SCOOP 2015

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MARS 2015 • N°16 Ne peut être vendu

SCOOP Le magazine des métiers du journalisme

Dossier

Les dérives de l'info en continu

Nouvelles Pratiques Médias et numérique Enquête Le financement public des médias Publication réalisée par les étudiants de l'ISCPA-Paris

Analyse La confiance des Français dans les médias


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Les médias face à l’immédiat

SCOOP Une publication réalisée par les étudiants de l'ISCPA-Paris

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Rencontres, débats, concerts, projections Plusieurs fois par semaine au plateau média

es attentats qui ont la sécurité de leurs équipes frappé la France début et de permettre aux forces janvier ont ouvert deux de l’ordre de remplir grands débats. Celui leur mission avec toute qui concerne la liberté l’efficacité requise ». Mais le d’expression, bien sûr, mais gendarme de l’audiovisuel aussi celui des dérives n’était pas le seul à émettre déontologiques constatées des critiques. Des dizaines lors de la couverture des d’internautes sur Twitter événements, notamment s’interrogeaient : Pourquoi de la part des chaînes montrer le dispositif de si d’information en continu. près ? Pourquoi avoir appelé De grosses bévues ont sur les lieux d’une prise pu choquer : d’otages ? N’estla révélation ce pas gêner les Un regard le premier forces de l’ordre ? critique sur jour du nom Et si les preneurs le traitement d’un suspect, d’otages ont innocenté accès eux aussi de l’actualité par la suite, par les chaînes aux médias ? la publication Dans ce d’information d’une photo à numéro, en continu la « une » d’un une dizaine hebdomadaire d’étudiants montrant l’assassinat à terre spécialisés en presse d’un policier dans la rue, écrite portent un regard les interviews de preneurs critique sur le traitement d’otages contactés par des de l’actualité par les reporters de BFM TV et RTL… chaînes d’information Que les prises d’otages en continu, prêtes à aient eu lieu sous les yeux sacrifier certaines valeurs du monde entier n’était pas essentielles du journalisme un fait nouveau. pour gagner en audience, Ce qui est plus rare, c’est mais aussi sur les que les médias étaient évolutions des pratiques parfois au cœur même des à travers l’utilisation des événements. Le 9 janvier, technologies de pointe le Conseil Supérieur de ou des serious games. l’Audiovisuel publiait un Le regard scrutateur communiqué pour appeler de neuf étudiants en les médias audiovisuels journalisme, futurs à « agir avec le plus grand « chiens de garde » discernement », dans de la démocratie. le double objectif d’assurer Michel Baldi

Journalistes Sélène Agapé Audrey Bouts Candice Cheuret Sophie Combot Romane Ganneval Nicolas Merli Nicolas Raulin Jade Toussay Olivier Vagneux

Direction Directeur de la Rédaction Éric Delon Directeur de la Publication Michel Baldi Rédacteur en chef Olivier Vagneux Secrétariat général de rédaction Sélène Agapé Responsable iconographie Jade Toussay Maquette Olivier Baraud Photo de couverture : © Kevin Frayer/ Getty Images

Retrouvez toutes les éditions de SCOOP sur notre site internet – http://www.iscpa-paris.com

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Directeur des études en journalisme ISCPA-Paris

N°14 013 • n d u e IER 2 FÉVR u t ê t r e v e Ne p

Michel Baldi

Institut des Médias 12, rue Alexandre Parodi 75010 Paris Tel: 01 80 97 65 80 Fax 01 80 97 67 31

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Évolution des pratiques : L'avènement du journalisme 3.0

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SOMMAIRE 6 30

SOMMAIRE

ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

Les dérives de l’information en continu 6 Éditions spéciales : quand les chaînes infos

emploient les grands moyens par Candice Cheuret

8 Médias à la dérive

par Jade Toussay

9 Le CSA juge le traitement médiatique

30 Stages : qu’est-ce qui change cette année ?

des attentats de janvier par Olivier Vagneux

par Nicolas Raulin

10 Malaise chez BFM TV par Romane Ganneval

32 Deux siècles d’aides à la presse

12 Et ailleurs dans le monde ? par Jade Toussay et Sophie Combot 14 ODI 2014 : le rapport sous haute tension

17 Origines et typologies de la critique médiatique

par Romane Ganneval

34 Le Fonds Google, sauveur de la presse ? par Sélène Agapé

par Sélène Agapé et Nicolas Merli par Nicolas Merli

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18 Henri Maler : « Proposer n’est pas suffisant, il faut mobiliser ! »

par Sélène Agapé

NOUVEAUX MÉDIAS NOUVELLES PRATIQUES

Le journalisme participatif investit la Toile 20 Twitter, raconte moi une histoire

par Romane Ganneval

22 Newsgames, c’est pour aujourd’hui… ?

par Nicolas Merli

24 Le numérique envahit la presse culturelle 26 Bloggueurs vs. journalistes 28

par Olivier Vagneux

33 Aides aux médias, vers une nouvelle distribution ?

par Audrey Bouts

16 Critique des médias : l’expression de l’opinion

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ÉCONOMIE DE LA PRESSE

par Nicolas Raulin

Par Jade Toussay

Journalisme 2.0 : initiatives de marge mais profusion d’idées par Nicolas Merli

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L’ŒIL DE LA RÉDACTION

36 Les Français se méfient (mais pas trop) des médias 38 Inside Scoop

par Candice Cheuret

par Sélène Agapé SCOOP 2015 l 5


ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

© Matt Biddulph

ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE la troisième chaîne nationale la plus regardée dans l’Hexagone derrière TF1 et France 2. Elle était même la première en milieu de l’après-midi. Il faut dire que les éditions spéciales sont très suivies dans le pays puisqu’elles touchent un grand nombre de personnes. « Pour les attentats du World Trade Center, les éditions régionales du journal de France 3 ont été dans l’obligation de traiter le sujet, explique Henri Helie. Dans les avions qui se sont crashés, il aurait pu y avoir des Français. » Lors de ces émissions, pas de pause pipi pour les téléspectateurs. Aucun spot publicitaire n’est diffusé. Ce choix coûteux pour les chaînes d’information en continu

mations sur le terrain. Les camions satellites sont tous de sortie. « Toutes les équipes d’une rédaction sont concernées. On rappelle tous les journalistes en vacances et on annule les RTT. Un attentat touche toutes les rubriques d’un journal, que ce soit politique, économie, social, etc. Même la rubrique sport donne un coup de main », explique Henri Hélie. Ainsi, les reportages sont déclinés sous tous les angles possibles. Le reste de l’actualité est condensée brièvement en cinq minutes. « Les éditions spéciales se montent vite, précise Henri Hélie. La mécanique est bien huilée, chacun sait ce qu’il doit faire et c’est dans l’urgence que les journalistes travaillent le mieux. »

« La mécanique est bien huilée, chacun sait ce qu’il doit faire et c’est dans l’urgence que les journalistes travaillent le mieux. »

Éditions spéciales :

Lorsque des informations deviennent capitales, les chaînes d’information en continu traitent les évènements grâce aux éditions spéciales. Cette méthode, de plus en plus fréquente, demeure coûteuse et s’utilise de manière parfois disproportionnée, mettant en péril la valeur du contenu. Candice Cheuret

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ne édition spéciale, également appelée flash info, est une interruption des programmes audiovisuels habituels pour diffuser une annonce importante. Le but étant d’offrir aux téléspectateurs et auditeurs, le plus d’images en direct possibles afin qu’ils puissent suivre le déroulé des événements instantanément. « Une édition spéciale se met en place en fonction de la valeur particulière

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d’une information ou si la nation est en péril. On l’utilise principalement pour les attentats et le décès de personnalités importantes », explique Henri Hélie, rédacteur en chef à France Télévisions. Sur les chaînes de télévision généralistes, ce genre de traitement est fréquemment inséré dans le journal télévisé de la mi-journée ou celui de la soirée. Le JT est alors simplement rallongé ou une émis-

« Une édition spéciale se met en place en fonction de la valeur particulière d’une information ou si la nation est en péril.»

sion exclusive de quelques heures est diffusée. Quant à celles qui passent de l’information en continu, comme BFM TV ou I-Télé, les éditions spéciales peuvent parfois durer plusieurs heures voire plusieurs jours. Grâce à cela, le vendredi 9 janvier, BFM TV a réalisé un record d’audience historique en réunissant 10,7 % du public, en moyenne, tout au long de la journée. La chaîne info était

© DR

Quand les chaînes info emploient les grands moyens

permet d’éviter le risque de passer à côté d’un élément crucial de l’affaire pendant la coupure. Elles préfèreront combler le manque d’informations plutôt que de diffuser un écran publicitaire. Des dizaines de journalistes sont mobilisées dans les rédactions pour faire vivre l’événement aux téléspectateurs comme s’ils y étaient. Ces envoyés spéciaux sont placés à des endroits stratégiques, décrivent la situation, interrogent les passants et meublent pendant de longues minutes, faute de nouvelles infor-

Un format qui coûte cher Invités sur le plateau, duplex, événement à suivre en direct, mobilisation des meilleurs présentateurs de la chaîne… Tout cela a un prix. D’autant que les éditions spéciales se privent de recettes publicitaires. Les chaînes d’information semblent donc passer à côté d’un sacré pactole. Il est cependant très difficile d’estimer la perte financière qui peut être engendrée chez ces dernières, puisque leurs audiences, qui augmentent considérablement lors de ces éditions spé-

Le plateau du Grand Journal de Canal+ lors de l’édition spéciale Festival de Cannes.

ciales, ne leur sont pas délivrées quotidiennement. Si le nombre de téléspectateurs augmente lors de ces programmes, les publicités seront alors vendues plus chères à l’avenir. Philippe Nouchi, directeur de VivaKi Advance, agence dédiée à l’accompagnement stratégique des annonceurs, a calculé le coût de l’édition spéciale de TF1 lors des attentats contre Charlie Hebdo, en comparaison aux chiffres du 11 janvier 2014 : « Ce jour là, entre 13h30 et 19h10, aucune publicité n’a été diffusée. Dix écrans publicitaires ont été supprimés. TF1 a dû perdre ainsi un million d euros net de recettes potentielles sur la journée », estime-t-il. À savoir que 30 secondes de publicité sur TF1 un dimanche après-midi sont habituellement facturées 20 000 euros. « Le coût financier est tellement énorme qu’on réduit considérablement le nombre de reportages les jours qui suivent, souligne Henri Hélie. Par exemple, pour les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, on atteint facilement le budget des Jeux Olympiques d’hiver pour couvrir l’événement. »

À consommer avec modération L’édition spéciale reste une forme très efficace dans le choix de traitement des actualités importantes. Attention toutefois à ne pas en abuser. De DSK à Mandela, en passant par la primaire socialiste, la tuerie de Boston, les manifestations pour et contre le mariage pour tous, la guerre au Mali ou le duel CopéFillon : les chaînes d’info ont tendance à multiplier de façon bien trop exponentielle ce type d’émission. « Quand l’info avance de manière puissante, on casse l’antenne, justifie Céline Pigalle, directrice de la rédaction d’I-Télé. Ainsi, si le feuilleton évolue, nous sommes présents. » Les chaînes d’info sont alors souvent accusées de surmédiatiser les événements mineurs et de produire de l’information spectacle. Leur manque de distance et leur obsession du direct leur sont souvent reprochés. À croire qu’il suffit d’un rien pour que la machine s’emballe. Henri Hélie prévient : « Avant d’être un passeur d’infos, le journaliste reste avant tout un créateur d’alertes. » n SCOOP 2015 l 7


ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

Médias à la dérive

Les médias ont-il correctement effectué la couverturedes attentats de janvier ? Le principe « d’information en continu » est-il viable ? À travers ces questions, c’est l’essence même du journalisme qui est peut-être remise en cause. Jade Toussay

© Audrey Bouts

informé. (…) Le besoin d‘être informé, en continu, surtout quand il se passe quelque chose, c’est quelque chose de sain. » Les chaînes d’information en continu semblent, selon lui, avoir répondu à ce besoin. Immédiatement dépêchés sur place, les journalistes se sont précipités pour récupérer des images, et ce, à n’importe quel prix. Pourtant, selon certaines sources, leur présence sur le terrain et les informations qu’ils semblaient détenir auraient pu mettre en péril le travail des forces de l’ordre sur place. Le CSA, saisi de l’affaire, a d’ailleurs récemment rendu son jugement. Mais alors, quelle est la limite ?

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e l’info, encore et toujours plus. À n’importe quel moment de la journée, le téléspectateur doit pouvoir être informé. Les chaînes d’information en continu ont encore joué un rôle crucial les 7, 8 et 9 janvier 2015, après l’attentat à la rédaction du journal Charlie Hebdo et la prise d’otage d’un supermarché casher Porte de Vincennes.

