Le magazine des étudiants de l’ISCPA
ER DOSSI
PHOTOJOURNALISME : LES DERNIERS BAROUDEURS BILAN
BON ANNIVERSAIRE SOCIETY ! ANALYSE
L’INVESTIGATION
INTERVIEW
LE ZÉPHYR
RENCONTRE AVEC UN MÉDIA INNOVANT
SPORTIVE EN QUESTION
MARS 2016 - N°17 NE PEUT ÊTRE VENDU
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l Par Michel Baldi, directeur des études de la filière journalisme ISCPA Paris Le magazine des étudiants de l’ISCPA
12 rue Alexandre Parodi 75010 Paris Directeur de la publication Michel Baldi Directeur de la rédaction Vincent Olivier Rédacteur en chef Maxence Fabrion Secrétariat général de rédaction Charles de Jouvenel, Anthony Denay, Maxime Berthelot Maquette Marie Martel, Orianne Vialo et Clément Roy Journalistes Cloé Arrault, Pierre-Yves Baillet, Maxime Berthelot, Marion Bordier, Nicolas Brouste, Léo Chabannes de Balsac, Charles de Jouvenel, Anthony Denay, Sélena Djennane, Maxence Fabrion, Jules Fobe, Raphaël Gilleron, Antoine Grasland, Antoine Mbemba, Maëlys Peitado, Louis Witter et Charles Thiefaine.
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ix-neuf étudiants en journalisme posent ici un regard scrutateur sur l’environnement médiatique dans lequel évolue la profession. Digital natives, ils pratiquent le web-journalisme et savent créer et animer des blogs multimédia, mais ils rêvent d’un journalisme libéré des contraintes des moteurs de recherche, de la dictature de l’immédiat et du bâtonnage des dépêches. Les sujets qu’ils abordent dans ce numéro sont symptomatiques de l’antagonisme qui s’exerce dans les faits : une concentration accrue des médias au sein de grands groupes de presse, les difficultés croissantes à exercer la profession sous le statut d’indépendant, et dans le même temps, un regain du « vrai » journalisme à travers l’évolution des pratiques et les innovations éditoriales. Ces futurs journalistes soulignent les difficultés pour les photoreporters en freelance de financer leurs reportages, de se faire accepter sur les terrains de conflit, et lorsqu’ils y parviennent, le long chemin à parcourir pour parvenir à publier leur travail. Ils observent d’un œil sévère les dérives de l’infotainment, avérées dans de nombreux médias, le pouvoir des conseillers en communication, toujours plus présents derrière la parole des hommes politiques, et la concentration croissante des groupes de presse, qui conduit de nombreux journalistes à pratiquer l’autocensure. Ils remarquent cependant que de belles innovations éditoriales
commencent à naître, à la fois rassurantes pour l’indépendance de la profession et innovatrices, laissant présager un renouveau du journalisme. C’est le cas du site web Le Zéphyr, lancé fin janvier, qui se présente comme un laboratoire éditorial, « un espace de réflexion proposant des contenus riches et différents », c’est celui également du site web Les Jours, sorti en février à l’initiative de huit journalistes de Libération, mais aussi de L’imprévu, sorti en juin 2015, un autre site d’information indépendant qui se détache de l’actualité. La presse écrite généraliste connaît également de beaux succès, comme le prouve Society, un magazine sorti en mars 2015 par le groupe So Press (qui publie So Foot, So Film, Pédale et Doolittle). Nos étudiantsjournalistes ont échangé avec le patron du groupe, Franck Annese, qui dresse un bilan positif de son nouveau bébé, après un an d’existence. Et puis il y a les « mooks », au format hybride entre le magazine et le livre, qui fleurissent désormais dans les librairies, et dont le fer de lance est la revue XXI, apparue en 2008. La liberté d’action du journaliste est essentielle, car il joue un rôle important de contre-pouvoir dans la démocratie. Si les médias de masse ne lui donnent plus cette liberté, il doit lui-même la retrouver en renouvelant les pratiques de la profession. Les initiatives récentes semblent confirmer ce nouvel élan.
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SOM MAI RE
TARANIS NEWS : UN NOUVEAU MÉDIA FONDÉ PAR UNE NOUVELLE GÉNÉRATION P. 50
LA VOIX DU NORD À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU SOUFFLE P. 22-23
GRÉGORY SCHNEIDER, LA CAUTION SPORT DE LIBÉ P. 24-25
PHOTOJOURNALISME : L’ART DE CAPTURER LA RÉALITÉ P. 10-12
DE PARIS À SINJAR, RÉCIT D’UN REPORTAGE NON PUBLIÉ P.14-15
« LE PHOTOJOURNALISME OFFRE UNE LENTEUR DE REGARD UNIQUE » P.13
IRAK : A L’ÉPREUVE DE L’ADMINISTRATION P. 16-17
QUAND « L’INFOTAINMENT » FAIT LOI P. 42-44
« DES KESSEL, DES SERVANSCHREIBER, DES LAZAREFF, ON EN REVERRA » P. 52-53
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FRANCE : LE JOURNALISME SPORTIF EN QUÊTE D’INVESTIGATION
P. 26-28
MÉDIAS : LES PATRONS FONT LEUR MARCHÉ P. 36-37
LE MOOK, UNE REVUE FUTURISTE P. 35
2B2M, LE PLURIMÉDIA CONSTRUIT PAR BENOÎT MAURER P. 30-31
MAIS POURQUOI « TOUT LE MONDE LIT SOCIETY » P. 32-34
ANTOINE GUIRAL, POUR UN NOUVEAU JOURNALISME EN LIGNE P. 48
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE TIENT SES ANGES GARDIENS P. 38-39
LAURENCE TEXIER : « LE FAIT-DIVERS EST L’ANTI-ROUTINE PAR EXCELLENCE » P. 40-41
SNAPCHAT, LA NOUVELLE ARME DES MÉDIAS P. 54-55 L e m a g a z i n e d e s é t u d i a n t s d e l ’ I S C PA Scoop 2016_DEF.indd 5
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ACTUS
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QUE VA DEVENIR TWITTER ?
e réseau social Twitter, créé en 2006, connaît une crise sans précédent. L’application aux 320 millions d’utilisateurs, désormais devancée par Facebook (1,55 milliards), Whatsapp (900 millions) ou encore Instagram (400 millions d’inscrits) a vécu une année 2015 très éprouvante. Le réseau social a connu une demi-douzaine de départs en un an, dont le directeur général en juin dernier, ainsi que quatre membres de l’équipe exécutive le 25 janvier 2016. Son action en bourse n’a jamais été aussi basse depuis son entrée en 2013. Pourtant, tout ne va pas si mal au sein de de la
UN QUOTIDIEN BRITANNIQUE LANCÉ SANS SITE INTERNET
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e groupe de presse britannique Trinity Mirror a décidé de prendre à contrepied l’ère du numérique. En effet, nos voisins d’outre-Manche viennent tout juste de lancer un quotidien généraliste sans site Internet. Sa seule couverture numérique est opérée par le biais des réseaux sociaux. Intitulé The New Day, c’est « un quotidien payant publié du lundi au vendredi » qui se veut « optimiste » et « neutre politiquement », précise le groupe Trinity Mirror dans un communiqué. Une bonne nouvelle pour le
LES DINOSAURES DE LA TÉLÉ MENACÉS
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ulien Lepers n’en finit plus de faire ses adieux après son éviction surprise de Questions pour un champion, Michel Drucker et Patrick Sébastien s’inquiètent pour leur avenir, Lionel Chamoulaud et Gérard Holtz seront mis en retrait lors des prochains Jeux de Rio... Les vieux briscards de France Télévisions sont menacés et s’agacent de leur funeste sort. Cinquante ans de télévision pour Drucker, 40 pour Holtz, 30 pour Lepers... Leur jeunesse est consommée depuis belle lurette. Mais hors de question pour eux de laisser la place à la nouvelle génération. Un patron de chaîne avait pourtant lancé à Drucker, alors âgé de 47 printemps,
The New Day est le premier quotidien britannique lancé depuis 30 ans. © Flickr
société. En effet, si l’application est la moins utilisée de toutes, elle reste attrayante pour les investisseurs puisque son chiffre d’affaires devrait passer de 2,2 à près de 3 milliards de dollars cette année. De plus, afin de pouvoir à nouveau rivaliser avec ses concurrents, Twitter a déjà changé certaines choses. Fini l’icône « favori », place au cœur pour « liker » le post. De plus, l’application devrait abandonner la limite des 140 caractères pour le porter à 10 000 ! Un changement considérable qui arrive au moment où une rumeur de rachat du réseau social se fait entendre. Cela a même fait bondir son action de 10 % en bourse, preuve que Twitter n’est pas encore mort.
journalisme alors que la presse écrite traverse une crise sans précédent. « Il y a beaucoup de gens qui n’achètent pas de journaux actuellement, pas parce qu’ils ne les aiment plus, mais parce que ce qui est actuellement disponible en kiosque ne correspond pas à leurs attentes », a confié Alison Phillips, la rédactrice en chef du nouveau quotidien, à la BBC. De son côté, Simon Fox, le directeur général de Trinity Mirror, a estimé que ce journal peut s’imposer comme une référence au sein de la presse britannique : « Plus d’un million de personnes ont cessé d’acheter un journal ces deux dernières années, mais nous pensons qu’un grand nombre d’entre eux pourraient être séduits par le produit adéquat. » La parution de The New Day intervient quelques semaines seulement après l’annonce de l’arrêt de l’édition imprimée du quotidien The Independent. Ce dernier passera à une version 100 % numérique le 26 mars.
qu’il était « un homme du passé » et même un « has-been ». Crime de lèse-majesté… Que dire aujourd’hui, alors qu’il traverse sa 74e année. Voilà que le mystère demeure autour du prochain contrat de l’animateur. Le dernier avant d’être remercié ? Les paris sont ouverts. Présents depuis plusieurs décennies dans le PAF (paysage audiovisuel français), Drucker, Sébastien et leurs acolytes se pensaient éternels et intouchables. Les voilà vieux et vulnérables. Qu’ils demandent à Patrick Poivre d’Arvor et Claire Chazal, victimes de la stratégie brutale de TF1… « On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans, il va falloir que ça change », avait lâché Dephine Ernotte, la patronne de France Télévisions, sur Europe 1 en septembre dernier. Les seniors du service public sont prévenus.
l PAR RAPHAËL GILLERON
l PAR MAXENCE FABRION
l PAR MAXENCE FABRION
Twitter, un réseau social en berne
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© Flickr
Michel Drucker se voit fragilisé par la nouvelle politique « pro-jeune » de France Télévisions. © Wikimédia
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JDD : LE SONDAGE QUI DÉRANGE
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ans son édition du dimanche 31 janvier 2016, Le Journal du Dimanche a publié une enquête Ipsos sous le doux nom de « L’enquête qui inquiète : antisémitisme et peur de l’Islam ». L’objectif clairement affiché est simple, voire simpliste : sonder un échantillon représentatif de la population française et de sa diversité idéologique sur la perception qu’elle a des communautés ethniques et religieuses constituant la société civile. Les catégories sont les suivantes : personnes d’origine maghrébine, africaine ou asiatique ; celles de confession musulmane, catholique ou juive;
LES FRANÇAIS MÉFIANTS VIS-À-VIS DES MÉDIAS
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elon l’édition 2016 du baromètre TNS Sofres (Société française d’enquêtes par sondages), les Français se montrent très critiques sur le monde de l’information. Commandée par le journal La Croix et publiée le 3 février dernier, l’étude révèle que 64 % des personnes sondées (1 061 Françaises et Français âgés de plus de 18 ans) trouvent que les journalistes ne sont pas indépendants des « pressions des partis politiques et du pouvoir ». « A chaque fois qu’il y a des événements majeurs en France,
L’opinion publique ne croit pas en l’indépendance des journalistes. © Pierre Selim
sans oublier la communauté Rom. Dans un contexte de crispation et de repli identitaire, les critiques ont fusé à propos de l’approximation qu’une telle enquête charrie inéluctablement. Comment déterminer qu’une altercation entre deux personnes soustend un relent discriminatoire ou xénophobe ? Est-il possible de dire avec certitude si quelqu’un appartient à telle ou telle confession ? Autant d’interrogations qui ont poussé certains lecteurs à s’élever contre un sondage qu’ils considèrent biaisé et forcement orienté. Lundi, les journalistes du JDD se sont retranchés derrière la direction du journal, affirmant qu’ « ils n’avaient aucune nouvelle d’elle depuis la publication ».
on observe une baisse de la crédibilité des médias de l’ordre de 7 % environ », explique Patrick Eveno, professeur à la Sorbonne et président de l’Observatoire de déontologie de l’information, dans une interview sur RMC. Un phénomène déjà observé en 1995, après les grandes grèves, mais aussi en 2002 avec la percée de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles. C’est par rapport à Internet que l’opinion publique se montre la plus perplexe, notamment en matière de crédibilité. A contrario, elle pense que la radio est le média le plus fiable. Pour Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles interviewé par Jean-Jacques Bourdin sur RMC, cela s’explique par le fait que c’est « un moyen d’information essentiellement factuel et qui donne la parole aux auditeurs ».
l PAR ANTHONY DENAY
l PAR MARION BORDIER
Le sondage du JDD du 31 janvier 2016, sur les préjugés ethniques et religieux, a fait débat. © Radio France
OÙ FRANCE TÉLÉVISIONS VA-T-ELLE CASER SA NOUVELLE CHAÎNE D’INFO ?
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endant que les équipes de France Télévisions travaillent toujours sur la programmation de sa nouvelle chaîne d’information en continu prévue pour septembre prochain, une question technique reste sans réponse. Selon Le Monde, la question de l’emplacement de la future chaîne d’information nationale pose problème. Plusieurs possibilités sont envisagées pour la petite dernière de l’entreprise du service public. Delphine Ernotte, la dirigeante du groupe audiovisuel, a déclaré vouloir une diffusion hertzienne.
Quelle sera la place de la future chaîne d’information de France Télévisions ? © Wikimédia
Actuellement, tous ces canaux sont occupés, mais la future compression des images, qu’offre le passage à la haute définition, permettra de glisser la chaîne dans de nouveaux espaces. Ce bricolage force cependant à réduire la qualité visuelle de la chaîne compressée, ce qui peut nuire à l’audimat, voire la rendre indiffusable. En second lieu, la chaîne d’information prendrait la place stratégique de France 4, placée devant ses concurrentes. Cette dernière occuperait alors la position de France Ô, qui récupérerait les espaces vacants. Autre solution envisagée, implanter la chaîne sur le canal 23 de la TNT. Cette hypothèse reste plus qu’incertaine, car la question de la propriété de l’emplacement sera soumise au jugement du Conseil d’Etat d’ici fin mars. l PAR NICOLAS BROUSTE
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LES TÉMOINS S
pectateurs privilégiés de l’Histoire, les photoreporters représentent une communauté à part au sein de la sphère journalistique. L’œil vif, l’esprit aguerri, ils ont la lourde charge de raconter le monde en images. Un exercice loin d’être aisé qui nécessite un recul sur les événements et une psychologie accrue pour comprendre l’histoire de ceux qu’ils rencontrent. De la colère de plusieurs milliers de personnes dans les rues de Paris, comme lors des manifestations contre le mariage homosexuel en 2013, à la détresse et l’espoir de populations minées par la guerre, à l’image de ce qu’il se passe en Syrie et en Irak, les photoreporters tentent de saisir l’émotion de la scène à laquelle ils assistent. Malgré la nécessité de leur travail, la vente de leurs reportages se transforme bien souvent en long chemin de croix face à des rédactions trop prudentes. Aujourd’hui, leur quotidien au service de l’information oscille entre frustration et précarité. Entre instinct professionnel et humanité, ils sont en première ligne sur le terrain. PAR MAXENCE FABRION
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REPORTERS DE L’HISTOIRE
isme : Photojournal la réalité r e r u t p a c e l’art d p.10
isme offre l a n r u o j o t o h » « Le p ard unique g e r e d r u e t une len p.13
n le récit d’u , r a j n i s à s De pari n publié reportage no p.14
preuve de Irak : A l’é tion l’administra p.16
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DOS SIER
PHOTO L’ART DE
Les photoreporters n’ont qu’un souhait : donner à voir le monde. Un monde dans lequel les rédactions leur donnent de moins en moins de place, faute de moyens. Pourtant, sans eux, les migrants en route vers l’Occident ou les peuples en guerre depuis trop longtemps n’auraient pas de visage. l PAR MARION BORDIER
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eptembre 2015. La photographe Nilufer Demir tombe sur le corps sans vie d’un petit réfugié syrien : Aylan. Le cliché fait le tour du monde. Dès lors, des particuliers réalisent les démarches pour accueillir des migrants chez eux. Le pouvoir de l’image semble plus fort que jamais. Et ce, parce qu’elle donne du sens. A tous. Partout. « La photo stimule l’empathie par son message et son caractère universel. Peu importe le capital social et culturel de celui qui la regarde, s’il voit, il comprend », précise Natacha Chetcuti, sociologue et anthropologue rattachée au CEAFS (Centre d’Etudes et d’Actions-Formations en Sociologie). Au plus près de
cette force iconographique : les photoreporters. Portraits croisés de ces hommes qui, malgré les coups durs et l’instabilité du métier, continuent à informer et dénoncer par l’image. Parmi eux, Nnoman Cadoret, 27 ans, journaliste freelance. Mais aussi, Hugo Aymar, 26 ans, chignon vissé sur la tête. Il travaille pour l’agence Haytham Pictures. Quant à Louis Witter, 20 ans, il est membre de Hans Lucas. Tous représentent le photojournalisme d’aujourd’hui : un métier engagé. « Nous faisons cette profession pour de bonnes raisons. Ce n’est certainement pas pour l’argent mais plutôt pour les rencontres et l’adrénaline qui nous parcourt, de la tête aux pieds, à
Janvier 2016, les buldozers pénètrent dans la jungle de Calais pour détuire les « habitations ». Le portrait d’un homme qui se tient devant la sienne est immortalisé par le photoreporter Julien Pitinome. © Nnoman Cadoret
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chaque prise de risque. Lorsqu’on y goûte on a forcément envie de recommence », lance le vingtenaire qui ne sort jamais sans son appareil photo en bandoulière Ses premiers photoreportages, il les réalise en suivant la jeunesse nationaliste opposée au mariage pour tous. Nnoman Cadoret, lui, a saisi la portée de la photo alors qu’il était militant associatif : « J’allais dans des manifestations étudiantes et la violence policière que j’y ai vue m’a rendu dingue. Alors, j’ai décidé d’utiliser l’image pour défendre ceux qui subissaient la répression. » Quant à Hugo Aymar, il est entré à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble en 2008, avant de se lancer dans une licence d’Histoire puis d’intégrer l’Ecole des Métiers de l’Information de Paris. Un jour, il est tombé sur le vieux Reflex d’un proche et le lui a emprunté. Mais c’est après un stage en presse écrite qu’il s’est définitivement tourné vers la profession de photoreporter : « Je n’ai fait que du desk. Je voulais du terrain, du vrai, alors j’ai décidé d’allier photo et journalisme pour être au cœur de l’action. » En 2013, avec des clichés de la Zone à Défendre de Notre-Dame-desLandes, il remporte le prix du public au grand prix du photoreportage étudiant de Paris-Match. Tous trois sont passionnés par leur métier. Un métier souvent confronté à l’horreur de l’humanité et où la mort reste une vieille connaissance croisée tout au long de leur (courte) carrière. Pour Louis Witter, c’est arrivé en Ukraine : « J’étais dans une ambulance lorsque le chauffeur nous a dit de nous baisser. Il s’est mis à faire des zigzags pour éviter les balles des militants pro russes. Je me suis presque fait dessus tant j’avais la trouille. » Par chance, il s’était vu prêter un gilet pare-balles et un casque en acier. « Plus tard, ils
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JOURNALISME : CAPTURER LA RÉALITÉ nous ont bombardés au phosphore blanc, ce qui m’a valu des problèmes aux poumons ». Cette trouille, Nnoman Cadoret l’a connue un soir de Ramadan, en 2014, en Palestine : « Vingt mille personnes étaient réunies à Ramallah. C’était une des plus grandes manifestations jamais organisée depuis la création de l’Etat palestinien, alors j’y suis allé. Soudain, des rafales ont sifflé dans la foule mais je ne suis pas parti. » Et pourtant, le photoreporter freelance n’avait aucune protection : « Je n’arrêtais pas de me dire que c’était un boulot tellement mal payé que j’étais prêt à mettre ma vie en péril pour quelques photos .» Ses images n’ont même pas été diffusées. Une chaine d’information en continu était intéressée. Enfin, davantage par la gratuité que par les clichés… Alors le photographe a refusé. La gratuité ne fait pas vivre, ni même survivre.
