d’une habitation privée, elle n’en reste pas moins valable. La communication d’une discipline à l’autre est rendue impossible, que ce soit par l’absence de contact réel ou par l’incommunicabilité du langage dans l’état séparé, comme le fait voir le situationniste Vaneigem : «Les gens offrent, dans les transports en commun qui les jettent les uns contre les autres avec une indifférence statisticienne, une expression insoutenable de déception, de hauteur et de mépris, comme l’effet naturel de la mort sur une bouche sans dents. L’ambiance de la fausse communication fait de chacun le policier de ses propres rencontres.»32 Les pratiquants (architecte et habitant) sont alors mutuellement dépossédés de objet qu’ils pratiquent. La question est celle du
31 extrait du film Critique de la séparation, 1961, réalisé par DEBORD Guy à 4:55 (http://www.ubu.com/film/debord_critique.html) 32 VANEIGEM Raoul, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Gallimard, Paris, 1992 (édition originale, Gallimard, 1967), p. 49
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pouvoir que les individus ont sur l’architecture. Aucun, de l’architecte ou de l’habitant ne reconnaît comme sien de pouvoir sur l’architecture. L’habitant ne conçoit pas l’architecture qu’il habite et l’architecte n’habite pas non plus l’architecture qu’il conçoit. L’architecture prend des airs de marchandise. «Le travailleur ne se produit pas lui même, il produit une puissance indépendante. Le succès de cette production, son abondance, revient vers le producteur comme abondance de la dépossession. Tout le temps et l’espace de son monde lui deviennent étrangers avec l’accumulation de ses produits aliénés»33 Dans la pensée situationniste cette séparation permet le maintient du spectacle. La séparation ne va pas sans le mensonge de tous les pseudo-choix qui se présentent aux spécialistes donnant l’illusion de ce qu’il est possible de faire (alors qu’il s’agit de ce qui est permis). Quels sont les choix - réellement les siens - qu’un architecte a sur l’architecture dans les conditions actuelles de la production de l’espace? Quels sont les choix - réellement les siens - qu’un habitant a sur l’architecture qu’il habite, que ce soit sa maison ou sa rue ?34 «Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie dominante. Il est l’affirmation du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire.»35 La représentation est une modalité de la séparation qui maintient un faux contact tout en éloignant les possibilités de vécus réels. Les spécialistes séparés deviennent spectateurs de leurs existences, ce qui permet au spectacle de se poursuivre par lui même. Le cognement est alors exclu de l’automaintien du spectacle policé. Il agit au contraire comme une point de rupture, il brise le cours des représentations pour engager le sujet dans un vécu réel. Il est une inflexion qui fait se confondre les rôles de l’architecte et de l’habitant, rompt la séparation. L’architecte s’autorise à s’intéresser aux événements accidentels de son architecture, l’habitant s’autorise à réaliser son environnement. Mais le risque est que cette rupture ne soit même pas perceptible. Qu’elle n’apparaisse que sous le prisme du spectacle, déformée, stérilisée par les habitudes, reléguée à l’arrière plan. «Il faut dire que la pratique unifiée du spectaculaire intégré, au-
33 DEBORD Guy, La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992 (édition originale, Buchet-Chastel, 1967), p. 31 34 Il y aurait ainsi à montrer les effets les plus pernicieux de la participation et de la consultation en architecture; entre les représentations véhiculées et la réalité. 35 DEBORD Guy, La société du spectacle, op. cit., p. 17
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jourd’hui à `transformé économiquement le monde’, en même temps qu’il a `transformé policièrement la perception’. »36 Notre propre perception serait ainsi un outil pour maintenir l’état séparé et neutraliser l’apparition des vertus du cognement. Il y aurait à étudier plus précisément les mécanismes de la dépossession des acteurs dans les conditions de la production de l’espace.
2. Simultanéité et inversion - repossession « Généralement les événements qui arrivent dans l’existence individuelle telle qu’elle est organisée, ceux qui nous concernent réellement et exigent notre adhésion sont précisément ceux qui ne méritent rien de plus que de nous trouver spectateurs distants et ennuyés, indifférents. Au contraire la situation qui est vue à travers une situation artistique quelconque est assez souvent ce qui attire, ce qui mériterait que l’on devint acteur, participant. Voilà un paradoxe à renverser, à remettre sur ses pieds. »37 Contre ces modes séparés de production de l’espace nous pouvons opposer des modalités qui déborde la séparation, où une unité serait rétablie.
