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2. Entrepreneuriat culturel et employabilité
- telles que les clés de répartition5 - ne sont toujours pas affichées en ligne. Plus généralement, le principe de monopole et de centralisation par l’Etat de moyens produits par le privé repose sur la capacité de l’opérateur à agir comme un tiers de confiance. Or, non seulement, la défiance vis-à-vis du BMDA est forte mais la volonté d’acteurs des nouvelles générations de s’inscrire sur d’autres plateformes, comme la SACEM, voire la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) en France, indique une situation d’impasse.
Dans ce nouveau contexte, un certain nombre de questions doivent être considérées – comment le BMDA peut-il résoudre les problèmes de légitimité qui sont inhérents à son statut historique et à sa nature même ? De quelle façon peut-il pallier son défaut de représentativité ? Quel doit être précisément son nouveau mandat et comment celuici peut-il être rempli ? Des questions cruciales qui se posent aujourd’hui de manière particulièrement vive et unanime. Et, à l’écoute des différentes parties prenantes, nous ressortons avec une double conviction : le besoin de faire aboutir la réforme en cours et d’assurer la transparence vis-à-vis des bénéficiaires, mais également la levée du monopole sur ce domaine, avec soit des caisses spécifiques par filière ou généralistes concurrentes.
Un paradigme récent qui se hisse en tête des priorités des politiques publiques
L’importance de l’innovation et de l’entrepreneuriat a redoublé et l’attention qu’y portent les sciences de gestion tout autant. Sur le continent, la figure de l’entrepreneur culturel est grandissante : notamment en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Burkina Faso et au Cameroun. Au Maroc, si l’expression vient d’intégrer les usages6, il n’en demeure pas moins qu’elle est le reflet d’une réalité déjà opérante. En effet, au Maroc, être un créateur implique
presque systématiquement une dimension entrepreneuriale, du fait d’avoir à assumer pleinement tant les risques que les bénéfices des projets
créés. Cet entrepreneuriat peut revêtir différentes formes : auto-emploi, micro-entreprise, travail autonome selon différents statuts (formel, semiformel, informel, occasionnel, saisonnier, etc). Certains créateurs témoignent d’une activité entrepreneuriale au sens le plus strict, créant une entreprise et embauchant parfois du personnel. D’autres peuvent déployer ce que l’on peut qualifier de stratégies « hors-marché ». À la différence de l’Europe, rares sont ceux qui s’affirment comme entrepreneurs institutionnels.
Le développement de l’entreprenariat culturel figure parmi les 5 pistes
prioritaires de la Stratégie pour le secteur des ICC présentée par le ministre de la culture au début d’année 20217 . (réf. FIG 29 Annexe 5) : Stratégie pour le secteur des industries culturelles et créatives
5. Détermine la ventilation de la valeur des droits entre auteur, compositeur et éditeur (le cas échéant). La clé de répartition peut être statutaire (invariable) ou contractuelle. 6. L’entrepreneuriat culturel au Maroc est un domaine encore peu exploré par la recherche - qu’elle soit fondamentale ou appliquée. 7. Perspectives 2021 du Ministère de la Culture, Jeunesse & Sports. www.youtube.com/watch?v=agl3pGqouXw&t=465s
Les entrevues menées montrent que l’entrepreneuriat créatif et culturel au Maroc est souvent un entrepreneuriat par nécessité, qui se caractérise aussi par la volonté de promouvoir les savoirs, les savoir-faire et le riche patrimoine culturel marocain.
• Un écosystème mixte
Les opérateurs privés marocains du secteur culturel ne disposent pas d’un statut légal particulier. Pour pouvoir travailler, ils peuvent se constituer : (i) en association ; (ii) en coopérative ; (iii) en auto-entrepreneur ; (iv) en société à responsabilité limitée (SARL) ou en société anonyme (SA) ; auxquelles s’applique la fiscalité prévue pour les autres entreprises. Sont exonérés de TVA seulement les autoentrepreneurs pour les cinq premières années d’activité, les coopératives et les prestations non commerciales fournies par les associations reconnues d’utilité publique, avec l’application d’un taux réduit de 10 % aux œuvres et objets d’arts depuis 2015.