PHOTOREPORTER : UN MÉTIER D’ALÉAS La photo coûte cher, c’est un fait. Il y a le matériel, les billets d’avion, les frais de fixeur, de traducteur, etc. « Les gens pensent qu’après le cliché c’est terminé. Mais 90 % de notre temps passé à travailler, c’est l’après capture. Il faut trier, parvenir à vendre et gérer ses factures seul », soupire Louis Witter. Il y a trente ans, c’était différent. A chaque voyage, les agences de photo finançaient les frais du reportage. A la fin, le reporter gagnait 50 % de la vente de ses clichés, réalisée par l’entreprise, et il remboursait 50 % de l’argent avancé. « Si le reportage se vendait mal, le photographe devenait débiteur vis-à-vis de la boîte. Il ne pouvait plus faire les reportages qu’il souhaitait », confie Jean-Paul Guilloteau, photographe pour L’Express durant vingt-neuf ans.
Été 2014. Cisjordanie, Ramallah, à quelques mètres du chekpoint de Kalandia. Comme des milliers de Palestiniens, cet homme manifeste contre la guerre à Gaza et l’oppression israëlienne. Il se cache le visage afin d’éviter d’être reconnu et arrêté par l’armée. © Nnoman Cadoret
Aujourd’hui, le métier semble rimer avec précarité. « Je gagne en moyenne 400 euros par mois avec les commandes aléatoires de journaux », explique Hugo Aymar. C’est peu pour payer un loyer, les factures ou même de quoi manger. « Les titres de presse savent pertinemment que si on refuse leur offre, ils trouveront quelqu’un d’autre. Ce sera peutêtre moins bon mais, en tout cas, ce sera moins cher », ajoute-t-il. Voilà qui justifie des prix d’achat de piges extrêmement bas. Nnoman Cadoret, lui, essaye de ne pas avoir de travail fixe, mais plutôt des missions, tel un intermittent : « Comme ça, si j’ai envie, je pars en reportage. Avoir une vie de famille ? Financièrement, ce n’est pas envisageable. » Malgré tout, ce mode de vie est un choix. Le jeune homme avait obtenu un CDI bien payé mais avait préféré démissionner. Conserver du temps pour ses projets photo était sa priorité.
LA PROFESSION S’ESSOUFFLE L’âge d’or du photojournalisme semble bel et bien fini. « La magnificence qu’a connu le métier
ne reviendra pas. En France, il y a une fausse idée selon laquelle, si on est photographe, c’est qu’on ne sait pas écrire », déplore Jean-Paul Guilloteau. Dans les années 80, il y avait Magnum, Gamma, Sigma, Sipa. Ces agences avaient une quarantaine de photoreporters, contre seulement deux ou trois aujourd’hui. « La relève de la profession est superbe mais on ne lui donne pas les moyens de bien faire », regrette-t-il. Les coupables de ce déclin ? Les images d’amateurs, les banques d’images gratuites et l’ère du numérique. « Au Parisien, les jeunes journalistes se voient confier un Iphone pour illustrer leurs articles. Parfois, je leur donne quelques-unes de mes images car j’ai pitié des leurs », rit Nnoman Cadoret. Bien que l’ancienne génération se montre pessimiste quant à l’avenir du métier, l’armée de jeunes photoreporters, elle, garde espoir. Et des mooks comme 6MOIS ou XXI les y poussent. « Certains médias ont saisi que les clichés de professionnels - et donc de qualité - apportaient de la plusvalue au support. Je crois que si la profession est dans une mauvaise
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PHOTOREPORTERS
passe, c’est parce qu’elle est en phase de transition entre le papier et Internet », espère Louis Witter. Pour Hugo Aymar, la situation s’améliore d’année en année : « En 2015 j’ai davantage gagné qu’en 2014 et davantage en 2014 qu’en 2013. » A ceux qui avancent que la photo amateur fait de l’ombre au photojournalisme, il répond non : « Ce n’est pas parce que tout le monde a un stylo que chacun sait écrire. Il en est de même pour la photographie. »
LES ENJEUX DU MÉTIER La pratique du photojournalisme peut déboucher sur des questions éthiques et morales. Des
critiques fusent après sa publication dans le New York Times. L’année suivante, l’image lui vaudra d’obtenir le prix Pulitzer américain. Quelques semaines après, il se suicidera. Bien que son décès ne semble pas directement lié aux multiples blâmes, capturer l’horreur est source de remise en question permanente pour les photoreporters. Que ce soit face à des gens dont la faim fait gronder le ventre ou à des militaires mettant en joue des civils. Louis Witter le fait à chaque reportage : « Je me demande toujours si je ne devrais pas lâcher mon appareil photo et aller aider ces personnes que je mitraille alors qu’elles sont
parvenir à rester sensible sans être chamboulé. » Peu importe la situation, il faut témoigner. Seulement, tout est dans la manière de faire : « Si on commence à tourner autour de la personne, à chercher la meilleure position, l’angle parfait et donc une forme d’esthétique, la limite du respect est dépassée. Parfois, il faut savoir rester sobre », complète le photoreporter expérimenté.
RETOUR À PANAME Après tant de « péripéties », difficile de reprendre sa vie « normale ». Souvent, les souvenirs du voyage restent vivaces. Un peu trop parfois. « Le 13 juillet dernier, Le 16 septembre, à Salzburg, un père tient dans les bras son fils inanimé. La frontière germanoautrichienne est fermée depuis peu. L’accès lui est refusé. © Louis Witter.
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interrogations qui se sont vues encadrées par la création de la National Press Photographers Association (NPPA) en 1946. Comment ? Par l’instauration d’une déontologie de l’image de presse, de sa réalisation et de sa publication. Personne n’a oublié le célèbre cliché de Kevin Carter datant de 1993. On y aperçoit un vautour guettant un petit Soudanais, recroquevillé sur lui-même, la peau sur les os. Le photographe avait confié avoir attendu une vingtaine de minutes que le rapace ouvre ses ailes avant de renoncer et de le chasser après avoir appuyé sur le déclencheur. Accusation de non-assistance à personne en danger et de voyeurisme : les
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dans le désarroi le plus total. La seule fois où j’ai craqué, c’était en septembre dernier. J’étais à la frontière germano-autrichienne. Elle venait d’être fermée. Un père tenait dans les bras son fils qui convulsait. Les gardes ne voulaient pas le laisser passer alors qu’il suppliait. Je l’ai pris en photo et j’ai croisé son regard. Un regard qui disait : « Bordel, arrête avec tes images à la con et aide moi ! ». Je me suis retourné. Mon pote et moi on pleurait. » Sentiment d’impuissance. Pas toujours simple pour de jeunes professionnels de ne pas laisser l’humain prendre le dessus sur le métier. Mais pour Jean-Paul Guilloteau, trop se projeter, c’est perdre en lucidité : « Il faut
le feu d’artifice a commencé et les détonations m’ont tout de suite replongé à Gaza. J’ai dû fermer la fenêtre », relate Nnoman Cadoret. « Au retour, j’essaye d’éviter de culpabiliser de tout ce que j’ai vu, des gens dans la misère laissés derrière moi. Pendant quelques semaines, je me renferme. Aux soirées - enfin quand j’y vais c’est comme si j’étais ailleurs, comme si j’étais resté là-bas. A partir du moment où on s’est investi dans un reportage, il nous suit pour toujours », ajoute le photojournaliste freelance. Peu d’attaches, quelques boîtiers, des centaines de voyages, de rencontres singulières qui hantent à tout jamais. Tel est le métier de photoreporter.
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Cachés derrière leurs appareils, les photoreporters saisissent la réalité. Une réalité qui se retrouve concentrée en quelques clichés dont ils prennent la responsabilité. Natacha Chetcuti, sociologue et anthropologue, livre les enjeux de ce métier et le pouvoir de son support : l’image. l PROPOS RECUEILLIS PAR MARION BORDIER Comment une photographie peut-elle avoir un impact sociologique ? Natacha Chetcuti : Par son message et son caractère universel, la photo stimule l’imaginaire, l’empathie. En touchant, elle peut ensuite susciter une réflexion, un engagement, une prise de conscience qui n’est pas toujours aussi évidente avec le texte. Elle offre du sens à celui qui la regarde. Peu importe sa langue, ses origines ou son capital social et culturel, il la voit, il la comprend.
En quoi le photojournalisme peut-il servir les peuples opprimés, brutalisés ? N. C. : Lorsqu’un cliché est réalisé dans une optique respectueuse, ce peut être très valorisant pour ceux dont la voix n’est portée par personne ou bien qui sont enfermés dans un rapport social d’infériorité. La photo leur donne une existence. Si la démarche est noble, le regard du spectateur se pose sans être intrusif.
L’image aurait-elle un pouvoir ?
N. C. : Bien sûr ! Un cliché s’adresse au registre de la sensation, du ressenti, de l’émotion. Il parvient à faire réagir car il s’adresse à l’âme du spectateur. On le voit bien avec la photo du petit réfugié syrien, Aylan, retrouvé mort sur une plage turque. Sa publication, en septembre dernier, a suscité de vives réactions. La classe politique, qu’elle soit allemande ou française, a décidé de mettre en place un plan d’accueil des réfugiés. Quant à l’opinion publique, certains ont engagé des démarches pour accueillir des migrants chez eux, d’autres ont changé leur regard sur la migration.
Mais cet engouement n’a duré que quelques mois… Pourquoi ? N. C. : De fait, aujourd’hui, il ne reste presque rien des politiques migratoires et des actes de solidarité envers les réfugiés. Certes, la photo fait réagir mais c’est sur un coup de tête. Elle peut provoquer une indignation, un choc ou de la tristesse, mais cet état ne dure qu’un temps. Ces sentiments sont aux antipodes d’une réflexion sur le long terme. Voila pourquoi, après avoir enfin raisonné, ce qui a été intrepris est à remettre en question.
Le photoreporter doit-il sans cesse remettre son travail en question ?
Natacha Chetcuti, sociologue et anthropologue © Anna Dzanghiryan.
N. C. : Oui, car la profession comporte des enjeux éthiques spécifiques. Le photoreporter doit montrer la réalité du quotidien mais il est nécessaire qu’il se demande sans cesse où est la limite de l’acceptable, du publiable. Pour le cliché d’une femme lapidée, par
exemple, la question de la morale se pose. Qu’est-ce qu’on peut donner à voir et à ne pas voir ? Tel est le problème. Mais c’est aussi le cas pour des scènes politiques, de manifestation, de guerre, de mort. Tout dépend du contexte, de la manière de photographier et de l’intentionnalité du message.
Et, dans l’idéal, à quoi doit ressembler cette intentionnalité ? N. C. : A une visée humaniste, ce dont font preuve la majeure partie des photoreporters d’ailleurs. Mais avec la concurrence, la pression des groupes de presse, des agences, c’est difficile de rester intègre, de ne pas mettre en scène, de ne pas à tout prix chercher le « scoop » ou de ne pas truquer les clichés. Et donc, de respecter, jusqu’au bout, les personnes photographiées.
A l’ère du numérique et des images à profusion sur le Web et à la télé, la photo professionnelle a-t-elle encore sa place ?
N. C. : Oui, même si elle souffre de la concurrence des photos amateurs et des reportages vidéo. Le photoreportage « pur » s’en différencie par son extraordinaire portée ethnographique et politique. Il réalise une enquête par l’image du mode de vie de populations opprimées. Et ce, à travers des détails du quotidien ou des portraits. Ce savoir-faire n’est pas supplanté par l’inflation du cinéma ou de la télévision. Le photojournalisme offre une lenteur du regard unique. Par la force du réel, il amène à penser et plus encore, lorsqu’il n’est pas enfermé dans une spirale d’esthétisation.
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INTERVIEW
« LE PHOTOJOURNALISME OFFRE UNE LENTEUR DE REGARD UNIQUE »
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TÉMOIGNAGE
DE PARIS À SINJAR :
Je passe au-dessus d’un barrage à Sinjar.
J’ai vingt ans, je suis photoreporter freelance. En novembre, je suis parti réaliser un reportage auprès des forces kurdes en Irak, afin de témoigner de leur combat contre Daesh. Récit d’un travail qui n’a finalement jamais été publié. l RÉCIT DE LOUIS WITTER
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réparer un reportage, c’est le quotidien de tous les freelances. Partir en Irak ne se fait pas du jour au lendemain, en un claquement de doigts. En octobre 2015, deux amis de promotion et une consœur photojournaliste entrent en relation avec la représentation du gouvernement kurde à Paris, afin de se renseigner sur la faisabilité d’un reportage à Sinjar, une ville occupée par Daesh que les Kurdes veulent tenter de récupérer. De mon côté, je m’attèle à trouver un angle dans le but de susciter l’intérêt de rédactions. Je réfléchis à l’histoire que je souhaite raconter,
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© Léa Mandana
comment changer des récits déjà faits, comment intéresser un lecteur qui n’a jamais entendu parler de cette région, ni de ce qui s’y passe. J’appelle des journalistes qui sont déjà allés sur place, qui connaissent la région ainsi que sa situation. Je lis quelques bouquins de militants proches du PKK et je regarde des documentaires réalisés par la presse étrangère ainsi que le travail des journalistes citoyens des environs. Ma grande difficulté est de me projeter sur le terrain et d’avoir un plan, une idée structurée. Je n’aime pas tout savoir sur ce qui m’attend quand je pars en reportage. Il est plus intéressant, à mon sens, de découvrir l’endroit et d’y trouver l’histoire que l’on veut raconter une fois arrivé sur place, au fil des rencontres. Mais cette méthode demande du temps, ressource que je n’aurais pas cette fois-ci. Je pars pour trois semaines, dont un peu plus de sept jours dans la ville même de Sinjar. Déjà en amont, je contacte des rédactions, peu de quotidiens, mes sujets s’approchant plus du format magazine. Des récits assez longs, des images auxquelles je veux
tout de même laisser de la place. Des dizaines de mails présentant mon sujet partent vers la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique ou encore le Canada. Ce sujet me tient à cœur, je vise donc large. Des rédactions françaises, je n’aurai aucun retour ou presque. Elles me répondent : « Tenez nous au courant, mais on ne peut pas s’engager à vous prendre quelque chose vu que vous partez dans une zone à risque. Voyons-nous à votre retour ! »
DES RÉDACTIONS FRILEUSES Toujours le même problème des rédactions : elles ne peuvent plus et ne veulent plus assumer les risques que représente un journaliste freelance (qui plus est, inconnu au bataillon) en zone de conflit armé. Je dois malgré tout composer avec cela. Mes tentatives de commande tombent à l’eau, je n’ai plus qu’à espérer décrocher une publication post-reportage. C’est un pari risqué, mais le jeu en vaut la chandelle. Mes piges précédentes en France ou à l’étranger m’ont permis de mettre un peu d’argent
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UN REPORTAGE NON PUBLIÉ de côté et je trépigne d’impatience entre quatre murs à Paris. Je me fixe un plafond de dépenses de 1 500 euros, tout compris, pour le logement, l’avion, l’achat d’un casque et d’un gilet pare-balles, le paiement d’un chauffeur, d’un fixeur et d’un traducteur. Si aucune rédaction ne veut de mon papier ou de mes photos, tant pis, ce qui se passe là-bas est historique, je veux en être coûte que coûte et pouvoir le raconter avec mes images. Le 17 novembre, je vérifie une dernière fois ma boîte mail, je passe encore quelques coups de fil aux rédactions, au moins pour les prévenir que j’y suis et que s’ils en ont besoin, je me tiens à leur
ramène en tout et pour tout environ mille photos, pour une sélection large qui s’approche des soixantedix clichés et une sélection plus serrée d’une dizaine d’images. Le retour à Paris est rude, comme à chaque fois que je reviens de loin. Pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir une série de photographies qui raconte une histoire, où les images ont un lien entre elles et où les traitements sont cohérents. Je le montre à des confrères et des consœurs habitués et expérimentés. Selon eux, le sujet est publiable, même s’ils me soumettent leurs critiques de personnes habituées à ces terrains délicats.
L’actualité nationale fait de l’ombre aux sujets internationaux, c’est une erreur de ne pas y avoir pensé en amont. Dans toutes les rédactions auxquelles je tente de soumettre mes reportages, je reçois la même réponse : « Sujet trop pointu », « ça ne parlera pas assez à notre lectorat », « ça ressemble un peu trop à la prise de Kobané, il n’y a pas d’information nouvelle. » Ce sont donc des refus dans tous les cas, sans parler de l’attitude – rageante et désarmante – de cette rédaction qui refuse poliment mon idée pour finalement la traiter en interne, avec ses propres journalistes qu’elle dépêche sur place. Mon travail ne sera finalement jamais publié. Il y a plusieurs raisons à cet échec : mon manque d’expérience, mon manque de « belle histoire dans l’Histoire » et mon manque de réseau. A vouloir traiter l’actualité trop largement, je me suis sûrement éparpillé sur place en abordant trop de sujets sans y passer le temps nécessaire pour les approfondir et en saisir pleinement les enjeux.
« UN SENTIMENT DE TRISTESSE, MÊLÉ DE COLÈRE »
Je me déplace parmi les ruines de Sinjar, aux mains de Daesh pendant plusieurs mois. © Léa Mandana
disposition. Je monte dans l’avion à destination de Diyarbakir, en Turquie, où nous prendrons un bus pour arriver en Irak.
UN BRUTAL RETOUR À LA RÉALITÉ A la suite de trois semaines de reportage, je me lance dans le long editing de mes photographies et dans la mise en forme de mes quelques prises de notes. Contrairement à d’autres reportages de news, je n’ai pas, cette fois-ci, mitraillé à tout-va. J’ai pris mon temps avant de déclencher, j’ai réfléchi avant chaque prise. Je
Ainsi commence le second round avec ces énormes machines aux rouages bien huilés que sont les grandes rédactions parisiennes. Il faut refrapper aux portes, repartir à l’attaque, proposer à nouveau son sujet, être convaincant, ne pas se laisser abattre par les anciens qui ont l’habitude des petits jeunes et qui les regardent avec une once de mépris, prouver que ce reportage servira, qu’il sera lu et que les gens, au moins, sauront quelle est la situation là-bas. Grosse erreur de ma part, je n’avais pas anticipé les élections régionales qui mettent alors les rédactions sens dessus dessous.
Plus que la frustration de ne pas vendre mon sujet, je suis pris d’un sentiment de tristesse, mêlé de colère. J’ai l’amère impression d’avoir trahi ceux qui m’ont accordé du temps, ceux qui m’ont ouvert leurs portes, ceux qui ont pris des risques pour m’accompagner, pour donner à voir aux journalistes ce qui se passe là où ils se trouvent. Ne pas pouvoir publier mon reportage, c’est également perdre ma raison d’être allé là-bas. Voir, c’est bien. Mais donner à voir, c’est mieux. Lorsque je suis revenu de ce reportage, on m’a demandé si j’allais un jour revenir en Irak. Je me suis promis d’y retourner bientôt afin de continuer à témoigner de l’avancée de ces femmes et de ces hommes dans leur lutte contre Daesh. J’y retournerai donc, que je sois publié ou non.
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PHOTOREPORTERS
IRAK : A L’ÉPREUVE DE En novembre, je suis parti en Irak avec trois confrères dans l’optique de réaliser des reportages sur la communauté yazidie et sur les femmes combattantes. Avant d’arriver à nos fins, nous avons dû faire face à l’administration gouvernementale kurde pour obtenir nos autorisations. l PAR PIERRE-YVES BAILLET
Un photographe réalise le portrait de deux combattants kurdes dans la ville de Sinjar, en Irak.
