SCOOP 2014

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AV R I L 2 0 1 4 • N ° 1 5 Ne peut être vendu

SCOOP Le magazine des métiers du journalisme

Dossier

Évolution des pratiques : L'avènement du journalisme 3.0

Presse / Citoyens : Faut-il réinventer le journalisme ? Publication réalisée par les étudiants de l'ISCPA-Paris

Journalisme et lobbies :

L'Enfer c'est les autres


action Le pLus court chemin pour passer à L’

ISCPA Paris

ISCPA Lyon

ISCPA Toulouse-Blagnac

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Établissement d’enseignement supérieur privé (Paris), Établissement d’enseignement supérieur technique privé (Lyon-Toulouse)

De Bac à Bac+5 : JOURNALISME - COMMUNICATION - PRODUCTION

Coxinelis et le service communication du Groupe IGS - 02/2014 - Document non contractuel. L’ISCpa se réserve le droit d’apporter toute modification qu’il jugera nécessaire. Crédits photos : ©Getty Images

En partenariat avec


l l l l l l l l l l l l l ÉDITORIAL

L’avènement du journalisme 3.0

Scoop Une publication réalisée par les étudiants de l'ISCPA-Paris

Directeur des études en journalisme iscpa-Paris

L

es comportements de la vidéo, essor de la 4 G, de consommation media utilisation croissante des ne cessent d’évoluer réseaux sociaux… depuis l’émergence Le journalisme en du web 2.0, l’essor vogue est un journalisme des smartphones et augmenté, tourné vers plus récemment, les technologies innovantes des tablettes. L’important mais proche de ses n’est plus de « posséder» lecteurs, car il doit être l’information, d’en disposer également interactif, et physiquement comme participatif. le permet un magazine L’utilisation des réseaux papier par exemple, mais sociaux est devenue d’y avoir accès à tout incontournable, comme le instant et n’importe où. Les montre une étude récente journalistes, s’ils menée par le veulent continuer « Le journalisme Réseau Oriella PR d’exister dans auprès de en vogue est un futur proche, 478 journalistes doivent constam­ un journalisme de 15 pays : ment faire 55 % d’entre eux augmenté » évoluer leurs utilisent un flux pra­tiques. Data Twitter pour diffuser leurs visualisations, infographie publications. en 3D, diaporamas Ces évolutions des sonores, webpratiques journalistiques documentaires, formats amènent, tout naturel­ courts pour le mobile… lement, à se poser l’avènement du journalisme des questions sur 3.0 est annoncé. la déontologie du métier Des titres de presse mise à rude épreuve. disparaissent, le marché Ce numéro de SCOOP, publicitaire est en berne, entièrement réalisé par des plans sociaux sont des étudiants en prévus dans de journalisme de l’ISCPA, prestigieuses rédactions, fait, comme chaque année, mais parallèlement, de un tour d’horizon complet nouveaux médias sont de la profession, en ne créés chaque semaine pour perdant pas de vue que répondre aux demandes pour perdurer, la profession d’auditeurs / lecteurs doit obligatoirement toujours plus exigeants. se « réinventer ». Explosion du mobile et Michel Baldi

Journalistes Vincent Bonhomme Esther Bosredon Diane Burel-Keller Pauline Bussy Raffael Cabin Sarah Cohen Céline Cousin Chloé Deriemacker Maxime Gasnier Ivanhoé Govoroff Arthur Leblanc Kevin Letalleur Laura Minichino Lucie Morisset Eléonore Pascolini Mathilde Rochefort Myriam Sonni Marie Vergne

Direction Directeur de la Rédaction Christophe Emmanuel Lucy Directeur de la Publication Michel Baldi Rédacteur en chef Ivanhoé Govoroff Maquettistes Lucie Morisset Olivier Baraud Photo de couverture : Louis Poincignon

Retrouvez toutes les éditions de SCOOP sur notre site internet – http://www.iscpa-paris.com

FÉVRIER 2013 • N°14 Ne peut être vendu

Michel Baldi

Institut des Médias 12, rue Alexandre Parodi 75010 Paris Tel: 01 40 03 15 56 Fax +33(0)1 40 03 15 31

SCOOP L e

m a g a z i n e

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m é t i e r s

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j o u r n a l i s m e

Mali, Afghanistan...

L'INFO EN GUERRE XXI brandit son manifeste Sports et TV :

beIN écrase la concurrence Dossier Presse et web Je t'aime, moi non plus !

Job attitude Le personal Branding La discrimination positive

Publication réalisée par les étudiants de l'ISCPA-Paris

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Sommaire 6 JOURNALISME 3.0

Le multi tasking : un nouveau mode de consommation média

8 Le journalisme passe à la réalité augmentée» par Esther Bosredon

11 L e journalisme de données ou le retour vers les origines de la profession par Ivanhoé Govoroff

12 L’information mobile, évolution ou révolution ? par Céline Cousin

14 I nterview Cyril Hofstein : « La presse connaît en ce moment sa révolution industrielle » propos recueillis par Céline Cousin

15 L e Web documentaire : un format hybride émergeant par Lucie Morisset

16 Illustration numérique : nouveau credo de la presse écrite

par Maxime Gasnier

18

VOX POPULI

Le journalisme participatif investit la toile 20 Réseaux sociaux : un relais fiable ? Par Marie Vergne

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mmaire

SOMMAIRE

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ÉTHIQUE

Déontologie : un rapport qui fait mal 24 Conseil de presse : une impérieuse nécessité ? Par Myriam Sonni

28

26 Liberté de la presse : la France mauvaise élève Par Mathilde Rochefort

ÉCONOMIE

Journalistes et lobbies : L’Enfer c’est les autres

32 N iel, Pigasse, Bergé : trois noms

au sommet de la presse française

Par Ivanhoé Govoroff

34 Journalisme et précarité, un tandem indissociable ?

Par Chloé Deriemacker

38

PRESSE

Grand reportage : le XXIe siècle va s’écrire comme un roman 40 Affaire Hollande-Gayet :

quelles retombées pour la presse people? Par Laura Minichino

42 Toilet Paper magazine, expert de l’Arketing

Par Maxime Gasnier

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JOURNALISME 3.0

Le multi-tasking : un nouveau mode de consommation média

A

ujourd’hui, un contenu en ligne est généralement proposé pour compléter l’information offerte par la télévision, la radio ou les supports de presse écrite. Entre les flashcodes qui renvoient vers des articles complémentaires, les incitations à réagir en live via les réseaux sociaux ou encore avec la simple volonté du lecteur de faire des recherches complémentaires sur Internet, le multi-tasking s’impose véritablement comme une nouveau mode de consommation de la presse. Le terme est apparu avec le développement des technologies de l'information et de la communication ces deux dernières décennies. Le multi-tasking repose sur différents critères comme la superposition d’activités : on fait des choses différentes en même temps (envoyer des emails en écoutant la TV...), la complémentarité : on fait des choses identiques mais sur différents supports et la substitution avec par exemple un contenu

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©innovative organized.com

Le lecteur est de plus en plus alerte et connecté grâce à la multiplication et la démocratisation des médias et leurs relais. C’est de cette nouvelle tendance qu’est née la notion de multi-tasking, qui symbolise l’art d’accomplir plusieurs tâches à la fois. Est-ce un danger ou une opportunité pour la presse française ? Vincent Bonhomme et Arthur Leblanc

classique transposé en marge de son canal historique (lire la presse hors papier, écouter la radio sur un smartphone...). La presse peut profiter de l’émergence du multi-tasking pour se métamorphoser dans un nouvel environnement numérique plein de promesses et qui offre de nombreuses possibilités de développement. Il est nécessaire de créer des synergies entre l’article papier et des compléments d’informations sur Internet. Cette technique s’appliquerait aussi à la télévision et à la radio et cela permettrait de séduire les jeunes générations.

Amour du papier contre tablette numérique. Si le multi-tasking est de plus en plus présent dans notre mode de consommation des médias, le lecteur français reste assez conservateur sur le sujet, notamment comparé aux Anglo-Saxons. Ce phénomène peut en partie s’expli-

Le canal d'attention du cerveau n'est pas fait pour accumuler plusieurs flux d'informations. Certaine études ont même démontrées la dangerosité du multi-tasking pour la santé.

quer par la nécessité d’avoir à sa disposition des outils technologiques de pointe. Selon la 7ème édition de l'Observatoire « State of the Media Democraty » réalisé par le cabinet Deloitte, les Français figurent parmi les populations de pays développés ayant le moins adopté le smartphone ou la tablette. Seulement 55% possède le premier et 29% sont détenteurs d’une tablette numérique. Début 2012, une étude unique a analysé l'audience de la presse française et les pratiques de lecture en France. Malgré la traversée d’une crise majeure à cause de l’explosion du numérique corrélée avec de plus en plus d’informations disponible sur Internet, la presse écrite papier garde une belle place dans le cœur des Français. Notre pays se classe parmi les plus consommateurs de presse au monde avec 35 millions de lecteurs quotidiens. Les populations les plus âgées (77 % des 47-65 ans) consultent toujours la version papier des magazines. 74 % des sondés aiment particulièrement lire les magazines en version papier même si l’information est accessible en ligne. Ensuite, deux tiers des lecteurs qui ont soumis un abonnement profitent exclusivement de la version papier et considère la version en ligne comme un bonus. Le multi-tasking n’est donc pas à la portée des tous les lecteurs français, notamment les plus anciens qui forment pourtant le gros


JOURNALISME 3.0 du contingent. Malgré tout, la jeunesse (24-29 ans) est plus adepte des contenus numérique avec 12% d’entre eux qui déclarent se rendre régulièrement sur les journaux en ligne.

Les Français restent très attachés au format papier concentration : le cerveau humain ne dispose que d’un seul canal d’attention, il n’est tout simplement pas dessiné pour exercer plusieurs tâches en même temps. Un journaliste qui travaille en multi-tasking pense gagner du temps mais en réalité il en perd. En permanence bombardé d'informations visuelles et auditives en tous genres, il répond à plusieurs stimulis au lieu de se concentrer sur une mission prioritaire. Il va alors survoler l’information, voire même la négliger. Comme un collégien qui rendrait une copie hors sujet, le journaliste est susceptible de s’adonner à des contresens et des oublis dans le traitement de l’information. Résultat ? Il multiplie les « allers-retours » pour récupérer les

données qu’il a mal intégré…Pire encore, le multi-tasking présenterait même un danger potentiel pour le cerveau.

Le multi-tasking diminue les capacités cognitives du cerveau D’après une étude effectuée en 2010 par des chercheurs de l’université de Londres sur 1.100 salariés britanniques soumis au «multitasking électronique», le quotient intellectuel de ceux-ci diminuerait de manière plus significative que celui de fumeurs de cannabis ou d’adeptes des nuits blanches… Pour considérer le multi-tasking comme une opportunité ou un danger pour la presse, il faut se projeter sur une analyse à moyen terme de ce phénomène novateur au sein des rédactions traditionnelles. La nouvelle génération de journaliste, qui est le fer de lance de cette tendance, sera un véritable catalyseur d’informations pour mieux étudier le multitasking. Néanmoins, la science a déjà posé les limites de ce dernier par rapport aux capacités cognitives du cerveau humain. Les études en cours sur cette pratique devraient apporter des réponses de plus en plus précises et ce, parallèlement à un développement des nouvelles technologies qui rend le multi-tasking omniprésent dans le monde des médias. n

© Vincent Bonhomme

Le multi-tasking chez les journalistes : la fin d’un mythe de productivité Si le multi-tasking concerne ceux qui lisent la presse, elle implique également ceux qu’ils l’écrivent. Comme dans de nombreuses catégories professionnelles, le multitasking est un comportement adopté par de nombreux journalistes qui fut érigé comme le symbole d’une productivité accrue. Et pourtant non. Selon plusieurs études menées aux Etats-Unis et en France, le multitasking s’avére être une perte de temps et ferait même baisser le niveau de qualité du travail. Depuis le début de l’ère digitale, les journalistes sont submergés par une multitudes de gadgets high-tech : tablettes, smartphones, fenêtres multi-écrans sur ordinateurs, etc… Des objets qui au fil du temps ont participé à la création de nouveaux types de comportements. Aujourd’hui, un journaliste est multitâche. Il est « capable » de digérer, d’analyser une multitude

d’informations, et dans un même temps répondre à des mails, discuter au téléphone et interagir sur les différents réseaux sociaux. Quand on pratique le multi-tasking, on a tendance à se sentir très productif. Enfin, c’est ce que l’on croit. En effet, multitâche rime bien souvent avec une absence de

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JOURNALISME 3.0

Le journalisme passe à la réalité augmentée

Longtemps réservée aux militaires et aux industriels, la réalité augmentée est aujourd’hui accessible à tous grâce à un smartphone, une tablette ou un ordinateur. Accéder à un site ou regarder une vidéo directement, sans recherche, est maintenant possible avec les codes-barres 2D. Entre gadget et révolution, la réalité augmentée est devenue un nouvel outil pour les journalistes. Esther Bosredon

© DR

Certains QR codes sont dignes d'être affichés dans un musée d'art numérique.

C

e sont ces petits symboles, souvent carrés, imprimés sur des publicités, des magazines, des catalogues. Contrairement à un code-barres classique qui s’étend le long d’une seule ligne (une dimension), ils occupent une surface (deux dimensions). Les points noirs ou blancs sont l’équivalent des barres noires ou blanches des codes-barres d’emballages, lus aux caisses des supermarchés. Un code 2D peut contenir beaucoup plus d’information qu’un codebarres classique. Par exemple, le code « datamatrix » contient 484 point noirs ou blancs. Pour faire tenir la même quantité d’informations sur un code « 1D », celui-ci devrait mesurer 24 cm de long !

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Les code 2D se déclinent en des formes diverses et variées. Les plus utilisés en France sont le QR code (Quick Response Code) et le Datamatrix. Ces deux codes sont utilisés par l’Association Française du Marketing Mobile (AFMM), et donc par les opérateurs téléphoniques Orange, Bouygues et SFR, créateurs de cette association. Le but des codes 2D est de permettre d’accéder à une page Internet directement depuis son mobile, sans avoir à saisir l’adresse de cette page. Il suffit d’utiliser une application compatible avec le code et de le prendre en photo avec son téléphone mobile. Une fois le code reconnu par l’application, le téléphone se connecte instantanément à la page Internet associée.

Les QR codes sont person­ nalisables à l'infini. Certains sont de véritables œuvres d'art comme celui de Clarins et l'Armée du Salut.

Les QR codes sont les codes 2D les plus connus et répandus dans le monde. L’Asie, surtout le Japon, s’en servent depuis des années. Aujourd’hui, leur usage s’est largement répandu en Europe et aux Etats-Unis. Il existe de nombreux logiciels permettant de créer des QR codes, et une multitude d’applications pour les lire. Généralement, une application identifiera un QR code quel que soit le logiciel ayant servi à sa création. Néanmoins, il y a des exceptions. Certains systèmes ne respectent pas les standards et ont développé leurs propres solutions, ce qui limite leur intérêt. Le grand public connaît moins les datamatrix. Plus rares, ils sont surtout utilisés dans l’industrie pour la traçabilité des produits. Sur ce point, la France est une exception. En effet, les datamatrix ont longtemps été le seul code 2D utilisé par les opérateurs téléphoniques français, sous le nom de « Flashcode ».

Utilisation des QR codes par les médias Depuis 2009, ils cèdent progressivement leur place aux QR codes, l’AFMM ayant décidé de standardiser le QR code dans un souci de comptabilité avec les lecteurs des téléphones des touristes étrangers. Avril 2011 : Reporters Sans Frontières lance une campagne


JOURNALISME 3.0

Comme pour toute technologie, il est nécessaire de respecter un certain nombre de règles de base

© Photo DR

La prouesse technique de National Geogrpahic.

