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Exposition Universelle : Paris 2025 ?

CODEX Faits et Analyses

Congrès PS

Les anciens de l’UNEF à la manœuvre

Education

Enseignement laïc des faits religieux

Santé

Les hôpitaux malades

CHINE

Le virage électrique


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sommaire

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En bref dans le monde Nemstov passe l’arme à gauche / Tsipras contre l’Eurogroupe / L’Europe bipolaire / Terrorisme, lois liberticides / Sida, la troisième souche

Economie / Environnement Chine : le poids lourd du marché automobile mondial choisit le moteur électrique p10

Santé Les hôpitaux de province gangrénés par les avoirs suisses p 17 APHP : entretien avec Pr. Bernard Granger, directeur du service de psychiatrie de l’hôpital Tarnier et membre du MDHP p 20

Politique Congrès du PS : les ex-UNEF à la manœuvre p22

Défense Le Charles de Gaulle entre en guerre p32

Education Les bafouillages du plan numérique p 38 L’enseignement laïc des faits religieux fait débat p 42

Sciences / Média / Culture INA : l’OTMédia, où est le financement ? p 48 Exposition Universelle : Paris, candidat pour 2025 p 54

L'Editorial Nouveau cycle. Adieu le consensus mou, place au 49-3. La génération qui dirigeait l’UNEF-ID au début des années 80 s’installe à la direction du PS. Adieu les cartables de 10 tonnes, remplacés par les tablettes 10 pouces. Adieu le pétrole, les qataris et les émissions à particules fines. Que la lumière soit, l’électricité est réinventée. La fin d’une génération, d’une époque, d’une façon d’agir et de penser, pour le meilleur et pour le pire. Dernière édition d’une nouvelle génération de journalistes, qui rêve d’une époque pourtant révolue. Backstages de concerts de rock, grands reporters, correspondants, nouveau Plantu. Mais ainsi va la vie, et de toute façon, l’histoire ne se répète pas, elle balbutie. L’actualité de demain s’écrit aujourd’hui, et seuls ceux qui ne savent pas la décrypter sont surpris de la tournure que prennent les évènements. Réveillez-vous : pour le côté voyeurisme, Internet vous a devancé. La valeur ajoutée, c’est l’analyse, l’enquête, le décryptage, ce que le lecteur veut savoir, même s’il n’en est pas conscient jusqu’à ce qu’on le lui montre. Ah mais pardon, c’était déjà le cas il y a 20 ans. Quand on vous dit que tout n’est qu’un éternel recommencement, on pèse nos mots.

Sir Culher

Directeur de la rédaction : Eric Ouzounian Rédactrice en chef : Jade Toussay Directrice artistique : Romane Ganneval Maquette : Sophie Combot, Audrey Bouts, Nicolas Raulin Secrétaires de rédaction : Sélène Agapé, Candice Cheuret Rédacteurs : Sélène Agapé, Audrey Bouts, Candice Cheuret, Romane Ganneval, Nicolas Merli, Nicolas Raulin, Jade Toussay, Olivier Vagneux 3

CODEX N°2 9 rue Alexandre Parodi 75010 – Paris Dépôt légal : à parution Directeur de la publication : Michel Baldi


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Nemtsov / Poutine deux visions de la Russie

Le nom de l’opposant russe Boris Nemtsov, assassiné la nuit du 27 février, s’ajoute à la liste des assassinats perpétrés sous le gouvernement Poutine III. Fermement opposés, les deux hommes poursuivaient cependant un but commun : assurer le sort de la Russie post-URSS d’Eltsine au XXIe siècle.

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a fin de l’ère Eltsine (1991-1999) a marqué l’histoire de la Russie. L’état, alors en guerre contre les indépendantistes tchétchènes, est partagé entre Boris Eltsine, alors président, et Vladimir Poutine, chef du service de renseignement FSD (ex-KGB). Nommé dauphin du chef de l’état en août 1999, ce dernier arrive au pouvoir en mars 2000. Pourtant, Boris Nemtsov était pressenti à la succession jusque-là : réformateur libéral proche du régime, il incarnait une vision démocrate et modérée, idéale dans le projet d’Eltsine. Le krach boursier d’août 1998, qui met à sac l’économie d’ouverture internationale, freine ces espérances et plonge le pays dans une crise nationaliste. Les séries d’attentats qui suivirent, notamment lors de la rébellion tchétchène, furent un terreau fertile pour l’ascension de Poutine. Galvanisée par une image affaiblie d’Eltsine (hospitalisé pour une carence cardiaque), l’opposition devient de plus en plus féroce et demande sa démission, effective le 31 décembre 1999.

Le physicien et le guébiste

Limogé en août 1998, Boris Nemtsov, alors vice-Premier ministre russe, rejoint l’opposition lorsque Poutine est nommé dauphin d’Eltsine. Nemtsov s’engage en 2000 auprès du parti libéral SPS, très critique envers le nouveau président. Selon lui : « Le gouvernement reflète la volonté du peuple d’avoir un état fort, une économie en état de marche et la fin de la tolérance pour les oligarques ». Poutine, ex-guébiste, incarne alors l’image d’un homme fort, nécessaire à la tête de l’Etat. Lors de l’annonce d’un possible troisième mandat illégal, la critique de Nemtsov devient plus virulente. Avec l’activiste Alexeï Navalny, il participe aux manifestations de 2011 qui secouèrent le Kremlin. Engagé dans une critique violente de l’annexion de la Crimée et de la guerre ukraino-russe, Nemtsov avait appelé l’opposition russe à manifester pour le retrait immédiat des troupes russes en Urkaine le dimanche 1er mars. Les circonstances de ce meurtre sont particulièrement inconfortables pour le Kremlin, déjà accusé d’un énième assassinat politique par les Etats-Unis et l’Europe. Pourtant, celui-ci a démenti toute implication et s’est engagé à mener une enquête. Il est pourtant difficile de croire qu’elle arrivera à des résultats concluants : comme pour l’affaire Anna Politkovskaïa, et d’autres avant elle, le verdict risque de mener à la condamnation des exécutants sans que les commanditaires ne soient jamais inquiétés.

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Et si l’Eurogroupe était en train de perdre ? Grèce

La Grèce d’Alexis Tsipras et du parti anti-austerité Syriza a pu négocier la poursuite du plan d’aide financière européen jusqu’à fin avril. Les accords historiques entre l’Eurogroupe et le gouvernement hellénique, signés le 24 février, permettent la mise en place d’une série de réformes absolument nécessaires pour le pays. Celles-ci n’avaient jamais été proposées par les gouvernements européens jusqu’à maintenant.

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es « accords d’Avril » permettent à la Grèce de repousser l’échéance du remboursement de six milliards d’euros à la Banque Centrale Européenne. Sans ceux-ci, le pays se serait retrouvé en défaut de paiement dès le 1er mars 2015 et aurait alors été contraint de sortir de la zone euro. Alors « Grèce : le gouvernement Tsipras se plie aux exigences européennes » selon Le Monde du 25 février 2015 ? N’en soyez pas si sûrs. Rappelons que jamais Syriza ne s’est placé en parti favorable à une sortie de la ZE au contraire, il s’est même engagé à négocier le plus possible avant d’atteindre ce point de non-retour. Alors non, la Grèce ne se plie pas aux exigences de l’Eurogroupe, loin de là.

milliards d’euros placés en Suisse et à taxer les plus hauts revenus : les armateurs et l’Eglise Orthodoxe, respectivement exonérés d’impôts par la constitution de 1975 et plus gros propriétaire terrien du pays. Aussi, l’Eurogroupe, sans reconnaître officiellement la situation de crise humanitaire du pays, a maintenu les mesures de premières urgences proposée par le gouvernement. Il reconnaît donc la situation d’urgence publiquement mais rechigne à la financer. Si ces accords peuvent être considérés comme perdus pour la Grèce, rappelons tout de même que le gouvernement n’est installé que depuis un mois. Syriza joue donc la carte de la provocation. Dès son installation au pouvoir, Tsipras a su asseoir son projet et obtenir une négociation de l’Eurogroupe. Rappelons que François Hollande, qui s’était engagé à « lutter contre son ennemi numéro un : la finance », était revenu bredouille de sa visite en Allemagne, où il devait renégocier l’accord Sarkozy-Merkel. Le parti anti-austerité a tout pour faire pression : une potentielle sortie de l’euro qui, bien que dédaignée par la zone, serait catastrophique si l’Espagne et l’Italie prenaient la même direction. Un risque de crise bancaire généralisée et une favorisation des spéculations boursières sur les dettes publiques pourraient aussi renforcer l’image d’une Europe à deux vitesses. En définitive, Tsipras se place droit face à l’Eurogroupe : la faillite annoncée de sa politique sera la seule responsabilité de l’Allemagne..

Accords sur un désaccord

« Nous demandons l’aide de l’Europe, mais pas seulement pour nous donner des leçons » a déclaré Yanis Varoufakis, ministre des finances grec, à la sortie des négociations. Il rappelle de fait qu’aucune solution viable n’avait été trouvée depuis la mise sous tutelle de la Grèce par la Troïka. Depuis 6 ans, le PIB grec a chuté de 26 % et sa dette publique est passé de 113 à 176 %. Ces accords pourraient marquer la fin de cette faillite. D’abord, l’Eurogroupe a cessé d’évoquer les mesures d’austérité (diminution des pensions, coupes des budgets de la fonction publique et hausse de la TVA) et laisse donc une marge de manœuvre conséquente à Tsipras. Celui-ci s’est notamment engagé à réformer la fiscalité en visant à contrôler la fraude et l’évasion, estimée à 600

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Nord-Sud

contours d’une Europe bipolaire

La récente élection d’Alexis Tsipras à la tête du gouvernement grec, la montée des partis eurosceptiques en Espagne et en Irlande et l’ingérence toute avouée de l’Allemagne sur les pays « périphériques » de la zone euro façonnent une idée bipolaire de l’économie européenne. Face à cet état de fait, les économies en crise prennent du poids et commencent à poser les bases d’une Europe solidaire.

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es échéances électorales de 2015 pourraient tout remettre à plat. C’est en tout cas l’espoir qu’entretiennent les partis eurosceptiques et anti-austérité en Europe. Depuis la crise des économies irlandaises, espagnoles, grecques et portugaise, l’Europe s’est dichotomisée. D’un côté, au Nord, les pays dont le déficit public sont presque inférieurs au PIB. Au Sud, les pays, qui subissent deux tendances, commencent à connaître une rogne populaire inédite. Certains sont endettés par les choix politiques de leurs majorités. Les autres sont gangrenés par la spéculation des marchés. En outre, le taux d’emploi est en chute en Europe du Sud, tandis qu’il avoisine plutôt une situation de plein emploi au Nord. Ces écarts flagrants ont favorisé l’essor de Po-

demos, le parti eurosceptique espagnol, qui cumule aujourd’hui 30 % des intentions de vote pour l’élection de novembre 2015. L’Irlande et le Portugal connaissent également ce revirement politique, comme le témoignent les succès du parti irlandais Sinn Fein (Nous-mêmes) de Gerry Adams et du Bloco de Esquerda (Bloc de la gauche) portugais aux élections européennes de 2014.

Podemos – Syriza : la voix du Sud

Tout comme Syriza, Podemos propose une nouvelle conduite des affaires européennes, plus solidaire. Peu détaillé pour l’instant, son programme recommande la fin des politiques imposées par l’Eurogroupe et une négociation à poids égal entre les acteurs. Son argumentaire met aussi l’accent sur la prédominance allemande dans les décisions de la zone euro. La coordination

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des politiques économiques serait, en ce sens, une possibilité envisageable. Pourtant, dans les faits cette coordination existe depuis 1983. Elle devrait garantir une logique économique complémentaire entre les pays membres. Mais l’arrivée des pays sud-européens dans l’Union l’a mise à mal. Les nouveaux membres peinent à s’adapter à cause de la disparité de leurs économies. L’Eurogroupe doit aujourd’hui faire attention à ses choix pour ne pas voir une Europe jusqu’ici poussée par un élan de solidarité, plonger dans un nationalisme généralisé. Pour cela, les stratégies économiques doivent sortir de leur dogmatisme. Si l’économie libérale est aujourd’hui frigide, rien ne l’empêche de s’ouvrir à la chaleur des politiques sociales.

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Lois anti-terrorisme cachez ces identités que je ne saurais voir

Le projet de loi anti-terrorisme entériné le 23 octobre 2014 prévoit la suspension de la nationalité pour les français soupçonnés d’appartenance à une filiale terroriste. A califourchon sur les droits fondamentaux et les politiquesdemigrationseuropéennes, cette législation semble liberticide. Mesures nécessaires ou illustration de la montée en puissance des politiques sécuritaires ?

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ernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, a annoncé la confiscation temporaire de six passeports français le 23 février dernier. Cette mesure s’inscrit dans la pléthore de quatorze lois anti-terrorisme que promulgue l’état français depuis 1986. Ces six ressortissants sont soupçonnés d’être volontaires à un départ imminent vers la Syrie, où 376 français se trouveraient actuellement. Selon les propos du ministère rapporté par Le Monde, cette mesure vise à endiguer les départs pour le djihad des personnes « soupçonnés d’appartenance à un groupe terroriste qui projettent de se rendre sur les

théâtres d’opération ». Contactés directement par le renseignement, ces six candidats potentiels se sont vus remettre un récépissé en échange de leurs papiers d’identité. Aucune information les concernant n’a été communiquée au public. Le renseignement signale également que 1089 personnes seraient actuellement impliquées dans ces réseaux en France.

Au dessus de tous soupçons ?

Ces six confiscations s’inscrivent dans un contexte particulier : la montée parallèle des politiques sécuritaires et des départs pour le djihad. En ce sens, il est nécessaire d’adopter une conduite raisonnée de ces politiques pour ne pas attiser un climat de tension. Ces six suspensions tendent pourtant à le favoriser. D’abord, les conditions sont floues : la définition de la « menace » telle qu’elle est présentée dans le texte de loi est large... très large. Sont soupçonnées d’activités terroristes, toutes personnes interpellées pour « détention de substances dangereuses et consultation régulière de site web faisant l’apologie du terrorisme ». Rappelons que la définition du concept de terrorisme pose de nombreuses difficultés : dans cette loi, prenons garde à ce que cette notion ne renvoie pas à une vision réductrice d’un terrorisme uniquement religieux. De plus, aucun jugement, aucune condamnation n’est préalable à ces suspensions : elles ne sont basées que sur des soupçons. Or,

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l’essence même du droit français réside dans la présomption d’innocence. L’article 25 du Code Pénal stipule qu’une « déchéance de la nationalité doit être motivée par la condamnation d’un délit ou d’un crime constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », tandis son référé 25-1 signale que seules les nationalités acquises (et donc non obtenue à la naissance) sont révocables. Dans ce cas précis, ces confiscations semblent préventives à un jugement et le terme de déchéance de nationalité semble impropre. Pourtant, le caractère reconductible de ces mesures peut inquiéter : les conditions de confiscation sont détaillées alors que celles des restitutions restent vagues. Quid alors de la constitutionnalité de cette loi ? La mise en garde à vue pour soupçons d’entreprise terroriste sont réglementée et ne peuvent pas dépasser 36h. Alors que Manuel Valls, Premier ministre, annonce qu’il « y en aura plus », la nécessité de divulgation de ces identités confisquées est incontournable. Enfin, rappelons que la condamnation systématique d’une population pour ses choix et ses revendications participe amplement à sa stigmatisation et sa propre exclusion. Aujourd’hui, mieux vaut-il prévenir que guérir, surveiller que punir ?

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Truvada vers des traitements préventifs du sida

L’étude Ipergay montre l’efficacité d’un traitement préventif au VIH grâce au médicament Truvada. Jusqu’ici utilisé pour tenter de guérir l’infection, il pourrait dès 2015 être indiqué en prévention. Tandis que la nouvelle souche CRF-19 du virus fait son apparition à Cuba, la recherche pour la lutte contre le sida accumule les succès.

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ur un échantillon de 414 sujets sains, le Truvada a pu prévenir la contraction du virus chez 86% des participants de l’étude Ipergay. Sur les 35 % de volontaires qui ont contracté une infection sexuellement transmissible (IST), seuls 0,94 % du « bras » qui a reçu le traitement a développé le sida contre 6 % pour le « bras » sous placebo. Une étude antérieure, Iprex, réalisée entre 2007 et 2011, avait obtenu des résultats similaires : le médicament agirait en prévention dans 44 % des cas. La fourchette de ces résultats montre que l’utilisation du traitement est efficace dans un peu moins d’un cas sur deux. L’autorisation de mise sur le marché (AMM), qui autorise la prescription du Truvada en France, est pour l’instant restreinte au traitement curatif. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a décidé de le placer sous le régime des Recommandations temporaires d’utilisation (RTU) pour sa forme préventive. Les médecins peuvent donc prescrire le médicament sous surveillance médicale. Les résultats observés lors de cette phase permettront, ou non, son utilisation en prévention du sida. L’ANSM devrait rendre sa décision le 14 juillet 2015.