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ontacter le gouvernement kurde est la première chose à faire. Dans l’Etat fédéral d’Irak, la région du Kurdistan est autonome, ce qui lui octroie certains droits comme l’attribution de visas, ou encore la possibilité de fonctionner en dehors du cadre juridique du gouvernement central. Cette situation permet aux citoyens français de bénéficier de deux semaines sur le sol du Kurdistan d’Irak, sans visa. Une chance pour nous. Allan Kaval, correspondant du Monde au Moyen-Orient, connaît bien les démarches à suivre : « Il n’y a pas besoin de visa pour le Kurdistan. Si j’ai besoin de rester longtemps sur place pour mes articles, je prends une carte de séjour. » En revanche, dans certains cas, aller enquêter sans visa de travail peut s’avérer risqué, comme l’explique Olivier Berger, reporter à La Voix du Nord : « Il faut évaluer les avantages et les inconvénients d’une demande
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officielle d’un visa de presse, plus encadré mais plus sécurisé. Avec l’armée française, comme cela m’est arrivé en Afghanistan ou au Mali, le visa professionnel est obligatoire. » Maître Alain Weber, avocat au sein du cabinet Henri Leclerc, précise : « Le fait de venir dans un pays sous un autre motif que celui d’un reportage fragilise la position du journaliste. Si un Etat veut lui créer des ennuis, il utilisera ce motif, souvent avec une mauvaise foi complète. » Nous décrochons un rendez-vous à la représentation du gouvernement régional du Kurdistan à Paris, auprès de Barzan Faraj. Au cours de l’entretien, nous expliquons que nous sommes étudiants sans carte de presse ni accréditation ou lettre de mission. Pour aider à la réalisation de notre projet, il nous remet un document officiel demandant aux représentants du gouvernement (policiers, militaires ...) de nous
© Zoran Marinovic
porter assistance pour notre reportage. Pour plus de sécurité, nous montrons patte blanche au Quai d’Orsay en nous signalant au service Ariane (service pour les personnes partant sur des zones à risques). Un acte de bon sens pour Olivier Berger : « Il est sans doute préférable de se déclarer auprès des autorités françaises par l’intermédiaire de la plate-forme Ariane ou directement auprès du consulat. » Maître Alain Weber ajoute : « Et paradoxalement, le fait de se signaler aux autorités augmente la sécurité mais permet au régime de mieux surveiller et contrôler le journaliste. Moins exposé aux risques mais moins exposé à la vérité. » C’est armés du seul document fourni par Barzan Faraj que nous prenons l’avion. Direction Diyarbakkir dans l’est de la Turquie, d’où nous prenons un bus pour l’Irak. Dès le lendemain de notre
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L’ADMINISTRATION arrivée à Dohuk, capitale régionale, nous poursuivons nos démarches. Accompagnés d’un traducteur de fortune, notre chauffeur de taxi, nous nous rendons à la prochaine étape, les bureaux du gouverneur de Dohuk. Nous nous élançons alors à travers un dédale de couloirs. De bureau en bureau, d’étage en étage, chaque fonctionnaire rencontré nous renvoie vers un autre. Notre impatience et notre agacement commencent à se faire sentir. Au bout de deux heures de supplice, un officiel nous reçoit. Il
ni carte de presse, ni lettre de mission, il souligne que les risques sont plus importants lorsqu’on travaille sans rédaction derrière soi. Une opinion que partage Olivier Berger : « Lors d’un reportage à l’étranger ou en France, l’avantage principal d’un salarié par rapport à un freelance est évidemment la sécurité financière. La Voix du Nord, par exemple, contracte une assurance spéciale (rapatriement, blessures, décès) quand il envoie un journaliste sur un terrain à risque. Le reporter en question peut aussi
Berritan (à droite), combattante kurde du Rojava, dans une rue de Sinjar. © P.-Y. Baillet
nous informe que la signature du gouverneur ou du vice-gouverneur est nécessaire pour nos laissez passer. Bien entendu, aucun des deux n’est présent. On nous demande alors gentiment de revenir dans quatre jours.
UNE ADMINISTRATION INDOLENTE La seconde tentative pour obtenir nos accréditations a, elle aussi, échoué. Cette fois-ci, nous sommes envoyés, dès notre arrivée, en direction du bureau de la presse. Fawaz Mirani, le chef du service presse, nous assomme de questions. Voyant que nous ne possédons
travailler avec plus de recul et de sérénité qu’un pigiste qui doit financer son déplacement et aller le plus loin possible pour vendre son reportage. C’est pervers : les décès réguliers de journalistes sur des zones de conflit sont en général ceux de freelance. » Finalement, M. Mirani nous explique les démarches à suivre. Pour franchir le poste de contrôle du Sinjar, il faut l’accord du bureau de la presse, la signature du gouverneur et le feu vert des services de renseignements, l’ASAICH. La première condition est remplie facilement, M. Mirani nous donne son accord et nous indique la direction du bureau du gouverneur. A notre arrivée, il se saisit de la
feuille officielle et la paraphe sans poser une seule question. Devant les officiers du renseignement, c’est une autre paire de manches. Nous regardant d’un air stoïque, ils nous laissent exposer les détails de notre reportage. Suite à ce court exposé, c’est avec un grand sourire et sans se justifier, qu’ils refusent de nous donner la permission de rejoindre le Sinjar. C’est déçus et amers que nous reprenons la route de l’hôtel. Leur refus importe peu. En route pour le check-point, nous décidons de traverser malgré tout. Et là encore, choux blanc. Nous passons six heures sur place à tenter de convaincre les gardes, à demander de l’aide à tous nos contacts. Aucun ne semble avoir la volonté ou la possibilité de nous aider. Mais l’officier n’accepte pas de nous laisser passer sans l’accord de ses supérieurs. Notre document, fourni par la représentation du gouvernement régional du Kurdistan, n’est pas d’une grande aide. C’est dépités, sur le chemin du retour, que nous tentons notre dernière chance. Sur les conseils d’un autre journaliste, nous contactons un fixeur pour lui expliquer notre situation. Le lendemain, nous le retrouvons, au poste de contrôle, accompagné d’un reporter croate. Il lui suffit d’un coup de téléphone pour que l’officier nous laisse passer. Zoran, le journaliste des Balkans, nous conseille de toujours procéder de cette de manière. La réflexion nous semble des plus pertinentes. Ainsi, sans autorisations officielles, nous commençons notre reportage. « Pour franchir ce check-point, je ne passe pas par la voie officielle. Mon fixeur, qui a des contacts hauts placés, s’occupe de les appeler pour que les soldats nous laissent passer », confie Allan Kaval. Malgré la fatigue accumulée durant ce pénible combat face aux fonctionnaires kurdes, c’est remplis d’enthousiasme que nous passons le check-point. Certains de ne jamais oublier ces derniers jours pour nos prochains reportages.
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PHOTOREPORTERS
QUATRE CLICHÉS COMMEN Une commandante (à gauche) des Unités de résistance de Sinjar (YBS) salue l’une de ses subordonnées. Le YBS réunit à la fois des Kurdes et des Yézidis. Ces unités de défense sont entraînées et soutenues par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Cette photo me touche particulièrement. Elle montre deux femmes qui se sont libérées de leurs carcans religieux et culturels. Les liens qu’entretiennent ces femmes guérilleros entre elles sont des plus surprenants. La hiérarchie est toujours présente, mais elle n’est nullement semblable à ce que l’on peut trouver en Occident. Elles sont très proches et tactiles. Si proches, que leur complicité frôle, dans certains cas, la relation filiale.
© Pierre-Yves Baillet
Par Pierre-Yves Baillet
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© Charles Thiefaine
ENTÉS PAR LEURS AUTEURS
Cette photo a été prise au pied des monts Sinjar au nord-ouest de l’Irak alors que je rejoins un petit village pour rencontrer une famille yazidie. Le soleil s’enlise derrière la montagne au moment où je saisis la photo, dégageant ainsi une lumière irrégulière et crépusculaire. Une technique photographique qui permet de mettre en valeur le sujet traité : de jeunes enfants jouant dans une carcasse de voiture. Par Charles Thiefaine
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© Louis Witter/ Hans Lucas
PHOTOREPORTERS
Des réfugiés tentent de traverser la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche le mercredi 16 septembre 2015. A cet instant, je prends conscience du drame humain qui se joue. Ce ne sont pas deux ou trois personnes. Ce sont des milliers, voire des dizaines de milliers, de gens que je vois passer chaque jour devant mes yeux. Sur le pont qui relie les deux pays, je perçois cette marée humaine. C’est à ce momentlà que je déclenche. Par Louis Witter
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© Louis Witter/ Hans Lucas
En juin 2015 dans l’est de l’Ukraine, un concert est organisé pour les soldats du bataillon Dnipro One sur la dernière position de la ligne de front. Nous sommes à quelques centaines de mètres des séparatistes prorusses. De loin, je pense que ce soldat effeuille naïvement une pâquerette mais je me rend vite compte que ça n’est pas le cas : il se nettoie les ongles avec son poignard de combat. Captivé par cet instant de repos avant la reprise des bombardements du camp d‘en face, je sors mon appareil et appuie sur l’obturateur.
© Louis Witter/ Hans Lucas
Par Louis Witter
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NOUVEAUX DÉFIS
LA VOIX DU NORD À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU SOUFFLE En septembre 2014, les abonnés de La Voix du Nord ont découvert une nouvelle version de leur quotidien régional. Un changement initié par les dirigeants et encouragé par les lecteurs pour donner une nouvelle dynamique au journal, fragilisé par la concurrence et les difficultés économiques. l PAR ANTOINE GRASLAND
L
a presse écrite et notamment la presse quotidienne régionale connaissent depuis quelques années des difficultés (perte de lectorat, concurrence, contexte économique difficile), et La Voix du Nord ne passe pas à travers les mailles du filet. Mais le premier groupe de presse au nord de Paris s’est remis en question et a ainsi décidé de changer son fusil d’épaule. En 2011, La Voix du Nord tente un coup : une « médiamorphose ». Accusant une baisse de 2,5 % de ses ventes à l’époque, le
groupe expérimente une nouvelle stratégie, prenant en compte la puissance croissante de l’information numérique dans les différents médias. « Nous devons maintenir nos positions en diffusion papier tout en enrichissant notre offre éditoriale sur Internet », déclarait à ce moment-là JeanMichel Bretonnier, rédacteur en chef de La Voix du Nord. En 2013, le canard commence déjà à se métamorphoser en répartissant ses plus de 350 journalistes au sein d’une rédaction bi-média. Au cours de ces dernières années,
Dans ses locaux de Lille, le quotidien régional s’adapte à l’ère du numérique pour conserver son lectorat. © Maxence Fabrion
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les entreprises de l’information ont vécu des bouleversements importants, jadis expertes dans leur domaine, aujourd’hui toutes concurrentes entre elles sur la toile.
UN RENOUVEAU POUR FAIRE REVENIR LE LECTORAT Après cinq ans sans véritable changement au niveau du design, le 9 septembre 2014 a marqué un tournant pour La Voix du Nord. La mutation la plus marquante concerne l’édition papier et sa nouvelle formule : une maquette innovante plus aérée, une mise en valeur approfondie des photos, une priorité donnée à l’accessibilité avec une lecture plus agréable grâce à des articles plus courts. La Une a été revisitée avec une seule grande photo pour illustrer le sujet du jour et le logo est devenu bleu sur un fond blanc. « Les 20 premières pages ont été rendues plus toniques, afin de prendre connaissance de l’actualité du jour, puis la seconde partie du journal a été plus approfondie avec du grand reportage (NDLR : régional, national ou international) et du décryptage », indique Marco Verriest, chef d’édition à la rédaction locale d’Arras. Le deuxième changement majeur a affecté le choix des sujets et leur traitement : « Les sujets sont traités différemment, avec un nouveau ton, moins d’institutionnel et avec plus d’informations qui touchent la vie quotidienne des lecteurs. Comme le commerce, la consommation, l’emploi, le social, les déplacements, la santé, les conseils municipaux, les affaires au tribunal », explique Marco Verriest. Le journal a tout de même investi trois millions d’euros dans l’instauration et l’adaptation des rotatives au nouveau format et 500 000 euros en opérations
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Évolution de la diffusion en France sur 5 ans pour le journal La Voix du Nord. Depuis 5 ans, il y a une baisse importante mais un peu stabilisé sur l’année 2014-2015.
commerciales de promotion. Un coût total qui avoisine les quatre millions d’euros pour le lancement de cette nouvelle formule.
UN PARI PERDANT
Une transition difficile qui présente une prise de risque, essentielle pour répondre aux attentes des lecteurs en faisant des choix éditoriaux, et surtout « rester un quotidien régional tout en gardant notre force : la proximité », appuyait Jacques Hardoin, directeur général du groupe La Voix lors de la mise en place du projet. L’objectif était de ne pas tout révolutionner mais de
changer le rythme du journal, tout en conservant le prix (1,10 euros) et le nombre de pages (52 en moyenne). Avec 231 833 diffusions papier en moyenne par jour en 2015 selon l’OJD, l’effet de ce renouveau n’est pas réellement perceptible avec une baisse de 3,31 % par rapport à 2014. Avec un abonnement numérique fixé à 19,50 euros, la diffusion web a quant à elle connu quelques éclaircies, notamment sur les statistiques des pages visitées par mois, comme en témoigne la hausse de 4,25 % en décembre 2015 par rapport à la même période l’an passé. « Avec l’abonnement numérique,
MÉDIAMORPHOSE : LE JOURNALISME À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE
L
e journalisme en ligne, ou « médiamorphorse », a émergé au milieu des années 1990. Il s’est développé à grande vitesse, offrant ainsi une diversification et une temporalité inédite dans le traitement de l’information. Le terme « médiamorphose » est surtout approprié pour les journaux qui ont ajouté du contenu en ligne, en supplément de leur édition papier. Mais c’est au début des années 2000 que beaucoup de journaux en France ont commencé à développer une vision à long terme de l’information numérique, comme en témoigne l’apparition des sites web LeMonde.fr en 1996, LeFigaro.fr et NouvelObs.com en 1999. Par ailleurs, les sites web amateurs se sont mis à concurrencer les sites professionnels, chacun ayant une façon de travailler différente dans des domaines et des spécialités de toute sorte pour toucher un lectorat précis. Pour les journaux traditionnels, ce fut une véritable révolution, c’était une manière singulière de traiter l’information, beaucoup plus brute, rapide et instantanée. Cette recherche absolue de l’instantanéité a entraîné une perte de la fiabilité de l’information.
© OJD
c’est plus simple, on peut directement voir l’information. Les pages Facebook et Twitter des rédactions relayent à tout moment de la journée les actualités locales, ce qui est plus pratique afin de s’informer sur le sujet que l’on veut. Plus besoin d’acheter le journal tous les jours, je peux l’avoir directement sur mon ordinateur ou mon téléphone portable », détaille Pauline Demsar, une jeune abonnée de 23 ans qui ne jure plus que par son journal numérique. Certes, le contenu a changé mais ce n’est pas pour autant que le journal se vend. Le résultat escompté n’est pas au rendez-vous. Alors afin de poursuivre son développement, le groupe continue d’enrichir son contenu numérique. Après le sport et l’économie, deux ou trois thèmes supplémentaires visant à répondre à d’autres besoins vont être mis en place courant 2016. Le journal papier garde toute sa légitimité mais ce n’est plus l’objectif principal. La Voix du Nord cherche toujours à améliorer son dispositif global : le produit en lui-même et la manière dont l’information est délivrée sur le numérique. Dans cette optique, les lecteurs attendent des évolutions complémentaires dans le contenu, telles que des animations, des vidéos ou encore du son. Ce sont les prochains objectifs sur lesquels veut miser La Voix du Nord pour compenser ce qu’elle n’arrive pas à engendrer avec l’édition papier. Le contexte de la PQR est toujours compliqué, mais celle-ci essaye tant bien que mal de survivre et de se diversifier, même si les efforts réalisés ne produisent pas toujours les résultats attendus.
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JOURNALISME SPORTIF
GRÉGORY SCHNEIDER, LA CAUTION SPORT DE LIBÉ
Qui est Grégory Schneider, le « Monsieur sport » de Libération ? Comment faiton pour imposer son style et sa passion dans l’ombre de l’encombrant journal L’Equipe ? En racontant une histoire, à l’en croire. Portrait. l PAR ANTHONY DENAY
L
e rendez-vous est avancé de trois quarts d’heure. Initialement programmé à 15h pétante, c’est d’un ton pressé et assuré que Grégory Schneider m’informe qu’il vient d’arriver dans les locaux de l’ISCPA. 14h15, le temps de serrer une main ferme et d’échanger quelques politesses de circonstances, et nous voilà installés autour d’une table ronde. Pas facile de dégoter un coin silencieux dans un campus en ébullition. L’œil pétillant, cette grande silhouette à la voix grave et au ton exalté engage la conversation. Pas de round d’observation, d’égarement ésotérique ou de portes ouvertes maladroitement enfoncées. L’homme a des choses à dire et n’y va pas par quatre chemins. Le sport est sa passion. Ça se lit sans ses yeux, un sourire en coin se dessine sur son visage à chaque anecdote distillée. Il est en revanche plus évasif en ce qui concerne le parcours l’ayant conduit à exercer « un vrai métier de passion ». « Je suis ingénieur agronome de formation. Rien à voir avec le journalisme, donc. J’ai ensuite travaillé pour Orange et Wanadoo avant d’atterrir au Figaro.fr. J’ai commencé le journalisme dans la culture avant d’être assigné au service des sports de Libération ». Une trajectoire tout sauf linéaire.
« A LIBÉ, ON N’A NI INTÉRÊTS, NI DEALS »
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Dans le microcosme de la presse sportive française, un nom revient de façon lancinante : « L’Equipe ». Fondée en 1946 sur les cendres de feu L’Auto, cette institution du paysage journalistique s’est
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imposée comme la référence en termes d’opinion sportive. Une sorte de Graal pour les apprentis journalistes avides de narrer les épopées des grands champions. Malgré cette vitrine aguicheuse, les salariés de L’Equipe sont soumis au diktat de leur actionnaire Amaury. Un groupe qui organise par ailleurs Le Tour de France, compétition cycliste phare dont le quotidien sportif fait ses choux gras chaque été. De là à y déceler un conflit d’intérêt évident, il n’y a qu’un pas.
« POUR UN CANARD GÉNÉRALISTE, IL FAUT TRAITER LE SPORT SOUS UN PRISME DIFFÉRENT » Que Grégory Schneider se décide à franchir. Il met en avant sa capacité à être un franc-tireur, une liberté que lui délègue la direction de Libération justement car le journal n’est pas spécialisé dans le sport. Il peut aborder l’envers du décor sans restrictions. « A Libé, on n’a ni intérêts, ni deals ». Et d’embrayer sur le Tour de France : « Sur ce type d’événements, L’Equipe, qui propose par ailleurs une vraie qualité de reportages et d’analyses, est logiquement plus corseté. Nous, on peut mettre ce que l’on veut, les acteurs s’en foutent, étant donné que Libé n’est pas spécialisé dans le sport. Ils (L’Equipe) sont dans un jeu de pouvoir auquel nous échappons. Il est compliqué d’écrire sur une compétition dont l’organisateur est
l’actionnaire du journal pour lequel on écrit (le groupe Amaury). Moi, je me verrais embêté de devoir écrire sur mon actionnaire. Pour clore le sujet, je dirais juste que les journalistes de L’Equipe savent beaucoup plus de choses que nous mais peuvent en dire beaucoup moins ».