© DR

innovante pour « faire dire la vérité à ceux qui ne la disent pas ». L’idée est simple : un QR code dans une annonce de presse montrant le visage d’un dictateur. Le mobile devient une bouche qui parle, la bouche d’un journaliste en l’occurrence. Le principe a ensuite été repris par le journal gratuit Métro dans lequel une pub NRJ proposait de faire « parler » Lady Gaga grâce à un QR code. Seulement l’utilisation semble plus délicate. En effet, cette pub étant destinée au marché français, il paraissait évident que le QR code soit lisible par l’application Flashcode, la plus répandue en France. Et bien non ! En cause : le petit symbole représentant un téléphone portable inséré en bas ne peut être lu que par la bête de course japonaise I-nigma. « Les annonceurs et les agences qui souhaitent utiliser la puissance des QR codes doivent se référer à des experts du domaine. Comme pour toute technologie, il est nécessaire de respecter un certain nombre de règles de base afin d’éviter de grosses déconvenues » explique Thomas Jamet, président de la commission brand content, social media et innovation de l’Udecam (l’Union Des Entreprises De Conseil et Achat Media). Les exemples de réussite en matière de contenus augmentés sont davantage présents dans les pays anglosaxons. National Geographic et l’agence anglaise de communication Appshaker ont frappé fort. Dans un centre commercial hongrois, les passants de la galerie marchande pouvaient se voir interagir avec des lions et des dinosaures sur un écran géant. Le rendu est magnifique. C’est là un très bon exemple du caractère interactif que peut avoir une installation de réalité augmentée quand elle est bien maî-

trisée. Bientôt la même chose sera possible, non plus avec un écran mais avec des lunettes.

Le journalisme doit passer à la réalité augmentée En 2012, la BBC surpasse National Geographic. En reprenant le principe de base et en l’améliorant, la BBC réalise une superbe promotion pour sa série Frozen Planet. Selon Thomas Jamet, « Les réalisations de la BBC et de National Geographic sont la preuve que le journalisme doit passer à la réalité augmentée. » Un avis partagé par Eric Scherer, analyste des médias en France et directeur de la prospective et de la statégie numérique du groupe France Televisions. Dans son essai, A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste pour un journalisme augmenté, l’auteur décortique les effets présents et futurs de la révolution de l’information sur les pratiques journalistiques. « Le journalisme ne peut que s’enrichir de toutes les technologies et de toutes les possibilités extraordinaires qu’offre la

période actuelle. Elle est idéale pour des journalistes professionnels et responsables, subversifs et numériques. » Tout le monde sait à quel point le secteur du journalisme a été ébranlé avec Internet. Aujourd’hui le journaliste a chuté de son piédestal. Il n’est plus le seul et unique détenteur de l’information puisqu’elle est disponible partout et gratuitement. Sa seule chance de survie est de passer du journalisme traditionnel au journalisme augmenté ou web 2.0. Son rôle est toujours de trier, vérifier, authentifier les informations mais aussi d’enrichir le contenu déjà diffusé. Sur ce point la réalité augmentée pourrait être d’une grande utilité. Ajoutant une valeur spécifique à chaque média, les contenus augmentés pourraient également redonner confiance au lecteur. Plus que jamais, le journalisme a un caractère interactif. Tout le monde peut être journaliste et diffuser des contenus sur le web. Ces derniers, automatiquement partagés, sont autant de matière exploitable par le journaliste. n SCOOP 2014 l 9


JOURNALISME 3.0

Petite histoire de la réalité augmentée

La réalité augmentée n’est pas une création technologique récente. Développée par des laboratoires industriels, elle a d’abord servi à l’armée et à l’industrie avant d’être diffusée en masse via les tablettes et smartphones. Esther Bosredon

E

n 1968 Ivan Sutherland invente la première machine de réalité augmentée. Bien sûr, ses capacités sont limitées par les technologies de l’époque. Cependant, elle permet six degrés de liberté et la mise en œuvre d’un casque à vision transparente. Le terme « réalité augmentée » n’existe pas encore. Il faut attendre 1992 pour qu’il soit proposé par Tom Caudell et David Mizell. Deux ans plus tard, Paul Milgram et Fumio Kishino exposent la définition précise, qui est toujours la référence aujourd’hui. Leurs travaux ont permis de distinguer clairement les limites des différentes sous-parties de la « réalité mixte », depuis la pure réalité jusqu’à la pure virtualité, en passant par la virtualité augmentée et, bien sûr, la réalité augmentée.

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Dans les années 90, la réalité augmentée ne cesse de se développer. En 1996, Jun Rekimoto crée les premiers marqueurs 2D qui permettent de visualiser des objets virtuels avec six degrés de liberté. Trois ans plus tard, cette technologie commence à être largement diffusée par Hirokazu Kato et Mark Billinghurst via leur plateforme de développement en « logiciel libre », AR Toolkit. Cette dernière sert encore aujourd’hui de base à de nombreuses créations de réalité augmentée, comme la version utilisable à la maison des « animaux du futur » du Futuroscope de Poitiers. En 1997, est présentée la première application de réalité augmentée en extérieur, l’ancêtre des applications

actuelles sur smartphone, utilisable avec un ordinateur dans un sac à dos. La réalité augmentée que nous connaissons aujour­d’hui à travers nos téléphones mobiles, est apparue en 2003, avec le jeu de chasse aux moustiques « Mozzies » sur téléphone mobile Siemens. Très vite, la publicité s’est accaparée cette technologie. Pour la première fois en 2007, la réalité augmentée fut utilisée en Nouvelle-Zélande pour promouvoir un zoo. Après 40 ans de maturation et de développement, la réalité augmentée sortait des laboratoires et commençait à toucher le public. Aujourd’hui cette technologie apparaît comme l’un des nouveaux outils de la communication, du tourisme et des médias. n


JOURNALISME 3.0

Le journalisme de données, ou le retour vers les origines de la profession

Le data journalisme, au-delà de l’utilisation du numérique dans un monde où désormais tout peut se résumer à une succession de bits, semble aujourd’hui être devenu l’outil indispensable au journaliste de demain.

© DR/ Matrix

Ivanhoé Govoroff

Matrix, l'archétype du monde de données.

N

ouvelle corde à l’arc du journaliste 3.0, le data journalisme consiste en une collecte et un traitement d’un certain nombre de données, de chiffres, de statistiques, en vue de les rendre visibles et compréhensibles au plus grand nombre. Cette mouvance, bien qu’adoptée dans plusieurs grandes rédactions à travers le monde, divise au sein de la profession. Si ce nouveau concept fait l’unanimité dans la presse écrite comme sur Internet, c’est sur sa définition et sur la manière de l’appréhender que s’opposent deux courants de pensées. La vision traditionnelle, portée par un des chefs de file du data journalisme outre-Atlantique, l’américain Adrian Holovaty, considère le data journalisme comme une continuité de la vocation première de tout journaliste, à savoir la collecte d’information. Là où le journaliste rassemble ses informations pour les retranscrire dans un texte écrit, le journalisme de donnée en emmagasine au maximum, les

classes et les structures, pour pouvoir, plus tard, s’en resservir comme moyen de comparaison où pour appuyer un de ses futurs papiers. La deuxième école semble s’inscrire d’avantage dans une évolution du métier du journaliste. Évolution imposée entre autres par l’arrivée des nouvelles technologies et la démocratisation d’un certain nombre d’outils jusqu’alors réservés aux statisticiens ou infographes.

Une nouvelle approche Sylvain Lapoix, ex-journaliste à Owni.fr, spécialisé en data journalisme, tient à faire la distinction entre journalisme de données et pure infographie : « Le data journalisme ne se réduit pas à la data visualisation. C’est un nouveau mode d’information, une nouvelle approche de la donnée. » Si pour certains cette dernière prime dans le data journalisme, Sylvain Lapoix s’en démarque et explique que la donnée est une réelle valeur ajoutée à un article. « Aux Etats-

« Le data journalisme ne se réduit pas à la data visualisation. C’est un nouveau mode d’information, une nouvelle approche de la donnée »

Unis, une partie des data-journalistes se nomment les Data Driven Journalists – les DDJ –, à savoir les journalistes conduits par la donnée. Les datas sont donc à l’origine de la réflexion du journaliste, et non pas à son aboutissement. » Cette vision du data journalisme le définit clairement comme une méthode de travail et non pas une discipline à part entière. Le journaliste fait de la data un nouvel outil permettant d’avoir accès à des informations inédites, à travers la lecture et l’analyse en profondeur de chiffres, de tableaux ou encore de graphiques. « Certaines rédactions régionales me disent que le data journalisme est réservé aux grandes rédactions nationales, qu’elles ne peuvent pas l’utiliser. Au contraire, le data journalisme est un retour aux sources pour le métier de journaliste, qui démarre son enquête à partir de la donnée originelle. » Finalement, au delà de la collecte pure et simple de données, le data journaliste se doit de l’analyser, de la comprendre et surtout de la rendre compréhensible pour son lecteur. Il lui est indispensable de combiner cette approche de la donnée et son instinct premier de journaliste : l’enquête et la retranscription de l’information. Concrètement, elle est visible sur les écrans et dans les journaux par l’utilisation grandissante de tableaux, graphiques ou histogrammes, directement créés au sein de la rédaction. La donnée appuie à travers les chiffres l’article du journaliste dont elle est même, parfois, directement à l’origine. n SCOOP 2014 l 11


JOURNALISME 3.0

L'information mobile, évolution ou révolution ?

© Photo Raffael Cabin

La nouvelle ère de l'information est à son apogée. Aujourd'hui, tout un chacun peut avec une facilité déconcertante, accéder à l'information mondiale, médiatique ou intra-communautaire, avec un simple smartphone. Céline Cousin

E

xit l’ordinateur. L’âge de l’info 3.0 se tourne aujourd’hui vers les applications mobiles. S’informer via sa tablette ou encore son smartphone [« ordinateur de poche ou téléphone intelligent »] n’est plus une douce utopie. Selon Médiamétrie, 23,8 millions de Français possèdent un smartphone. Des français souvent accros à ces petits bijoux de technologie. De quoi pousser le monde médiatique à exploiter encore et toujours ces réseaux mobiles. Quant aux jeunes, assez

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friands des dernières technologies, ils sont très à l’aise avec ces informations... « C’est surtout pour la radio que j’utilise les applications, RMC, Europe 1, ... Plus besoin de poste de radio, » déclare Arthur, étudiant. La démocratisation de l’information quotidienne apporte à chacun un regard supplémentaire sur l’évolution en matière de flux informatif (quel qu’il soit). Cet accès à l’information dessert tout le monde et celle-ci devient

Plus il y a de flux d'informations, moins la véracité et les preuves peuvent émerger.

incontrôlable. Les Français peuvent communiquer leurs points de vue, qui sont alors relayés via réseaux sociaux ou autres moyens intercommunautaires (SMS, courriels...). Cela ne se limite pas seulement à de petits textes, car ceux-ci peuvent être agrémentés par des vidéos ou des photos.

L'information à outrance Prendre le temps de comprendre, d'expliquer devient un luxe que peu de gens s’accordent.


JOURNALISME 3.0 Autour d'une information plusieurs sources gravitent, car le support ne se limite pas à un seul et unique émetteur, mais à une quantité indénombrable d'applications délivrant l'information. Les applications qui se trouvent sur nos supports mobiles se multiplient chaque jour afin de nous offrir un panel complet de sources informatives. Des informations spécialisées se créent et se retrouvent sur nos téléphones et tablettes. Le sport, la cuisine, la mode, rien n’y échappe. Plus le temps passe, plus elles deviennent nombreuses et ciblées, ainsi le propriétaire réceptionne et surtout réagit en donnant soit un complément, soit un avis qui est lui même considéré comme support informatif. Désormais, le lecteur devient tout autant rédacteur que l'organe de presse concerné. Mais cette liberté flirte avec l'ironie car « trop d'informations tue l'information », et dans le flux tendu de cette nouvelle ère « d'être au courant de tout », l'information perd de sa valeur rédactionnelle, donc de sa qualité. Les personnes ne sont plus informées mais harcelées par l'actualité. Les médias, aujourd'hui, commencent à peine à s'adapter à ces nouvelles techniques de communication de l'information, en passant par un modèle rédactionnel simple, rapide et efficace et n'hésitant pas à diffuser en continu le mouvement de l'information. Adieu doux papier, douce mesure des articles mythiques qui ont marqué le temps, et le lecteur bercé chaque matin par l'odeur du café, accompagné de son quotidien préféré qui expliquait de manière précise et rigoureuse les nouvelles du monde. La vie change, évolue tout comme les techniques, ainsi l'in-

Le support ne se limite pas à un seul et unique émetteur, mais à une quantité d’applications

formation grandit et s'adapte. Après avoir pris ses marques sur les nouvelles technologies, l'information générale va, peut être, reprendre la direction qu'elle a toujours voulue : « informer et relater la réalité. » n Plus d'un foyer français sur cinq possède une tablette.

Piratage des contenus, le chant du Cygne des quotidiens Jean-Michel Peyrefiche (propriétaire du journal St Martin’s Week et ex-DG de France-Antilles Guadeloupe) nous donne son avis sur cette révolution dans la presse. « C'est une véritable problématique pour les entreprises de presse qui voient leurs ventes papier baisser et doivent continuer d'assumer leurs frais de structures (personnels, machines, locaux) surtout lorsqu'elles sont propriétaires de leurs imprimeries comme la plupart des grands quotidiens nationaux et régionaux. Certes, d'importants plans de départs sont mis en œuvre chez ces journaux (centre presse en ce moment) mais cela est très couteux dès lors que ces employés à forte ancienneté bénéficient de conventions collectives très protectrices et de salaires hors normes aujourd'hui. Il en résulte que la presse, de façon générale est en quasi faillite (groupe Hersant) à cours de trésorerie, lâchée par les banques et malgré des aides gouvernementales énormes, qui ne suffisent plus à combler les déficits, cette activité est au bord du précipice et les jeux de reprises par des groupes financiers ne sont pas une solution non plus. À ce titre, les candidats se font de plus en plus rares, ou bien il s'agit de plans de reprise à la

casse comme ce fut le cas pour le groupe Hersant par Bernard Tapie (La Provence, Nice Matin et France Antilles) toujours dans le rouge pour autant. Outre les outils vieillissants de ces entreprises de presse et l'incapacité financière de restructurer des parcs de rotatives obsolètes afin de pouvoir optimiser leur masse salariale, les rédactions coûtent cher. En effet, la collecte d'informations, notamment pour des journaux qui couvrent l'actualité dans de nombreuses localités, cela se rémunère et coûte encore très cher.

La diffusion s’étiole

Face à ces coûts et dans ce contexte de crise, les recettes publicitaires baissent et la diffusion payée s'étiole car le lecteur lambda a de plus accès à ces informations gratuitement via internet. À part les sites marchands, aucun site de presse n'est rentable car personne ne veut payer pour de l'info et ces sites génèrent des recettes publicitaires dérisoires. Comme pour le marché du disque victime du téléchargement sauvage, la presse écrite est dans une crise sans précédent et dont on imagine mal l'avenir si le législateur n'arrive pas à baliser cette forme de piratage des contenus ou si la presse dans son ensemble n'arrive pas à mettre des barrières pour l'empêcher. » propos recueillis par Céline Cousin

SCOOP 2014 l 13


JOURNALISME 3.0

« La presse connaît en ce moment sa révolution industrielle » Scoop a rencontré Cyril Hofstein, reporter et coordinateur Ipad pour Le Figaro. propos recueillis par Céline Cousin

Nous avons mis en place un « pôle-news », qui rassemble les journalistes magazines et web. Aujourd’hui, la priorité est au web, et c’est logique lorsque l’on sait que sans les rédactions internet, il n’y aurait plus d’embauche. C’est là que tout se joue.

Photo DR

Le Figaro a été le premier sur le Web, il est désormais omniprésent sur tablette avec différentes applications.

SCOOP : Avez-vous été réactif face à la montée du web ? Cyril Hofstein : Oui, on a même été les premiers à passer sur le web, nous avons une expérience plus longue que les autres quotidiens. On a anticipé très tôt la révolution qui a eu lieu avec internet. Comment s’est passée l’adaptation ? L’adaptation est toujours très difficile. En plus de ça, c’est dur financièrement sur internet. Mais étant donné que ça faisait plus de dix ans que l’on préparait tout cela, on a une vraie longueur d’avance, comparé à d’autres rédactions. Quel est l’apport réel de l’application par rapport à

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l’édition papier ou au site web ? Au Figaro, nous avons plusieurs applications et elles sont toutes différentes. (Figaro mag, Madame Figaro...). Le Figaro a mis en place le même contenu que ce soit sur tablette, ordinateur ou smartphone. Concernant l’apport réel, c’est difficile de répondre. En règle générale, les lecteurs vont sur les sites, mais aussi sur les applications, qui peuvent souvent être plus décevantes. La mise en place et la production de ces applications ont-elles modifié l’organisation de la rédaction ? Oui, il y a désormais une équipe spécifique dédiée au web, mais qui peut aussi bien écrire pour le print.