Risques décuplés Une nouvelle souche du virus (CRF-19) a été découverte chez 52 % des patients cubains sidéens. Son mode opératoire est inédit : jusqu’alors le virus avait un mode d’infection mono-site, il ne se fixait que sur une seule cellule et produisait ensuite ses copies. CRF-19 a abandonné ce premier ancrage : son mode d’infection est multi-site. Le développement du virus est donc accéléré et sa période d’incubation, estimée, à 3 ans contre 6 à 10 ans pour les souches plus anciennes. Aussi, la chance de contracter le virus est décuplée puisque plusieurs infections mono-sites peuvent sévir en même temps. La recherche pour la lutte contre le sida évolue globalement mieux qu’à ses débuts. Aujourd’hui, les traitements stabilisent la charge virale : on peut rester séropositif plus longtemps sans développer le sida. La charge des traitements a également diminuée. Il y a 5 ans, une quarantaine de médicaments était nécessaire aux soins. Parallèlement, les recherches continuent pour trouver un vaccin. Enfin, la vie d’un malade est devenue, dans certains cas, compatible avec un mode de vie normal. Rappelons tout de même que l’utilisation du préservatif reste le moyen de protection le plus efficace.

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Véhicule électrique Nouveau moyen de pression chinois? Présentée comme une solution aux questions énergétiques et environnementales, l’électricité comme nouvelle source d’énergie a su faire rêver. Dans le domaine de l’automobile, le véhicule électrique est apparu comme une solution miracle. Pourtant sa mise en place reste laborieuse et ce particulièrement en Chine. L’Empire du Milieu est-il capable de réorienter son parc automobile? Et surtout, quelles seraient les conséquences sur le marché économique mondial ?

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e marché de l’automobile chinois se porte bien. Et même plus que bien. Si d’une façon générale dans le monde, les chiffres sont plutôt en berne, la Chine, elle, a vu son parc automobile s’agrandir de façon exponentielle depuis l’année dernière, avec un « grand bond en avant » de 12%. Fin 2014, 264 millions de véhicules circulaient sur le territoire chinois. Dans certaines métropoles, comme Shanghai et Pékin, le parc automobile a même atteint les 2 millions d’unités. En quelques années, la Chine s’est donc imposée comme le premier marché mondial de l’automobile, et ce, sans surprise. Car la nouvelle première puissance économique a vu apparaitre une nouvelle classe de population, dite « classe moyenne » dont le pouvoir d’achat a augmenté de manière significative ces dernières années. L’acquisition d’une voiture reste symbole d’une certaine aisance sociale. Ainsi à Pékin, on compte désormais 63 véhicules pour 100 ménages, selon les chiffres du Comité des Constructeurs Français d’Automobiles. Mais cette avancée n’est pas sans conséquence. Considérée comme l’un des deux plus grands pollueurs de la planète, la Chine a du faire face récemment à plu-

sieurs pics de pollution et les images du « smog » chinois ont choqué la planète. Le 28 février dernier, un documentaire réalisé par une ancienne présentatrice de la télévision nationale a remis de l’huile sur le feu. Intitulé « Under the Dome - Investigating China’s haze » (Sous le Dôme – Enquête sur le brouillard chinois), le court-métrage met en avant les risques de la pollution sur la santé, mais aussi les conflits d’intérêts entre le gouvernement et les entreprises chinoises aux activités polluantes. En quelques jours, le documentaire aurait été visionné plus de 30 millions de fois, témoignant ainsi des préoccupations de la population chinoise. Or, qui dit population mécontente dit gouvernement en danger. Car le contrat social chinois repose sur un principe simple : des habitants avec un niveau et des conditions de vie en baisse devient vite synonyme d’une baisse de confiance dans l’action du gouvernement, alors illégitime. À cette première difficulté s’ajoute pour le gouvernement chinois la pression internationale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi et surtout l’inexorable diminution des réserves de pétrole. « Les autorités chinoises savent que les ressources pétrolières sont finies et ils voient

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déjà plus loin. Ils ont encore du charbon, et n’ont pas encore exploité le gaz de schiste, ce qu’ils feront sans doute si cela leur est indispensable. » explique Denis Astagneau, président de l’Association Française de la Presse Automobile et journaliste spécialiste de l’automobile à France Inter. Mais aujourd’hui, c’est vers le marché de l’automobile électrique que se tourne le gouvernement. Une solution qui sur le papier se vend bien, mais qui dans les faits, semble plus difficile à mettre en place.

Les mauvais choix du gouvernement chinois Dès 2011, le gouvernement chinois a amorcé un premier pas vers le véhicule électrique en demandant aux constructeurs locaux de concevoir une petite voiture de moins de 3000€. Le résultat avait été une « voiturette », allant jusqu’à 50km/h, d’une autonomie maximum de 100km, à l’intérieur spartiate, et interdite de circulation sur les autoroutes et les grands axes routiers des métropoles. Mais malgré ce premier échec, le marché automobile électrique chinois est longtemps resté la chasse gardée des deux grands constructeurs nationaux Build


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En Chine, l’absence d’infrastructure de recharge constitue un véritable frein à l’essor du véhicule électrique © Wikimédia Commons

Your Dreams (BYD) - qui en détient 55%- et Chery, 39%. « Parmi les voitures électriques qui circulent en Chine, les plus utilisées sont les voitures d’origine chinoise elles-mêmes. Ce ne sont pas les voitures étrangères, ce n’est pas la Nissan Leaf, qui est la voiture électrique la plus vendue à travers le monde. » insiste Denis Astagneau. « Une industrie étrangère qui veut vendre en Chine, sans taxe de 300%, doit être associée à une entreprise chinoise. C’est le cas de Nissan_Renault, PSA, qui sont associés avec Dongfeng, un des deux grands distributeurs chinois. Pour avoir un marché en Chine, il faut s’associer à un chinois qui détient 51% du capital. » A À cette première clause, s’en ajoute une deuxième, représentative de la stratégie chinoise dans son ensemble : le transfert de technologie. En s’implantant sur le sol chinois, l’entreprise étrangère s’engage à partager son savoir-faire. Enfin, les subventions de 60 000 yuans soit 7 600 euros- allouées lors de l’achat d’un véhicule électrique et réservées aux seuls constructeurs chinois complètent le tableau. Ce protectionnisme assumé n’a pas aidé à la promotion du véhicule électrique. Car jusqu’à présent, la population s’est montrée réticente. En 2013, seulement

17 600 véhicules électriques ou hybrides ont été vendues en Chine. Et la légère augmentation observée au premier semestre 2014 est loin d’être suffisante pour atteindre l’objectif des 500 000 véhicules électriques espéré pour 2015. Pourtant, l’essor du véhicule électrique fait partie des priorités du gouvernement chinois et s’inscrit dans le douzième plan quinquennal du ministère de la science et de la technologie chinois, pour la période 2011-2015.

La Chine ouvre ses portes Afin d’atteindre ses objectifs, le gouvernement chinois s’est décidé à modifier de fond en comble sa politique dans le domaine. Dans le courant de l’année 2014, une série de mesures a été prise : l’ouverture en septembre 2014 du marché aux constructeurs étrangers, l’harmonisation des subventions accordées aux véhicules « propres », d’origine chinoise ou étrangère et l’exemption de la taxe de 10% du prix de vente pour l’achat d’un d’entre eux. Ces mesures, qui marquent un premier pas du gouvernement, pourraient éventuellement redonner une chance aux véhicules électriques sur le sol chinois.

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Mais d’autres problèmes restent encore à régler. Premier écueil, l’offre ne semble pas correspondre à la demande : les chinois, friands de berlines, n’avaient que jusqu’à très récemment accès qu’à de petits modèles citadins. Mais l’arrivée sur le marché de voitures étrangères pourraient peut-être apporter une réponse. L’allemand BMW s’est d’ores et déjà positionné sur le marché chinois, avec ses deux modèles électriques i3 et i8. Ce dernier, type berline correspondant plus aux attentes de la clientèle chinoise. Mais les constructeurs français ne sont pas en reste. En 2012, Carlos Ghosn, président de Renault, annonçait l’implantation en Chine de la marque. En 2013, naissait Dongfeng Renault Automotive Compagny (DRAC), co-entreprise chinoise de la marque au losange. Et c’est dans la ville de Wuhan, sorte de Silicon Valley asiatique, que l’usine devrait ouvrir ses portes fin 2015. Au programme pour le premier semestre 2016, la production de la Fluence, première voiture électrique de Renault en Chine, une berline électrique qui correspondrait plus aux attentes chinoises.« Renault pourra profiter de tout le réseau Nissan qui est déjà bien implanté, puisque depuis 2014 Nissan est


CODEX lution électrique, et qu’on sera les premiers. Quand on parlera de moteurs électriques, on parlera de Renault. « Pour l’instant, ce n’est pas un succès, mais ils ont quand même de vraies voitures toutes électriques. Et même s’ils perdent de l’argent dessus, ils vont persister. » analyse Denis Astagneau. À noter que la Fluence n’était pas destinée à l’origine au marché chinois. Prévue pour l’Europe, la production avait du être arrêtée suite à la faillite de la société israëlo-américaine Better Place, alors partenaire de Renault. Cette société avait pour ambition de révolutionner le parc automobile électrique mondial, en proposant un système de recharge de batterie sous la forme d’un réseau de « station-service de l’électrique ». Une idée « irréalisable », selon Julien Varin, responsable de la communication du secteur Energie de Bolloré, en raison des coûts pharamineux qui auraient été nécessaires et des difficultés techniques rencontrées pour changer rapidement les batteries des véhicules. Aujourd’hui, les interrogations autour des batteries et des moyens de recharge sont toujours au coeur du débat. Et en Chine, c’est même le frein principal au développement du marché du véhicule électrique.

Les batteries, point faible du véhicule électrique ? Coût et autonomie. Deux mots qui, à eux seuls peuvent décider de l’avenir du véhicule électrique. Et ils se concentrent tous les deux autour d’un élément clé pour la voiture électrique : la batterie. Aujourd’hui, deux types de batteries sont proposés sur le marché : la batterie Lithium-ion, la plus fréquemment utilisée à l’échelle internationale, et la batterie Lithium Métal Polymère (LMP) produite par le groupe français Bolloré. Cinq critères permettent de juger de leur efficacité : l’intensité énergétique, l’intensité de puissance, le cycle de vie, la sécurité et le coût. Pour Julien Varin, responsable de la communication Bluecar chez Bolloré, la batterie LMP répond déjà à la plupart de ces critères « La batteries LMP Bolloré a trois avantages. Elle offre une plus grande sécurité, et peut supporter des températures allant de -30° à 180°. Leur autonomie est également supérieure à celle des batteries litihum-ion, puisqu’on parle de 250 à 300 km d’autonomie. Enfin, et c’est le plus important, la durée de

Le groupe français Bolloré a développé un système de bus électriques au sein des universités d’Abidjan © Jonas Ehouman

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vie supérieure à 3000 cycles de charge est bien plus longue que celle des batteries lithium-ion. Si vous deviez changer la batterie de votre téléphone portable une fois par an, ce ne serait pas très grave. En revanche, dans le cas d’une batterie de voiture, le coût ne serait pas le même. » Mais en Chine, la batterie LMP fait encore figure d’exception et un véritable fossé technologique la sépare des batteries Lithium-ion, utilisées sur le marché asiatique. Un rapport du Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International met en évidence les failles des batteries chinoises : le système de gestion de la batterie, incluant notamment le système de contrôle de la température, le système de commande de la charge et le système de sécurité sont loin d’être satisfaisants et ne peuvent donc répondre à la demande. À ces points techniques s’ajoute une contrainte de taille, primordiale pour le consommateur : le coût. « Pour l’instant la population ne s’intéresse pas à l’électrique parce que c’est cher, surtout à cause des batteries. Même si les chinois sont les premiers producteurs de batteries au monde –tout modèle confondus-, une batterie de voiture revient encore trop cher. Il ne s’agit pas d’une batterie de 12 Volts, c’est


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Les pics de pollution dans les métropoles chinoises obligent à des mesures sanitaires ©Virginie Garin

beaucoup plus important et donc le prix est élevé. Et pour l’instant, les consommateurs chinois regardent le prix, évidemment. » explique Denis Astagneau. Aujourd’hui, le prix de la batterie représente environ le tiers du coût total du véhicule. Ainsi, pour rendre attractif les véhicules électriques, en Chine mais aussi à l’échelle mondiale, il faudrait parvenir à faire baisser les coûts de production des batteries, particulièrement onéreuses. « Il faut qu’il y ait d’importants investissements en recherche pour alléger le prix des batteries.» explique Jean-Pierre Genêt, journaliste à L’Argus. « Et puis aussi - et c’est fondamental - il faut que les gains d’échelle soient importants, ce qui veut dire qu’il faut que les volumes de production soient suffisants pour faire en sorte que le prix unitaire des véhicules soit baissé. » Des volumes de production importants généreraient des économies d’échelle, suffisantes pour abaisser les coûts et rendre le moteur électrique compétitif. « Pour les distributeurs chinois comme Dongfeng, l’électrique n’est pas une priorité. Ce qui les intéresse, c’est le volume. Mais si le gouvernement chinois veut que ses constructeurs fassent de l’électrique, ils feront de l’électrique. C’est un marché libéral, mais avec une forte propension autoritaire du gouvernement. » précise Denis Astagneau. Si l’on ajoute à ce facteur une éventuelle mesure

protectionniste que ne manquerait pas de prendre le gouvernement chinois pour lutter contre la pollution, et un passage à la solution de batterie LMP, viable sur le long terme, et envisagé par le groupe Bolloré qui s’est dit « intéressé par le marché chinois », le marché de automobile aurait achevé sa révolution copernicienne.

La solution électrique, envers et contre tout ? En pleine interrogation sur l’avenir de l’industrie pétrolière, l’électrique avait à ses début fait figure de solution miracle - sauf pour les Etats-Unis, bien évidemment. Aujourd’hui encore, malgré des débuts difficiles, les gouvernements promeuvent encore les véhicules électriques.

en France la question écologique relève plus d’une volonté politique et d’un souci de l’avenir, le gouvernement chinois, lui, a été mis au pied du mur, piégé par son propre contrat social. Car la population, de plus en plus sensible à la question de pollution de l’air, pourrait remettre en cause l’action du gouvernement, à moins que ce dernier ne se décide à agir vite. Et le virage vers l’électrique pourrait être une réponse, à condition que soient réglées les questions de batteries, de coût et de bornes de recharge… Parmi les problèmes du véhicule électrique, se pose la question du recyclage des batteries. Les écologistes pointent aujourd’hui du doigt leur fabrication, qu’ils considèrent comme polluante, et plus encore leur recyclage, qui serait difficile. Là

Aujourd’hui, le prix de la batterie représente environ le tiers du coût total du véhicule. En France, la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal a récemment annoncé le retour des « pastilles vertes » à apposer sur les véhicules « propres », mais aussi le renforcement des aides pouvant aller jusqu’à 10 000 euros pour l’achat d’un de ces véhicules, sous condition bien sûr. Mais si

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encore, le groupe Bolloré se distingue : « Quand les écologistes nous disent que les voitures électriques sont plus polluantes que les voitures thermiques, c’est grotesque. Dire que toutes les batteries électriques sont polluantes, c’est un gros raccourci. Dans nos batteries LMP, il n’y a ni métaux lourds, ni solvants, elles sont à


CODEX 99% recyclables. ». En Chine, cependant, ce n’est pas tant la question du recyclage des batteries qui inquiéte que celle de leur recharge. Peu présentes - voire quasi inexistantes- sur le territoire chinois, les bornes de recharge sont un véritable frein à la promotion du véhicule électrique. Pour pallier à ce manque, l’agence Bloomberg avait annoncé en 2014 un projet gouvernemental chinois d’un montant de 16 milliards de dollars, destinés à intensifier le réseau. Depuis des décennies, le charbon est la principale source d’énergie de l’Empire du Milieu. Mais aujourd’hui, la pollution qu’il génère dérange. Il faut donc rapidement se tourner vers une autre source d’énergie, propre cette fois-ci. Pour les chinois, ce renouveau passe par le développement du nucléaire, qui fait pourtant débat ailleurs. En France par exemple, le groupe Bolloré en revendique l’utilisation, tout en la nuançant : « L’électricité utilisée dans nos batteries est d’origine éolienne, hydrogène et aussi nucléaire. Nous avons la chance en France d’avoir misé sur l’énergie nucléaire, il faut s’en servir. C’est une source d’’énergie importante qui est à notre disposition pour pas cher. » Dans le cas de la Chine, l’utilisation du nucléaire

pourrait effectivement réduire les émissions polluantes… à condition que les normes de sécurité soient respectées. Et pour l’instant, rien ne garantit que le gouvernement chinois réussira à les faire appliquer. Car dans le domaine de l’énergie, la Chine doit encore faire ses preuves. Les nombreuses polémiques autour du barrages des Trois-Gorges, considéré comme un échec économique et environnemental par certains et à propos duquel Pékin lui-même connait quelques failles, ont rendu légitime la question. Le gouvernement chinois est-il prêt à gérer l’industrie nucléaire, dont les conséquences en cas d’accident pourraient prendre une ampleur inimaginable ? Pourtant, malgré toutes ces interrogations et variables, la simple éventualité d’une réorientation du parc automobile chinois a de quoi faire frémir le monde entier. Premier marché automobile mondial, la Chine pèse lourd dans l’économie des pays producteurs de pétrole. Pire encore, un engouement véritable de la population chinoise pourrait faire basculer le marché mondial, car les constructeurs qui fonctionnent sur une logique d’économie d’échelle,

pourraient favoriser le marché de l’électrique au détriment de celui du pétrole. « L’électrique ne va pas tout remplacer mais évidemment, si tout d’un coup la demande de pétrole chute, les pays producteurs vont en pâtir(…) Si la Chine abandonne, il y aura un trou. Et puis après la Chine, l’Europe. C’est une sorte d’effet domino. » décrypte Denis Astagneau. Le sort du marché automobile et de l’économie pétrolière serait-il entre le mains des chinois? Dans un avenir proche, la question ne se pose pas. Mais dans le cas de la Chine, la question de la temporalité est à repenser. En lançant aujourd’hui des mesures destinées à favoriser l’essor de l’électrique, le gouvernement chinois parie sur un futur « proche » d’une trentaine d’années. Les magnants du pétrole devraient-ils commencer à considérer la question d’un œil nouveau ?