Ici, tout de suite, à l’instant T La relation qu’entretient la population avec les médias ressemble, à s’y méprendre, à celle d’un couple : on se déteste, on s’adore mais surtout, on a besoin l’un de l’autre. Cette dépendance surgit tout particulièrement à l’occasion d’ « évènements spéciaux ». Lors des attaques parisiennes et à Vincennes, la France entière s’est précipitée sur tous les moyens d’informations à sa disposition : radio, Internet et surtout, la télévision. Les audiences

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des chaînes d’information en continu pourraient avoir battu tous les records . Selon puremedias.com, BFMTV, l’une des chaînes d’information en continu les plus en vue, aurait enregistré une part d’audience de 13,3 % avec un pic à 3,9 millions de téléspectateurs à 17h38 le mercredi 7 janvier. Ces chiffres sont toutefois à prendre avec des pincettes. Mediametrie, l’organisme de référence dans l’établissement des parts d’audience des médias français n’a pas communiqué sur les chiffres de la chaîne. Il y a quelques dizaines d’années, le monopole de la réactivité était détenu par la radio. L’arrivée d’Internet, qui a révolutionné la notion d’instantanéité, a avivé le désir de sons, d’analyses mais surtout d’images, de la population. Pour Gilles Bastin, sociologue des médias, ce besoin d’informations exacerbé est justifié : « Dans une démocratie, le public cherche à être

En arrivera-ton un jour à ce stade ? La déontologie journalistique est et a toujours été relativement floue. Peut-être serait-il temps d’en redéfinir les règles...

De la question du rôle des médias La chaîne BFM TV aurait-elle outrepassé ses droits et mis des vies en danger ? La question, selon Gilles Bastin, ne se pose pas : « Les journalistes de ces chaines ont parfaitement géré la séquence. Le problème des chaines d’infos en continu survient lorsqu’il ne se passe rien. Le traitement des attentats par les médias a été de bonne qualité. La critique qui a été faite aux journalistes d’avoir gêné le travail de la police me semble absurde. Dans une démocratie, le rôle des journalistes est justement de gêner le travail des policiers et des politiques. » « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », disait Albert Londres. Entre faire du tort et dénoncer, la limite s’estompe. n

Le CSA juge le traitement médiatique des attentats de janvier

Du 7 au 9 janvier, les attentats de Charlie-Hebdo, la poursuite des terroristes et la prise d’otage de l’Hypercacher de Vincennes ont rythmé les journées des Français. Mais les nombreuses critiques quant à la couverture médiatique des événements ont conduit le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à s’interroger sur certains dysfonctionnements. Olivier Vagneux

J

’ai été plutôt chanceux qu’ils n’aient pas écouté les informations. » C’est en ces termes que Lilian Lepère, pris en otage le 9 janvier 2015 à l’imprimerie de Danmartin-en-Goele par les frères Kouachi, a livré son sentiment sur le traitement médiatique de son cas 4 jours plus tard au micro d’Europe 1. Avant lui, c’est la femme de l’une des personnes retenues au magasin Hypercacher de Vincennes qui avait affirmé, le vendredi de la prise d’otage, que la vie de son mari avait été mise en danger par BFM TV. La chaîne d’information en continu avait ainsi révélé que cinq adultes et un enfant se trouvaient dans une des chambres froides du magasin. Une information qu’ignorait manifestement le preneur d’otages, mais qu’il aurait pu apprendre. En effet, une télévision était allumée dans le magasin, branchée sur la chaîne ! Or, un bandeau contenant l’information critique circulait en boucle. Rapidement, le gouvernement français accusait les médias de « gêner » le travail des enquêteurs de la Police.

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Le CSA a adressé 15 mises en garde et 21 mises en demeure aux télévisions.

Un appel au discernement Sommé de réagir, le CSA a réuni le 14 janvier dernier les principaux responsables de radios et de télévisions françaises. A l’issue de cette réunion, l’organisme en charge de

garantir la liberté de communication audiovisuelle a adressé, mi février, 15 mises en garde et 21 mises en demeure aux télévisions. Des décisions jugées abusives par le Syndicat national des journalistes (SNJ) qui s’est pourvu d’un recours peu de temps après devant la juridiction compétente. Pour autant, d’autres questions n’ont pas été posées notamment quant à l’attitude de France 3 qui n’a nullement évoqué l’attentat de Charlie-Hebdo dans son édition de la mi-journée du 7 janvier. Un reproche auquel un cadre haut-placé de France-télévisions a répondu anonymement en affirmant que la direction du groupe avait souhaité faire de France 2 l’unique chaîne d’information du groupe sur cet événement ce jour-là. Une affirmation incomprise par les partisans du « droit à l’information ».

BFM TV au cœur des reproches Implicitement accusée, BFM TV s’est défendu en affirmant que les forces armées du RAID (Recherche assistance intervention dissuasion) lui avait permis de le faire, avec « l’assurance » qu’ils ne mettaient pas la vie des otages en danger. Par ailleurs, la chaîne s’était vue reprochée d’avoir diffusé des conversations avec les preneurs d’otages. Là encore, le directeur de la rédaction de BFM TV s’est défendu en affirmant n’avoir conservé que ce qui « relevait de l’information ». Interrogée sur ces mêmes faits, la Préfecture de police de Paris n’a pas souhaité s’exprimer. Pourtant, lors de sa conférence de presse du 11 janvier 2015, le procureur de Paris François Molins, avait critiqué la participation des médias dans le déroulement de la traque des suspects. n SCOOP 2015 l 9


ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

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Vivement critiquée par les médias, BFM TV est accusée d’avoir donné trop d’informations sur la traque des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly lors des attentats perpétrés en janvier dernier. Un journaliste de la chaîne a accepté de s’exprimer ; toutefois il souhaite conserver son anonymat. Propos recueillis par Romane Ganneval

Pensez-vous que c’était une erreur de la part de la chaîne de diffuser les enregistrements téléphoniques de Chérif Kouachi et d’Amedy Coulibaly  ? Si une autre chaîne avait eu en sa possession ce genre d’informations, elle les aurait diffusées. Il y a beaucoup d’hypocrisie autour de cette affaire. Il faut remettre ces enregistrements dans leur contexte. Le vendredi matin, nous avons appelé la zone industrielle de Dammartin-enGoële, et un journaliste est tombé par hasard sur Chérif Kouachi. Ce dernier lui a révélé qu’il avait été formé par la branche AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique) principalement active au

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Yémen. Cette information justifie sa diffusion. Idem pour l’appel d’Amedy Coulibaly qui a contacté directement la rédaction à 15h, en se revendiquant de l’Etat Islamique, ce qui a clarifié la situation quant à la coordination du groupe. Sur l’antenne de BFM TV, une femme présentée comme la compagne d’un otage de la chambre froide a reproché à la chaîne d’avoir mis en danger la vie de certaines personnes, qu’en dites-vous ? Hervé Béroud, le directeur de la rédaction de BFM TV s’est déjà exprimé sur le sujet. Le spécialiste des faits divers, Dominique Rizet, a évoqué à une seule reprise qu’une personne se trouvait dans

©wikipedia.com

la chambre froide. C’était une erreur effectivement. Pour sa défense, il était en contact avec la police et le Raid et un membre de cette unité spéciale lui aurait donné le feu vert pour révéler cette information. Si Amedy Coulibaly avait tenté de pénétrer dans la chambre froide, il aurait été visé par des snipers terminant par la même occasion, la prise d’otage.

« Dominique Rizet a évoqué à une seule reprise qu’une personne se trouvait dans la chambre froide. C’était une erreur effectivement. »

Qu’en est-il de l’otage de l’imprimerie ? France 2 a discuté avec la sœur de l’otage. J’étais sur le terrain donc je n’ai plus exactement toute l’histoire en tête. Je pense qu’il y a un quiproquo. Il y avait deux otages. Le premier, le patron de l’imprimerie a été très vite relâché. Je crois que les rédactions ne savaient pas qu’il avait été libéré. BFM TV n’a jamais mentionné le fait qu’un homme se trouvait caché sous un évier. Aujourd’hui, les sources policières regrettent que les identités des auteurs des attentats aient été révélées. Mercredi soir, je me trouvais au siège de Charlie Hebdo. Certains journalistes, que je ne citerai pas, ont publié sur les réseaux sociaux les fiches de recherche de la police avec l’identité des frères Kouachi ainsi que la plaque d’immatriculation de leur véhicule. C’est une

erreur capitale. Dominique Rizet qui s’y trouvait s’en est insurgé en direct, expliquant que ces journalistes étaient irresponsables et inconscients. La police judiciaire s’est vue dans l’obligation de publier un avis de recherche publique après la fuite, puis les médias ont relayé cette information. La chaîne a comptabilisé cinquante-deux heures de direct en trois jours. À votre avis étaient-elles toutes justifiées ? Tant que la traque était en cours, il était possible

« La chaîne, elle ne s’arrête pas. » d’assister à un dénouement à 3h du matin dans une forêt de l’Aisne. Si la chaîne avait mis en place la boucle de nuit, comme elle le fait habituellement, les reporters sur place n’auraient pas pu s’exprimer et réagir sur les avancées des opérations. Lorsqu’une actualité exceptionnelle survient, nous mettons en place des dispositifs appropriés. Comment pourrait-on améliorer la qualité du direct ? C’est très compliqué. Il est nécessaire de vérifier toutes les sources par des experts. C’est ce que nous faisons. Malheureusement les répétitions sont inévitables quand l’action n’évolue pas. Je ne vois guère comment l’on pourrait s’améliorer sur ce point. Lorsque le téléspectateur réalise qu’aucune nouvelle information lui parvient, c’est à lui d’éteindre son poste. La chaîne, elle ne s’arrête pas. Si quelqu’un allume sa télévision à 23h en sortant

« Il serait plus judicieux, parfois, de pratiquer la rétention d’information. »

du travail, il doit pouvoir prendre connaissance de toutes les informations le plus rapidement possible. Des images d’une grande violence ont été diffusées sur la chaîne… Nous avons volontairement « coupé » l’assassinat du policier devant les locaux de Charlie Hebdo. À titre personnel, je pense qu’il faut diffuser ces images. Il est cependant important de se poser ce genre de questions. Je me les pose quand je me rends sur des terrains dangereux. Faut-il montrer les cadavres, le sang ? Les médias anglo-saxons, eux, n’ont rien coupé. Les médias français s’inscrivent dans une démarche bien moins sensationnalistes que ceux d’outre-Manche. Le sensationnalisme, c’est justement l’une des choses qui vous est reprochée ? Lors des débuts de la chaîne, il y a dix ans c’était peutêtre le cas. Cela ne l’est plus aujourd’hui, ou alors de manière involontaire. Les événements des 7, 8 et 9 janvier demeurent exceptionnels. Rien de tel ne s’est passé à Paris depuis 60 ans. Il faut veiller à ne pas aggraver la situation, ni terroriser la population. Lorsque l’on est témoin d’une fusillade chez Charlie Hebdo, du meurtre d’un policier municipal le lendemain et d’une prise d’otage le jour suivant, nous sommes tous en alerte. Vous sentez-vous en concurrence avec la rapidité de diffusion de l’information sur les réseaux sociaux ? On se sert des réseaux sociaux et de Twitter essentiellement. Il est

©wikipedia.com

Malaise chez BFM TV

important de détecter les fausses informations ainsi que celles qui pourraient se révéler dangereuses. Je fais allusion à la publication de la fiche police judiciaire des frères Kouachi. Il serait plus judicieux, parfois, de pratiquer la rétention d’information. En tant que journaliste, nous devons nous référer à notre code de déontologie. Ce qui n’est pas le cas de l’ensemble des acteurs qui interviennent sur les réseaux sociaux. Les citoyens font de moins en moins confiance aux médias traditionnels et pensent trouver la vérité sur Twitter. J’ai été malheureusement victime d’un malentendu lors des obsèques du dessinateur Tignous au cimetière du Père Lachaise. J’étais chef de service sur ce dossier. J’ai lu sur Twitter, qu’une de nos équipes tentait de monter dans les étages pour filmer le cimetière alors que la famille avait souhaité que les journalistes restent en dehors de l’enceinte. J’ai alors appelé mon équipe. Ce n’était pas le cas. Cette « fausse » information a été retweetée 1600 fois. La personne qui avait publié l’information l’a démentie, mais c’était trop tard. Le mal était fait. n SCOOP 2015 l 11


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Et ailleurs dans le monde... La BBC ne se mouille pas

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La chaîne d’information en continu Fox News Channel est la plus regardée aux Etats-Unis. Elle est également connue pour sa proximité avec le Parti républicain. Régulièrement critiquée en France, la chaîne a notamment fait parler d’elle lors des attentats de Paris. Trois jours après l’attaque, l’ « expert » Nolan Petersen a évoqué l’existence de No-go zones, c’est-à-dire de « zones interdites » au sein de la capitale où les non-musulmans devraient éviter de se rendre. Ses propos ont déclenché de vives critiques, notamment au sein du Petit Journal de Yann Barthès qui n’a pas hésité à le tourner en dérision. Mais ce dérapage est loin d’être le premier, et permet de s’interroger sur la qualité des « experts » qui interviennent à l’écran, a fortiori lors d’ « évènements spéciaux ». Les Anglo-saxons, leaders dans le concept de l’information en continu, ont développé à l’extrême ce principe des « experts ». Mais qui sont-ils vraiment ? Dans l’affaire des NoGo zones, Nolan Petersen est présenté comme « journaliste spécialiste des zones de conflit ». En réalité, l’homme est un ancien vétéran de l’armée américaine. Quid de sa crédibilité ? Le problème semble s’être exporté en France. Les chaînes d’information en continu usent et abusent de ce procédé. Et si parfois leurs intervenants sont de qualité, les « experts en desk qui ne peuvent pas avoir tort » sont de plus en plus présents. Jade Toussay

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Fox News, l’analyse de l’Amérique conservatrice