En règle générale, les lecteurs vont sur les sites, mais aussi sur les applications, qui peuvent souvent être plus décevantes.

Pensez-vous qu’à terme, Le Figaro pourrait délivrer son information uniquement via des supports numériques, comme l’a fait le quotidien La Presse ? C’est un marché annexe, un marché en devenir mais pour l’instant c’est surtout une valeur ajoutée, c’est bien d’être dessus. Mais, contrairement aux sites web, l’OJD (l’Office de la justification des diffusions, qui certifie la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux, périodiques) ne peut prendre en compte les contenus tablettes. On est vraiment aux prémices du smartphone et de la tablette. Pour vous, le Web pourrait-il tuer le papier ? Non, je ne pense pas. En revanche, le web a tué la vidéo. Mais tout cela va continuer à cohabiter. Les supports numériques sont l’avenir, il faut arrêter d’avoir un discours dépressif sur cette évolution. La presse connaît en ce moment, sa « révolution industrielle », et c’est génial ! n


JOURNALISME 3.0

Le webdocumentaire : un format hybride émergeant Le documentaire se met au web 2.0 : une pratique en plein essor qui permet des formats plus courts mais néanmoins construits. Lucie Morisset

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n nouveau genre de documentaire est en train de s’inventer. Les premiers essais de web documentaires sont nés il y a une dizaine d’année. Ce n’est que depuis cinq ans qu’ils gagnent en visibilité, comme l’explique Ilan Klipper, jeune réalisateur de webdocumentaire : « Les gens n’ont pas encore le réflexe d’aller regarder des documentaires sur le Web mais grâce à certaines chaînes de TV, comme Arte, qui ont osé mettre le pied à l’étrier, la pratique gagne petit à petit du terrain ». Le web documentaire Prison Valley a été un réel succès et a interpellé les internautes sur ce nouveau genre. Les réalisateurs ont fait un tour d’horizons de treize prisons américaines. Un questionnement sur l’industrie carcérale dans une Amérique en crise. Une réelle immersion dans l’univers des prisons américaines.

Le Web, un espace de liberté Le Web offre la possibilité de faire des formats plus courts, contrairement au cinéma où on ne trouve que des documentaires de 52 minutes. « Le Web apporte plus de liberté » affirme Ilan Klipper. Les possibilités sont innombrables. Les jeunes peuvent laisser libre court à leur créativité et se faire une place facilement sur ce terrain encore peu foulé. D’autant qu’un documentaire ne coûte pas si cher. Les plus gros budgets pour les projets internationaux n’excèdent pas les 220 000 dollars contre plusieurs millions pour des films. L’avantage

Avec le webdocumentaire tous les médias peuvent être utilisés : son, vidéo, écriture, réseaux sociaux.

« le Web apporte plus de liberté »

© Flickr/ Ramon Snellink

du Web c’est que tout le monde peut y accéder. Ainsi, certains jeunes réalisateurs se débrouillent sans aucun financement. Cette nouvelle génération de documentaire reprend les techniques du web 2.0. L’objectif est de mettre l’utilisateur au centre de l’expérience. La grande différence avec les documentaires TV, c’est que le spectateur est remplacée par un utilisateur qui peut interagir avec l’œuvre. Upian, studio de webdesign est une référence en matière de web documentaire et de journalisme. Ils se font remarquer par leur inventivité. Dernières réalisations en date, « génération quoi ? ». L’histoire d’une génération tournée en immersion à Cergy. Ces webdocumentaires se basent sur une enquête en ligne menée auprès des 18-34 ans. Elle accompagnera trois documentaires que le journaliste Christophe Nick est en train de préparer. Les réponses au questionnaire forment une base de données. Elles font écho aux documentaires. Tous les médias peuvent être utilisés, tels que le son, la vidéo, l’écriture ou encore les réseaux sociaux.

Une approche journalistique Si la forme change, le fond reste le même. La pratique journalistique reste la même que dans tous les médias. « Sur le Web on trouve de tout », déclare Ilan Klipper avant d’ajouter « Dans les documentaires il y’a une vraie narration. Ce sont des contenus construits et structurés ». Le webdocumentaire a pour but de raconter une histoire, un point de vue réel avec un regard d’auteur. La création part du récit à raconter. Vient ensuite le travail d’écriture comme au cinéma. Diffuser de l’information sur le Web ne signifie pas laisser de côté la rigueur journalistique. Bien au contraire. Alors que le Web est souvent critiqué pour sa diffusion d’informations de mauvaise qualité, le webdocumentaire propose une pratique journalistique rigoureuse et de qualité. Avec plus de 35 millions d’internautes en France, le public à toucher est plus vaste mais aussi plus difficile à atteindre car plus disséminé. Ilan Kippler a bon espoir. Pour lui nul doute qu’un jour « on trouve des films sur le Web plutôt qu’au cinéma ». n SCOOP 2014 l 15


JOURNALISME 3.0

Illustration numérique : le nouveau credo de la presse écrite

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l’heure de la multiplication des supports d’information, le journalisme s’attèle à de nouveaux types d’illustration. Photo, infographie ou encore data visualisation… L’essor du numérique a bouleversé les codes traditionnels et monolithiques de l’image de presse. L’omniprésence des écrans mobiles a conduit les lecteurs à aborder l’information par son aspect visuel. Mais pas seulement. Les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) renouvèlent les fonctions premières du journaliste, dans la logique de mutation qui touche au secteur. Et le credo naissant de cette révolution numérique est de faire de l’image un contenu attractif et animé, alliant qualité de l’information et esthétique.

De l'image enrichie Renouveler l’approche visuelle de l’information est désormais un leitmotiv pour la presse écrite comme en ligne. Du magazine papier à la tablette numérique, la plupart des supports aspirent à marier fond et forme, conjuguant pertinence et design. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de l’ « iPad Publishing » : proposer des contenus enrichis par l’illustration, et présentés sous une forme attractive et synthétique. Dans cette logique, le datajournalisme s’avère être l’une des tendances nouvelles en la matière. Apparues en mai 1821 dans les premières éditions du quotidien britannique The Manchester Guardian, les prémices du « journalisme de données » prennent la forme d’un tableau portant sur le taux de fréquentation dans les

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écoles de Manchester et Salford. Mais bien loin du simple index, le concept fait aujourd’hui ses preuves dans la manière de présenter ces statistiques, la datavisualisation. Cette représentation graphique de données permet de « comprendre une information en image, de façon plus convaincante que ne le feraient les mots » comme le souligne Estelle Prusker-Deneuville dans un article de L’Argus de la Presse. Dans une société dominée par l’image, le texte laisse la part belle à l’illustration, qui synthétise des informations écrites dans une approche visuelle dynamique et plus attrayante. Quant au numérique, celui-ci permet de contribuer au développement de la « dataviz » grâce à d’innombrables possibilités. L’infographie, ou la création d’illustrations numériques par ordinateur, s’est d’ailleurs frayée un chemin certain dans l’enrichis­ sement de l’image. Pour P a s c a l Tokgozoglu, chargé d’affaires chez C17 Engineering – société spécialisée dans le développement informatique –,

Renouveler l’approche visuelle de l’information est désormais un leitmotiv pour la presse. ▼

l’infographie facilite une meilleure compréhension de l’information, destinée à un lectorat diversifié. « Il est très difficile, à moins d'être statisticien, de comprendre une liste de données statistiques qui figure dans un journal. Il est plus judicieux, pour toucher un lectorat plus grand, de présenter des graphiques et surtout d’appuyer ces images avec une analyse écrite. », explique-t-il.

© M, Le Magazine du Mone / latigre.net

Du numérique à la presse écrite, l’illustration se soumet à de nouveaux codes. Enrichissement, retouche, simplification… L’image évolue par sa forme et bouleverse le métier du journaliste traditionnel. Maxime Gasnier


JOURNALISME 3.0

Souvent interactive, l’information simplifiée plaît aux lecteurs : une infographie – réalisée sous forme de quiz – a d’ailleurs été désignée comme l’article le plus lu du New York Times en 2013. Dessins numériques, graphiques, typographies colorées… L’illustration, couplée aux possibilités offertes par les nouvelles technologies, propose une alternative aux formes visuelles classiques.

La photo Instagram du baseballer Alex Rodriguez, en une du NYT.

© Time Magazine / 2012

Du numérique à la presse écrite Les passerelles entre numérique et support imprimé tendent à se multiplier. Et pour Pascal Tokgozoglu, elles sont un avantage pour les métiers du journalisme : « Les journalistes et les médias, qui sont au cœur même du processus de transmission de l’information, ont dû évoluer et utiliser des outils d’analyse de données qui leur permettent de donner une force supplémentaire à leurs articles. ». Numériser l’information apporterait un atout qualitatif et intéresserait davantage qu’un article traditionnel par sa scénarisation. De la même manière, la photo de presse a évolué depuis la démocratisation numérique. Le 31 mars 2013, un cliché Instagram pris par le photographe sportif Nick Laham, figurait en une du New York Times. Cette « matérialisation » de l’image numérique en photo de journal, le Time Magazine l’avait déjà réalisée en novembre 2012, avec en couverture une photo prise avec un iPhone. Une preuve que les nouvelles technologies - en particulier les TIC mobiles - jouent un rôle de plus en plus important dans l’illustration de la presse écrite. Les logiciels informatiques et de retouche photographique contribuent aussi à l’insertion de l’image virtuelle dans les magazines et les journaux. Aujourd’hui, de la presse féminine à celle d’actualité, rares sont les photos qui ont échappé à Photoshop avant publication. Mais qu’en est-il concernant la déontologie journalistique ? La perte d’au-

▲ Un iPhone a servi d'appareil photo pour cette une du Time.

« Les journalistes et les médias, qui sont au cœur même du processus de transmission de l’information, ont dû évoluer et utiliser des outils d’analyse de données qui leur permettent de donner une force supplémentaire à leurs articles. »

thenticité est un sujet polémique qui revient à la charge, quand il est question de véracité du photo ­­­jour­nalisme. L’attribution du World Press Photo 2013 au Suédois Paul Hansen - une scène de funérailles à Gaza, à la lumière particulièrement élaborée - avait été largement critiquée pour son utilisation d’un posttraitement qualifié d’ « abusif » par certains. La part de numérique dans la presse écrite est-elle une nécessité ? Si elle tend à se généraliser, elle bouleverse aussi le statut et les fonctions du journaliste.

Un métier en mutation « Les bases de la photographie sur iPhone » : tel est le nom de la formation que suivent les journalistes du Chicago Sun Times. Le 30 mai 2013, le quotidien américain annonçait le licenciement de ses vingt-huit photographes. Une restructuration de l’équipe de rédaction, qui montre l’impact des technologies sur le métier de journaliste. Et Alex Garcia, photographe au Chicago Tribune, critique catégoriquement cette tendance sur son blog : « L'idée que les pigistes et les journalistes pourraient remplacer une équipe photo avec des iPhones est idiote, au pire, et désespérément inappropriée, au

mieux ». Dans un contexte de crise de la presse et d’évolution technologique permanente, le journaliste doit faire preuve de polyvalence. L’usage des outils numériques, de la PAO - Publication Assistée par Ordinateur - à la retouche photo, semble être une compétence requise pour les professionnels du secteur. Tout journaliste doit être capable de produire des photos, des vidéos ou encore des infographies pour illustrer ses différents sujets. Une polyvalence exigée par l’évolution du métier et des pratiques, de laquelle naissent de nouveaux types de fonctions : webmaster, infographistes, développeurs… C’est surtout le cas du datajournalisme qui sollicite des compétences autres que la simple rédaction. Collecte de données, mise en forme, datavisualisation… « Le journaliste doit alors le plus souvent s’allier les compétences d’un designer pour concevoir la visualisation et d’un développeur pour la réaliser et lui donner toute sa dimension interactive. », mentionne Estelle Prusker-Deneuville dans son article. Mais si la triple compétence « journaliste-designer-développeur » est courante au New York Times ou au Guardian, la pratique reste encore timide en France… n SCOOP 2014 l 17


VOX POPULI

Le journalisme participatif investit la toile

Agoravox, Citizenside, I report…Le journalisme citoyen est en vogue mais la question de sa crédibilité se pose. Et puis : fait-il du tort aux journalistes ? Kevin Letalleur

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et ce dès la fin des années 1990. Les grands groupes de presse sont alors majoritairement peu actifs sur Internet, médiatiquement marginal à l'époque. Interviennent alors les attentats du 11 septembre 2001. Le Web profite pour la première fois de ses atouts de manière totale et globale, à savoir sa facilité d'accès et d'utilisation, en plus d'une rapidité de diffusion de l'information qui jusqu’alors, appartenait au domaine de la science-fiction. Espace encore très peu encadré pour ne pas dire quasiment anarchique, la liberté de parole et de ton y est entière, offrant au lecteur un traitement alternatif des évènements par rapport à celui proposé par les médias traditionnels. Le journalisme citoyen originel sur Internet a donc pour projet la diffusion d'une variante à l’information dominante. Quand il ne verse pas proprement dans la contre-information, s'opposant frontalement au système médiatique dominant.

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'avènement de « l'ère du tout numérique » a fondamentalement modifié les comportements et habitudes de consommations des individus. Les médias n'ont bien évidemment pas été épargnés par ces changements brutaux, puisque les nouveaux moyens de communications permettent désormais au premier anonyme venu de commenter, analyser et diffuser l'information. L'idée d'un journalisme participatif et citoyen a véritablement fait florès à l'aube du nouveau millénaire et demeure étroitement lié à la démocratisation de l'Internet. Le concept même étant la résultante directe de la facilité d'interaction et de publication en ligne permise par les blogs et autres

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forums. Pionniers en matière de communication et de nouvelles technologies, ce sont sans surprise les Sud-Coréens qui ont lancé en 2000 sur la toile le premier media participatif, à savoir le site OhMyNews. Initialement composé d'une équipe rédactionnelle de quelques professionnels, il se démarquera assez rapidement de ses concurrents par la mise en ligne de milliers d'articles écrits par des internautes lambda. Au point d'être érigé en phénomène de société : en 2002 le Président fraîchement élu, feu Roh MooHyun, lui accorde sa première interview en tant que chef d'État. Plus proche de nos contrées, ce sont les blogs qui ont été les premières cyber-tribunes citoyennes

© Agora Vox

Agora Vox, ou l'information citoyenne à portée de clic. Avec « Le Plus », il est le media participatif francophone le plus fréquenté sur le Web.