LES « RACAILLES DE KNYSNA » ET L’ESPRIT DE COUBERTIN Comment un quotidien généraliste comme Libération traite-t-il le sport sans se prendre les pieds dans le tapis, ni empiéter sur les plates-bandes du mastodonte du groupe Amaury ? En l’abordant sous un angle différent, à en croire Schneider. Le sport n’est alors plus qu’une pelote de laine dont on déroule des fils d’intrigue mêlant portrait, économie ou creuset social. L’essentiel étant de faire « différent », de se démarquer de ses concurrents en racontant une histoire, un parcours, un destin. La vie, en somme. Une méthode qui tranche avec les tableaux de résultats et les réactions technico-tactiques d’entraîneurs davantage centrés sur le terrain que sur l’humain. « Pour un canard généraliste, il faut traiter le sport sous un prisme différent : l’argent, le pouvoir, le regard des autres, la jeunesse, la compromission. Il faut viser la portée générale ». De cette approche sociétale découle des prises de positions parfois à contre-courant des idées reçues. « Les racailles de Knysna* » ? Pas si simple. Lui y voit plutôt une bande de gamins sans repères, auxquels on réclame des choses qu’ils ne sont pas en mesure de
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Grégory Schneider broie du noir
donner. « Il faut bien comprendre que ces jeunes sont sollicités de partout. Le fric, les sollicitations, les femmes vénales avides de notoriété sont le quotidien de ces mecs-là. Avec les réseaux sociaux et la médiatisation à outrance, la difficulté est multipliée par 100. C’est très injuste de leur tomber dessus à la moindre incartade ». Quant à Ribéry, il le voit comme un « bon petit mec » élevé dans une cité de Boulogne-sur-Mer (Nord-Pas-de-Calais), à l’enfance difficile et aux antipodes des codes de la mondanité et du langage châtié auxquels on lui demande de se plier. L’argent qui polluerait l’esprit sportif ? Tout n’est qu’intérêts financiers, selon lui, inutile de berner le lecteur avec de belles histoires à la pureté illusoire. L’esprit de Coubertin à l’épreuve du pragmatisme et de la financiarisation massive du sport ? Bienvenue au XXIe siècle ! Une nouvelle donne que Schneider s’évertue à décortiquer et à transmettre sans ambages.
« QUAND JE RENCONTRE UN GARS, JE NE LA LUI FAIS JAMAIS À L’ENVERS » Cette manière de travailler réserve de belles rencontres et des instants inscrits dans la mémoire pour toujours. Schneider évoque son
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interview de Gelson Fernandes (milieu international suisse du Stade Rennais) comme un moment poignant, à tel point que le joueur partagera sur Twitter le papier qui lui est consacré. L’air ému, il se remémore le parcours de ce joueur déraciné qui s’est révélé au plus haut niveau sur le tard. Même chose avec les deux jeunes joueurs de l’OGC Nice Jordan Amavi et Mouez Hassen : « Deux petits mecs d’à peine 20 ans, pas du tout préparés à l’exercice de l’interview. A la fin du rendezvous, Hassen m’est tombé dans les bras et m’a remercié. Quand je fais la rencontre d’un gars, je ne la lui fais pas à l’envers. Je suis là pour le mettre en valeur, raconter son histoire, mais en aucun cas pour le trahir. Et ça, beaucoup le ressentent. » Il évoque également sa rencontre avec Claude Puel (entraîneur de l’OGC Nice), un personnage plus aguerri au milieu de la presse. « Je l’ai rencontré à un moment où il se faisait chahuter par les supporters et avait envie de parler. Il m’avait invité à bouffer, on est restés ensemble pendant deux heures et demi. Il était très bon en communication, tout en nuances, jamais provocant. Il me faisait bien comprendre que nous, les journalistes, ne comprenions rien au rôle d’un coach. »
Malgré toutes ces rencontres enrichissantes, un papier, un seul, lui trotte dans la tête depuis un bon moment. Un portrait qu’il rêverait de réaliser. Celui de la roumaine Mihaela Melinte, une lanceuse de marteau contrôlée positive à la nandrolone alors qu’elle s’apprêtait à disputer les qualifications de sa discipline durant les Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Pourquoi avoir envie de raconter son histoire ? Parce qu’elle est atypique et parle de notre temps. « Je rêverais de me poser quatre heures avec elle dans son petit appartement de Bucarest et qu’elle me raconte ce qu’elle est devenue. » Il dénonce le fait que le comité olympique roumain souhaitait, à l’époque, montrer patte blanche vis-à-vis du CIO (Comité International Olympique) et suspendait à vie les athlètes contrôlés positifs. « Dans la même veine, j’ai fait le portrait de Fouad Chouki, un champion d’athlétisme, contrôlé positif au meeting de Saint-Denis en 2003 et suspendu dans la foulée. » Le rendez-vous touche à sa fin. Le temps pour moi d’évoquer son invitation à l’émission « Répliques » animée par le philosophe et nouvel académicien français Alain Finkielkraut. « On m’avait prévenu que c’était un peu le conservatoire de la culture française. Finkielkraut est un type qui adore le foot. Il ne te contredit pas, il te fait briller. Je ne suis personne pour refuser une invitation comme celleci, ils reçoivent des écrivains, des sommités … C’est comme si on vous mettait un tampon « intellectuel ». » Après avoir bien rappelé que c’est le média qui fait le journaliste et non l’inverse, l’homme vêtu de noir de la tête aux pieds se lève pour prendre congé. Fin du rendez-vous.
*En 2010, durant la coupe du monde de football en Afrique du Sud, les joueurs de l’équipe de France avaient refusé de descendre du bus pour aller s’entraîner. Ils entendaient ainsi protester contre l’exclusion du groupe de leur coéquipier Nicolas Anelka.
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JOURNALISME SPORTIF
LE JOURNALISME EN QUÊTE
Scandale de la FIFA, dopage dans l’athlétisme, paris truqués au tennis… Autant d’affaires révélées par des médias étrangers. Pourtant, l’investigation n’est pas absente du journalisme sportif français, elle y est simplement moins présente qu’ailleurs. La dynamique pourrait même s’inverser dans les années à venir. Décryptage. l PAR MAXIME BERTHELOT
en surface : « J’ai déjà entendu des collègues me dire : “Vous, à Stade 2, vous êtes là pour foutre la merde”, se souvient Nicolas Geay, journaliste au service des sports de France Télévisions et commentateur sur le Tour de France. Ces personnes-là confondent leur métier avec celui d’attaché de presse… »
UN PROBLÈME DE LÉGITIMITÉ Il faut dire que le journaliste sportif a longtemps souffert d’un manque de crédibilité vis-à-vis de ses confrères généralistes. Il serait trop passionné pour prendre le recul nécessaire à l’analyse d’un milieu toujours plus politisé. Déjà en 1989, Jacques Marchand, un
ancien de L’Equipe, écrivait dans son ouvrage La Presse sportive (CFPJ) : « Il s’agit de reconnaître le journaliste sportif comme un journaliste de l’information qui connaît les techniques de collecte et de communication, tout en étant spécialiste du sport. » En 1957, l’Union syndicale des journalistes français (USJF 1) a même été créée dans le but de construire la légitimité de la profession. Aujourd’hui, malgré la place grandissante du sport dans la société, ce déficit d’image persiste : « Sans vouloir tomber dans la caricature, beaucoup de journalistes sportifs sont avant tout de grands passionnés qui exercent leur métier en tant que fan, observe Romain Verley,
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a scène se passe à Zurich, en Suisse, en plein scandale de la FIFA. Walter De Gregorio, porte-parole de l’instance suprême du football mondial, vient de conclure sa conférence de presse. Après avoir répondu aux journalistes, il s’apprête à quitter la salle lorsque Marc Sauvourel et Frédéric Roullier, reporters pour l’émission Enquêtes de foot diffusée sur Canal +, décident de l’interroger à l’écart : « Frédéric essayait d’en savoir plus car la FIFA venait de nous servir le baratin habituel », raconte Marc Sauvourel. Avant de poursuivre : « Je le filmais lorsqu’un confrère de l’agence Reuters est venu m’interpeller : “Ce n’est pas bien ce que vous faites. C’est à cause de gens comme vous qu’on n’a plus d’infos !” Ce à quoi je lui ai alors répondu : ‘’Et c’est à cause de gens comme vous que l’on ne fait plus d’info”. » Cet échange est révélateur de la fracture qu’il existe au sein des médias sportifs. Il y aurait ceux qui creusent et ceux qui restent
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Affaire Armstrong, Qatargate, FIFA... Malgré les barrières, les médias sportifs français tentent d’enquêter. © Photos DR. Montage Maxime Berthelot
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SPORTIF D’INVESTIGATION journaliste pour Cash Investigation et auteur de deux numéros de Complément d’enquête : Lance Armstrong, les secrets d’un parrain (mars 2013) et Platini, l’homme qui aimait le pouvoir (novembre 2014). Ils travaillent dans un milieu verrouillé où ils côtoient quasi quotidiennement leurs sources. C’est pourquoi beaucoup préfèrent ne pas se griller. » Eric Mugneret, fondateur du magazine spécialisé L’Enquête Sport, dont le premier numéro est paru en septembre 2015, regrette lui aussi cette proximité : « Un collègue m’a déjà expliqué qu’il était au courant d’une affaire sur un joueur mais qu’il n’en parlerait jamais car c’était un ami. Comment voulezvous que les choses avancent… » Peut-être en se dotant de moyens financiers et éditoriaux nécessaires pour y parvenir.
UN RETARD À RATTRAPER Lorsqu’on y regarde de plus près, le constat est sans appel. Les derniers scandales ayant secoué le monde du sport n’ont pas été révélés par la presse sportive française. La corruption à la FIFA ? Le journaliste écossais Andrew Jennings en parlait déjà en 2006 dans son livre Carton rouge ! Les dessous troublants de la FIFA (Presses de la Cité) ; le dopage au sein de la Fédération russe d’athlétisme ? Le spécialiste de la question s’appelle Hans-Joachim Seppelt et travaille pour la chaîne publique allemande ARD. L’attribution frauduleuse des Coupes du monde de football ? Le journal allemand Der Spiegel émettait déjà des doutes en 2006 lors de l’organisation de la compétition en Allemagne. Et quand les médias français publient des révélations sur le monde du sport, il s’agit le plus souvent de médias généralistes. L’affaire des quotas de joueurs de couleur
« EN FRANCE, LA CULTURE DE L’INVESTIGATION N’EST PAS DÉVELOPPÉE »
en équipe de France de football ou encore celle de la sextape impliquant les footballeurs Mathieu Valbuena et Karim Benzema ont respectivement été publiées par Mediapart et Le Monde. Alors comment expliquer ce retard ? « En France, la culture de l’investigation n’est pas développée. D’une manière générale, on a peur de s’attaquer aux puissants, analyse Antoine Grynbaum, journaliste freelance et auteur de Football et politique : les liaisons dangereuses (JeanClaude Gawsewitch, 2010) et Président Platini (Grasset, 2014). Le milieu du sport s’est institutionnalisé mais il reste pour beaucoup porteur de rêves. Dès lors, il apparaît difficile de dénigrer un spectacle que l’on vend. » Car c’est là que le bât blesse. On ne peut parler du retard français en matière d’investigation sans aborder la question des moyens financiers. Il faut du temps pour enquêter, et le temps – c’est bien connu – c’est de l’argent. « En 2007, l’ARD, chaîne du service public allemand, a consenti à créer une cellule de cinq journalistes spécialisés dans le dopage pour assister HansJoachim Seppelt », explique Nicolas Geay. Et d’ajouter : « Lors des révélations sur le dopage de Lance Armstrong, nous avions les mêmes informations qu’eux mais pas les mêmes moyens pour en rendre compte. » Outre-Manche, les choses sont encore plus simples, les journalistes n’hésitant pas à payer leurs sources pour
avoir des infos. Pour exister, les médias sportifs français sont donc forcés de s’adapter : « Nous privilégions les reportages à destination du grand public, avec davantage de pédagogie que de scoop », admet Nicolas Geay. Pour Marc Sauvourel de Canal +, il s’agit surtout de « faire bouger les lignes éditoriales ».
NOUVELLE GÉNÉRATION CONTRE NOUVEAUX ACTIONNAIRES Malgré le manque de moyens financiers, la presse française a cependant déjà été à l’origine de plusieurs révélations. En 2005, Damien Ressiot (cf. encadré) publiait dans L’Equipe les résultats d’analyses d’échantillons d’urine positifs à l’EPO 2 prélevés sur Lance Armstrong lors du Tour de France 1999. Plus récemment, les journalistes Eric Champel et Philippe Auclair faisaient la Une du magazine France Football (numéro du 29 janvier 2013) pour leur enquête sur les conditions frauduleuses de l’attribution du Mondial 2022 au Qatar. La volonté d’enquêter serait donc au moins aussi importante que les questions financières. L’évolution de la société, tournée vers toujours plus de transparence, devrait également démocratiser l’investigation dans les années à venir : « Les gens ne supportent plus l’impunité dont jouissent les puissants, constate Frédéric Roullier, 25 ans, il y a donc un engouement pour l’investigation car les gens veulent savoir. Le succès de notre émission le prouve ». Avec 300 000 téléspectateurs en moyenne pour chaque numéro, le magazine Enquêtes de foot, diffusé sur Canal+, est aujourd’hui le deuxième programme préféré des abonnés de la chaîne cryptée. Pourtant, ce qui fut au départ un vrai choix de la rédaction, appuyé
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Ressiot, ils étaient polyvalents, parlaient tous trois langues et maîtrisaient parfaitement les réseaux sociaux. Mais ils n’avaient pas la grinta nécessaire pour enquêter. Il faudrait mieux former les jeunes à l’investigation. » Pour son magazine L’Enquête Sport, Eric Mugneret a de son
« IL FAUDRAIT MIEUX FORMER LES JEUNES À L’ENQUÊTE »
côté fait appel à des journalistes qui viennent d’horizons divers : « L’idée est d’apporter un regard nouveau, de casser le moule », admet-il. Reste cette lame de fond,
bien présente, qu’il faudra accompagner pour qu’elle ne vienne pas se briser sur le premier actionnaire mécontent venu : « Toutes les chaînes se mettent à l’enquête, la presse sportive, autant qu’elle le peut, se met au format long », note Antoine Grynbaum. Avant de conclure : « J’enseigne à des étudiants en journalisme et j’observe qu’ils ne voient plus le sport comme un simple spectacle dont il faudrait analyser les résultats. Ils ont conscience que le sport n’est plus tout rose. Il faudra du temps, peutêtre une dizaine d’années, mais j’ose espérer que l’investigation a de l’avenir. » 1 En 1958, l’USJF devient l’Union des journalistes de sport en France (UJSF). 2 L’EPO, ou érythropoïétine, est un produit dopant.
DAMIEN RESSIOT, DE L’EQUIPE
A A SAVOIR
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par une nouvelle génération de journalistes, est aujourd’hui freiné par Vincent Bolloré et la nouvelle direction du groupe Canal : « Avec l’arrivée de beIN Sports en 2012, Canal+ a perdu les droits de retransmission de plusieurs compétitions, décrypte Frédéric Roullier. La direction des sports de l’époque a alors décidé de favoriser le reportage puis l’enquête. Ainsi, l’émission Enquêtes de foot a vu le jour avec comme credo de ne pas craindre de se faire des ennemis. » Raté. En septembre 2015, après la diffusion du numéro OM, la fuite en avant ? dédié au mercato estival mouvementé vécu par le club marseillais, les choses se sont corsées : « Les dirigeants de l’OM ont appelé la direction de Canal pour se plaindre de notre travail, poursuit Frédéric Roullier. Cette dernière a immédiatement retiré l’émission de la plateforme de vidéo à la demande. La raison évoquée : “Un reportage injustement partial” et “l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire pour froisser les partenaires.” Mais notre travail était solide. Nous avons même contacté la direction de l’OM qui a refusé de nous répondre. » Marc Sauvourel va plus loin : « Le vrai problème est ailleurs. Canal diffuse la Ligue 1, donc l’Olympique de Marseille. Or, on ne critique pas une compétition dont on a acheté chèrement les droits. Cet exemple témoigne de la réorientation qui est en train de s’opérer dans le monde des médias : toujours plus de concentration entre les mains d’une poignée d’actionnaires. » Depuis, les deux compères et leur équipe travaillent sur des sujets moins brûlants, sans avoir abandonné leur soif d’enquête. L’arrivée d’une nouvelle génération de journalistes pluridisciplinaires, et surtout moins complaisants envers le monde du sport, est donc en train d’impulser une nouvelle dynamique dans les médias sportifs français. L’investigation, ou du moins la volonté d’en faire, s’impose petit à petit, même si beaucoup de chemin reste encore à parcourir : « Lorsque j’étais à L’Equipe, les jeunes journalistes étaient formatés, raconte Damien
À L’AGENCE ANTI-DOPAGE
près 25 ans passés à L’Equipe dont 15 en tant que spécialiste du dopage, Damien Ressiot a abandonné sa carte de presse en juin dernier. Depuis octobre 2015, il est directeur des contrôles pour l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) : « Je ne suis pas parvenu à prouver que le dopage existe dans le football, le rugby ou encore le tennis, confie- t-il, c’est un aveu de faiblesse de ma part. Et puis je voulais faire autre chose. » Pourtant, c’est à lui que l’on doit les premières preuves de dopage de Lance Armstrong publiées en 2005. Et ce ne fut pas toujours facile d’enquêter : « Madame Amaury, propriétaire de L’Equipe mais aussi d’Amaury Sport Organisation, société propriétaire du Tour de France, intervenait souvent sur la ligne éditoriale du journal. Elle s’en servait comme un support événementiel. Heureusement, ma direction m’a toujours soutenu. » Titulaire d’un DU dopage obtenu à l’université de Montpellier, il espère maintenant profiter des nouveaux moyens techniques mis à sa disposition pour continuer à lutter contre ce qu’il considère comme « un vrai problème de santé publique ».
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2B2M, LE RAVAIL ME ÉPRIS DU T M O H N U C E V S AFFAIRES. RENCONTRE A LE R U O P T C N INSTIN BRES ET DOUÉ D’U SOCIÉTÉ D’OM E N U , M 2 B 2 E STRUIT FONDATEUR D AURER A CON M ÎT O N E B , S E ET DE LUMIÈR IS LEQUEL ? UN EMPIRE. MA l PAR CLOÉ ARRAU
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endez-vous pour un déjeuner au Eat Instution, petit restaurant rue de Charonne, à Paris, connu pour « ses “dates” semigastronomiques » selon quelques clients. Derrière la vitrine violette, les verres de vins sur les tables en bois et les lumières tamisées nous plongent dans une ambiance sobre et élégante. L’endroit est idéal pour un rendezvous professionnel. C’est dans ce petit restaurant chic de quartier que débarque Benoit Maurer, créateur des agences de presse et d’édition 2B2M et Imho, toutes deux basées à Paris.
WORK ADDICT
Benoît Maurer chef d’édition et des publications ainsi que fondateur de la société 2B2M. © Cloé Arrault
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Cheveux en bataille et le teint pâle, la première approche avec Benoît se fait autour d’une cigarette rapidement consumée. Le froid sans doute. Mais les gestes ne trompent pas. Tout juste sorti du bureau, cet homme de 39 ans ne donne pas l’impression de pouvoir se défaire de sa matinée de boulot. Pourtant, lorsque la serveuse nous demande ce que l’on veut boire, Benoît ne rechigne pas sur une « petite bière, mais légère aujourd’hui ». A la cool sans l’être vraiment, un verre à la main, il ne s’est pas laissé le temps de se dévêtir pour commencer l’entrevue. Manteau noir et écharpe au cou, il laisse entrevoir un petit pull quelques minutes après s’être assis autour d’une table. « Je prends des vacances mais je suis une personne qui n’arrive pas à se défaire de son travail », explique le trentenaire, avant de reprendre, « Je suis très curieux, même lorsque je suis en week-end, avec ma famille, quand je vois quelque chose qui m’intéresse, je relie ça au travail et je cherche des idées. » Père d’une fille de cinq ans, répondant au nom d’Iris, entre famille
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et entreprise, le jeune éditeur ne semble s’accorder aucun instant de répit.
CRÉATION D’UN EMPIRE C’est en 2008 qu’il crée la société 2B2M avec un ami. Le nom de l’entreprise est d’ailleurs une combinaison de leurs noms de famille, « A l’époque c’était à la mode, on n’a pas vraiment réfléchi », explique-t’il. Après avoir fait des études d’histoire de l’art à Nancy, Benoît s’est vite tourné vers le métier de journaliste, « Tous mes amis écrivaient, ils étaient freelance. J’ai commencé comme ça. Mais surtout dans l’univers des mangas. » Pourtant aujourd’hui, il dirige l’une des plus grosses compagnies en termes de nombre de titres vendus en kiosque. L’éditeur a donc laissé tomber la plume pour devenir chef d’édition et des publications. Ses titres : des magazines musicaux dédiés aux adolescentes. « On a 16 titres teenages. Tous commencent avec le mot « star », par exemple, Star Gloss, Star Inside etc. », précise l’éditeur. Ingénieux et méticuleux, l’homme a suivi son instinct : « J’ai tout de suite compris que ça allait marcher. Les adolescentes, notre cible, adorent acheter les magazines qui parlent de leurs artistes préférés », précise Benoit. Et l’agence ne fait pas que dans la musique. 2B2M édite aussi des magazines de jeux vidéos, de sport ou de manga comme Japan Live, Minecraft, Kaboom et Runners.