La radio et télévision historique britannique BBC est présente dans le cœur des anglais allant même jusqu’à la nommer auntie, « tata » en français. Mais flagrante est sa « non-implication » quant au traitement des attentats perpétrés contre Charlie Hebdo. C’est le point de vue du responsable du service arabophone de la chaine, Tarik Kafala, qui explique que définir un terroriste comme étant un terroriste est politiquement incorrect. Quel définition peut t-on attribuer à ce mot de toute façon ? Même l’Organisme des Nations Unis tente depuis 10 ans de lui dégoter une définition. Du coup, les frères Kouachi ne « s’appellent pas », ou pas comme des t.e.r.r.o.r.i.s.t.e.s. Une demi-mesure dans le discours d’une grande partie des médias anglo-saxons qui n’ont pas hésité a flouter la dernière «une » du journal satirique. Résultat du déni : les frères Kouachi et Amedy Coulibaly sont présentés comme des « tireurs », des « assaillants ». Tarik Kafala a précisé qu’il ne souhaitait pas représenter les caricatures du prophète Mahomet. Souhaitant minimiser au mieux ce qui pourrait être ressenti comme une « insulte » envers les musulmans. Aussi, les risques sont trop importants pour les journalistes de la BBC qui se trouvent au Yémen, en Somalie ou en Libye. Sophie Combot

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I24, l’analyse israëlienne Al Jazeera, l’analyse du monde arabe Comment les attentats de Charlie Hebdo ont-ils été retransmis dans le monde arabo-musulman ? AlJazeera, la chaîne de télévision qatarie de langue arabe a débuté son émission du 11 janvier sur « le jour noir de la presse française ». Pourtant, le point central du sujet n’était pas là. L’angle du reportage était principalement tourné vers le contexte de l’affaire, et l’histoire du journal à polémique. Après avoir décrit l’hebdomadaire comme « un magazine satirique » et avoir insisté sur la tradition satirique en France, plusieurs intervenants se sont succédés à l’écran, parmi lesquels le rédacteur en chef du 89Up, Richard Seymour, et Alain Gresh, rédacteur au Monde Diplomatique. Mais qu’en est-il des caricatures du prophète ? Pour éviter toute ambiguité, le présentateur de la chaîne est revenu sur le choix de la rédaction de ne pas diffuser les représentations du Prophète « pas par peur de représailles mais parce que beaucoup de personnes, des musulmans mais aussi des personnes de religions différentes ont trouvé les cartoons profondément offensants. » Une ligne de conduite qui a été respectée à la perfection, puisque les caricatures ont été « floutées » même lorsqu’elles apparaissaient sur des images de foule. A noter également que des images non diffusées en France - comme le policier tué devant la rédaction Charlie Hebdo et transporté par les pompiers- ont par ailleurs été diffusées par la chaîne qatarie. Jade Toussay

En Israël, une loi punit « l’offense aux sensibilités religieuses ». Toute représentation du prophète version « humour Charlie » paraît dès lors difficilement envisageable. Si la chaîne ne floute pas les unes où apparaissent le prophète, elle évite de l’afficher trop souvent. I24, entreprise 100% privée, créée en 2013, a pour ambition de « montrer le vrai visage d’Israël au monde ». Comment la chaîne a t-elle abordé les attentats contre Charlie Hebdo ? La chaîne a une fâcheuse tendance à résumer les attentats à l’attaque contre l’hyper casher. Des propos engagés avec une rhétorique telle que l’on a l’impression que seule la communauté juive a été visée. S’il a été présenté aux premières heures comme « un massacre au sein d’un journal satirique », la communauté juive semble être rapidement devenue la « grande victime ». « Irresponsable » serait le gouvernement et les services de police français, l’attaque de Toulouse ayant été un premier avertissement que la France n’a pas su ou voulu écouter. Ce « 11 septembre à la française » ne serait pas une attaque à la liberté d’expression. Selon le journaliste politique de I24, les attentats représentent « un acte de guerre, un choc des civilisation ». La France adopterait le discours de la langue de bois. Sa culture libérale et populaire serait remplie de demie-vérité. En somme, la faute aux Français. Même si « l’Europe prend systématiquement la défense des Arabes » comme le souligne Ben Caspit, l’éditorialiste israélien, « Israël est votre foyer » a rappelé le premier ministre israëlien Benyamin Netanyahou. Sophie Combot

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ODI 2014 : un rapport sous haute tension

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l’instar de son édition de 2013, le rapport 2014 de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information (ODI) publié en octobre dernier a souligné les « manquements déontologiques » qui ont marqué l’actualité de l’an dernier. Ce rapport souligne, toutefois, un certain nombre de points sensibles comme « le durcissement des relations avec les médias, l’effacement des frontières entre vie privée et vie publique, le rôle croissant des réseaux sociaux ainsi que l’importance de la gestion des relations avec les sources », explique Patrick Eveno, président de l’ODI et l’un des principaux rédacteurs du rapport 2014. Comme chaque année, l’ODI ausculte les grands évènements de l’année écoulée sous l’angle de la déontologie et des pratiques journalistiques. Les spécificités de 2014 ? Le durcissement du débat public, le traitement des élections européennes, des conflits armés et de la vie privée des personnes pu-

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bliques. Cette année, les médias ont plus que jamais tiré parti des mésaventures conjugales ou judiciaires des hommes et femmes politiques français. Qui n’a pas entendu parler de la romance de François Hollande avec l’actrice Julie Gayet, sa balade en scooter et évidemment des répercussions sur son ménage avec, en point d’orgue, la publication du livre Merci pour ce moment par Valérie Trierweiler, son ex-compagne ? « Son livre n’est pas digne d’une journaliste politique qui exerçait ce métier depuis 20 ans. Ce livre est dépourvu d’analyses. Il n’y a rien à en tirer. Valérie Trierweiler se contente de livrer ses états d’âme sans le moindre recul », analyse Fabrice Pozzoli, journaliste, spécialiste de la déontologie journalistique. « En la matière, c’est au journal de choisir. Soit il décide d’en parler, soit il ne le fait pas. La nature humaine est ainsi faite, nous sommes curieux de savoir ce qui se passe chez nos voisins. »

L’objectif de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information est « d‘effectuer une veille en matière de déontologie journalistique, d’enquête et d’analyse sur la durée, en s’attachant à déceler les causes de dysfonctionnements et les bonnes pratiques de l’information.»

Traitement des guerres Mais le rapport de l’ODI ne se contente pas de mettre en évidence les déboires sentimentaux des personnalités politiques. Il se penche également sur des problèmes plus graves comme le traitement médiatique des guerres ainsi que le pouvoir et les limites des journalistes pendant les conflits. Exemple : les interventions militaires françaises au Mali et en Centrafrique avec la question récurrente : Est-il pertinent de montrer des images des morts ? Selon l’ODI, la quasi-impossibilité pour les journalistes de rejoindre les zones de combat sans être « dans les bagages » des militaires s’est traduite par un contrôle presque total des états-majors sur les images diffusées. Pour le public, c’est une guerre sans morts, alors que la France a perdu 9 soldats au Mali et ses adversaires entre 600 et 1 000. « Je trouve aberrant de couvrir une guerre sans montrer les victimes, dénonce Fabrice Pozzoli. C’est un non sens journalistique. Les couvertures médiatiques des conflits existent depuis le XIXe siècle. Tout le monde se souvient des images du Viêt Nam. Les images sont faites pour informer. La vérité doit être montrée. » Instance déontologique abandonnée ? Résignation ? Dans son compterendu de 2013, l’ODI appelait de ses vœux la création d’une instance de déontologie nationale, comme c’est le cas dans plusieurs pays. Début 2015, l’observatoire semble avoir

© Wikimedia Commons

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À l’occasion des Assises du journalisme qui se sont déroulées à Metz le 17 octobre 2014, l’Observatoire de la Déontologie de l’Information (ODI) a présenté son deuxième rapport. Outre une analyse de l’actualité destinée à déceler les dérives constatées dans la fabrication de l’information, ce rapport recense également les initiatives positives prises pour faire face à ces dysfonctionnements. Audrey Bouts

enterré l’idée : « C’est un constat : la France ne possède pas encore ce genre d’institution. Pour pouvoir espérer créer un conseil de presse, une relative entente entre les différentes parties prenantes est nécessaire. Ce qui n’est globalement pas le cas en France, où la culture du conflit est prédominante. Le but de l’ODI est de faire respecter la déontologie d’une autre manière », précise Patrick Eveno. De son côté Fabrice Pozzoli dénonce un manque de volonté de la part du ministère de la Culture : « Les patrons de presse, notamment en région, sont vent debout contre la création d’une telle instance car cette dernière, selon eux, porterait atteinte à la gestion de leur journal et à leur indépendance. Ils seraient par exemple obligés de mieux payer leurs correspondants. Le débat existe depuis 2009, mais je n’ai pas l’impression que le sujet passionne le ministère et mobilise beaucoup de journalistes. »

L’impact Charlie Hebdo Si l’ODI n’a pas encore eu le temps de se pencher activement sur le traitement de l’information autour de la question « Charlie Hebdo », Patrick Eveno y décèle malgré tout un cas d’école qu’il compte étudier

Journalistes télévisuels prêts à tout pour avoir des images.

cette année. À propos des tragiques évènements survenus en janvier, de nombreux observateurs ne manquent pas d’accuser les médias d’avoir entravé le travail de la police, notamment lors de l’attaque de l’« Hyper Cacher » à Vincennes. Pourtant, selon le président de l’association, l’information a été plutôt bien traitée. « Il existe indubitablement une pression de l’information en continu. C’est une réalité avec laquelle il faut vivre dorénavant. Bien entendu, l’urgence augmente les risques de dérapages. Mais dans ce cas précis, je ne trouve pas

« Il existe indubitablement une pression de l’information en continu. C’est une réalité avec laquelle il faut vivre dorénavant. » que l’information ait été aussi maltraitée que ce que l’on veut bien le dire. Au contraire, la société n’aurait pas supporté d’écran noir. Cela lui aurait été insupportable. Même si je reconnais que tout le système n’est pas encore au point. Outre les canaux traditionnels, le journaliste doit aujourd’hui travailler avec les réseaux sociaux ainsi qu’avec des interve-

nants qui n’intègrent pas la sphère journalistique. » L’avis de Patrick Eveno ne semble pas faire l’unanimité, puisque le vendredi 9 janvier, deux jours après les attentats de Charlie Hebdo, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) lançait un appel à la responsabilité des médias. « Les télévisions et les radios doivent agir avec le plus grand discernement, dans le double objectif d’assurer la sécurité de leurs équipes et de permettre aux forces de l’ordre de remplir leur mission avec l’efficacité requise .» Une opinion partagée par Fabrice Pozzoli : « J’ai entendu la police sur une antenne, demander au moins quatre fois aux journalistes de reculer. Preuve qu’elle était gênée par leur présence. J’ai également été très étonné de l’interview téléphonique d’Amedy Coulibaly. C’est une grande maladresse de la part des journalistes. La télévision a besoin d’images en permanence. Comme les chaînes ne possédaient pas celles qu’elles voulaient de l’imprimerie de Damartin, il leur fallait absolument obtenir celles de l’hypermarché « Hyper Cacher ». Les images sont leur vie, leur sang, leur raison d’être. » Des

mots qui résonnent presque comme une maxime universelle. n SCOOP 2015 l 15


ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

Critique des médias : l’expression de l’opinion

Récemment cristallisée par les attentats parisiens du 7 janvier, la critique médiatique est une composante essentielle du débat public. Entre théorie du complot et critiques sociales ou morales, ces formes d’expressions peuvent témoigner d’un intérêt croissant de l’opinion publique pour les médias et la production de l’information. Nicolas Merli

Noam Chomsky, figure de proue de la critique médiatique au XXIe siècle. Andrew Rusk via Flickr.

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aire émerger les informations et formuler des propositions de changement pour les médias d’aujourd’hui et de demain », tel était le leitmotiv

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de la 1e journée de critique des médias organisée par l’association Acrimed, le 31 janvier dernier. Prévu depuis décembre dernier, le rassemblement a été victime de son succès : au sous-sol de la Java, une salle de concert de l’est parisien, où se tenait le rendezvous, impossible d’entrer ou de s’asseoir dans la salle accueillant les conférenciers. « On pensait que la salle pouvait contenir jusqu’à 250 personnes. D’après les comptes (approximatifs, ndlr), nous

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serions 150 mais il n’y a plus aucune place », observe Vincent, bénévole

chargé de l’accueil pour la journée. Quelques semaines après les attentats de la porte de Vincennes et de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, cette journée se voulait « combative et inébranlable » selon l’expression des organisateurs. Pourtant, le spectre de ces évènements tragiques planait au-dessus de la foule. « Nous sommes ici pour témoigner de notre attachement à une presse libre, nuancée et pluraliste. L’attentat de Charlie Hebdo confirme ce besoin, bien qu’individuellement nous nous sentons terrassés », nuance Paul, militant, la crête bien dressée sur la tête.

Se détacher d’un processus de pensée unanimiste et d’apporter nuances et questionnements dans le propos.