Un déficit de crédibilité Si des milliers de personnes ont pu bénéficier d'une tribune médiatique fortuite grâce à Internet, le phénomène est resté relativement mineur en ce que les médias traditionnels ont, à défaut d'avoir conservé le monopole du coeur, maintenu celui de l'esprit. Et c'est sans surprise que ceux-ci demeurent les plus prisés y compris en version digitale, malgré le succès d'un site tel qu'Agora Vox


VOX POPULI

CitoyenS etjournalisme : les noces d'or D'aucuns considèrent que l'an 2000 correspond à l'année zéro du média participatif, allant de pair avec la démocratisation de l'Internet. Cependant, tout comme il y a eu un « avant Jésus-Christ » selon le calendrier grégorien en vigueur, la liaison dangereuse entre journalisme et participation citoyenne existait bien avant AOL. L'origine du concept est ainsi antérieure à l'explosion de la bulle internet. Il remonte précisément à l'année 1963 et l'assassinat de JohnFitzerald Kennedy à Dallas. Ce jour là Abraham Zapruder, simple sympathisant démocrate venu filmer le cortège présidentiel, devint le premier « journaliste amateur » en captant bien

© Libération

« Si les sites communautaires sont techniquement de très efficaces diffuseurs d’information, ils risquent néanmoins de devenir la proie des rumeurs et des tentatives de manipulation »

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en France. L'utopie (l'illusion ?) du « tous journalistes » a ainsi fait long feu. Pour plusieurs motifs. Le premier étant que les groupes de presse historiques ont finalement investi la Toile avec réussite, se donnant les moyens sinon financiers, au moins humains de leurs ambitions. Le Nouvel Observateur a d’ailleurs lancé en 2011 comme un pied de nez «Le Plus», plateforme participative forte de près de deux millions de visites uniques mensuelles. L’autre raison est expliquée par Lionel Barbe, universitaire et chercheur au laboratoire communication et politique du CNRS de Nanterre : « si les sites communautaires sont techniquement de très efficaces diffuseurs d’information, ils risquent néanmoins de devenir la proie des rumeurs et des tentatives de manipulation ». Internet tire ainsi de ses principales forces ses plus évidentes faiblesses. « La liberté et la rapidité de publication, qui constituent les atouts majeurs des plateformes participatives, pourraient servir à des individus dont les objectifs ne relèvent pas de la seule volonté d’informer ». Une défiance qui a longtemps été un frein à la crédibilité du média citoyen le plus fréquenté de la planète, l’encyclopédie participative en ligne Wikipedia. Un apanage qui n’est depuis plus propre aux seules plateformes citoyennes car pondéré par la difficile relation entretenue par les canaux de diffusions historiques et la population. Ceci est, entre autres, la conséquence d’une connivence savamment entretenue par les politiques et les patrons de groupes de presse, pour la plupart détenus par de puissants lobbies industriels. « Peu avant l’élection présidentielle, un journaliste du Nouvel Observateur m’a contacté pour que je fasse un article expliquant pourquoi je ne voterai pas » raconte Quentin Avérous, étudiant

malgré lui les images de l'assassinat du chef d'état américain. Par la suite, l'émergence en France des radios libres à l'orée des années 1980 a offert aux auditeurs une tribune et une interactivité avec l'information quasi-inédites. Depuis lors, les radios demeurent un espace de participation citoyenne systématique et le seul support apte à concurrencer le Web dans ce domaine.

en Histoire. « Il m’a laissé une d’algorithmes ce que sera le certaine liberté mais est tout de journalisme de demain. Et surmême repassé sur mon article, tout, s’il survivra à ces nouveaux parce que le sujet était sensible. paramètres, nonobstant le rôle Si la population se méfie des prépondérant qu’il a acquis au médias, les journalistes redoutent sein de la société. la liberté de ton des citoyens Le savoir est un bien consomlambdas. » mable davantage que son accès L’informa­tion ne s’achète un droit commun. Deux visions plus seulement en kiosque, mais pourraient ainsi s’opposer à court se consulte terme. D’un côté celle gratuitement et « Si la population consistant à instantanément en ligne. Et ô se méfie des médias, considérer fort monde virtuel logiquement que le journamerveilleux, le les journalistes lecteur peut liste exerce une redoutent la liberté profession à devenir auteur. entière S’il est méconde ton des citoyens part avec un socle tent, il peut le de compésignifier dans lambdas » les commentences indistaires. Il peut pensable. De même s’offrir pour une somme l’autre un point de vue pragmadérisoire un domaine et diffuser tique dans un monde où l’actualui-même l’information, outre- lité de flux est devenue la norme, passant son rôle de client pour qui considèrerait que l’informadevenir concurrent. Difficile tion n’a pas attendu les journadonc d’entrevoir dans ces nuages listes pour circuler... n SCOOP 2014 l 19


VOX POPULI

Réseaux sociaux : un relais fiable ?

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acebook, LinkedIn, TumblR, Dailymotion ou encore Youtube…autant de supports d’expression permettent la mise en relation avec des publics divers et variés. Ces plates-formes d’informations ne pouvaient rester en dehors de l’activité journalistique ; elles constituent l’un des meilleurs moyens de toucher le plus grand nombre. S e l o n A r n a u d M e r c i e r, Professeur en Sciences de l’information et de la communication, à l’Université de Lorraine : « ces réseaux sociaux sont un lieu de production de propos, documents, données qui peuvent intéresser les journalistes dans leurs recherches de sources d’informations rapides et de captation de tendances ». L’usage journalistique des réseaux sociaux permet de déceler les poten-

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tialités de ces derniers pour l’information d’aujourd’hui et surtout de demain. Selon François Colmant, journaliste indépendant : « les médias utilisent les réseaux sociaux comme relais mais aussi comme source de l’information ». Le risque : les internautes pourraient accorder plus d’importance au fait brut plutôt qu’à l’analyse. François Colmant reste persuadé qu’il « existe toujours un besoin d’information fouillé pour une grande partie du public ». 
La qualité de l’information d’un journal à part entière n’a rien à voir avec les fragments d’informations que l’on peut lire sur les réseaux sociaux. Le travail journalistique est bien plus élaboré puisqu'il fournit un travail d'analyse et de mise en perspective.

Relais d’informations Les usages informatifs de ces réseaux ne cessent d’augmenter, tout comme la croissance du nombre d’inscrits. L’usage journalistique des réseaux sociaux est une pratique qui devient incontournable aujourd’hui : Arnaud Mercier y voit une « logique de complémentarité d’audience entre médias, espace d’expression, et surtout, Les internautes usage participatif pourraient accorder entre journalistes et citoyens.» De surcroît, les plus d'importance réseaux sociaux ont au fait brut plutôt instauré une véritable course au qu'à l'analyse « scoop » ; Twitter, le plus connu des sites de micro – blogging, permet au simple citoyen de s’improviser journaliste. Comment ? En publiant sur son compte une information toute fraiche, non encore dévoilée par les médias et rarement vérifiée. L’information est ainsi relayée rapidement, ce qui conduit nécessaire-

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Les réseaux sociaux occupent une place prépondérante dans l’interaction entre journalistes et lecteurs. Ils sont à la fois un outil de relais et de source pour les journalistes. La vigilance reste de mise quant à la fiabilité des informations qui circulent en continu sur la Toile. Marie Vergne

ment à des dérives médiatiques et souvent à la désinformation. Si les réseaux sociaux constituent un avantage, en accélérant la diffusion de l’information, ils représentent aussi une menace pour la crédibilité des journalistes. Ces derniers vont par-


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VOX POPULI

fois être devancés, ou se laisser influencer par les « scoop » des réseaux sociaux sans même vérifier les informations officielles. Il est primordial que les réseaux sociaux soient le relais des informations officialisées par les médias et non l'inverse. D'autre part, les réseaux sociaux engendrent une surabondance d’information, ce qui oblige le citoyen à faire un tri important face à cette actualité de masse. L’information de flux semble aujourd’hui primer sur celle de fond. Le rôle du journaliste doit donc inéluctablement évoluer : il doit s’adapter et mettre à profit les réseaux sociaux de manière à promouvoir l'information de qualité, et vérifier la qualité de ses sources de manière permanente.

Réseaux sociaux et publicité Dans une optique de stratégies de marque, où les contenus sont déclinés sur plusieurs supports pour élargir le lectorat potentiel, les médias sociaux sont un vecteur efficace de diffusion. Facebook et Twitter en sont les principaux exemples. Certains organes de presse, dont bon nombre de rédactions quotidiennes régionales, utilisent d’ailleurs un robot permettant de programmer de manière automatique l’alimentation d’un compte. Les

tendances observées aux Etats-Unis leur donnent raison : une étude Nielsen de mai 2010 indique que 8 % du trafic du Huffington Post et 6 % du site du New-York Times proviennent de Facebook. L’institut Hitwise a souligné récemment le rôle croissant joué par Facebook comme mode d’accès aux sites d’actualité. Les médias considèrent donc les réseaux sociaux dans une logique de complémentarité non pas de contenus mais d’audience, à l’image de la télévision.

Information rapide Twitter va aujourd’hui plus vite que n’importe quel autre média car ses contraintes éditoriales et techniques sont inexistantes. Les journalistes l’ont compris et n’hésitent plus à annoncer une nouvelle de grande ampleur sur Twitter avant de la traiter de manière approfondie pour leur média. De même, les applications pour androïdes ou tablettes des journaux comme LeMonde, LeFigaro ou encore Libération, envoient des alertes pour les news importantes et ils avertissent qu’un article complet sera lisible dans quelques minutes. Les réseaux sociaux sont des lieux où se crée l’information et où

la couverture d’un événement prend forme au point de devenir une référence pour les autres médias. Un phénomène parfaitement illustré par les révolutions du Printemps Arabe en Tunisie et en Egypte, ou l’affaire DSK en 2011. Déjà les manifestations de 2009 en Iran avaient été surnommées « révolution Twitter ». De même, l’opération américaine Geronimo visant à abattre Oussama Ben Laden en 2011 avait été décrite en direct sur Twitter par un voisin témoin, qui avait entendu les hélicoptères survoler son quartier. Twitter est utilisé par les journalistes et les citoyens, comme un outil permettant une couverture de l’actualité en temps réel. Au moment de l’audition de DSK, les journalistes de BFM TV lisaient sur leur écran d’ordinateur les tweets de journalistes d’autres médias qui tweetaient depuis le tribunal de New York, alors que les caméras en direct étaient interdites dans le prétoire. Pour les journalistes, aller sur les réseaux sociaux est une façon de se mêler aux conversations citoyennes. Les américains Bill Kovach et Tom Rosenstiel dans leur ouvrage publié en 2007, « Principes du journalisme. Ce que les journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger », insistent sur la conjugaison des rôles qu’un journaliste doit désormais endosser pour sauvegarder sa mission. Le journaliste mexicain Gabriel Sama, directeur de la publication chez CNET à San Francisco, partage cette opinion sur l’importance pour le journaliste d’investir ces lieux d’échanges : « Avec toutes les informations qui proviennent des réseaux sociaux, les médias d’information ont pour défi d’apprendre à écouter ces voix et de leur donner du sens en appliquant les standards et pratiques du journalisme professionnel ». n

L'information de flux semble aujourd'hui primer sur celle de fond

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ÉTHIQUE

Déontologie: un rapport qui fait mal

Dans le cadre des Assises du Journalisme qui se sont déroulées les 5, 6 et 7 novembre dernier, le premier rapport de l’Observatoire de la Déontologie de l’information a été présenté. Son objectif ? Restaurer la confiance du public dans les médias. Sarah Cohen

Une fracture Pour mieux comprendre ces manquements aux règles de l’éthique professionnelle, le rapport souligne les conséquences de la précarité du secteur. Première sur la liste des accusés : la crise économique. « Le poids de la contrainte économique entraine de nouvelles pratiques qui posent questions »,

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013, l’année de tous les dérapages ? Au sommaire : un témoignage d’une fausse mère porteuse a été publié dans un quotidien et repris par plusieurs médias ; une photo de déraillement de train en Russie a été utilisée pour illustrer l’accident de Brétigny-sur-Orge ; des fausses annonces de libération d’otages Français enlevés au Cameroun ont été lancées ; une chaîne de télé a situé Fort de France « à l’étranger » ; une autre a totalisé pas moins de six erreurs factuelles dans un sujet sur les élections au Venezuela… La liste de ce genre d’erreurs est encore longue. Présenté lors des Assises du Journalisme à Metz, en novembre dernier, le premier rapport annuel de l’Observatoire de la Déontologie et de l’Information (ODI) livre « sans prétendre à l’exhaustivité 150 faits déontologiques ». Intitulée L’insécurité de l’information, cette synthèse pointe du doigt absence de vérification des sources, suivisme, mises en scène, faux experts, conflits d’intérêts, poids de l’actionnaire ou encore manque d' encadrement rédactionnel.

Le rapport relève une centaine de manquements à l’éthique professionnelle…

« La déontologie n'est pas un petit supplément d'âme, c’est une des réponses à la défiance du public. »

explique Didier Epelbaum, président de l’ODI. L’impact des réseaux sociaux et des chaînes d’informations qui accélèrent le rythme de la fabrication de l’information augmentent ces risques d’erreurs. Autre coupable : les relations avec les sources de l’information, qui peuvent manquer de distance et se dispenser du travail de vérification. En effet, de nombreux exemples, des plus édifiants, sont cités, mais le nom du média ainsi que du journaliste restent toujours anonymes. « Nous ne sommes pas dans la dénonciation. Ce qui nous intéresse c’est de faire prendre conscience à la profession l’importance de la déontologie dans la fabrication de l’information. » La défiance du public envers les journalistes n’a jamais été aussi forte. Selon le baromètre annuel

réalisé par TNS Sofres pour la Croix, environ un Français sur deux estime que « les choses ne se sont pas passées vraiment comme le rapportent les médias. » Restau­ rer la confiance du public envers ses médias, voilà l’enjeu de cet Observatoire de la Déontologie et de l’Information. Alors que la profession est ­davantage préoccupée par la crise de la profession et la révolution numérique, l’ODI est déterminée à mettre la question de l’éthique au cœur des débats. « Nous poussons un cri d’alarme : la déontologie n’est pas un petit supplément d’âme, s’exclame Patrick Eveno. La déontologie est une des réponses à la défiance du public. » Jean-Christophe Boulanger, viceprésident du Syndicat de la presse indépendante d’information en


ÉTHIQUE

L'ODI veut mettre la question de l'éthique au coeur des débats.

L'ODI souhaiterait la création d'une instance de déontologie nationale, « outil nécessaire mais pas exclusif, à une réponse à cette insécurité de l'information. »

la presse n’en est pas à sa première tentative. Après les Etats Généraux de la presse voulus par Nicolas Sarkozy fin 2008, le « code Frappat » de déontologie n’a pas dépassé le stade d'ébauche. Un mal vraiment français ? « Vingt et un pays en Europe disposent d’une structure dédiée », rappelle l’his-

torien des médias, en regrettant les « blocages historiques entre les entreprises et les syndicats » sur la question. « Ça ressemble un peu au slogan d’une chaîne de magasins d’électroménager, mais il faut rétablir un contrat de confiance avec le public », souhaite-t-il en croisant les doigts. n

ODI : cap sur la déontologie Issus des Etats Généraux de la presse écrite en 2008, l’Observatoire de la Déontologie et de l’Information a été lancé l’année dernière, lors des dernières Assises du journalisme à Poitiers. Présidé par Didier Epelbaum, longtemps médiateur de la rédaction à France 2, il est composé de représentants de fédérations professionnelles, d’écoles de journalisme, d’associations ou encore d’enseignants.Son premier objectif est de « contribuer à la prise de conscience de l’importance de la déontologie

© Plantu

Vers davantage de déontologie Face à ce constat accablant, L’Observatoire propose des solutions et des raisons d’espérer. La fin du rapport propose quatre pistes de réflexion et d’action, dans le but d’améliorer la qualité de l’information et la défiance du public. L’ODI recommande de « réanimer les réflexes et les conditions concrètes de vérification de l’information », de « consolider le mur » devant séparer l’économique et le rédactionnel, de « jouer la transparence vis-à-vis du public », enfin « d’instaurer un contrat de confiance » notamment par une « concertation interne sur la ­q ualité et la déontologie de l’information. » Concrètement, cette année, il y a eu une montée en puissance des « médiateurs », ces intermédiaires désignés par les médias pour faire le lien entre les lecteurs et les journalistes ; une loi en préparation pour la protection des sources ; une meilleure formation des futurs professionnels de la profession , des débats sur le ­sujet, une application des directives européennes ou encore des instances d’autorégulation. Vers un horizon plus lointain, l’ODI souhaiterait la création d’une instance de déontologie nationale, « outil nécessaire, mais pas exclusif, à une réponse à cette insécurité de l’information », indique le rapport en conclusion. « Il ne s’agit pas pour autant de créer un ordre des journalistes coercitif comme il existe pour les médecins », tient tout de même à clarifier Patrick Eveno, réservé. Et pour cause. L’idée d’un conseil de

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ligne (Spiil) et président du site Contexte, va dans le même sens lors de ces Assises du Journalisme: « La déontologie n’est pas un sujet annexe, mais un sujet économique fondamental. La perte de confiance entraîne la désaffection des lecteurs, et donc des conséquences économiques. »

dans la collecte, la mise en forme et la diffusion de l’information au public. »

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ÉTHIQUE

Conseil de presse : une impérieuse nécessité ?