L’architecture de Pessac pour les habitants n’est pas celle que Le Corbusier créait à l’aide de vue axonométriques, de façades et de plans. Ces créations sont en dehors de la réalité. Les habitants qui se confrontent à la réalité du projet, le vivent et le perçoivent, faisant ainsi apparaître continuellement le sens de l’architecture de Pessac. L’ensemble des gestes qui sont les leurs perçoivent l’environnement de manière singulière et génèrent une représentation fluente de l’architecture.
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A la suite de la jouissance poïétique où perception et création ne sont pas dissociées, la phénoménologie nous permet de considérer un primat de la perception. L’architecture -en descendant au niveau de sa phénoménalité, dans son mode d’apparition- à ce moment n’existe pas en dehors de l’expérience vécue. Ce sont nos vécus, l’ensemble de nos gestes qui parcourent l’architecture tout en la percevant qui lui donne vie dans notre conscience. Si jamais nous pouvons nous en souvenir sans la percevoir directement, c’est un souvenir qui renvoi à une perception passée. L’architecte auteur, est alors une notion inopérante38. Il faut considérer une reconception permanente de l’architecture sous les gestes multiformes des vécus perceptifs. L’expérience perceptive est porteuse de sens, elle est constitutive de l’architecture. «Les données du problème ne sont pas antérieur à sa solution, et la perception est justement cette acte qui crée d’un seul coup, avec la constellation des données, le sens qui les relie, - qui non seulement découvre le sens qu’elles ont mais encore fait qu’elles aient
36 ibid., p. 9 37 Extrait du film Critique de la séparation réalisé par DEBORD Guy à 12:19 38 Cela renvoi aussi a des aspect juridiques, comme la responsabilité de l’architecte.
un sens.»39 Réception et conception peuvent donc être considérées comme simultanées. Reste à articuler cette modalité perceptive avec une modalité effective. Nous pouvons avancer quelques propositions stimulantes, en premier lieu la situation construite. « situation construite Moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’une ambiance et d’un jeu d’événements »40 Il y a dans la situation construite cette simultanéité entre la réception et la création qui vise une construction de la vie par son environnement selon le jeu. La production de l’espace est prescrite alors par le désir d’une ambiance et d’un événement, et non plus par des nécessités purement fonctionnelles ou économiques. La richesse de la perception guide une construction subjective. Construire des situations revient donc à reprendre possession de son existence, à créer les conditions de sa liberté, de son libre jeu. Pour éviter la facticité illusoire d’un événement exceptionnel, ça n’est ni dans la quotidienneté de la vie, ni dans l’esthétisme de l’art que se déploie la situation construite, mais dans des moyens qui les excédent tout en s’y originant. «Et ce qui a lieu - sur la scène comme dans la situation construite ça n’est pas l’actualisation d’une puissance, mais la libération d’une puissance ultérieure. Geste est le nom de cette croisée où se rencontre la vie et l’art, l’acte et la puissance, le général et le particulier, le texte et l’exécution»41 La prépondérance du jeu est alors significative, il s’agit de faire déborder le jeu d’un temps isolé pour le faire envahir l’ensemble de la vie quotidienne. Le jeu revêt une certaine gravité alors puisqu’il s’inscrit dans une posture éthique. Il exclut des visées intéressées ou utiles, puisqu’il est tourné vers le plaisir gratuit et la qualité d’une ambiance, construire et vivre la situation est jeu. Et le jeu en garantit aussi la dynamique, la situation construite est toujours perpétuellement à reconstruire, a remettre en jeu, excluant toute fixité.
39 MERLEAU-PONTY Maurice, op. cit., p. 61 40 In ANDREOTTI Libero, op. cit., p. 137 41 AGAMBEN Giorgio, Gloses marginales aux commentaires sur la société du spectacle, in Moyens sans fins, op. cit., p. 90
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Dans un deuxième temps, le détournement est un phénomène d’inversion qui permet de poursuivre cette dédifférenciation des rôles entre concepteur et récepteur. « Le détournement mineur est le détournement d’un élément qui n’a pas d’importance propre et qui tire son sens de la mise en présence qu’on lui fait subir.[...] Le détournement abusif est au contraire celui dont un élément significatif en soi fait l’objet; élément qui tirera du nouveau rapprochement une portée différente. »42
L’habitant de Pessac qui utilise ce que Le Corbusier prévoyait comme un garage en chambre d’ami détourne l’espace. Son usage génère ainsi un nouveau sens. L’habitant prend ainsi possession de son milieu, même si dans le cas de Pessac ce qui pousse les habitants sont peut-être des besoins plus triviaux.
