José VALVERDE Madame Aurélie FILIPPETTI Ministre de la Culture Ministère de la Culture 3 rue de Valois 75033 Paris Cedex 01
Vincennes, le 9 juin 2012 LETTRE OUVERTE
Madame le Ministre, Permettez-moi, Madame, avec tout le respect que je vous dois, de ne pas sacrifier à la mode qui consiste à féliciter une personne à qui incombe la lourde responsabilité d’un secteur de la vie publique, un Ministère, comme s’il s’agissait d’un trophée gagné à l’issue de la course d’un cent mètres haies, aux jeux Olympiques, par exemple. C’est avec surprise que je constate que l’on félicite les ministres nouvellement nommés alors qu’ils n’ont rien gagné, sinon de lourdes responsabilités et permettez moi de vous témoigner, au contraire, ma profonde compassion. Incontestablement, pour qui connaît un tant soit peu la réalité de l’histoire du mouvement qui a initié la création d’un Ministère des Affaires Culturelles par le Général de Gaulle, la décentralisation théâtrale a été un élément décisif. Or, en apprenant que vous étiez née à Villerupt, ville ouvrière de Lorraine, cela a réveillé en moi de vieux souvenirs. En effet, en 1951, à Villerupt, c’est devant les aciéries et plusieurs milliers d’ouvriers que j’ai participé, jeune comédien, à une représentation théâtrale de « Drame à Toulon ». Il s’agissait d’une pièce qui évoquait le combat mené par un marin militaire, condamné et envoyé au bagne pour son opposition à la guerre que la France menait dans sa colonie d’Indochine. Je ne me souviens plus quand exactement la troupe a été arrêté et retenue en détention quelques temps car le Préfet avait interdit nos représentations ce qui a eu lieu de nombreuses fois au cours de ces mois où nous avons joués ce spectacle à travers toute la France devant un public très majoritairement ouvrier. Je me permets ce rappel pour vous indiquer que le théâtre a, pour vocation première, tout en divertissant, de proposer à la Cité, des éléments de réflexions philosophiques, politiques, « cultuelles » et cela de manière polémique, joyeuse ou tragique. Mais une de ses missions est la mise en cause des puissants, y compris les serviteurs de l’Etat, conformément à sa tradition d’Aristophane à Beaumarchais. Cela ne saurait donc dépendre « directement » d’un Ministère de la Culture. Certes, cette « première expérience de théâtre véritablement populaire » expression que j’emprunte à Jean-Paul Sartre participa à un large mouvement des hommes de théâtre qui avaient comme vocation de départ la conquête d’un public nouveau, qualifié de « populaire ». Il s’agissait pour nous, car j’y ai participé activement en créant par exemple un grand théâtre populaire à Saint-Denis, de contribuer à réduire la fracture culturelle. Qu’en est-il aujourd’hui de cette mission ?
8 allée Mabille 94300 VINCENNES ata.valverde@bbox.fr
Cette « fracture culturelle » n’est jamais nommée alors qu’elle est, selon moi, plus grave encore que la fracture socio-économique qui semble être la seule et la plus importante aux yeux des responsables médiatiques et politiques. Les citoyens de la République seraient-ils donc, avant tout, des producteurs et des consommateurs de biens matériels ? En quelque sorte, ils ne seraient qu’une espèce plus sophistiquée d’abeilles ou de fourmis ! Au nom du respect dû à chacun qui dissimule souvent hypocritement de vulgaires objectifs électoralistes, la défense des points de vue religieux, philosophiques, scientifiques ne sont plus au cœur des débats dans la Cité et bien évidemment dans la vie du théâtre d’Etat. Or, le théâtre reste un outil essentiel de la culture au sens profond de ce mot, travail pour « se cultiver », c'est-à-dire se modifier en profondeur. En effet, la Culture c’est avant tout le travail que chaque être humain se doit d’entreprendre et de poursuivre tout au long de sa vie et jusqu’à son dernier souffle pour approfondir sa conscience, son intelligence, ses savoirs, sa sensibilité esthétique et tout ce qui contribue à faire de lui un être humain, sans confondre les outils la « Culture » et le travail pour se « cultiver », c'est-à-dire se rendre meilleur. C’est pourquoi j’avais proposé à votre prédécesseur dans votre fonction ce que je vous renouvelle ici : La création d’un véritable grand Ministère de la CULTURE qui engloberait tous les outils pour ce travail et donc les ministères des enseignements à tous les niveaux de la maternelle aux Grandes Ecoles, la Jeunesse et les Sports et votre Ministère actuel en donnant à cet ensemble l’objectif le plus urgent pour l’avenir de notre civilisation au-delà des clivages philosophiques et politiciens la « REDUCTION DE LA FRACTURE CULTURELLE » et non un vague et mou « multiculturalisme ». (Je n’ai pas reçu de réponse de votre prédécesseur, ce qui est habituel quand on s’adresse à un serviteur de l’Etat sans être une star médiatique). Je n’ignore pas, Madame le Ministre, que ma lettre ne parviendra pas jusqu’à vous mais vous écrire, à vous la petite enfant de Villerupt, a redonné à cet octogénaire que je suis aujourd’hui et s’il en était besoin, énergie nouvelle pour mon combat. En effet, si j’ai abandonné de longue date tout engagement politicien de « gauche », au point de n’être même pas de « droite », ni du « centre », je reste un combattant. Je me contente, modestement mais obstinément, d’être un combattant du Théâtre Vivant, fait par des Vivants, pour les Vivants ! Je vous prie de vouloir bien agréer, Madame le Ministre, l’expression renouvelée de ma sincère compassion pour votre lourde tâche… et pour la « petite de Villerupt »… ma main amie
José VALVERDE
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