©Nathan Gourdol

La ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti a annoncé aux dernières Assises du Journalisme de Metz la nomination d’un expert chargé d’étudier la question d’une instance de déontologie de l’information en France. Celle-ci aurait pour mission de restaurer la confiance des citoyens dans la profession. Myriam Sonni

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ientôt un conseil de presse en France ? Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a annoncé le 7 novembre 2013, à l’occasion des Assises du Journalisme de Metz, le lancement d’une mission de réflexion sur la création d’une instance de déontologie de l’information. La magistrate Marie Sirinelli a été chargée de rendre un rapport sur « l’état des lieux » de la déontologie du journalisme en France, qui était attendu pour fin janvier 2014. Une bonne nouvelle pour de nombreuses associations et syndicats de journalistes, qui réclament depuis plusieurs années la mise en place d’une telle instance. C’est le cas de l’APCP, l’Association de préfiguration d’un conseil de presse,

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Aurélie Filippetti aux Assises du Journalisme de Metz.

fondée en 2007 et présidée par l’ancien journaliste du Monde Yves Agnès, à l’origine de la demande d’une mission par le ministère de la Culture. « A ce jour, il n’existe pas de règles ni d’instances acceptées par l’ensemble de la profession. La création d’un conseil serait le seul moyen d’enrayer les dérives qui se multiplient depuis une trentaine d’années », affirme-t-il au magazine Scoop. En effet, les fautes professionnelles dans les médias sont plus fréquentes et surtout, ne passent pas inaperçues. Plagiats, mises en scène, fausses interviews, informations non vérifiées… Autant de bavures qui ont pour conséquence une méfiance à l’égard des médias de la part des Français. Les chiffres du 27e baromètre annuel du quo-

Pour l'APCP, l'affaire Grégory marque le début des déboires déontologiques du journalisme en 1984.

tidien La Croix, réalisé par TNSSofres et publié en janvier 2014, confirment le manque de confiance des Français envers la profession. Seul un quart des sondés estiment que les journalistes sont complètement indépendants. Ils sont 60% à les juger incapables de résister aux pressions de l’argent et 66% aux pressions des partis politiques et du gouvernement. « Ces dérives provoquent un rejet du public français envers les médias et ont engendré une perte de crédibilité des journalistes. Cette perte de confiance est très néfaste pour l’avenir de la profession. Il faut redresser la barre de la déontologie et de la qualité de l’information par une instance pour retrouver la confiance des Français et relancer la santé économique des médias », ajoute Yves Agnès.

Un conseil de presse, pour quelles fonctions ? Pourtant, la création d’une instance déontologique fait débat. Même si, selon l’APCP, une grande majorité des professionnels y sont favorables, certains groupes s’y opposent, ou mettent en doute son utilité. C’est notamment le cas des éditeurs de médias, craignant de nouvelles contraintes et sanctions et dont l’hostilité représente un certain « frein » à la mise en place d’un conseil de presse. Or, sanctionner les médias n’est pas l’intention des défenseurs du projet : « un conseil ne doit pas être un tribunal. Il doit émettre des sanctions uniquement morales, des avis… Il pourra donner tort aux journalistes, mais ne fera


ÉTHIQUE qu’appel à la responsabilité des professionnels, en plus de servir de médiateur entre les journalistes et les plaignants », explique le président de l’APCP. Les organisations patronales ne sont pas les seules à ne pas être favorables à un conseil de presse en France ; le syndicat de journalistes SNJ-CGT est sceptique, comme l’explique le représentant Jean Tortrat : « un conseil n’est absolument pas nécessaire et ne résoudra pas les problèmes de la presse, qui résident plutôt dans la concentration des titres par des industriels, des financiers, des escrocs ». Pour le syndicaliste, créer une instance de déontologie aujourd’hui « serait aussi efficace que de mettre un plâtre à une jambe de bois. »

Le SNJ, les Indignés du PAF, Europe Créative, Journalisme et Citoyenneté... De nombreuses associations supportent la création d'un Conseil de Presse.

dernière des pouvoirs financiers et permettre aux journalistes d’effectuer librement leur travail. En effet, la première condition à la création d’une instance est la garantie d’une autorégulation. « Les journaux comme l’audiovisuel sont contre une régulation de l’Etat. Le CSA ne doit pas se mêler de déontologie du journalisme, c’est pour cela qu’une instance indépendante des pouvoirs publics est nécessaire », déclare Yves Agnès. Mais pour le syndicat SNJ-CGT, le risque est bien réel : « on risque de réitérer les mêmes erreurs qu’avec le CSA, dont les membres sont nommés par le gouvernement », s’inquiète Jean Tortrat. Alors, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, doit-elle avoir un rôle à jouer dans la création d’un conseil de presse ? « L’Etat doit avoir un rôle régulateur, mais laisser une réelle indépendance aux journalistes. Il ne doit pas être le gendarme de cet organisme » met en garde le syndicaliste. n

La France à la traîne En France, le concept d’une instance de déontologie de l’information a eu beaucoup de mal à s’imposer. Une autorégulation des journalistes est proposée depuis plus d’un siècle et le projet a été relancé plusieurs fois depuis 1898. « Lorsque nous avons créé l’APCP, nous partions de loin. Nous étions regardés de travers par la profession », se rappelle Yves Agnès. « Désormais, le sujet n’est plus tabou. » Force est de constater que la France fait presque figure d’exception en Europe. Dix-huit pays de l’Union Européenne sont dotés d’un conseil de presse, dont la Belgique, l’Allemagne et le Royaume- Uni. Dans le monde, on recense plus d’une centaine d’organismes de ce type. M. S.

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« L’Etat ne doit pas être le gendarme de cet organisme » Si le SNJ-CGT ne supporte pas l’idée d’un conseil de presse en France, comme peut l’être son concurrent SNJ, Jean Tortrat admet cependant pouvoir y être favorable, à certaines conditions : « il faut qu’il y ait une garantie de l’indépendance rédactionnelle et juridique et surtout une vraie loi pour lutter contre la concentration des titres. » Ainsi, l’instance de déontologie ne doit pas seulement arbitrer la relation entre le public et la profession, mais protéger cette

Les 7es Assises du Journalisme se sont déroulées en novembre 2013.

Yves Agnès, président de l'APCP.

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ÉTHIQUE

Liberté de la presse : la France mauvaise élève

Le rapport annuel de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse dans le monde a placé la France au 37 e rang sur 179 pays. La détention capitalistique des médias, l’autocensure et les lacunes dans la protection des sources influent sur le traitement de l’information du pays.

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a France stagne. Chaque année, l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) effectue un rapport sur la liberté de la presse dans le monde. En plus d’établir un classement entre les cent soixantedix-neuf États étudiés, cette enquête analyse la position de chacun des pays ainsi que la place qui y est laissée aux médias. En haut du classement, sans aucune surprise, l’Europe du Nord est à l’honneur alors que le Turkménistan, la Corée du Nord et l’Erythrée s’avèrent être les pays les plus impitoyables vis-àvis de la presse. Comme l’explique Christophe Deloire, directeur général de RSF, dans une interview accordée à l’association Lecture et loisirs de Neuvy, les États totalitaires ont tendance à se retrouver en bas du classement: « Le classement mondial publié par Repor-

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© RSF

Mathilde Rochefort

ters Sans Frontières ne tient pas compte directement de la nature des régimes politiques. Néanmoins, il apparaît clairement que les démocraties protègent mieux la liberté de la production et de la diffusion des informations factuelles que les pays dans lesquels les autres droits humains sont méprisés ». La France, quant à elle, ne gagne qu’un rang par rapport à 2012 et vient se positionner à la 37ème place, entre l’Espagne et le Salvador. Selon le rapport, il s’agit d’une « situation plutôt bonne ». Néanmoins, la position de l’Hexagone peut être expliquée par de nombreux facteurs.

Des groupes de presse trop influents En France, la majorité des médias est détenue par des groupes de presse, dont neuf d’entre eux sont

Les cinq pays les plus respectueux de la liberté de la presse : 1 Finlande 2 Pays-Bas 3 Norvège 4 Luxembourg 5 Andorre

très importants. C’est ce que Christophe Deloire qualifie de « détention capitalistique des médias. » Ce critère a, selon lui, influé sur le positionnement du pays dans le classement car certains de ces groupes, comme Dassault ou Bouygues, ne se focalisent pas seulement sur la presse: « Certains grands groupes détenant des médias n’ont pas pour intérêt premier la diffusion de l’information. » L’appartenance à un groupe de presse abîme la notion de liberté d’expression. En effet, un journaliste travaillant au Figaro risque d’aller à l’encontre de son employeur en traitant un sujet mettant en cause l’une des sociétés du groupe Dassault. À cette capitalisation des médias vient s’ajouter une mainmise de l’État sur l’audiovisuel public. En 2008, le gouvernement précédent avait voté une loi assez douteuse quant à la liberté de l’information. Cette dernière disposait notamment que les chefs de l’audiovisuel public, c’est-à-dire France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, seraient élus par le gouvernement. Le jeudi 31 octobre 2013, l’Assemblée nationale a cependant voté une nouvelle loi qui a réattribué cette élection au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). L’enquête pour dresser le rapport de RSF a toutefois été réalisée bien avant la mise en place de cette loi. Force est de constater qu’en France, les médias les plus influents sont rarement en contradiction avec


ÉTHIQUE

En retard sur la protection des sources En septembre dernier, la police a exploré les fadettes, ou factures téléphoniques détaillées, de deux journalistes du Monde. Bien que cette démarche ait été effectuée sur injonction du juge, conformément à la loi, elle démontre l’incapacité des journalistes à protéger leurs sources. En 2010, une loi avait été votée afin de rendre la protection des sources plus simple. Ainsi, la police ne pouvait vérifier ces dernières que s’il s’agissait d’une affaire d’intérêt public. Lors de sa campagne en 2012, François Hollande avait placé la protection des sources dans son programme. En juin 2013, cette promesse s’est exprimée dans une nouvelle loi. Dorénavant, la vérification des sources ne peut se faire que s’il s’agit « d’une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Ce terme n’est pourtant pas détaillé, il est donc difficile de savoir si un juge est dans son droit lorsqu’il ordonne la mise sous écoute d’un journaliste. Le secret des sources devrait absolument être protégé. Selon la Cour européenne des

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le gouvernement, ils ne font que relater les actions de ce dernier, comme l’affirme le directeur général de RSF: « Une certaine culture journalistique en France consiste à accompagner le pouvoir plutôt qu’à rendre compte à distance » Cette tendance a provoqué un « resserrement du pluralisme » qui a engendré une « désaffection pour les médias ». En d’autres termes, la population ne fait plus confiance aux médias qu’elle considère sous l’emprise de l’État. L’autocensure a aussi joué un rôle dans la 37ème place de la France dans le classement. Malheureusement, de nombreux journalistes considèrent que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, et préfèrent ne pas tout relater dans la peur de représailles en tout genre.

Christophe Deloire, directeur général de Reporters Sans Frontières.

droits de l’homme, il est «l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Dans le Nord de

l’Europe, la tête du classement du rapport RSF, le secret des sources est parfaitement respecté. n

Les critères d’évaluation du rapport Reporters Sans Frontières Pour effectuer son enquête le plus précisément possible, Reporters Sans Frontières adresse un questionnaire à ses associations partenaires, actives sur les cinq continents. Ce questionnaire comporte plusieurs critères : • Le nombre de journalistes ainsi que les net-­citoyens assassinés ;

• Le nombre de journalistes enlevés ou en exil ; • Le nombre de médias censurés ; • Le nombre d’interpellations et d’agressions. Si le pays est occupé par des forces militaires, les exactions sont considérées comme un indicateur de violation du droit à l’information. En plus de ces chiffres, les associations se

concentrent sur : • L’autocensure ; • L’intervention de l’État dans le contenu éditorial ; • La transparence du gouvernement ; • L’attribution des subventions et la répartition des publicités publiques ; • La formation de journaliste et la discrimination dans l’accès à la profession • La concentration économique.

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ÉCONOMIE

Journalistes et lobbies : L'Enfer c'est les autres

Pour comprendre la nature et les enjeux de la relation entre journalistes et lobbyistes, il faut s'éloigner de toute conception manichéenne de notre société et ne pas craindre d'ouvrir une boîte de Pandore. Il était une fois les lobbies et les médias… Pauline Bussy et Diane Burel-Keller santé, de l’agro-alimentaire, du transport et du secteur juridique) et rencontre en moyenne 150 élus par an. Le lobbying s’est formalisé dans les années 1990 et l’activité est en plein développement en France. Il y a aujourd’hui des agences de relations presse dont l’activité est d’aller à la rencontre de décideurs et de leaders d’opinions dont les journalistes font partie, pour les lobbyistes comme Bruno Gosselin : « On fait passer des messages, on rencontre des journalistes. Si on veut bien faire son travail, c’est ce qu’il faut faire. »

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Les petits cadeaux entretiennent un parfum de connivence.

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n lobby défend les intérêts d’un groupe auprès des décideurs publics qui sont les élus, les ministres, les sénateurs et les conseillers. Le lobbying consiste à influencer l’élaboration de mesures législatives en rencontrant ces décideurs publics. Dans notre modèle de société occidentale libérale, le lobbying tient un rôle dans le processus législatif. L’étymologie du mot « lobby » est anglaise et désigne le « couloir » ou le « vestibule ». Les premières fois où ce terme a été utilisé dans un sens politique se rencontrent en Angleterre et aux EtatsUnis. A partir de 1830, les couloirs de la Chambre des communes bri-

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tanniques sont appelés « lobby ». Les membres de groupes d’intérêts y rencontraient les « Members of Parliament ». A la Maison blanche, le lobby désignait les pièces et les lieux de rencontres avec ces groupes d’intérêts. Les deux places fortes des lobbies sont aujourd’hui Bruxelles et Washington. Bruno Gosselin est directeur de l’Agence de communication d’influence et de lobbying ACIEL. Une cinquantaine de cabinets comme le sien existent sur la capitale. Consultant dans le domaine de la communication d’influence, il accompagne des syndicats, des fédérations et des organisations professionnelles (dans les secteurs de la

Les journalistes se méfient du lobbying. Mais c'est le vœu de silence autour de l'influence des lobbies dans les groupes de presse.

Pourquoi les lobbies suscitent la méfiance dans la presse et dans notre société ? Les méfiances face au lobbying sont légions au sein de la société française. Les médias présentent souvent les groupes d’influence comme un groupe susceptible de nuire à la démocratie. Cette idée fait référence à la tradition du philosophe Jean-Jacques Rousseau de concevoir les corps intermédiaires comme une menace pour l’Etat, parce que les associations d’individus servant un groupe d’intérêts rentrent en concurrence avec lui. Rousseau l’exprime dans son manifeste intitulé : Du Contrat social. L’intérêt général se retrouverait donc menacé. La conception rousseauiste a primé sur les siècles qui ont suivi en France et est à l’origine de l’image négative des lobbies à l’heure actuelle. La tradition tocquevillienne qui s’est, elle, appliquée aux Etats-Unis mais dont l’Union européenne se rapproche


ÉCONOMIE également considère que les pouvoirs de l’Etat doivent être limités et que ce dernier ne peut pas « assumer seul la charge du bien commun ». A la question de savoir si la mauvaise considération des lobbies ne relève pas d’un fantasme ou d’une vision trop manichéenne de la société, Bruno Gosselin répond que le lobbying est au contraire un outil de la démocratie : « Pour faire les meilleures textes de lois et pour prendre les meilleures décisions, il faut écouter l’ensemble des parties prenantes. Tout le monde doit pouvoir avoir le droit de s’exprimer quand un décideur prend une mesure. Un député a son libre-arbitre. » 80% des normes françaises sont d’origine communautaire. L’activité des 3 000 lobbies présents au Parlement européen est encore très peu encadrée. L’Union européenne dispose d’un registre facultatif où sont enregistrés les différents groupes d’influence au Parlement. L’ONG Alter-EU milite pour la transparence de l’activité des lobbies. Selon elle, 40 % d’entre eux se sont inscrits à ce registre. En 2011, des journalistes de l’hebdomadaire britannique le Sunday Times se présentent comme des lobbyistes auprès de trois députés européens. Les faux lobbyistes leur proposent 100 000 euros en échange du soutien d’amendements proposés au Parlement. Les eurodéputés acceptent et tombent dans le piège. Le voile a été levé sur les liens souvent ambigus entre lobbyistes et députés européens. Un cas de corruption parmi d’autres existants. Les journalistes en relayant ce genre d’affaires de corruption jouent le rôle de passeur et devrait-on dire dans certains cas de « lanceurs d’alerte ». Si les médias présentent souvent les lobbies comme groupe de pression, c’est que la confrontation à des conflits d’intérêts existe au travers des pratiques de lobbies peu scrupuleux. Le lobbying est un

outil positif ou négatif. Pour Bruno Gosselin, ce qui entre en jeu c’est « l’éthique de la personne ». La nature des liens entre les journalistes et les lobbies est-elle une relation obligée ?