Le détournement de l’espace peut se faire par exemple par un usage de l’espace contraire a l’usage normal (par exemple les manifestations de mai 68 détournent les rues de Paris ill. 16). Tschumi en fait une stratégie programmatique celle de la «crossprogrammation», l’architecture s’écrit et se ré-écrit a travers les façons de la pratiquer. L’architecture n’a ainsi pas le même sens selon la façon dont elle est pratiquée (ill. 17).
ill. 16. photo mai 68, tirée de ANDREOTTI Libero, Le grand jeu a venir, textes situationnistes sur la ville, op.cit., p. 41
ill. 17. TSCHUMI Bernard, Advertisements for architecture, 1975
Le détournement est ainsi une inversion : la réception de l’architecture est en elle même une création. Le sens est produit par les gestes habitants. Le détournement étant porté par la spontanéité, il échappe à la projection, à l’intention porté vers une finalité supérieure hors de l’instant présent.
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In ANDREOTTI Libero, op. cit., p. 85
« La conscience d’un moment de vie authentique élimine les alibis, l’absence de futur rejoint dans le même néant l’absence de passé. La conscience du présent s’harmonise à l’expérience vécue comme une sorte d’improvisation. »43 L’espace peut ainsi se retourner contre les intentions initiales de son concepteur. Les habitants reprennent ainsi possession de l’architecture. 3. Conclusion Les acteurs du plein et du vide, dans la réalité de leur séparation montrent au travers de la critique de la société spectaculaire marchande une mutuelle incompréhension et des rôles qui ne réalisent pas leurs prétentions. Face à cette situation, la perception subjective, les situations construites et le détournement flouent la distinction entre les acteurs, et proposent une repossésion44. Nous avons là la solution conceptuelle, l’unité des rôles dans un même acte, à la fois plein et vide.
43 VANEIGEM Raoul, op.cit., p. 251 44 Il existe immanquablement des cas d’actualité qui jouent de cette repossession, nous pouvons indiquer comme piste l’appropriation de la Torre David à Caracas, ou encore la posture de Patrick Bouchain de construire en habitant, qu’il faudrait étudier à la lumière de notre analyse.
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D. Conclusion L’imprévisibilité, l’érotisme et la critique de la séparation permettent de sortir de l’opposition dialectique entre plein et vide, ceux ci n’étant que des extrêmes absolus et donc abstraits. Ces notions nous permettent de penser des relations dynamiques et multidirectionnelles dans les rapports plein/vide, entre conception, construction et réception. La dynamique de ces notions nous a fait aborder nombre d’éléments sans les épuiser tous. Les notions disparates se recouvrent néanmoins partiellement et sont mises en relation depuis des points de vus analytiques incommensurables (par exemple la relation entre interdit et transgression qui apparaît dans l’imprévisibilité émerge à nouveau d’un point de vue sociopolitique dans le détournement). L’appréhension générale apparaît malaisée. Nous proposons donc une carte pour visualiser les relations entre ces éléments et montrer les interrelations de nos trois axes d’analyse (imprévisibilité, érotisme, critique de la séparation) ainsi que leurs chevauchements (ill.18). Cette tentative s’apparente plus à une somme récapitulative qu’à un schéma de synthèse.
Ces notions devraient nous amener, en tirant les conséquences générales qu’elles contiennent, à reconsidérer complètement la situation architecturale, cette reconsidération reste ici suspendue, non directive, pleinement ouverte à la lecture.
62
ill. 18.