Le barrage des Trois-Gorges, censé favoriser la production d’hydroélectricité, est considéré comme un échec sur le plan environnemental et humain. © Harvey Mead

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Jade Toussay


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Hopitaux français : S.O.S Santé en danger Dans plusieurs communes de France, les hôpitaux sentent monter la fièvre. Entre le rattrapage des réductions du temps de travail (RTT) pour certains et celui des emprunts toxiques pour d’autres, les administrateurs hospitaliers peinent à garder la forme. À cela s’ajoute les mots « déficit », « investissements » ou encore « objectifs budgétaires ». L’entreprise médicale est en crise... et les Français, eux aussi, se font porter pâles : moins de médecins de ville de secteur 1, moins de moyens, moins de lits. En France, la mauvaise santé des établissement hospitaliers est aujourd’hui à double tranchant. Le service hospitalier ne tiendrait plus l’équilibre entre aspects économique et humain. « L’hôpital est un établissement public où les malades ont leur maux à dire », disait Serge Mirjean...Aussi bien sur les feuilles de soins que les rapports d’activité. dossier de Sélène Agapé

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Emprunts toxiques

Hôpitaux publics à bout de souffle 15 janvier 2015, c’est la panique dans les hôpitaux français. Le franc suisse est libre… Libre de s’échanger à sa guise contre l’euro. Ce qui coûte cher aux établissements hospitaliers. Déjà englués dans leurs emprunts, ces derniers n’en finissent plus de s’enfoncer avec des dettes qui flambent d’heures en heures. À qui la faute ? Hôpitaux, créanciers, gouvernements… Peu importe, dans cet horizon médical aux portes de la suffocation.

« Emprunts toxiques », « dettes pourries », les appellations sont nombreuses pour qualifier le poison qui parasite les dettes des hôpitaux publics français. Pourtant, ils ne sont pas inconnus du grand public… et du gouvernement français. En 2008, en pleine crise des subprimes et post-municipales, la France découvre que des milliers de communes françaises sont touchées par les emprunts toxiques. Les malheureux nouveaux maires s’aperçoivent que leurs prédécesseurs ont contracté ces emprunts sous forme de produit structuré qui évolue selon la fluctuation des marchés financiers. Les crédits financiers risqués concernent 5 500 communes – qui n’ont pas toujours été très attentives et conscientes des conséquences – dont le montant des dettes et des taux d’emprunts est au bord de l’implosion. Du côté des créanciers, on pointe du doigt des banques peu scrupuleuses dont une qui représente les deux tiers du marché des emprunts toxiques des communes : Dexia. Cette banque franco-belge-luxembourgeoise, ex-Crédit local de France, aurait vendu à près de 5 000 collectivités locales françaises 12 milliards d’euros de crédits structurés ou spéculatifs. Six ans après le scandale, feu Dexia – démantelé en 2012 – serait responsable du péril de 53 communes françaises. Cette affaire est une illustration des dérives de la finance internationale… qui n’aura pas pourtant servi de leçon à toutes les entités administratives et gouvernementales, puisqu’aujourd’hui

ce sont les hôpitaux français qui sont pris dans la tourmente. Et après les élus, ce sont les administrateurs hospitaliers qui apparaissent comme les nouveaux « pigeons » des opérations financières empoisonnées.

Le mot d’ordre : « investissement » « Dès 2009, nous – la fédération CFDT santé sociaux – avons abordé le problème des emprunts avec Annie Podeur qui était la directrice de l’organisation et de l’offre de soins (DGOS) au ministère de la Santé de l’époque. Il nous avait été dit de ne pas nous inquiéter car très peu d’établissements étaient concernés et qu’en cas de problème tout serait résolu rapidement. Au fil des années, nous nous sommes aperçus que c’était un leurre, se désole Dominique Coiffard, secrétaire national CFDT santé sociaux. De plus, un hôpital n’est aujourd’hui compétitif que s’il investit. » Les premiers rouages de l’engrenage toxique se mettent en place dès mai 2005 avec le futur Plan hôpital 2007. Un ensemble de mesures pour lever « les freins qui pèsent sur les hôpitaux » mais aussi en filigrane pour pallier au sous-investissement hospitalier. En octobre 2007, le président de la République, Nicolas Sarkozy prend le dossier à bras le corps et confie au sénateur des Yvelines, Gérard Larcher, la mission de mener à bien une concertation sur les missions de l’hôpital. Six mois après le chantier, le sénateur rend son rapport et dévoile une série de recommandations comme la

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transformation du conseil d’administration en conseil de surveillance, la modernisation du statut de l’hôpital public mais surtout le renforcement des pouvoirs des directeurs d’hôpitaux. Le 22 octobre 2008, l’ensemble des propositions est présenté sous la forme de la loi Hôpital, patients, santé, territoire (HSPT) en Conseil des ministres pour affiner les missions de l’hôpital et étudier les modes d’administration. Le 21 juillet 2009, la réforme de l’hôpital est adoptée et les directeurs d’hôpitaux sont désignés comme grands gagnants. Ils ravissent l’essentiel des pouvoirs du conseil d’administration et désormais gèrent, entre autre, la politique générale de l’hôpital, les dépenses et recettes et les pôles d’activités de la structure. Du côté du corps médical, certains ne cachent pas leur crainte que les directeurs d’hôpitaux se lancent dans une recherche de résultats économiques, au détriment de problématiques médicales et de conséquences non anticipées. « Les fameuses mesures de 2007 puis 2012, prises par le gouvernement ont permis un investissement fort. C’est à ce moment que des banques sont entrées en scène pour faire des propositions aux hôpitaux, qui se sont engouffrés dans ces offres », explique Dominique Coiffard. À l’instar des maires, ils ont fait le choix de l’emprunt pour pallier la baisse de régime des hôpitaux et endiguer le sous-investissement, en faisant fi des primes de risques à l’avenir.


CODEX Le rappel du 15 janvier Les banques n’en finissent pas de mener la vie dure aux établissements français. Le 15 janvier 2015, la Banque centrale suisse décide de lâcher du lest sur sa monnaie. Le franc suisse, libre de tout seuil d’appréciation par rapport aux autres monnaies, grimpe face à l’euro et le dollar, allant jusqu’à 20%. Un eldorado monétaire qui n’est pas au goût des titulaires de prêts en euro-franc suisse et dollar-franc suisse comme les hôpitaux français. «  Nous avons au total 1,5 milliard d’euros d’emprunts toxiques. Pour solder ces produits structurés, les conditions de sortie sont si draconiennes qu’il faudrait débourser du jour au lendemain le double, soit 3 milliards d’euros. Et voilà maintenant qu’on nous rajoute 500 millions à payer ! », rapporte Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France (FHF), à la rédaction des Echos.fr. Le coup de poker helvétique a fait monter les enchères qui sont passées de 730 millions à 1,2 milliard d’euros d’emprunts toxiques. Ce qui n’améliore pas le jeu des établissements publics de santé (EPS) dont la dette globale pèse déjà 30 milliards d’euros. Selon le rapport de la Cour des comptes pour la MECSS « La dette des établissements publics de santé », publié en avril 2014, en dix ans, celle-ci, à moyen et long terme, a triplé pour atteindre 29,3 milliards d’euros fin 2012, soit 1,4% du PIB. Le compte-rendu dénonce l’origine

cette « progression spéculaire » dans la « politique de soutien à l’investissement privilégiant le financement par l’endettement » mais aussi à cause de « la vision exagérément optimiste de l’accroissement de l’activité des établissements publics » des gestionnaires hospitaliers. « Nous n’avons pas pris assez tôt la mesure des risques », tranche le Pr Bernard Granger, du mouvement de défense l’hôpital public (MDHP). Un avis que partage Dominique Coiffard, « puisqu’au-delà des fameux emprunts toxiques, il y a un certain nombre d’hôpitaux qui se trouvent en déficit budgétaire depuis des années. » Outre, une responsabilité diluée, ce sont les dispositifs d’alerte qui ont peiné à se mettre en place. Le réseau d’alerte des EPS ne date que du 10 février 2010 et n’attribue seulement qu’une note aux établissements selon les niveaux du déficit, d’exploitation, de la capacité d’autofinancement brute, de la couverture des remboursements en capital de dette et de l’encours de la dette rapporté aux produits d’exploitations. Dans cette perspective de désendettement, l’Etat a adopté le 14 décembre 2011 un décret « relatifs aux limites et réserves du recours à l’emprunt par les établissements publics de santé ». Désormais, pour recourir à un emprunt, un directeur d’hôpital doit saisir le directeur général de l’ARS, qui consultera le directeur des finances publiques avant de prendre une décision. De plus, la création de comités régionaux de veille sur la trésorerie des établissements publics de

santé est ratifiée le 14 septembre 2012. Pour compléter le dispositif de contrôle, le 5 juin 2013 est crée un comité interministériel de la performance et de l’offre de soin (COPERMO). Il assure le suivi financier prioritaire des établissements sélectionnés par les indicateurs des autres dispositifs d’alerte. Le 23 avril 2014, le ministère de la Santé posait de premières réflexions sur l’augmentation du fonds de soutien dédié aux hôpitaux – doté de 100 millions sur 3 ans – , permettant de les soutenir à réduire le taux de leur encours de dettes. En réponse à l’affaire du 15 janvier et l’appel à l’aide lancé par les représentants du monde hospitaliers, la ministre de la Santé, Marisol Tourraine a annoncé une rallonge de 300 millions du fonds sur 10 ans. « Ces dernières semaines, nous avons commencé à faire remonter les dossiers via les Agences régionales de santé. Les hôpitaux vont entrer dans le dispositif comme prévu cette année, il y en aura des dizaines, peut-être 50, 70, 80… Ils seront aidés pour payer les intérêts, mais aussi le coût de sortie de l’emprunt », précise la ministre dans un entretien aux Echos. Une assistance qui pourrait peut-être dissuader les établissements hospitaliers de s’engager dans des poursuites judiciaires à l’égard de leurs créanciers empoissonnés, à l’instar des collectivités.

La flambée du franc suisse n’a pas épargné les hôpitaux dont le CHU de Saint-Etienne, l’un des hôpitaux les plus endettés de France. ©DR

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Sélène AGAPÉ


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« L’AP-HP n’est pas une entreprise »

Le 5 mars dernier, l’AP-HP a annoncé une légère aggravation de son déficit autour de 10 millions d’euros pour un budget de près de 7 milliards d’euros. © DR

La paupérisation rapide de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris a conduit à la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, à une mobilisation des étudiants infirmiers et à des grèves de médecins. La tension croît depuis plusieurs mois dans les établissements de l’AP-HP, où certains secteurs atteignent les limites de la tension. Si les établissements parisiens ont toujours bonne réputation, les économies de fonctionnement deviennent trop contraignantes pour assurer un service de soins satisfaisant. Entretien avec le professeur Bernard Granger, directeur du service de psychiatrie de l’hôpital Tarnier et membre actif du mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP). 20

Le 10 juin 2014, l’APHP a présenté son plan de « stratégie globale d’amélioration des Urgences », pensez-vous qu’il pourra améliorer la gestion de ce service souvent décrié ? Je ne suis pas un spécialiste des Urgences mais on a beaucoup insisté sur le délai d’attente. C’est facile à mesurer. Mais les gens ne vont pas aux Urgences pour attendre, ils s’y rendent pour être bien soignés. Or, on ne mesure pas bien cet aspect. Je pense qu’il faut


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surtout insister sur la qualité des soins qui sont donnés aux Urgences. Le problème des Urgences est très complexe : il y a ce qui se passe en amont et ce qui passe en aval. En amont, c’est le fait que beaucoup de passages aux Urgences pourraient être évités si la médecine de ville était organisée différemment. En aval, il y a toute la problématique de la suppression de lits, pour des raisons économiques principalement. Dans ma discipline – la psychiatrie – plus de la moitié des lits a été supprimée depuis les années 80. Dans certains services, notamment dans les hôpitaux de secteur, les médecins ont des difficultés à hospitaliser leurs patients. Ils les font sortir trop vite pour faire de la place. La baisse du nombre de lits parfois se justifie, il y a par exemple des bilans qui sont faits en hôpital de semaine qui pourraient être faits en ambulatoire. Inversement, il faudrait qu’il y ait un parc de lits modulables pour faire face au pic. Regardez l’exemple récent avec la grippe, on a du décommander des opérations au profit d’hospitalisations.

Parmi les problèmes de l’AP-HP, on cite souvent le rattrapage des réductions du temps de travail (RTT), qu’en est-il ? Les 35h appliquées à l’hôpital ont été un facteur de désorganisation considérable parce qu’elles ont été mises en œuvre de façon très rapide sans prévoir toutes les conséquences et dans un domaine où l’on travaille 24h/24. La compensation qui a été donnée en RTT provoque des complications extrêmes car soit les RTT ne sont pas pris et sont mis dans un compte épargne temps dans le but d’être payés, ce qui coûte cher, soit ils sont pris et il faut jongler avec les effectifs présents. C’est pour le personnel une source de souffrance au travail car pour combler un trou on doit changer quelqu’un de service. On parle sans arrêt de polyvalence et de flexibilité mais elles ne sont pas réelles dans les faits. D’autant plus que les soins sont de plus en plus techniques. Un infirmier de diabétologie ne va pas être aussi performant dans un service de chirurgie où les soins n’ont rien à voir. Or pour des raisons d’économie, on a quand même beaucoup supprimé de postes en jouant sur cette polyvalence.

La réduction du déficit de l’AP-HP serait de 20 millions d’euros en 2013.

Comment et à quel prix ? Il y a eu énormément de suppression de personnels. Il y a une dette assez importante à l’APHP. Heureusement, il n’y a pas d’emprunts toxiques. C’est vrai qu’il faut que les finances soient tenues mais en regard, il faut envisager les conséquences. On ne peut pas vouloir supprimer un certain nombre de personnels soignants et vouloir soigner plus de personnes. La contradiction principale, c’est que ce n’est pas l’AP-HP qui fixe ses tarifs, ils sont fixés à l’échelle nationale, selon une enveloppe globale. Cette année, il va y avoir une réduction des tarifs pour que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) soit respecté, et donc envisager les déficits sans essayer de comprendre les mécanismes budgétaires, c’est un peu trop rapide. L’AP-HP n’est pas une entreprise. Le 13 mars prochain, le Mouvement de défense de l’hôpital public On ne peut pas mettre les hôpitaux (MDHP) dont fait Bernard Granger, célèbre ses 6 ans. ©DR en concurrence. Il y a une large différence entre les hôpitaux et les enaspect est d’ailleurs insuffisamment valorisé. treprises. Les hôpitaux dépendent de l’ARS. Ils Il y a tout un aspect humain qui est capital ont une autonomie très faible et ne fixent pas pour ce que vivent les patients qui nous leurs prix. Demain, ils ne seront jamais mis en font confiance tous les jours. On a le nez faillite, ils seront toujours secourus par l’Etat fixé sur des chiffres alors que le caractère s’ils ont de trop gros problèmes financiers, ils humain ne se mesure pas. À mes yeux c’est ont des missions de service public. Appliquer tout aussi important. La visibilité à terme la mentalité d’une entreprise privée à l’hôpital est tout aussi réduite parce qu’il faudrait public c’est une absurdité. On se focalise sur moderniser les hôpitaux qui sont vétustes. Il les déficits mais ils sont surtout provoqués par y a également d’immenses besoins en terme les enveloppes globales, la politique nationale. d’équipements qui ne sont pas satisfaits à Certes il y a aussi des gaspillages et probablecause des contraintes budgétaires, liées au ment une bureaucratie trop envahissante au manque d’investissement criant. Ceux qui niveau de l’AP-HP, mais justement rien n’a été sont attachés à une médecine de pointe fait dans ce domaine. trouvent que dans certains domaines, l’APHP n’est plus au niveau. Les radiologues, par Comment se portent les exemple, se plaignent beaucoup de ne pas avoir les équipements les plus performants. hôpitaux parisiens Etant donné que globalement les besoins aujourd’hui ? augmentent en raison des progrès de la médecine et du vieillissement de la population L’image de l’AP-HP auprès du public reste et qu’en face le pays n’a plus les moyens de plutôt bonne. Je pense que les conditions mettre autant d’argent, il y a un décalage de travail y sont de plus en plus difficiles. qui se produit inévitablement. Même si en D’ailleurs, il y a beaucoup de gens qui France nous n’avons pas un mauvais système quittent l’Assistance Publique. Je pense que de santé. la qualité des soins n’est pas toujours au rendez-vous malgré l’immense dévouement Sélène AGAPÉ des personnels soignants, en particulier les aides-soignants, les infirmiers. Tout cet

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Un congrès de congr

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s PS aux airs rès UNEF Un congrès du PS durant une présidence socialiste est toujours un exercice périlleux. En 2008, celui de Reims s’était achevé dans les larmes de Ségolène Royal. Sept ans plus tard, les socialistes redoutent « un nouveau congrès de Rennes » (1990) au cours duquel Laurent Fabius et Lionel Jospin s’étaient affrontés sans vainqueur. Le congrès de mi-mandat doit définir la ligne politique à tenir pour espérer se faire réélire à la prochaine échéance présidentielle. Or, lorsque toute une aile du parti fronde déjà à l’Assemblée, au point de forcer le Gouvernement à engager sa confiance pour faire voter une loi, rien ne va plus.