Les lobbies et les médias : un mal français ? Cela fait vingt-ans que les lobbies ont investi les pans du pouvoir.

« Les journalistes sont sous influence toute la journée »

Le registre de transparence tenu par la Commission européenne fait état de 3 000 groupes d'intérêts présents au Parlement. Ils seraient en réalité au moins 5000.

Bruno Gosselin, lobbyiste et directeur de l'agence ACIEL. (DR)

Le journalisme, réputé libre, se voit gangréné par des affaires de trafic d’influence, voire de corruption. Les lobbyistes sollicitent les journalistes dans le but de peser et faire passer des idées. Mais ils ont, avant tout, un rôle de veille. En 2013, l’hebdomadaire Le Journal du Dimanche révélait que le cigarettier British American Tobacco avait invité un groupe de parlementaires à déjeuner. L’occasion pour le géant industriel d’interpeller les élus sur la nécessité de mettre en place une réglementation « équilibrée et cohérente » sur le tabac. Un moyen d’influencer les parlementaires alors que le Ministère de la Santé réfléchissait à de nouvelles mesures contre le tabagisme chez les jeunes et les femmes enceintes. Parmi les participants : la député socialiste du Puy-de-Dôme, Odile Saugues, qui n’a pas hésité à rappeler que les élus « ne sont pas influencés par les cigarettiers ». Le public est pris en otage par les personnalités politiques, mais il n’est pas le seul à être manipulé. Le lobbying dans la presse est un fléau qui n’est pas prêt de s’arrêter. Le 5 Novembre 2013, un débat s’est ouvert aux Assises du journalisme, sur le thème : « le journalisme et le lobbyiste : comment éviter les conflits d’intérêts ? ». L’occasion pour Clémentine Forissier, rédactrice en chef de Contexte (journal des politiques françaises et européennes), de rappeler que le lob-

bying en France se pratique de manière « cachée ». « Les journalistes sont des gens sous influence toute la journée » a-t-elle déclaré. Pour exemple, le site www.sciencesmediacenter.org, financé par des laboratoires de recherche, propose des rédactions de chercheurs académiques prêtes à être publiées. Le risque principal des conflits d’intérêts existe dans les médias qui ont pour propriétaires des industriels ou des politiques. La chaîne TF1 est connue pour sa connivence avec le pouvoir. Celle-ci n’hésite pas à organiser des diners privés avec des députés. Frédéric Lefebvre (qui est d’ailleurs actionnaire dans un cabinet de communication « Pic Conseil »), alors secrétaire d’Etat sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, a été sollicité plusieurs fois par la chaîne privée durant la réforme sur l’avenir de l’audio-visuel. Les lobbies télévisuels, comme NRJ ou Lagardère, tentent d’influencer les hommes de pouvoir par tous les moyens, à la limite du harcèlement (SMS, lettres).

Du lobbying à la corruption ? La presse et les médias sont des entreprises qui ont besoin de capitaux. Les entreprises de presse doivent avoir des actionnaires capables de leur apporter ce capital. Pierre Berger et Matthieu Pigasse ont promis de ne pas intervenir dans la ligne éditoriale du journal Le Monde. Néanmoins, il y a des cas dans lesquels cet équilibre n’est pas assuré. Il existe un lobbying puissant dans la presse scientifique. Le journalisme est sans cesse en conflit avec des laboratoires pharmaceutiques, ou bien des lobbies proOGM. Dernier scandale en date : l’étude du chercheur Gilles-Éric Séralini. Le Professeur avait publié le 19 septembre 2012 un rapport dans le magazine Food and Technology sur les effets du maïs Monsanto NK 603. Une enquête controversée menée au terme de deux ans de recherches. La revue a ensuite adressé une lettre à l’intéressé indiquant qu’elle allait retirer SCOOP 2014 l 29


ÉCONOMIE

listes sur le terrain d’action (cf. embedded). La limite entre proximité et censure s’efface peu à peu.

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l’article mis en cause. Le Professeur Gilles-Éric Séralini a porté plainte contre la revue pour « compromission ». Une plainte soutenue par Corine Lepage, présidente du Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique, qui rappelle que le directeur de la rédaction n’est autre qu’un responsable de Monsanto. Les voyages de presse et les cadeaux faits aux journalistes, par des sociétés privées, sont aussi des moyens d’influencer leurs choix éditoriaux. Une pratique dissimulée par les groupes de presse. « Aucun journal n’écrit que tel ou tel voyage est financé par une structure extérieure à l’organe de presse » déclare Clémentine Forissier, rédactrice en chef de Contexte. En ces temps de crise, beaucoup de reportages sont offerts par des entreprises, ONG, ou des institutions publiques. Un

Des groupes industriels, actifs dans le lobbying, détiennent différents types de médias.

moyen pour le journal de faire des économies mais qui met le journaliste dans une situation de dépendance vis-à-vis du parrain. Certains quotidiens ont abandonné les voyages de presse, ou d’autres précisent que l’article est écrit dans ce cadre précis. Une autre sorte d’invitation se développe : celle d’armées régulières qui invitent des journa-

Une régulation en marche Mais alors comment exercer sa profession sans compromission ? Aller chercher l’information en diversifiant les sources et en traquant les pratiques déviantes. De leur côté, les journalistes doivent jouer la transparence, quitte à publier leurs prises d’intérêts. « Les reporters ont une mission d’intérêt général et ne peuvent pas tout se permettre » explique Daniel Lebègue, président de Transparency International France. Pour éviter tout acte de malhonnêteté, l’Assemblée a mis en place, depuis le 2 janvier dernier, un nouveau registre des représentants d’intérêts. Ces écritures mentionnent le nom des représentants et les ressources affectées par telle ou telle entreprise, ONG, ou cabinet d’avocats. n

Qui fait l'information ?

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Pour Edwy Plenel, Président et co-fondateur de Mediapart, le journaliste doit défendre son indépendance et pouvoir diffuser des informations qui peuvent déranger. Diane Burel-Keller et Pauline Bussy

Scoop : Comment les groupes d’intérêts influencent-ils leur communication auprès des groupes de presse et des journalistes ? Les groupes d’intérêts ont une façon très subtile d’imposer leur récit en changeant les mots. On

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Edwy Plenel.

ne communique pas seulement en disant « Publiez quelque chose qui soit en ma faveur » , le groupe d'interêts communique un langage en faisant passer un type de référence. C’est à dire que les pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques, utilisent aussi leur image. Le poids de certains groupes d’intérêts se trouve également dans les recettes de publicité (qui peuvent occuper plusieurs pages d’un journal ou d’un magazine). Ils peuvent décider de supprimer un budget. L’enjeu est simple : le journaliste est-il capable de proposer un récit alternatif à celui proposé par le décideur ? Est-ce le

journaliste qui crée de la valeur ou le milliardaire qui « fait les fins de mois » ? Les médias pourront-ils un jour sortir de ce modèle économique ? C’est une bataille. Il y aura toujours des gens qui voudront défendre des intérêts. Les journalistes auront toujours besoin de se battre. Il y aura toujours des intérêts politiques et socio-économiques diffé­ rents au sein d’une société. Les syndicats ont aussi leurs propres intérêts à défendre. Il n’y a pas qu’en haut. L’indépendance est toujours à construire et à renouveler.


Les démocraties européennes sont-elles devenues

des mauvais élèves de la liberté de l’information ? *

Pour la 1ère fois, Découvrez le classement monDial De la liberté De la Presse 2014 Dans la collection librio * Réponse Malgré les bonnes performances de l’Union européenne, certains États membres ont connu une année 2013 inquiétante. La France tarde à se doter d’une loi efficace de protection du secret des sources tandis qu’au Royaume-Uni, les autorités mélangent dangereusement journalisme et terrorisme. Affectée par la crise économique et les poussées de fièvre populiste, la Grèce continue de s’enfoncer dans le classement.

Plus d’informations sur : fr.rsf.org Disponible en librairie


ÉCONOMIE

Niel, Pigasse, Bergé : trois noms au sommet de la presse française Le triumvirat à la tête du groupe Le Monde est en passe de devenir l’association d’actionnaires la plus puissante de la presse écrite française.

© Facebook

Ivanhoé Govoroff

De gauche à droite: Mathieu Pigasse, Pierre Bergé et Xavier Niel.

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epuis 2010 et le rachat du quotidien Le Monde, il n’y avait guère que le groupe Lagardère que l’on pensait à même de tenir tête à l’alliance entre Xavier Niel, entre autres président fondateur de Free et 179e fortune mondiale, Mathieu Pigasse, l’Énarque directeur général délégué de la banque Lazard et Pierre Bergé, cofondateur de la maison de mode Yves Saint-Laurent. Et pourtant, énième conséquence de la crise, même le fameux groupe Lagardère se met à vendre. Dix titres sont mis sur le marché. Immédiatement on parle de « BNP » (Bergé-Niel-Pigasse) pour la reprise, qui, eux, sont de véritables amoureux de la presse (dixit Claude Perdriel) et n’ont pas peur d’injecter des fonds pour sauver la presse écrite tout en lui

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garantissant « à travers des comptes solides, son indépendance ». Un leitmotiv pour les trois compères. Seulement voilà, les titres dont veut se séparer Lagardère sont mineurs, très largement déficitaires et au lectorat extrêmement ciblé. Bergé, Niel et Pigasse se retirent presque immédiatement des négociations. Il faut dire qu’un poisson bien plus gros vient d’être ferré et le trio est bien décidé à le sortir de l’eau.

À l’assaut du Nouvel Observateur Claude Perdriel, fondateur du Nouvel Observateur, parmi les derniers propriétaires indépendants de grands titres de presse à résister aux pressions pour vendre son journal, vient de céder. Après plusieurs

Pierre Bergé s'était dans un premier temps opposé au projet de rachat du Nouvel Observateur.

années à renflouer à coup de millions de sa fortune personnelle les caisses de l’ « Obs », l’inventeur du sanibroyeur de 87 ans s’est résolu à vendre. Même si certaines mauvaises langues (ou pas ?) du monde médiatique parlent de « coups de gueule » à répétition des proches de Claude Perdriel, qui trouvait que le patriarche dilapidait un peu trop l’héritage familial pour un journal, qui, finalement, n’en valait pas tellement la peine. Moralité liée ou non, en décembre 2013 Claude Perdriel annonce officiellement ouvrir les portes du groupe Nouvel Observateur aux actionnaires. Il fait les yeux doux à Xavier Niel, contre qui il s’était pourtant farouchement battu trois ans auparavant dans la bataille financière pour Le


ÉCONOMIE Monde, qu’avait finalement remporté le patron de Free et ses deux comparses en doublant la mise de départ de Perdriel. L’affaire est alors menée à ­vitesse grand V. Miracle de noël : Niel et le patron du Nouvel Observateur, qui passent tous deux les fêtes aux Maldives, se rencontrent. L’accord est presque signé. Janvier 2014 : Claude Perdriel rassemble les rédactions de son groupe et annonce officiellement le changement de propriétaire. Le triumvirat Bergé-Niel-Pigasse est dorénavant actionnaire majoritaire, à hauteur de 65%. Il possède maintenant deux titres parmi les plus prestigieux de la presse écrite française. Perdriel l’assure : il garde un pouvoir décisionnaire, induit par les 35% de parts qui lui restent dans le groupe.

en chef des sites internet téléobs. com et cinéobs.com. Avant d’ajouter : « Personne ne sait trop où nous en sommes, il faudra attendre fin mars pour vraiment y voir clair, le temps que les choses se décantent. Pour TéléCinéobs, s’il n’y a pas suppression, une refonte semble inévitable. Je ne vois pas comment on pourrait cohabiter avec Télérama, qui est le mag le plus rentable du groupe Le Monde. Surtout qu’avant même que l’on parle de rachat du groupe, l’avenir de TéléCinéObs papier avait déjà plusieurs fois été remis en cause. » Un risque de doublon : il semble que ce soit là que le bât blesse. Dans la rédaction ­d’Obsession, le magazine féminin mode et lifestyle du Nouvel Obs, chacun attend que le couperet tombe. « Le M brasse bien plus d’annonceurs que nous et il ne va y avoir aucun intérêt à conserver un magazine récent, qui n’engendrera qu’une concurrence intes-

« Avec seulement 35% des parts, le pouvoir décisionnaire de Claude Perdriel sera plus que minime.»

Rumeurs et préjugés Dès lors, les rumeurs au sein du Nouvel Obs vont bon train, alimentées par les discours contradictoires que tiennent anciens et nouveaux décideurs. Les 65% du groupe Nouvel Observateur ont été vendus (limite bradés) pour 13,4 millions d’euros, avec pour justification de garantir, à travers un prix raisonnable, les revendications de l’ancien propriétaire. À savoir, pas de plan social, pas de refonte du directoire, pas de synergies entre les rédactions du Monde et de l’Obs, et surtout l’assurance de la survie des différents titres du groupe. Si Claude Perdriel est catégorique sur ces accords, il semble avoir pourtant perdu la confiance des différentes rédactions de son ancien journal. « Il faut voir la réalité en face, avec seulement 35% des parts, le pouvoir décisionnaire de Claude Perdriel sera plus que minime. Toutes les décisions que voudront réellement prendre BNP seront appliquées » déclare inquiet Alexandre Boussageon, rédacteur

C'est seul, sans Mathieu Pigasse et Pierre Bergé, que Xavier Niel a convaincu Claude Perdriel de vendre. Les deux hommes ont posé ensemble les premières bases de l'accord, sous le soleil des maldives.

tine au niveau de la publicité » explique une rédactrice d’Obsession.

Mon beau patron Mais Claude Perdriel le répète inlassablement depuis presque un mois, ses conditions seront respectées. Alors pourquoi cette peur au sein du groupe ? Déjà parce que l’histoire n’a que très rarement vu des passations de pouvoir se faire sans plan social et ensuite peut-être à cause d’une nouvelle rumeur qui circule entre les murs du journal encore installé place de la Bourse à Paris : Laurent Joffrin abandonnerait le navire et rejoindrait France Inter, malgré l’assurance de Claude Perdriel quant au non changement du directoire en place. Une rumeur pour l’instant non démentie ni par l’intéressé ni par la station de Radio. Le départ de Laurent Joffrin n’aurait pourtant rien d’étonnant, surtout aux vues de ses nombreuses altercations avec Claude Perdriel ces derniers mois. La dernière en date : une divergence de couleur sur la Une de l’hebdomadaire, qui a bloqué la rédaction pendant 24 heures et s’est terminée par un règlement de compte puéril par mails interposés, envoyés à l’ensemble de la rédaction. Tous les discours au sein de l’Obs ne sont néanmoins pas noirs. Certains voient d’un œil positif l’arrivée de Xavier Niel à la tête du groupe. L’homme d’affaires élu l’année dernière « patron préféré des Français » tient à préserver son statut de PDG « social », proche des gens, loin de l’idée du chef de multinationale pour lequel le profit est le but ultime et rien d’autre. Niel pourra sûrement encore surfer sur la vague des forfaits mobiles illimités à 2 euros qui lui a donné son image de Robin des Bois 3.0… Du moins tant que personne ne se souvient de sa déclaration rapportée par Pierre Rimbert dans Le Monde Diplomatique : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et après ils me foutent la paix. » Humour ? n SCOOP 2014 l 33


ÉCONOMIE

Journalisme et précarit indissociable ? À l'heure d'une société 3.0 où l'information circule de plus en plus vite sur le Web et dans un contexte de récession économique, l'avenir de la profession se pose.