spontanéité
normes sociales
habitudes
processus de quotidianisation
aliénation
projets et projections les finalités moyens sans fins instant présent
surprise sensoriel la vie quotidienne usage jouissance milieu affectif tissé milieu ordinaire déjà-là carnalité du monde après
expérience
habitant récepteur
dérive
détournement
la perception créatrice
VIDE
sensible actualisations subjectives
hétéronomie
éffusion sensuelle
Imprévisibilité
PLEIN temporalité discontinue
(Critique de) la séparation
Érotisme
réception poïétique
mise en jeu
concept
cognition
psychogéographie contrôle l’imprévu anticipation le jeu représentation situation construite mode production de l’espace avant motivation cause à effet les spécialistes séparés fonctionnalisme logique pulsionelle organisation sociale interdit / transgression maîtrise subvertion logique rationnelle obscurité la société du spectacle excès incommunicabilité mise en jeu du savoir architecte concepteur sphère sociopolitique responsabilité de l’architecte
sphère économique
sphère juridique
63
dépense improductive
64
IV. Conclusion Nous soulevons dans nos cas, différentes manières que le corps a de rencontrer l’architecture : des formes de cognement qui indiquent les écueils d’une pensée harmonieuse, bienséante entre la forme architecturale et sa fonction. Alors que dans la réception de l’architecture comme dans sa conception le cognement semble être un phénomène stimulant, à l’origine d’une richesse des gestes habitants. La description phénoménale du cognement fait ressortir les ressorts habituels dans lesquels il s’inscrit, comment il défait le quotidien, comment l’ordinaire reprend ensuite le dessus. Ainsi s’ouvrent des possibilités salutaires, celles de se dégager des finalités aliénantes, et de l’inertie du quotidien pour vivre salutairement l’instant dans son extraordinaire étrangeté. Dès lors il n’est plus possible de penser les rapports entre le plein et le vide architectural de manière conventionnelle, il faut en dégager les idées implicites qu’ils organisaient, pour comprendre la nécessité de les faire éclater. Pour opérer ce déchirement, pour reconsteller conception, construction et réception, il nous fallait des outils conceptuels. L’imprévisibilité à rendu la linéarité fermée de la temporalité du projet impossible, et la prévision ouverte à la subjectivité. L’érotisme à montré un usage, une expérimentation de l’architecture qui allie sensations et concepts. Il a montré aussi la possibilité d’excéder la logique rationnelle du quotidien par le charnel et le pulsionnel. La séparation des rôles entre l’architecte, le concepteur, l’habitant et le récepteur est flouée par la critique situationniste, ces rôles peuvent être joués simultanément, ils peuvent être inversés. Des gestes sur lesquels nous avons lancé cette investigation, que pouvons nous dire? Nous les envisageons dans une interrelation avec le milieu architecturé, une interrelation active qui associe conception et réception, déborde un habiter passif. Les gestes sont à la fois acteurs, metteurs en scène et les spectateurs des pleins et vides spatiaux. Une des dimensions essentielles qui nous est apparue est la quotidienneté dans laquelle les gestes s’inscrivent. C’est une sorte de connaissance préparatoire que nous avons mis en place. Il s’agirait maintenant de construire une vision personnelle qui semble d’avance impraticable. Nous pouvons néanmoins énoncer nos inclinations. D’abord, nous voudrions revenir sur les gestes, dans une situation peut-être moins excessive, moins limite que lorsque ils se cognent, mais dans les dimensions régulières des mouvements corporels qui les font apparaître paradoxalement ordinaires en même 65
temps que chorégraphiques. Il faudrait alors entrevoir comment s’effectue cette dépossession quotidienne de cet art scénographique qui est peut être le seul avec lequel peut coïncider son sujet. Ensuite, nous envisageons d’approfondir cette unité de la pratique et de la production de l’espace que nous poursuivons, à travers notamment le concept de templum. «Templum : ce mot a pour sens premier celui « d’espace délimité », en particulier celui que trace dans le ciel le bâton de l’augure afin d’y prendre les auspices avant un acte officiel. «Temple» n’est que l’une des acceptations dérivée de ce premier sens»1 «Ce n’est pas dans l’espace objectif que l’organiste joue. En réalité, ses gestes pendant la répétition sont des gestes de consécration : ils tendent des vecteurs affectifs, ils découvrent des sources émotionnelles, ils créent un espace expressif comme les gestes de l’augure délimitent le templum.»2 Une architecture gestuelle - aux antipodes de tout geste architectural - qui aurait pour mythe originel le temple de l’augure où l’usage et l’architecture ne sont qu’un seul et même geste. Certes les possibilités de réalisation de tels desseins, pour ne pas être vouées aux déconvenues ou pire participer au spectacle malgré elles, devront faire l’objet d’une stratégie de mise en place exigeante tenant compte des conditions sociopolitiques de la production de l’espace. Si ces possibilités ne sont pas d’ores et déjà inexistantes.