Prises de positions Les attaques contre le journal satirique ont vu également un autre type de critique émerger : celui de la manigance et du complot. D’autres sceptiques se sont fait entendre, à l’image de Dieudonné M’bala M’bala qui n’a pas eu peur de déclarer « Je suis Charlie Coulibaly » (dérive du slogan « Je suis Charlie » et du patronyme de l’auteur de la prise d’otage de Vincennes : Amedy Coulibaly). Par ailleurs, dans certains milieux, des revendications « Je ne suis pas Charlie », détournement du multiacclamé « Je suis Charlie » ont vu le jour, illustrations de la volonté de se détacher d’un processus de pensée unanimiste et d’apporter nuances et questionnements dans le propos. L’ancien humoriste Dieudonné est comparu devant la justice, le 4 février dernier, pour « apologie du terrorisme » suite à s es propos unanimement condamnés. Pourtant, les prises de positions provocatrices ne sont pas inédites. Les théories colportées lors de l’attentat du 11 septembre 2001 en témoignent, notamment celles qui accusent l’Etat américain d’avoir prévu la destruction du World Trade Center, « preuves » à l’appui. Plus récemment, le traitement médiatique occidental de l’invasion russe dans le Donbass (Est de l’Ukraine) a ravivé l’idée du « non-dit » et de « l’exploitation de la violence ». n

Origines et typologies de la critique médiatique

Nicolas Merli

La libéralisation de la presse a fait écho aux transformations sociétales du XIXe siècle.

«Le monde est a nous. Rêve, révolte, esprits critiques.» Lyon, France

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’ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives constituent les exemples du processus de mutation industrielle qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs ». Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démocratie). La seconde moitié du XIX e siècle est marquée par l’industrialisation de la presse. Les médias sont alors ouverts à l’appareil libéral et s’organisent en groupes. Cette transformation donne naissance à deux types de critique : sociale, d’une part, et morale, de l’autre. La critique sociale est portée par les idées marxistes de domination des masses. En effet, le mouvement ouvrier accuse le journalisme de dépolitiser le débat public. Elle s’attaque directement à « la fabrication de fausses consciences individuelles et collectives, conformes aux intérêts des classes dominantes » . Elle est donc une critique typiquement anticapi-

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taliste, portée par les idéaux d’égalité et de lutte des classes : opprimées contre dominantes. La critique morale apparait au même moment que la critique sociale mais elle s’intéresse à la transformation du journalisme. Elle y affronte deux conceptions du métier : le « journalisme ancien », d’opinions et de débats d’idée, et le « nouveau journalisme », orienté vers la recherche de l’information sur le modèle de l’interview et du reportage. Elle relate d’une crise identitaire des « anciens » face aux « nouveaux » : les élites lettrés voient leur monopole s’estomper face à la professionnalisation du métier de journaliste (alors principalement occupé par les écrivains et les universitaires). En découle les critiques de la recherche du « sordide », de la « vulgarité » du traitement et du « défaut d’érudition » de ces nouveaux professionnels.

Critique médiatique et crise sociétale Cette critique s’intéresse plus aux mécanismes et aux processus de création de l’information qu’à son résultat. Cette libéralisation de

Ces prises de positions, aussi radicales soientelles, font miroir à une critique plus large : celle de la société postmoderne et de ses limites.

la presse fait écho aux transformations sociétales qui s’opèrent dès la moitié du XIXe siècle. Ces prises de positions, aussi radicales soientelles, font miroir à une critique plus large : celle de la société postmoderne et de ses limites. « Elle est adoptée par une fraction croissante de citoyens, désabusés, qui se tiennent volontairement à l’écart des enjeux d’un débat public perçu comme inutile »1. Soumise aux passions et aux scepticismes, la critique est un instrument imparfait qui relate souvent des inégalités d’accès et de compréhension à l’information. Pourtant, son développement souligne une évolution du débat public, qui s’immisce dans la machine qui le forge. La critique des médias a permis de déplacer le débat, de le recentrer entre citoyens et médias. L’Homme a besoin de cette réflexion critique pour poser les bonnes questions aux réponses toutes faites. n 1. Arpin Stéphane, La critique des médias à l’ère post-moderne, Le Débat 1/ 2006 (n° 138), p. 135-146.

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ÉTHIQUE / DÉONTOLOGIE

Henri Maler : « Proposer n’est pas suffisant, il faut mobiliser ! »

LA COULEUR C’ÉTAIT SYMPA... MAINTENANT PLACE À LA MOUSSE !

« Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi. Mais pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires » confie Henri Maler, fondateur de l’association Acrimed qui, depuis 20 ans, prend un malin plaisir à porter le fer dans la plaie. Propos recueillis par Sélène Agapé

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Comment est née l’association Acrimed ? A l’occasion du puissant mouvement de novembre et décembre 1995 contre les réformes de la Sécurité sociale et des retraites, portées par le gouvernement d’Alain Juppé, a été rédigée et diffusée une pétition de soutien aux grévistes. Au sein du collectif de pétitionnaires a surgi l’idée de constituer un observatoire des médias. À la fin de la mobilisation, j’ai rédigé avec Yvan Jossen, aujourd’hui décédé, un « Appel à un action démocratique sur le terrain des médias ». Et quelques semaines plus tard, en avril 1996, l’association Action Critique Médias – Acrimed – était fondée. Quel est votre mode de fonctionnement ? Notre association est dotée d’un conseil d’administration – un collectif d’animation – élu par l’Assemblée générale annuelle qui prend les grandes décisions. Ce collectif d’animation désigne un comité de pilotage de la rédaction auquel sont soumis les articles publiés sur notre site.

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En quoi votre association estelle spécifique ou originale dans le champ de la critique des médias ? D’abord, nous sommes une association militante qui ne se borne pas à observer et à analyser, mais qui mène une action démocratique et donc politique. Ensuite, notre critique s’efforce d’être explicative et de remonter des symptômes aux causes : économiques, mais aussi sociales. Si tout ne s’explique pas dans le monde médiatique par l’économie et le capitalisme médiatique, rien ne s’explique sans eux.

« Une action démocratique donc politique. »

Quels sont les objectifs de votre association ? D’abord, informer sur l’information : son contenu, ses dérives et les conditions de sa production. Deuxième objectif : contester. Nous contestons l’ordre médiatique existant : par exemple, les conditions de travail des journalistes qui ont des conséquences directes sur l’information, surtout quand ces journalistes sont précaires et/ou soumis à des hiérarchies incontrôlables. Notre troisième objectif est

de proposer : nous disposons d’une sorte de plate-forme de propositions de transformation des médias. Et enfin, dernier objectif, mobiliser : non pas seuls, mais en liaison avec le mouvement syndical – et particulièrement les syndicats de journalistes –, le mouvement associatif et les forces politiques qui partagent peu ou prou nos options. La première journée de la critique des médias que nous avons tenue, le samedi 31 janvier 2015, s’est efforcée d’être conforme à ces objectifs. Chaque trimestre, vous sortez votre revue Mediacritique(s). Quel est son objectif ? D’abord favoriser la lecture malaisée sur Internet, d’articles longs. Ensuite, réunir sous forme de dossiers des observations rassemblées au fil du temps sur notre site et des inédits. Le dernier numéro de Mediacritique(s) est centré sur les relations entre les médias et l’extrême-droite. Enfin, renforcer les liens avec nos adhérents et sympathisants. Malheureusement notre magazine n’est pas disponible en kiosque, ce mode de distribution est trop onéreux pour nos finances.

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k d’effervescence

www.thebubbleday.com


NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

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Twitter, raconte-moi une histoire

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’est une histoire très longue. Elle dure une seconde ». C’est avec ce tweet que le journaliste Nicolas Delesalle, grand reporter à Télérama, a commencé une tweet story pour raconter la guerre à Kobané en octobre dernier. Suivirent 152 tweets, plus d’une heure de récit divisé par paquets de 140 signes ; une lecture et un traitement inhabituel sur un tel sujet. L’exercice n’est pourtant pas nouveau sur les réseaux sociaux, mais il a tendance à se généraliser. Affaire Mérah, procès Breivik : les tweet stories se multiplient, narrant en direct ou en léger différé, toute forme d’histoires, au cœur de l’actualité ou dans sa lointaine périphérie. Personne ne l’avait prévu : Twitter, l’outil de l’info instantanée se révèle aussi un redoutable raconteur d’histoires ! Pourquoi ?

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D’abord parce que la forme originale du récit dictée par la contrainte des 140 signes et la scansion haletante (il faut attendre le prochain tweet pour connaître la suite !) crée un suspense digne d’une série sur HBO. « Les gens ne sont pas habitués à lire ce genre de récit collectivement, au même moment, en attendant le prochain tweet, ils se retrouvent bercés par la scansion très particulière de l’outil. Ça, c’est nouveau. Ce n’est pas tant l’écriture qui change avec Twitter, c’est la lecture. » Personne n’avait prévu cela, pas même par les concepteurs du réseau créé en 2006. Autre changement de taille : le lecteur-consommateur d’infos n’est plus isolé chez lui, devant son journal, son écran ou sa télé. Non, il est pour ainsi dire avec le journaliste, sur ses genoux, le récit s’écrit devant lui, en direct. Réciproquement, le journaliste

Le lecteurconsommateur d’infos n’est plus isolé chez lui, devant son journal, son écran ou sa télé.

n’est plus caché derrière sa signature : « Twitter brise la verticalité qui séparait autrefois le journaliste de ses lecteurs, il n’y a plus la barrière de la marque du journal, il y a juste un type en face de vous qui vous donne ses yeux, sa plume, sa sensibilité le temps d’une histoire qu’il vous raconte au bout du monde. Vous pouvez réagir, l’applaudir, l’engueuler », raconte Nicolas Delesalle. « Dans les journaux classiques, il y a une relation de supériorité (qu’elle soit voulue ou pas) des reporters, confirme le journaliste Kévin Estrade. La tweet story remet les choses en place et c’est tant mieux. » Mais attention, le lecteur est toujours aussi volage et retenir son attention dans le flux des tweets demande du doigté. Outre la contrainte liée à l’espace restreint pour chaque tweet, le journaliste doit encadrer son développement avec des personnages que son lecteur pourra identifier et utiliser le principe de suspense narratif des nouvelles ou des feuilletons, afin de le maintenir en haleine. Enfin, l’écriture n’est

© nbcnews.com

©wikipedia.com

Si Twitter est largement utilisé par les médias pour diffuser une information brève et continue, certains journalistes utilisent l’outil pour raconter des récits plus longs : les tweet stories. Romane Ganneval

plus conditionnée par la ligne éditoriale d’un journal, elle relève souvent de l’intime : « Je vouvoie mes articles publiés sur le papier, je tutoie ceux publiés sur Internet et je tape sur l’épaule et bois des bières avec mes tweet stories », résume Nicolas Delesalle. De l’autre côté de l’écran, le consommateur vorace d’informations retrouve une position de lecteur, mais pas la position classique du lecteur passif. Il peut intervenir en direct, confirmer, enrichir ou infirmer les informations du journaliste. Mieux, il peut lui même écrire des histoires. Premier témoin de ce qu’il se passe en bas de chez lui, il est parfois au cœur de l’histoire, quand il ne l’écrit pas lui-même. Et c’est ainsi que dans un Twitter souvent hystérique, émerge un temps long, plus proche de la littérature que du bruit de fond habituel.

Pourtant le réseau social a toujours ses détracteurs. En 2013,

« Il ne faut pas rester coincé dans des dogmes du XXe siècle comme le sont une grande partie des journalistes. »

Le public est constamment informé avant le flux Twitter. Il commente, le récit qui s’écrit devantlui en direct.

l’animateur des émissions littéraires Apostrophes et Bouillon de culture, Bernard Pivot, déclarait au site du journal La Croix : « Il ne faut pas accorder à Twitter plus d’importance qu’il n’en a. Ce n’est pas le lieu de l’expression de la philosophie contemporaine. Twitter n’est pas fait pour faire du fond. Pour ça, il y a les livres, les articles et les blogs. » En effet pour de nombreux

hommes de lettres, Twitter ne serait pas un lieu pour le récit. Pour Xavier Damman, créateur de l’application Storify (qui permet de créer une tweet-story) : « il y a beaucoup de bruits sur Twitter, 99% des informations présentes sur le réseau social n’est pas intéressante. J’ai créé cette application en 2010, pour faire un tri dans ce flux de données. Elle permet également aux journalistes qui le souhaitent de mettre en avant un véritable travail d’écriture. Si certains on encore une vision étriquée des usages potentiels de Twitter, cela n’enlève en rien la valeur narrative d’une tweet story. » Et Kevin Estrade de conclure : « On doit utiliser tous les outils en notre possession. Il ne faut pas rester coincé dans des dogmes du XXe siècle comme le sont une grande partie des journalistes. » n SCOOP 2015 l 21


NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

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Newsgames : pour aujourd’hui ou pour demain ?