LA PRESSE ADOS TOUCHÉE PAR LA CRISE Leader sur le marché de la presse musicale pour adolescents, chaque numéro se vend entre 20 000 et 60 000 exemplaires. Ces magazines, les provinciaux en sont très friands. « A Paris, les ados recherchent des groupes américains et australiens. Dans
le reste de l’hexagone ce sont les artistes français qui ont la cote », détaille Benoît. Produits, imprimés et distribués à bas coût, les magazines se vendent entre deux et quatre euros. « Pour un support dédié à un chanteur ou une chanteuse uniquement, nous sommes passés de 27 000 ventes à 7 000. Ce sont les magazines multi artistes qui marchent. Mais puisque les gros groupes comme One Direction ou Violetta se sont arrêtés, les ados achètent moins les mags. C’est un peu compliqué depuis. Du coup, on a une sorte de roulement pour assurer une parution par semaine. On est en train de passer de bimestriel à trimestriel pour certains titres. On a observé une hausse de 10 à 20 % au niveau du chiffre d’affaires », indique Benoît. Des difficultés qui se sont répercutées sur le nombre de titres vendus et sur les journalistes. « J’ai dû licencier deux personnes, baisser le nombre de pages des mags de moitié et arrêter la publication de certains », confie Benoit.
TRAVAIL ET APÉRO : POUR OUBLIER ? Benoit Maurer décrit sa société comme un endroit où il fait bon vivre. Au programme, pour créer une bonne ambiance au sein de l’équipe : soirées, dîners, et apéros. « On est tous fans de mangas, que ce soit pour les filles ou pour les garçons. Tous les vendredis, on va faire des karaokés japonais dans le XVIIe arrondissement de Paris », raconte-t-il, amusé. L’éditeur se remémore même une soirée de bouclage : « Il était très tard. J’étais avec un journaliste et une maquettiste. On s’est descendu une bouteille de vin et un pack de bières. Et bien sûr, il y avait des curlys. On ne fait jamais sans ! » Tout joyeux, tout beau, le chef des publications nous vend du rêve. « Oui, on s’amuse, on fait souvent des apéros, des
karaokés, des restaurants et on va boire dans les bars. Mais nous ne sommes pas amis. Je pense que c’est impossible. C’est mon chef », nuance une maquettiste.
DES JOURNALISTES EN DIFFICULTÉS Dans les locaux de la société, il y a des contrats de professionnalisation mais aussi des CDI, en tant que maquettistes et journalistes. « Nous touchons l’équivalent d’un SMIC horaire », explique une personne en contrat « pro ». En ce qui concerne l’ambiance et les relations avec son supérieur, elle devient plus précise : « L’atmosphère est bonne mais il y a un décalage entre ce que pense Benoit et nous, les journalistes. Nous sommes souvent en conflit lorsqu’il y a une baisse des ventes ou quand il faut développer un format, une idée. Il ne voit pas les choses de la même manière. » Des points négatifs que l’éditeur avait oublié de soumettre. Et ça ne s’arrête pas là. Cinq freelances et une journaliste en CDI s’occupent de ces seize magazines. Pour les premiers, leur paie dépend du nombre de feuillets qu’ils écrivent. A raison de 35 euros brut par feuillet de 1 500 signes. Un tarif sous valorisé ? Un magazine d’indie/folk – dont on ne citera pas le nom – payait 26 euros le feuillet l’année dernière. Autant dire que les journalistes étaient rémunérés au lance-pierre. Chez 2B2M, les freelances peuvent atteindre l’équivalent d’un SMIC s’ils publient régulièrement des articles. Parmi eux, certains écrivent, trois articles par mois, d’autres, deux magazines par mois. Et encore faudrait-il qu’ils soient payés. L’un des freelances précise : « Je n’ai pas été payé depuis le mois de juillet. J’ai continué à écrire de temps à autre, soit une douzaine d’articles. Je devrais normalement recevoir mon virement début février. Mais c’est ce qu’on me dit depuis le mois de décembre… »
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PLURI-MÉDIA CONSTRUIT PAR BENOÎT MAURER
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MAIS POURQUOI « TOUT Un an déjà que Society a débarqué dans les kiosques. OVNI au sein d’une presse magazine news qui s’asphyxie, le « quinzomadaire » entend suivre le même chemin que ses aînés So Foot, So Film ou Pédale dont l’irrévérence commune symbolise une nouvelle génération de magazines. l PAR MAËLYS PEITEADO
C
’était il y a un an. Le 6 mars 2015. Society, premier « quinzomadaire » d’actualité générale débarquait en kiosques. « On a planqué nos noisettes pendant quelques années puis on a lancé notre bébé », se rappelle Franck Annese, directeur de So Press. « Nous voulions déjà faire un magazine sur tout, on en parlait en interne », ajoute Stéphane Régy, actuel corédacteur en chef du magazine, qui a rejoint le noyau dur de So Press à ses débuts après quelques piges pour Sofa, magazine culturel créé par Franck Annese en 1999. Dans la lignée des So Film, Pédale, Tampon et surtout So Foot (dont les prémices de Society se faisaient sentir dès les premiers numéros avec des sujets mêlant football et politique), l’un
des derniers nés de So Press souffle dignement sa première bougie. « J’adore faire des magazines », voilà ce que répond tout simplement Franck Annese quand on lui demande pourquoi il a choisi d’investir dans la presse papier qui subit de plein fouet la mauvaise conjoncture économique. Dix ans que l’on parle de crise de la presse, et pourtant ce diplômé de l’Essec (l’École supérieure des sciences économiques et commerciales) dirige sept magazines à ce jour. « Galaxie fourmillante » et « complexe », selon les mots du patron de presse peu conventionnel et hyperactif, la sphère So Press tient aussi une structure de production, un pool d’auteurs, deux régies publicitaires et le récent label de musique Vietnam. En plus des sites internet qu’elle édite, sofoot.
En mars 2015, le quinzomadaire Society va fêter ses un an. © Unes de Society/So Press boutique
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com et trashtalk.com, la maison va aussi bientôt « retaper » le site de Society, cantonné jusqu’alors au rang de simple vitrine malgré ses articles exclusifs. « Nous n’avons pas les moyens de faire un site très alimenté en plus du magazine », déplore Stéphane Régy.
DÉPOUSSIÉRAGE ÉDITORIAL Si Society séduit, c’est parce qu’il apporte un nouveau souffle à une presse magazine peinant à se renouveler. Entre les années 1960 et la fin des années 1990 pourtant, « plusieurs centaines de magazines voyaient le jour chaque année », souligne le sociologue Jean-Marie Charon, ingénieur d’études au CNRS. Puis la crise de la presse s’en mêle et la tendance s’inverse, empêchant ainsi le rajeunissement des titres. « La presse magazine évolue habituellement par le biais de nouvelles publications spécialisées ou à forte identité, sans ça les titres vieillissent avec leur public », observe ce spécialiste des médias. Par manque de renouveau, les nouvelles générations en recherche de partis pris délaissent les magazines. Il ajoute : « L’Obs, L’Express ou encore Marianne sont trop liés aux lecteurs qui les ont découverts et les pratiquent depuis des décennies. Society, lui, arrive dans l’idée de changer ça avec un ton irrévérencieux, une manière d’écrire et des sujets différents. » Ce mécanisme de rénovation, le groupe l’applique jusque dans sa propre rédaction. Si Society est encore dans la fleur de l’âge, son grand frère So Foot refait le monde du ballon rond depuis 2003 déjà. Prenant de la bouteille et accueillant toujours plus de
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LE MONDE LIT SOCIETY » ? Franck Annese à la Journée Magazine 2015 du SEPM. © Vincent Bourdon
« ne conviendrait pas du tout à la presse magazine classique comme l’Express », assure-t-il.
CURE DE JOUVENCE POLITIQUE
nouvelles plumes, So Foot a vu sa direction changer. Stéphane Régy a ainsi troqué son poste au mensuel pour l’équivalent chez Society. « Si on voulait continuer à être tous ensemble et donner une perspective commune il fallait passer la main », garantit le rédacteur en chef. Mais ce dernier n’est pas très loin. En plus de conserver sa place à la direction éditoriale de So Foot, comme Marc Beaugé, il partage les mêmes locaux que le reste de l’équipe So Press. Les journalistes y circulent de titres en titres, au gré de leurs inspirations et sensibilités. « C’est collégial, tout le monde participe », explique Stéphane Régy qui rêve d’encore plus de fluidité. A l’image de Maxime Marchon, qui occupe respectivement les postes de rédacteur en chef adjoint à So Foot et de journaliste dans les trois titres. Illustrant bien la dynamique interne aux allures de mercato et la polyvalence des petites mains de So Press, il se décrit sur Twitter comme étant :
« Frère de So Foot, cousin de Society et papa de Pédale ». Le ton Society est le même qui anime l’ensemble des titres de So Press : « raconter des histoires à hauteur d’homme avec une distance qui peut, parfois, tendre à l’humour », résume le créateur. Pour Guillaume Frappat, directeur adjoint du SEPM (Syndicat des éditeurs de la presse magazine), le bimensuel réussit à traiter aussi bien sujets généraux que « touchy », mais toujours avec ce style « impertinent et potache ». Chaque année le SEPM récompense les magazines innovants sur des critères de qualité d’écriture, de personnalité ou encore de pertinence. Il a récompensé So Foot en 2013. Si le jury du palmarès 2015, n’a pas encore été constitué, le cas de Society a tout de même déjà été évoqué par la direction. « Le périodique a réintroduit et remis en valeur la notion de reportage », considère Jean-Marie Charon. Avec des reportages aux « angles forts et intéressants », les journalistes s’expriment d’une manière qui
« Quatre grands titres », c’est le maximum que le marché du magazine news peut habituellement supporter, explique Jean-Marie Charon. Les places sont chères, « les grands titres marchent moins bien » et ce dernier devine « la condescendance » avec laquelle l’équipe a dû être accueillie par ses homologues à l’annonce du projet Society. « C’est sûr que Christophe Barbier n’est pas du genre à porter la casquette, mais Franck Annese n’est pas hors jeu pour autant », soutient le sociologue des médias (en référence à la visière éternellement vissée sur le crâne du patron de So Press). D’après Stéphane Régy, Society s’est plus fondé à l’instinct que sur une stratégie de diffusion : « On ne s’est pas dit qu’on ferait un OVNI ou pas, mais un magazine qui nous parle. Il n’y a pas vraiment eu de calcul ou de positionnement face aux autres titres ». Avec sa ribambelle de marmots, So Press a déjà fortement tâté le terrain en matière de niche. Mais aujourd’hui Society annonce une « ambition nouvelle », selon Guillaume Frappat.Très vite et au même titre que la concurrence, le magazine arbore des entretiens, parfois exclusifs, avec des hommes politiques majeurs. François Hollande, Christiane Taubira ou plus récemment Alain Juppé, se sont prêtés au jeu des interviews fleuves façon décontractée. Sortis de leurs habitats naturels, ces dirigeants bénéficient d’une image plus « cool » et de proximité avec un lectorat qu’ils n’ont pas l’habitude d’aborder. « Cela leur convient parfaitement, d’élargir leur public jeune avec qui il est plus difficile pour eux de communiquer. Alain Juppé, par exemple, prend ainsi les critiques sur son âge à contrepied », rélève Jean-Marie Charon. Sans être le projet initial de Society de participer à leur ravalement de
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SUCCÈS
façade politique, ces interviews prouvent que le périodique « n’est pas un média de second plan ». Au contraire, il est « capable d’imposer son plan éditorial à ces politiques tout en les attirant. » Franck Annese est plus catégorique : « Les papiers d’hommes politiques sont toujours relus par eux, et souvent très lissés. Nous autorisons la première pratique, pas la seconde. Puisque Society n’est pas “dans le petit cercle du monde politique”, les questions type “monsieur et madame tout le monde” de ses journalistes tendent vers “une franchise et un naturel qui brisent souvent les codes et obligent les hommes politiques à se découvrir un peu », justifie le directeur.
UN BILAN MITIGÉ
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Selon lui, la mission de base « d’imposer un nouveau titre fort dans le paysage de la presse française » est accomplie. « On a régulièrement fait événement et la qualité de Society a été partout louée », assure-t-il. « Petit frère » regretté du périodique, feu Snatch était lui aussi un magazine a forte portée générationnelle. « Leurs journalistes citaient souvent So Foot comme une source d’inspiration et nous travaillions régulièrement ensemble », ajoute Franck Annese dont la rédaction compte parmi ses rangs des anciens de Snatch. Le mensuel a mis la clef sous la porte à l’été 2015 après cinq ans de diffusion mais comme ne manque pas de souligner le patron de So Press, ils n’avaient pas les mêmes ressources. Society, lui, se vend à 50 000 exemplaires en moyenne. C’est 10 000 de moins que prévu car l’équipe avait sous-estimé la mauvaise santé du marché. Cependant son créateur reste confiant : « C’est très bien dans le contexte, mais nous voulons faire mieux et nous savons que nous pouvons ». Pas encore rentable donc. Le magazine espère le devenir d’ici à 2017 ou même avant, à en croire Franck Annese. A sa sortie Society avait dépassé la barre des 100 000 ventes avant de retrouver son rythme de croisière actuel. Derrière les 8 millions d’euros mis sur la table à son lancement : les actionnaires peu communs de
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Society, anciens joueurs de foot pour la plupart comme Vikash Dhorasoo et Edouard Cissé, mais surtout amis du patron. « Nous avons fait notre premier ‘‘conseil d’administration’’, au restaurant, sans PowerPoint. On a mangé, on a bu, on a ri, et c’était un super moment », confie Franck Annese. Avec « Quinzomadaire en liberté », sa baseline, Society annonce d’entrée de jeu sa tendance désinvolte. D’ailleurs Franck Annese l’affirme, les actionnaires « n’interfèrent jamais sur la ligne éditoriale des magazines ».
« MOI, MA MÈRE ELLE AIME BIEN » Society sort en kiosques un vendredi sur deux. Avec un rythme bimensuel aujourd’hui rare, le magazine marque sa particularité à lier long reportage et actualité récente. Stéphane Régy pense qu’un format hebdomadaire lui ferait « subir » l’actualité. En outre, cela demanderait davantage de journalistes. Un mensuel au contraire, serait moins « en prise avec le monde » donc trop en décalé. Pour Guillaume Frappat : « C’est courageux, cette périodicité est peu usitée donc le rendezvous moins lisible pour le lecteur. » D’où les campagnes de publicité
importantes de Society dans les points de vente pour imposer ce rythme. Qu’on aime ou l’on déteste, le périodique marque le regard des passants. Sa Une colorée, déconstruite et en pagaille un jour, laisse place à un style plus lisse et épuré le numéro suivant. Ces changements de couverture imprévisibles, à la limite de la schizophrénie graphique, portent à croire que le magazine cherche encore son identité visuelle. Or elle déjà toute trouvée. « Aucune couverture ressemble à une autre, pourtant on sait d’emblée que c’est Society », ajoute Guillaume Frappat. Mais alors, tout le monde litil vraiment Society comme le suggèrent les affiches du magazine ? « J’ai l’impression, même si ça reste assez générationnel. Mais moi, ma mère aime bien », s’amuse Stéphane Régy. Le groupe n’a pas encore lancé d’étude de lecteur mais la direction du quinzomadaire reçoit des retours de personnes d’âges très différents. D’autant plus que pour Franck Annese, son modèle est applicable à tous les sujets : « On pourrait même faire un super magazine sur le jardinage, j’en suis sûr. D’ailleurs, il y a bien deux trois personnes ici qui ont la main verte. Mais uniquement pour leur consommation personnelle… »
So Press édite à ce jour sept magazines.
© Maëlys Peiteado
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LE MOOK, UNE REVUE FUTURISTE
A l’heure où l’information en temps réel prime sur les analyses détaillées, les mooks changent les codes du journalisme. Ces revues trimestrielles voire semestrielles, remettent les bases du journalisme sur le devant de la scène. l PAR RAPHAËL GILLERON
L
e reportage est né en France avec des journalistes et écrivains de renom tels qu’Albert Londres, Joseph Kessel ou encore Charles Boissard. Ces personnalités ont fait naître une nouvelle forme de journalisme en allant enquêter sur le terrain, discuter et écouter les gens afin d’avoir leur ressenti. Cet esprit s’est progressivement perdu avec l’information en temps réel. Il y avait dès lors une nécessité à voir les bases du journalisme revenir au premier rang. Ce renouveau est arrivé avec les « mooks », contraction de magazine et de book. Ils s’agit le plus souvent de magazines très épais, avec de longs articles, des reportages exclusifs et un papier de qualité. Ce type de revue n’a pas une périodicité très fréquente, mais il a un contenu de qualité qui permet des analyses poussées sur les derniers événements en France ou dans le monde. C’est le cas de la revue Usbek & Rica spécialisée principalement sur la prospective, « Nous faisons de la vente de produits. C’est un braincontent, c’est-à-dire que l’on essaye d’expliquer le monde qui
arrive. Nous sommes dans un monde en transition et notre travail consiste à expliquer le basculement en cours et son impact positif ou négatif pour nous », explique le fondateur d’Usbek & Rica, Jérôme Ruskin.
LE MOOK, SIMPLE EFFET DE MODE ? « Le mot mook est, pour moi, avant tout un mot marketing, un appel d’air destiné à faire connaître ce nouveau type de format. Il n’y a pas un marché du mook en France », explique Jérôme Ruskin. Pour exemple, on dénombre en 2014 la parution de plus de 60 nouveaux mooks, pour tous les goûts, mais au rendement aléatoire. « L’exemple de XXI n’est pas à suivre, car c’est pour moi un accident industriel dans le bon sens du terme. Mais la réussite actuelle de ce mook est principalement due au fait qu’il y a à sa tête le meilleur du journalisme avec Patrick de Saint-Exupéry, ainsi que le meilleur de l’édition avec Laurent Beccaria », développe-t-il. De son propre aveu, l’objectif n’était pas de lancer un mook lorsqu’il
Usbek & Rica, une revue tournée vers le futur.
© Clément Roy
a décidé, en 2008, de fonder son propre magazine : « A la base, je me tournais vers un gratuit, mais avec la crise économique qui sévissait, j’ai compris que je ne pourrais pas. Le kiosque était très facile d’accès pour tout le monde, il était donc difficile de s’y faire connaître. Il me restait alors les librairies et cela me convenait bien. » Ce format privilégie l’enquête au long cours et le reportage, ainsi que l’esthétisme de la maquette. Cela rend captivante la problématisation entre journalisme et littérature.
L’ÉCONOMIE D’UN MOOK
La structure d’un mook est basée sur le fait de ne pas avoir de revenu publicitaire, il faut donc trouver d’autres solutions afin de pouvoir pérenniser la revue, sans pour autant revenir à la publicité. « S’il n’y a pas de publicité, c’est parce que nous avons un rapport aux marques et une démarche différente », estime le fondateur d’Usbek & Rica, « ce ne sont pas les marques qui viennent à nous pour proposer de nous aider financièrement en plaçant des encarts publicitaires, mais nous qui venons à eux. Le rapport est inversé par rapport aux autres magazines. » Cette notion économique n’est pas à oublier car il est prépondérant de pouvoir être rentable. Or actuellement, il faut vendre environ 15 000 exemplaires pour rentrer dans ses frais, un chiffre que peu de mooks réalisent. Le modèle se cherche encore, que ce soit au niveau du paysage littéraire ou de son format économique. Les mooks restent donc des exceptions car ils sont aujourd’hui les seules revues à démocratiser les grandes questions de société dans des ouvrages de qualité vendus en librairie.