• Associations
A ce jour, le secteur culturel marocain évolue avec une grande prévalence des statuts associatifs à but non lucratif. En 2015, le Maroc comptait 130 000 associations - elles étaient 30 000 en 2002 — dont 9 040 (7%)8 à vocation culturelle et artistique. La notion de non lucratif ne signifie pas que ces structures n’apportent pas de contribution à l’économie. En plus de représenter un potentiel important en termes d’emploi, les associations sont soumises à des règles fiscales strictes. En vertu de l’article 2-I-3° du Code Général des Impôts (CGI), les associations sont considérées comme des personnes morales assimilables aux sociétés. Elles sont certes exonérées de l’Impôt sur les Sociétés (Art. 6-I-A-1° du CGI) mais cette exonération : « ne s’applique pas en ce qui concerne les établissements de ventes ou de services appartenant aux associations et organismes précités ». En matière de TVA, les associations sont fiscalement traitées comme des consommateurs finaux. Et si elles procèdent à des opérations taxables relevant du champ d’application de cette taxe (article 89 du CGI), elles deviennent légalement redevables comme n’importe quelle autre entreprise9. Le travail des associations marocaines est organisé par le Dahir n° 1-58-37610 réglementant le droit d’association.
Au cours de la dernière décennie, le monde associatif marocain a investi le secteur de la culture en exerçant un rôle moteur dans le développement et la valorisation des expressions artistiques, du patrimoine et du fourmillement culturel du pays. Un nombre croissant d’associations recherchent de nouveaux modèles économiques afin de réduire leur dépendance aux subventions et de diversifier leurs revenus. Cette
32 ص .2016 ،2015 ةنس مسرب تايعمجلاو ةلودلا ينب ةكاشرلل لولأا يونسلا ريرقتلا ،نيدلما عمتجلماو نالمبرلا عم تاقلاعلاب ةفلكلما ةموكحلا سيئر ىدل ةبدتنلما ةرازولا .Cf .8
9. M. Amine, “La fi scalité des associations, entre le brouillard juridique et la fausse tolérance” publié dans le magazine
Challenge (2014). 10. Dahir du 15 novembre 1958 (3 joumada I 1378) relatif aux rassemblements publics (publié au B.O. du 27 novembre 1958)
dynamique naissante reste à accompagner afin de permettre à ces structures une autonomisation financière et un « passage à l’échelle » (scalability).
• Auto-entrepreneurs
Le statut d’auto-entrepreneur, institué par la loi du 19 mars 2015, est accessible à toute personne physique exerçant à titre individuel une activité industrielle, commerciale ou artisanale, ou prestataires de services, dont le chiffre d’affaires annuel encaissé ne dépasse pas 500 000 dhs pour les activités industrielles, commerciales et artisanales et 200 000 dirhams pour les prestations de services.
Entre 2015 et 2019, 118.496 personnes ont adopté ce statut (tous secteurs confondus) et 2.878 auto-entrepreneurs ont bénéficié d’un accompagnement. Les chiffres de la ventilation sectorielle ne sont pas disponibles. Toutefois et d’après la collecte de données empirique, de nombreux entrepreneurs culturels, artistes, créateurs, et porteurs de projets individuels ont recours à ce statut en raison de son accessibilité et de ses avantages administratifs et fiscaux.
• TPE-PME
La majorité des entreprises actives dans les filières culturelles et créatives sont de petite taille et produisent principalement une valeur immatérielle. La fracture entre les très petits opérateurs et les grandes PME, parfois filiales de grands groupes industriels internationaux (Hachette dans l’édition, Mégarama dans le cinéma, FNAC et Virgin dans la distribution, etc), génère une iniquité d’accès au marché et au financement.
Afin de lutter contre le sous-emploi, le gouvernement marocain s’est fixé l’objectif de faire avancer les réformes de sa politique économique dans une optique de croissance inclusive et de création d’emplois. Les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME)11 jouent un rôle essentiel à ce propos. Elles constituent 93% de l’ensemble des entreprises au Maroc (dont 2/3 de TPE et ⅓ de PME) et jouent un rôle important dans la création de l’emploi12. Pour le moment, les grands réseaux de l’entrepreneuriat au Maroc (institutionnels ou privés) accompagnent très peu les entrepreneurs du secteur culturel. Leurs cibles sont des porteurs de projets évoluant dans des univers d’activité économique peu soumis à une «logique d’hybridation des ressources» et à une «logique de l’offre» (Emin, Schieb-Bienfait et Sammut, 2021).
11. Les très petites et moyennes entreprises (TPME) sont celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 75 millions de DH et des effectifs inférieurs à 200 employés. Les très petites entreprises (TPE) sont définies comme étant les unités ayant un
CA de moins de 3 MDH et un effectif inférieur à 10 employés. Résultats de l’enquête nationale menée par le HCP auprès des entreprises en 2019. 12. Examen national volontaire sur la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable, 2020.