E

n novembre dernier, la Scam (Société civile des auteurs multimédias) a rendu public un bilan social sur le milieu journalistique à la suite des Assises du Journalisme à l’Arsenal de Metz, où des intervenants du monde des médias se sont exprimés. Cet événement a mis en lumière les difficultés grandissantes pour le métier de journaliste. 3 407 journalistes (51 % de femmes et 49 % d’hommes entre 25 et 50 ans et plus) ont participé à cette étude sur les circonstances d’exercice et le statut de leur profession. Le constat final est inquiétant. Les 56 % des sondés qui travaillent pour la presse écrite, les 23% pour la TV, les 9% pour la radio et les autres dénoncent clairement une précarisation de la profession. Lors de son discours d’ouverture à Metz, Lise Blanchet, Vice-présidente de la Scam, a pointé du doigt la situation économique et sociale des médias. « Je veux alerter l’opinion publique sur les conditions précaires dans lesquelles les journalistes exercent leur métier.» a-t-elle annoncé avant de qualifier le terrain de « roulette russe pour les journalistes. »

34 l SCOOP 2014

Un statut précarisé par la pige La situation est très complexe pour les pigistes salariés qui ont été très nombreux à répondre à l’enquête de la Scam, à hauteur de 28% dont 37 % dans la presse écrite. « Précarité, isolement, absence de reconnaissance » sont les griefs qui reviennent le plus souvent. Les pigistes pointent les disparités avec les journalistes permanents en termes de rémunération pour la quantité de travail fourni, mais aussi en termes de protection sociale et d’avantages sociaux. Ils dénoncent une application approximative du droit du travail, la nécessité de devoir sans cesse se battre pour faire respecter leurs droits et se faire régler dans les délais prévus. C’est le cas de Jean, 24 ans, journaliste pigiste pour un hebdomadaire national et étudiant en journalisme. A la fin d’un stage de trois mois, son employeur a tenté de faire passer ses piges sur sa convention, pourtant obsolète. « Aujourd’hui sans le statut de stagiaire mais sous celui de pigiste, je dois parfois attendre plusieurs mois avant d’être payé. On a déjà essayé de me payer en tickets ­restaurant. », précise t-il.

© m.schuckart - Fotolia

Chloé Deriemacker

Journaliste, un métier sous pression.

Les pigistes disent avoir de plus en plus de mal à trouver du travail, et être beaucoup moins intégrés que par le passé au sein des rédactions. Il leur devient donc de plus en plus difficile d’obtenir ou de conserver une carte de presse. Autre problème : la rémunération de la pige. En presse écrite, un pigiste sur deux perçoit moins de 70 euros au feuillet (1500 signes). Martin Gérard, journaliste pigiste pour de grands quotidiens nationaux qui souhaite garder l'anonymat et dont


ÉCONOMIE

é : un tandem

le nom a été modifié, témoigne : « On est soumis à des piges de plus en plus maigres. Pour des titres de la presse nationale comme Le Monde ou Libé, il faut compter 65 € brut le feuillet. Pour des magazines c’est un peu mieux payé, 120 euros la page ». Marie, 24 ans, journaliste free-lance pour le premier site d’informations destiné aux Jeunes est, elle, payée aux clics. « En moyenne je gagne 300 €/mois fixe. Mais je suis aussi payée au nombre de vues sur le Net. »

e­ xplique-t-elle. « Cette situation me convient, ça me permet de continuer mes études tout en ayant un pied dans le monde du travail. Et puis c’est toujours mieux que de servir des frites chez Mc Do. » conclut-elle. Pour Fabrice Pozzoli, journaliste pour le groupe américain OTR Global, ce système de rémunération aux clics constitue une vraie dévalorisation

« On a essayé de me payer en tickets restaurant »

du métier de journaliste. « Des étudiants font cinq ans d’études pour au final gagner 400 ou 500 €/mois, autant dire moins qu’une femme de ménage. Ce n’est pas très honorifique mais compréhensible. Il faut bien payer son loyer, manger.», s’alarme-t-il. Ainsi, 30 % des journalistes gagnent moins de 20 000 euros nets par an et 46 % entre 20 000 et 40 000 euros.

L' activité extra journalistique Un journaliste sur trois a déclaré à la Scam exercer une activité extrajournalistique. En plus de piger, le journaliste s'adonne par exemple aux métiers de la communication ou de l’édition (rédaction de communiqué de presse, collaboration sur des journaux municipaux, nègre…) afin de voir ses revenus augmentés ou tout simplement s'en sortir financièrement. Pour Fabrice Pozzoli, il ne faut pas penser que tous les journalistes cumulent des activités annexes parce qu’ils n’ont pas le choix. « Certains ont aussi besoin de faire d’autres choses en plus de leur profession mais toujours en rapport avec elle, comme animer des conférences, écrire des livres, pour s’épanouir dans leur métier ». C’est notamment le cas de Martin Gérard, qui en plus de son statut de journaliste, est auteur. Il explique : « Mon simple statut de journaliste pigiste me suffisait pour vivre. Je percevais l’allocation d’aide de retour à l’emploi (ARE) de Pôle Emploi, calculé au prorata de mes revenus journalistiques. Mais j’ai publié un roman en 2012, par envie. J’en ai un autre en préparation. ». Il ajoute cependant : « Mes droits d’auteurs ne sont pas suffisants pour combler un déficit de piges. Ma seule solution pour bien gagner ma vie reste le cumul du nombre de piges. Je travaille même maintenant pour un mensuel féminin ». Il se dit prêt, le cas échéant, à écrire des publi-rédactionnels ou travailler dans les métiers de la communication. Eric Delon, journaliste pigiste pour Le Parisien Magazine ou encore SCOOP 2014 l 35


© N.G (Assises du journalisme)

ÉCONOMIE

Lise Blanchet, Vice-présidente de la Scam et un intervenant.

Capital exerce aussi d’autres a­ ctivités en dehors de sa profession. « Je donne des cours à des étudiants en journalisme, j’anime des tables rondes… à la fois parce c’est bien rémunéré mais aussi parce ça reste en lien avec mon métier », déclare t-il. Jean a choisi de s’adonner à toute autre chose qu'au journalisme pour joindre les deux bouts, le baby sitting. « Les fins de mois peuvent être difficiles. Garder des enfants après les cours est une solution parmi d’autres. Quand je vois mes potes sortir et moi non c’est encore plus dur » confie t-il. D’après Fabrice Pozzoli, ce phénomène de cumul d’activités est difficilement chiffrable dans toute l’Europe et s’apparente à du travail dit « gris ». Ce phénomène de multi-activités est variable selon les médias d’appartenance. Les photographes constituent la catégorie la plus sujette aux multiples statuts. Ils sont à la fois permanents (34%), pigistes (40%), auteurs (36%) et travailleurs indépendants/auto-entrepreneurs (22%). Dans cette enquête, ils apparaissent souvent comme la population la plus précaire. Caroline, 30 ans, photographe de mode dans un

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féminin gratuit est dans une situation inquiétante. « Au sein de la rédaction, je ne suis pas considérée comme journaliste photographe. Je fais des shooting mais je monte aussi des pages. Je suis payée à la pige mais mon employeur ne veut pas toujours me payer au bon tarif. A côté, je suis inscrite à Pôle Emploi mais ils refusent de m’indemniser au vu de mon activité un peu floue ».

« Les gens se sont détachés de la presse écrite payante »

Des rémunérations opaques De nouvelles méthodes de rémunération ont fait leur apparition ces dernières années pour contourner le statut et les droits des journalistes. « Pour les journalistes web, certains employeurs se basent sur la convention collective du milieu informatique et non celle du milieu journalistique », explique Fabrice Pozzoli avant d’ajouter, « d’autres entreprises embauchent des journalistes uniquement s’ils ont le statut d’auto-entrepreneur pour éviter de payer les charges sociales (congés

payés, couverture sociale, indemnité retraite, indemnité chômage…) ». Pour lui, certains de ces modes de rémunération s’apparentent à celle des commerciaux, payés aux résultats, à la prime. Eric Delon qualifie ces pratiques de « condamnables ». « Un site internet m’a déjà proposé de me rémunérer sous le statut d’auto-entrepreneur sous prétexte qu’il n’avait pas les mêmes moyens que le print. J’ai refusé. C’est scandaleux ! » argue t-il. Selon Philippe Cohen-Grillet, il y a un paradoxe aujourd’hui attaché à la profession de journaliste. « Le statut de journaliste est de plus en plus précaire mais c’est un métier qui fascine toujours autant de jeunes. Ils n’ont pas toujours une vision très claire du métier au quotidien, des inconvénients, des difficultés que l’on peut rencontrer », explique t-il avant d’ajouter, « Aujourd’hui, la presse écrite doit se confronter aux réseaux sociaux de plus en plus importants dans le rôle de la circulation de l’information, aux quotidiens gratuits aussi, aux blogs tenus par des jeunes journalistes pigistes sous payés… Tout cela fait que les gens se sont détachés de la presse écrite payante ». De plus en plus de journalistes oui, mais de moins en moins de garanties.

La carte de presse, menacée Première conséquence néfaste du cumul de situations: la difficulté pour les journalistes d'obtenir et conserver une carte de presse. Les conditions pour obtenir ce précieux sésame sont strictes. S’il s’agit d’une première demande, il faut exercer la profession depuis trois mois au moins consécutifs, et tirer de cette activité le principal de ses ressources, c’est-à-dire, plus de 50 %. Naturellement, les fonctions exercées doivent être de nature journalistique. Enfin, l’employeur doit être une entreprise de presse (écrite ou audiovisuelle) ou une agence de presse agréée. Pour ce qui est d’un renouvellement, les conditions à remplir sont les mêmes, mais la


ÉCONOMIE régularité de l’activité s’apprécie sur les douze mois précédant la demande. Marie ne peut pas demander la carte de presse car comme elle le précise, son employeur n’est pas considéré comme un « institut de presse agrée ». Elle avance : « J’ai le statut d’auto-entrepreneur dans la rédaction. Je fais un article par jour minimum et je suis dans la rédaction tous les dimanches. Toutefois, je ne me considère pas totalement comme journaliste mais plutôt comme rédacteur, surtout lorsqu’on me demande de faire un résumé d’une émission culinaire. Est-ce légitime alors de demander la carte de presse ? » Dans l’enquête révélée par la Scam, 83 % des journalistes sont titulaires de la carte de presse: 91 % pour les permanents, 81% pour les pigistes, 55 % pour les auto-entrepreneurs, 54 % pour les auteurs. Le nombre de journalistes encartés a baissé pour la première fois en 2010, baisse qui s'est poursuivie en 2011 avant une légère remontée en 2012 (37 477 cartes accordées ou renouvelées) sans pour autant retrouver le niveau de 2009 (37 904). Les profondes mutations en cours au sein de l’activité journalistique (Web, réseaux sociaux, contenus augmentés…) expliquent une partie de ce chiffre assez alarmant. Face à cette diversité de médias de plus en plus hétéroclites et leurs impacts sur les statuts des journalistes, Lise Blanchet a remis en cause la Convention du journalisme lors de son intervention aux Assises de Metz : « Aujourd’hui, on ne sait plus ce que ça veut dire être journaliste. A l’heure actuelle, être journaliste c’est un métier… mais plus un statut. » Elle préconise même l’organisation d’états généraux afin de redéfinir la carte de presse. Plusieurs journalistes souhaitent également une réforme de la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP) et la prise en compte de leur activité d’auteur, parfois difficilement dissociable de leur activité de journaliste. D’aucuns voudraient pouvoir exercer ce métier, en tant qu’auto-entrepre-

neurs. Fabrice Pozzoli appuie cette démarche : « Une réforme de la Commission de la carte de presse serait la bienvenue dans le sens où en France, les conditions pour obtenir la carte de presse sont très particulières voire même trop strictes. La Commission de la carte dit que tout pigiste est salarié mais ce prin-

Les journalistes pigistes courent après l'argent.

cipe est de moins en moins respecté par les employeurs. C’est au niveau européen qu’il faut se mettre d’accord pour une meilleure harmonisation du métier ». Eric Delon est plus réservé sur une réforme de l’attribution de la carte. « Même si les démar­ches pour l’obtenir peuvent paraître compliquées et qu’elle n’a pas de valeur juridique, je m’interroge sur la légitimité de la carte si les critères d’obtention sont abaissés », explique t-il.

En 2010, le nombre de cartes de presse a baissé pour la première fois

Une éclaircie pour les femmes Le futur des journalistes semblent donc plus prometteur sur le Web mais surtout pour les hommes et les femmes voulant travailler pour des médias dits « pure players », entreprises de presse dont l'activité est exclusivement menée sur Internet. Des recrutements, certes à faible échelle, ont été effectués dans certains pure players reconnus. Le Huffington Post a recruté en 2013 dix journalistes, Rue

89 sept et Médiapart huit d’après l’OJD (L’Observatoire de la presse). De plus, selon le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCAFH), 45  % des effectifs des rédactions sont composés de femmes (contre 40  % en 2000). Par ailleurs, la part des femmes journalistes ne cesse de croitre. En 1965, elles ne représentaient que 15,3 % des effectifs. Aujourd’hui, elles représentent plus de 43 % des effectifs de la profession d’après l’Observatoire des métiers de la presse. Enfin, depuis 2004 et selon les derniers chiffres de la CCIJP, chaque année, plus de la moitié des nouveaux détenteurs de la carte professionnelle de journaliste sont des femmes (54,3  % en 2008) . Malgré cette petite éclaircie et la présence croissante des femmes dans les organisations de presse, ces dernières sont aussi nombreuses, voire plus nombreuses dans des situations professionnelles moins stables et les inégalités de salaires persistent. Sans oublier que leur taux de parole et d’expression à la télévision et en radio reste faible lorsqu'elles sont invitées en tant qu'expertes. Et leur présence aux postes de responsabilités rare. « C’est étonnant de constater qu’il y a de plus en plus de filles dans les écoles de journalisme mais que moins d’un tiers des femmes sont présentes dans les sphères dirigeantes. Le journalisme est à l’image de notre société », ­relève Eric Delon. « J’espère qu’un jour il y aura autant de femmes que d’hommes dans les postes de management car elles sont souvent meilleures gestionnaires que leurs ­homologues masculins. », ajoute Fabrice Pozzoli. Ce bilan de la Scam montre clairement un secteur de la presse en difficulté, une évolution du métier inquiétante et un statut de journaliste de plus en plus précaire. Lise Blanchet a conclu son discours de cette manière : « Il y a une révolution à faire au niveau des rédactions afin que le métier de journaliste retrouve ses lettres de noblesse. » L’urgence est là. n SCOOP 2014 l 37


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Grand Reportage : le XXIe siècle va s’écrire comme un roman Depuis une petite dizaine d’années, quelques anciens journalistes, accompagnés de photographes et d’auteurs, ont décidé de relancer la machine. Connues sous le nom de Mook*, les revues accordant une place importante aux reportages fleurissent dans nos librairies. Eléonore Pascolini

© Jef132

Alors que l’information de masse, gratuite et accessible à tous, atteint son apogée, le journalisme perd sa vocation, son esprit, sa nécessité. Né pour informer, il est aujourd’hui renfermé, obligé de convenir aux investisseurs et publicitaires qui permettent la publication et la vente dans les kiosques français.

Caméra d'un reporter lors du rallye de France 2010.

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arcourir le monde, moleskine et bic à la main, appareil photo autour du cou, c’est le rêve de bien des journalistes. Le titre de Grand reporter fait briller les yeux des apprentis de la profession à la seconde ou il est énoncé. Mais les anciens tempèrent rapidement leurs ardeurs. « Avant, tous les journaux avaient un vrai service photo. Depuis la crise de 1990, les budgets se sont resserrés et on le voit à l’iconographie des revues. Regardez celle de l’Express par exemple, c’est honteux de publier des photos pareilles », explique Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef du Mook 6 mois. Ce n’est pas parce que ce métier est magnifique qu’il perdurera dans le temps. Le grand reporter s’essouffle, non pas par

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manque de sujet mais exclusivement par manque d’investissement financier. Il faut vendre, toujours plus, toujours mieux, au risque de bafouer quelques principes de la profession de journaliste. Nés pour faire découvrir le monde à autrui, les organes de presse vacillent aujourd’hui entre emballages publicitaires et publicités de luxe, une page sur deux. Le numérique pointe aujourd’hui plus que le bout de son nez. Les applications de L ­ ibération, du Nouvel Observateur ou celle du Monde sont devenues indispensables sur les smartphones. Hasbeen s’il en est de ne pas regarder en même temps le journal de 13 heures, écouter les news France Info avec 20 minutes dans les mains, tout ça pendant la « pause dej’ ».