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Le Congrès de la réunification de l’UNEF en 1980

Le 77è congrès du Parti socialiste (PS) se tiendra à Poitiers du 5 au 7 juin 2015, sous la présidence de Jean-Christophe Cambadélis. Face à lui, le premier secrétaire retrouvera plusieurs anciens cadres de l’UNEF-ID, qui ont fait carrière au PS. Les mêmes qui militaient dans le premier syndicat étudiant lorsque « Camba » en était président de 1980 à 1984.

D

e son long passage à l’Union National des Etudiants de France (UNEF), Jean-Christophe Cambadélis a laissé à certains le souvenir d’un homme de consensus. Robi Morder, ancien membre du Bureau national de l’UNEF le décrit comme un homme « voulant maintenir tout le monde ensemble », quitte à utiliser des « manœuvres ». François Sabado, ancien dirigeant de la LCR, chargé au Bureau Politique des questions de jeunesse parle plutôt de « certaines méthodes ». Et elles n’ont pas manqué: « fausses cartes, menaces physiques, résultats trafiqués » avec des ajouts de vote d’étudiants africains ou la pratique du « vote polonais » (vote bloqué). Des pratiques qui ne sont pas sans rappeler celles de certaines fédérations du PS, notamment dans les Bouches-du-Rhône. Au congrès du PS de Poitiers, « Camba » retrouvera d’autres anciens de l’UNEF aux caractères « plus clivant ». D’autant que l’UNEF est actuellement représentée au

cœur du pouvoir en la personne de Bruno Le Roux et Jean-Marie Le Guen. C’est aussi le cas de Manuel Valls, Premier ministre et ancien chef de fil des jeunes rocardiens qui a rejoint avec Alain Bauer et Stéphane Fouks (qui deviendront respectivement patron d’Euro-RSCG et dirigeant du Grand Orient de France). L’UNEF-ID (Indépendante et Démocratique) se réunifie en 1980. Benoît Hamon est également arrivé après les grandes batailles de 1986. Mais ces hommes, selon Robi Morder, n’ont jamais eu « qu’une carte de l’UNEF ». Pour lui, « cela fait partie de l’ordinaire d’adhérer à des organisations syndicales ou politiques, dans certains milieux ». Pour le sociologue, Valls et Hamon avaient d’abord « un engagement politique avant d’avoir un engagement syndical. Ce qui les intéressait était d’avoir les mains dans le cambouis. » Il poursuit : « Pour être recruté dans un cabinet ministériel ou pour monter dans l’organigramme du PS, il y a deux solutions : sortir d’une grande école ou venir d’un mouvement jeune, comme le MJS

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(Mouvement des Jeunes Socialistes), SOS Racisme, et l’UNEF. ». En juin prochain, deux visions vont s’affronter en Juin au congrès de Poitiers: d’une part, celle du premier secrétaire qui tente actuellement de rassembler autour une motion large. De là, lui vient aussi son surnom de « président Wilson », à l’image du président américain qui essaya de réconcilier l’Europe de l’après-première Guerre mondiale. D’autre part, il faudra compter sur l’aile gauche, divisée, dont les leaders sont souvent issus de la jeune garde du PS, exfiltrés des mouvements jeunes et notamment de l’UNEF d’abord par Henri Emmanuelli puis par Benoît Hamon. Ces « rebelles » qui forment aujourd’hui l’aile gauche du PS sont bien décidés à se faire entendre. Une attitude qui n’est pas sans rappeler le congrès de Dijon (2003) à la fin duquel les dissidents étaient rentrés dans le rang à la promesse d’une meilleure représentation dans le parti.


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Robi Morder raconte qu’en 1980 : «Cambadélis arrive, et il prend au coin d’une table un papier de carré de sucre sur lequel il écrit la formule magique : 4 mitterrandistes, 3 rocardiens et 2 CCA (comités communistes pour l’autogestion). Avec cela, il y avait 5 autogestionnaires contre les 4 autres. Mais encore ces 5 personnes devaient-elles réussir à s’entendre. » Selon Robi Morder, l’Histoire et les mémoires retiennent une autre histoire de la réunification de l’UNEF, qui se serait déroulée sans problèmes. Pourtant, « ce n’était pas gagné et cela aurait pu échouer. Camba savait aussi élever la voix quand cela devenait nécessaire. » Mais la force de Jean-Christophe Cambadélis est surtout d’avoir réussi à fédérer au sein de l’UNEF-ID en 1980, l’UNEF-US (trotskystes-lambertistes) et sa tendance reconstruction syndicale, et le MAS (LCR) et sa tendance syndicaliste autogestionnaire. C’est lui encore qui réussit à faire évoluer les relations entre le PS et les CCA (Comités communistes autogestionnaires). Outre les différences de positionnement par rapport à la Quatrième Internationale, l’opposition des lambertistes et des révolutionnaires est alors très nette. François Sabado, qui fréquentait les responsables d’aujourd’hui, parle d’ailleurs d’une « profonde méfiance » de la LCR vis-à-vis de l’OCI (Organisation Communiste internationaliste) qui voudrait la détruire et l’absorber. Robi Morder résume ainsi : « Si on se disait trotskyste, tout allait bien mais si on se réclamait de la Quatrième internationale, on croyait que vous étiez anti-lambertiste. » Pour Cambadélis, la parole donnée ne vaut pas un engagement écrit. Combien de fois n’a-t-il pas sorti de sa poche des documents signés sur le coin d’une nappe en papier, explique Robi Morder. C’est aussi cela qui lui permet d’éteindre des conflits avant qu’ils ne s’embrasent trop. Comme dans l’affaire du règlement intérieur du Bureau National que certains commençaient à vouloir remettre en cause après sa signature. Dans le même temps, Cambadélis, comme nombre d’autres futurs socialistes, ne semble pas vraiment s’intéresser au fond des textes. La priorité, c’est l’instauration d’un accord. L’ancien cadre étudiant va même plus loin dans ses propos. « Les futurs socialistes se foutaient des textes ». Ainsi, la tendance autogestionnaire avait émis des avis de modifications sur certains textes, que « Camba » a pris en compte sans aucune discussion. C’est donc à un difficile numéro d’équilibriste que s’est livré Jean-Christophe Cambadélis pendant six ans, d’abord à la présidence de l’UNEF-US de 1978 à 1980 puis à la présidence de l’UNEF-ID de 1980 à

Jean-Christophe Cambadélis, président de l’UNEF-ID de 1980 à 1984

1984. Un spectacle qui s’est également fait au détriment des trotskystes de l’OCI qui « représentaient 80 % des militants mais n’étaient représentés qu’à 60 % », qui perdront la majorité voire ne survivront pas au départ de leur chef Jean-Christophe Cambadélis pour le PS début 1986.

L’UNEF, lieu d’affrontement des gauches Avant 1972 et le programme commun d’union de la gauche, les socialistes (divisés en rocardiens et mitterrandiens) sont largement minoritaires et dépassés en nombre par les trotskystes et les communistes staliniens. En 1971, les rocardiens sont majoritaires au Bureau national grâce

1975 au sein de l’UNEF-US grâce au COSEF (Comité pour l’organisation d’un syndicat étudiant de France) dirigé par Édith Cresson puis par Jean-Marie Le Guen, président du MJS – Mouvement des jeunes socialistes. A l’époque, Michel Rocard envoyait ses pions tant à l’UNEF-US qu’au MAS (Mouvement d’action syndicale) où la LCR devint majoritaire. Ce fut finalement un échec pour les deux hommes en 1979, deux ans avant la nomination du candidat PS à l’élection présidentielle. Mais tous deux avaient compris, qu’avec l’abaissement du droit de vote en 1974, ils gagneraient l’élection. Vainqueur du 10 mai, Mitterrand a ensuite besoin de soutien chez les jeunes, au détriment du Parti communiste. Le président

« Ce n’était pas gagné et cela aurait pu échouer. Camba savait aussi élever la voix quand cela devenait nécessaire. » à l’appui des maoïstes mais ils perdent le pouvoir à la suite de l’alliance des mitterrandistes, des trotskystes et des communistes. À partir de là, l’UNEF se divise car les communistes quittent le syndicat pour fonder l’UNEF-Renouveau. Tandis que les autres courants se réorganisent au sein de l’UNEF-US à majorité lambertiste. Mitterrand tente alors de s’imposer en

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entreprend alors des rapprochements de plus en plus prégnants avec l’UNEF par l’entremise et la négociation de JeanLouis Bianco, de Pierre Bérégovoy, de Jacques Attali, de Lionel Jospin mais aussi de Pierre Lambert. Mais à partir de 1984, c’est Cambadélis et Stora eux-mêmes qui se rendent au palais présidentiel pour négocier, en passant par l’intermédiaire du

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La méthode Cambadélis


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Les jeunes Rocardiens en 1986, à l’UNEF : Stéphane Fouks, Manuel Valls, Alain Bauer

secrétaire général de l’Élysée, Jean-Louis Bianco. De fait, le futur ralliement des cadres de l’UNEF au PS ne semble plus faire de doute. «Cela se dessinait naturelle-

références trotskystes différentes pour se justifier : « trouver le chemin des masses », « faire de l’entrisme dans la social-démocratie », « créer une aile gauche au sein du PS qui ferait sécession le mo-

Une aubaine pour François Mitterrand qui espère beaucoup des étudiants pour discréditer le gouvernement de droite. ment» confie Philippe Darriulat, président de l’UNEF-ID de 1986 à 1988. Les enjeux étaient déjà connus. Robi Morder se souvient : « Tout était déjà sur le tableau. Un jour, je suis arrivé dans une salle pour une réunion syndicale et tout était déjà écrit. Il suffisait de lire. »

1986, les cadres lambertistes passent au PS Au long de l’année 1986, une décision va donc faire grand bruit. Plus de 400 cadres de l’UNEF jusque là trotskystes-lambertistes (OCI devenue le PCI - Parti communiste internationaliste) passent avec armes et bagages au Parti socialiste. Le mouvement est initié par Jean-Christophe Cambadélis et Marc Rozenblat qui les premiers quittent l’organisation. À l’époque, chacun donne des prétextes idéologiques basés sur des

ment venu pour former un grand parti trotskyste ». Mais le mal est fait, les lambertistes perdent quasiment tous leurs militants syndicaux et ils ne parviendront plus à peser sur aucune autre décision. Pire, le système de renouvellement des jeunes lambertistes se fissure et le courant perd une forte partie de son implantation dans la jeunesse française. La gauche est alors défaite aux élections législatives de mars 1986, ce qui accélère le passage des cadres favorable à l’idée d’union des gauches au sein du PS, nécessaire pour remporter les élections. La droite revient en force et propose la réforme Devaquet pour une plus grande autonomie financière des universités françaises. C’est un échec, la loi ne passera pas. Une aubaine pour François Mitterrand qui espère beaucoup des étudiants pour discréditer le gouvernement de droite. Ce projet, présenté en novembre de

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la même année par le ministre de l’Enseignement supérieur Alain Devaquet, est fortement similaire à celui de Valérie Pécresse, adopté en 2010. Philippe Darriulat a succédé à Marc Rozenblat quelques mois plus tôt et est alors président de l’UNEF-ID. Les syndicats étudiants réagissent à la réforme avec pour slogan «Pas de fac d’élite, pas de fac poubelle». Mais la mobilisation ne se créée pas les trois premières semaines. Puis à Caen, un militant de l’UNEF, Daniel Cabieu lance « l’appel de Caen » qui fait démarrer le mouvement en province. Suite à cela, la France entière se met en action. En région parisienne, il s’organise notamment avec ceux qui ont quitté le PCI quelques mois avant pour rejoindre le PS. Sous l’égide de Philippe Darriulat, accompagné d’ Isabelle Thomas, David Assouline, Christophe Ramaux, se créent les « AG du Mouv’ » (assemblées générales du mouvement étudiant) qui se traduisent par l’occupation des facs et le blocage des cours. Les lycéens se joignent au mouvement qui se radicalise jusqu’à ce qu’un jeune étudiant, Malik Oussekine, décède après une manifestation, sur fonds de violences policières. Alain Devaquet démissionne. René Monory, ministre de l’Éducation nationale récupère son portefeuille avec l’ambition de poursuivre la réforme. Le samedi 4 décembre 1986, plus d’un million de personnes dé-


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filent dans les rues parisiennes, ce qui fait prêter ce bon mot à Jacques Chirac, alors Premier ministre «les lycéens, c’est comme le dentifrice, quand ils sont sortis du tube, on ne peut plus les faire rentrer.» Cette mobilisation assiéra définitivement la stature des futurs personnalités issues de l’UNEF : Jean-Christophe Cambadélis, Philippe Darriulat, Manuel Valls, Christophe Borgel, Christophe Ramaux, Désormais, Jospin ne sert plus d’intermédiaire puisque tout est directement traité entre Mitterrand, Dray, Bianco et Cambadélis.

Du milieu syndical au milieu politique Si l’engagement syndical découle bien souvent d’un engagement politique, les deux sont interdépendants et possèdent la capacité altruiste de l’engagement pour les autres. « Derrière toutes relations syndicales, il y a des relations politiques avec l’intervention des différents partis qui essaient de détourner les mouvements de jeunes en leur faveur » assure François Sabado. À ce jeu, c’est François Mitterrand qui se révèle le plus fort, notamment lorsqu’il affirme en 1986 « Les étudiants savent bien de quel côté vont mes sympathies. » Tout cela n’est que l’aboutissement du travail initié en 1968 et dans les comités d’action lycéens (par exemple celui présidé en 1973 par Michel Field contre la loi Debré). Mais il avait fallu attendre 1976-1977 et la fin des effets différés de mai 1968 pour effectuer un travail de masse dans l’université. Pour ceux de tendance autogestionnaire, l’engagement au MAS était la voie royale. Mais les relations de la LCR étaient aussi tendues avec les rocardiens notamment à cause du COSEF. L’intention de Mitterrand était claire : rassembler des jeunes de gauche et les convertir au PS. En cela, SOS Racisme, l’UNEF et le MJS permettait de priver le Parti communiste du renouvellement de ses futurs cadres en se les appropriant. En 1980, le milieu syndical étudiant désire réaliser l’union de la gauche pour permettre le changement de majorité présidentielle et l’unité au pouvoir. Pour François Sabado, « réellement, la société semblait tendre dans le sens des engagements trotskystes.» La perspective unitaire alors très forte l’emporte donc, non sans arrières pensées de part et d’autre. François Sabado explique : « L’OCI a toujours regardé la Ligue d’un mauvais œil. Lors de la réunification, il voulait détruire la Ligue. Les deux n’avaient pas réussi à se mettre d’accord sur un texte commun ni à s’entendre sur un candidat commun pour les présidentielles de 1981. »

Les courants politiques dans les mouvements étudiants En mai 1968, l’UNEF est désorganisée, tiraillé par ses divisions entre socialistes (SFIO, CERES, PSU), communistes (staliniens du PCF), maoïstes et trotskystes (pablistes et lambertistes). Alors que les rocardiens du PSU tiennent le bureau national grâce à une alliance avec les maoïstes, l’ensemble des autres mouvements se liguent contre eux et le syndicat historique se scinde en 1971 en deux syndicats étudiants. D’un côté, il y a l’UNEF-Renouveau, émanation de l’UEC (Union des étudiants communistes), le mouvement jeune du Parti communiste. Ils sont alors soutenus par les chevènementistes du CERES et les maoïstes. De l’autre, on retrouve l’UNEF-US (Unité syndicale) à majorité trotskyste-lambertiste qui regroupe les socialistes (du PS et du PSU) et les lambertistes de l’OCI (Organisation communiste internationale) à tendance favorable à la refondation syndicale (TRS). En 1976, les trotskystes de la Ligue communiste révolutionnaire fondent un syndicat étudiant indépendant : le MAS (Mouvement d’action syndicale) à tendance syndicale autogestionnaire (TSA). En 1980, l’UNEF-US et le MAS fusionnent pour former l’UNEF-ID (Indépendance et démocratie) lors du congrès de Nanterre. Les lambertistes de l’OCI sont alors majoritaires à 55 %. Le MAS (LCR) représente alors 35 % des adhérents. Enfin, les socialistes du PS sont environ 10 %. Le rapport de forces se modifiera en 1986 lorsque plus de 400 trotsksytes quittent l’OCI devenue PCI (Parti communiste internationaliste) pour rejoindre le PS. A partir de là, les socialistes sont et restent majoritaires. En 2001, l’UNEF-ID et l’UNEF- RE se réunifient.

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ambitieux comme Cambadélis. Mais l’euphorie est de courte durée. Philippe Darriulat souligne : « Deux ans après le ralliement, il ne restait plus qu’une trentaine de personnes sur les quatre cents qui étaient partis. Restaient ceux qui voulaient faire carrière dans l’appareil du PS ».

Après 1986, l’échec de l’entrisme dans la social-démocratie.