Le plaidoyer pour la reconnaissance des valeurs « collectives » et des retombées « indirectes » de l’action culturelle peine à emporter l’adhésion des grands décideurs et des élus. A la fois témoins et inquiets de cet état de fait, les professionnels interrogés souhaitent s’engager dans une démarche de valorisation quantitative et qualitative de leur activité. Ce qui n’est pas sans soulever des questions :
• Comment rendre compte du caractère entrepreneurial d’une action culturelle ou créative ?
• Faut-il travailler sur la valeur créée ? Comment la mesurer ? De quelle valeur parle-t-on ? Valeur pour qui ?
• Faut-il chercher la dynamique à l’échelle du créateur (niveau individuel) ou de la structure (le niveau global) ?
• Entrepreneuriat culturel : une niche de l’entrepreneuriat social et solidaire ?
Les questions soulevées ci-haut traversent plus globalement l’évaluation des projets entrepreneuriaux de l’économie sociale et solidaire13. L’ESS regroupe des entreprises et des organisations qui donnent la première place, dans leur développement économique, aux hommes plutôt qu’aux capitaux. L’application de ces règles est garantie par la Loi qui définit les statuts des quatre familles historiques de l’ESS : mutuelles, coopératives, associations et fondations.
De plus en plus d’associations marocaines tentent aujourd’hui de trouver de nouveaux modèles de viabilité économique14. Du côté privé, un nombre croissant d’entreprises ou de coopératives adoptent des logiques d’impacts environnementaux, sociales, culturelles - de sorte qu’un espace de convergence soit en train de se former. Il s’agit d’une dynamique extrêmement porteuse qu’il s’agirait d’accompagner. A ce jour, les cadres légaux et fiscaux ne permettent pas de refléter ces nouvelles aspirations et constituent en cela un frein à l’émergence des écosystèmes créatifs, performants et durables15. En particulier, le manque d’attractivité des statuts juridiques régissant le secteur privé et l’absence de dispositifs d’appui adaptés au développement d’entreprises culturelles privées, contribuent à expliquer la prévalence de l’associatif dans ce secteur.
L’ESS au Maroc est vue comme une économie complémentaire aux économies publiques et privées. Son institutionnalisation date de 2002, catalysée par le discours du roi. L’INDH16 (2005) en est le principal acteur. En 2021, il existe au Maroc environ
13. Emin et Schieb-Bienfait, 2007 14. Logique notamment impulsée par les bailleurs de fonds internationaux. 15. Entrevues conduites dans le cadre de cette étude, 2021. 16. L’Initiative Nationale pour le Développement Humain.
40 000 coopératives soit 550 000 coopérateurs/coopératrices. Ce secteur contribue entre 2 à 3% au PIB national.17 Par son insistance sur la diversification économique et le tiers secteur, devant atteindre 10% du PIB en 2035, le NMD considère que l’entrepreneuriat social culturel et innovant comme une voie alternative majeure.
Il convient de noter que toutes les entreprises culturelles ne relèvent pas nécessairement du champ de l’ESS. C’est notamment le cas des entreprises libérales qui n’aspirent pas aux principes définis par l’ESS18, quel que soit leur secteur d’activité (production, promotion, communication, événementiel, etc). Cela pose, d’ailleurs, le problème de délimitation des champs d’action, avec une prédominance du secteur de l’événementiel sur les autres activités productrices et disséminant des contenus créatifs.
Projet optimisation du cadre législatif et réglementaire de l’ESS
1er avril 2021: signature d’une convention de subvention de 1,5 millions d’euros destinée au renforcement du cadre règlementaire de l’ESS et sa déclinaison territoriale à travers la mise en place de dispositifs d’appui à l’Innovation Sociale. Parties prenantes : Ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’ESS, AFD19. Cette assistance technique se concentrera sur trois étapes clés :
1. Une étude de diagnostic et la mobilisation des acteurs de l’écosystème de l’ESS ;
2. L’actualisation de la Loi-Cadre, du texte de loi et de ses décrets d’application ; 3. L’accompagnement à la mise en place de dispositifs d’appui à l’innovation sociale.
La réforme intervient dans une perspective de reconnaissance de l’entreprise sociale et de définition du statut de l’association à vocation économique.
Plaidoyer actuel du Ministère: mise en place d’un Observatoire Nationale de l’ESS qui permette l’intégration de plus d’acteurs, et pourquoi pas plus de filières.
17. Ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Economie Sociale et Solidaire. Département de l’ESS. 18. Principes : la poursuite d’impact prime sur la rentabilité fi nancière, chaque adhérent a les mêmes droits, les bénéfi ces seront affectés avant tout au développement de l’entreprise etc. 19. Agence française de développement.