*Le Mook est un support de presse né d'une fusion entre le magazine et le livre (Mag + Book = Mook).

Rien n’est perdu Heureusement, le journalisme peut compter sur quelques infatigables de l’information. Patrick de Saint Exupéry, Laurent Beccaria, Marie Pierre Subtil et quelques autres sauvent la profession. « Pour nous, créer la revue XXI est apparu comme une affaire de nécessité », explique Patrick de Saint-Exupéry, fondateur de la revue XXI lors d’une interview à la librairie « Le Bateau Livre » de Lille. Le constat est simple pour cet ancien journaliste du quotidien Le Figaro : le journalisme meurt et le numérique n’est pas la solution. En janvier 2008, le Mook XXI voit le jour. Il est tout de suite tiré à 45 000 exemplaires « pourtant personne n’aurait parié un centime dessus au départ », ajoute le grand reporter. Issu de l’association d’un éditeur indépendant, Laurent Beccaria et du grand reporter, tous deux frustrés de réaliser que le journalisme tel qu’il se doit d’être meurt, XXI voit le jour.


PRESSE

Un format atypique Ce trimestriel se divise en plusieurs parties : les trente premières pages sont consacrées aux événements actuels dans le monde, mis en relief, suivis de neuf rubriques

Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de « 6 mois ».

Interview de Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef du Mook « 6 mois » : Comment est née la revue 6 mois ? Elle est arrivée dans la continuité de XXI et fonctionne de la même façon. Au départ personne n’y croyait. Ce format et son contenu atypique n’existent nulle part ailleurs. Il fallait apporter un complément photo à XXI, c’est ce que

les lecteurs en font une collection. Il est vu comme un beau livre intemporel.

pour faire le tri et expliquer les évènements afin de rendre compte du réel au plus près, au plus juste. On y trouve aussi 80 pages de reportages, d’enquêtes, d’entretiens et d’histoires vécues pour s’ouvrir sur le monde. Les trente dernières pages de la revue sont consacrée à la bande dessinée : une autre manière de raconter le réel. XXI entame sa sixième année et croule sous les demandes de publication. 6 mois, Usbek et Rica, Le tigre ou encore France Culture Papier ont suivi le mouvement. Ces magazines vivent uniquement grâce à leurs lecteurs et cela fonctionne. Comme quoi la publicité : trop c’est trop ! Le lecteur veut revenir aux sources. Aux journalistes de lui en donner les moyens. n

6 mois fait. Deux fois par an, la revue est en vente dans les librairies. Composé de quatre sujets liés entre eux et de huit autres dits « libres », elle publie des grands photoreporters et des anonymes. Le plus important, c’est l’histoire que les photos racontent. 6 mois n’est pas une revue ordinnaire,

La revue XXI est née de la frustration d'un grand reporter et d'un éditorialiste indépendant, Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria.

© DR

200 pages dans le réel. Des semaines de travail sur le terrain, parfois à des milliers de kilomètres, parfois tout près pour prendre du temps, prendre du champ. Unique­ ment des sujets longs formats, ­signés par des écrivains, des journalistes, des photoreporters et des dessinateurs de bandes dessinées. Ils ont tous l’espace pour raconter et une liberté ­totale. L’étonnante récolte d’images et de rencontres offre aux lecteurs une vision nouvelle et bien réelle du XXIe siècle.

Aujourd’hui, le Mook a pris une grande ampleur. Comment gérez-vous sa « célébrité » ? Au départ, nous avons dû démarcher quelques photo­ graphes. Aujourd’hui, nous croulons sous les demandes et il nous est impossible de toutes les publier. Je reçois en moyenne dix mails par jour pour des publications, sans compter les photoreporters qui frappent à ma porte et ceux qui envoient par voie postale. Il ne suffit pas d’être reconnu par la profession, ou d’avoir de la bouteille pour être publié chez nous. Je regarde en premier lieu l’histoire que racontent les photographies. Il est tellement plus difficile, et d’autant plus intéressant, de traiter d’un sujet ordinaire afin de lui donner cette petite touche qui diffère. Dans le 6 mois de cette saison, un des sujets expose une colocation en Estonie. La colocation peu paraître banale, mais la façon dont elle a été traitée m’a frappée. Des perles, on en trouve dans tous les milieux, que ce soit chez les jeunes, les apprentis ou les confirmés. Pourquoi cette revue fonctionne-t-elle aussi bien ? Le lecteur se sent écouté et pris au sérieux. Dès qu’il se lève le matin, il est dépassé par le trop plein d’informations. Avec 6 mois, il peut prendre le temps de comprendre un sujet et il apprécie que les journalistes et les photoreporters prennent aussi le temps de décortiquer et d’approfondir. La création de ces revues apporte un regard nouveau sur la profession. Internet dit prendre la place de la presse écrite mais je nous crois précurseur de ce qui prendra la place d’internet. C’est un produit post-internet. Nous mettons en valeur les professionnels qui eux, ont pris le temps de nous offrir un réel travail journalistique.n SCOOP 2014 l 39


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Affaire Hollande-Gayet : quelles retombées pour la presse people ?

Alors que le scandale provoqué par la une de Closer réunissant François Hollande et Julie Gayet est sur toutes les langues, la presse people affiche, elle, une santé insolente. Laura Minichino

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© Photo DR

V

endredi 10 janvier, Closer a consacré sa une sur la liaison que François Hollande entretiendrait avec Julie Gayet. Le magazine people, photos à l’appui, affiche au grand jour une rumeur qui courait depuis des mois dans le Paris médiatico-politique. Un secret de polichinelle déjà évoqué à maintes reprises sur le net d’abord, puis sur quelques plateaux télé. Lors du Grand Journal de Canal+, Antoine de Caunes avait d’ailleurs taquiné la comédienne sur le soutien qu’elle affichait au Président Hollande. Son partenaire à l’écran dans Les Âmes de papier, Stéphane Guillon avait alors explosé de rire, déclarant : « Le Président venait souvent sur le tournage. Il aime le film. Valérie Trierweiler beaucoup moins ». Mais c’est dans la rédaction du magazine people Closer et sous la direction de Laurence Pieau – la rédactrice en chef – que s’est dénouée l’affaire. Bien décidé à exploiter cette histoire et sortir au grand jour les images qui prouveraient cette idylle, un plan de surveillance tel que monte les journalistes d’investigation s’est mis en place. Et ce sont des fenêtres d’un appartement sous-loué à ses locataires et situé en face du domicile de Julie Gayet, que les photos de François Hollande, débarquant en scooter de l’Élysée chez la jeune femme, ont été prises. Clichés faits entre le 31 décembre et le 2 janvier derniers, selon Laurence Pieau qui se targue d’avoir « enquêté ». « Il y avait une rumeur, on l’a ­vérifiée ». Bingo !

La vie sentimentale de François Hollande fait les choux gras des tabloïds.

Il ne manquait donc plus que ces fameux clichés pour que l’hebdomadaire, propriété du groupe italien Mondadori, dégaine sa couverture. Le groupe de presse, prévoyant, a monté sa une en catimini avec une équipe restreinte de quatre journalistes dans la confidence, alors qu’une fausse couver-

Du véritable pain béni pour l’ensemble de la presse ture a été créée pour ceux en dehors du cercle du secret. Le numéro incriminé a même été imprimé en Belgique afin d’échapper à toute procédure judiciaire qui aurait pu être intentée en référé. La réaction de François Hollande par un communiqué à l’AFP ne s’est pas faite attendre. Il promet des poursuites à l’encontre du magazine invoquant

la protection de sa vie privée. S’il fallait une officialisation à cette liaison, c’est désormais chose faite sous la plume du chef de l’État, qui n’a opposé aucun démenti. « Toute la classe politique et les journalistes politiques connaissaient l’histoire Gayet depuis plus d’un an », affirme Renaud Revel, rédacteur en chef à L’Express.« Tout le monde a tu cette rumeur au nom de la protection de la vie privée », poursuit-il. « Il aura fallu que Closer ait la témérité de sortir cette information pour que tout le monde se précipite dans la brèche ».

La presse dans les pas de Closer Du véritable pain béni pour l’ensemble de la presse magazine, qu’elle soit people, féminine ou news. Grazia consacre à cette idylle présumée « des enquêtes ». Paris


Match et Elle ont même avancé de deux jours leur date de sortie pour profiter au plus vite du filon éditorial. Pour Closer, les ventes ont atteint 700.000 exemplaires, soit près du double de la diffusion habituelle. À l’étranger aussi, la vie sentimentale de François Hollande fait les choux gras des tabloïds anglais ou américains. Au moment où les ventes papier sont en berne, l’affaire HollandeGayet est une aubaine pour la presse. Les lecteurs veulent des détails, alors que des rumeurs enflent sur Twitter concernant une éventuelle grossesse de Julie Gayet. En titrant « Julie Gayet, une passion française », Elle en fait déjà une première dame en puissance. « Tous les titres qui ont fait leur une sur Hollande et Gayet se vendent bien, confirme une kiosquière parisienne. Même les quotidiens en profitent. » « Il est assez amusant de constater que c’est un sujet de la presse dite récréative qui va booster les ventes de la presse d’information politique et générale », indique lors d’une émission sur Europe 1, Stéphane Haitaian, directeur délégué en charge du pôle star (Closer, Télé Star…) chez Mondadori France.

La femme qui a changé la France Closer semble avoir trouvé une véritable pépite d’or pour agrémenter ses pages. Pour le magazine qui a fait des scoops « politiques » son fonds de commerce, la manne était trop belle pour ne pas l’exploiter. François Hollande et Valérie Trierweiler en 2007, Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg en 2010, DSK et Anne Sinclair en 2012, « c’était dans Closer », se vantait la rédactrice en chef, Laurence Pieau, dans un entretien donné au Figaro en 2013. L’offensive lancée par la rédactrice en chef de Closer connait de larges retombées. Au point même que le Sunday Times la surnomme « La femme qui a changé la France ». Ou comment démontrer la toute puissance de la presse people. Car

© Photo DR

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Laurence Pieau, rédactrice en chef de Closer.

« C’est une presse qui fonce, qui sort des infos, qui joue avec les limites »

jamais auparavant la presse en France n’avait osé aller jusque-là. C’est bien la première fois qu’un magazine français publie des photos sur la relation entre un Président de la République et une femme qui n’est pas sa compagne. Selon Laurence Pieau, cette affaire a permis au magazine de « gagner en crédibilité. Cela fait du bien à Closer. » Allant plus loin, elle affirme même : « Je pense qu’audelà de ça, cela fait du bien aussi à toute la presse en générale parce qu’on a ramené du monde chez les kiosquiers ». Et comment parler d’une histoire qui ne touche que la presse à scandale ? Le site Mediapart est aussi allé « sur le terrain », en quête d’informations « essentielles » sur le fameux appartement où François Hollande rencontrait Julie Gayet. Sur le site, le journaliste Philipe Riès, soucieux que les français ne s’intéressent, selon lui, pas assez à l’affaire, écrivait : « L’indifférence des Français aux escapades sentimentales des princes qui les gouvernent est le pendant de leur tolérance à l’égard de la corruption de la classe politique. C’est la marque d’un profond et récurrent déficit démocratique ». De ce fait, force est de constater que malgré les critiques

de la presse généralisée quant à la qualité « pauvre » de ces infos, elle n’hésite pas à reprendre des informations et photos dont elle déplore l’existence mais dont elle se sert souvent pour booster ses ventes. « Cela aide à sortir la presse people de son ghetto, estime Laurence Pieau. Je reçois de grandes leçons de journalisme, mais il faut voir qui les donne ». La rédactrice en chef, elle, aime la presse people : « c’est une presse qui fonce, qui sort des infos, qui joue avec les limites. Cette puissance-là m’intéresse ». Et en effet, ces scoops se vendent, divertissent le public, excitent l’imagination, et tout cela, la presse généralisée au même titre que la presse people l’a bien compris. Présidence normale, réclamait Hollande ? « Paparazzade » classique, en a jugé la presse à scandale. Alors qu’une nouvelle étape vient d’être franchie sans complexe, le succès de la presse people semble inaltérable et on voit mal ce qui changerait la donne. Closer, à l’origine de cette bombe médiatique annonce d’ailleurs « de nouvelles informations et de nouvelles photos exclusives » pour très bientôt. De quoi continuer d’alimenter les journaux et magazines pour un bout de temps encore. n SCOOP 2014 l 41


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Toilet paper magazine, expert de l'arketing

Méconnu à ses débuts, le magazine italien Toilet Paper s'est imposé comme avant-garde de la presse artistique. Sa popularité est aujourd'hui le résultat d'un savant mélange d'art et de marketing. Maxime Gasnier

© Maurizio Cattelan

articles ; lundi dernier, c'était dans le New York Magazine que Toilet Paper posait son empreinte.

F

ondé en 2010 par l'artiste contemporain Maurizio ­Cattelan et le photographe Pierpaolo Ferrari, Toilet Paper est un magazine qui laisse la part belle à l'image. D'inspiration pop art et surréaliste, le support se démarque par son esthétique puisant dans l'iconographie de mode, des médias, et plus largement de la société de consommation.

Un expert de l'arketing En s'emparant des médias et de la publicité, tant par la forme que par son contenu, Toilet Paper procrée un véritable buzz, qui affranchit toute frontière entre art et marketing. Un mot-valise a été attribué à cette nouvelle tendance par les experts du secteur : l'arketing. Pour Nina Rodrigues-Ely, directrice de l'Observatoire de l'Art contemporain, « L'arketing est, au sens strict, l'utilisation de l'art, de collaborations avec des artistes, dans une stratégie de marque ou dans la stratégie d'un produit ».

42 l SCOOP 2014

Fête d'ouverture Toilet Paper Magazine, Milan.

Se voulant à la fois élitiste par le prix et la rareté de ses produits, et populaire par sa vaste diffusion, « Le cas Toilet Paper, est intéressant car c’est surtout la team artistique Maurizio Cattelan/ Pierpaolo Ferrari qui perturbe l’esthétique contemporaine formatée, avec un savoir-faire marketing et commercial. Ils ont créé un système autonome et l’exploitent. », ajoute Nina Rodrigues-Ely. De l'art devenu label Andy Warhol disait : « La commercialisation de l'art est l'étape qui vient après la création ». De cet adage, Toilet Paper en manifeste les rouages dans un business florissant. Plus qu'un magazine, il multiplie les partenariats. Toujours plus proche des consommateurs et des lecteurs, Toilet Paper a étendu son influence jusque dans les médias. Le quotidien Libération, dans son édition du 19 juin 2013, a laissé carte blanche aux deux artistes fondateurs du magazine pour illustrer ses

Toilet Paper semble surtout s'inscrire dans une lignée d'artistes tels que Andy Warhol et Benjamin Vautier, pour qui l'art commercial était un leitmotiv de production.

Un marketing de la rareté Mi-œuvre d'art, mi-magazine, Toilet Paper s'est rapidement démarqué de ses homologues. La revue déploie un style iconoclaste, celui de son fondateur Maurizio Cattelan, un des artistes contemporains les plus « bankable » du moment. De cette imagerie saisissante en émerge un véritable business. En vente aux enchères, certains exemplaires s’arrachent à une cinquantaine d'euros pour les plus récents jusqu'à plus de 1 400 euros pour le premier numéro. Pourquoi un tel écart alors que le prix initial de parution est fixé à 13 euros ? Le marché autour du magazine Toilet Paper s'est fondé, entre autres, autour du marketing de la rareté. Ne paraissant pas en kiosque, mais seulement dans certaines librairies spécialisées et chez une poignée de distributeurs, le support est difficilement trouvable et rapidement en rupture de stock. De cette stratégie commerciale, Sébastien Maschino, expert en Économie et Gestion des Produits Culturels, en tire une conclusion : « Pour les fans, il s'agit d'une denrée rare à se procurer au plus vite avant que la quantité de magazines imprimés soit épuisée ». Cet engouement, qui crée artificiellement le besoin du consommateur, a conféré à Toilet Paper un statut de produit collector. n



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