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e jeu vidéo et le journalisme ne sont pas incompatibles car la transmission d’une information est essentielle à la conception d’un jeu, notamment au niveau des règles. Tomber dans un trou dans Mario Bros vous fait échouer : l’information est simpliste mais sa transmission est élaborée. J’essaie de faire des jeux qui utilisent ces notions de communication avec le joueur pour transmettre un élément plus complexe : le rôle d’un « spin doctor » (professionnel de la communication de crise, ndlr) dans « Jeux d’influences », par exemple », expliquait récemment Florent Maurin, journaliste et game-designer collaborateur sur la série Anarchy et auteur du blog ThePixelHunt, sur le podcast Ludologies1. Le journaliste/game

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designer, profession en plein essor, ne travaille pas directement au sein des rédactions. Il « n’est » que prestataire de service, ce qui prouve que l’univers de la presse ne s’est pas encore totalement investi dans ces nouvelles formes de récit, en raison, sans doute, d’un coût (conception, entretien,…) encore trop élevé pour un secteur en difficulté. Pourtant, le succès de ces newsgames n’est plus à prouver. On estime que le marché du logiciel de jeu vidéo passera de 53,2 milliards d’euros en 2012 à presque 79,3 milliards d’euros en 2016, notamment grâce au développement des offres ludiques sur mobile2. Seul problème et de taille : il n’existe pas de studio de développement dédié exclusivement aux serious games, ce qui renchérit de manière significative les coûts pour

On estime que le marché du logiciel de jeu vidéo passera de 53,2 milliards d’euros en 2012 à presque 79,3 milliards d’euros en 2016.

les particuliers, alors même qu’aucune aide de l’Etat n’est dédiée à ces nouvelles innovations. Pour Julian Alvarez, docteur en sciences de l’information et de la communication et chercheur rattaché au laboratoire Ludosciences, l’introduction du jeu dans l’information va de pair avec les approches transmédia, notamment dans le web-documentaire. « Il serait très compliqué d’intégrer, aujourd’hui, du serious game à une rédaction classique, en raison notamment d’une différence de temporalité entre la réalisation d’un jeu et celle d’un article de presse, aussi long soit-il. Le webdoc me semble parfaitement approprié pour ce genre d’approche. Incarner un personnage inscrit dans un contexte, exploré au préalable par le documentaire, s’avère bénéfique pour la compréhension et l’ouverture de la réflexion. Ces techniques existent d’ailleurs depuis longtemps dans les domaines du divertissement (les séries ou les films, ndlr) et de la publicité. »

Jeu vidéo, sérieux ?! Le succès du serious game n’empêche pas certains acteurs du secteur d’émettre des réserves.

« L’expression de jeux sérieux me dérange. A mon sens, elle justifie l’utilisation du jeu vidéo pour la formation en insistant sur le sérieux de ces outils, souligne Florent Maurin. C’est dire à demi-mot : vous jouez à un jeu, c’est vrai, mais attention celui-ci est sérieux, ce n’est pas un énième machin d’ado bouton-

40% des serious games sont développés par des grandes entreprises. neux. Je crois que c’est une stratégie marketing pour justifier les sommes astronomiques que les grandes entreprises déboursent dans le développement. A la notion de “serious game” je préfère le terme de “jeu du réel”, c’est-à-dire, un outil ludique explorant les possibilités qu’offrent les situations vécues et vivables par tous ». Selon le bloggueur, si le jeu vidéo doit impliquer une interaction entre le joueur et l’outil, le jeu du réel présente, quant à lui, la possibilité d’interagir avec

la réalité. Dans ce contexte, le newsgame tente d’apporter un regard analytique du monde (produit par le journaliste) confronté à l’expérience du joueur-lecteur. Si cette forme de diffusion de l’information est encore peu répandue, elle trouve toutefois un écho dans les nouvelles initiatives mises en place par les rédactions. Par exemple, l’intervention des lecteursacteurs dans le processus de production. Le succès des dernières productions vidéo ludiques comme Jeux d’influences (lauréat de la rédaction du Courrier International), dans le domaine du journalisme, ou Paper Please ! et This War of Mine, dans le domaine ludique, montrent que le jeu vidéo a un avenir brillant. Aujourd’hui, seuls les moyens techniques et financiers font défaut pour asseoir l’ouverture de ce genre au domaine journalistique et, par extension, au grand public. n [1] Soundcloud, Ludologies [2] Michaud Laurent, Le marché mondial des jeux vidéo : vers une nouvelle phase de croissance, Géoéconomie 4/2012 (n°63), p. 7-7.

Démocratisation « Aujourd’hui, seuls 40% des serious games sont développés par des grandes entreprises pour un budget supérieur à 50 000 euros », poursuit Julian Alvarez. Depuis cinq ans, leur nombre a littéralement explosé, notamment grâce aux nouvelles manières de les concevoir. « Le domaine des jeux sérieux s’est ouvert. Nous avons pu développer une offre générique qui

©wikipedia.com

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Former, entraîner, promouvoir ou encore enseigner : les jeux vidéos semblent abandonner progressivement leurs objectifs de divertissement et deviennent « sérieux ». Jusqu’alors réservés aux entreprises et aux grands groupes en raison de leur coût, les serious games se démocratisent progressivement et gagnent l’univers journalistique. Nicolas Merli

a drastiquement réduit les coûts. Aujourd’hui, les PME peuvent s’offrir un de ces outils pour moins de 100 000 euros. Aussi, nous développons une plateforme de crowdfunding (financement participatif, ndlr) où ces entreprises peuvent investir ensemble sur un projet de jeu commun », explique Damian Nolan, directeur du studio Daesign. Le « jeu sérieux » s’est donc démocratisé et de nouvelles formes sont apparues. Jusqu’alors destiné essentiellement à la formation continue en entreprise, le serious game a considérablement élargi son périmètre. « La particularité du serious game tient à deux paramètres. Il doit, tout d’abord, remplir un objectif utilitaire : délivrer un message, offrir une formation ou collecter des données. Ensuite, il s’inscrit dans un autre marché que celui du divertissement : la santé ou l’éducation, par exemple », analyse le chercheur.

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NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

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Le numérique envahit la presse culturelle

La révolution numérique a permis l’émergence de nouvelles pratiques journalistiques depuis le début des années 2000. À l’image de la presse culturelle qui risque bien de déserter le support papier. Nicolas Raulin

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a presse culturelle n’est pas épargnée par la crise. Elle s’y trouve même en première ligne : le magazine Sofa, abandonné par Franck Annese, fondateur de So Press, en 2006, VoxPop, arrêté par son fondateur Jean-Vic Chapus en 2012… Mais cela ne signifie pas que les titres encore en activité soient à l’abri. Bien au contraire, l’audience dégringole dans tout le secteur. « Les indicateurs d’audience sont négatifs depuis 2008 et les perspectives sont alarmantes », selon un avis du Sénat dans le cadre du projet de Loi de finances 2014. Le magazine Rolling Stone a vu son audience divisée par deux au cours de ces dix dernières années. Les raisons de cette bérézina ? « Le modèle éditorial de ces magazines repose sur la critique culturelle. Or aujourd’hui, la critique est accessible à tous sur Internet. Les internautes les plus pointus consultent des sites français ou étrangers. La consommation des produits culturels que cette presse défendait a changée » avertit Franck Annese sur Gonzaï, site web d’actualité musicale décalée. La solution pour s’en sortir ? « Trouver un autre modèle. Ce que des magazines comme VoxPop ou Tsugi ont essayé de faire. Inventer une nouvelle approche, élargir le champ de leurs investigations,

raconter la musique en story », poursuit Franck Annese. Une approche loin d’être aisée, alors que les entreprises délaissent également le secteur. « Les annonceurs investissent de moins en moins dans le print. Ils privilégient de plus en plus le Web ou le brand content – c’est-à-dire du contenu de marque, ou d’événementiel », explique Alexis Bernier, directeur de la publication de Tsugi. Pour certains, la solution se nomme « diversification ». « La stratégie de Tsugi, c’est d’être présent sur tous ces secteurs d’activité. Si les ressources publicitaires dégringolent dans le papier, nous multiplions les partenariats avec les marques. »

chef de GIG Magazine. Mais un nouveau phénomène fait son apparition en 2012 en France : le magazine numérique, avec l’arrivée de titres comme W-Fenec, Rockin’ Dreams Magazine, Playsound, GIG Magazine, Plug The Amplifier… « Je préfère avoir quelque chose de palpable entre les mains, mais le numérique est une avancée technologique remarquable pour la presse, car le magazine est disponible 24h/24, 7j/7, sur tous les supports numériques existants et où que l’on se trouve à travers le monde », explique Nicolas Sarrade, rédacteur en chef de Plug The Amplifier. Le plan économique est également un point déterminant dans la compréhension de ce nouveau modèle. « Nous imprimons depuis janvier des exemplaires papiers promotionnels », ajoute Romain Harel, rédacteur en chef adjoint de Rockin’ Dreams Magazine (auquel

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Vers un nouveau modèle numérique ? Pour d’autres, l’avenir rime avec Web. Depuis le début des années 2000, la tendance est aux blogs et aux webzines, ces sites web d’actualité spécialisés, qui sont nés de la révolution numérique et ont provoqué la chute des ventes de la presse papier. « C’est formidable de voir cette profusion de blogs et de sites parlant de musique. Il n’y a jamais eu autant de chroniqueurs et d’avis sur la musique. Tout le monde peut donner son avis », affirme Damien Boyer, rédacteur en

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« Les indicateurs d’audience sont négatifs depuis 2008 et les perspectives sont alarmantes »

Magazines numériques Playsound, W-Fenec et GIG Magazine.

Capture d’écran du magazine numérique W-Fenec sur la plateforme de diffusion en ligne Issuu.com

participe l’auteur de ces lignes). « Ça coûte très cher, et si on n’avait pas l’appui de la version numérique derrière, on ne pourrait pas se le permettre. Sans même parler de la distribution, des envois postaux… »

La génération du « tout-numérique » La généralisation d’Internet et du haut débit permet de lancer facilement son propre média en ligne, et ce avec un investissement faible. Une démarche quasi-impossible pour un magazine distribué en kiosques. Cette autonomie a notamment pour vertu d’assurer une indépendance éditoriale totale aux rédactions. « Si on dit qu’on trouve un album exceptionnel, c’est parce qu’on le trouve vraiment exceptionnel et pas parce que la page de pub d’à côté nous permet de survivre ! », affirme Olivier Bally, rédacteur en chef de W-Fenec. La question qui se pose

« Le réflexe numérique, c’est la génération suivante qui le possède. Dans 20 ans, les kiosques seront numériques. » Olivier Bally, rédacteur en chef du magazine numérique W-Fenec.

aujourd’hui est très simple, ce qu’elle soulève l’est beaucoup moins. La presse numérique va-telle remplacer la presse papier ? « C’est ma génération qui a “découvert” le Web, on n’a pas encore 40 ans », analyse Olivier Bally. « Le réflexe numérique, c’est la génération suivante qui le possède. C’est avec elle que le numérique rendra obsolète le papier glacé. Dans 20 ans, les kiosques seront numériques. Ce format n’en est encore qu’à ses débuts, les liseuses et autres outils numériques ne sont pas encore si répandus, le réflexe de lire gratuitement sur ces outils ne s’est pas encore généralisé… » Le putsch de la presse numérique n’est donc pas encore pour demain. D’autant que la plupart des acteurs de la presse semblent encore attachés au papier. Mais c’est indéniable, le virage est abordé. « On ne lit plus un magazine papier de la première à la

dernière ligne comme je l’ai longtemps fait avec Magic (ndlr : revue pop moderne apparue en 1 9 9 5 ) e t l e s p re m i e r s Inrockuptibles », déplore Damien Boyer. « On consomme l’information comme on consommait la musique il y a quelques temps, avant le retour du vinyle. Maintenant, il n’y a plus qu’à espérer que la presse papier connaisse le même sort que le vinyle. » Et comme l’expose simplement Olivier Bally, « L’avantage c’est de lire ce qu’on veut, où l’on veut, quand on veut, sans avoir à payer quoi que ce soit… L’inconvénient, c’est qu’il faut être équipé, et supporter de ne pas avoir à tourner et ne pas pouvoir corner les pages ! » Pourtant, la situation est très simple. Si l’on veut que la presse papier survive, il faut l’acheter. Sinon, pourquoi se plaindre de quelque chose qui de toute façon ne nous concernait pas ? n SCOOP 2015 l 25


NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

Les bloggueurs seraient-ils les nouveaux journalistes ? Souvent présentés comme des ennemis, ils ne sont pourtant pas sans rapport. Aujourd’hui, les journaux français ont décidé de passer le cap et proposent des blogs, sous le drapeau de leur rédaction. Journalistes et bloggueurs ne font donc plus qu’un, peut-être pour leur plus grand plaisir. Jade Toussay

© Télérama

Les journalistes, au sein des rédactions ne peuvent pas en dire autant. Alors pour lutter, mais aussi pour rester à la page et ne pas avoir l’air de seniors face aux jeunes maîtres d’Internet, les rédactions ont riposté, et ouvert elles aussi leurs propres blogs. La question est de savoir ce que ces blogs rattachés à la rédaction apportent de plus…

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ue89, Sérierama, « Je ne sais rien mais je dirai tout »… Quels sont ces nouveaux espaces qui ont fait leur apparition sur la Toile ? Répertoriés sous le nom de « blogs », ils n’ont pourtant pas grand-chose en commun avec ces espaces fourretout, où chacun exprime librement ses pensées. Ici, finies les mises en pages aléatoires au goût douteux, les ponctuations défaillantes et les grammaires approximatives. Car ces blogs ont une réputation à tenir : celle de leur rédaction. L’Obs, Télérama, Les Inrocks, tous ces grands magazines français ont sacrifié à une pratique qui devient peu à peu incontournable. L’arrivée d’Internet a modifié la notion « d’espace

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public » en l’élargissant à l’infini. Les rôles, s’ils ne sont pas inversés, se frôlent et les limites s’estompent. Le journaliste producteur d’information se retrouve face à un lecteur qui consomme toujours, certes, mais est désormais libre de produire à son tour. Que faire face à ce pseudo-journaliste ? Lui n’est bridé par aucune règle, aucune ligne éditoriale, aucune contrainte de mise en page.