«Il convient que la poésie soit inséparable du prévisible, mais non encore formulé.» René Char3
1 2 3
66
BERQUE Augustin, op. cit., p. 58 MERLEAU-PONTY Maurice, op. cit., p. 181 CHAR René, «Partage formel», in Fureur et mystère, op. cit., p. 67
Biliographie Ouvrages
- AGAMBEN Giorgio, Moyens sans fins, Éditions Payot et Rivages, Paris, 2002 - ANDREOTTI Libero, Le grand jeu à venir, textes situationnistes sur la ville, Éditions de la Villette, Paris, 2007 - BATAILLE Georges, L’expérience intérieure, Gallimard, Paris, 2011 (édition originale, Gallimard, 1943) - BATAILLE Georges, La part maudite, Les éditions de minuit, Paris, 2007 (édition originale, Les éditions de minuit, 1949) - BATAILLE Georges, L’érotisme, Les éditions de minuit, Paris, 2011 (édition originale, Les éditions de minuit, 1957) - BEGOUT Bruce, La découverte du quotidien, Allia, Paris, 2010 (édition originale, Allia, 2005) - BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Paris , 2010 - BERGSON Henri, Le possible et le réel, Puf, Paris, 2011 - BERQUE Augustin, Écoumène, introduction à l’étude des milieux humains, Belin, Paris, 2000 - Collectif, Dictionnaire étymologique, Larousse, Paris 1971 - BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, Dunod, Paris, 1969 - BOUDON Philippe (sous la direction de), La conception architecturale, cours d’architecturologie, Éditions de la Villette, Paris, 2000 - BREVIGLIERI Marc et TROM Danny, «Troubles et tensions en milieu urbain. Les épreuves citadines et habitantes de la ville», in Les sens du public : publics politiques et médiatiques, CÉFAÏ Daniel et PASQUIER Dominique (sous la direction de), PUF, Paris , 2003 - CHAR René, Fureur et mystère, Gallimard, Paris, 2011(édition originale, Gallimard, 1962) - DEBORD Guy, La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992 (édition originale, Buchet-Chastel, 1967)
67
- DERRIDA Jacques, De l’économie restreinte à l’économie générale, in L’écriture et la différence, Seuil, Paris, 1979 (édition originale,Seuil, 1967) - FERRAND Marylène, FEUGAS Jean-Pierre, LE ROY Bernard, VEYRET Jean-Luc, Les quartiers modernes Frugès, FLC /Birkhaüser, Bâle,1998 - GOETZ Benoît, Théorie des maisons, Verdier, Paris, 2011 - JAUSS Hans Robert, , Pour une esthétique de la réception (MAILLARD Claude, trad.), Gallimard, Paris, 2010 (édition originale, Gallimard, 1978) - LE CORBUSIER, Quand les cathédrales étaient blanches, Gonthier, Paris, 1965 (édition originale, Plon, 1937) - LE CORBUSIER, Le modulor, Essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine applicable universellement à l’architecture et la mécanique, Édition de l’architecture d’aujourd’hui, Paris, 1983 (édition originale, Édition de l’architecture d’aujourd’hui, 1950) - LE CORBUSIER, La Charte d’Athènes, Éditions de minuit, Paris, 1957 (édition originale, Les éditions de minuit, 1957) - MERLAU-PONTY Maurice, Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 2006 (édition originale, Gallimard, 1945) - PEREC Georges, Espèce d’espaces, Galilée, Paris, 2000 (édition originale, Galilée, 1974) - SARTRE Jean-Paul, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996, Paris (édition originale, Éditions Nagel, 1946) - SIMMEL Georg, Les grandes villes et la vie de l’esprit, L’Herne, Paris, 2007 - TSCHUMI Bernard, The manhattan transcript, Academy edition, Londres, 1994 (édition originale, Academy edition, 1981) - TSCHUMI Bernard, Architecture and disjunction, MIT press, Londres, 1994 - VANEIGEM Raoul, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Gallimard, Paris, 1992 (édition originale, Gallimard, 1967)
68
Articles
- FRAMPTON Kenneth, «Concours international pour le parc de la Villette. Chapitre III : le footballeur patine sur le champ de bataille», in Architecture d’aujourd’hui n°228, septembre 1983 - HIS Ghislain, «Tschumi vs Koolhaas. La Villette comme champ d’expérimentation disciplinaire», in Les cahiers thématiques n°1, février 2001 - LUCAN Jacques, «Bernard Tschumi le parc de la Villette. Entretien avec l’architecte», in amc n°6, décembre 1984 - LUCAN Jacques, «Déconstruire l’architecture» , in amc n°17, octobre 1997
Web
- Article «opérateur», Centre national de ressources textuelles et lexicales (consulté le 10 novembre 2012) http://www.cnrtl.fr/definition/opérateur - Bernard Tschumi Architects (consulté le 10 novembre 2012) http://www.tschumi.com/ - GOETZ Benoit, «Théorie de la démarche. Ébauche d’une théorie d’un geste », Le portique, mis en ligne le 16 décembre 2008 (consulté le 10 avril 2012). http://leportique.revues.org/index791.html