Philippe Campricini, président de l’UNEFID de 1988 à © Actuel

Les révolutionnaires sont unis par le contenu de leur programme : contre la droite, contre les institutions de la Ve République et contre le capitalisme. À la Ligue, la stratégie est claire : celle d’une indépendance nette pour « féconder le front unique d’un contenu anticapitaliste et révolutionnaire ». L’organisation de jeunesse prône toujours le retour à l’usine. À l’OCI, assumer les comportements des années 1980 est plus difficile. Robi Morder précise « Dans l’éducation lambertiste, on se méfie des appareils. Là encore, c’était une contradiction. On a beau être idéaliste, on n’est pas cons. » Car d’un côté, l’OCI affirme ne pas pouvoir traiter avec les gouvernants. Tandis que de l’autre, Cambadélis et Rozenblat négocient avec Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale. Mais la Ligue résiste par son pragmatisme et surtout grâce à l’activisme de ses militants. Dans les luttes et dans les grèves des années 1980, ils sont toujours présents. François Sabado se rappelle avec nostalgie le temps où ils arrivaient à faire descendre « plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues ». En 1986, les têtes de la contestation sont issues de la

LCR: Isabelle Thomas à Paris XIII, Daniel Cabieu qui lance le mouvement à la suite de son « Appel de Caen », Julien Dray qui même s’il l’a quitté en 1982 y reste toujours très attaché, notamment à la minorité de la ligue par Gérard Filoche. Julien Dray, ancien de la Ligue, puis président du MAS arrivait avec plusieurs milliers de cartes. Mais le désavantage du MAS est qu’il n’est soutenu par aucun syndicat « adulte ». Alors que l’UNEF-US bénéficie de l’aide de FO et du soutien officieux de François Mitterrand. Si en surface l’unité de l’UNEF ID semble acquise, les relations internes sont dures. La pression qu’exerce le pouvoir socialiste sur le syndicat est d’autant plus forte. Mitterrand tient à ce que le PS, « là où se passent les choses sérieuses » soit représenté dans la jeunesse, selon le sentiment de l’époque. Il encourage même ce qui représente une aile gauche au sein du PS. Il les incite même à être plus radicaux que le parti pour pouvoir rallier à eux une large partie de l’extrême-gauche française. L’attrait des responsabilités intéresse également les jeunes

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Pour Robi Morder, « toutes les tentatives d’entrisme dans un parti social-démocrate se sont soldés par la dispersion ou la fusion de ceux qui entraient ». Plus grave pour le syndicat étudiant, la proximité entre les deux structures qui a profondément bouleversé le fonctionnement de l’UNEF. Le sociologue précise « Ce n’est pas le PS qui est devenue une succursale de l’UNEF mais c’est plutôt l’inverse. L’UNEF a adopté le système de fonctionnement du PS avec le jeu des tendances. » Dans les années 1970, les différents mouvements d’extrême-gauche appelle leurs militants à faire de « l’entrisme dans la social-démocratie » pour aller au devant des masses. Plusieurs agents avaient alors été envoyés en « sous-marins » pour infiltrer le Parti socialiste, comme Lionel Jospin. Toutefois, pour Robi Morder, l’histoire de l’ancien Premier ministre est plus compliquée car Jospin n’a jamais milité à la base. Les jeunes de la LCR rejoignent alors le MAS dirigé par Julien Dray à partir de 1979, tandis que les lambertistes se rassemblaient à l’UNEF-US derrière la figure charismatique de Jean-Christophe Cambadélis, choisi par Pierre Lambert en personne, dissident de la IVème Internationale, pour lui succéder un jour. Ainsi, une grande partie de ceux qui militent dans un des deux grands partis trotskystes ou une de leurs associations de jeunesse parallèles rejoignaient ensuite le syndicalisme étudiant. Philippe Darriulat parle alors de « suite logique et naturelle ». « Les jeunes de l’OCI allait à l’UNEF-US, c’était ainsi. » Mais au-delà de l’aspect d’engagement, rejoindre l’UNEF permet aussi de se mettre en valeur et d’obtenir une reconnaissance. Franchir le pas peut aussi révéler des querelles d’ego notamment entre les anciens dirigeants du MAS et ceux de l’UNEF-US qui nourrissaient des arrières pensées concernant leur traitement et leur représentation au Bureau national. Philippe Darriulat parle de son passage au PS à la fin 1986 comme d’une satisfaction de faire de la politique sans être marginalisé. Certes, il est bien conscient que l’UNEF


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Benoit Hamon et Henri Emmanuelli ©MaxPPP

qu’il dirige fait le jeu de tous les anti-communistes trop contents de voir le PC s’affaiblir. Car la jeunesse communiste des années 1980, très faible numériquement, se retrouve mal à l’aise avec le militantisme, une force de l’UNEF-ID. Pour Robi Morder, ce recul de l’action des jeunes communistes est aussi à regarder en lien avec ce qui se passe dans les pays de l’Est. Mais Darriulat indique aussi avoir le « sentiment d’être de gauche et d’avoir une prise directe et concrète sur la politique. Nous avions la volonté d’être la gauche du PS» « L’UNEF empêchait aussi l’épanouissement de la carrière. Elle apparaissait à certains moments comme une secte », affirme Philippe Darriulat. C’est donc la fin d’une histoire collective, d’autant que les militants n’ont pas toujours réussi à se fondre aux enjeux d’appareils. Les jeunes prennent d’autres dispositions d’esprit, souhaitaient une autre réforme de la société. François Sabado poursuit : « très vite, les anciens de l’UNEF sont devenus des objets de Mitterrand qui avait besoin dans son parti de jeunes qui défendent des positions plus à gauche. » C’est à partir des années 1990 que l’UNEF devient un point de passage vers le PS, une véritable école de cadres du parti. C’est d’abord Henri Emmanuelli qui, rêvant de réaliser de nouveau l’exploit de François Mitterrand en 1981, essaie de rallier les jeunes syndicalistes. Il dirige alors un courant jeune qui exfiltre doucement les per-

Philippe Darriulat parle de son passage au PS à la fin 1986 comme d’une satisfaction de faire de la politique sans être marginalisé. sonnalités charismatiques engagées dans le syndicat. Libre ensuite à ceux pris plus ou moins volontairement dans la toile de se tisser une carrière dans l’organigramme du parti. Il est soutenu par les jeunes « poperenistes » réunis autour de Jean Poperen et les jeunes « chevènementistes » réunis autour de JeanPierre Chevènement, qui ne soutiennent plus la politique du Gouvernement depuis l’intervention en Irak pendant la première guerre du Golfe. Malgré ses nouvelles recrues qui sont aujourd’hui pour la plupart frondeurs du PS (Borgel, Galut, Hamon, Cherki...), Emmanuelli est battu par Jospin à l’investiture PS pour l’élection présidentielle de 1995. Pour peser alors au sein du parti par le biais de sa tendance et de ses motions, l’homme doit malgré tout continuer à recruter et il est rejoint en 2005 par un homme qu’il a lui-même appelé en 1993 : Benoît Hamon. Ensemble, ces hommes constituent l’aile gauche actuelle du PS.

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La vie après l’UNEF Trente ans plus tard, les anciens cadres de l’UNEF ont plutôt bien réussi, à commencer par la génération du bureau National de 1980. Pour ceux qui ont choisi de poursuivre leur engagement en politique, la plupart ont trouvé des places dans l’appareil socialiste confortable. Paradoxalement, Robi Morder analyse que « ce ne sont pas les couches les plus favorisées qui sont restées au PS. » Ils ont donc monté les échelons du parti à l’instar de Jean-Christophe Cambadélis qui a remplacé au pied levé l’ancien président de SOS Racisme et ancien membre de l’UNEF, Harlem Désir devenu ministre. Julien Dray dit « Juju » est quant à lui Conseiller régional d’Île-de-France et ancien député de 1988 à 2012. David Assouline est devenu sénateur de Paris. Isabelle Thomas, arrivée à l’UNEF en 1983 et figure de la contestation anti-Devaquet est députée européenne et conseillère régionale de Bretagne. Laurence


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© DR Actuel

Pour François Sabado, c’était une période où la France possédait une jeunesse « inventive, imaginative, super-radicale, gonflée au possible ».

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© DR Actuel

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Rossignol est secrétaire d’État à la Famille. Philippe Darriulat est adjoint au maire dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Mais si beaucoup de transfuges de l’UNEF au PS ne sont pas restés (une trentaine sur les 400 qui avaient pris la tangente en 1986 : certains se sont lancés dans les affaires comme Marc Rozenblat et Bernard Rayard encore Stéphane Fouks, patron l’agence de publicité EuroRSCG. D’autres ont choisi la voie du journalisme à l’image de Denis Sieffert, rédacteur en chef de Politis ou de Sylvia Zappi, journaliste au Monde. D’autres encore ont pris le chemin de l’université comme Benjamin Stora, professeur d’Histoire à Paris I, Christophe Ramaux devenu professeur d’économie à Paris I et membre des économistes atterrés ou encore et enfin Jean-Loup Salzmann devenu président de l’université Paris XIII où la contestation de 1986 avait commencée, et président de la Conférence des présidents d’université. Le syndicalisme est aussi un engagement que certains n’ont pas arrêté à l’image de Robi Morder, juriste et sociologue devenu syndicaliste enseignant ou encore Laurent Zappi. Pourtant, beaucoup des acteurs de cette époque n’ont plus envie de parler de cela. Comme s’ils étaient désabusés de l’évolution des événements. Pour beau-

coup, la période reste éminemment positive. Pour François Sabado, c’était une période où la France possédait une jeunesse « inventive, imaginative, super-radicale, gonflée au possible ». Pour autant, l’homme garde un regard lucide sur cette époque : « On s’est raconté des histoires. Comme des illusions d’optiques sur les rapports de force dans l’université et dans le pays. » Pour Benjamin Stora, le combat doit se poursuivre de manière intellectuelle et ses travaux historiques vont dans ce sens. Pour François Sabado, c’est aussi l’union de la gauche qui a fait « perdre la main au profit des grands appareils. Il y a eu des compromis et aussi des compromissions. Les jeunes ont été gagnés par le PS. C’est notamment ce qui est arrivé à Jospin qui a été transformé.» Oubliée donc l’idée de l’entrisme originel pour former un courant de gauche au sein du PS, qui aurait représenté 1/3 du parti. « C’est aussi la force d’intégration de l’appareil social-démocrate qui s’est révélée plus forte sur le plan idéologique, organisationnel et matériel. » L’ancien dirigeant de la LCR porte un regard lucide sur les changements intervenus depuis, au sein de la société française : « C’est la fin du mouvement ouvrier et il y a quelque chose d’autre à construire. Nous sommes dans le ‘déjà plus’ et le ‘pas encore’ du XIXe siècle et dans la contestation du XXIe siècle. Nous sommes dans l’entre-deux, que

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Gramsci appelle les monstres. Si notre idéal est intact, nous avons moins de certitudes. » Pour Sylvia Zappi, c’est plutôt la « réalité sociale n’a plus rien à voir ». Benjamin Stora avoue même « Je ne saurais même pas dire qui est l’actuel président de l’UNEF ». Le Bureau national de 1980 témoigne de la fierté d’avoir participé à la conquête du pouvoir et à la réunification du syndicat. L’UNEF fut une grande famille : de l’époque de combat, beaucoup ont gardé ce goût et cette appétence pour la « négociation systématique », qui pour certains était naturel et précédait leur engagement. Mais « la pratique a saboté le reste » affirme Robi Morder. « On a appris beaucoup : la gauche révolutionnaire était proposition de forces et de diversités. Enfin, la jeunesse avait une représentation politique » poursuit Sabado. « C’était une période très positive. J’ai développé beaucoup d’affections. Je ne regrette rien. »

Olivier Vagneux


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Les élèves savent se servir des nouvelles technologies de plus en plus jeunes © wikimedia commons

Les failles du plan numérique 2015-2016

Depuis le mois de juillet 2014, François Hollande annonce régulièrement le lancement d’un plan numérique. Inscrit dans le cadre de la refonte des programmes de 2016, ce projet a pour ambition d’enseigner ‘le numérique‘ de l’élémentaire à la terminale. Les décisions à ce sujet seront prises en mai 2015 après la synthèse de la consultation numérique prévue pour mi-mars. Le chef de l’Etat a promis « une grande école du numérique ». Mais à quel prix ? 32


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e « numérique » à l’école est un vieux serpent de mer. Du Thomson TO7 des années 80, ( le pré crétacé supérieur de l’ordinateur) aux tablettes actuelles, l’Education Nationale n’en finit pas d’avoir les yeux de Chimène pour les technologies soi disant avant-gardistes. L’éternel marronnier du poids du cartable informe les lectrices de Marie-Claire et leur apprend que les 13 kg que porte quotidiennement leur cher bambin tiendrait sur une clé USB. Mais de quoi parle t’on ? Les manuels scolaires en PDF, l’utilisation des smartphones, tablettes et PC à visée pédagogique, l’apprentissage ludo éducatif au collège, ces idées éclosent régulièrement chez les experts en psycho-pédagogie qui encombrent le ministère de l’Education Nationale, mais sont elles seulement utiles et pertinentes. De l‘obsolescence du matériel à la formation des enseignants, les écueils sont considérables et dans une période crise ou les budgets s’amincissent, le coût faramineux du « Plan numérique » est tout simplement prohibitif, et l’ambition purement démagogique, en ce sens ou il ne s’agit pas d’améliorer l’enseignement, mais de communiquer sur cette intention. C’est l’une des promesses de campagne de François Hollande. Cet e-plan a comme principal objectif de fournir 70% des collégiens et écoliers en tablette PC d’ici 2020 avec, pour se faire, 60% des crédits pour les ressources pédagogiques alloués au numérique. « L’éducation doit garder les mêmes valeurs mais s’ouvrir aux nouvelles technologies. C’est la raison pour laquelle le numérique va être généralisé. Le plan numérique sera mis en œuvre dès 2016 dans les collèges. » expliquait François Hollande lors de son discours du 18 septembre 2014. Selon le président français, ce plan « est une chance pour les enfants et pour les enseignants d’utiliser ces moyens. Une chance pour avoir un contenu. Une chance pour l’économie d’avoir ces emplois préparés dès l’école. » Mais surtout, une chance pour lui de se faire bien voir. Il faut bien l’avouer, la modernisation, l’idée d’une « grande école numérique » c’est vendeur. Et c’est du plus bel effet dans le cadre d’un mandat. Pourtant, ce 12ème grand plan numérique semble lui, avoir une réelle crédibilité. En effet, il a l’avantage de se situer dans un programme gouvernemental global appelé : « les 34 plans de la nouvelle France industrielle ». Cela permet, entre autre, la ventilation des budgets. Il bénéficie d’une enveloppe nationale pilotée et dotée par le Ministère de l’économie, et non par l’Education Nationale. Une bonne nouvelle en soit puisque cela lui permet de ne pas puiser dans son budget.

Le plan numérique ou l’obsolescence programmée Depuis des décennies, l’Education Nationale s’embourbe dans différents plans numériques. A tel point que les collectivités territoriales cherchent à tout prix à moderniser leurs établissements. Dans les années 80, déjà, l’arrivée du premier plan numérique et, de ce fait, du Thomson TO7 avaient fait du bruit dans les salles de classe. Et du TO7, à la tablette il n’y a qu’un pas. La preuve en est qu’aujourd’hui, plus personne n’utilise cet ancêtre de l’ordinateur et les plus jeunes ne savent même pas à

si on l’utilisera toujours. » explique Jean-Rémi Girard, secrétaire national à la pédagogie du SNALC-FGAF.

S’en tenir aux besoins des professeurs Dans cette envie entêtée de modernisation de l’école, les professeurs ne s’y retrouvent pas toujours. Certains bénéficient de nouveaux outils de travail sans les avoir demandés, mais avec l’obligation de l’utiliser en classe, sans autre forme de discussion. « Il ne suffit pas d’organiser des grands plans sans réfléchir aux besoins des professeurs et des élèves. Il faut partir des besoins et des demandes des profes-

« Tous les enseignants sont concernés par l’usage des outils propres aux technologies de l’information et de la communication (TIC) » quoi cela ressemble. « Le problème avec ce genre de plan numérique, c’est que les machines sont très rapidement obsolètes. On ne sait pas vérifier s’ils sont véritablement bénéfiques à l’enseignement. Et ce constat vaut également pour la tablette. Personne ne sait comment elle aura évolué d’ici cinq ans et

seurs. Il y en a qui demandent à avoir ces outils numériques mais d’autres y voit moins d’intérêt. Malheureusement on a plutôt tendance à fonctionner dans l’autre sens : c’est-à-dire que les collectivités rentrent dans ces plans numériques et c’est les équipes sur le terrain qui doivent se dépatouiller avec ce qu’elles ont Le Thomson TO7 © Wikipedia

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CODEX reçu. Aucun intérêt. » déplore Jean-Rémi Girard Pourtant, l’Education Nationale a prévu de former des professeurs. Oui, mais uniquement les jeunes diplômés. « Tous les enseignants sont concernés par l’usage des outils propres aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et leur intégration dans les pratiques pédagogiques. Au sortir de sa formation universitaire, tout nouvel enseignant doit avoir acquis les compétences d’usage et de maîtrise raisonnée de l’information et de la communication dans sa pratique professionnelle. » précise le Ministère sur son site. Le professeur d’histoire-géographie avec simplement quatre ou cinq ans de métier peut donc complétement oublier sa belle formation. Le mot d’ordre ici n’est pas la réussite scolaire, mais bel bien la modernité et surtout, l’espoir d’une réélection à la clé. Un nouveau mandat, ça se travaille en amont après tout. Et puis c’est également un effet d’annonce « L’idée de créer une école numérique, ça passe bien dans les médias. Cette volonté de toujours vouloir se moderniser. Et on ne m’enlèvera pas de la tête qu’il existe des liens entre l’Education Nationale et certains concepteurs de logiciel. Il y a donc très certainement des intérêts financiers derrière ces plans numériques. » continue Jean-Rémi Girard

Pour ou contre la tablette numérique à l’école ? © wikipedia

Un désavantage pour les élèves Cette vision illusoire de l’école moderne que tente d’instaurer l’Etat est loin de coller à la réalité. Une réalité douloureuse. Certains directeurs interdisent tout bonnement à leurs élèves d’apporter leur précieux ordinateur, pour éviter la casse et/ou le racket. Il arrive même que les objets qui leur sont généreusement ‘prêtés’, se retrouvent sur la toile, sur des sites de vente en ligne. « Dans l’ensemble, je trouve cela très bien d’avoir du matériel numérique mais pour que cela fonctionne, il faut que les élèves respectent la matériel. Par exemple, un établissement du Sud de la France avait offert à certains de ses élèves des ordinateurs portables. La semaine suivante, ils en ont retrouvé plus de la moitié sur E-bay. Dans ces conditions, cela ne peut pas fonctionner. » constate tristement Baptiste Cornabs, professeur d’histoire géographie et Youtubeur. De plus, l’utilisation des tablettes pose d’autres genres de problèmes. Par exemple, elles ne peuvent être utilisées qu’à court terme durant les cours car elles n’ont pas une autonomie suffisante. « Elles sont censées remplacer les manuels scolaires, mais les élèves ne peuvent lire qu’une page à la fois. » poursuit Jean-Rémi Girard. « Et elles ne sont pas verrouillées. Les élèves peuvent donc s’en servir pour échanger entre eux et jouer. Le professeur est alors impuissant puisqu’il ne peut pas tous les surveiller. Mais limiter l’accès internet serait contre productif.