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ÉCONOMIE
MÉDIAS : LES PATRONS Depuis plus de dix ans, industriels et financiers rachètent les médias à tour de bras. Le phénomène de concentration et les dangers qui en résulte deviennent de plus en plus évidents. Le journalisme, pilier de la démocratie, doit faire face à des conflits d’intérêts qui menacent son principe fondamental, la liberté. l PAR LEO CHABANNES DE BALSAC
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n 2015, le paysage médiatique s’est transformé à une vitesse record. Désormais, les médias français appartiennent à quelques industriels qui se comptent sur les doigts de la main. Vincent Bolloré a mis un pied dans la télé cryptée, l’info en continu et la presse gratuite ; Bernard Arnault, déjà à la tête des Echos et de Radio Classique, a pris Le Parisien sous sa coupe ; Mathieu Pigasse, coactionnaire du groupe Le Monde, a posé sa main sur Les Inrocks et Radio Nova ; Patrick Drahi a ajouté de nouvelles cordes à son arc médiatique avec la première chaîne d’information de France BFM TV, le groupe L’Express-Roularta, RMC et bien sûr un Libération en crise. Sans oublier Xavier Niel, patron de Free, qui, en plus du Monde, Télérama et Courrier international, s’est offert L’Obs. La plupart des rachats ont eu lieu en l’espace d’un an. Une rapidité phénoménale et effrayante.
DES HÉROS NON-MASQUÉS
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Si Patrick Drahi n’avait pas mis la main à la poche, Libération serait-il encore en vie ? Il est aisé de donner du mérite aux nouveaux magnats de la presse qui « sauvent » des titres en détresse. Pourtant les décisions prises par la suite ternissent rapidement l’image de héros qu’on leur confère. Survivre a un prix, et les médias tirés d’affaire en subissent les conséquences. Malgré des licenciements et des plans sociaux, les journalistes de certains titres rachetés résistent
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de leur mieux. Beaucoup quittent le navire par idéologie ou par dépit. Après l’arrivée de Xavier Niel à L’Obs, près de vingt journalistes sont partis. Chez Libération, ce chiffre est quadruplé. Le Syndicat national des journalistes (SNJ), créé en 1918, milite corps et âmes contre la concentration des médias.
« POUR LES INDUSTRIELS, C’EST PLUTÔT UN JEU DE MONOPOLY GRANDEUR NATURE »
Lors de son dernier congrès à Marseille en octobre 2015, il réaffirmait fortement sa position : « Nous dénonçons l’indifférence coupable des pouvoirs publics face à une nouvelle forme de concentration. Ces rachats par des milliardaires industriels n’ont d’autres objectifs que de museler et contrôler l’information, pilier de la démocratie. » Un appel parmi tant d’autres, resté sans réponse. Pourtant des preuves, il y en a. L’exemple de Canal+ est le plus flagrant. Dès son arrivée, Vincent Bolloré n’a pas hésité à congédier plusieurs postes clés de la chaîne : Nathalie Coste-Cerdan, directrice du département cinéma de la chaîne cryptée; Rodolphe Belmer, directeur général ; Ara Aprikian, patron des chaînes TNT
du groupe et les auteurs des mythiques Guignols de l’info, Lionel Dutemple, Julien Hervé, Philippe Mechelen et Benjamin Morgaine. Les places sont dorénavant réservées aux proches du nouveau patron. Après la censure de l’investigation, les Guignols ont bien failli y passer, considérés comme irrévérencieux par le groupe. Face à un tollé, Vincent Bolloré a préféré reculer et conserver le programme. Cette manoeuvre est tout de même à nuancer puisque l’émission, désormais diffusée en crypté, ne peut plus espérer les audiences d’antan et son sort demeure fragile. En septembre 2015, Canal+ refonte son prime-time. Le Grand Journal change de look et Maïtena Biraben remplace Antoine de Caunes. Quelques jours avant la première diffusion, Direct Matin publie une double page sur l’événement qui ne lésine pas sur les compliments : l’exprésentatrice du Supplément du dimanche est « professionnelle, bourrée d’humour et de simplicité », « elle entre dans la cour des grands ». Aucune surprise à la lecture de l’article puisque c’est le même Vincent Bolloré qui en est le propriétaire. Ce n’est pas la première fois qu’un magazine gratuit à grande diffusion vante les mérites des produits et placements du groupe dont il est issu. Pour les nouveaux magnats de la presse, acquérir un média est un atout de taille : ils représentent un outil d’influence majeur et un moyen de communication unique. Sous leur cape de héros se cachent un interventionnisme et une mainmise sur les médias.
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FONT LEUR MARCHÉ DASSAULT
DRAHI
Le Figaro - Valeurs Actuelles - CCM Benchmark
Libération - L’Express BFM TV - RMC - Zive
LAGARDERE
Paris Match - Elle Journal du Dimanche - Europe 1 - Europe 2 RFM - Nice Matin - MCM - Planète - Euro Channel - Public - Gulli
BOLLORE
ARNAULT
Les Echos Le Parisien
Canal+ - D8 - D17 - iTélé - Canalsat - Studio Canal Dailymotion - Direct Matin Direct Soir
PIGASSE
NIEL
Atlantico
BOUYGUES
TF1 - LCI - Eurosport - Histoire - Infosport TF6 - TV Breizh - NT1 - HD1 - TMC
Les Inrocks Radio Nova
PNB
Le Monde Télérama - L’Obs - Le Huffington Post Courrier international - Rue 89
© LCB/Photo : Karolina Grabowska
L’OMBRE DE LA PIEUVRE
Le paysage médiatique français est aujourd’hui un véritable labyrinthe. Pour les industriels, c’est plutôt un jeu de Monopoly grandeur nature. Un jeu dangereux dont les griffes se referment peu à peu sur la liberté de la presse et le droit à l’information. La sphère médiatique redoute une concentration qui étend ses tentacules telle une pieuvre face à un fatalisme inerte de ses acteurs et de la société. « On peut dire que la concentration des médias est terminée depuis la prise de contrôle du Parisien. Il ne reste plus grand chose sauf exceptions
comme La Croix ou L’Humanité. La presse régionale est elle-même compartimentée en famille comme celle de Bernard Tapie », conclut Jean Stern, journaliste, dans une interview donnée à Politis. Une petite lueur d’espoir émanant du gouvernement vient pourtant de s’allumer. Patrick Boche, député socialiste, a annoncé le 26 janvier dernier une proposition de loi visant à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ». Dans le texte, plusieurs points sont abordés, notamment la protection des journalistes contre les pressions de leur direction, en rappelant
les principes de la loi de 1881, ainsi que l’indépendance assurée des comités d’éthique. Enfin, la loi permettrait de forcer les médias à dévoiler annuellement l’identité des actionnaires. Ces mesures vont toutes dans le bon sens mais risquent de suivre le chemin des lois précédentes qui ont vu la plupart de leurs articles abrogés. Le gouvernement Valls tente de modérer les volontés hégémoniques de l’empire Bolloré-Drahi, tout comme celui de Pierre Mauroy avait menacé celui d’Hersant en 1984. L’avenir nous dira si la loi Boche connaîtra meilleure fortune.
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ÉTHIQUE
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE TIENT SES ANGES GARDIENS Tout au long de l’année, l’ONG Reporters sans frontières étudie la liberté de la presse dans le monde. Son travail ressort sous la forme d’un classement incluant 180 pays. Une étude tant médiatisée que redoutée par certains, et réalisée jour après jour pour une précision optimale. l PAR JULES FOBE
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éfendre la liberté de l’information à tout prix. Tel est l’objectif de Reporters sans frontières. Organisation internationale, elle est reconnue d’utilité publique en France et dispose d’un statut consultatif auprès des Nations unies et de l’Unesco. Chaque année, depuis 2002, RSF publie un rapport regroupant 180 pays. Celui-ci reflète le degré de liberté dont bénéficient les journalistes aux quatre coins du globe, ainsi que les moyens mis en œuvre par les Etats pour respecter et faire respecter cette liberté. Toutefois, il n’est pas un indicateur de la qualité de la presse. À chaque sortie, ce classement suscite de nombreuses réactions, aussi bienveillantes que craintives. « Evidemment que cela fait peur aux autorités », explique Samy Prem, responsable du classement depuis quelques mois auprès de RSF. Et de préciser : « Nous
En Asie comme en Afrique, le degré de liberté d’information est encore très faible.
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recevons des appels avant, pour influencer le rang qu’occupera un pays en question, et après, pour protester. » Samy Prem assure que les réactions peuvent être violentes : « En Turquie, par exemple, le président Erdogan nous a accusés d’être les complices des terroristes ». Ce n’est pas nouveau : l’information est directement visée lorsqu’il s’agit de contrôler le pouvoir et les mentalités.
DES MATHS POUR DÉCRYPTER LA LIBERTÉ DE LA PRESSE Ce classement en deviendrait ainsi quasiment obsessionnel. Pourtant, bien qu’il soit reconnu comme une estimation incontestable pour mesurer la liberté de la presse dans le monde, peu de citoyens savent de quelle manière, et surtout grâce à qui il est réalisé. Le mérite revient à un large réseau
© Reporters sans frontières
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Reporters sans frontières calcule deux scores différents, « ScoA » et « ScoB ». Le premier prend en compte le pluralisme (scorePlur), l’indépendance des médias (scoreInd), l’environnement et l’autocensure (scoreEA), le cadre légal (scoreCL), la transparence (scoreTra) et, enfin, les infrastructures (score Inf). Dans le second calcul, les exactions à l’encontre des journalistes sont ajoutées au résultat (scoreExa). Le plus faible des deux scores constitue le résultat final pour un pays donné. © Reporters sans frontières
de 150 correspondants de RSF (dix bureaux à l’international), ainsi qu’à l’appui de chercheurs, de juristes et de militants des droits de l’Homme. Par le biais de communiqués de presse diffusés par une équipe basée à Paris, ils révèlent au jour le jour toute exaction à l’égard des journalistes. Mais le plus important, c’est un questionnaire en 87 points, disponible en vingt langues différentes, qui leur est adressé tous les ans. « Une base de travail qualitative et quantitative », selon
Samy Prem, « s’appuyant sur une méthodologie extrêmement rigoureuse et complétée par des personnes compétentes de confiance ». De cette manière, rien n’échappe à Reporters sans frontières. Chaque question est reliée à une grande thématique, dont le score est compris entre 0 et 100. Dans un premier temps, l’organisme mesure le degré de représentation des opinions diverses dans les médias, le « cadre légal » régissant les activités
QU’EN EST-IL DE LA FRANCE ?
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n 2015, la France se situe à la 38e place. Sans spéculer sur sa place dans le classement à venir, « il faut rappeler que les évènements de Charlie Hebdo furent un drame exceptionnel : le jour noir pour la presse française en 2015 », note Samy Prem. La France doit s’attendre à des répercussions, bien que la chute « ne sera pas spectaculaire ». Et pour cause, il faut « tenir compte du fait qu’il s’agit d’attentats. » En effet, nous ne parlons pas ici d’un gouvernement qui s’est attaqué à la presse. Et cette 38ème place, à quoi est-elle due ? « Les lois sur le secrets des sources et les conflits d’intérêts peuvent expliquer pourquoi la France se situe aussi loin de pays comme la Finlande ou l’Allemagne », analyse le responsable de RSF. Dans sa formule actuelle, la loi du 4 janvier 2010, relative à la protection du secret des sources, stipule « qu’il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie ». Cette notion ambiguë de « motif d’intérêt public » expliquerait donc le retard de la France. En 2016, il serait temps de se doter d’une législation claire, sans que cette notion soit extensible au gré du contexte et de l’actualité.
journalistiques et les infrastructures soutenant la production de l’information. Ensuite, vient le tour de l’autocensure et de l’indépendance médiatique, soit la capacité d’exercer en toute liberté des pouvoirs politiques, économiques et religieux. Ces six thèmes sont additionnés (voir le calcul sur l’image ci-dessus) et constituent un premier résultat. Mais l’étude ne s’arrête pas là. Dans un second temps, RSF prend en compte les exactions ou violences à l’encontre des journalistes. Le résultat retenu pour un pays donné est le plus grand des deux scores. Cette méthode, appliquée depuis 2013, permet d’éviter que des pays où la presse est outrageusement contrôlée puissent bénéficier d’une remontée dans le classement, en raison de l’absence ou du faible nombre de violations relevées.
UN MALHEUREUX BILAN En février 2015, lors du dernier rapport publié, le constat est bien triste. « On observe une dégradation générale un peu partout », affirme Samy Prem. L’écart est malheureusement stable entre les pays en haut du classement et ceux en bas de l’échelle. Toutefois, il faut tenir compte du fait que les pays « les moins vertueux » le sont « de moins en moins ». Alors en 2016, à quoi peut-on s’attendre ? Pour le moment, les chances de voir la liberté de l’information s’améliorer dans le monde sont minces… Réponse au mois de mai, autour de la journée mondiale pour la liberté de la presse.
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FOCUS
LAURENCE TEXIER : L’ANTI-ROUTINE Ecrire des « mauvaises nouvelles » permet à certains journalistes d’éviter « le train-train » habituel. Témoignage d’une fait-diversière dont le travail sort de l’ordinaire. l PAR SELENA DJENNANE
L
aurence Texier a 31 ans. Marseillaise d’origine, elle est passée par Paris pour ses études de philosophie, puis de journalisme à l’ISCPA. Elle a ensuite travaillé pour OuestFrance et Le Télégramme, dans plusieurs agences locales du Finistère, entre 2010 et 2014. Laurence Texier est journaliste localière en poste à l’agence de Romorantin-Lanthenay pour La Nouvelle République depuis septembre 2014. Cette fonction l’a conduite à traiter régulièrement des faits-divers, en collaboration avec des collègues de l’agence départementale du Loir-et-Cher.
peut classer dans aucune rubrique préétablie du journal. Dans la presse quotidienne régionale, elle est en majorité composée d’informations de sources policières et de comptes rendus d’audiences de tribunal.
C’est quoi un « bon faitdivers » ? L. T. : Pour moi, le bon fait-divers est celui qui dépasse la « singularité » de l’événement qu’il raconte pour le transcender, dire quelque chose du monde et de la société dans lequel il s’inscrit. En ce sens, il me semble que même le fait-divers le plus insignifiant, sans ampleur nationale, peut offrir de très beaux articles. Dans mon cas personnel, j’ai récemment eu la « chance » de tomber sur l’époux d’une dame malade d’Alzheimer, dont on avait retrouvé le corps dans une rivière un soir où elle avait échappé à la vigilance de son mari. Je m’étais chargée du fait-divers il y a un an. Son mari a accepté de témoigner.
Il m’a raconté le déroulé de la soirée du drame, mais surtout son quotidien. La difficulté de voir son proche perdre la mémoire, le fait que l’on n’est jamais préparé à la maladie d’Alzheimer, etc. Je pense vraiment que le bon fait divers n’est pas forcément sensationnel, même s’il est évident que l’accident de la route mortel, l’interpellation spectaculaire, le procès retentissant sont les articles les plus « vendeurs », ceux qui feront immanquablement du« clic » sur le Web. Que l’article soit bon ou pas.
Avez-vous déjà éprouvé un « choc émotionnel » concernant un ou des faitsdivers ?
L. T. : Oui. Il est difficile, et à mon avis peu souhaitable, de se détacher de toute émotion sur ces « scènes » parfois terribles. Pour ma part, plusieurs faitsdivers m’ont particulièrement marqué : deux jeunes filles de
Qu’est-ce qu’un fait-divers ?
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Laurence Texier : C’est un événement « exceptionnel », dans le sens où il rompt avec une certaine normalité. Dans son sens généralement admis, le fait-divers est une information que l’on ne
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Les journalistes « s’exposent aux incompréhensions, aux menaces de plaintes, aux reproches et à la douleur des proches » selon Laurence Texier. © Thierry Ehrmann
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« LE FAIT-DIVERS EST PAR EXCELLENCE » LES JOURNALISTES LES PLUS PROCHES DE LA SOCIÉTÉ
A Fait-divers : « un événement exceptionnel » selon Laurence Texier.
17 et 18 ans que l’on a sorties, sous mes yeux, d’une voiture accidentée. Toutes deux étaient décédées. Personnellement, je trouve que le plus difficile est « l’après-publication », la réaction des familles. Il y a quelques temps, la famille d’une dame de 91 ans, décédée dans l’incendie de sa maison dans la nuit, m’a envoyé un courrier me reprochant d’avoir pris une photo de la maison et d’avoir relaté le fait-divers. Le journaliste fait-diversier entre en quelque sorte dans l’intimité de personnes au « pire » moment de leur vie. Même en faisant son métier avec respect, déontologie, altruisme, il s’expose aux incompréhensions, aux menaces de plainte, aux reproches et à la douleur des proches.
Le travail d’un journaliste spécialisé dans les faitsdivers n’est pas une simple déclaration des faits, c’est aussi une forme d’enquête. Quelles sont les différentes étapes pour écrire un faitdivers ? L. T. : Chaque situation est bien sûr différente. Etant « localière » avant d’être fait-diversière, le fait-divers se résume dans la plupart des cas à une brève de
© Fotolia/FranceBleu
« source policière » ou venant des pompiers. S’agissant de la partie « enquête », elle commence le plus souvent sur le terrain. Je suis persuadée, pour ma part, qu’unfait divers effectué par téléphone ne permettra pas d’obtenir les mêmes informations qu’en se rendant sur les lieux. L’observation, le porte-à-porte et les discussions de voisinage peuvent apporter des éléments capitaux. Le faitdiversier, surtout en province, est très « exposé » vis-à-vis de ses sources institutionnelles. Il prend le risque de ne plus avoir aucune information par la suite. Avant de sortir une info « polémique », j’ai personnellement tendance à en discuter avec ma hiérarchie, voire avec le service juridique du journal.
Qu’est-ce que vous aimez le plus dans ce métier ? L. T. : Le fait-divers est totalement imprévisible, toujours différent par définition. Il est souvent tragique mais peut aussi tenir dans des petites scènes du quotidien plus légères. Il est l’anti-routine par excellence. Ce qui me plaît surtout dans le fait-divers, c’est d’arriver en terrain totalement vierge. A mon échelle, une rédaction locale détachée, je me demande si le fait-divers n’est pas le dernier domaine de l’investigation totale,
ccidents, meurtres, enlèvements, suicides, scandales : tel est le quotidien énigmatique des journalistes faits-diversiers. Certains pensent à une histoire, d’autres à un événement tragique. Plus précisément pour le journaliste des faitsdivers du Parisien, Timothée Boutry : « Ce sont différentes mauvaises nouvelles ». Dans le fait-divers, on peut passer d’un simple cambriolage à un meurtre. Un bon faitdivers n’est pas « un événement grave en soi, c’est une histoire qui prend le lecteur », insiste Emmanuel Coupaye, faitdiversier à Centre Presse. Le fait-divers est relativement difficile à définir. Il peut être intriguant, surprenant, douloureux, ou encore dramatique. Le journaliste est en contact constant avec la société de masse et a le devoir de préserver la vie privée et la dignité des gens. Le fait-diversier transmet de l’information sociale à travers des émotions, tout en restant neutre. Il n’est pas de l’ordre du sensationnel. Dans le langage journalistique, couvrir les faits-divers c’est faire « les chiens écrasés », ce qui signifie traiter les sujets les moins primordiaux de l’actualité.
en comparaison avec toutes les informations que l’on traite par le biais de conférences de presse, de communiqués et d’informations données par les communicants…
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JOURNALISME AUGMENTÉ
QUAND L’INFO Depuis le début des années 2000, les émissions mêlant information et divertissement se multiplient. Talk-shows ou chaînes d’info en continu, de plus en plus de médias tentent de capter une nouvelle audience lasse d’un traitement traditionnel. Parfois au détriment de la rigueur journalistique. l PAR ANTOINE MBEMBA
L
e 18 janvier dernier, sur le plateau de C à Vous, Vincent Lindon poussait une gueulante. En cause, le mélange des genres de l’émission phare de France 5. Plus que ça, la tournure en dérision généralisée de la politique à la télévision. Particulièrement par un des chroniqueurs qui, ce soirlà, juste avant les exclamations de l’acteur opérait un parallèle entre les récentes propositions pour l’emploi de François Hollande et celles de Raymond Barre, en 1977. « Singer comme ça, montrer qu’entre 1977 et aujourd’hui, en fait, on n’a pas avancé d’un mètre, il y a des gens qui nous écoutent et c’est leur dire encore plus : “C’est des guignols. Cela ne sert à rien. Arrêtez de voter, vous avez bien vu qu’on vous prend pour des imbéciles.” Ce n’est pas bon », lâche alors Lindon. Une semaine plus tard, c’est au tour d’un autre comédien, Édouard Baer, de fustiger en direct Maïtena Biraben, présentatrice du Grand Journal de Canal+, pour un enchaînement abrupt en plateau entre la crise des réfugiés à Calais et la comédie qu’il venait promouvoir. De plus en plus, la question est posée de la responsabilité de ces émissions dites « d’infotainment » dont la ligne est parfois frêle entre divertissement et information.