« On m’a toujours poussé à y avoir un ton libre, personnel, pour marquer un contraste avec les papiers publiés dans les posts en ligne »

Crédibilité et renom C’est sans doute l’aspect le plus évident, et le plus important. Contrairement aux blogs « de monsieur et madame tout le monde », où il est possible de trouver le pire comme le meilleur, les blogs rattachés à une rédaction bénéficient d’une certaine respectabilité. Le nom du journal, associé à des plumes parfois célèbres, suffisent à garantir aux yeux des lecteurs une fiabilité qui fait défaut à la plupart des sites internet. Ainsi, voir le logo des Inrocks sur la page « Je ne sais rien mais je dirai tout » de Serge Kaganski met immédiatement la puce à l’oreille, de même que « Sérierama » sonne Télérama pour les « sériephiles ». L’intérêt pour le lecteur est donc évident. Mais quel est-il pour le journaliste ? Pierre Langlais est responsable de Sérierama, blog qui comme son nom l’indique, regroupe tout ce qui a trait à l’univers de la série, chez

Télérama. Pour autant, il ne s’agit pas de le ranger dans la catégorie des bloggueurs « Je ne suis pas que bloggueur, je suis avant tout journaliste. Mon blog a toujours été rattaché à une rédaction. J’ai débuté en 2009 chez Slate, où on m’a proposé de réaliser un blog en soutien de mes longs papiers. Auparavant, j’avais déjà écrit pour le Web en cinéma pendant mes études, mais jamais de façon totalement amateur ». Un cas de figure fréquent, dans le domaine. Les blogs rattachés à des rédactions sont le plus souvent confiés à des journalistes, qui d’ailleurs écrivent en parallèle pour le journal luimême. À ce moment, en quoi alors distingue-t-on le blog du journal et vice-versa ? La réponse tient en un mot : liberté.

Libre et politiquement correct « Pour moi, ça ne change pas grand chose d’être relié à une rédaction. Mon blog reste “indépendant”, dans un cadre, mais propre à ma personne et à mes envies. C’est mon blog, je choisis mes sujets, mes angles, mon ton. On m’a toujours poussé à y avoir un ton libre, personnel, pour marquer un contraste avec les papiers publiés dans les magazines et posts en ligne », explique Pierre Langlais. Toutefois, cette liberté peut éventuellement varier selon le sujet du blog. Si le monde des séries n’est pas soumis à des règles rigides, on peut penser qu’il n’en va pas de même avec les blogs politiques par exemple. Ainsi, lors des campagnes électorales, voit-on fleurir des dizaines de sites dits blogs, qui cette fois s’apparentent plus à de la communication qu’à du journalisme. Certes, les blogs comme Sérierama sont donc soumis à la ligne éditoriale de leur support. Pourtant, par essence, ils font surgir dans l’imaginaire collectif une certaine notion de liberté, de fantaisie, de « hors-système », même si ce n’est pas toujours le cas. Dès lors, le blog prend une dimension

« PRix euRoPÉeN du blog ÉTudiANT » : uNe iNiTiATive RÉVÉLATRICE L’initiative n’a malheureusement pas perduré. Serait-elle révélatrice du manque de cohésion et de coordination entre les bloggeurs et les rédactions ? Toujours est-il que dès 2007, l’importance des plateformes multimédia pour les journalistes s’était déjà faite ressentir. Pour répondre à ces nouvelles attentes, le Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris avait à l’époque créé, en partenariat avec la chaîne américaine CNN, un « Prix Européen du meilleur blog étudiant ». Un concours ouvert à tous les apprentis journalistes des pays membres du Conseil de l’Europe (1). L’objectif ? « Mettre en valeur de nouveaux talents journalistiques et encourager les étudiants européens en journalisme à pratiquer leur futur métier sur Internet ». Pour participer, les étudiants devaient avoir créé un blog d’informations en anglais ou en français, généraliste ou spécialisé, répondant à une périodicité régulière. À la clé, deux prix qui, à défaut d’être prestigieux, étaient néanmoins intéressants pour tout étudiant en journalisme. Le lauréat du « Grand Prix »

© Chris Green

Bloggueurs vs. journalistes : la guerre n’est pas déclarée

bénéficiait d’un stage de 6 semaines au sein de la rédaction de CNN-International à Londres et de 2 500 euros; le lauréat du « Prix Spécial du Jury » obtenait quant à lui un stage de formation d’un mois organisé par le CFPJ-International. Malgré sa fin prématurée, le prix CFJ/CNN est néanmoins révélateur de l’émergence d’un nouveau type de média. Dès son arrivée, Internet a bouleversé le monde journalistique de l’époque. Peu prévoyantes et trop tournées vers le passé, les rédactions n’ont à l’époque pas su tirer leur épingle du jeu : au lieu de profiter d’Internet, elles ont dû, par la force des choses, composer avec. Les blogs sont une mini-révolution dans ce grand bouleversement. Et il est encore temps d’en faire des alliés.

© Mediapart

Par le biais des blogs, les lecteurs peuvent désormais s’exprimer sur des sites reconnus, en abordant les sujets de leur choix.

plus intime, qui souvent séduit son lecteur. Avec l’essor du multimédia, ces nouvelles plateformes sont devenues partie prenante du monde de l’information. Les journalistes, pour ne pas être remplacés par les nouveaux consomm’acteurs de l’information, c’est-à-dire un lectorat qui possède des velléités de journalisme, ont du prendre le train en marche. Désormais, les blogs offrent non seulement un nouveau souffle au journalisme, mais ils ont aussi accentué le lien avec les lecteurs. Adieu, « Courrier des lecteurs », place aux commentaires où lecteur et journaliste peuvent se répondre, s’interroger et se critiquer en temps réel ! n SCOOP 2015 l 27


NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

NOUVEAUX MÉDIAS / NOUVELLES PRATIQUES

©Symo0 via flickr

Internet et la multiplication des sources d’information ont contribué à la remise en cause de la fonction du journaliste. Les frontières entre le producteur, le diffuseur et le consommateur sont de plus en plus floues. Productions transmédias ou webdocumentaires, le journalisme d’aujourd’hui est résolument « 2.0 ». Nicolas Merli

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a presse fait face à une crise structurelle : la remise en cause de ses modèles économiques et éditoriaux apportés par le passage au numérique. Economiquement, la gratuité d’accès aux plateformes web remet en cause le modèle publicitaire du papier1. Les revenus s’effondrent alors que les annonceurs doivent trouver de nouveaux moyens de mesurer l’impact de leurs publicités et que les responsables commerciaux des médias ne possèdent pas encore les clés nécessaires à la compréhension du média internet. D’autre part, le lancement des « pure players » – natifs du Web – bouscule le modèle éditorial. Ceux-ci intègrent les « commentaires » à leurs articles, véritable intronisation du lecteur dans le processus de réflexion et de production de l’information. Ces deux remises en cause ont transformé la presse et les journalistes2.

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Nouveaux acteurs de l’information : de la place ! L’apparition de nouvelles offres participatives comme Rue89, AgoraVox ou Médiapart mettent le « collaborateur » à contribution. Ces utilisateurs sont triés sur le volet et forment une nouvelle entité d’acteurs aussi légitime que les journalistes. Ils sont en quelque sorte considérés comme les « pigistes du Web », avec tous les inconvénients que ce statut implique. Mal payés (voire pas du tout), raillés par la profession et boudés par les rédactions traditionnelles, leur légitimité en tant qu’experts se renforce et met à mal celle des journalistes. Pourtant, une entente semble possible. Il suffirait d’étudier un statut spécifique pour ces nouveaux producteurs d’info, calqué sur celui des correspondants de presse. Pourtant, ces

En 2013, L’ODI préconisait la création d’un organe de régulation de la déontolgie. Le rapport 2014 ne revient pas sur ce point.

modifications supposent un questionnement quant à la place du professionnel : doit-il se placer en garde-fou de ces nouvelles productions, en veillant à leur sérieux et leur exactitude, ou en interlocuteur recueillant les idées et les approfondissant ? La réponse semble étroitement liée à l’essence même de la profession : sa dimension éthique et déontologique. Le regard du journaliste ne doit plus être inquisiteur et froid mais ouvert et chaleureux, poussant le lecteur à s’exprimer coûte que coûte. Reste à convaincre les professionnels. Une avancée s’esquissait en 2013 lorsque l’ODI (Observatoire de la déontologie de l’information) préconisait la création d’un organe régulateur de la déontologie journalistique. Pourtant, le rapport de l’an dernier ne revient pas sur ce point. Réinventer le métier À l’heure de la multiplication des contenus et de la convergence audiovisuelle, une pléthore de nouveaux usages a fait son apparition. Notamment le « transmédia »3, théorisé par Henry Jenkins, alors directeur du Comparative Media Studies Program du MIT, dans « transmedia storytelling » en 2003. Selon lui, une histoire transmédia « se développe sur plusieurs supports médias, chaque scénario apportant une contribution distincte et précieuse à l’en-

© EpSos .de via flickr

Journalisme 2.0 : initiatives de marge mais profusion d’idées

semble du récit ». Cette nouvelle

forme de narration permet de passer d’une consommation individuelle et passive à un divertissement collectif et actif. Cette approche ne présuppose pas l’utilisation de tous ces supports mais chacun offre un contenu spécifique adapté à son ergonomie et son usage. Un projet transmédia est conçu de manière à ce que les contenus soient interactifs dès le départ. J.J Abrams avait compris ce principe dès 2004 et proposait du contenu additionnel pour sa série Lost , « The Lost Experiment », qui déployait à la télévision et sur internet des Informations complémentaire au récit. Cette théorie a largement contribué à l’avènement du « fan service », l’interaction avec l’utilisateur – le fan en l’occurrence – étant au cœur de la stratégie transmedia. Arte, chaîne de télévision franco-allemande, propose actuellement une série qui reprend ce principe : About Kate. Le scénario de cette série est « commandé » par ses spectateurs. Ce sont eux qui donnent la direction du scénario en se plaçant comme thérapeutes de la jeune femme (ndlr : l’histoire se déroule en hôpital psychiatrique, où Kate est confrontée chaque semaine à son médecin). Par l’étude de son comportement hors écran, grâce à la création d’un réseau social spécifique à la série et accessible

Designé en 1956, le disque dur (Hard Drive Disk) est la pierre angulaire d’un système informatique.

sur le site d’Arte, les utilisateurs/ spectateurs sont amenés à réfléchir ensemble sur le cas de la jeune femme. En octobre 2014, la série Anarchy de France 4 a reproduit l’expérience, sans grand succès. Ces éléments ressemblent à s’y méprendre aux nouvelles pratiques des médias d’information : le spectateur devient le lecteur et la série se transforme en documentaire. Webdoc : renouveler le regard Dès 2005, avec La Cité des mortes, puis Voyage au bout du charbon, les auteurs de documentaire traditionnels ont voulu « renouveler le regard » et placer l’internaute-spectateur au centre de la production. Encore marginales à l’époque, ces initiatives ont instauré les codes de ce qu’est aujourd’hui le web-documentaire.

Ces évolutions nécessitent un contexte favorable Le genre, qui apparaissait alors comme le nouveau champ d’expression des jeunes documentaristes a pris de multiples formes, et autant d’étiquettes, du « cross » au « trans » média. Depuis 2011, ce nouveau format s’est démocratisé. L’Ina (Institut national de l’audiovisuel) propose d’ailleurs une quinzaine de formations professionnelles autour des métiers

émergents du webdoc, comme celui de chef de projet ou d’architecte narratif. Pourtant, le défi de l’immersion du spectateur, de sa plus grande participation au processus de création et de sa mobilisation n’a pas été complètement rempli. Le web-documentaire reste encore confidentiel dans son exposition et ses audiences. Il est surtout devenu un mot valise derrière lequel se range tout et son contraire, des œuvres multimédias les plus exigeantes jusqu’au diaporama sonore d’entreprises détaillant leurs activités. Les initiatives pour une évolution du journalisme restent donc sporadiques. La presse française est en pleine mutation et ces évolutions iront de pair avec un contexte économique favorable. Pourtant, les difficultés de définition de ces nouvelles pratiques s’estompent : le webdoc s’est fait une place, notamment grâce à Arte qui y consacre un site complet, le newsgame émerge et les pure players parviennent, petit à petit à trouver un équilibre économique. L’idée d’un futur journalisme semble donc en marche. Sa concrétisation, elle, devra attendre. n 1. Le Floch Patrick et Sonnac Nathalie, Économie de la presse à l’ère numérique. 2. Charon Jean-Marie, De la presse imprimée à la presse numérique. 3. Henry Jenkins, Transmedia Storytelling.

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ÉCONOMIE DE LA PRESSE

ÉCONOMIE DE LA PRESSE

Stages :

Qu’est-ce qui change cette année ?