L’utilisation de l’engin serait donc nulle. » Autant d’inconvénients constatés et évidents alors même que le bénéfice pédagogique est encore loin d’être révélé.

Le retard numérique français Si l’Education Nationale met autant d’ardeur dans ce projet, c’est que la situation numérique de l’Ecole française est en berne. Selon l’étude Profetic publiée en 2014, plus de 90% des enseignants jugent le numérique profitable à leur enseignement. Mais seulement 5% d’entre eux avouent ne pas l’utiliser quotidiennement en classe. Comme c’était déjà le cas en 2012, l’enquête souligne que les professeurs les utilisent très peu ou pour leur utilisation personnelle: les notes, le cahier de textes, la réalisation de préparations de cours, la diversification des pratiques pédagogiques, l’attractivité des cours, la conduite d’une séquence, l’intervention en classe, le travail et le partage avec des collègues, l’aide à la progression de l’élève dans ses apprentissages. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour faire travailler les élèves en autonomie est en baisse. Pour expliquer cela voici quelques raisons logiques comme l’augmentation de la taille des groupes classes, l’équipement informatique insuffisant, obsolète,

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défectueux, ou inadapté. Et nouveaux facteur introduit dans ce bilan : l’accès au réseau ou à Internet qui pénalise incontestablement les activités TIC lorsque les débits sont insuffisants. En dépit de tout cela, le Ministère veut équiper à tout prix les établissements (un prix très souvent élevé). La stratégie numérique éducative de l’État est donc absurde. Le gouvernement propose des solutions à des problèmes qui n’existent pas ou qui ne sont pas réclamés partout. Bien que ce plan s’inscrive dans un programme jugé crédible, l’Etat dépense des sommes pharamineuses pour du matériel bientôt obsolète et des logiciels dont certain n’ont pas besoin, voire dont les professeurs et les élèves ne savent absolument pas se servir. Pire : l’Etat met à disposition « une formation massive des enseignants » de seulement trois jours. Dans le même temps, l’Etat est parfaitement incapable d’assurer la maintenance du matériel déjà utilisé dans les établissements scolaires. Dans cette affaire, la solution la plus logique serait donc de demander l’avis des enseignants et non des collectivités locales. Ces dernières foncent et s’enfoncent dans ses plans tête baissée, pensant bien faire. Il faut donc voir ici un coup marketing de la part de l’Etat en dépit du bon sens

Audrey Bouts


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Publicité.

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« La laïcité de la sociét CODEX

Le 21 janvier dernier, François Hollande évoquait, à l’occasion de ses vœux à l’Education nationa générale » en faveur des valeurs républicaines à l’école. Deux semaines après les attentats de Charli l’Etat souhaite qu’ « une attention particulière » soit portée à l’enseignement du fait religieux. Dès la ren devrait se voir renforcer dans les futurs programmes scolaires du primaire et du secondaire.

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est l’essence té française » CODEX

ale, la « mobilisation ie Hebdo, le chef de ntrée 2016, sa place

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nze mesures pour remettre sous les feux des projecteurs l’enseignement du fait religieux. L’heure est à l’ « après-Charlie » pour Najat Vallaud-Belkacem. Le 22 janvier dernier, la ministre de l’Education nationale et l’Enseignement supérieur a présenté ses premières dispositions issues de la grande mobilisation de l’Ecole. Au lendemain des vœux du président de la République à Rue de Grenelle, l’urgence d’instaurer un enseignement spécifique et systématique du fait religieux est palpable. Ce dernier contribue à la formation de l’esprit critique, initie à une lecture distanciée des textes, aux modalités des cultes, aux réalisations philosophiques, littéraires, artistiques, des différentes traditions

Régis Debray © Wikipedia

religieuses et inclut une formation sérieuse à l’histoire de l’athéisme et des laïcités. La prise de conscience sur la nécessité d’un tel enseignement ne date pas d’aujourd’hui. En 1989, le rapport de l’historien Philippe Joutard évoquait déjà l’absence de l’histoire des religions dans les programmes scolaires. En 2002, Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale de l’époque, commandait à l’universitaire Régis Debray un rapport intitulé : « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ». Un compte-rendu qui livre des questions essentielles telles que : comment retracer l’aventure irréversible des civilisations sans prendre en compte le sillage laissé par les grandes religions ? Comment comprendre le 11 septembre 2001 sans remonter au wahhabisme, aux diverses filiations coraniques et aux avatars du monothéisme ? Comment comprendre le jazz et le pasteur Martin Luther King sans parler du protestantisme et de la Bible ? L’histoire des religions n’est pas le recueil des souvenirs d’enfance de l’humanité ; ni un catalogue d’aimables ou funestes bizarreries. « Le maillon manquant de l’information religieuse rend strictement incompréhensible, voire sans intérêt, les tympans de Chartes, la Crucifixion du Tintoret, le Don Juan de Molière, le Booz endormi de Victor Hugo. », expliquait l’écrivain Regis Debray. « L’intérêt pour l’enseignement des faits religieux n’est pas uniquement réactionnel et émotionnel mais s’inscrit dans une perspective à plus long terme à laquelle

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l’IESR (Institut Européen en sciences des religions) travaille depuis plusieurs années », rapporte Isabelle Saint Martin, directrice de l’IESR et directrice d’études à l’EPHE (Ecole pratique des hautes études). « D’autre part, la problématique du vivre ensemble et de la connaissance et du respect de l’autre, sans prosélytisme, s’inscrit dans une perspective bien plus large que le contexte français car la Commission européenne ne finance pas ce projet pour stimuler l’érudition sur les religions mais bien dans la perspective de favoriser l’insertion et la citoyenneté en Europe. »

Un vécu collectif et individuel Dès 2005, les faits religieux, évoqués dans le cadre de plusieurs disciplines, ont été introduits dans le socle commun des connaissances et compétences à développer dans le primaire et au collège. Pour Lola Petit, chercheur au CNRS (groupe sociétés, religions, laïcités) : « C’est important de commencer dès la primaire. On se rend bien compte lorsqu’on travaille avec des adolescents qu’il y a des connaissances de base qui ne sont pas intégrées. Ce manque d’acquis rend plus compliqué la compréhension des événements historiques. Puis, si on laisse un vide autour de ces questions, on se rend compte qu’il peut y avoir des dérives. Il faut qu’il y ait un enseignement historique et philosophique des religions, dans la mesure où l’un va avec l’autre » Camille Descouzis qui prépare le CAPES de lettres, insiste sur ce fait et pense « que l’instruction à l’histoire des religions, de toutes les religions serait un


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bon moyen de régler pas mal de conflits au sein de l’école publique. Je reste persuadée qu’il y a conflit lorsqu’il y a incompréhension. Les jeunes collégiens et lycéens doivent connaître les tenants et les aboutissants. » Toutefois, l’étudiante nuance : « Même s’il est important de ne pas faire de prosélytisme ! » En primaire, « je pense que l’enseignement des religions et de la laïcité doit se faire à travers des jeux ludiques. De plus, il faut appuyer la notion de laïcité qui est l’essence de notre société. Un concept qui est enseigné de façon trop abstraite aux enfants. » Isabelle Saint-Martin formule les deux objectifs de cet enseignement. Le premier est intellectuel : « On ne peut pas comprendre le passé, le présent et le patrimoine artistique sans une connaissance des faits religieux. » Le second est politique : « pour faire société dans un monde marqué par une nouvelle pluralité religieuse, il faut une culture commune. D’où l’expression laïcité d’intelligence de Régis Debray. » En novembre dernier, Esther Benbassa a présenté un rapport au Sénat intitulé « La lutte contre les discriminations ». Dès lors, les débats se sont focalisés sur la 11e recommandation : l’enseignement laïc du fait religieux à l’école. La sénatrice EELV se justifie dans un entretien accordé à l’Humanité : « Un tel enseignement, outre l’intérêt de combattre l’ignorance, aurait celui de favoriser une meilleure compréhension entre les enfants issus de milieux variés. La République abrite des croyants et des incroyants de toutes sortes. Il est de son devoir d’introduire chacun à la connaissance de cette diversité. » « Enseigner les faits religieux c’est considérer que les religions sont un phénomène historique et culturel. Elles

englobent un vécu individuel et collectif », ajoute la chercheuse Lola Petit. Les jours fériés et les vacances scolaires en France ne sont pas le fruit du hasard du calendrier.

Un manque de pédagogie Les professeurs évitent de parler de religions à l’école. « C’est compliqué, notamment parce que certains enfants ou adolescents peuvent vouloir faire part de leurs convictions personnelles, voire contester la légitimité de l’enseignant à parler de leur religion. », explique Jean-Marie Bourguignon, professeur agrégé de lettres et langues anciennes au collège Georges Courteline (Paris 12e) et formateur ESPE. « Sans explications préalables, la minute de silence en mémoire aux victimes des attentats de Charlie Hebdo n’a pas toujours été un exercice facile à faire dans les écoles, collèges et lycées. » Le Figaro relevait que dans une école élémentaire de SeineSaint-Denis, pas moins de 80 % des élèves d’une classe ont refusé cette minute de silence. Et certaines ont même parfois dérapé. «Je te bute à la kalach», a lancé à Lille un élève de 4e à son enseignante, pendant cette minute de silence. « Étudiant la naissance de l’Islam avec une classe de 5e, j’avais apporté un Coran », se souvient Frédéric Houam, enseignant d’histoire à Nice. « Entre indignation et provocation, un élève m’a alors demandé de lâcher ce livre car selon lui j’étais impur. » Sur le moment, l’enseignant, désarçonné, a reposé l’ouvrage. « Aujourd’hui, je répondrais à ce garçon qu’en classe, le Coran est un objet

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d’étude historique et scientifique », affirme-t-il. « Les professeurs trop souvent désarmés, ne savent plus comment réagir face aux réactions des élèves. », explique le professeur. Beaucoup d’enseignants avouent surtout manquer de culture religieuse et s’estiment mal outillés pour transmettre un savoir sur ces questions. Si certains« ne s’intéressent pas encore à ce sujet. », d’autres ne sont pas encore convaincus de l’enseignement des faits religieux et de la laïcité à l’école républicaine. Madame Gilot, proviseur au collège à Tours confiait à Télérama : « La laïcité, est-ce que ça s’apprend ? Pour moi, un peu de bon sens et des valeurs, et on doit s’en sortir, non ? Nous sommes des fonctionnaires de l’Etat, ce sont des mots

Najat Vallaud-Belckacem © Wikipedia


CODEX qui ont un sens : si on est là, ça n’est pas par hasard. Nous sommes au service des élèves, de tous les élèves, et donc évidemment de la laïcité. Je ne me pose pas quinze mille questions là-dessus, je fais mon travail, c’est tout. » « Repenser la formation des professeurs » « Pour l’instant cet apprentissage n’est pas obligatoire, et il est enseigné dans le cadre de la classe d’histoire et histoire des arts. Avec des chapitres comme : le rôle de l’église catholique au Moyen-Âge, la naissance de l’Islam, les croisades… », observe Lola Petit. « C’est pourtant nécessaire. Et, il faut qu’il soit bien mis en place. Malheureusement, le déficit de formation des enseignants sur la thématique de la laïcité est un premier obstacle. » Pour la chercheuse, « il faut repenser la formation initiale et continue des professeurs, avec comme double objectif : apporter une formation théorique (connaissances sur les traditions religieuses, sur l’histoire de la laïcité) et donner des outils pédagogiques (comment on fait concrètement pour en parler en classe ?). Mais plus profondément, il faudrait revaloriser le métier des enseignants qui sont jetés dans la classe trop rapidement. » Les problèmes dans la formation des professeurs sont multiples : « Les réformes successives, notamment la suppression des IUFM, n’ont pas aidé. Pendant plusieurs années, les professeurs n’avaient plus de formation initiale. Pour moi, tous les jeunes professeurs devraient recevoir une triple formation : à la laïcité, à l’enseignement moral et civique qui sera mis en place à la rentrée, et enfin aux faits religieux », commente Jean-Marie Bourguignon. Si certains professeurs du secondaire s’inquiètent d’un « possible » saupoudrage de connaissances dans plusieurs matières, pour lui : « C’est un tronc commun de connaissance qui me semble facile à mettre en place au collège. Comme l’a été l’histoire de l’art. D’ici la rentrée 2016, il est tout à fait possible que tous les professeurs soient formés sur la question des faits religieux. Surtout que si l’on regarde la plupart des programmes, ils contiennent déjà de nombreux textes. » Conscient du problème, le gouvernement a annoncé qu’un module spécifique serait intégré à la formation initiale dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé). « L’idée, cette fois-ci est de créer un effet de domino de grande ampleur : instruire des

formateurs qui formeront des professeurs et éduqueront les élèves. Pas si facile à mettre en application. Sur les 1.000 formateurs annoncés, nous allons d’ores et déjà nous appuyer sur les «référents laïcité» des académies créées en 2014, en général composés d’inspecteurs ou de professeurs d’Espé. Eux-mêmes, devront trouver d’autres formateurs et toucher ainsi le plus grand nombre de professeurs possible. Ce processus commence à peine, la tâche sera rude », souligne Isabelle Saint-Martin. Pionnière, l’université de Toulouse 1 Capitole vient de révéler qu’elle proposera, dès la rentrée prochaine, une formation supérieure à la laïcité. Une idée que le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) du Midi-Pyrénées, espère voir se généraliser à l’échelle natio-

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nale. Développer un enseignement laïc des faits religieux à l’école dans les programmes scolaires de plusieurs disciplines (histoire, philosophie, art) du primaire au lycée, participe à une dynamique de laïcité d’intelligence. L’émergence d’une nouvelle voie : celle de la connaissance de l’autre, de sa meilleure appréhension, celle de l’école républicaine dans son idéal d’universalité. Ce chantier intellectuel mais surtout pédagogique ne sera pas facile à mettre en place et ne pourra aboutir qu’avec intérêt et investissement des instituteurs et professeurs.

Romane Ganneval


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Charles-de-Gaulle navigant en mer, emportant un escadron de chasseurs Rafale Marine et de Super Etendard ModernisĂŠs.

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France engage harles de Gaulle CODEX

© DR

En engageant le bâtiment amiral de sa flotte dans le conflit en Irak qui l’oppose au groupe terroriste Etat Islamique, l’armée française frappe fort. Si cela ne vient pas bouleverser le rapport de force dans ce conflit, la France franchit une nouvelle étape dans la lutte contre le terrorisme. Paris s’impose sur la scène géopolitique internationale, et conforte son autorité en question de coopération internationale auprès de Washington. Toutefois, aucune issue politique n’est pour l’instant avancée, ce qui risque de voir le conflit s’enliser sans réelle solution à long terme.

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Charles de Gaulle La France s’impose !

La France a engagé lundi 23 février son porte-avions amiral Charles-de-Gaulle face au groupe terroriste Etat Islamique en Irak. Un signal fort, dans un conflit qui ne trouve pour l’instant que peu de solutions.