VITE (ET BIEN ?) FAIT
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Pour Cégolène Frisque, sociologue des médias enseignant à l’université de Nantes, il faut déjà distinguer plusieurs types d’infotainment. « Il y a ces talkshows, mais aussi ces émissions d’information qui jouent sur l’événementiel, le “breaking news”. Avec une mise en scène du
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Manuel Valls sur le plateau d’On n’est pas couché, le 16 janvier 2016.
rapport temporel de l’information en direct. Ce besoin de nourrir, même quand il n’y a rien à dire. » Les chaînes d’information en continu forment un des bastions de l’info spectacle, et reflètent à la perfection les enjeux commerciaux qui expliquent cette tendance en nette progression depuis le début des années 2000. On en revient au cercle vicieux de l’information décrit en son temps par Pierre Bourdieu ; modèle dans lequel chacun observe la concurrence, imitant tour à tour ce qui capte le plus de téléspectateurs chez le voisin, pour en arriver à un paysage télévisuel tristement homogène. Dans le cas de BFM TV ou iTélé, et de la concurrence qui en découle, le traitement de l’information revient trop souvent à qui en dira le plus, le plus tôt, le plus fort et de la façon la plus grossièrement attrayante. Une
© France TV
vitesse d’exploitation et de diffusion qui met en péril l’action journalistique pure : la sélection, le traitement rigoureux et la hiérarchisation de l’information. Pour Cégolène Frisque, on avait traditionnellement « une spécificité du traitement journalistique de l’information, basée sur l’indépendance et l’objectivité, sur un discours construit par le média. Avec chacun son propre traitement. Tout cela vole en éclat à cause de l’infotainment. » Le présupposé n’a pas changé : « Le lecteur ou spectateur cherche de l’information. Mais le mélange des genres qui appelle à l’émotion, la compassion et le partage des valeurs amorce un appel à la subjectivité qui rompt le contrat de lecture d’audience. On détruit les bases du métier de l’information en s’éloignant d’un idéal traditionnel. » L’aspect commercial explique
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TAINMENT FAIT LOI en partie le choix de ces chaînes pour un infotainment parfois effréné. Choix également dicté par une évolution culturelle de la consommation de l’information, beaucoup plus immédiate et rythmée par les réseaux sociaux. Répondant à cela, le traitement de l’actualité s’accélère, la mission de simple intermédiaire du journaliste est bouleversée et la baisse de crédibilité de la profession s’en ressent.
INFO-RIRE Les statuts de journaliste et « d’amuseur » se confondent. Au point par exemple qu’en 2012, le président de la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels se questionnait sur le renouvellement de la carte de presse des journalistes d’un parangon français de l’infotainment : Le Petit Journal de Canal+. Depuis son apparition en 2004 sous forme de chronique au sein du Grand Journal, le programme cultive un regard humoristique sur l’actualité, notamment politique. Tantôt caustique et assez juste ou gras tendance blague facile, l’émission prend une allure autrement plus officielle en 2011, lorsqu’elle devient un rendez-vous à part entière dont l’audience journalière finira par dépasser celle du Grand Journal diffusé juste avant. Avant Le Petit Journal, Tout le Monde en Parle (France 2) et On a Tout Essayé (encore France 2) avaient adopté l’infotainment dans le ton, mélangeant les genres, avec pour but avoué, armées d’une bardée de chroniqueurs, de faire rire avec l’actualité et ses acteurs. Pour Cégolène Frisque, « le divertissement peut se justifier, mais pas quand il se limite à du commentaire de commentaires. C’est parfois dur aujourd’hui de définir le statut, la légitimité de certains chroniqueurs. À l’époque de vrais humoristes comme Desproges, on avait une réelle réflexion. Il s’agit aujourd’hui de
simples commentaires faits par des gens qui savent réagir à tout et à rien. » La question est réelle : le divertissement, le rire, l’appel au sourire se font-il forcément au détriment de l’information ? « Les émissions d’actualité maniant l’humour pourraient être un vrai contre-pied à un traitement de l’info institutionnelle, mais pas quand elles ne proposent qu’un faux humour d’entre-soi. La vraie réponse est de construire une information alternative solide au lieu de ricaner à n’en plus finir entre gens de bonne compagnie. » Symptôme emblématique de la montée de l’infotainment : en
« très méchant ».Réaction de Manuel Valls : « La politique, ce n’est pas du spectacle ». Quatre mois plus tard, le même Premier ministre ira s’asseoir sur le fauteuil de On n’est pas couché, grandmesse médiatique du samedi soir présentée par un Ruquier épaulé de deux chroniqueurs toujours prêts à bondir et à buzzer. Au Petit Journal, comme pour compenser la lourdeur des sketchs du duo Éric et Quentin (à grands renfort de perruques et « bons » mots...), on s’est refait une caution journalistique depuis 2014, en la personne de Martin Weill. Décrit par ses confrères comme un
Emmanuel Macron au micro de Martin Weill dans Le Petit Journal du 15 janvier 2016. © Canal+
septembre 2015, l’émission Des Paroles et des Actes, connue pour ses débats politiques sérieux et austères, y va aussi de sa séquence décalée. En fin d’émission, devant le Premier ministre, le chroniqueur Karim Rissouli (exGrand Journal) lui propose de lire à haute voix un tweet très gentil à son égard, ou bien un tweet
« Tintin next-gen », le reporter de 28 ans sillonne la planète (en Ukraine pour la crise en Crimée, au Brésil pour la Coupe du Monde, au Burkina Faso après les récents attentats, etc.), et lance ses magnétos au gré d’un duplex avec le présentateur-vedette Yann Barthès. Parfois assez courts et pas si éloignés du banal micro-trottoir,
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JOURNALISME AUGMENTÉ 44
Philippe Guilhéneuf, fondateur et porte-parole des Indignés du PAF.
les reportages de Martin Weill ont pour eux d’amener des sujets lourds au contenu plus ou moins immersif dans un programme jeune et léger. Cégolène Frisque va dans ce sens, en apportant tout de même quelques nuances : « Il faut aller sur le terrain, mais pas seulement avec un microtrottoir. C’est la fausse solution : le journaliste y projette ses propres stéréotypes ».
arrange très peu de gens ». Et pour cause : l’association est « en sommeil ». Observer, recouper les sources et pointer les mauvais traitements de l’information prend du temps.
LES MAUX DE LA CRITIQUE
Philippe Guihéneuf ne vient pas du journalisme, ce qui ne l’empêche pas d’exiger un standard de qualité médiatique, comme tout citoyen le devrait. « Parmi ceux qui défendent la qualité de l’info, beaucoup veulent qu’elle dise ce qu’ils veulent entendre et confondent la réalité des faits et la réalité qu’on s’en fait. L’infotainment débarque pour désamorcer et rigoler de tout ça. Trouver un autre cadre. Le Petit Journal fait ça très bien avec le fact-checking, par exemple. Malheureusement eux aussi transforment parfois la réalité. » L’émission de Canal+ est en effet souvent sujette aux critiques qu’elle émet ellemême à l’égard de médias plus traditionnels. Acrimed (Action critique médias) et Arrêt sur Images se présentent comme les pourfendeurs d’un infotainment
Il arrive cependant que l’infotainment se joue de lui-même et dénonce un mauvais traitement de l’information. En 2011, Le Petit Journal de Yann Barthès met en lumière une manipulation d’images dans l’émission Appels d’Urgence de TF1. Pour illustrer les violences parisiennes, le programme aurait utilisé des bandes de vidéosurveillance américaines. Ce sera le déclencheur d’un nouveau mouvement citoyen : Les Indignés du PAF. Philippe Guihéneuf, son fondateur, explique : « Notre but est d’améliorer la qualité de l’info, de défendre le travail des journalistes ; qu’ils représentent le monde tel qu’il est, pas comme ils voudraient qu’il le soit », avant de déplorer : « L’amélioration de l’info
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LE JOURNALISTE PROJETTE SES PROPRES STÉRÉOTYPES
© Philippe Grangeaud
décomplexé. Philippe Guihéneuf constate que « Le Petit Journal déforme souvent la vérité pour en donner le sens qu’il souhaite, avec cette excuse : “On est dans la caricature donc on fait ce qu’on veut”. Ce qui est très dangereux quand on n’est pas clair sur ses intentions ». A côté de cela, il déplore une profession généralement trop atrophique où « l’enjeu sociétal se transforme en enjeu politique » et où l’information biaisée est trop souvent dénoncée en utilisant les mêmes procédés. « Daniel Schneidermann (directeur et présentateur d’Arrêt sur images) ramène tout à lui, Acrimed, s’ils font du bon boulot, sont souvent beaucoup trop dogmatiques, l’ODI (Observatoire de la déontologie de l’information) ne veut pas que les choses bougent ; reste l’OJIM, équivalent d’Acrimed à l’extrême droite… » Agacé de la généralisation d’un journalisme qui ne dit plus que ce qu’il veut entendre, Philippe Guihéneuf illustre l’immobilisme que ce fléau trouve face à lui. Il se rappelle de l’accueil frileux réservé aux Indignés du PAF il y quelques années au Sénat, les interlocuteurs de l’association se résignant simplement : « On ne peut pas forcer les médias à dire des choses qui les dérangent ».
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ÉCONOMIE
PURE PLAYERS OU COMMENT Les sites web d’information se multiplient. Nombre d’entre eux ont des projets originaux et portent en leur sein le renouveau du journalisme. Malgré cette bonne volonté, le défi de la stabilité économique de ces médias reste à l’ordre du jour. Enquête. l PAR NICOLAS BROUSTE
I
jsberg, Le Quatre Heures, L’Imprévu, Le Zéphyr… Nombreux sont les médias qui se lancent uniquement sur le Web. Mais comment ces nouveaux pure players arriventils à se financer ? « Les sources sont très diverses : publicités, achats à l’unité, abonnements, financement participatif, évènementiel, formations… Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) reflète cette diversité. Les méthodes sont choisies en fonction des cibles, que ce soit des entreprises ou, dans la majorité des cas, des internautes »,
Panel de pures players français.
expose Gabrielle Boeri-Charles, directrice du Spiil. « Il y a aujourd’hui une domination du modèle gratuit et publicitaire. Mais on observe aussi ces dernières années un rétablissement de l’équilibre avec le modèle payant, plus conforme avec la tradition de la presse. Des sites comme Actu-Environnement et Yagg sont passés du gratuit au payant », ajoute-t-elle.
WEB PAYANT : LE FUTUR « TOUT EN LIGNE » ?
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Certains pure players fonctionnent exclusivement au format payant. Le site Arrêt sur Images en fait par exemple partie. Ce dernier est à
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l’origine issu d’une émission de télévision qui après sa suppression s’est retrouvée sur la Toile : « En 2008, nous avons lancé les premiers abonnements à 30 euros par an, depuis on augmente le tarif de 50 centimes à peu près tous les deux ans. L’abonnement est passé de trois euros par mois à quatre aujourd’hui, explique François Rose, responsable technique à Arrêt sur Images. Les abonnés peuvent aussi payer plus s’ils désirent soutenir le site. » L’abonnement est donc la source principale de revenus du média, ce qui ne l’empêche
© Nicolas Brouste
pas d’en avoir d’autres, plus ponctuels : « 95 % de nos revenus viennent des abonnements, environ 900 000 euros tous les ans, poursuit François Rose, ça couvre nos dépenses et on fait un peu de bénéfices. L’année dernière, c’était 13 euros. On a aussi sorti quelques bouquins en autoédition qui ont apporté un peu d’argent, l’un d’eux s’est vendu à 30 000 exemplaires et a rapporté 100 000 euros. » Le site a également dû verser 500 000 euros au Fisc après la hausse de la TVA de 2 à 20 %. S’en est suivie une campagne de crowdfunding sur les plateformes Ulule et J’aime l’Info qui a permis au pure player
de collecter 540 000 euros auprès du grand public. Arrêt sur Images est un site à la réputation bien établie et qui a bénéficié d’une campagne de soutien lors de son passage de la télé au Web, mais qu’en estil des nouveaux sites ? Un projet comme Les Jours, fondé par des anciens de Libération est un autre de ces nouveaux médias « Le financement participatif était au début un moyen de gagner des abonnés. Nous avions un objectif de 50 000 euros qui a été atteint en une semaine, au final nous avons récolté 80 000 euros ! », explique avec enthousiasme Antoine Guiral, fondateur du pure player. « Le gros du financement, qui s’élève à plusieurs millions d’euros, provient d’éditeurs de presse et d’investisseurs du web regroupés dans une holding. Chaque membre de la rédaction a également une part », détaille l’ancien journaliste de Libération. Le site lancé en février, compte également s’appuyer sur les abonnements : « Nous allons fonctionner sur un modèle payant, ajoute le journaliste. Si nous avons 25 000 abonnés d’ici trois ans, nous serons rentables ». Le modèle payant revient donc en force et cela grâce au soutien des lecteurs qui semblent avides de ces nouveaux médias.
« DES MODÈLES ÉCONOMIQUES ADAPTÉS À LA LIGNE ÉDITORIALE » Le pure player ne se cantonne évidemment pas au format payant, d’ailleurs, un grand nombre de ces sites sont gratuits. Certains font partie du paysage médiatique depuis longtemps comme Le Huffington Post ou Slate. D’autres sont plus récents comme le site
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SE FINANCER SUR INTERNET Toussurmesfinances.com : « Nous avons un pôle contenu où l’on vend à la presse et aux acteurs du patrimoine des articles, des vidéos et des guides numériques. Il y a aussi le pôle web qui alimente le site et l’application », détaille Jean-Damien Châtelain, président de Toutssurmesfinances.com. Créé il y a cinq ans, le site Internet s’est développé en élargissant ses sources de revenus. Des e-magazines, une chaine Youtube alimentée en permanence et une régie publicitaire efficace ont permis à cette start-up de devenir rentable l’année dernière. Une diversification des sources de revenus semble être une solution économiquement stable. Mais cette réussite est également due à une spécialisation du site sur la thématique précise des finances personnelles. Cependant, d’autres pure players gratuits ont des modèles économiques plus simples et un public plus large. C’est notamment le cas de StreetPress : « Je ne crois pas à la ’’pierre philosophale’’ économique. Il y a des modèles de revenus adaptés
Répartition des modèles de revenus des membres du Spiil.
à des lignes éditoriales », expose Mathieu Molard de StreetPress. « Mediapart peut faire du payant, et ça marche, parce qu’ils sortent des scoops et ont un lectorat CSP+ assez âgé », analyse-t-il. « Demain si on passe au payant, on aura un
A SAVOIR
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CROWDFUNDING : LA CAGNOTTE DE DÉPART DES PURE PLAYERS
n France, les plateformes de crowdfounding sont nombreuses à participer à la création de sites Internet. Mais l’une d’elles est particulièrement active : J’aime l’Info. Cette dernière a été fondée par le Spiil et vise à trouver des financements pour des projets de médias innovants sur le Net. Qu’il s’agisse des campagnes d’aides à des médias déjà existants (comme Up’Magazine ou Orient XXI) ou de récoltes de fonds pour monter des structures, la plateforme rassemble de nombreux projets sur le Web. D’autres plateformes, comme Ulule.com, proposent également des campagnes de soutien. Le magazine Alternative Economique travaille par exemple sur une version web qui sera financée via Ulule. D’autres plateformes similaires
existent comme KissKissBankBank ou Tipee.
petit quota d’abonnés. Ça sera la mort du site et on se fermera au lectorat. Nos lecteurs sont des jeunes, plus mixtes socialement que dans beaucoup de médias. » L’audience configure donc les sources de revenus que le site utilise. Dans le cas de StreetPress, le système publicitaire représente l’essentiel des revenus. Mais ce dernier est loin d’être parfait : « Il y a peu, ou pas, de régies publicitaires qui soient sur du qualitatif, comme c’est le cas en presse écrite. L’Express va vendre ses pubs plus cher que Direct Matin alors qu’il a un tirage moindre, parce qu’il est étiqueté plus “qualitatif”. Pour l’instant, cette différenciation n’existe pas sur le Web, nous ne sommes pas en relation directe avec nos annonceurs », conclut Mathieu Molard. Il y a donc autant de modèles économiques de pure players que de lignes éditoriales ou de types d’audience. Le véritable travail des pure players pour survivre dans le monde médiatique n’est donc plus seulement de produire un contenu de qualité ou en grande quantité, mais de trouver un modèle économique adapté à son projet.
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SUCCÈS
ANTOINE GUIRAL, POUR UN NOUVEAU JOURNALISME EN LIGNE
Ancien chef du service politique de Libération, Antoine Guiral a quitté le journal de Jean-Paul Sartre après son rachat par Patrick Drahi. Avec plusieurs anciens de Libé, le journaliste a fondé le pure player Les Jours. Ce nouveau média veut changer les règles du journalisme classique. Entretien. l PAR NICOLAS BROUSTE
D’où vous est venue l’idée du site Les Jours ? Antoine Guiral : Le projet a débuté durant la crise de la rédaction de Libération lors du rachat par Patrick Drahi en 2014. On sentait qu’il fallait changer énormément de choses dans la manière de traiter l’information notamment sur le Web. On se réunissait avec quelquesuns pour imaginer un nouveau traitement journalistique plutôt qu’une information dupliquée de sites en sites, mais ce n’était pas possible de le faire à l’intérieur de Libération. Nous avons profité de notre départ de Libé pour mettre ce projet à exécution.
Pourquoi avoir appelé votre site Les Jours ? A. G. : Nous cherchions un nom de code pour le projet et le titre Les Jours a plu à tout le monde. C’est un très beau nom qui fait très presse et poétique. Boris Vian a appelé son livre L’écume des jours, ce qu’on a voulu traiter dans l’info ce n’est pas l’écume, nous ne sommes pas dans la petite phrase, mais l’info en profondeur.
Comment a débuté le projet ?
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A. G. : Il a fallu créer une société et trouver des investisseurs. Nous avons fait une campagne de
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Antoine Guiral, cofondateur du site Les Jours.
crowdfunding où nous demandions 50 000 euros. Nous en avons récolté 80 000 ! Mais cela nous a surtout permis d’obtenir nos premiers abonnés ainsi que des bêtatesteurs. C’est un projet à plusieurs millions d’euros, les véritables fonds ont été investis par des éditeurs de presse et des investisseurs du Web qui se sont réunis dans une holding. Nous effectuons en ce moment une nouvelle levée de fonds sur Anaxago afin de rassembler 500 000 euros.
Qu’allez-vous publier sur votre site ? A. G. : L’idée est de faire un site nouveau avec des articles longs. Nous avons aussi remplacé les rubriques par des « Obsessions ». Ce format est inspiré des séries avec des personnages et des lieux récurrents, nous avons même reçu un coup de main de Frédéric Krivine, scénariste de la série Un village français. Un « show-runner » dirige chacune des « Obsessions ». Par exemple, nous nous sommes installés dans un collège du XVIIIème arrondissement de Paris en septembre pour un an. Le collège est un nœud important de la société française, c’est pour ça que nous voulons suivre des élèves et des professeurs d’une classe. On a identifié des moments charnières comme les
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stages, mais aussi des thématiques plus larges : de quelle manière fonctionnent une classe de ZEP (Zone d’éducation prioritaire), comment les profs parlent du 13 novembre… « L’Obsession » sera constituée de portraits et de photos qui racontent des histoires. Pour cela, il a fallu obtenir l’accord de l’intégralité des parents d’élèves de la classe ainsi que des professeurs et de l’administration. Le tout avec un format unique : toute l’iconographie provient de photographes que nous avons envoyés sur le terrain. Nous avons également intégré des sons d’ambiance pour approfondir l’immersion du lecteur.
Quelles autres « Obsessions » avez-vous en stock ? A. G. : La rédaction a aussi préparé des articles fleuves dans ce même format sur les personnalités de la classe politique qui veulent et changent le système mais également sur l’empire Bolloré, les élections régionales ou les mécaniques du Front national et la France de l’après 13 novembre. Nous avons au total une dizaine « d’Obsessions ». Une d’elle parle de ceux qui sont revenus du djihad. Notre objectif au travers de ce nouveau format est d’approfondir l’actualité et d’analyser les tendances.