S

oyez stages ! La nouvelle loi relative à l’encadrement des stages vous y encourage. Promesse de campagne de François Hollande, elle a été adoptée au Parlement le 26 juin dernier, et promulguée par décret le 27 novembre 2014. Si du côté de la Gauche, malgré quelques réserves du Front de Gauche, tout le monde est pour, à Droite, les mesures sont jugées « dangereuses » par l’UDI et l’UMP.

taire au CIO Sorbonne (Centre d’Information et d’Orientation). Toutefois, elle en relativise l’impact : « Les entreprises risquent de privilégier les stages de courte durée désormais, afin d’éviter la gratification obligatoire ». Thomas Ducrès, directeur de la rédaction de Gonzaï (site web d’actualités musicales), ne se sent guère concerné par cette réforme : « cette loi ne change rien aux contraintes déjà en vigueur pour de pet i t e s s t r u c t u re s telles que la nôtre. R é m u n é re r 4 3 6 euros par mois un stagiaire était déjà impossible… Hormis ce point, tous les autres me semblent aller dans le bon sens afin de protéger les droits du stagiaire et encadrer les devoirs de l’employeur. » Avec plus d’1,6 million d’étudiants stagiaires, employés chaque année, le gouvernement mène ici une réforme très attendue sur un sujet particulièrement sensible. Mais concrètement, qu’est-ce qui change ?

« Les entreprises risquent de privilégier les stages de courte durée désormais, afin d’éviter la gratification obligatoire » La loi sur les stages sera appliquée en trois phases. Le premier volet, entré en vigueur le 1er décembre 2014, porte la « gratification mensuelle » à 479,66 euros. Mais les vrais changements ne sont apparus qu’au 1er janvier 2015. Le dernier volet de la loi ne prendra effet qu’à la rentrée de septembre 2015. « Cette loi représente la réponse à une longue attente concernant les droits des stagiaires. J’espère qu’elle mettra fin aux abus et à l’exploitation des étudiants », explique Danielle Laura, secré-

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1) Fin des stages de plus de 6 mois Jusqu’à présent, certaines exceptions permettaient de cumuler plus de six mois de stage dans

© DR

La gratification mensuelle, obligatoire pour les stages de plus de deux mois depuis 2011, est augmentée. Elle passe à : • 479,66 € au 1er décembre 2014 • 508,20 € au 1er janvier 2015 • 554,40 € au 1er septembre 2015

la même entreprise. Avec la nouvelle loi, cela ne sera plus possible. « Si le stage est un volet de la formation, alors rien ne justifie qu’il dure plus de six mois car, au-delà de cette durée, sa pertinence pédagogique n’est pas démontrée. », a déclaré Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, lors de la présentation de la loi aux parlementaires.

2) Hausse de la gratification La gratification des stagiaires avait été rendue obligatoire pour les stages supérieurs à deux mois et un jour dès 2011, à hauteur de 436,05 euros par mois. Les parlementaires ont décidé de l’augmenter. Au 1er décembre 2014, la gratification pour 35 heures hebdomadaires est passée à 479,66 euros. Elle atteint 508,20 euros depuis le 1er janvier 2015, et sera rehaussée en septembre à 554,40 euros, soit 15 % du plafond horaire de la Sécurité sociale. On parle ici de gratification et non de rémunération, car l’employeur ne paye pas de charges patronales supplémentaires tant qu’il ne dépasse pas le montant légal. 3) Tickets-restaurants et frais de transport Ce qui était déjà d’usage, sans être toutefois encadré par la loi, est aujourd’hui obligatoire.

© DR - Autoentrepreneurinfo.com

Le stage fait partie intégrante d’une bonne formation en journalisme. Augmentation de la gratification, contrôle des dérives, meilleures conditions d’encadrement… Depuis le 1er janvier 2015, le deuxième volet sur la nouvelle loi sur les stages est entré en vigueur. Décryptage. Nicolas Raulin

Caricature représentant le statut de stagiaire, qui doit réaliser de nombreuses tâches dans l’entreprise.

L’entreprise est tenue d’assurer l’accès à son restaurant (si elle en possède un) au stagiaire, ou de lui fournir des tickets restaurant si elle y a recours pour ses employés. La même logique prévaut pour la prise en charge des frais de transport. L’employeur se doit désormais de prendre en charge une part du transport pour les déplacements du stagiaire entre sa résidence habituelle et l’organisme d’accueil. Les conditions doivent encore être fixées par décret.

4) Limiter le recours aux stagiaires Pour lutter contre le recours abusif aux stagiaires dans une entreprise, la loi prévoit d’en limiter le nombre en fonction de ses effectifs, à environ 10% du personnel. Un nombre fixe de stagiaires devrait être établi pour les petites structures, en tenant compte de leurs spécificités.

Malgré cette nouvelle loi, il reste encore quelques interrogations. La question des années de césure, les conditions exactes de la prise en charge des frais de transport et de restauration, et la limitation du nombre de stagiaires pour les petites structures, doivent encore êtres fixées par décret.

5) Conditions de travail Le stagiaire bénéficie dorénavant des mêmes conditions de travail que tout salarié de l’entreprise. Cette disposition vaut aussi bien pour le travail de nuit que pour le repos quotidien, hebdomadaire et les jours fériés. Dans une logique similaire, son temps de présence dans l’entreprise ne peut excéder celui des employés. La loi mentionne clairement l’interdiction pour lui d’effectuer des « tâches dangereuses » dans le cadre de son stage. Pour les stages d’une durée supérieure à deux mois, la convention de stage de l’étudiant devra prévoir la possibilité de congés et d’autorisations d’absence au bénéfice du stagiaire. 6) Davantage de contrôles de l’inspection du travail La loi renforce les prérogatives des inspecteurs du travail pour le cas des stagiaires. Ainsi, l’auto-

rité administrative pourra prononcer une amende de 2 000 euros par stagiaire concerné en cas de non-respect des nouvelles dispositions de la loi et de 4 000 euros maximum en cas de réitération dans un délai d’un an.

7) Responsabilité accrue en cas d’accident du travail L’Assemblée a également adopté un amendement du député Denys Robiliard (PS) afin de responsabiliser davantage l’organisme d’accueil en cas d’accident du travail et de faute inexcusable de la part de l’entreprise. Jusqu’à présent, l’organisme de formation devait supporter la réparation du préjudice subi par le stagiaire. L’article 7 de la loi introduit la possibilité d’une action récursoire en faveur de l’établissement d’enseignement. Il pourra maintenant se retourner contre l’entreprise en cas de faute inexcusable de sa part. n SCOOP 2015 l 31


ÉCONOMIE DE LA PRESSE

ÉCONOMIE DE LA PRESSE

© wikipedia.com

Elles sont plus généreuses pour les médias à caractère d’information politique et générale et ceux disposant de faibles ressources publicitaires comme La Croix ou l’Humanité, qui bénéficient de leurs propres fonds d’aide.

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En 1935, la loi Brachard améliore le statut du journaliste professionnel et lui accorde davantage de droits pour protéger la liberté d’expression.

De l’aide au support à l’aide aux journalistes A partir des années 1930, le législateur prend des nouvelles mesures pour aider les journalistes. En 1934, il vote une allocation pour les frais d’emploi des journalistes, leur permettant de déduire 30 % de leurs revenus bruts. Une disposition qui sera

© wikipedia.com

a Révolution française a permis l’émergence de plusieurs centaines de titres de presse, très souvent des journaux locaux qui n’ont pas atteint une forte distribution. Assez rapidement, à l’inspiration du modèle britannique, la France a mis en place des tarifs postaux privilégiés au nom de la libre diffusion et de la défense du pluralisme de la presse. Mais avec l’Empire (18041815), la liberté de la presse se restreint et seuls une dizaine de médias, favorables au régime, sont encore soutenus officiellement. Aujourd’hui, ces aides postales dépendent du poids des publications, de leur urgence et du travail de préparation des expéditions.

En 1936, le Front populaire, soucieux de favoriser le renouvellement et la diversité de la presse, va participer à la création d’organismes paritaires en charge de réglementer ces soutiens. A l’image du Comité des papiers de presse qui aura pour mission de gérer les tarifs du papier, une matière première que le Gouvernement de Vichy rationnera en fonction des médias. Au cours des années 1950, ’Etat créé un fonds d’aide à la distribution et à la promotion de la presse française à l’étranger. Dans les années 1990, les éditeurs obtiennent de nouvelles subventions notamment des avances remboursables de leurs frais. A partir de 2004, le Gouvernement met en place des fonds d’aide au développement du numérique.

supprimée en l’état en 1996 mais réapparaîtra en 1998. Les journalistes pourront alors déduire 7650 € de leur déclaration de revenus imposables. En 1935, la loi Brachard améliore le statut du journaliste professionnel et lui accorde davantage de droits pour protéger la liberté d’expression et l’indépendance notamment financière, de la profession. Cette même loi institue la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, ainsi qu’une aide au bénéfice des détenteurs dudit document qui représente 1 % des aides totales aux médias. En 1987, les agences de presse et les colporteurs (vendeurs de presse) obtiennent des baisses de cotisations sociales. Dans le même temps, les journalistes obtiennent une prime à l’emploi qui permet l’accès à de nombreuses prestations sociales n

Face à la crise qui touche la presse française, Fleur Pellerin, ministre de la Culture, souhaite réformer le système des aides de l’État aux médias. Une nouvelle donne dont pourrait bénéficier des périodiques boudés par ces « généreuses » dotations. Romane Ganneval

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ommée à la tête du ministère de la Culture et de la Communication en août dernier, Fleur Pellerin a dénoncé le 14 janvier sur l’antenne de Télématin (France 2), l’absence du Monde Diplomatique, le mensuel de la gauche critique, dans le classement des 200 titres de presse les plus aidés par l’État. La ministre a également annoncé vouloir modifier une loi « qui n’a pas de sens, et ce, au nom du soutien public au pluralisme de la presse ». « Je regrette que la plus grande partie des aides soient réservées aux quotidiens », a-t-elle ajouté. Si la France s’est ruée en masse pour acheter « le numéro des survivants », l’édition « posthume » de Charlie Hebdo à 7 – historiques – millions d’exemplaires, une semaine après la tuerie, il n’a pas échappé aux observateurs que ce formidable succès éditorial contrastait singulièrement avec les grandes difficultés financières qui touchaient le journal satirique de-

puis de nombreuses années. Outre la faiblesse récurrente de ses ressources publicitaires, le titre Charlie Hebdo à l’instar de nombreux périodiques, ne bénéficie pas des généreuses aides accordées par l’État depuis 1796.

Garantir la liberté de la presse Dans une volonté de transparence, l’État a rendu public en avril 2013, et ce pour la deuxième année consécutive, la liste de la distribution des aides directes allouées à la presse. Cette enveloppe de 433 millions d’euros, répartis en « aides directes », « aide postale » et « aides aux autres tiers », dont bénéficient 200 publications, suscite de nombreuses interrogations. Si Le Figaro (1er) et Le Monde e (2 ) culminent en haut du classement des bénéficiaires avec plus de 16 millions d’aides reçues pour chacun des titres, ce sont L’Humanité et L’Obs qui arrivent en tête de « l’aide à l’exemplaire »,

©wikipedia.com

Depuis 1796, les médias français peuvent recevoir des financements publics. Soit sous la forme d’aides directes pour soutenir la diffusion, la modernisation et le pluralisme de la presse, soit par des aides indirectes (fiscales et sociales) à destination des journalistes. La multiplication de ces « soutiens » est de plus en plus critiquée, certains n’hésitant pas à évoquer un système de perfusion, voire d’assistanat. Olivier Vagneux

Aides aux médias : vers une nouvelle distribution ?

RÉDIT PHOTO

Deux siècles d’aides à la presse

Cette enveloppe de 433 millions d’euros est répartie en « aides directes », « aide postale » et « aides aux autres tiers ».

– mettant en lien les volumes d’aides en euros avec le nombre de tirages – avec respectivement 0,53 euros et 0,34 euros de subventions par numéro. Étonnamment, on retrouve à la 9e place de ce classement l’hebdomadaire « grand public » Télé 7 jours. Plus inattendu encore, le magazine people Closer aurait cumulé plus de 500 000 euros d’aides en 2013. Du côté des régions, la presse locale, départementale et régionale, répartie en famille, est la catégorie la plus aidée par l’État, avec 65 titres subventionnés pour un total de 96 millions d’euros, suivie par la presse généraliste et les magazines d’informations nationaux. Les programmes télé arrivent, quant à eux, en 4e position, avec 5 titres (Télé 7 jours, Tele Star, Télé Loisirs, Télé Z et Télécable Satellite Hebdo) parmi les 30 magazines les plus aidés, ce qui semble surprenant, ces aides étant censées « garantir la liberté de la presse et à conforter les conditions de son pluralisme » ! Fleur Pellerin semble visiblement prendre ce dossier à bras le corps. Un rapport de la Cour des Comptes, paru en septembre 2013, est venu opportunément rappeler que ces aides n’avaient pas démontré leur utilité et que les « résultats » s’étaient révélés « décevants ». Autres critiques pointées par le rapport : des « contradictions dans la politique de l’État », une « mauvaise évaluation des aides » et un « ciblage insuffisant (des aides) sur la presse d’information politique et générale ». n SCOOP 2015 l 33


ÉCONOMIE DE LA PRESSE

le Fonds google, sauveur de la presse ?