Film
- DEBORD Guy, Critique de la séparation, 1961. http://www.ubu.com/film/debord_critique.html (consulté le 22 novembre 2012) - Institut de l’audiovisuel (ROHMER Eric), La diversité du paysage urbain, 1975. http://www.ina.fr/art-et-culture/architecture/video/CPA75052575/ladiversite-du-paysage-urbain.fr.html (consulté le 22 novembre 2012)
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Table des illustrations - ill.1. Photo du projet originel, auteur non cité, tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit.,p. 144 - ill.2. Photo du projet en 1967, tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 143 - ill.3. Schéma des différentes altérations du plan (schéma de l’auteur d’après BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 106) - ill. 4. Le projet en 1967, photo de Boudon, montrant la façade refaite, à l’occasion de la communion du fils de la maison - ill.5. Photo du projet originel, auteur non cité, tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 146 - ill.6. Photo du projet en 1967, tiré de BOUDON Philippe, Pessac de Le Corbusier, op. cit., p. 147 - ill.7. Ibid. - ill.8. Ibid. - ill.9. Diagramme des trois systèmes autonomes superposé, tiré de www.tschumi.com/projects/3/ (consulté le 10 novembre 2012) - ill.10. Schéma pour deux propositions préliminaires pour la disposition des folies (schéma de l’auteur d’après TSCHUMI Bernard, Architecture and disjunction, op. cit., p. 190) - ill.11. Schéma des association binaire autour du rapport plein/vide (schéma de l’auteur) - ill.12. Sans nom, extraite de l’internationale situationniste n°6 tirée de ANDREOTTI Libero, Le grand jeu a venir, textes situationnistes sur la ville, op. cit., p. 176 - ill.13. Guide psychogéographique de Paris, 1957, dépliant, DEBORD Guy (in ANDREOTTI Libero, Le grand jeu a venir, textes situationnistes sur la ville, op. cit., p. 23)
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- ill.14. , Advertisements for architecture, 1975, TSCHUMI Bernard in TSCHUMI Bernard, Architecture and disjonction,op. cit. p. 64 - ill.15. Advertisements for architecture, 1975, TSCHUMI Bernard in TSCHUMI Bernard, Architecture and disjonction,op. cit. p. 75 - ill.16. Photo mai 68, tirée de ANDREOTTI Libero, Le grand jeu a venir, textes situationnistes sur la ville, op. cit., p41 - ill.17. Advertisements for architecture, 1975, TSCHUMI Bernard in TSCHUMI Bernard, Architecture and disjonction,op. cit. p. 100 - ill.18. Carte récapitulative (dessin de l’auteur)
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Table des matières Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
Plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5
I. Terrain expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
A. Pessac - Le Corbusier Se cogner à : réception
1. Présentation 2. Emergences 3. Le cognement 4. Implications a. Existence b. Altérations 5. Rejaillissements a. L’architecte, un rôle indéterminé b. La dualité pensé/vécu 6. L’échec ?
B. La villette - Bernard Tschumi se cogner à : conception 1. Présentation 2. Émergences a. Théorie b. La Villette 3. Le cognement 4. Implications a. Existence b. Hasard 5. Rejaillissements a. Rôle de l’architecte ? b. Temps
7 7 9 9 12 12 12 14 14 15 17
19 19 19 19 20 21 23 23 23 25 25 26
II. Dessin théorique du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
29
A. Description du phénomène
29 29 30 32 32 33
1. Le monde des habitudes 2. Interruption, perception du choc 3. Localisation 4. Réaction 5. Traces
72
6. Conclusion
34
B. Les rapports plein/vide
37 37 38
III. Notions clefs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
41
A. Imprévisibilité
41 42 42 44 47
B. Érotisme
49 49 50 52 54
C. (Critique de) la séparation
55 55 56 58
IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
65
Biliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
67
Table des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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1. L’appréhension binaire 2. Apories
Liminaire - Jauss et l’hétéronomie de l’œuvre, l’effet produit 1. Prévoir l’imprévisible 2. Dispositifs : se saisir des gestes 3. Conclusion Liminaire - Jauss et la jouissance esthétique 1. Concept et expérience 2. Excès 3. Conclusion Liminaire - Jauss et la fonction de sociale 1. Séparation et spécialisation - dépossession 2. Simultanéité et inversion - repossession
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