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de la Défense. Toutefois, a-t-il ajouté, « la menace persiste et la raison de notre action demeure. L’engagement du Charles de Gaulle marque une nouvelle étape » dans les opérations anti-terroristes françaises. Le bâtiment amiral de la marine française entre pour la première fois en guerre depuis le conflit en Libye en 2011. Le groupe aéronaval envoyé dans le golfe persique est composé du porte-avions © DR

e porte-avions Charles de Gaulle entre en guerre. « L’intégration du Charles de Gaulle dans l’opération française Chammal en Irak débute ce matin » a annoncé lundi 23 février un membre de l’entourage de JeanYves Le Drian. « Six mois d’engagement nous ont permis d’endiguer la dynamique de conquête territoriale de Daech et de stabiliser les lignes de front », a déclaré le ministre

Rafale prêt à être catapulté du pont du Charles-de-Gaulle

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et de son escorte, comprenant une frégate de défense anti-aérienne, le Chevalier Paul, un pétrolier ravitailleur, La Meuse, une frégate britannique de lutte anti sous-marine, le HMS Kent, et un sous-marin nucléaire d’attaque. Le Charles de Gaulle emporte avec lui 12 chasseurs Rafale Marine et 9 Super Etendard Modernisés, qui lui offrent une très grande capacité de projection, ainsi qu’un avion de guet Hawkeye et quatre hélicoptères de secours Dauphin Pedro et d’attaque Puma. Il agira conjointement avec les forces américaines, autour du porte-avions USS Carl Vinson. « Le Groupe aéronaval que je commande participe à une opération qui est dirigée par les américains qui ont eux aussi engagé dans la zone un de leurs porte-avions, l’USS Carl Vinson » explique le contre-amiral Éric Chaperon, commandant de la flotte, dans une interview au Figaro. « Nous allons nous intégrer au dispositif américain tout en conservant la pleine souveraineté dans nos décisions et le choix de nos missions. » En engageant le Charles de Gaulle en Irak, la France franchit un nouveau palier dans la lutte contre le terrorisme, et se place au premier plan géopolitique. « Le groupe aéronaval constitue une capacité


Charles-de-Gaulle croisant au large de l’Arabie Saoudite, s’apprêtant à faire décoller deux avions de reconnaissance de type Hawkeye.

rare dans le monde et, indéniablement, une vitrine technologique autant qu’un outil de puissance » a souligné M. Le Drian. Après avoir assisté à des catapultages sur le porte-avions, le ministre devait ensuite rejoindre l’Inde pour y promouvoir le Rafale. Le bâtiment devrait rester huit semaines dans le Golfe, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, avant de mettre lui aussi le cap sur l’Inde, où se dérouleront des exercices conjoints avec la marine du sous-continent.

Besoins tactiques ou enjeux politiques ? Pourtant, l’envoi d’un porte-avions dans la zone était-il si nécessaire ? La France disposait jusqu’alors de deux bases aériennes dans la région ; l’une aux Emirats-Arabes-Unis, où se trouvent 9 Rafales, l’autre en Jordanie, qui abrite 6 Mirage 2000D, et qui se trouve à la même distance de la frontière irakienne que le groupe aéronaval. « Tactiquement, ça ne sert à rien ! » tranche Jean-Dominique Merchet, expert en géostratégie. « Que les avions français décollent du porteavions, comme ils le font depuis lundi, ou

qu’ils décollent des bases françaises aux Emirats-Arabes-Unis ou en Jordanie, comme c’est le cas depuis 5 mois, honnêtement ce n’est pas du tout un tournant militaire de cette opération. » Il faut savoir que le nombre de frappes aériennes françaises n’a pas augmenté depuis l’arrivée du Charles de Gaulle. Il a toutefois permis doubler le nombre de chasseurs français présents dans la zone. Comme l’explique Jean-Dominique Merchet, « il y a peu d’objectifs militaires à traiter. On n’est pas face à une armée mais bien face à une organisation terroriste, l’Etat Islamique, qui vit et agit au milieu des populations, qui a appris à se camoufler. » La principale difficulté est donc « d’identifier les objectifs à traiter. » Autre facteur à prendre en considération, la France n’est qu’une très petite partie du gros dispositif américain. « La contribution française est modeste au sein de cette coalition, c’est de l’ordre de 5% des cibles traitées. » Néanmoins, « la France est le pays européen le plus engagé dans cette opération. » Toutefois, le journaliste spécialisé dans les questions de Défense et de géopolitique Philippe Chapleau tempère : « Il y a un intérêt stratégique tout de même. Tactiquement, l’engagement de la marine permet à l’armée de l’air de lever

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le pied, de faire de la maintenance sur leurs avions... Mais c’est vrai que ce sont surtout les enjeux diplomatiques qui sont très forts. » La participation de plus en plus marquée de la France répond surtout, c’est vrai, à des enjeux politiques. « Depuis quelques années, la France veut jouer un rôle de plus en plus important sur le plan international, nous sommes quand même le seul pays avec les Etats-Unis à avoir engagé notre armée de l’air, notre armée de terre et notre marine, poursuit Philippe Chapleau. Depuis la guerre d’Irak en 2003, elle a participé à toutes les coalitions armées. » Malgré tout, « La France estime aujourd’hui qu’il y a une vraie menace en Irak et en Syrie », et prend la situation très au sérieux, avec notamment l’envoi de formateurs et de coordinateurs au sol pour appuyer les troupes Irakiennes.

Le dessous des cartes Quel intérêt la France trouve-t-elle à s’imposer ainsi sur la scène internationale ? C’est avant tout « un signal » politique très fort, comme l’affirmait JeanYves Le Drian. « La France veut montrer qu’elle est capable de déployer des moyens militaires importants. Elle veut également éviter

© DR

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que sur un seul théâtre » explique Philippe Chapleau. Au sol, les frappes aériennes de la coalition ont bien sûr eu un effet radical sur le conflit. « Les combattants de Daech ont eu le dessus sur le terrain mais ils sont en train de le perdre. La prise d’ascendant militaire est en train de changer de camp » affirme le cabinet du contre-amiral Philippe Hello, commandant de l’école navale. « L’engagement du Charles de Gaulle ne va pas changer la donne à lui tout seul. Mais sa réserve de puissance est importante dans ce conflit qui va durer. » Autre point essentiel : la France est la seule marine européenne, avec le Royaume-Uni, à posséder un porteavions. Paris s’affirme sur le plan géopolitique en mettant en avant le fleuron de sa marine, et s’impose comme partenaire privilégié des Etats-Unis, en réalisant là un véritable pied-de-nez au Royaume-Uni, partenaire historique des Américains. « La mobilisation du groupe aéronaval contre Daech conforte notre autorité de premier partenaire des Américains dans la coalition et souligne auprès des pays de la région notre appui face au terrorisme. » Dans le contexte international actuel, et après les attentats de Paris début janvier, il est probable que la France veuille montrer qu’elle reste présente et active contre l’Etat Islamique. Il s’agit de la 5ème puissance militaire au monde, et elle tient à le rappeler. Il faut également rappeler que notre pays « entretient une relation d’interdépendance avec les Etats-Unis, notamment en moyens logistiques et pour le ravitaillement, pour nos opérations dans le Sahel principalement, même si c’est moins marqué qu’il y a un ou deux ans. Notre action en Afrique n’est plus aussi intense », explique Philippe Chapleau. « Là où nous avons surtout besoin d’eux, c’est sur leur capacité ISR, c’est-à-dire l’Intelligence Surveillance and Reconnaissance, notamment au niveau du renseignement aéroporté. On peut donc estimer qu’on leur renvoie l’ascen-

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seur, quelque part. » Et l’enjeu de coopération internationale est très fort, comme le rappelle Jean-Dominique Merchet. « Les appareils américains, dont le pays emmène la coalition contre l’EI, pourront se poser et décoller sur le Charles de Gaulle. Une façon, aussi, de renforcer la coopération militaire entre les deux alliés. C’est important ! »

Aucune issue politique La coalition est déterminée à « libérer » l’Irak et la Syrie de l’emprise du groupe terroriste EI. Pourtant, lorsqu’on regarde en arrière, l’Histoire montre qu’une victoire militaire ne suffit pas, loin de là. « Si on avait abandonné le Mali, on savait très bien que les djihadistes seraient revenus en force au bout de quelques mois. » affirme Philippe Chapleau. Une opération de guerre s’ensuit toujours d’une longue période de maintien de la paix, pour assurer par exemple une transition au pouvoir ou permettre à des élections de se dérouler suivant des principes démocratiques. Seulement, en Irak, la guerre a déjà été menée. « On a déjà gagné la bataille de Falloujah, explique Jean-Dominique Merchet. Seulement, s’il n’y a aucune solution politique derrière, il n’y a aucune chance que la situation s’arrange. On n’a aujourd’hui aucune idée de la porte de sortie, il n’y a pas plus d’issue politique » que lors de la dernière guerre en Irak. « Nous risquons d’être condamnés à poursuivre nos efforts et à devoir déployer des forces pour maintenir un semblant de paix pendant plusieurs années si nous ne voulons pas que la situation se dégrade à nouveau… » En serions-nous seulement capable ? Il n’est pas nécessaire de rappeler que le monde subit une crise économique sans précédent et que la tendance des budgets alloués à la défense est plutôt à la baisse, mis à part aux Etats-Unis et en Chine. « Nous faisons également face à des réalités budgétaires, les Etats-Unis ne


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Cartographie représentant les pays participant à l’opération Chammal © Le Monde

sont pas épargnés non plus. Une opération extérieure, ça coûte très cher, et il y a tou-

jours des surcoûts. » Il est donc légitime de redouter ce qu’on pourrait appe-

ler un « coup d’épée dans l’eau ». Olivier Roy, politologue spécialisé dans le monde arabe, auteur de L’échec de l’islam politique, analyse : « Il n’y aura pas de paix au Moyen-Orient sans accord entre Saoudiens et Iraniens, aujourd’hui les deux grandes puissances de la région. Ce n’est pas aux Occidentaux de faire pour le Moyen-Orient un nouveau Dayton [les accords qui ont mis fin aux combats de l’ex-Yougoslavie, ndrl]. C’est aux acteurs locaux de jouer ! » Un autre acteur majeur, qu’on a tendance à oublier, se positionne progressivement face au conflit. « Les Chinois sont de plus en plus inquiets par rapport à la situation également, parce qu’ils connaissent chez eux des mouvements extrémistes identiques. » Voilà un élément qui, s’il venait à se concrétiser, bouleverserait complètement les rapports de force dans ce conflit. Jean-Dominique Merchet pose enfin cette question essentielle, qui est au cœur des enjeux actuels et, probablement, futurs. « Pourquoi l’Etat Islamique fait-il absolument tout pour nous attirer dans la guerre ? » D’après lui, « ils croient sincèrement qu’ils peuvent gagner. Ont-ils raison ? » Cela parait peu probable, mais ne présage rien de bon…

Nicolas Raulin 47


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L’observatoire transmédia de l’INA est un outil informatique qui permet l’acquisition de milliers de sources d’information. Pourquoi transmédia ? Parce qu’il est capable de synthétiser tous les supports médiatiques: des textes, des images, des vidéos et des sons. Une fois ces données récoltées, il peut alors les classifier en fonction de critères très précis et de les stocker. L’OTMedia scrute donc tout le paysage médiatique francophone et en extrait les informations essentielles : qui parle et pour qui ? Utilisé par les chercheurs en sciences humaines, cet outil permet de tracer les lignes pas toujours évidentes qui régissent le comportement des médias et de leurs acteurs. Investi pour un journalisme transparent, Codex a voulu en savoir plus.

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Observatoire transmédia

un financement en attente Cent chaînes de télévision, vingtstationsderadio,unmillier de flux RSS, des centaines de numérisations de titres de presse, dix mille (comptant) sites d’informations ; tous analysés puis stockés pour plus d’un million d’heures de documents audiovisuels par an et des pétaoctets (voire zetta et bientôt yotta) de données numériques, c’est le projet transmédia de l’INA qui cherche son financement depuis un an et demi.

toire Transmédia est un outil qui tente de « reconstituer le cheminement de l’information, de sa création à son relai » expliquait l’experte et coordinatrice du projet, lors de la présentation de l’OTMedia le 27 février 2014 au Divan du monde. Le plus intéressant : la multitude d’informations annexes que peut fournir l’outil. En effet, par l’analyse minutieuse et méthodique de critères très spécifiques, l’OTMedia est capable « d’inscrire les données du web dans le temps long de l’Histoire (…) et de permettre à l’usager de retrouver l’aiguille perdue dans la « meule du Web », vulgarisait-elle, alors.

« Plus de 8 millions de sources sont encore scannées et la base de données s’agrandit », explique Marie-Luce Viaud, analyste de l’Institut National de l’Audiovisuel. « Nous n’avons pas eu le courage de tout arrêter lorsque le financement de l’Agence Nationale pour la Recherche a pris fin », précise t-elle. Depuis maintenant un an et demi, la responsable du projet multiplie les demandes de financement pour l’Observatoire Transmédia qu’elle a mis sur pied. Financé durant 3 ans par l’ANR, le projet a été lancé en 2010 par le pôle expertise de l’INA (INA EXPERT) en partenariat avec Syllabs, l’AFP, le LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés), le CIM (Laboratoire « Communication, Informations et Médias » de l’Université Paris 3) et l’INRIA (Institut National de la Recherche en Informatique et Automatique). L’observa-

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Un outil presque performant L’OTMedia est loin d’être totalement optimisé et a encore besoin d’une bonne dose de codage pour prétendre à une utilisation simple et accessible. « Il est pour l’instant très compliqué de lancer de nouveaux projets en se basant sur l’observatoire. Même si nous continuons l’acquisition des données, la base a besoin d’une maintenance permanente pour ne pas devenir obsolète », explique Marie-Luce Viaud. En effet, certaines sources sont apparues alors que d’autres disparaissaient depuis que le financement de l’OTMedia par l’ANR a été coupé. Ce phénomène est notamment pro-


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blématique pour les fils twitter volatiles et les sites webs dont les URL peuvent changer ou simplement disparaitre. Marie-Luce Viaud rappelle donc « qu’il faut utiliser l’outil avec beaucoup de prudence pour ne pas lui faire dire ce qui est faux ou partiellement inexact : on parle de biais lors de l’acquisition ». La phase prospective, qui consiste en la visualisation et l’agencement des données, pose elle aussi quelques problèmes. Il est donc fortement conseillé de travailler en compagnie d’un technicien qui pourra vérifier les contenus et leurs interprétations. Pour l’experte, cette nécessité crée quelques malentendus : « On m’a souvent reprochée d’être trop proche des équipes de recherches qui s’intéressent à l’observatoire. Pourtant, je ne suis qu’une aide ou un garde-fou à ce que l’outil pourrait produire de biaisé. C’est un rôle indispensable puisque les équipes qui ont pu travailler ici n’avaient pas les compétences requises pour l’appréhension du fonctionnement de l’OTMedia ». Cet observatoire est donc un « vrai moteur de recherche qui se respecte » : il faut produire une association réfléchie de termes clés pour obtenir une recherche pertinente. Par exemple, en entrant le terme « climat », toutes les occurrences de ce mot sont recherchées sans hiérarchisation particulière autre que leur apparition dans le temps. La recherche de ce simple mot a fait apparaître plusieurs champs de réference : poli-

tiques où l’on parle de « climat anxiogène » pour un parti spécifique, ou industriel et social où il est question d’un « climat social problématique » lors de la fermeture d’une entreprise, par exemple. En entrant directement « changement climatique », les résultats s’affinent et la recherche devient pertinente.

de classement et à l’agencement des stockages dans la base et d’ingénieurs informaticiens qui assurent la maintenance de l’outil. Lors de la phase analytique, ce sont les « spécialistes des datas » qui sont sollicités : les professionnels de l’information et de la communication comme les directeurs des systèmes d’information des différentes rédactions et les chercheurs en sciences de la communication (dans sa définition stricte, la communication est l’étude des flux d’informations, ici informatiques). Ils tracent alors les lignes de ce que l’on pourrait appeler le « chemin » des flux et leurs destinations. Enfin, la phase prospective est réservée aux sociologues et autres chercheurs en sciences humaines qui, à partir des lignes tracées, en produisent des interprétations. Aujourd’hui, Marie-Luce Viaud est presque la seule à tenter d’entretenir cette chaîne. Elle invite régulièrement des analystes à la rejoindre pour travailler sans que ces partenariats soient réellement officiels. Pourtant, même lorsque les équipes étaient financées, l’entente de tous n’était pas évidente. « Faire marcher tout le monde ensemble était un vrai casse-tête, notamment lors de la phase prospective. Le partenariat avec l’université Paris III et le laboratoire du CIM n’a pas réellement abouti et les équipes de sociologues ont peu à peu délaissé l’outil. Nous nous sommes donc concentrés sur la facilitation de l’usage pour pouvoir le proposer librement en 2014 ». Initialement prévue pour le mois de septembre dernier, cette mise à disposition du public n’a jamais eu lieu.

Les observatoires existants, comme Trends de Google, appartiennent tous à de grands groupes industriels ou technologiques Un observatoire plus qu’intéressant « L’outil est très vaste et touche énormément de domaines de compétences », affirme son architecte. En effet, les différentes phases qui permettent son utilisation finale demandent l’intervention d’une douzaine de personnes. D’abord, la phase extractive fait appel aux compétences techniques informatiques d’architectes réseaux qui ont construit la base de données et en gèrent les flux, de statisticiens dédiés aux critères

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Un modèle économique en écriture Une raison à l’absence de financement de la part de l’INA pourrait être la difficulté à proposer un modèle économique viable pour cet observatoire. Rappelons que si ces formes existent, comme l’outil Trends de Google, elles n’appartiennent qu’à des grands groupes industriels ou technologiques. Or, Marie-Luce Viaud n’hésite pas à les critiquer : « Aujourd’hui, les médias ont un pouvoir énorme mais le monde se trouve dans une phase démocratique vacillante. La communi-


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cation joue un rôle prépondérant dans le maintien des gouvernements alors que l’information d’intérêt général est confrontée à des difficultés immenses. L’observatoire, tel qu’il est pensé et développé, répond à une volonté d’ouverture et de culture scientifique. Son accès doit donc être libre et le rester ». Depuis que l’ANR a mis un terme au financement, l’analyste de l’INA tente de produire un modèle économique viable. Son objectif : proposer l’OTMedia dans les bibliothèques, les universités et les écoles. « Le développement des partenariats avec les milieux éducatifs est très intéressant. Il permettrait de financer le projet sans en augmenter le prix à l’utilisation ». Elle réfléchit actuellement à un partenariat avec la Bibliothèque Nationale de France et le centre Georges-Pompidou. Autre intérêt : la revalorisation des archives de l’institut alors que ses financements s’amenuisent. Sur les ressources issues de l’ex-redevance télévisuelle (125 euros), l’INA n’en touche plus que 3,5 par foyer. Aussi, la monétisation de ses documents vidéos est en berne avec, pourtant, une audience de 31 millions de visiteurs uniques sur son site internet. L’institut veut donc miser sur ses outils numériques pour revaloriser ses ressources propres : ses archives, évaluées à 41 millions d’euros. C’est grâce à l’expertise, qu’il veut proposer à l’international, que l’INA compte redresser la barre. L’OTMedia, qui semble répondre à ces problématiques serait donc une bonne solution au problème. Pourtant, le

financement n’arrive pas. Directement responsable de ces questions, Richard Parisot, directeur des services d’informations pour l’institut, n’a pas répondu à nos demandes d’interviews.