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Quels médias peuvent en bénéficier ? En 2013, le FINP a soutenu 23 projets sur 39 dossiers déposés. Parmi les lauréats on retrouve de grands médias comme Les Echos avec leur application GRID, Le Monde et son projet mobile de rénovation, mais aussi des titres plus modestes comme Jeune Afrique (plateforme de revente de contenus sur l’Afrique) ou encore le magazine Alternatives Économiques qui a présenté sa nouvelle publication numérique, Alter Eco +. En 2014, 30 projets sur 44 candidatures ont été retenus, dont une majorité d’acteurs du Web. Bénéfices du fonds pour  la presse française ? Si pour certains ce fonds ne semble être qu’une aide supplémentaire accordée aux médias qui perçoivent déjà des aides étatiques, pour d’autres, il s’agit d’une véritable opportunité pour

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Quels sont les critères d’innovation retenus par le Fonds Google ? Pour être éligible, les projets doivent respecter les critères exposés sur le site du FINP avec, pour objectif, notamment, « la création de nouvelles sources de revenus pour les éditeurs de presse en ligne ; et/ou la mise en place de nouveaux modèles économiques, notamment par la production de contenus éditoriaux innovants. » Le fonds peut couvrir

Une video dejantee par mois !

D.R.

les dépenses engagées par l’éditeur à hauteur maximale de 60 % (Google ne verse que 2 millions d’euros par projet). « Tous les trimestres nous devons déposer un justificatif des dépenses ainsi qu’un rapport sur l’évolution du dossier pour percevoir le reste des fonds », explique Camille Dorival, directrice générale du mensuel Alternatives Economiques, qui a obtenu 750 000 € du Fonds Google.

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Qu’est-ce que le Fonds Google-AIPG ? Lancé le 19 septembre 2013, le fonds Google-AIPG (Association de la presse d’information politique et générale) est le fruit de la signature d’un accord entre le moteur de recherche américain et les éditeurs de presse français (ndlr : en début d’année, ces derniers ont exigé un paiement de droits voisins du droit d’auteur de la part de Google). D’une durée de trois ans, doté d’un capital de 60 millions d’euros, le fonds finance partiellement les projets des éditeurs de presse d’information politique et générale « jugés innovants ». Il est piloté par Ludovic Blecher, ancien rédacteur en chef de Libération : « Ce projet correspond bien à mon parcours. Aux États-Unis, j’ai notamment travaillé sur les nouveaux modèles de la presse et l’innovation éditoriale », raconte-t-il.

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L’État n’est pas le seul à donner un coup de fouet à la presse française en ces temps difficiles. Des fonds d’investissements privés mettent aussi la main à la poche pour favoriser le développement des médias. Le Fonds Google-AIPG pour l’innovation numérique de la presse (FINP) en est un exemple. Décryptage en cinq points. Sélène Agapé

créer un projet : « Nous avions besoin de cette somme pour développer notre projet. Nous sommes une coopérative de presse, pas un gros groupe de presse », reconnaît Camille Dorival. Quid de l’intérêt propre de Google? Si le moteur de recherche américain s’est engagé à soutenir l’innovation de la presse française, à travers ce fonds, c’est avant tout pour régler le litige qui l’opposait à cette dernière. Mais, le géant américain pourrait parfaitement profiter de ce dispositif. Les 60 millions d’euros de subventions accordés à la presse française ne représentent que « 0,001 % de son chiffre d’affaires (50 milliards de dollars). Selon les analystes, Google devrait dégager une marge opérationnelle (avant redistribution) de 1,19 à 1,9 milliards de dollars en France », indique le trader indépendant Eric Valatini sur le blog Margin Call. n

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L’ŒIL DE LA RÉDACTION

L’ŒIL DE LA RÉDACTION

les Français se méfient (mais pas trop) des médias

Olivier Pilmis. La radio est considérée comme un média fiable, ce qui est plutôt incompréhensible. Je pense que ce support crée un sentiment d’intimité, comme quelqu’un qui nous murmure à l’oreille. » Par ailleurs, si 55% des Français expriment leur confiance à la presse papier, (+ 6 % par rapport à 2013), ces derniers lui reprochent – notamment à la presse quotidienne nationale – de ne pas clairement afficher leurs opinions (ligne éditoriale), contrairement à la presse anglo-saxonne. « Quant à ceux qui sont censés être neutres, ils ne le restent pas souvent », précise Olivier Pilmis. La méfiance reste de mise en ce qui concerne la crédibilité d’Internet en tant que média. Seule 37 % (+ 2 % par rapport à 2013) de la population déclare faire confiance à ce récent support.

Malgré une méfiance persistante envers les médias, les Français continuent, paradoxalement, à s’intéresser à l’actualité, privilégient le média radio et demeurent prudents devant les informations diffusées sur Internet.

©DR

attentats contre Charlie Hebdo ? Exercer un regard extérieur sur les médias, c’est rentrer dans la norme et montrer que nous ne nous laissons pas influencer si facilement. « Si on vous demande quelle est votre émission de télévision préférée, vous répondrez sans doute des Chiffres et des Lettres afin de ne pas passer pour un inculte. Idem pour la confiance envers les médias», souligne Olivier Pilmis.

Les Français préfèrent la radio à la télévision, et ce, depuis plus de 25 ans.

S

elon un sondage IPSOS publié en janvier 2014, seuls 23% des Français déclarent faire confiance aux journalistes et aux médias, même s’ils consomment largement ces derniers. 69% manifestent même « un intérêt continu et important » pour l’actualité, en dépit d’une légère tendance à la baisse depuis quelques années. Selon ce même sondage, 74% des Français estiment que les journalistes vivent « hors des réalités » et ne parlent pas des « vrais problèmes » qu’ils

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sont amenés à rencontrer. Mais est-ce vraiment là le fond de leurs pensées ? « La norme consiste à dire que l’on n’est pas dupe, explique Olivier Pilmis, sociologue des médias. Nous suivons l’actualité intensément mais nous nous persuadons que nous conservons un esprit critique. » Peut-on véritablement parler de méfiance envers les supports d’informations alors même que les chaînes de télévision et les radios ont littéralement fait exploser leurs compteurs d’audience durant les

74% des Français estiment que les journalistes vivent « hors des réalités » et ne parlent pas des « vrais problèmes » qu’ils sont amenés à rencontrer.

Un intérêt hétérogène pour l’actualité L’intérêt pour l’actualité reste toutefois variable dans la population en fonction de l’âge, du niveau d’études et de la catégorie socio-professionnelle. Parmi les plus intéressés, on retrouve les 65 ans et plus (72%), les cadres et professions intellectuelles (82%) ainsi que les personnes issues de l’enseignement supérieur (77%) (cf. sondage TNS Sofres, janvier 2014). « Les médias nationaux sont particulièrement focalisés sur la politique, une discipline qui fait appel à des compétences plus approfondies que d’autres », souligne Olivier Pilmis qui précise que l’on sous-estime également l’intérêt des 18/24 ans pour l’actualité, « une actualité qui peut-être différente de celle de leurs aînés

© DR

Candice Cheuret

La période où les Français accordaient une confiance aveugle à la télévision est désormais révolue..

et qu’ils appréhendent avec d’autres supports, notamment la presse sportive et la PQR. »

Un traitement irrégulier des évènements Selon les Français interrogés par le sondage TNS Sofres, un certain nombre d’informations de l’année 2013 ont été trop mises en lumière (« saturées ») telles que le Mariage pour tous, l e s a ff a i r e s L é o n a r d a , e t Cahuzac, la naissance du prince George ou encore le lancement de la 4G. En revanche, l’entrée de la Croatie dans l’Union Européenne, la découverte de traces d’eau sur Mars, la réforme fiscale et l’accord sur la destruction des armes chimiques en Syrie ont été infiniment moins traités par la presse. « Ce sont des événements très différents les uns des autres », souligne Olivier Pilmis. « On peut remarquer que

les sujets considérés comme « sur-traités » par les Français ne changent pas réellement la face du monde. Par ailleurs, ces derniers ont quasiment tous été traités sous forme de feuilleton, contrairement à ceux dont la couverture médiatique fut moindre. D’où une certaine lassitude. » En revanche, les Français ont plutôt apprécié la façon dont ont été abordés l’élection du Pape François, le déraillement du train à Brétigny-sur-Orge, la renonciation du Pape Benoit XVI ou encore la mort de Nelson Mandela.

Une crédibilité toujours mesurée Avec 58% d’opinions favorables (+ 4 points par rapport à 2013), les Français maintiennent leur confiance envers la radio, qu’ils continuent de préférer à la télévision (50%) « C’est le cas depuis plus de dix ans, précise

« La radio est considérée comme un média fiable par les Français. Je pense que ce support crée un sentiment d’intimité, comme quelqu’un qui nous murmure à l’oreille. »

Un traitement médiatique jugé trop pessimiste Selon 61% des Français (TNS Sofres), les médias accorderaient trop d’importance aux mauvaises nouvelles. Tout est relatif. « C’est une remarque très classique, explique Olivier Pilmis. Les médias traitent des informations qui sortent de la norme. Par exemple, on va parler d’un enfant mort à l’hôpital, mais on ne dira pas que 1 000 d’entre eux ont été guéris. De même que les frappes répétées de l’Etat Islamique finissent par devenir la norme, l’événement pourra être créé par un recul de ce dernier dans un village syrien ». S’agissant des pressions que peuvent subir les journalistes, les Français sont 66% à estimer que ces derniers sont soumis au pouvoir, à l’argent et aux partis politiques. À l’inverse, ils reconnaissent que les médias jouent un rôle essentiel, en particulier dans le traitement de la vie politique. n SCOOP 2015 l 37


L’ŒIL DE LA RÉDACTION

« inside SCooP »

Avant de se lancer à l’assaut des plus illustres rédactions, les dix-huit petites mains de l’équipe du Scoop s’affairent – dans la salle 104 du 9 rue Alexandre Parodi – au bouclage de leur dernier numéro. Sélène Agapé

S

i l’on croit Patrick Poivre d’Arvor, avec quelques emprunts à Albert Londres, « le but du journalisme n’est ni de déplaire ni de complaire. C’est de remuer la plume dans la plaie. » Du côté de la rédaction du Scoop, on traite l’information à l’aide de Macintosh, de crayons à dessin et de feutres – presque – indélébiles. À l’instar de nombreux médias, la rédac’ s’est laissée séduire par une tendance qui se propage dans le milieu : l’open space, cette configuration « spatio-temporelle » permettant d’espionner son voisin. À celle-ci, ajoutez la culture du casque audio. Une technique imparable pour conserver un semblant d’intimité avec son écran et qui touche en moyenne quatre journalistes sur neuf chez Scoop. Cette semaine, aux commandes de la rédaction 104 – qui peut aussi se transformer en souk à méninges, cantine personnelle, local à cancan – c’est Olivier qui prend les choses en main. Notre rédac chef a tellement les yeux partout que ces derniers vous poursuivent jusqu’à chez vous. Si bien que ses confrères lui ont attribué la paternité d’un concept pour le moins inquiétant : le « sur-SMS ». Encore une illustration des dangers de l’évolution des nouvelles technologies. Tout n’est pas noir cependant. Il n’utilise pas What’s App donc n’obtient pas la confirmation que nous lisons – ou non – assidûment ses messages.

Comédie, tragédie, agonie « Le mercredi, c’est le jour de l’apéro »… enfin, celui de la délivrance. Celui de la dernière minute maquette, abus de bonbons, culte de la pause clope. Mais c’est avant

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Sous les yeux plus qu’avisés d’Olivier, la rédaction du Scoop carbure.

tout, celui où l’on se rend bien compte que le métier de journaliste coule dans nos veines. Encore heureux, après trois ans de bachotage. Pour en arriver à cet instant magique, il aura fallu composer avec les personnalités qui se côtoient au cœur de la rédac. « Bonjour, excusez-moi, vous êtes en conférence de rédaction ? »

La force du Scoop, c’est l’équipe combattive qui le fabrique Voilà un point majeur à mettre en lumière : la notoriété des résidents de la salle 104. Notre camarade radiophonique qui vient de surgir pendant que Nico – alias le roux – détaille sa dernière idée de sujet de journaliste/laborantin en est un parfait exemple. Chaque jour, l’équipe du Scoop reçoit des visites qui confortent ce sentiment. Même le directeur des études hante fréquemment nos murs. « Oui, alors

repassez plus tard », râle l’iconographe – dont les gargouillis d’estomac font aussi peur que son regard acéré. Pas étonnant qu’elle refuse d’adhérer à « I’m in love with the choco », la chanson de motivation rédactionnelle reprise, jusqu’à plus soif par Sophie, Nico le roux et la SR. Colonne vertébrale de Scoop, l’élaboration du chemin de fer anime chaque membre de la rédaction. Les touches de clavier cognent de toute part et le moment fatidique de la mise en page approche à grand pas. Si d’habitude cette étape provoque des sueurs froides chez certains, ce ne sera pas le cas cette semaine grâce au concours d’un « crac » sur InDesign. Les espaces insécables n’auront jamais autant été appréciés à leur juste valeur. Outre le stress, les goûters, les engueulades, la force du Scoop c’est l’équipe combative qui le fabrique tout en pestant contre le monde entier. Celle qui ne renonce jamais, même quand elle est gentiment mise à la porte de son établissement dès 20h01. n


ISCPA établissement d’enseignement supérieur privé - De Bac à Bac +5 Journalisme Communicatoin Production - Coxinelis et le service de communication de l’ISCPA Paris - 02/2015 - Document non contractuel. L’ISCPA se réserve le droit d’apporter toute modification qu’il jugera nécessaire.

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