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TARANIS NEWS, UN NOUVEAU MÉDIA FONDÉ PAR UNE NOUVELLE GÉNÉRATION
Afin de répondre aux nouvelles exigences de la profession du journalisme et à celles du public, de nombreux médias voient le jour sur internet. C’est le cas de Taranis News, une agence de presse collaborative créée en 2012 par une poignée de jeunes tout juste sortis de l’université. l PAR CHARLES THIEFAINE
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aranis : le dieu du ciel et de l’orage dans la mythologie celtique gauloise. Comme une intempérie, le métier de journaliste est en perpétuel mouvement. Il impose aux jeunes professionnels de la rigueur, de l’ingéniosité et de l’imagination. Le nombre de pigistes ne cesse d’augmenter et réciproquement les offres de CDI dans le métier sont de plus en plus rares. Alors pour s’adapter aux circonstances, certains entreprennent de nouveaux projets indépendants, redessinant peu à peu le paysage du monde médiatique. Vous avez surement vu ou entendu parler des deux Calaisiens, d’extrême droite, ayant mis en joue des manifestants le 23 janvier dernier lors d’un grand rassemblement de soutien. Peu de monde connait Taranis News. Pourtant, nombreux sont les téléspectateurs et les internautes, mordus de l’info, qui ont déjà visionné une de leurs vidéos. Cette agence de presse collaborative, créée par Gaspard Glanz en mars 2012, est un média indépendant, relayant une information ciblée sans verser dans le militantisme. En effet, avec la participation d’une poignée de journalistes en herbe, Taranis produit un maximum de contenu visuel sur des sujets tels que les zones à défendre (ZAD), les réfugiés en Europe, les manifestations comme lors de la COP 21 ou contre le prolongement de l’état d’urgence. Cette sélection, largement filtrée, leur a permis d’approfondir certains sujets et, de facto, de devancer d’autres médias plus importants, souvent pressés par la deadline : « Nous sommes allés à Notre Dame Des Landes pendant près d’un mois et demi. Nous avons produit une dizaine de longs reportages et obtenus des images exclusives, lance Gaspard Glanz. A
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force d’être présents sur des terrains comme les ZAD, ou par exemple avec les réfugiés, nous avons eu des contacts que d’autres n’ont pas. »
UNE MINE D’OR POUR LES AUTRES MÉDIAS Evidemment, Taranis News a vite été étiqueté comme un site Internet militant d’extrême gauche. Pourtant, aucun commentaire n’est ajouté aux vidéos. Ce qui reflète une impartialité sur l’ensemble des reportages. « Je ne nous définis pas particulièrement comme étant de gauche. La seule réponse, c’est qu’on n’aime pas l’extrême droite. Pour cela, il n’y a pas de doute », précise Gaspard Glanz. Son fonctionnement ? Taranis
avions pris des risques », explique Gaspard. Il est souvent difficile d’avoir de la visibilité lorsque l’on démarre le métier de journaliste. Surtout pour les pigistes qui veulent rester indépendants. « J’aime travailler avec Taranis parce que je suis libre de diffuser mon travail sans répondre à des obligations d’actualité, de format ou de normes journalistiques, explique Pierre Gautheron, étudiant à l’Ecole Supérieur de Journalisme de Lille (ESJ) et photographe chez Taranis. C’est un milieu très dur. A Taranis, on bosse avec cet esprit commun et on envoie sur place ceux qui sont les plus prêts. » A 27 ans, Gaspard consacre aujourd’hui tout son temps à ce
Gaspard Glanz dans la jungle de Calais au lever du soleil.
est une agence de presse, existant à travers un site Internet gratuit qui sert de vitrine aux différents journalistes, vidéastes et photographes participant au projet. Ils vendent ainsi leurs images « en non-exclusif » aux médias locaux, nationaux et internationaux tels que Vice, M6, France télévision ou encore BFM. « En non-exclusif, car à l’origine nous ne voulions pas lâcher nos images de manifestations pour à peine 300 euros alors que nous
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projet et ce depuis le début, il y a quatre ans. Comme lui, de nombreux jeunes journalistes ont profité de l’essor d’Internet et de la communication visuelle pour lancer leur projet. « Je ne voulais pas être stagiaire et gagner 200 euros par mois », conclut-il. Malgré les difficultés à se rémunérer, et les usurpations d’images de certains médias, Gaspard Glanz, se réjouit que toutes ses vidéos appartiennent toujours à Taranis.
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JOURNALISME AUGMENTÉ
« DES KESSEL, DES LAZAREFF,
Jeudi 28 janvier, se lançait un nouveau site d’information : Le Zéphyr. Entre renouveau du journalisme, utopie démocratique et regard acéré sur la profession, trois des fondateurs, Philippe Lesaffre, Jérémy Felkowski et Skan Triki détaillent leur projet. l PAR CHARLES DE JOUVENEL
Le site se décompose en deux parties, une traditionnelle et une plus originale, qui est en quelque sorte un mook sur le Web ?
Philippe Lesaffre : C’est ça, il y a vraiment deux entrées, la première étant « La Traversée », qui est l’idée du magazine en ligne, donc vraiment adapter l’école de lecture d’un mook ou d’un magazine au Web. Et de l’autre, un côté plus pure player avec des contenus plus réguliers, des rendez-vous éditoriaux mensuels. On peut dire que c’est « traditionnel » d’une certaine manière. Jérémy Felkowski : Il y a une partie plus classique effectivement, dans la mesure où ça renvoie à l’univers du pure-player, mais comme on peut le voir sur le site, le contenu et le format sont moins attendus.
« La Traversée » met donc l’accent sur les articles longs. Pourquoi ce choix éditorial ? P. L. : Ces dernières années, on constate un mouvement. De plus en plus de médias du Web ont voulu se concentrer sur le quantitatif, avec de la brève à foison. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, la tendance s’inverse, on va plus vers l’info lente. Même les médias traditionnels, comme Le Monde, s’y mettent. On intègre beaucoup plus le côté design, interactif. Il ne faut pas non plus tomber dans la caricature inverse. Le Zéphyr, ce n’est pas uniquement du « slow journalisme », du très long format. Il faut faire des choix en fonction de l’histoire, comment la mettre en scène, comment la mettre en page, la raconter. J. F. : A titre personnel, je suis persuadé qu’on est proche d’un
nouvel âge d’or des médias. Aujourd’hui, des éléments, des outils et des idées sont en train de se mettre en place pour bousculer les lignes et pour donner lieu à un nouvel essor. On a vu des Kessel, des Giroud, des Servan-Schreiber, des Lazareff. On reverra des gens comme ça, et à mon avis, dans pas longtemps.
Vous avez développé sur le site ce que vous appelez « Le Labo de l’info », de quoi s’agit-il ?
J. F. : Il y a tout un pan de la vie médiatique qu’on ne prend pas en compte dans les rédactions classiques, c’est le citoyen, le lecteur. Aujourd’hui, dans un média classique, le lecteur c’est un « cliqueur », un acheteur ou un auditeur. Je refuse cette définition. Un citoyen dans un média, ce n’est pas juste un consommateur d’information. L’information, c’est un bien commun qu’on doit tous défendre, citoyens comme professionnels de l’info. Le « Labo de l’info », c’est juste un concept démocratique, porté par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qu’on va adapter à notre média. Ce sera une chambre de résonance des aspirations et des questionnements des citoyens.
Une manière de recréer le lien avec le lectorat en soi ?
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La page d’accueil du Zéphyr. Chaque élément est interactif et conduit à une rubrique. La page a été conçue comme une invitation à aller découvrir chaque aspect du site. © Le Zéphyr
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J. F. : Exactement. On va pouvoir bosser sur des productions éditoriales avec les citoyens et non pas pour les citoyens. Des gens qui n’ont rien à voir avec notre métier auront l’occasion d’apporter un œil, une sensibilité, une patte également sur une production commune. Cela nous permet de nous ouvrir à de nouvelles idées, et au citoyen de comprendre comment se fait réellement l’information parce qu’il y a beaucoup de fausses idées.
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DES SERVAN-SCHREIBER, ON EN REVERRA » P. L. : C’est ensemble qu’on veut faire grandir notre média, ensemble qu’on fait avancer les choses plutôt que de le faire de notre côté et ensuite obliger les gens à payer. On leur demande de l’argent, donc il faut qu’il y ait un retour. Ils ne sont pas des vaches à lait.
« CE QU’ON VEUT, C’EST POUVOIR PROVOQUER DES RÉACTIONS » J. F. : Ça renforce aussi l’idée qu’un média est une ramification de la démocratie publique. Si la démocratie est complètement coupée des citoyens qui sont supposés la faire vivre, il y a un problème. On n’est pas là pour donner les solutions, mais pour poser les questions, émettre des hypothèses qui prennent aujourd’hui la forme d’un concept nommé Le Zéphyr. Ce qu’on veut, c’est pouvoir provoquer des réactions.
Parlons de l’interface. La première chose qui interpelle, c’est la page d’accueil. Pourquoi l’avoir voulue sous cette forme ?
Skan Triki : C’est une grosse prise de risque, on le sait depuis le début. On s’est tout de suite rendu compte que c’était quelque chose qu’on pratiquait dans la communication, mais pas du tout dans la presse. Les outils en HTML5, c’est encore rare. La prise de risque est volontaire parce que c’est une page qui est à l’exact opposé de l’intuitivité. C’est de la découverte. On découvre un sujet, son angle décalé. On ne sait pas où cliquer. La page est là, allez-y et familiarisez-vous avec son contenu. J. F. : On parie sur le côté ludique, les intelligences collectives, sur la curiosité et la soif de découverte des gens. En gros, on parie sur leur esprit. Commencer l’exploration d’un site par un petit jeu avec un côté décalé, ça met, à mon avis, en bonne condition pour découvrir ce qu’est en réalité Le Zéphyr.
Sur quel modèle économique comptez-vous vous appuyer ?
J. F. : La structure même du
site est déjà un semblant de modèle. On est sur du freemium avec une partie qui s’appelle « Les Escales ». Ce sera un pure player pour schématiser, régulier et gratuit. Qui dit production gratuite ne dit pas production au rabais, ce serait se tirer une balle dans le pied. De l’autre côté, on a « La Traversée », une sorte de mook trimestriel sur abonnement, à 29 euros par an. On veut proposer une expérience complète, pas chère, mais que les gens en aient pour leur argent. P. L. : Pour en arriver à lancer le site, on est passé, comme beaucoup, par le crowdfunding, via le site Ulule. Le financement participatif nous a apporté plus de 7 000 euros avec lesquels on a pu considérablement avancer, en termes graphiques notamment.
Pas de publicité donc ? J. F. : Non, ça c’est quelque chose qui est très clair, on ne veut aucune pub. Seuls les actionnaires participent au projet, nos seules ressources viennent de notre lectorat. On peut se planter sur ce modèle, mais ce sont les valeurs qu’on porte.
A SAVOIR
CINQ HOMMES AUX COMMANDES Sylvain Gosset : Grand admirateur de Joseph Kessel et spécialisé sur l’international, il conçoit son travail à travers les voyages. Amateur de musique et de littérature, il parcourt notamment l’Orient en quête de reportages et de clichés d’exception. Jérémy Felkowski : Ancien formateur à l’ESJ de Lille, puis rédacteur en chef d’Animafac.net et de Russiactu Prime, il est l’un des membres fondateurs de l’association « Les Citoyens de l’information » qui milite pour faire évoluer les médias. Philippe Lesaffre : Diplômé de l’ESJ Lille (où il a rencontré Jérémy Felkowski), il a longtemps multiplié les piges pour différents médias (L’Express, Slate, Usbek & Rica, Socialter, etc.) avant de s’immerger dans le projet de lancement du Zéphyr. Maxime Jacquet : Lui aussi issu de l’ESJ Lille, il a depuis travaillé pour différents médias, tels que Vivre Paris ou StreetPress. Il occupe aujourd’hui le poste de rédacteur en chef adjoint et de secrétaire de rédaction au Zéphyr. Skan Triki : Journaliste pour le quotidien belge Le Soir, il a travaillé avec des médias français, comme Ijsberg à sa création. Autodidacte, il apprend le web design seul depuis quelques années. Le développement du site Le Zéphyr lui a donné la possibilité de mettre en pratique cet apprentissage. L e m a g a z i n e d e s é t u d i a n t s d e l ’ I S C PA Scoop 2016_DEF.indd 53
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JOURNALISME AUGMENTÉ
SNAPCHAT, LA NOUVELLE Forte de son succès avec pas moins de 100 millions d’utilisateurs quotidiens, l’application de messagerie éphémère est devenue une cible de choix pour les médias. Par le biais de Snapchat, ces derniers espèrent conquérir la nouvelle génération. l PAR MAXENCE FABRION
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ubliez Facebook et Twitter, le nerf de la guerre se nomme désormais Snapchat. Depuis le lancement du service Discover sur l’application américaine, en janvier 2015, les médias ont été séduits par cette innovation. En effet, elle leur offre de nouvelles possibilités sur la plateforme mobile de partage de photos et de vidéos. Et pour cause, cet onglet, comparable à un minikiosque à journaux, est un outil redoutable pour attirer les jeunes. Chaque jour, Discover propose environ 160 sujets éphémères, consultables uniquement pendant 24 heures. Plusieurs médias anglosaxons ont rapidement perçu le potentiel de ce service sur une application qui rassemble pas moins de 100 millions d’utilisateurs quotidiens. Ainsi, il n’est pas étonnant de retrouver CNN, Vice, BuzzFeed ou encore le Daily Mail sur la page numérique dédiée à l’information et au divertissement. Cependant, les places sont chères puisque l’onglet est limité à 17 « chaînes ». Un entrant égale un sortant. Un intérêt croissant des médias pour Discover qui ne surprend pas Eric Delcroix, spécialiste du web 2.0 et de la communication digitale. « Les médias ont compris qu’il fallait contacter les jeunes, essentiellement les moins de 20 ans. De ce fait, Snapchat est un outil pour y parvenir », expliquet-il. L’enjeu est de taille puisque
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ce format d’information et de divertissement est susceptible d’atteindre aisément les 14-34 ans, une tranche d’âge qui représente 86% des utilisateurs de Snapchat. LES MÉDIAS FRANÇAIS SE POSITIONNENT En France, point d’emplacement disponible pour l’heure sur Discover, mais certains médias se positionnent déjà au cas où une opportunité viendrait se présenter sur l’application américaine. Ainsi, Alice Antheaume, directrice adjointe de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, révélait sur Slate, en novembre dernier, que Le Monde, Le Parisien et BFM TV étaient intéressés pour décrocher une place française sur l’onglet média de Snapchat. Une hypothèse qui ne relève pas de la sciencefiction. Bien au contraire. En effet, la plateforme mobile compte plus de cinq millions d’utilisateurs dans l’Hexagone. Une aubaine pour les médias français si elle venait à se concrétiser. Au point de devenir une success-story ? « Tout dépendra du community management, c’est la clé de voûte », estime Eric Delcroix. Pour les médias issus des quatre coins du globe, envahir les réseaux sociaux est une condition sine qua non pour espérer perdurer dans le temps. Les jeunes passent plusieurs heures par jour sur ces plateformes, incitant ainsi les médias à se
renouveler pour atteindre ce public, avide d’actualité chaude et d’interactivité. Il suffit de jeter un œil au nombre d’utilisateurs sur Facebook, le réseau social le plus populaire au monde, pour comprendre l’ampleur du potentiel à exploiter. Selon une étude réalisée par l’agence de communication web Tiz, en septembre 2015, le site web de Mark Zuckerberg comptabilise près d’1,5 milliard de membres à travers le monde, dont 30 millions sous la bannière tricolore. UN MAGAZINE VIDÉO NOUVELLE GÉNÉRATION Le succès de Discover s’inscrit dans la continuité du développement de Snapchat. Pour attirer un public plus large, l’application de messagerie éphémère mise également sur la participation de ses utilisateurs. Lors de grands événements, essentiellement américains mais aussi internationaux, comme les playoffs NBA, le Super Bowl, les Oscars, la Fashion Week, Tomorrowland ou encore la COP21, la plateforme mobile propose des « Live Stories », une succession d’images qui expirent au bout de 24 heures, pour vivre de l’intérieur une manifestation sportive, musicale ou politique. En mettant ses utilisateurs à contribution, l’application leur donne le sentiment d’appartenir à une communauté privilégiée qui offre
Pour toucher les jeunes, constamment connectés sur leur smartphone, les médias, CNN et BuzzFeed en tête, remettent en forme l’information dans de nouveaux formats. © Louis Witter
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ARME DES MÉDIAS Snapchat rassemble 100 millions d’utilisateurs aux quatre coins du globe et se classe à la 7e place des réseaux sociaux les plus populaires en France avec 5,3 millions de membres. © Agence Tiz
régionalement, nationalement ou internationalement du contenu exclusif aux membres de Snapchat, suivant la localisation et la portée de l’événement. Depuis les attentats de Paris, le 13 novembre 2015, la plateforme s’est même adaptée en créant un canal en continu dédié à la « Ville Lumière ». Grâce à ce flux local, les parisiens peuvent raconter le déroulement de leur journée, entre clichés sur la culture française (les équipes de Snapchat étant presque exclusivement issues du pays de l’Oncle Sam) et décrochages sur l’actualité, à l’image des émeutes place de la République lors de la COP 21 ou d’un match du Paris Saint-Germain au Parc des Princes. Une initiative ludique qui pousse de nombreux Franciliens à rivaliser d’ingéniosité pour se faire une place dans la « story » du moment et obtenir leur instant de gloire. Certains vont même jusqu’à chanter du Edith Piaf pour séduire les responsables américains qui opèrent la sélection. D’autres villes dans le monde entier bénéficient également de cette couverture, à mi-chemin entre publicité et actualité. Devant le succès de ces « stories » (plus de 100 000 visionnages chaque jour pour le canal parisien) alimentées par des anonymes, les médias ont compris que Snapchat pouvait être un de leurs meilleurs alliés.
Pour toucher un public plus jeune, notamment la fameuse génération Z, l’industrie des médias doit ainsi réinventer l’approche et le format de l’information. Un défi assimilé par les Américains, notamment avec CNN, National Geographic Channel et BuzzFeed, selon Eric Delcroix. « Ils utilisent beaucoup Discover et ont intégré les codes de Snapchat dans leur travail. De cette manière, il y a une remise en forme de l’information dans d’autres formats », note-t-il. Avant d’ajouter : « Les jeunes sont très bien informés contrairement à ce que l’on pense. Ils sélectionnent parfaitement l’info. » Dans ce contexte, les médias présents sur Discover misent sur une forme courte et visuelle, un format incontournable pour séduire les moins de 25 ans. REMETTRE EN FORME L’INFORMATION Aujourd’hui, l’information est très consultée sur mobile, d’où la nécessité pour les médias de s’adapter aux codes de la jeunesse actuelle. Un véritable défi pour Pauline Croquet, journaliste et social media editor au Monde : « Il faut adapter des formats vers de nouvelles formes d’écriture, à l’image des webdocs par exemple. » Au-delà de la simple audience potentielle que
représente l’application, Snapchat est également l’occasion de comprendre un phénomène de société qui ne s’essouffle pas depuis son lancement en septembre 2011. « Si les médias ne vont pas sur Snapchat, ils se coupent d’une source d’information et d’un public », précise Pauline Croquet. En outre, Eric Delcroix estime « qu’il faut devenir copain avec les jeunes ». Dans cette optique, certains médias ont pris les devants en créant des comptes Snapchat pour interagir avec leur public et proposer du contenu exclusif. C’est notamment le cas du Petit Journal de Canal+. L’avenir du journalisme passe inévitablement par le smartphone, le « prolongement de la main » de la génération Z. « Tout le monde en a un ainsi qu’un réseau social allumé », constate ainsi Pauline Croquet. Toutefois, attirer les jeunes n’est pas le seul défi des médias francophones et internationaux. Une fois leur intérêt éveillé, le plus dur commence, à savoir attiser leur curiosité plusieurs minutes chaque jour et les fidéliser. Selon Snapchat, les meilleures chaînes d’information de Discover parviennent à captiver l’attention des utilisateurs pendant 6 à 7 minutes par jour en moyenne. Rassembler, divertir et informer, tel est le pari de Snapchat pour attirer les jeunes.
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