Les ficelles de l’info L’équipe des chercheurs du pôle informatique de l’Université de Chicago a démontré que la durée de vie d’un lien sur le web ne dépassait que rarement les 56 heures. C’est dans ce contexte de volatilité et d’abondance de l’information que la mission de l’OTMedia prend son sens. En effet, si les médias et les supports se multiplient, les réseaux internes du cheminement d’un contenu sont techniquement très opaques. L’OTMedia et les chercheurs qui s’y rattachent tentent donc de tisser des liens en comparant les contenus entre eux. Chaque document est analysé puis décomposé dans sa forme la plus simple : une ligne de code. L’outil est capable de retracer le contexte et l’utilisation de chaque document et d’ainsi proposer un panorama temporel et « spatial » de la création d’information. Lors d’une présentation en 2014, l’équipe montrait comment l’affaire des abattoirs religieux clandestins avait été relayée. « Au début, seuls quelques blogs d’extrême droite avaient diffusé l’information. Vite reprise par les grands groupes d’opinion, l’affaire a pris de l’ampleur lors des interventions poli-

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tiques, commentées par tous les médias nationaux ». L’OTMedia est donc capable de comprendre et d’analyser l’itinéraire de l’information pour répondre aux questions : qui la crée ? Quel est son cheminement ? Comment se positionnent les médias traditionnels et les médias du net ?

Les équipes rédactionnelles doivent se réinventer Selon les propos de Christine Leteinturier, chercheuse à l’Université Paris II, lors des assises du journalisme en novembre 2013 « nous sommes, depuis 2008, dans la phase où les journalistes intègrent l’ensemble des innovations dans leur quotidien ». L’OTMedia va donc révolutionner le monde journalistique et éditorial en mettant à nu les vecteurs principaux de la médiatisation. Ainsi, les stratégies de diffusions seront plus transparentes et permettront à des petites rédactions de pouvoir se placer sur le marché, largement détenu par les groupes médias internationaux. On peut donc imaginer qu’avec l’apparition de cette analyse constante, les rédactions vont se responsabiliser visà-vis de leurs activités sur internet en privilégiant un contenu de qualité et en leur donnant une identité propre. Bien sûr, tout cela reste de la projection. Nicolas Hervé, collaborateur à l’INA, rappelle que « l’OTMedia sera avant tout un outil pour les chercheurs en sciences sociales, une source précieuse d’analyse


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en sciences sociales, une source précieuse d’analyse pour les disciplines qui ont trait aux médias et à l’information ». Le risque est donc de voir les médias se désintéresser totalement de l’outil, de crainte de voir leurs stratégies de diffusion mises à mal. Marie-Luce Viaud confirme amèrement ce risque : « Libération avait publié un article très intéressant sur l’observatoire en affirmant qu’il pourrait remettre à plat l’industrie médiatique. Lorsque le prototype avait atteint un stade presque présentable, je les ai recontactés. Leur réaction a été très différente : ils ont estimé que l’outil n’avait aucun intérêt pour les médias ».

Enjeux démocratiques et économiques La multiplication des supports ne signifie pas nécessairement une diversification de l’information. En effet, l’information et son accès sont détenus par un groupe très restreint de médias dont les moyens financiers leur permettent de pérenniser leur monopole. Les médias plus modestes sont donc contraints - s’ils tentent de rivaliser avec la grande distribution - de relayer l’information, souvent sans valeur

ajoutée, en un temps record. L’OTMedia représente alors un enjeu démocratique dans le sens où il permettra de mieux comprendre l’information et sa production en mettant en lumière les « clus-

à l’INA, permettrait donc d’effectuer ce tri sans se préoccuper des conflits d’intérêts qui pourraient émerger d’une sélection d’un groupe d’experts.

Les médias plus modestes sont aujourd’hui contraints de relayer l’information sans valeur ajoutée pour rivaliser avec la grande distribution ters » médiatiques : les constellations des grands groupes. Economiquement, un tel outil permettra aussi d’observer l’évolution de la globalisation des médias, dans un contexte de forte concurrence de ses différents acteurs. Comme le proposait Pierre Rimbert dans son « Projet pour une presse libre » (Monde diplomatique, décembre 2014) : la sauvegarde de la presse passera par la distinction entre les médias d’intérêt général et les médias réactionnaires. L’OTMedia, indépendant puisqu’apposé

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En crise depuis 2012, l’INA pourrait revaloriser ses archives et sa mission publique grâce à cet outil. Il s’inscrit dans une double préoccupation : celle du passage au numérique du centre d’archives qui accumule les retards, et celle de l’étude des médias, rendue très difficile pour l’institut avec l’apparition des réseaux. L’INA a donc toutes les cartes en mains pour proposer, demain, un outil pour les générations futures...

Nicolas Merli


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Comment fonctionne l’Observatoire Transmédia ?

Son fonctionnement est décomposé en trois phases. D’abord les données sont extraites des sources. Puis, elles sont classées et transcrites directement dans la base de données. Enfin, elles sont agencées et étudiées. Phase extractive : les sources les plus importantes sont sélectionnées puis ajoutées au répertoire. Chaque activité est ensuite enregistrée et classée une première fois selon des critères basiques : la date, l’origine, le type de média et le sujet. C’est la phase qui demande le plus de travail en amont : il faut sélectionner les titres les plus lus, les plus relayés et les plus pertinents du paysage médiatique. Par exemple, les blogs, qui peuvent représenter une source d’information importante, ont volontairement été exclus. On a estimé qu’ils n’étaient pas aussi fiables que l’information des médias nationaux et régionaux classiques, beaucoup plus lus et donc plus significatifs des usages.

exemple, « chaque image est scrutée par un algorithme qui en dégage des points d’intérêts. Grace à eux, on peut reconnaître des formes récurrentes », explique Alexis Joly, data-analyste qui a travaillé sur le projet. L’observatoire est capable de reconnaître le logo de l’ONU dans chaque image où il apparait. Phase prospective : c’est durant celle-ci que les données sont mises en relation avec les phénomènes observés par les chercheurs. Par exemple, en retraçant l’évolution des publications qui suivent une dépêche AFP, ils sont capables de comprendre quels médias les reprennent et quels autres s’en inspirent. Plus poussée, l’étude des corps de textes permet de montrer à quel degré ces dépêches sont reprises : directement copiées ou, au contraire, augmentées avec de nouveaux éléments. Ce travail est plutôt réalisé en aval, lorsque les théories développées par les chercheurs peuvent être vérifiées, ou non, par la réalité du « terrain »

Phase analytique : toutes les données récoltées sont analysées. Grâce à des algorithmes, l’OTMedia est capable de les classer selon des critères plus restreints : le nombre de lectures d’un article grâce aux méta-données de référencement, par exemple. Plus poussée, la transcription des textes, images et vidéos permet une première organisation automatisée des contenus. Par

Flux RSS : « Really Simple Syndication ». Ressource dont le contenu est produit automatiquement en fonction des mises à jour d’un site web. Octets : unité de mesure en informatique pour indiquer la capacité de mémorisation des mémoires informatiques. Les multiples d’un octet sont exprimés par des préfixes, ici classés par ordre croissant : Giga (Go), péta (Po), zetta (Zo), yotta (Yo). Data, méta-data, data-analyst : dans les technologies de l’information, une donnée est une description élémentaire d’une réalité (chose, transaction, évenement, etc…). Une métadonnée (du grec « meta », autoréférence) est une donnée à propos de données. Elle sert à définir ou à décrire une autre donnée. Un data-analyst est un professionnel des données. Il peut-être statisticien, informaticien. C’est un nouveau domaine de compétences apparu avec les réseaux et Internet. Visiteurs uniques : Internautes identifiés comme uniques visitant un site web. Ils sont identifiés par une adresse IP unique. « 100 000 visiteurs uniques » signifie 100 000 visiteurs (ou ordinateurs) différents.

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Exposition Universelle Voir le futur avec précision

Le pavillon chinois lors de l’exposition universelle de 2010 à Shanghai. © DR

Apparues pour la première fois en 1851, les expositions universelles faisaient office de véritables foires aux inventions. Depuis quelques décennies, ces dernières ont considérablement évolué et se dévouent principalement à la recherche de solutions pour le monde de demain.

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es expositions universelles ont vu le jour pour la première fois à Londres en 1851. À l’époque, ces dernières témoignaient des progrès effectués pour les nations lors de la Révolution Industrielle. Toutes les grandes inventions du monde entier se donnaient rendez-vous en un même lieu, de manière à créer une vitrine géante de l’innovation internationale. L’avenir s’imagine lors de ces expositions universelles.

Ces manifestations sont régies par les lois du Bureau international des expositions (BIE), crée en 1928. Ce dernier permet de bien distinguer les expositions universelles des expositions plus spécialisées (coloniales, nationales, etc.). Selon l’article 1.1 de la Convention de 1928 du BIE, l’objectif premier de ces grands événements est de diffuser dans « un but principal d’enseignement pour le public, faisant l’inventaire des moyens dont dispose l’homme

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pour satisfaire les besoins d’une civilisation et faisant ressortir dans une ou plusieurs branches de l’activité humaine les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir. » Les participants à ces expositions sont les États, les groupes de la société civile et les entreprises. Plus de vingt expositions universelles ont été organisées entre 1851 et 1935. La Seconde Guerre mondiale passant par là, elles furent arrêtées entre 1939 et 1957. Depuis 1995, ces grands ren-


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dez-vous se déroulent tous les cinq ans sur une durée maximale de six mois. A l’origine, les exposants étaient tous entreposés dans un seul et même immense pavillon central. Les pays participants aux expositions universelles disposent désormais de « pavillons nationaux » typiques, construits selon l’architecture tradition-

Au-delà de la démonstration des avancées industrielles et technologiques, les expositions universelles ont souvent été accompagnées de travaux d’urbanisme bénéfiques pour la ville hôte, comme la construction du métro de Paris en 1900, celui de Montréal en 1967 ou l’extension de celui de Lisbonne en 1998. Mieux encore,

Entre la photocopieuse et l’aspirateur se sont perdues des « innovations » plus ou moins loufoques et inutiles. nelle de chaque nation. La compétition est omniprésente et des concours permettent aux plus méritants d’obtenir des médailles, synonymes d’un certain prestige.

des réalisations architecturales construites à l’occasion de ces expositions sont désormais devenues le symbole des villes qui les ont accueillies. L’un des plus embléma-

La ville de Milan accueillera 147 pays pour l’exposition universelle de mai à octobre prochain. © DR

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tiques de Paris : la tour Eiffel. Egalement, on peut citer l’Atomium à Bruxelles, le Space Needle à Seattle ou la Biosphère à Montréal. Plus récemment, l’exposition universelle de Shanghai en 2010 a transformé un secteur industriel du centre-ville en un quartier commercial et culturel.

Un thème pour chaque exposition Chaque exposition universelle est orientée autour d’une thématique précise. « Les thèmes sont choisis en premier lieu par les candidats, indique Ivan Prostakov, membre du BIE. Nous décidons ensuite par un vote si celui-ci est valide ou pas. » Cette année, la ville de Milan accueille la manifestation autour de la thématique « Nourrir la Planète, Énergie pour la Vie ». Les exposants chercheront à apporter des réponses à la question : Comment assurer à toute l’humanité une alimentation suffisante, de qualité, saine et durable ? 147 pays y participeront dès le 1er mai prochain et ce jusqu’au 31 octobre. Plus de 20 millions de visiteurs sont attendus. Les Nations Unies, l’Union Européenne et le CERN feront également partie des exposants puisque cette problématique fait partie intégrante de leurs préoccupations. Pour 2020, l’exposition universelle, qui se déroulera pour la première fois au Moyen-Orient à Dubaï du 20 octobre au 10 avril, sera organisée sur le thème « Organiser les esprits, construire le futur. » A travers cette manifestation, les exposants de Dubaï devront réfléchir sur la connexion entre les esprits du monde entier à partir des sous-thèmes choisis : Mobilité, Durabilité et Opportunités. Dans dix ans, Paris sera peut être désigné pour devenir la vitrine industrielle et technologique de la planète. Le dépôt officiel de la candidature s’effectuera en 2016, et le verdict sera rendu en 2018 par le BIE. Pour le moment, seule la ville de Rotterdam a montré son intérêt pour accueillir l’exposition universelle de 2025 et faire concurrence à Paris. Aucun thème n’a pour l’instant été défini pour cette édition. Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine et président d’ExpoFrance2025, a pourtant déjà réfléchi au projet français. « L’idée pour 2025, c’est de retrouver l’esprit de la première exposition universelle organisée en France en 1867, expliquait-il dans sa présentation en avril dernier. Nous voudrions rebâtir ce même modèle au XIXe siècle. » A


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noter que la dernière exposition universelle installée sur le sol français remonte à 1937.

Une vision précise de l’avenir Beaucoup d’objets de notre quotidien sont issus des expositions universelles. La machine à laver, le linge et la tondeuse à gazon étaient déjà exposés lors de la première exposition de Paris en 1855. En 1900, les Français se sont émerveillés devant des innovations tels que les escalators, les moteurs diesel, les grandes roues et les films parlants. Les voitures électriques ont été dévoilées lors de celle de 1937. En 1964, lors de l’exposition universelle de New York, au pavillon de la société Bell, se trouvait le « visiophone », un concept que l’on utilise aujourd’hui fréquemment avec des applications comme Skype ou Facetime (chez Apple). Lors de cette même manifestation, ont été présentés les premiers ordinateurs à usage domestique. Les appareils photos, les ondes électriques et le guide Michelin ont également vu le jour sur les étals des expositions. L’alimentation a, elle aussi, toujours fait partie intégrante de ces grands rendez-vous. En 1876, le Ketchup Heinz apparaissait pour la première fois dans les rayons américains. Le cornet de glace est, quant à lui, apparut en 1904 à Saint-Louis. Avant son invention, les sorbets étaient servis dans des récipients en métal ou en papier.

Mais tout n’est pas bon à prendre. Entre l’inventeur de la photocopieuse et de l’aspirateur se sont perdues des « innovations » plus ou moins loufoques et inutiles. C’est le cas de la bicyclette à musique, présentée à Paris en 1900, qui fournit à son conducteur de douces mélodies lorsqu’il pédale ou encore du canapé-lit-baignoire conçu pour les villes où les logements devenaient de plus en plus petits.

Des expositions qui évoluent Depuis plusieurs décennies, les expositions universelles ont changé de visage. Avec les moyens de communication actuels, elles ne présentent plus, a proprement parlé, d’inventions mais plutôt de solutions au sens large du terme. « Il s’agit désormais d’un ensemble de technologies qui correspond au thème de l’exposition et plus particulièrement de solutions écologiques, économiques et sociales », prévient Ivan Prostakov. Désormais, les nouvelles inventions qui voient le jour sont d’abord dévoilées dans des salons spécialisés et laissent aux expositions universelles des projets plus ambitieux et multi-facettes. Le côté « foire aux inventions » a disparu. « Pour l’exposition de Milan en mai prochain, la France a prévu de travailler autour d’un sous-thème intitulé « Produire et nourrir autrement », précise Ivan Prostakov. Les Français proposeront donc des solutions concrètes pour améliorer la situation à l’échelle mondiale »

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Lors de ces manifestations, dans certains cas, il s’agit également de donner un autre visage à une innovation qui ne fait pas encore l’unanimité. « En 2005, lors de l’exposition à Aichi, Toyota a dévoilé des bus à hydrogène à partir de la thématique « Sagesse Nature » et a ainsi démontré que cette ressource pouvait être utile », explique le membre du BIE. Dix ans plus tard, la marque japonaise développe des voitures à hydrogène pour les particuliers Les expositions évoluent et les innovations exposées aussi, entrainant avec elles de nouvelles technologies. En 1967, lors de l’exposition de Montréal, la société Imax (abréviation de Image Maximum Corporation) crée un système permettant de diffuser un film sur un très large écran avec une très grande résolution. « Les Japonais, séduits par le projet ont invité les Canadiens à faire évoluer leur projet pour la prochaine exposition de 1970 à Osaka. Grâce à l’invention de leur voisin, les Américains ont pu construire pour la première fois une salle de cinéma capable d’intégrer la technologie Imax », raconte Ivan Prostakov. Il y a un siècle, les visiteurs des expositions universelles s’extasiaient devant les moteurs diesel, la voiture électrique et le ketchup Heinz. Désormais, leurs descendants innovent pour préserver la planète, améliorer le quotidien et construire le futur.

Candice Cheuret


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